GRÂCE
Le mot «grâce» et la réalité qu’il désigne ont une importance centrale dans la vie de l’humanité, et particulièrement dans l’histoire et la théologie chrétiennes. S’il est vrai que tout homme souffre d’un sentiment diffus et non expliqué de culpabilité, la grâce serait la parole, la thérapie, le changement radical de climat psychologique qui l’en délivrerait; s’il est vrai, selon Kafka, que la vie de chacun ressemble à un procès sans autre issue possible que la condamnation capitale, et que l’individu est fatalement écartelé entre ce qu’il est et les valeurs qu’il reconnaît, entre sa vie et son idéal, entre son comportement et les maîtres mots de la société dans laquelle il vit, la grâce serait le verdict inattendu, renversant l’ordre logique des choses et permettant à celui qui en est l’objet de recommencer à vivre comme innocent; s’il est vrai, enfin, dans l’univers religieux, que, pour la plupart des familles spirituelles, le problème central est celui de l’expiation ou de la réconciliation entre la divinité et son adorateur, si les rites de purification de celui qui est souillé, les sacrifices dans lesquels une victime sainte meurt en lieu et place du pécheur, en un mot si la médiation entre le dieu irrité et la communauté fautive ont, dans le monde entier, une telle importance, la grâce serait l’acte qui efface, d’un coup, tout le contentieux séparant le ciel de la terre, et qui permet au croyant une nouvelle existence avec, devant lui, la page vierge d’une vie miraculeusement rénovée.
De nombreux usages et tournures de langage viennent confirmer cette importance de la grâce et la nostalgie qu’en conserve tout homme: c’est, par exemple, le «droit de grâce», privilège de chefs d’État agissant au nom de la nation hypostasiée, dans les pays qui ont encore conservé l’usage barbare de la peine de mort et de l’exécution capitale; c’est implicite dans l’expression populaire: «Il n’y a pas de pardon», indiquant que tout se paie et que la justice immanente est une fatalité à laquelle nul ne saurait échapper; c’est encore l’emploi de plus en plus courant, dans un sens profane, du mot «justifier», par lequel on entend dire que la vie pourrait bien être un non-sens sans l’intervention de quelque chose ou de quelqu’un qui en valorise et en récapitule les moments et actes épars; c’est aussi l’extraordinaire quête de la communication authentique, qui traverse la littérature et l’art contemporains: Beckett, Godard, Sartre, Bergman attestent, chacun à sa façon, dans maints livres, films et pièces de théâtre, que la malédiction fondamentale qui pèse sur l’homme est celle du silence, de la solitude, du regard mortel de l’autre et, dans leurs désespoirs, s’esquisse ce que pourrait être la grâce: l’amour, l’amitié, le prochain et une vie nouvelle où ce ne seraient plus la haine, l’orgueil et l’absurdité de la mort qui régneraient...
1. De l’étymologie aux données bibliques
En grec profane, c’est le mot charis ( 﨑見福晴﨟) qui désigne la grâce. Il signifie originellement – et ceci est décisif pour la coloration du mot – ce qui brille, ce qui réjouit. De là, on passe aux trois significations classiques du mot:
a ) le charme de la beauté, la joie, le plaisir; b ) la faveur, la bienveillance, les égards, les marques de respect, la condescendance, le désir de plaire, la bonne grâce; c ) la reconnaissance (rendre grâce, d’où: eucharistie), la récompense, la rémunération, le salaire, le cadeau (d’où: charisme, don matériel ou spirituel) reçu en vertu de la seule faveur du roi ou de la divinité.
Comme la plupart des autres vocables religieux, ce mot a aussi un sens dévalué et vague: bonheur; un peu comme on dit aujourd’hui à quelqu’un: «salut!» sans penser que, par là, on lui souhaite la béatitude éternelle. Ainsi charis devient un mot banal du langage quotidien.
L’originalité de l’Écriture est qu’elle combine la pensée grecque et la pensée hébraïque, et que le Nouveau Testament lui-même est écrit dans un grec pétri de sémitismes. Le terme hébreu traduit dans le Nouveau Testament par charis est chén , que l’on retrouve dans le nom propre Jochanân – qui a donné Johann en allemand, John en anglais et Jean en français – et qui signifie «JHVH, le Seigneur, fait grâce» (cf. Jér., XL, 15; XLI, 11, etc.). Comme la plupart des mots hébreux, chén indique non tellement un état ou un sentiment qu’une action concrète et efficace, celle qui permet à un homme de vivre, en dépit de tout ce qu’il est ou fait; c’est l’œuvre de la miséricorde divine suspendant le jugement ou le châtiment et redonnant incessamment sa chance au pécheur... La rencontre entre l’hébreu et le grec dans l’œuvre des écrivains néotestamentaires se manifeste encore dans le début des lettres apostoliques, où fréquemment les auteurs s’adressent à leurs lecteurs en disant: «la grâce et la paix vous sont données...» (cf. I Thess., I, 1; Coloss., I, 2; Rom., I, 7 et de nombreux autres textes de la littérature paulinienne; I Pierre, I, 2; II Pierre, I, 2; II Jean, 3; Apoc., I, 4, pour le reste du Nouveau Testament). Par là, on veut indiquer que l’Évangile s’adresse à tout homme, quelles que soient son origine et sa langue, qu’il soit juif ou païen (Rom., I, 16): en effet, si «la grâce» est «le salut» qu’on échange entre gens parlant grec, «la paix» (shalôm ) est celui que s’adressent aujourd’hui encore les Juifs. Mais il est évident qu’au-delà de cette astuce, qui consiste à utiliser les termes les plus banals et courants pour exprimer l’universalité de l’appel du Christ, l’Église primitive entend souligner, par cette formule devenue classique, que l’initiative divine , la grâce, qui permet à l’homme de vivre, crée aussi un état nouveau , la paix, qui est l’existence réconciliée de ceux à qui la grâce de Dieu permet de rencontrer les autres, sans que les haines passées ou les tensions du présent puissent jamais produire de séparation ni de solitude définitives. Utiliser les mots les plus dévalués pour exprimer, avec une extraordinaire audace inventive, toute la nouveauté de l’Évangile, telle est la démarche biblique courante, symbolisée par cette adresse: «la grâce et la paix vous sont données...»
On peut, à partir de là, relever l’originalité de chacune des deux parties de la Bible.
L’Ancien Testament
Chén , c’est d’abord une autre façon de désigner JHVH, le Dieu vivant, Seigneur d’Israël, dans les bonnes dispositions qui sont les siennes à l’égard des hommes; c’est aussi, par extension, le rapport nouveau qu’il crée entre lui et les hommes en les appelant, en les interpellant incessamment par les messagers de sa Parole (Ps., XXXI, 17; XXXIII, 22). Et comme la grâce ne saurait être ni attendue ni provoquée, ni méritée par les hommes, mais correspond à une libre et souveraine initiative de Dieu, elle est un autre nom de l’élection , par laquelle le Seigneur constitue un peuple libre (l’acte par excellence de la grâce, c’est l’exode hors d’Égypte), que Dieu fait sortir de la captivité, par sa seule puissance, «à main forte et à bras étendu», peuple qui, au milieu des nations, sera la communauté de l’action de grâce, c’est-à-dire de la louange et du service (Deut., IV, 37; X, 15; VII, 7 et suiv.; IX, 5 et suiv.).
Mais comme, en face de l’amour gratuit et immérité de Dieu, le peuple s’avère toujours rebelle et ingrat, la grâce, qui est le fondement et le nerf de l’alliance entre Dieu et l’humanité représentée par Israël, ne peut atteindre son but qu’en étant indissolublement liée au pardon des péchés , par lequel le peuple élu est rendu capable d’être, pour le Dieu qui le rassemble, un partenaire joyeux et fidèle (Ex., XXXIV, 6 et suiv.; Ps., XXXII, 1 et suiv.). Et lorsqu’il apparaît que cela ne sera jamais complètement le cas, un des plus sensibles et fervents parmi les messagers de la grâce, le prophète Jérémie, annonce que le Seigneur va mettre le comble à sa grâce en concluant avec Israël une alliance nouvelle , tout intérieure, la loi étant inscrite dans les cœurs des croyants et la certitude habitant en eux de façon inamissible: «Je serai leur Dieu, et eux seront mon peuple.» (Jér., XXXI, 31 et suiv.)
Si l’on ajoute que, dans l’Ancien Testament, la grâce désigne non seulement la personnalité de Dieu et son action élective, mais encore les bienfaits temporels et éternels, dont il comble ceux qui sont ses vis-à-vis, on voit que cette notion recouvre tout le mystère d’une vie nouvelle donnée à des hommes qui, par tout leur être, ne sont que «pour la mort»; comme l’a montré la récente théologie biblique de l’Ancien Testament, que, pour Israël, JHVH soit le Dieu saint, ne signifie en rien que, comme dans l’ensemble des autres religions, il soit séparé et inaccessible, mais, bien au contraire, qu’il possède une plénitude de vie qu’il a plaisir à laisser déborder sur ceux qui en sont privés: c’est cela sa grâce. Il faut décidément corriger l’image courante, en vertu de quoi le Dieu de l’Ancien Testament serait sévère et sanguinaire: il est bien plus celui qui, avec une inlassable patience, poursuit à travers les méandres contradictoires d’une histoire sanglante et obscure la réalisation du seul dessein qui lui tienne à cœur: la victorieuse manifestation de son amour, de sa grâce, qui est son être même.
Le Nouveau Testament
Si l’Ancien Testament donne à chén un sens aussi pleinement théologique, on ne s’étonnera pas que, pour le Nouveau Testament, charis ait, avant tout, une signification très personnellement christologique. Certes, l’héritage hellénique se fait aussi sentir, et on trouve des emplois de charis , dans le sens classique de gracieuseté, caractère agréable d’un discours ou d’une personne, mais même ces emplois apparemment «profanes» sont chargés d’une ambiguïté volontaire. Ainsi Luc, IV, 22, joue à plaisir sur le malentendu: il pourrait y être dit que Jésus avait une parole tellement agréable qu’on l’admirait et venait volontiers l’écouter, mais déjà ce texte, écrit pour des chrétiens d’origine païenne, est destiné à leur faire prendre conscience qu’il ne s’agit pas là d’un bon orateur seulement, mais de celui qui «parle le bien», qui annonce une grâce essentielle dont sa parole fascinante n’est que l’enveloppe significative, le contenant étant ici entièrement à l’unisson du contenu. Il en est de même en Eph., IV, 29, et en Coloss., IV, 6.
La grâce et la personne de Jésus-Christ
Avant tout, la grâce désigne la venue, en Jésus-Christ, de la Parole de Dieu, non seulement parmi les hommes, mais au milieu d’eux et comme l’un d’entre eux: la grâce est sur Jésus, elle est en lui, il la donne, il est la grâce . Ainsi, pour tout le message du Nouveau Testament, la grâce ne saurait être une abstraction, un concept ou une force anonyme; elle est, de façon décisive et définitive, une personne (cela est capital, pour voir à quel point sont en porte-à-faux la plupart des controverses sur la grâce qui ont déchiré l’Église à travers les siècles). On retiendra donc, avant tout, que la grâce évangélique est à la mesure de l’homme, destinée à être reçue par lui, qu’elle est non seulement humaine, de tout le poids de l’humanité du Christ, mais encore humanisante, puisque c’est par elle, c’est-à-dire par lui , par la rencontre existentielle avec cette Parole de Dieu «devenue chair», entrée dans l’histoire de la finitude, que l’homme «fait son plein» d’humanité. Ici apparaît la contamination par le paganisme de certains des grands «slogans» du christianisme primitif, et, par exemple, de la célèbre formule d’Irénée, reprise par Athanase: «Dieu s’est fait homme, afin que l’homme devînt Dieu»; en réalité, cette formule contredit, pour l’essentiel, le message du Nouveau Testament d’où il ressort clairement que, Dieu s’étant fait homme et s’étant rendu présent dans l’histoire de ce monde d’une présence unique et spécifique, il va être enfin possible – c’est la grâce – que chaque homme devienne authentiquement humain.
Que Jésus concentre en lui tout ce que la foi chrétienne peut dire de la grâce, qu’il soit la grâce en personne, cela souligne le caractère de don inattendu, d’absolue gratuité , de sa venue dans ce monde: plus encore que dans l’Ancien Testament, ce que le Nouveau Testament considère comme le tournant décisif de l’histoire est la manifestation d’une initiative divine que rien ne pouvait prévoir, déterminer ou provoquer: c’est une maturité d’amour, une volonté d’être entièrement pour autrui, une miséricorde (c’est-à-dire un cœur rempli par la misère d’autrui) sans limites, qui sont à l’origine de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ; ces événements ne font qu’exprimer cette personne, exceptionnelle et, cependant, semblable aux autres (cf. l’ensemble du prologue de l’Évangile selon saint Jean, spécialement les versets 12 et suiv.).
C’est parce que tous ses écrits rendent témoignage à ces événements, à cette grâce en personne, qu’ils sont nommés évangiles ou sont évangéliques, c’est-à-dire porteurs de la bonne nouvelle , annonciateurs de joie, messagers de l’humanité véritable. Quoi qu’elle soit devenue par la suite, la prédication de l’Église primitive a une tonalité heureuse et une force contagieuse, libératrice, attirante. Si le message actuel des Églises ne connaît pas le même rayonnement et n’exerce pas le même attrait, c’est sans doute parce que, perdant le secret de la grâce christique, il s’est perverti en moralisme sourcilleux ou en doctrine plus soucieuse de rectitude que d’annonce vivante du Christ gratuit et gracieux.
La justification
Que la grâce du Christ soit salutaire, c’est-à-dire libératrice de l’homme pour une existence nouvelle, cela, dans le Nouveau comme dans l’Ancien Testament, s’exprime par la liaison de la grâce et du pardon : le génie de saint Paul est d’avoir, dans ses lettres, fait la première synthèse des éléments contenus, à ce sujet, dans le message des communautés, remontant aux paroles mêmes de Jésus. L’apôtre y est contraint, parce qu’il rencontre sans cesse, sur sa route missionnaire, un judaïsme qui a transformé en juridisme moral la bonne nouvelle de l’élection par grâce, centre de tout l’Ancien Testament. À cette caricature de la foi juive, qui aboutit à enfermer l’homme religieux dans un tissu de préceptes et de règlements inhumains, plus encore, à donner à l’homme l’impression qu’il peut se mettre en règle avec Dieu par lui-même, par sa propre piété, de telle sorte que la fin de cette religion est la glorification aveugle et vaine du bien-pensant, Paul oppose le message radical de la justification par grâce, par le moyen de la foi (Eph., II, 7-8): la justification, c’est le rétablissement d’une relation véritable avec Dieu et cela, nul ne peut le provoquer ou le mériter, aucune œuvre ne peut l’obtenir, c’est donné gratuitement, par le Christ-Parole de grâce, et reçu par la foi, par l’acquiescement de l’homme qui croit sur parole ce Dieu qui se donne dans sa Parole faite chair.
Ainsi, au règne du péché (incrédulité; glorification aboutissant à mettre l’homme en état de constant souci de lui-même; solitude et désespoir) succède celui de la grâce (refuser d’avoir raison contre Dieu; accepter d’être délivré du souci de sa propre vie, se découvrir donné aux autres, «proexistant» ; pouvoir faire place en soi à la reconnaissance et au service). Il s’agit véritablement de deux économies antithétiques, et c’est là le tournant radical que le Christ a fait prendre à l’histoire, car son œuvre de grâce ne concerne pas seulement quelques individus, elle vise l’humanité tout entière et s’étend déjà potentiellement à toute la création. C’est le sens de certaines affirmations surprenantes de l’Évangile: «Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre» (Matth., XXVIII, 18), ou «Dieu était en Christ, réconciliant le kosmos avec soi-même» (II Cor., V, 19 et suiv.). Le comble de la grâce c’est, secrètement, de mener le monde et de le diriger vers la manifestation en lui de l’accomplissement de toute chose enfin parvenue à la vérité de son être, par la maturation christique de l’histoire.
C’est pourquoi il va être désormais «logique » (Rom., XII, 1), pour tout homme qui vit dans la foi, non seulement de faire de toute sa vie une eucharistie (au sens large d’une louange contagieuse de tous les instants et au sens étroit du sacrement), mais encore de recevoir la grâce du service du Christ en ses frères, de reconnaître en tout homme, chrétien ou non, qui vit pour le service des autres (cf. Matth., XXV, 31 et suiv.) un signe du rayonnement cosmique de la grâce.
En résumé on peut dire que la grâce c’est tout l’Évangile, et que c’est aussi le tout de l’Évangile, dans la mesure même où celui-ci ne veut être que l’invitation libératrice, adressée à tout homme, de recevoir gratuitement la grâce christique pour en vivre; en somme, le don total de Dieu en Christ, jusqu’au sacrifice suprême, entraîne en réponse le don total de l’homme, dont la personne et la vie appartiennent désormais à autrui, pour un service aussi bien personnel et direct que social et politique. L’Église est à la fois le fruit de la grâce, le lieu où elle est annoncée et signifiée, et un instrument pour la diffuser...
2. L’histoire du problème de la grâce
On peut, à bon droit, présenter toute l’histoire de l’Église comme une lutte pour affirmer la gratuité de la grâce. Déjà, à la génération apostolique, c’est le sens de l’affrontement majeur entre le judéo-christianisme représenté par Pierre et la mission universaliste incarnée en Paul; toute l’activité apostolique, et en particulier littéraire, de ce dernier est un combat de tous les instants pour que l’évangile annoncé par l’Église ne soit que grâce.
Augustin et le pélagianisme
Par la suite, en face de ces hérauts de la grâce que furent Tertullien au IIIe siècle et saint Augustin au IVe siècle, la spéculation se développe dans le but d’établir exactement quel est le rapport entre la grâce, de plus en plus comprise comme une substance spirituelle, une force divine à la disposition de l’Église et infusée à la nature humaine par les sacrements, un courant spirituel au moyen duquel le fidèle pourra mériter de nouvelles grâces, et la nature de l’homme, sa liberté et son pouvoir de décision. Contre Augustin, Pélage affirme que l’homme collabore avec Dieu à l’obtention et à la réalisation du salut: c’est la doctrine du synergisme . Et tandis qu’Augustin défend avec acharnement l’exclusivité de la grâce dans la régénération de l’homme et finit par faire condamner Pélage, l’Église opte pour une position intermédiaire (semi-pélagianisme) selon laquelle la grâce a, certes, l’initiative, mais intervient avant tout pour déclencher en l’homme les potentialités bonnes qu’il porte en lui et dont l’action méritoire obtiendra, si elle persévère, la béatitude éternelle. Augustin, lui, disait, sans concession aucune, que la grâce, pleinement suffisante, donne à l’homme la foi, l’espérance et l’amour.
La Réforme
Au Moyen Âge, l’opposition se poursuit entre, d’une part, les semi-pélagiens, comme Vincent de Lérins, les néo-pélagiens, comme les nominalistes Occam et Biel, et, d’autre part, les représentants d’une tendance plus augustinienne comme Thomas d’Aquin, Bonaventure, Duns Scot; mais à la Réforme le conflit rebondit avec une extrême rigueur, toute l’œuvre du moine augustinien, devenu le réformateur Martin Luther, n’étant qu’un incessant et passionné plaidoyer pour la grâce: son interprétation de tout l’Évangile à travers la doctrine de la justification par la foi seule est une affirmation inconditionnelle de la pleine et exclusive suffisance de la grâce. Malgré sa condamnation par Rome et malgré l’œuvre doctrinale du Concile de Trente, confirmant la ligne semi-pélagienne, les controverses continuent jusqu’au profond renouveau biblique, caractéristique de l’évolution des Églises aussi bien catholique que protestante, depuis le début du XXe siècle. Celui-ci apporte deux éléments essentiels: d’une part, la redécouverte fondamentale que la grâce n’est pas une substance mais une personne; d’autre part, la possibilité d’une lecture commune, scientifique et spirituelle, de l’Écriture et de l’approfondissement de son message central de la justification par grâce (cf. la nouvelle version française de l’Épître aux Romains, texte clé des controverses passées, avec introduction et notes communes, par ex. sur III, 24 a; III, 28 a; IV , 2 a; X, 9 a... dans la Traduction œcuménique de la Bible ).
Actuellement, après des siècles de divisions sur le thème de la grâce, on peut dire que l’œcuménisme a permis de réaliser un large consensus, et que la frontière des affrontements confessionnels ne passe plus par ce point, jadis si brûlant. Ce qui ne veut pas dire que la gratuité de l’Évangile soit admise par tous ceux qui se réclament du Christ!
Interprétation contemporaine
Il est important de préciser qu’à la suite du théologien allemand D. Bonhœffer, mort en 1945, la théologie et la prédication contemporaines insistent sur le fait que ce n’est certes pas l’orgueil et la volonté de puissance de l’homme qui peuvent le faire vivre, libérer autrui, construire la paix... mais aussi et surtout que la grâce évangélique est l’annonce de l’événement christique, en quoi Dieu renonce à toute manifestation de puissance, de gloire et de supériorité pour ne se révéler et n’agir que dans la pauvreté, la faiblesse, la solidarité avec les pauvres et les opprimés, et le sacrifice d’une vie entièrement donnée aux autres. Ainsi la croix du Christ est-elle le tournant de l’histoire, parce qu’en elle se manifestent un service totalement désintéressé, un amour entièrement donné à l’autre et une volonté de justice allant jusqu’au mépris de sa propre vie. C’est parce qu’elle prend définitivement à contre-pied le comportement naturel de tout homme, qu’elle est «la victoire par laquelle le monde a été vaincu» (I Jean, V, 4). La grâce, comme l’ont souligné tous ses témoins, ne saurait donc être un oreiller de paresse, la source d’un quiétisme désengagé; selon la parole de Bonhœffer, elle ne peut être que «la grâce qui coûte », c’est-à-dire la prise de possession par le Christ d’hommes libérés pour servir, l’entraînement à sa suite de ceux qui, atteints existentiellement par sa Parole, n’ont désormais pas d’autre raison d’être que de vivre à son imitation et d’être dans l’histoire les témoins actifs de la réconciliation et de la libération universelles. C’est ainsi qu’ils manifestent qu’ils ne sont plus sous le règne du péché, mais sous celui de la grâce.
grâce [ gras ] n. f.
• v. 1050 « aide de Dieu »; lat. gratia
I ♦
A ♦
1 ♦ (XIIe) Ce qu'on accorde à qqn pour lui être agréable, sans que cela lui soit dû. ⇒ avantage, bienfait, 1. don, faveur. Demander, solliciter, obtenir, recevoir une grâce. Implorer une grâce. — (Formule de politesse) Faire à qqn la grâce de (et inf.). ⇒ amabilité, honneur, obligeance, 1. plaisir. Me ferez-vous la grâce d'accepter ?
2 ♦ Iron. LES BONNES GRÂCES DE QQN, les faveurs qu'il accorde; ses dispositions favorables. Être, rentrer dans les bonnes grâces de qqn.
3 ♦ Disposition à faire des faveurs, à être agréable à qqn. ⇒ bienveillance, bonté, protection. Loc. Être en grâce auprès de qqn, jouir de sa faveur. ⇒ plaire. Rentrer en grâce. Trouver grâce devant qqn, aux yeux de qqn, gagner sa bienveillance, son indulgence. — Dr. Délai de grâce. Terme de grâce : délai que les juges peuvent accorder à un débiteur. Accorder à qqn un jour de grâce. — Loc. adv. DE GRÂCE.Vx Par bonté. Mod. Je vous en supplie. « continuez, de grâce, et mettez-moi au fait en quelques mots » (Gautier).
4 ♦ (de l'angl.) Titre d'honneur (surtout dans les pays anglo-saxons). Votre Grâce.
B ♦
1 ♦ La bonté divine; les faveurs qu'elle dispense. ⇒ bénédiction, faveur. La grâce de Dieu. Loc. Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre. ⇒ volonté. Loc. adv. À la grâce de Dieu : comme il plaira à Dieu, en laissant les choses évoluer d'elles-mêmes, et par iron. n'importe comment.
♢ Loc. An de grâce. — Havre de grâce.
2 ♦ Théol. chrét. Aide surnaturelle qui rend l'homme capable d'accomplir la volonté de Dieu et de parvenir au salut. ⇒ bénédiction, inspiration. Dieu accorde, donne, répand sa grâce. La grâce a touché ce pécheur. Grâce efficace, suffisante. Grâce et prédestination. « Je vous salue, Marie, pleine de grâce » (prière). — Être en état de grâce, sans péché (⇒ pureté) . Fig. État de grâce : période d'euphorie où tout semble favorable. L'état de grâce du gouvernement (après sa formation).
3 ♦ Par anal. Avoir la grâce. ⇒ 1. don, inspiration. Pour créer de telles œuvres, il faut avoir la grâce.
C ♦
1 ♦ (XIIIe) Pardon, remise de peine, de dette accordée bénévolement. ⇒ amnistie, sursis. Demander la grâce de qqn. — (Sans art.) Demander grâce. ⇒ miséricorde, quartier . Crier grâce. ⇒ supplier. Ellipt Grâce ! ⇒ merci, pitié. Faire grâce. ⇒ excuser, pardonner.
♢ FAIRE GRÂCE à qqn d'une dette. ⇒ dispenser, exempter, remettre. — Fig. Épargner. Je te fais grâce du reste. Je vous fais grâce du détail. Iron. Faites-moi grâce de vos observations !
2 ♦ COUP DE GRÂCE : coup qui termine les souffrances d'un blessé, d'un supplicié en lui donnant la mort. Donner le coup de grâce à un fusillé.
♢ Par ext. Coup qui achève d'abattre, de perdre qqn ou qqch. Donner, porter le coup de grâce à qqn. ⇒ achever.
3 ♦ Dr. pén. Mesure de clémence que prend le pouvoir exécutif au profit d'un condamné. Le droit de grâce (⇒ gracier) . Recours en grâce d'un condamné à la prison à vie. ⇒ requête, supplique. Grâce simple, grâce amnistiante (⇒ amnistie) .
II ♦ (XIIe) Dans des expr. Action de reconnaître un bienfait, une grâce. ⇒ reconnaissance, remerciement. Rendre grâce. ⇒ remercier. « La France [...] rend grâce à Voltaire » (Michelet).
♢ Action de grâce(s) : témoignage de reconnaissance rendu à Dieu. En Amérique du Nord, Jour d'action de grâce (équiv. de Thanksgiving Day) :jour férié commémorant la prière de remerciement à Dieu des colons de Plymouth, après leur première récolte (1621) (aux États-Unis, le quatrième jeudi de novembre; au Canada, le deuxième lundi d'octobre). — Cantique d'action de grâces. ⇒ Te Deum; doxologie, gloria. — Absolt Les grâces : prière de remerciement qui se dit après les repas.
♢ Ellipt Grâce (en soit rendue) à Dieu. Loc. adv. Grâce à Dieu, nous avons réussi. ⇒ heureusement (cf. Par bonheur; Dieu merci).
♢ Loc. prép. GRÂCE À (qqn, qqch.) :à l'aide, au moyen de (en parlant d'un résultat heureux). Grâce à son aide, nous avons pu y arriver. ⇒ avec. « Grâce à l'auto, l'étape a été peu fatigante » (A. Gide). Iron. « Grâce aux lenteurs d'une détestable méthode » (Stendhal).
III ♦ (1280)
1 ♦ Charme, agrément (des formes, des mouvements...). ⇒ attrait. Grâce qui réside dans la douceur, l'harmonie, la simplicité. Grâce naturelle, nonchalante, juvénile. Avoir de la grâce. Femme bien faite, mais sans grâce. ⇒ joliesse, vénusté. — Des manières pleines de grâce. Grâce des gestes, des mouvements, des attitudes. ⇒ aisance, désinvolture, élégance, facilité. Évoluer, danser avec grâce. Parler, s'exprimer avec grâce.
2 ♦ Au plur. LES GRÂCES. ⇒ beauté, finesse, ornement. — Vieilli Les grâces d'une personne. ⇒ attrait, 2. charme. « Et son cœur est épris des grâces d'Henriette » (Molière). — Par ext. (souvent iron.) Manières gracieuses. Faire des grâces. ⇒ façon, minauderie. — Démonstrations d'amitié, politesses. « L'une d'elles refusa avec mille grâces » (Céline).
3 ♦ BONNE GRÂCE : bonne volonté naturelle et aimable. ⇒ affabilité, amabilité, aménité, douceur, gentillesse. Faire qqch. de bonne grâce. ⇒ bénévolement, volontiers (cf. De bon cœur; de bon gré). Il a accueilli ma demande avec beaucoup de bonne grâce. Il s'exécuta avec la meilleure grâce du monde.
♢ MAUVAISE GRÂCE : mauvaise volonté. Il l'a fait de mauvaise grâce (cf. À contrecœur; de mauvais gré). Avoir mauvaise grâce à, de : être mal venu de, n'être pas bien placé pour. Il aurait mauvaise grâce de se plaindre, à se plaindre.
4 ♦ Myth. Les trois Grâces : les trois déesses (Aglaé, Thalie et Euphrosyne), qui personnifiaient le don de plaire.
⊗ CONTR. Dette, obligation; défaveur, haine, malveillance. Condamnation, disgrâce. Laideur, lourdeur, maladresse; grossièreté.
⊗ HOM. Grasse (gras).
● grâce nom féminin (latin gratia, de gratus, agréable) Faveur accordée à quelqu'un pour lui être agréable : Je vous demande cela comme une grâce. Remise de tout ou partie de la peine d'un condamné ou commutation de cette peine en une peine moins forte : Obtenir la grâce d'un coupable. Agrément, charme indéfinissable d'un être animé, de son comportement : Un geste plein de grâce. Agrément, attrait particulier de quelque chose : Admirer la grâce d'un bouquet. Don ou secours surnaturel que Dieu accorde aux hommes pour leur salut. ● grâce (citations) nom féminin (latin gratia, de gratus, agréable) Gérard Bauër Le Vésinet 1888-Paris 1967 La grâce n'a pas d'âge. Chroniques, II Gallimard André de Chénier Constantinople 1762-Paris 1794 Qu'aimable est la vertu que la grâce environne ! L'Aveugle Julien Green Paris 1900-Paris 1998 Académie française, 1971 L'oubli est une grâce. Journal Plon Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 […] Ni la grâce, plus belle encor que la beauté. Adonis Jean Racine La Ferté-Milon 1639-Paris 1699 Je ne trouve qu'en vous je ne sais quelle grâce Qui me charme toujours et jamais ne me lasse. Esther, II, 7, Assuérus Philon d'Alexandrie Alexandrie entre 29 et 13avant J.-C.-Alexandrie 50 après J.-C. Tout est grâce de Dieu. De l'immutabilité de Dieu, 107 (traduction A. Mosés) Bible Car moi, Yahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants pour ceux qui me haïssent, mais qui fais grâce à des milliers pour ceux qui m'aiment et gardent mes commandements. Ancien Testament, Exode XX, 5-6 Commentaire Citation empruntée à la « Bible de Jérusalem ». Edmund Spenser Londres 1552-Londres 1599 Que nul n'attribue à soi-même les victoires qu'il doit à la grâce. Nous n'avons de force que pour le mal : tout le bien vient de Dieu en acte ou en volonté. Ne let the man ascribe it to his skill That through grace hath gained victory If any strength we have, it is to ill But all the good is Gods, both power and eke will. La Reine des fées, I, 10 ● grâce (difficultés) nom féminin (latin gratia, de gratus, agréable) Orthographe 1. Avec un accent circonflexe sur le a, de même que disgrâce. Les dérivés et composés gracieux, gracieusement, disgracieux, disgracieusement, gracier, disgracier, ne prennent pas d'accent. 2. État de grâce, rentrer en grâce, trouver grâce aux yeux de qqn, demander grâce : toujours au singulier. Action de grâces : toujours au pluriel. Rendre grâces ou rendre grâce (à qqn, au Ciel) : au singulier ou au pluriel. Le pluriel est plus fréquent. Emploi Grâce à ne s'emploie que pour introduire le nom d'un agent ayant un effet jugé heureux, opportun, utile : c'est grâce à vous que nous y sommes arrivés ; nous lui avons fait parvenir le document grâce au télécopieur. Sauf ironie (grâce à l'avion, qui est plus rapide que le train, nous sommes arrivés avec quatre heures de retard), on emploie, lorsqu'il s'agit d'un effet jugé fâcheux, les expressions à cause de, par la faute de, par suite de : par suite du brouillard, l'avion n'a pas pu atterrir à l'heure prévue (et non : grâce au brouillard). ● grâce (expressions) nom féminin (latin gratia, de gratus, agréable) À la grâce de Dieu, advienne que pourra, n'importe comment. An de grâce, se dit ironiquement ou plaisamment avant l'indication de l'année de l'ère chrétienne dont on parle. Avoir mauvaise grâce à, de, faire quelque chose contre la raison ou la convenance, être mal placé pour. C'est la grâce que je vous souhaite, c'est le bonheur que je vous souhaite. Coup de grâce, le dernier coup donné à un être vivant pour abréger ses souffrances ou pour l'achever ; le coup qui perd ou confond définitivement quelqu'un ou quelque chose. De bonne, de mauvaise grâce, de bon, de mauvais gré, de bonne, de mauvaise volonté. De grâce, par pitié, je vous en prie. Délai de grâce, délai supplémentaire concédé à quelqu'un pour l'exécution d'une obligation. Demander, crier grâce ou grâce !, faire appel à la pitié de quelqu'un, du sort et, en particulier, du vainqueur. État de grâce, état du fidèle uni à Dieu par la grâce (donc pur de péché grave) ; état exceptionnel où tout paraît possible et magnifique. Être en grâce, rentrer en grâce, être en faveur auprès de quelqu'un, retrouver une faveur. Faire grâce à quelqu'un, lui pardonner. Faire grâce à quelqu'un de quelque chose, le lui épargner, l'en dispenser : Je vous fais grâce des détails. Faire à quelqu'un la grâce de, avoir l'obligeance, l'extrême bienveillance de. Faire trop de grâce à quelqu'un, c'est trop de grâce, formule de remerciement. Grâce à Dieu, par bonheur, heureusement. Grâce à, à la faveur de, par l'action heureuse de quelqu'un, de quelque chose ; au moyen, à cause de. Rendre grâce(s) à quelqu'un, à Dieu, le remercier, reconnaître ses bienfaits ; reconnaître l'œuvre de salut de Dieu. Trouver grâce devant, auprès, aux yeux de quelqu'un, obtenir son indulgence, son pardon ; lui agréer, lui plaire. Droit de grâce, prérogative régalienne appartenant, en France, au président de la République d'accorder la grâce. Grâce amnistiante, grâce accordée par le chef de l'État, et à laquelle sont attachés les effets de l'amnistie. Recours en grâce, recours formulé auprès du président de la République en vue d'obtenir une remise de peine. Grâce d'état, secours particulier que Dieu accorde à chacun pour l'aider à remplir les fonctions auxquelles il l'a destiné. ● grâce (homonymes) nom féminin (latin gratia, de gratus, agréable) grasse adjectif féminin ● grâce (synonymes) nom féminin (latin gratia, de gratus, agréable) Faveur accordée à quelqu'un pour lui être agréable
Synonymes :
- avantage
- gracieuseté
- honneur
- prérogative
- privilège
Remise de tout ou partie de la peine d'un condamné...
Synonymes :
- amnistie
- rémission
- sursis
Agrément, charme indéfinissable d'un être animé, de son comportement
Synonymes :
- attrait
- douceur
- joliesse
- vénusté
Contraires :
- laideur
- lourdeur
- rudesse
Agrément, attrait particulier de quelque chose
Synonymes :
- élégance
- harmonie
Contraires :
- grossièreté
- hideur
- horreur
- vulgarité
grâce
n. f.
d1./d Faveur accordée volontairement. Solliciter, accorder, obtenir une grâce.
— Loc. (Termes de politesse.) Faites-moi la grâce de venir.
— De grâce: s'il vous plaît.
— Trouver grâce auprès de qqn, lui plaire, gagner sa bienveillance.
— être dans les bonnes grâces de qqn, jouir de sa faveur.
— Rendre grâce(s): reconnaître une faveur accordée.
— Action de grâces: remerciements à Dieu.
— Action de grâce(s) ou Jour de l'Action de grâce(s): au Canada, jour férié (deuxième lundi d'octobre) institué sous l'influence de la fête américaine appelée Thanksgiving Day.
— (Plur.) Prière faite avant ou après un repas. Dire les grâces.
d2./d Loc. Prép. Grâce à: avec l'aide de. Grâce à vous. Grâce à Dieu.
— Par le moyen de. Le projet a réussi grâce à son intervention.
d3./d Remise de peine, pardon accordé volontairement. Faire grâce à qqn.
— Droit de grâce: droit, qu'ont certains chefs d'état, de réduire ou de commuer une peine.
— Loc. Faire grâce à qqn d'une obligation, l'en dispenser.
— Iron. Faites-moi grâce de vos conseils.
— Grâce!: pitié! (dans une imploration).
|| Coup de grâce.
d4./d THEOL CHRET Don surnaturel que Dieu accorde aux créatures pour les conduire au salut. état de grâce.
— Fig. Avoir la grâce, être en état de grâce: être inspiré d'une manière particulièrement heureuse (se dit en partic. de la création artistique).
d5./d Attrait, agrément, charme. Cette danseuse a de la grâce. Grâce naturelle.
— (Plur.) Attraits. Les grâces de l'esprit. Faire des grâces: avoir des manières aimables ou (iron.) affectées.
|| De bonne grâce: de bon gré.
— De mauvaise grâce: à contrecoeur.
— Avoir mauvaise grâce à ou de: être mal placé pour. Il aurait mauvaise grâce à me refuser ce service après ce que j'ai fait pour lui.
⇒GRÂCE, subst. fém.
I. — Don accordé sans qu'il soit dû.
A. — 1. Faveur, bénédiction accordée par Dieu. Grâce du ciel; louer le Seigneur de ses grâces; obtenir une grâce. C'est une grande grâce que Dieu m'a faite de ne pas aimer ce qui est défendu (DUPANLOUP, Journal, 1876, p. 29). Mathieu, avant de franchir la porte, appela sur la maison les grâces divines (QUEFFÉLEC, Recteur, 1944, p. 36). Il y a quinze ans que Dieu m'a fait cette grâce particulière, de me rendre pauvre. Mais ce n'est rien; je veux être plus pauvre encore (MONTHERL., Maître de Sant., 1947, II, 1, p. 630). V. bénédiction ex. 1 :
• 1. Elle sentait que la grâce que Dieu lui avait accordée en l'unissant à celui qu'elle avait tant aimé ici bas, l'obligeait à une fidélité d'autant plus zélée, à une reconnaissance d'autant plus ardente envers son bienfaiteur céleste.
MONTALEMBERT, Ste Élisabeth, 1836, p. 45.
— Grâce d'état. Grâce accordée en raison des devoirs, des obligations difficiles attachés à un état ou à une fonction particulière. Ses malheurs lui communiquaient une sagesse supérieure. Il sentait descendre en lui des grâces d'état (A. FRANCE, Révolte anges, 1914, p. 385).
♦ P. ext. Ce qui permet de supporter une situation difficile, pénible. Pour être un véritable comédien, il faut avoir une grâce d'état, car le théâtre, plus qu'une profession, est une passion (Arts et litt., 1936, p. 64-10).
— Expressions
♦ An de grâce [À propos des années de l'ère chrétienne : an de la grâce de Dieu] V. an A 3 a ex. de Stendhal. Havre de grâce. V. hâvre B 1 ex. de Green.
♦ C'est la grâce que je vous souhaite. C'est ce que je vous souhaite de mieux :
• 2. Je ne demande pas à Dieu qu'il vous pardonne les péchés de votre vie qui veulent une autre vie d'expiation; mais seulement ceux que vous avez commis pendant cette lecture. C'est la grâce que je vous souhaite.
PÉLADAN, Vice supr., 1884, p. 240.
— Locutions
♦ À la grâce de Dieu. [Indique qu'on s'en remet à Dieu] Comme il plaira à Dieu. Je suis un pauvre prêtre qui va à la grâce de Dieu comme les alouettes des champs, marchant dans mon sentier, sans bruit (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p. 335) :
• 3. Je m'étendais dans le canot, ne dormant que d'un œil car je me méfiais des lubies du pochard, et la barque, roulant mollement d'un bord sur l'autre, voguait à la grâce de Dieu...
CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 179.
♦ Par la grâce de Dieu
[Formule placée par les souverains devant leur titre] Selon la volonté de Dieu. Charles, par la grâce de Dieu roi des Français, à tous présens et à venir savoir faisons que nous avons vu des lettres de notre père (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 1, 1821-1824, p. 100).
[Par une faveur divine] Ainsi, nul n'est plus esclave, mais fils. S'il est fils, il est aussi héritier par la grâce de Dieu (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 712).
2. THÉOL. Don gratuit de Dieu qui assure l'homme d'une destinée surnaturelle (grâce habituelle ou sanctifiante), secours divins qui aident l'homme à résister à la tentation de faire le mal (grâce actuelle). Résister à la grâce, perdre la grâce. Ceux qui n'ont pas la Grâce sont dans la nécessité de pécher, quoiqu'ils ne soient pas nécessités à un péché particulier; ceux qui ont la grâce sont nécessairement inclinés au bien (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 2, 1842, p. 105). Dieu ne refuse à personne dans l'ordre où nous sommes cette grâce surnaturelle qui est la condition de la connaissance de Dieu (Théol. cath. t. 4, 1, 1920, p. 864) :
• 4. Pour lui [Luther], tous les philosophes et théologiens médiévaux sont des païens, qui croient que le péché originel a laissé subsister la nature et qu'une fois restaurée par la grâce elle redevient capable d'agir, de progresser, de mériter.
GILSON, Espr. philos. médiév., 1932, p. 222.
♦ En partic. Grâce coopérante, efficace, prévenante, suffisante.
— État de grâce. État de celui qui n'a commis aucun péché mortel ou qui en a été absous :
• 5. ... de deux choses l'une : ou elle est morte en état de grâce (comme s'exprime l'Église), et alors elle n'a nul besoin de nos prières; ou bien elle est décédée impénitente (c'est, je crois, l'expression ecclésiastique)...
FLAUB., Mme Bovary, t. 2, 1857, p. 186.
♦ P. ext. État de paix intérieure, de bonheur, de bien-être. Aujourd'hui, et depuis même assez longtemps, je suis calme, paix de tête et de cœur, état de grâce dont je bénis Dieu (E. DE GUÉRIN, Journal, 1836, p. 112). Il faut (...) mettre le visiteur en état de grâce, c'est-à-dire lui procurer un confort visuel sans lequel il ne saurait éprouver aucune jouissance esthétique (Musées Fr., 1950, p. 23).
B. — 1. [En parlant d'une pers.] Faveur qu'on accorde à quelqu'un pour lui être agréable. Grâce inespérée, particulière; accorder, faire, mériter, réclamer, solliciter une grâce; obtenir par grâce; être bénéficiaire d'une grâce; demander, prier, supplier en grâce. Aujourd'hui, c'est un jour de récréation; nous ôtons les chenilles des groseilliers; et par une grâce spéciale, on nous a permis de les ôter avec un petit morceau de bois (GONCOURT, Journal, 1863, p. 1261). Il y a quelques mois, reprit-elle, je t'ai demandé une grâce, en quittant l'auberge de Mantes, celle de me laisser mourir le jour où la vie de tortures que nous menons, deviendrait intolérable (ZOLA, M. Férat, 1868, p. 288). Albertine, je vous demande en grâce une chose, c'est de ne jamais chercher à me revoir (PROUST, Prisonn., 1922, p. 342). L'appel d'une foule qui réclame la flagellation comme une grâce et bénit chacun des coups de verge tombant sur les épaules (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 223). V. amour-propre ex. 87 :
• 6. ... ce ne sont pas des souhaits que nous ferons entendre, mais la réclamation des droits de l'homme et du citoyen; ce n'est point une grâce que la Nation implore, c'est justice qu'elle demande et qu'elle attend.
MARAT, Pamphlets, Suppl. Offrande à la Patrie, 1789, p. 50.
— Loc. prép. à valeur causale. Grâce à. À/par la faveur de quelque chose ou de quelqu'un. C'est moi qui l'ai fait, c'est grâce à moi qu'il est auditeur, et il trouvera sa nomination de maître des requêtes dans la corbeille (ZOLA, Pot-Bouille, 1882, p. 325). Ce n'était plus elle, je ne la reconnaissais que grâce à ses yeux où son identité s'était réfugiée (PROUST, Guermantes 1, 1920, p. 177). Leur commerce de viandes froides à ceux-là, prenait, grâce à la pullulation des contingents nouveaux, les proportions d'une force de la nature (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 96). Grâce aux réverbères, on distinguait les arbres dont les branches pliaient et s'arrondissaient déjà, crêtées d'argent (GREEN, Moïra, 1950, p. 209) :
• 7. ... en errant un jour parmi les décombres, j'avais découvert l'entrée d'un caveau qui, grâce aux éboulements dont elle était masquée, avait échappé aux outrages d'un temps de délire et de destruction.
SAND, Lélia, 1833, p. 189.
P. iron. Grâce à vos conseils, je suis en passe de perdre du même coup ma fortune et mon honneur : c'est trop de deux. Comment finira cette comédie? (SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p. 201).
Vieilli et littér. Grâces à. Ma santé se rétablit de jour en jour, grâces aux soins qui me sont prodigués, et à un excellent chirurgien (SÉNAC DE MEILHAN, Émigré, 1797, p. 1633). Ce peuple, aujourd'hui, ne boit, grâces au commerce, que du poison au lieu de vin (FOURIER, Nouv. monde industr., 1830, p. 20).
♦ Par la grâce de. Synon. de grâce à. Toynbee (...) prétendait avoir découvert ces lois par la grâce d'une méthode (L. FEBVRE, Combats pour hist., De Spengler à Toynbee, 1936, p. 137) :
• 8. On venait d'improviser, par la grâce de la commandite, des chemins de fer, des mines de charbon, d'or, de mercure, de cuivre, des journaux, des métaux, mille inventions, mille créations toutes plus attrayantes les unes que les autres.
REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 27.
2. Disposition bienveillante d'une personne à l'égard d'une autre personne.
a) Au plur. Les bonnes grâces de qqn. Ses dispositions favorables, ses faveurs. Une fois complètement maître de la volonté de Laurence, il lui serait facile de s'insinuer dans les bonnes grâces des deux barbeaux, qui étaient gens à mener par le nez (THEURIET, Mais. deux barbeaux, 1879, p. 103) :
• 9. ... quand elle avait placé pour dix francs de pommade ou de dentelle, elle s'insinuait dans les bonnes grâces de sa clientèle, devenait son homme d'affaires, courait pour elle les avoués, les avocats et les juges.
ZOLA, Curée, 1872, p. 370.
SYNT. Attirer, conquérir, gagner, obtenir, perdre, rechercher, rentrer dans, solliciter les bonnes grâces de qqn; accorder, retirer ses bonnes grâces; s'emparer des bonnes grâces de qqn; se recommander aux bonnes grâces de qqn.
b) Au sing. [Dans des expr.]
♦ Avoir la grâce de faire qqc. (vieilli). Avoir la bonté de faire quelque chose. Je jure que si vous avez la grâce d'arriver tout de suite, de me surprendre une fois en bonheur, je suis vouée à vos volontés pour le reste de ma vie (STAËL, Lettres L. de Narbonne, 1794, p. 245).
♦ Être en grâce auprès de qqn (vieilli). Jouir de sa bienveillance, de sa considération. Le duc répondit fièrement qu'il ne craignait aucun homme vivant, tant qu'il serait en grâce du Roi (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 3, 1821-24, p. 49).
♦ Avoir qqn en sa grâce (vieilli). Lui accorder sa bienveillance :
• 10. Le comte de Flandre, instruit de cette dure résolution [mettre le feu], vint conjurer à genoux le Roi d'épargner sa ville : « Mon cousin, dit le Roi, je vous ai aidé et si bien secouru, que vos ennemis sont détruits; cependant, du temps de feu monseigneur mon père, vous aviez alliance avec nos ennemis les Anglais et leur étiez très-favorable. N'y revenez pas désormais, et je vous aurai en ma grâce... »
BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 1, 1821-24, p. 265.
♦ Rentrer en grâce. Regagner la bienveillance de quelqu'un. Il avait même failli passer en police correctionnelle. Depuis cette époque, il rêvait de rentrer en grâce auprès de l'administration, avec des rages jalouses (ZOLA, Fortune Rougon, 1871, p. 263). Il se sentait chaque jour diminué, compromis, forcé d'imaginer un coup d'éclat, s'il voulait rentrer en grâce près des régisseurs (ZOLA, Germinal, 1885, p. 1428) :
• 11. ... nous avions repris notre promenade et nous suivions la lisière d'un petit bois. G. ne m'avait pas encore adressé une parole. Je faisais mille efforts inutiles pour rentrer en grâce.
HUGO, Rhin, 1842, p. 163.
♦ Trouver grâce aux yeux de qqn, devant qqn. Obtenir son indulgence, lui plaire. Un fils trouve toujours grâce devant son père (DELAVIGNE, Enf. d'Édouard, 1833, III, 5, p. 114). Vous me permettrez de joindre ici une légende qui pourra vous en donner une idée, et trouvera grâce, j'espère, auprès de vos dames (M. DE GUÉRIN, Corresp., 1832, p. 67) :
• 12. ... le marquis avait des aperçus brillants dont il s'enthousiasmait pendant trois jours. Alors un plan de conduite ne lui plaisait pas, parce qu'il était étayé par de bons raisonnements; mais les raisonnements ne trouvaient grâce à ses yeux qu'autant qu'ils appuyaient son plan favori.
STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 439.
c) [En usage dans les pays anglo-saxons] Titre d'honneur donné aux ducs, aux archevêques et autrefois au roi d'Angleterre. Votre Grâce, Sa Grâce :
• 13. Leurs excellences européennes veulent, dit-on, se couper la gorge; l'Anglais défie l'Allemand. Celui-ci, plus rusé, lui joue un tour de diplomate, gagne le postillon de Milord, qui verse Sa Grâce dans un trou, pensant bien lui rompre le cou. Mais l'Anglais roule jusqu'au fond sans s'éveiller, et cuve son vin...
COURIER, Pamphlets pol., Lettres partic. 2, 1820, p. 71.
C. — 1. DR. Remise partielle ou totale d'une peine et en particulier remise de la peine capitale par le chef de l'État. Demander sa grâce, la grâce de qqn; implorer sa grâce, obtenir la grâce de qqn. À la justice, un cinquième directeur exploitait le chapitre des grâces et des commutations de peine (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 312). Grâce pour qui? cria-t-il. Peppino resta immobile, muet et haletant. — Il y a grâce de la peine de mort pour Peppino (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 506) :
• 14. ... Ernest IV répétait souvent que l'essentiel était surtout de frapper les imaginations. Toujours est un grand mot, disait-il, et plus terrible en Italie qu'ailleurs : en conséquence, de sa vie il n'avait accordé de grâce.
STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 111.
— Droit de grâce. Droit pour un chef d'état d'accorder cette remise de peine. Exercer le droit de grâce. Le droit de grâce est de tradition monarchique. Il consiste dans la faculté pour le chef de l'État de dispenser un condamné de l'exécution de tout ou partie de sa peine (VEDEL, Dr. constit., 1949, p. 561).
♦ Faire grâce. Je suis innocent. Voilà quatorze ans que je grelotte dans une cage de fer. Faites grâce, Sire! Vous retrouverez cela dans le ciel (HUGO, N.-D. Paris, 1832, p. 495). Vous êtes un vrai roi, puisque vous savez faire grâce. Et qu'y a-t-il de plus doux? Un pendu ne saurait être utile à âme qui vive (BANVILLE, Gringoire, 1866, 9, p. 63).
♦ Faire grâce (à qqn) de la vie. L'épargner, lui laisser la vie sauve. Cet homme vous apportait du poison, et il s'est tué lui-même sans le savoir. Nous lui avions fait grâce de la vie, nous; mais Dieu a été moins clément, et il a voulu que la justice éternelle eût son cours (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 3, 1859, p. 284).
♦ Donner grâce de la vie à qqn (vx). Son procès lui avait été fait; le Parlement avait prononcé la forfaiture. Grâce de la vie lui fut donnée, mais il perdit toutes ses seigneuries (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 2, 1821-24, p. 239).
P. ell. Veux-tu vivre? lui dit-elle. Le veux-tu? — Oh! murmura-t-il avec un cri de joie, je ferai tout ce que vous voudrez; mais grâce pour la vie! (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 3, 1859p. 270).
♦ Crier, demander, implorer grâce. Supplier, implorer la pitié de quelqu'un (afin d'être épargné) :
• 15. Il s'est fait amener, des prisons de la ville,
Deux voleurs qui se sont traînés à ses genoux,
Criant grâce, implorant l'homme maître de tous,
Agitant à leurs poings de pesantes ferrailles,
Et, curieux de voir s'échapper leurs entrailles,
Il leur a lentement lui-même ouvert le flanc...
HUGO, Légende, t. 2, 1877, p. 412.
2. Pardon, remise de dette, d'obligation, etc. Bégayant plus que jamais, pleurant, voulant se battre, il implorait sa grâce, comme s'il eût commis un crime. Ses maîtres l'octroyèrent (FLAUB., Bouvard, t. 2, 1880, p. 112) :
• 16. Je te laisse le choix entre deux solutions (...) ou bien nous restons sur nos positions, tu fais ta punition. Nous cherchons à t'aider de toutes les manières et même à obtenir ta grâce auprès de papa...
H. BAZIN, Vipère, 1948, p. 169.
♦ Demander grâce (à qqn). Demander pardon, faire appel à la pitié de quelqu'un. Des sénateurs, des préteurs, des tribuns, se roulaient en larmes aux pieds de leurs esclaves, leur demandant grâce et les suppliant de ne point les déceler (MICHELET, Hist. romaine, t. 2, 1831, p. 295). Il ne se pressait pas, il trouvait drôle, sans doute, de laisser tourner ces dames, de les fatiguer. Elles soufflaient, elles demandaient grâce (ZOLA, Curée, 1872, p. 562).
♦ Demander grâce pour qqc. Demander pardon pour quelque chose. Un sentiment de timidité se mêlait à sa joie, et semblait demander grâce pour son triomphe (STAËL, Corinne, t. 1, 1807, p. 56). Cette énumération n'est à autre fin que de vous demander grâce pour mon barbouillage (BALZAC, Corresp., 1831, p. 505). Ce sont ces principes que nous allons entreprendre d'indiquer, en demandant grâce pour l'aridité des explications techniques (COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p. 105).
♦ De grâce! Par pitié! Dites-moi de grâce comment vous avez pu acquérir par les sens l'idée de quoique (J. DE MAISTRE, Soirées St-Pétersbourg, t. 1, 1821, p. 504).
P. ell. Grâce! Oh! grâce! Ne me tue pas, mon Gennaro! Vivons tous les deux, toi pour me pardonner, moi, pour me repentir! (HUGO, L. Borgia, 1833, III, 3, p. 178).
♦ Faire grâce à qqn. Pardonner. Mais comme vous êtes sortis par les avant-postes, vous avez assurément un mot d'ordre pour rentrer. Donnez-moi ce mot d'ordre et je vous fais grâce (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Deux amis, 1883, p. 192).
♦ Faire grâce de qqc. Le donner sans rien attendre en retour :
• 17. Je n'ai jamais demandé un denier à personne pour mes soins, excepté à ceux qui sont visiblement riches; mais je n'ai point laissé ignorer le prix de mes peines. Je ne fais point grâce des médicaments, à moins d'indigence chez le malade.
BALZAC, Méd. camp., 1833, p. 61.
3. Au fig. Faire grâce à qqn de qqc. Épargner une chose ennuyeuse ou fastidieuse à quelqu'un, l'en dispenser. Ah! ma chère enfant, fais-moi grâce des leçons que l'on t'a données. Depuis que ton oncle est ici, tu as pris un ton et des manières étudiées qui ne vont pas à ton caractère (LECLERCQ, Prov. dram., Espr. désordre, 1835, 8, p. 263). Le curé ne lui avait pas fait grâce d'une des misères de l'église : le toit crevé, les vitraux cassés, les murs nus (ZOLA, Terre, 1887, p. 164). — Yvonne : Tu ne connais pas les femmes. — Michel : Je commence à les connaître... — Yvonne : Je te fais grâce de tes grossièretés (COCTEAU, Par. terr., 1938, I, 4, p. 210) :
• 18. ... je vous indique l'avantage effectif et inappréciable de la vie des lycées, et vous fais grâce des tirades sur les amitiés d'enfance, sur le mélange heureux des castes différentes, etc., etc., toutes déclamations privées de vérité.
GOBINEAU, Pléiades, 1874, p. 78.
♦ P. ell., vieilli. Grâce de! Une compagnie étrangère est venue cet hiver (...) proposer le défrichement de la campagne romaine : Ah! Messieurs, grâce de vos cottages et de vos jardins anglais sur le Janicule! (CHATEAUBR., Mém., t. 3, 1848, p. 438).
II. — Action de reconnaître un bienfait reçu, remerciements.
— [Dans des expr. et loc.]
♦ Rendre grâce(s) à. Éprouver de la reconnaissance pour un bienfaiteur, lui témoigner sa gratitude, le remercier. Si le marquis m'aime autant que vous le dites, il doit rendre grâces au destin, qui semble être à ses ordres (SÉNAC DE MEILHAN, Émigré, 1797, p. 1697). Le solitaire vous rend grâces de lui avoir envoyé ce doux, profond et poignant livre (HUGO, Corresp., 1862, p. 428) :
• 19. Monsieur (...) je vous dois la vie de mon fils, et pour ce bienfait je vous bénis. Maintenant je vous rends grâce pour le plaisir que vous me faites en me procurant l'occasion de vous remercier comme je vous ai béni, c'est-à-dire du fond du cœur.
DUMAS père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 610.
♦ Rendre grâce(s) au Seigneur. Il alla dans le temple pour rendre grâce aux dieux des victoires qu'il avait remportées (STAËL, Corinne, t. 1, 1807, p. 177). Je rends grâces au ciel d'avoir été élevé comme un sauvage, repris-je; cela me préserve de voir le monde dans cette ennuyeuse uniformité (DURAS, Édouard, 1825, p. 129).
Absol. Ceux qui s'agenouillent soir et matin pour rendre grâce ne passent jamais indifférents devant un cercueil (SAND, Lélia, 1833, p. 302).
Loc. Grâce(s) à Dieu, au ciel. Grâce(s) en soi(en)t rendue(s) à Dieu, au ciel. Mais votre missive, grâces aux dieux, m'est arrivée tantôt comme une brise rafraîchissante, comme un véritable dictame! (FLAUB., Corresp., 1872, p. 418). C'est un village, et pas une ville; les rues, grâce au ciel, ne sont pas pavées; les averses y roulent en petits torrents, secs au bout de deux heures (COLETTE, Cl. école, 1900, p. 8).
♦ Les grâces. Prière dite après le repas afin de remercier Dieu. Le dîner était terminé; M. Bruno récita les grâces (HUYSMANS, En route, t. 2, 1895, p. 34).
♦ Mille grâces (vieilli). Mille mercis, mille fois merci. Mille grâces, mon cher Monsieur, des bonnes nouvelles que vous me donnez de la santé de M. de Chateaubriand (Mme DE CHATEAUBR., Mém. et lettres, 1847, pp. 211-212).
III. — Aspect agréable, agrément qui s'attache à l'apparence.
A. — [En parlant d'un être vivant]
1. Agrément particulier, charme attaché à la personne, à son air, à ses manières. Sa taille souple et déliée donnait à ses mouvements une grâce que son rigorisme ne pouvait atténuer (BALZAC, Méd. camp., 1833, p. 217). Grande, mince, élancée, un peu frêle, elle avait la grâce ondoyante et flexible d'une tige en fleur balancée par le vent (SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p. 93). Cette femme (...) jouait de l'éventail avec la grâce nonchalante de l'Espagnole (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 2, 1859, p. 90). Elle trouva qu'Émilia parlait fort, que ses gestes, expressifs sans doute, l'étaient au point de manquer de grâce (MAUROIS, Ariel, 1923, p. 271) :
• 20. Il était blond, rose, frais, très fin et très souple dans son costume sévère, avec des joues de jeune fille et des mains délicates; il avait l'allure vive et naturelle, quoique réprimée. Tout en lui était charme, élégance, et presque volupté. La beauté de son regard corrigeait cet excès de grâce.
HUGO, Travaill. mer, 1866, p. 233.
— P. iron. Le soir, M. du Poirier s'approcha de Sanréal avec la grâce d'un bouledogue en colère; ses petits yeux avaient le brillant de ceux d'un chat irrité (STENDHAL, L. Leuwen, t. 2, 1836, p. 200).
SYNT. Grâce affectée, agaçante, altière, auguste, charmante, courtoise, dégingandée, efféminée, enfantine, enjouée, élancée, étudiée, exquise, fascinante, féline, féminine, florentine, fugitive, furtive, hardie, imposante, infinie, insouciante, irréelle, maniérée, minaudière, molle, mutine, naïve, naturelle, obséquieuse, parfaite, perverse, piquante, polissonne, sauvage, séductrice, sensuelle, touchante; grâce dans l'attitude, les manières, les mouvements; grâce de manières, de mouvements; grâce de l'embonpoint, d'un sourire; grâce des attitudes, des apparences, des gestes; déployer de la grâce, manquer de grâce; accueillir qqn, causer, dire qqc., s'éventer, présider, saluer, sourire, tomber avec grâce; être dénué de toute grâce.
— En partic., au plur. Les attraits physiques (féminins). Sa taille était svelte, et les grâces de son corsage fleurissaient déjà (BALZAC, Lys, 1836, p. 243). L'abbé Surin, la taille un peu renversée, développait les grâces de son buste (ZOLA, Conquête Plassans, 1874, p. 1056). Une longue robe de gaze blanche moulait merveilleusement les grâces de sa taille et de son corsage (THEURIET, Mar. Gérard, 1875, p. 78). Elle doit plaire, et pour plaire déployer ses sortilèges, multiplier ses charmes ou acquérir par artifice les grâces que la nature lui aura refusées (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 185).
— Jeu des grâces. ,,Jeu analogue au jeu de volant, et qui se joue avec un petit cerceau et des bâtonnets, ainsi nommé parce que les bras s'y développent avec grâce`` (GUÉRIN 1892; dict. XIXe et XXe s.). Après le déjeuner, Madame [Sand] fait une partie de grâces avec Jacques (Agenda, in Corresp. Sand-Dorval, 13 août, 329-30 ds QUEM. DDL t. 2, p. 117).
— P. méton. Les (trois) Grâces. Trois déesses, Aglaé, Euphrosyne et Thalie, qui étaient les compagnes de Vénus et qui personnifiaient le don de plaire. L'Albane est avant tout un peintre gracieux. Il aime à représenter Vénus à sa toilette et entourée par les Grâces (MÉNARD, Hist. beaux-arts, 1882, p. 164).
♦ P. ext. Femme qui a beaucoup d'agrément, de charme. Avec une gentillesse suprême, serrant les dents et écartant les lèvres, elle souffla contre Jean Valjean. C'était une Grâce copiant une chatte (HUGO, Misér., t. 2, 1862, p. 687).
2. [Dans les relations soc.]
a) Loc. Bonne grâce. Amabilité, affabilité. Bonne grâce charmante, chevaleresque, flatteuse, joyeuse; accueillir qqn avec bonne grâce. Ils ont été tous deux pour moi d'une bonne grâce extrême, m'ont donné des livres, leurs portraits, celui de la bonne femme qui leur a raconté la plupart des histoires de leur recueil (J.-J. AMPÈRE, Corresp., 1827, p. 439). Elle avait une démarche factice, saccadée, comme certains oiseaux, et une façon de parler minaudière, mais beaucoup de bonne grâce et d'amabilité (ROLLAND, J.-Chr., Foire, 1908, p. 754). Il charmait cependant, par une espèce de bonne grâce et de politesse rustique dont il usait avec un sûr génie (BERNANOS, Soleil Satan, 1926, p. 62) :
• 21. ... la jeune femme qu'il avait amenée on ne savait d'où, s'était fait pardonner et aimer de toute la ville, par une bonne grâce, par une beauté aimable, auxquelles les provinciaux sont plus sensibles qu'on ne le pense.
ZOLA, Conquête Plassans, 1874, p. 980.
♦ Mauvaise grâce. Mauvaise volonté. Ces inquiétudes, ces protestations, il faut l'avouer, nous semblent tant soit peu justifiées, quand nous voyons la mauvaise grâce que l'on met à nous faire connaître l'emploi de cet argent (BARRÈS, Cahiers, t. 8, 1910, p. 140). Sans élan, mais sans mauvaise grâce, elle avait jusqu'à ce jour assisté la bonne Alice dans le rude travail de la cuisine et de la table (DUHAMEL, Désert Bièvres, 1937, p. 198). Mon père avait invité son ami à venir habiter chez nous, ce que maman supportait avec mauvaise grâce (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 113).
♦ Avoir bonne/mauvaise grâce à/de faire qqc. Être bien/mal venu de. Ils ont bonne grâce après cela de nous chanter leur vol sublime et leur marche rapide vers la perfectibilité! (FOURIER, Nouv. monde industr., 1830, p. 16) :
• 22. ... il n'existe pas d'écrivain plus passionné que cet érudit. Nous aurions mauvaise grâce à nous en plaindre, car c'est cette passion même qui donne au style de l'abbé Bremond cette verve parfois féroce et qui nous enchante...
MAURIAC, Journal 1, 1934, p. 98.
♦ De bonne/mauvaise grâce. Volontiers/à contrecœur. Le souper étant prêt, je priai le scheik de vouloir bien le partager avec nous. Il accepta de bonne grâce, et parut fort amusé de la manière de manger des Européens (LAMART., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 202). On acceptait de mauvaise grâce le prétexte de sa santé; elle qui n'était jamais plus fraîche que le lendemain d'un bal (GOZLAN, Notaire, 1836, p. 239).
b) Au plur., souvent iron. Manières recherchées, étudiées, affectées. Lucien crut entrevoir que Son Excellence cherchait à se donner des grâces imposantes (STENDHAL, L. Leuwen, t. 2, 1836, p. 292). Aussi, donnait-il le ton à ces messieurs, lorsqu'il jouait au billard, avec des grâces étudiées, développant ses hanches, arrondissant les bras et les jambes, se couchant à demi sur le tapis, dans une pose cambrée qui donnait à ses reins toute leur valeur (ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 850).
♦ Se faire des grâces. Se faire des politesses, des amabilités. Elle et le libraire se disent vous, et se font des grâces fort distantes (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1939, p. 179) :
• 23. ... elle se faisait des grâces devant la glace qui la reflétait en pied, faisant trois pas en avant, quatre en arrière, se tirant cérémonieusement la révérence comme une petite fille qui se prend pour une princesse et s'imagine vivre un conte de fées...
CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 87.
♦ Sacrifier aux grâces. Prendre plaisir à la vie mondaine, superficielle, à des manières recherchées, affectées :
• 24. Ce prince est très brave, très loyal, très bon officier de cavalerie, mais comme le chef de son ministère, il sacrifie beaucoup aux grâces et se soucie peu des travaux du Gouvernement.
GOBINEAU, Corresp. [avec Tocqueville], 1851, p. 185.
B. — [En parlant d'une chose] Agrément, attrait qui réside dans l'aspect. Grâce d'une courbe, d'un dessin; grâce des porcelaines. Des vergers d'une grâce inexprimable (NODIER, J. Sbogar, 1818, p. 102). Il y a des creux, en des plis inconnus de montagne, d'une beauté terrifiante, et des bords de ruisselets, plats et couverts de lauriers-roses, d'une inimaginable grâce (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Allouma, 1889, p. 1305) :
• 25. Vers le milieu du jour, il atteignit à un endroit où la nappe d'eau, environnée de saules, formait une espèce de lac. Il s'arrêta pour contempler ce frais et touffu bocage dont la grâce champêtre agit sur son âme.
BALZAC, Illus. perdues, 1843, p. 542.
♦ De mauvaise grâce (littér.). Qui manque de légèreté; sans beauté, disgracieux. À l'extrémité s'élevait un échafaudage de mauvaise grâce dont les profils barbares n'avaient pu être dessinés que par quelque méchant manœuvre (NODIER, Fée Miettes, 1831, p. 140).
♦ En partic., au plur., littér. Les grâces de qqc. Les agréments. Quand ma mère était revenue, expliquant avec lyrisme les grâces et les privilèges de cet appartement visité le matin même, père avait froncé le sourcil (DUHAMEL, Le Notaire Havre, 1933, p. 49).
C. — [En parlant de l'expression, d'un propos, du style, etc.] Qualité de ce qui est exprimé ou exécuté avec élégance. Écrire avec grâce; des impertinences sans grâce. Cette oraison funèbre de la reine, qu'autrefois, Dieu me pardonne! j'avais trouvée presque ennuyeuse, est un chef-d'œuvre de grâce et de pureté (LEMAITRE, Contemp., 1885, p. 184). Voltaire exprime avec beaucoup de grâce et de finesse ce qu'on n'avait peut-être pas grand besoin de lui pour sentir (GIDE, Journal, 1923, p. 764) :
• 26. J'ai cherché dans un ouvrage où le fond doit l'emporter sur la forme, et où la fidélité dans les faits et l'exactitude dans l'expression sont les qualités les plus importantes, à être clair et précis; je n'ai rien sacrifié à la grâce aux dépens de la justesse...
Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. V.
— En partic., au plur. Les grâces du style. Les beautés recherchées du style. Les personnes qui aiment les preuves de sentiment, en trouveront en abondance, ornées de toute la pompe et de toutes les grâces du style, dans le Génie du christianisme (BONALD, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 310). Lorsqu'il a paré quelque lieu commun des grâces de son écriture, il faut une certaine circonspection pour ne pas s'y laisser prendre (MARTIN DU G., Notes Gide, 1951, p. 1409).
Prononc. et Orth. : []. [] s'explique par l'infl. des mots en -asse tels que grasse, lasse, passe (cf. BUBEN 1935, § 29 et 54). De même dans disgrâce. Mais les mots de la famille du type gracier, gracieux, etc. ont [a]. Leur prononc. en [] peut être considérée comme négligée. Ds Ac. 1694-1932. Homon. grasse. La docum. donne des ex. du mot écrit sans accent. La disparition de l'accent circonflexe correspond à la tendance de l'orth. mod. Noter au contraire qq. ex. de dér. écrits avec l'accent, d'apr. grâce : grâcier (COURTELINE, Train 8 h 47, 1888, 2e part., 10, p. 211; CLEMENCEAU, Iniquité, 1899, p. 210 et Vers réparation, 1899, p. 47; VERCEL, Cap. Conan, 1934, p. 243; Procès Pétain, t. 2, 1945, p. 1057), grâcieusement (BALZAC, Annette, t. 4, 1824, p. 177). Étymol. et Hist. 1. a) 2e moitié Xe s. gratia « bienveillance, faveur » (St Léger, éd. J. Linskill, 46); b) ca 1050 « faveur de Dieu » par la Deu grace (Alexis, éd. Chr. Storey, 362); 2. 1135 « remerciement » rendre graces (WACE, Vie Ste Marguerite, éd. E.A. Francis, 355); 3. a) mil. XIIe s. « agrément, charme d'une chose » (Jeu Adam, éd. W. Noomen, 249); fin XIIe s. « id. d'une personne » (Richeut, éd. I.C. Lecompte, 760); b) 1611 avoir bonne grace de (COTGR.); 4. 1174-76 « pardon, remise bénévole d'une peine encourue » la grace... encontrer (G. DE PONT-STE-MAXENCE, St Thomas, éd. E. Walberg, 1267); 1642 interj. grâce! (CORNEILLE, Polyeucte, V, 1); 5. 1564 loc. prép. grâce à (Indice et recueil universel de tous les mots principaux des livres de la Bible, Paris, p. 158). Empr. au lat. class. gratia « faveur, complaisance; reconnaissance; bonnes grâces; agrément, charme ». Fréq. abs. littér. : 16 470. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 26 621, b) 26 062; XXe s. : a) 19 281, b) 21 769. Bbg. DUCH. Beauté. 1960, pp. 61-67. - ELKNER (B.A.). The Dancer from the dance... Australian journal of French studies. 1973, t. 10, pp. 274-292. - GALL. 1955, p. 59.
grâce [gʀɑs] n. f.
ÉTYM. V. 1050, « aide de Dieu »; gratia, fin Xe; lat. gratia.
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1 (XIIe). Ce qu'on accorde à qqn pour lui être agréable, sans que cela lui soit dû. ⇒ Avantage, bienfait, don, faveur, gracieuseté. || Demander, solliciter une grâce (de qqn). → Enfermer, cit. 2. || Obtenir, recevoir une grâce. || Accorder, concéder (cit. 1), faire, octroyer une grâce (à qqn). || Je vous prie d'intercéder pour lui obtenir cette grâce. — (1636). || Faire à qqn la grâce de (et inf.). ⇒ 1. Plaisir (→ 1. Boire, cit. 12; brûlable, cit.; employer, cit. 17). — Demander (cit. 25) qqch. comme une grâce, demander pour grâce. — En grâce. || Demander qqch. (à qqn) en grâce. || Implorer qqn en grâce. || Secours matériel accordé en grâce. ⇒ Aide, aumône, secours, subside.
1 Je demande la mort pour grâce ou pour supplice (…)
Corneille, Horace, IV, 7.
2 (…) vous vous réconcilierez tous deux.
C'est une grâce que je vous demande (…)
Molière, le Sicilien, 15.
3 Adieu. Promettez-moi de vivre comme frères;
Que j'obtienne de vous cette grâce en mourant.
La Fontaine, Fables, IV, 18.
4 Elle a demandé en grâce de venir dans le diocèse de Meaux (…)
Bossuet, Lettre sur le quiétisme, CXVII.
4.1 (…) laissez-lui la vie, ne me refusez point la première grâce que je vous demande (…)
Sade, Justine…, t. I, p. 58.
♦ Absolt. || « Tout ce qui vient d'elles est grâce et faveur » (→ 1. Dame, cit. 18, France).
♦ Fig. || « La fortune (…) distribuait ses grâces » (La Fontaine). — ☑ Par hyperb. (formule de politesse). Faire à qqn la grâce de (et inf.). ⇒ Amabilité, gentillesse, honneur. || Vous m'avez fait la grâce de m'écrire. || Me ferez-vous la grâce d'accepter ? || C'est trop de grâce que vous me faites (souvent employé ironiquement).
5 — Il dit, Madame, qu'il vous trouve la plus belle personne du monde.
— C'est bien de la grâce qu'il me fait.
Molière, le Bourgeois gentilhomme, III, 16.
6 Il ne me reste plus qu'à vous remercier de vos observations; s'il vous en vient quelques-unes, faites-moi la grâce de me les communiquer.
Diderot, Lettre sur les sourds-muets.
2 ☑ (1657). Bonnes grâces. || Les bonnes grâces de qqn, ses dispositions favorables. ⇒ Amitié, bienveillance, faveur (→ Aride, cit. 4; branler, cit. 3). || Rechercher, se concilier, gagner, trouver; perdre les bonnes grâces de qqn. || Être, rentrer dans les bonnes grâces de qqn. — Spécialt. Le fait, pour une femme, d'accepter des relations amoureuses. ⇒ Amour, faveur. || Posséder, gagner (cit. 33) les bonnes grâces d'une jeune fille.
7 (…) pour gagner les bonnes grâces du victorieux (…)
Corneille, Examen de Pompée.
8 Elle livra aux Romains une place de grande importance (…) pour mettre son fils Xipharès dans les bonnes grâces de Pompée.
Racine, Mithridate, Préface.
9 (…) lui, pour sa part, possédait les bonnes grâces de deux femmes de qualité.
A. R. Lesage, Gil Blas, III, V.
10 Le bruit commun était qu'il avait eu ses bonnes grâces, avant qu'elle fût mariée.
11 (Le roi de Pologne) protesta sur-le-champ contre l'abdication qu'on lui avait arrachée, et étant rentré dans les bonnes grâces du czar, il s'empressa de remonter sur le trône de Pologne.
Voltaire, Hist. de Russie, I, XIX.
3 (XIIIe). En loc. Disposition à faire des faveurs, à être agréable à qqn. ⇒ Bienveillance, bonté, protection.
a ☑ (1675). En grâce. || Être en grâce auprès de qqn : jouir de la considération, de la faveur de qqn. ⇒ Plaire. — ☑ (1538). Rentrer en grâce : retrouver une faveur qu'on avait momentanément perdue, obtenir son pardon. || Retour en grâce.
12 Je puis croire pourtant,
Sans trop de vanité, que je suis en sa grâce.
Molière, le Dépit amoureux, I, 3.
13 (…) et quelque austère que nous paraisse, et que soit même la pénitence, pouvons-nous ne la pas aimer quand il s'agit de rentrer en grâce avec le maître de qui dépend tout notre bonheur (…)
Bourdaloue, Sévérité de la pénitence, IIe partie.
14 Rentré en grâce auprès de Mme de Pompadour, je lui communiquai ma peine, la suppliant de savoir du roi s'il me serait favorable.
Marmontel, Mémoires, VII.
b ☑ (1564). Fig. Trouver grâce. || Trouver grâce devant qqn, devant les yeux, aux yeux de qqn, lui plaire, gagner sa bienveil- lance, son indulgence (→ Autre, cit. 51; derviche, cit. 1). || Personne ne trouve grâce à ses yeux : il critique tout le monde.
15 Seigneur, si j'ai trouvé grâce devant vos yeux,
Si jamais à mes vœux vous fûtes favorable (…)
Racine, Esther, II, 7.
16 Mme de T. a trouvé grâce devant Madame de Montespan.
c Vx. || De grâce : par pure bonté. || De sa grâce : de son propre gré, de son propre mouvement, spontanément.
17 Profitons de l'instant que de grâce il nous donne (…)
Boileau, Épîtres, III.
18 (…) votre cœur magnifique
Me promit, de sa grâce, une bague.
Molière, le Dépit amoureux, I, 2.
♦ ☑ (1636). Mod. De grâce : je vous en prie, pour l'amour du ciel (→ Camarade, cit. 6; emporter, cit. 48; extravaguer, cit. 1; fait, cit. 42). || Permettez, de grâce (→ Ah !, cit. 3). || De grâce, arrêtez (cit. 50). || Dites-moi, de grâce (→ Avance, cit. 6). || De grâce, ne le répétez pas (→ 2. Farce, cit. 1).
19 Ah ! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.
Molière, Tartuffe, III, 3.
♦ (1804). Dr. civ. || Délai de grâce. ⇒ Atermoiement. || Terme de grâce : délai que les juges peuvent accorder à un débiteur pour l'exécution de son obligation (cf. Code civil, art. 1244). || Accorder à qqn un jour, une heure de grâce.
d Vx. || Par grâce : de grâce.
4 a La bonté divine; les faveurs qu'elle dispense. ⇒ Bénédiction, faveur. || La grâce de Dieu. || Elle remercie Dieu de la grâce qu'il lui a faite (→ 1. Faire, cit. 135). — (XXe). || C'est la grâce que je vous souhaite. ☑ Loc. Par la grâce de Dieu. ⇒ Volonté. || Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre.
20 Le roi reçut son hommage, et lui permit de se dire prince d'Orange par la grâce de Dieu, de battre monnaie (…)
Duclos, Hist. de Louis XI, t. III, p. 65.
♦ ☑ Loc. (V. 1360; vx ou plais.). An de grâce, chacune des années de l'ère chrétienne. || En l'an de grâce 1950. — Havre de grâce.
♦ ☑ Loc. (1872). À la grâce de Dieu… : comme il plaira à Dieu (supra cit. 53). || Les choses iront à la grâce de Dieu, sans autre secours, et, par iron., n'importe comment.
21 Quand j'agis avec elle, j'ai l'impression que je suis le Quai d'Orsay : je fais tout à tâtons et à la grâce de Dieu.
Montherlant, les Jeunes Filles, p. 221.
b (XIe). Aide surnaturelle qui rend l'homme capable d'accomplir la volonté de Dieu et de parvenir au salut (la grâce, et, vx, les grâces de Dieu; absolt, la grâce). ⇒ Bénédiction, esprit (I.), inspiration, secours (→ Divin, cit. 14; examen, cit. 7). || Dieu accorde, donne, répand sa grâce (→ Bénir, cit. 1; don, cit. 13; église, cit. 3). || Dieu communique ses grâces à qui il lui plaît. → L'esprit souffle où il veut. || Attendre, espérer la grâce de Dieu (→ Espérance, cit. 26 et 27). — La grâce. || La grâce l'a touché. || Recevoir la grâce (→ Capacité, cit. 2). || La force de la grâce (→ Faiblesse, cit. 37). || L'efficace de la grâce (→ 2. Efficace, cit. 1). || Manifestations, effets, opérations de la grâce (→ Esprit, cit. 14). || Entretenir et fortifier la vie de la grâce (→ Eucharistie, cit. 3). || Les sacrements sont destinés à produire, à fortifier la grâce dans les âmes. || Confirmation de la grâce reçue au baptême. || Être confirmé en grâce. || Doctrines sur la grâce. ⇒ Prédestination; calvinisme, jansénisme, molinisme, pélagianisme. || Disputes, controverses sur la grâce (→ Épaissir, cit. 2). — ☑ (1456). … de grâce. || État (cit. 27) de grâce (→ Divinité, cit. 1, Pascal). || Être en état de grâce (⇒ Pureté). || Passage du péché à l'état de grâce par l'absolution (⇒ Justification). || Mourir, vivre dans la grâce, en état de grâce. || « Je vous salue, Marie pleine de grâce » (→ Bassesse, cit. 9; femme, cit. 4). — Perdre la grâce en commettant un péché mortel. || S'exclure (cit. 20) de la grâce. || Âme privée de la grâce (→ Apologie, cit. 4). — Lieu saint, sacré, habité par la grâce (→ Bienheureux, cit. 10). || « La prière, le canal (cit. 15) des grâces » (Massillon). || Délectation (cit. 4) de la grâce.
22 Car c'est par la grâce que vous êtes sauvés en vertu de la foi; et cela ne vient pas de vous, puisque c'est un don de Dieu (…)
Bible Sacy, Épître de Saint Paul aux Éphésiens, II, 8.
REM. La version de Crampon et celle de Segond portent : « par le moyen de la foi ».
23 Nous appelons « Grâce actuelle » une inspiration de Dieu par laquelle il nous fait connaître sa volonté, et par laquelle il nous excite à la vouloir accomplir.
Pascal, les Provinciales, IV.
24 Pour faire d'un homme un saint, il faut bien que ce soit la grâce; et qui en doute ne sait ce que c'est que saint et qu'homme.
Pascal, Pensées, VII, 508.
25 (L'Être suprême) nous a donné la raison pour connaître ce qui est bien, la conscience pour l'aimer, et la liberté pour le choisir. C'est dans ces dons sublimes que consiste la grâce divine; et comme nous les avons tous reçus, nous en sommes tous comptables.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, VI, Lettre VII.
26 Qu'est-ce que la grâce ? C'est l'inspiration d'en haut, c'est le souffle, flat ubi vult, c'est la liberté. La grâce est l'âme de la loi. Cette découverte de l'âme de la loi appartient à saint Paul; et ce qu'il nomme grâce au point de vue céleste, nous, au point de vue terrestre, nous le nommons droit.
Hugo, Shakespeare, I, II, 10.
27 — Combien faut-il de temps encore (avant le baptême) ? demanda le médecin. — Un mois, répondit la supérieure. — Elle sera morte, répliqua le docteur. — Oui, mais en état de grâce et sauvée, dit l'abbé.
Balzac, Splendeurs et Misères des courtisanes, Pl., t. V, p. 692.
28 La foi a cela de particulier que, disparue, elle agit encore. La grâce survit par l'habitude au sentiment vivant qu'on en a eu.
Renan, Souvenirs d'enfance…, I, I.
29 Le dogme de la grâce est le plus vrai des dogmes chrétiens.
Renan, Souvenirs d'enfance…, VI, V.
30 L'abondance de la grâce le baignait d'une extase ineffable.
Zola, la Faute de l'abbé Mouret, II, IX.
31 (…) la grâce agit dans les plus grands criminels et relève les plus misérables pécheurs.
Ch. Péguy, Note conjointe, Sur Descartes, p. 101.
32 Lorsque vous sortez du confessionnal vous êtes en « état de grâce ». L'état de grâce… Hé bien ! que voulez-vous, il n'y paraît pas beaucoup. Nous nous demandons ce que vous faites de la grâce de Dieu. Ne devrait-elle pas rayonner de vous ? Où diable cachez-vous votre joie ?
Bernanos, les Grands Cimetières sous la lune, p. 253.
33 La Grâce, comme l'inspiration du poète, lui semble être un retournement total, instantané, de l'âme.
A. Maurois, Études littéraires, Claudel, I.
34 Pour l'homme de Rousseau, la Grâce, c'est-à-dire le contact avec le divin, est fonction de la nature humaine, et d'elle seule : elle est un don naturel que l'erreur des hommes leur fait perdre.
Daniel-Rops, Ce qui meurt et ce qui naît, II.
35 Grâce, dans le langage théologique, au sens fort et primitif, ne désigne pas seulement une faveur, un secours librement donné à tel ou tel, sans mérite antécédent. Ce mot signifie essentiellement la grande merveille, la condescendance divine, en vertu de laquelle l'homme (avant la chute par la vocation première, après la chute par la Rédemption), est élevé à une destination surnaturelle. Et cet ordre gratuit consiste en ce que Dieu, adoptant la créature humaine, lui donne « le pouvoir d'être fait enfant du Père », cohéritier du Christ, participant au mystère intime de la Trinité. C'est cette transformation du serviteur en fils, cette déification de l'homme, qui constitue par excellence l'ordre surnaturel, l'ordre de la Grâce; et toutes les grâces particulières n'ont de sens et de réalité que relativement à cette destinée, qui ne peut être naturelle à aucune créature, qui est donc toute « gracieuse ».
♦ → encore Autel, cit. 22, Massillon; bénéfice, cit. 2, Fénelon; conversion, cit. 2, Pascal; enfler, cit. 31, Bossuet; fléchir, cit. 7, Bossuet.
♦ (XVIIe). || Grâce concomitante, efficace (cit. 8 et 9), excitante (cit. 5), justifiante, nécessitante, originelle, sanctifiante, suffisante, vivifiante. — (1866). || Grâce d'état : grâce attachée à une situation particulière. Fig. Ce qui permet de supporter une situation, un état pénible, douloureux. || Il ne se rend pas compte de la gravité de sa maladie, c'est une grâce d'état.
35.1 (…) rien ne m'enchantait comme les subtils avatars de la grâce (…) laquelle peut être habituelle et sanctifiante, actuelle et momentanée, efficace ou suffisante, distinguos qui ont divisé thomistes et molinistes, congruistes, pélagiens, semi-pélagiens, calvinistes, sociniens et jansénistes.
M. Tournier, le Vent Paraclet, p. 60.
36 (…) les Dons (des Fées) n'étaient pas la récompense d'un effort, mais tout au contraire une grâce accordée à celui qui n'avait pas encore vécu, une grâce pouvant déterminer sa destinée et devenir aussi bien la source de son malheur que de son bonheur.
Baudelaire, le Spleen de Paris, XX.
37 Il (Hégésippe Moreau) possède véritablement la grâce, le don gratuit (…) il aurait dû mille fois rendre grâces pour cette grâce à laquelle il doit tout, sa célébrité et le pardon de tous ses vices littéraires.
Baudelaire, l'Art romantique, XXII, H. Moreau.
1 (XIIIe). La grâce de qqn; une, des grâces. Pardon, remise de peine, de dette, accordée bénévolement. ⇒ Amnistie, sursis. || Demander, implorer grâce. ⇒ Indulgence, miséricorde, quartier (→ Assiéger, cit. 14; cribler, cit. 12). || Requête, supplique pour demander une grâce. || Intercéder pour obtenir la grâce de qqn. — (Sans article, avec quelques verbes). || Se jeter aux pieds de qqn pour demander grâce. || Crier (cit. 32) grâce. ⇒ Supplier. Vx. || Donner grâce (→ Entériner, cit. 1). — Faire grâce. ⇒ Absoudre, disculper, épargner, excuser, pardonner (→ Dès, cit. 7; embusquer, cit. 1; épisode, cit. 2). || Faire grâce à qqn d'une peine (→ Effroyable, cit. 4).
38 S'il venait à mes pieds me demander sa grâce !
Racine, Andromaque, II, 1.
39 Elle a vu venir le coup sans demander grâce.
Fléchier, Oraison funèbre de M. de Montausier.
40 Cette capitulation consentie, le général promit de faire grâce au reste de la population et d'empêcher ses soldats de piller la ville ou d'y mettre le feu.
Balzac, El Verdugo, Pl., t. IX, p. 870.
40.1 Fourvoyé dans un groupe de suspects, il est pris et condamné à mort, puis par grâce, envoyé en Sibérie pour y purger sa peine. Il y reste dix ans (…)
Gide, Dostoïevski, p. 24.
➪ tableau Principales interjections.
2 ☑ (1690). Coup de grâce : coup qui termine les souffrances d'un blessé, d'un supplicié en lui donnant la mort. || Donner le coup de grâce à un fusillé. — (1758). Fig. Coup qui achève d'abattre, de perdre qqn ou qqch. || Donner, porter le coup de grâce. ⇒ Achever, perdre. || Attendre (cit. 19) le coup de grâce.
41 J'y fus hué : ce dernier coup de grâce
M'allait sans vie étendre sur la place (…)
Voltaire, le Pauvre Diable.
3 Dr. pén. et cour. « Mesure de clémence que prend le pouvoir social au profit d'un individu reconnu coupable et irrévocablement condamné » (Donnedieu de Vabres). || Le droit de grâce appartient au président de la République (→ Attribut, cit. 5). || La grâce peut prendre la forme d'une remise de peine ou d'une commutation de peine. || Grâce collective, individuelle. || Lettre de grâce, sous l'Ancien Régime. || Décret de grâce. || Recours en grâce. ⇒ Requête, supplique. || Grâce simple, grâce amnistiante (⇒ Amnistie).
42 (Le prince) perdrait le plus bel attribut de sa souveraineté, qui est celui de faire grâce (…)
Montesquieu, l'Esprit des lois, VI, 5.
43 Oh ! madame, il n'y a pas de grâce entière pour les assassins ! On commence par commuer la peine en vingt ans de travaux.
Balzac, le Curé de village, Pl., t. VIII, p. 684.
44 Munie de la grâce signée par l'archiduchesse, Angélique retourna au lieu où était détenu son mari.
Nerval, les Filles du feu, « Angélique », VIII.
45 (…) comme un proscrit qui a reçu ses lettres de grâce et retrouve sa terre natale.
G. Duhamel, Salavin, III, XVIII.
46 Le Président de la République exerce le droit de grâce en Conseil supérieur de la magistrature.
Constitution, 27 oct. 1946, art. 35.
4 ☑ (1538). Faire grâce (à qqn de qqch.). || Faire grâce à qqn d'une dette, d'une obligation. ⇒ Dispenser, exempter, remettre. || Ses créanciers se sont montrés impitoyables; ils ne lui ont pas fait grâce d'un sou.
47 Cela est échu, mais j'ai encore les dix jours de grâce.
Dancourt, les Agioteurs, II, 1.
48 On fait grâce d'une chose en s'emparant du reste. « Les commis lui prirent tous ses effets et lui firent grâce de son argent. »
Voltaire, Dict. philosophique, Grâce.
♦ Fig. || Aucune faute n'échappe à ce censeur sévère, il ne fait grâce de rien (→ Additionner, cit. 1). || Je vous fais grâce du détail. Iron. || Faites-moi grâce de vos observations. ⇒ Épargner.
49 Le reste des idées de cet auteur (Bohemius) sont de la même force, et nous en ferons grâce au lecteur.
Diderot, Opinions des anciens philosophes (Théosophes).
50 Anne d'Orgel ne parla de rien d'autre à table. Il ne fit grâce d'aucun détail et en profita même pour dresser la généalogie complète des Grimoard de la Verberie.
R. Radiguet, le Bal du Comte d'Orgel, p. 106.
51 L'inspection détaillée du rez-de-chaussée dura près d'une demi-heure. Antoine ne faisait grâce de rien au visiteur (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. V, p. 170.
♦ Ellipt. || Grâce ! ne continuez pas : ça suffit. — Grâce de vos observations, faites-nous en grâce.
———
II (1135; dans des expr.). Action de reconnaître un bienfait, une grâce. ⇒ Reconnaissance, remerciement.
1 Rendre grâce (de qqch.) à (qqn) (→ Bouche, cit. 24). || Rendre grâces (→ Cependant, cit. 2). ⇒ Remercier. || Rendre grâce au ciel, à Dieu, d'un événement heureux. Par anal. || Rendre grâce à qqch.
52 Je rends grâces aux Dieux de n'être pas Romain (…)
Corneille, Horace, II, 3.
53 Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les belles (…)
La Fontaine, Fables, I, 17.
54 Il rendit grâces aux dieux par d'innombrables sacrifices.
Fénelon, Télémaque, VIII.
55 Grâces vous soient rendues, mon ami, pour avoir pensé que j'étais digne de vous entendre !
Chamfort, Lettre de Mirabeau, V.
56 La France, dès qu'elle peut parler, rend grâce à Voltaire.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., IV, XI.
REM. La langue classique employait le pluriel (rendre grâces) là où le français moderne use plus volontiers du singulier (rendre grâce).
3 (1680). || Action de grâce, action de grâces : témoignage de reconnaissance rendu à Dieu. — (En Amérique du Nord). || Jour d'action de grâce (équivalent de Thanksgiving Day, 1674) : jour férié commémorant la prière de remerciement à Dieu des colons de Plymouth, après la première récolte (1621). (Aux États-Unis, le quatrième jeudi de novembre; au Canada, le deuxième lundi d'octobre). || Le prélat fit l'action de grâce (→ Amen, cit. 2, Chateaubriand). || Chanter un cantique, en action de grâces. ⇒ Te Deum; doxologie, gloria. — Figuré :
57 Sans cesser de chanter sa vie, Édouard de La Gandara, vers quatre-vingts ans, la quitta dans une action de grâces.
Colette, l'Étoile Vesper, p. 164.
4 (Fin XIIIe). Par ext. et absolt. || Les grâces : prière de remerciement qui se dit après les repas. || Dire grâces, dire les grâces, ses grâces (→ Expédier, cit. 7).
58 Et maintenant la femme et l'enfant s'étant retirées, Je reste seul pour dire grâces devant la table desservie (…)
Claudel, l'Annonce faite à Marie, IV, 5.
5 (1549). Ellipt. || Grâce (en soit rendue) à Dieu (→ Auteur, cit. 2). (1665). || Grâce au ciel (→ Attendre, cit. 64; fêlure, cit. 6). — Vx. || Grâces au ciel, à Dieu… (→ Atteinte, cit. 4; criminel, cit. 3). || Grâce à Dieu, nous avons réussi. ⇒ Bonheur (par), heureusement, merci (Dieu merci). — || Grâce aux dieux ! Mon malheur passe mon espérance (Racine, Andromaque, V, 5).
B ☑ Loc. prép. (1564). Grâce à (qqn, qqch.) : à l'aide, au moyen de (en parlant d'un résultat heureux, ou par ironie). ⇒ Aide (à l'aide de), moyen (au), moyennant; → Acidité, cit.; amène, cit. 1; antinomie, cit. 2; apposition, cit. 3; art, cit. 29; assourdir, cit. 7; blanc, cit. 10; cécité, cit. 2; chanteur, cit. 2; couler, cit. 9.1, fermer, cit. 14. || Grâce à son aide, nous avons pu y arriver. ⇒ Avec. || Grâce à vos bons soins. || Grâce à sa prudence, à sa sagesse. ⇒ Cause (à cause de), fait (du fait de), faute (par la faute de), suite (par suite de).
59 Grâce aux préventions de son esprit jaloux,
Nos plus grands ennemis ont combattu pour nous.
Racine, Britannicus, V, 1.
60 Je fis fort peu de progrès, grâce aux lenteurs d'une détestable méthode (…)
Stendhal, Romans et nouvelles, « Souv. d'un gentilhomme ».
61 Dormi une demi-heure dans la loge de Copeau (grâce au Vouvray de Ruyters j'avais à peine fermé l'œil cette nuit).
Gide, Journal, 1er juil. 1914.
61.1 Grâce à l'auto, l'étape a été peu fatigante.
A. Gide, Voyage au Congo, p. 813.
62 À l'aide de est courant : ouvrir à l'aide d'un passe-partout.Le même rapport est souvent contenu dans grâce à :J'ai obtenu cette place grâce au bon certificatque vous m'aviez donné. Le mot marquait originairement une idée de gratitude, elle est bien effacée.
F. Brunot, la Pensée et la Langue, p. 668.
———
III
1 Charme, agrément qui réside dans les personnes, les choses. ⇒ Attrait. || La grâce « n'est pas précisément la beauté; c'est ce charme secret qui fait qu'elle touche et qu'elle attire » (Trévoux). ⇒ Beau (cit. 17), beauté (cit. 12, 22, 30, 34 et 35). || La grâce attire, plaît, séduit, touche. || Grâce qui réside dans la douceur, l'harmonie, l'élégance, la simplicité d'une personne, d'une chose. || Une grâce saine (→ Ampleur, cit. 1), naturelle (→ Corselet, cit. 2). || Grâce alanguie, appesantie (cit. 14), nonchalante, souple. || Grâce juvénile (→ Ébrouer, cit. 4). || Grâce printanière. || La grâce fugitive de la jeunesse, de l'adolescence (cit. 1). || Grâce distinguée (cit. 39), mondaine. || Grâce triste, douloureuse (→ Embellir, cit. 11). || Grâce sans afféterie (cit. 2). || La grâce de la femme, la grâce féminine. ⇒ Vénusté (→ Aérien, cit. 1; amorce, cit. 3; culte, cit. 13; exagérer, cit. 5). || La grâce d'un enfant. || La grâce d'un jeune animal, d'une biche, d'un cygne (→ Capricieux, cit. 3). || Croître (cit. 7) en forme et en grâce. || Avoir de la grâce (→ Croupe, cit. 6). || Femme bien faite, mais sans grâce (→ Expression, cit. 39). || La grâce du corps, des proportions (→ Attacher, cit. 90; élégant, cit. 2). || La grâce d'un nu; statue pleine de grâce (→ Caractère, cit. 26; caresser, cit. 12). || Être supérieur, égal en grâce, par la grâce à qqn. || Parée de sa grâce (→ Bijou, cit. 4). || La grâce d'un visage, d'une figure (cit. 12), des traits. — La grâce des gestes, des mouvements, des attitudes. ⇒ Aisance (cit. 4), désinvolture, facilité (→ Gaieté, cit. 4). || Manières pleines de grâce. ⇒ Gracieux. || Évoluer, danser avec grâce (→ Aimant, cit. 3). || Faire qqch. avec beaucoup de grâce (→ Apprêt, cit. 2). || Faire qqch. sans grâce, pesamment, lourdement. || Il ne fait rien avec (cit. 77) grâce. — ☑ Loc. (Vx). Avoir grâce à faire qqch. (⇒ Fluxion, cit. 1), le faire gracieusement.
63 Je ne trouve qu'en vous je ne sais quelle grâce
Qui me charme toujours et jamais ne me lasse.
Racine, Esther, II, 7.
64 L'enfant a de la grâce; il la conserve dans l'âge adulte, elle s'affaiblit dans l'âge viril, elle se perd dans la vieillesse.
65 La grâce entoure l'élégance, et la revêt.
Joseph Joubert, Pensées, VIII, CXVIII.
66 La grâce est le vêtement naturel de la beauté; la force sans grâce, dans les arts, est comme un écorché.
Joseph Joubert, Pensées, XX, XIX.
67 (…) qui peut résister aux séductions de la grâce ? Fût-elle même dédaigneuse, elle serait encore toute-puissante (…)
Mme de Staël, Corinne, VI, I.
68 (…) la fraîcheur virginale, la grâce qui s'ignore, tout ce charme qui s'en va si vite et que rien ne remplace (…)
Th. Gautier, Portraits contemporains, Mme Sontag.
69 Que d'aisance dans le port et dans la démarche ! Quelle grâce piquante dans la toilette et dans le sourire, dans la vivacité du babil, dans le manège de la voix flûtée, dans la coquetterie des sous-entendus !
Taine, les Origines de la France contemporaine, I, t. I, p. 224.
70 De sa légèreté ailée cette âme communique quelque chose au corps qu'elle anime : l'immatérialité qui passe ainsi dans la matière est ce qu'on appelle la grâce.
H. Bergson, le Rire, p. 21.
71 Quand un être a de la grâce, il en a toujours, et la grâce ne lasse point.
A. Maurois, Un art de vivre, II, 5.
72 Marguerite était à l'âge où les femmes heureuses jouissent encore d'une grâce menacée, poignante, exquise.
G. Duhamel, Salavin, V, III.
♦ La grâce d'un paysage, des fleurs (cit. 1). || La grâce d'une courbe (→ Évidement, cit. 1). || Un intérieur, un logis sans grâce (→ Acariâtre, cit. 3). — La grâce de la vie primitive. ⇒ Candeur (cit. 3). || Qualités qui s'épanouissent (cit. 17) avec grâce.
73 (…) Paris, en sa grâce et son immensité, souriait au soleil (…)
France, Les dieux ont soif, XXVIII.
♦ Spécialt. || La grâce des propos, de l'expression. ⇒ Aisance, douceur, élégance, facilité, goût, suavité (→ Enchantement, cit. 10). || Parler, s'exprimer, badiner (cit. 4) avec grâce. || La grâce du style, de la manière (→ Abondant, cit. 7; flou, cit. 3). || Grâce légère, attique (cit. 8). || Lettres d'une grâce exquise (→ 1. Faire, cit. 36). || La grâce touchante de l'élégie (cit. 2). || La grâce en art, en musique. — Au plur. (Vieilli). ⇒ Beauté, finesse, ornement. || Les grâces du style, du langage, de l'expression, d'un genre (→ Accompagner, cit. 6; fleurir, cit. 28). || Les grâces de la poésie (→ Air, cit. 12). || Les grâces d'un auteur, des classiques. || Grâces antiques (→ Arranger, cit. 2; assaisonner, cit. 7). || Les grâces de Racine (→ Élégance, cit. 9).
74 Comme les grâces des deux langues sont différentes, j'ai cru à propos de prendre cette liberté (de traduire librement), afin que ce qui était excellent en latin ne devînt pas insupportable en français.
Corneille, Poésies diverses, Au lecteur.
75 (…) faites-nous voir, si vous le pouvez, toutes les grâces de cette douce éloquence qui s'insinuait dans les cœurs par des tours si nouveaux et si naturels (…)
Bossuet, Oraison funèbre d'Anne de Gonzague.
76 Oui, vos moindres discours ont des grâces secrètes (…)
Racine, Esther, III, 4.
77 (…) s'il riposte avec grâce et légèreté, le jeu m'amuse et la partie s'engage.
Beaumarchais, le Barbier de Séville, Lettre sur la critique…
77.1 Ses émotions (de Paisiello) ne s'élèvent guère au-delà de la grâce; mais a excellé dans ce genre; sa grâce est celle du Corrège, tendre, rarement piquante, mais séduisante, mais irrésistible.
Stendhal, Vie de Rossini, Introd., I.
78 (…) charmez toujours vos amis par les grâces étincelantes de votre talent (…)
Sainte-Beuve, Correspondance, 42, 2 mars 1828, t. I, p. 91.
79 En parlant d'elle, on a à parler de la grâce elle-même, non pas d'une grâce douce et molle, entendons-nous bien, mais d'une grâce vive, abondante, pleine de sens et de sel, et qui n'a pas du tout les pâles couleurs.
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 22 oct. 1849, t. I, p. 53.
2 Au plur. a Les grâces d'une personne (vieilli). ⇒ Attrait (cit. 20), 2. charme (→ Agrément, cit. 6; attrayant, cit. 2; éclater, cit. 28; enchanteur, cit. 5; enjôler, cit. 3; fleurir, cit. 6). || Faire assaut (cit. 20) de grâces. || Coquette qui déploie toutes ses grâces. || Des grâces ingénues (→ Fard, cit. 10). || Les grâces d'un beau corps (→ Accord, cit. 13 et 14; élégance, cit. 3). || Les grâces de ses yeux, de son regard (→ Casque, cit. 3; coutumier, cit. 3; étonner, cit. 37). ☑ Allus. littér. (langage précieux, au XVIIe). Le conseiller (cit. 5) des grâces : le miroir — Les grâces et les plaisirs (→ Amusement, cit. 5).
80 (…) au sujet de l'amour (…) on fait quelque chose sans les grâces de l'esprit, rien sans les grâces corporelles.
Montaigne, Essais, III, III.
81 Et son cœur est épris des grâces d'Henriette.
Molière, les Femmes savantes, II, 3.
82 C'était même une de ses grâces que de ne point songer à en avoir.
Marivaux, le Paysan parvenu, IV.
83 (…) les grâces ne s'usent pas comme la beauté; elles ont de la vie, elles se renouvellent sans cesse, et au bout de trente ans de mariage, une honnête femme avec des grâces plaît à son mari comme le premier jour.
Rousseau, Émile, V.
84 (…) les grâces de son corsage fleurissaient déjà (…)
Balzac, le Lys dans la vallée, Pl., t. VIII, p. 957.
85 Elle ne se doutait pas et je me doutais à peine moi-même que ses pures grâces d'enfant, écloses maintenant à quelques soleils de plus, dans tout l'éclat d'une maturité précoce, faisaient de sa beauté naïve une puissance pour elle, une admiration pour tous et un danger pour moi.
Lamartine, Graziella, IV, II.
b (Souvent iron.). Manières gracieuses. || Faire des grâces. ⇒ Façon(s) (cit. 42). || Enfant qui fait des grâces, des câlineries. || Avec mille grâces (→ Encre, cit. 4). — Démonstrations d'amitié, politesses.
85.1 Déjà gouvernemental par sa bienveillance, il était encore républicain par sa rigidité, et faisait des grâces sans avoir de la grâce, comme la fête que la femme brillante d'un garde des Sceaux modéré prépare avec des artifices qui n'arrivent (pas) à donner un plaisir d'art dans les salons pourtant spacieux et beaux du ministère.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 439.
86 L'une d'elles refusa avec mille grâces, expliquant copieusement (…) que son médecin lui interdisait toutes sucreries désormais (…)
Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 347.
c (1859). Anciennt. Jeu d'adresse consistant à se lancer un anneau léger au moyen de deux baguettes. || Jouer aux grâces.
87 On l'imaginait bien jouant aux grâces dans la cour de quelque pensionnat, avec un ruban de velours noir au cou et les nattes roulées dans une résille !…
Martin du Gard, les Thibault, t. VIII, p. 201.
3 Bonne grâce. a Vx. « Grâce relevée de quelque chose de simple, de franc et de libre » (Littré). → 1. Bon, cit. 39. || Une personne de bonne grâce, avenante, gracieuse (→ Attirant, cit. 5; boiteux, cit. 4; encore, cit. 12). — Mauvaise grâce : absence de grâce, lourdeur, grossièreté (→ Accompagnement, cit. 1; contretemps, cit. 4; course, cit. 2).
88 Pleine d'appas, jeune et de bonne grâce.
La Fontaine, Or.
89 (…) elle est d'une taille parfaite et d'une très bonne grâce à tout ce qu'elle fait.
Mme de Sévigné, 549, 18 juin 1676.
90 Que la plaisanterie est de mauvaise grâce !
Molière, le Misanthrope, I, 1.
b Mod. (Par ext.). Bonne volonté naturelle et aimable. ⇒ Affabilité, amabilité, aménité, douceur, gentillesse (→ Enjouement, cit. 9; folâtrerie, cit. 2). ☑ Faire qqch. de bonne grâce, de la meilleure grâce du monde. ⇒ Bénévolement, gré (de bon gré), volontiers. || Convenir (cit. 12) de ses torts, s'exécuter (cit. 24, 25) de bonne grâce. || Il a accueilli ma demande avec beaucoup de bonne grâce, une bonne grâce charmante. — (Avec d'autres adj. que bon). || De la meilleure grâce du monde. — ☑ Mauvaise grâce : mauvaise volonté. || Il fait tout de mauvaise grâce, avec répugnance.
91 Cédons de bonne grâce, et d'un esprit content
Remettons à Dircé tout ce qu'elle prétend.
Corneille, Œdipe, I, 4.
92 (…) vous m'avez obligé de la meilleure grâce du monde, assurément.
Molière, le Bourgeois gentilhomme, III, 4.
93 (…) je n'ai pas assurément à me reprocher d'avoir mal répondu dans mon cœur à ses bontés, mais bien d'y avoir répondu quelquefois de mauvaise grâce, tandis qu'il mettait lui-même une grâce infinie dans la manière de me les marquer.
Rousseau, les Confessions, X.
94 (…) la bonne grâce, qui donne tant de prix aux petits services.
Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, p. 52.
95 (…) l'enjouement et la bonne humeur, la bonne grâce à se moquer de soi-même dont il a fait si souvent preuve (…)
Baudelaire, les Paradis artificiels, « Mangeur d'opium », IX.
96 Il aidait à baisser la tente, à la plier, à charger les mulets, et cela, sans façons obséquieuses, et avec cette bonne grâce et cette gaieté naturelles, partage des Orientaux qui savent vivre.
A. de Gobineau, Nouvelles asiatiques, p. 296.
97 (…) cette bonne grâce raffinée qui, chez lui, pouvait, quand besoin était, remplacer l'insolence qu'à certaines heures, il savait montrer.
Louis Madelin, Talleyrand, XVI.
c ☑ (1611). Avoir mauvaise grâce à : être malvenu de, n'être pas bien placé pour. || Il aurait mauvaise grâce à se plaindre d'une chose qu'il a lui-même désirée (Académie).
98 Comme il avait déclaré délicieux les premiers de ces chastes rendez-vous, il aurait eu mauvaise grâce de se dérober aux suivants.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XX, p. 148.
B (1550). || Les trois Grâces : les trois déesses qui personnifiaient le don de plaire (→ Attrait, cit. 16; avec, cit. 11). || Les trois Grâces, Aglaé, Thalie et Euphrosyne, compagnes de Vénus.
99 Amour de ses beaux traits lui composa les yeux,
Et les Grâces, qui sont les trois filles des Cieux,
De leurs dons les plus beaux cette Princesse ornèrent (…)
Ronsard, Premier livre des poèmes, Élégie.
♦ ☑ Fig. Vx ou iron. Sacrifier aux Grâces : chercher à mettre de la grâce dans ses manières, dans son style; agir, parler avec grâce. ☑ Loc. Les Grâces ont présidé à sa naissance, l'ont formé de leurs mains, se dit d'un enfant, d'une femme pleine de charme, qui a beaucoup de grâce naturelle.
100 (…) représentons-nous ce jeune Prince que les Grâces semblaient elles-mêmes avoir formé de leurs mains.
Bossuet, Oraison funèbre de Marie-Thérèse d'Autriche.
❖
CONTR. (Du sens I., A.) Dette, obligation. — Défaveur, haine, malveillance, méchanceté. — Abandon. — Condamnation, disgrâce, exécution. — (Du sens II., A.) Ingratitude. — (Du sens II., B.) Malgré, dépit (en dépit de). — (Du sens III.) Grossièreté, laideur, lourdeur, maladresse.
DÉR. Gracier.
COMP. V. Disgrâce.
HOM. Grasse (fém. de gras).
Encyclopédie Universelle. 2012.