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amour-propre

amour-propre [ amurprɔpr ] n. m.
• 1521; de amour et propre
1Vx Attachement exclusif à sa propre personne, à sa conservation et son développement. égoïsme.
2Sentiment vif de la dignité et de la valeur personnelle, qui fait qu'un être souffre d'être mésestimé et désire s'imposer à l'estime d'autrui. fierté. Des blessures d'amour-propre ( humiliation, mortification) . « dénué d'amour-propre à un degré qui ferait aisément manquer de dignité » (Proust). « l'amour-propre en souffrance a fait de grands révolutionnaires » (Chateaubriand). Des amours-propres.
⊗ CONTR. Abnégation. Humilité.

amour-propre, amours-propres nom masculin Sentiment qu'on a de sa propre valeur, de sa dignité, et qui pousse à agir pour mériter l'estime d'autrui. Opinion trop avantageuse qu'on a de soi-même. ● amour-propre, amours-propres (citations) nom masculin Jacques Bénigne Bossuet Dijon 1627-Paris 1704 Les contraires se connaissent l'un par l'autre : l'injustice de l'amour-propre se connaît par la justice de la charité. Traité de la concupiscence saint François de Sales château de Sales, près de Thorens, Savoie, 1567-Lyon 1622 Mais prenez garde que l'amour-propre ne vous trompe, car quelquefois il contrefait si bien l'amour de Dieu qu'on dirait que c'est lui […]. Introduction à la vie dévote François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 L'amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs. Maximes François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 Il y a dans la jalousie plus d'amour-propre que d'amour. Maximes Julie de Lespinasse Lyon 1732-Paris 1776 Le silence est si doux, lorsqu'il peut consoler l'amour-propre ! Lettres, à M. de Guibert Charles Joseph, prince de Ligne Bruxelles 1735-Vienne 1814 L'amour-propre d'un sot est aussi dangereux que celui d'un homme d'esprit est utile. Mes écarts Henry Millon de Montherlant Paris 1895-Paris 1972 Académie française, 1960 On blesse l'amour-propre, on ne le tue pas. Carnets Gallimard Pierre Nicole Chartres 1625-Paris 1695 On peut désirer par amour-propre d'être délivré de l'amour-propre, comme l'on peut souhaiter l'humilité par orgueil. Essais de morale, Des diverses manières dont on tente Dieu Francis Ponge Montpellier 1899-Le Bar-sur-Loup 1988 L'amour-propre et la prétention sont les premières vertus. À leurs limites, se définit la personne. Le Grand Recueil, Entretien avec Breton et Reverdy Gallimard Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues Aix-en-Provence 1715-Paris 1747 Nous n'avons pas assez d'amour-propre pour dédaigner le mépris d'autrui. Réflexions et Maximes François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Ce n'est pas l'amour qu'il fallait peindre aveugle, c'est l'amour-propre. Correspondance, à M. Damilaville, 11 mai 1764 Alberto Pincherle, dit Alberto Moravia Rome 1907-Rome 1990 L'amour-propre est une curieuse bête, qui peut dormir même sous les coups les plus cruels et puis s'éveille, blessé à mort par une simple égratignure. L'amor proprio è una bestia curiosa che può dormire anche sotto i colpi più crudeli ; e poi si sveglia invece ferito a morte da una semplice scalfittura. La Belle Romaine, II, 2 amour-propre, amours-propres (difficultés) nom masculin Orthographe Avec un trait d'union. - Plur. : des amours-propres (avec s à chaque élément). ● amour-propre, amours-propres (synonymes) nom masculin Sentiment qu'on a de sa propre valeur, de sa dignité...
Synonymes :
- dignité
- fierté
Contraires :
- humilité
- modestie
Opinion trop avantageuse qu'on a de soi-même.
Synonymes :
- fatuité
- infatuation
- présomption
- prétention
Contraires :
- humilité
- modestie

amour-propre
n. m. Sentiment très vif qu'une personne a de sa propre valeur, dont elle veut garantir l'image aux yeux d'autrui. Il a trop d'amour-propre pour commettre cette bassesse. Des amours-propres.

⇒AMOUR-PROPRE, subst. masc.
I.— Forme ou extension de l'amour, légitime ou non, de soi :
1. ... l'amour de soi qui n'est que l'instinct vital, diffère de l'amour-propre qui tient à des idées acquises, à des comparaisons qui s'établissent entre nous et les autres. L'amour-propre est une extension de l'amour de soi et peut lui servir de supplément. On s'aime dans les autres quand on ne peut plus s'aimer en soi-même d'une manière directe et immédiate. L'on revient ainsi à s'aimer médiatement, c'est-à-dire que nous (nous) rendons l'affection que des êtres chéris nous témoignent et que nous n'aurions pas sans eux.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1823, p. 384.
A.— Vieilli
1. Recherche égoïste de son intérêt, de son plaisir ou de son développement personnel :
2. Les lettres, sans le talent propre à les rendre utiles ou agréables, ne servent qu'à corrompre le cœur, qu'à nous gonfler de haine et d'envie, qu'à nous arracher aux devoirs de la société, et à nourrir en nous un amour-propre féroce aux dépens de tous les sentiments généreux.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Martyrs, t. 1, 1810, p. 111.
3. Qu'on ne craigne pas que les instruments de l'autorité, (...) soient trop enclins à désobéir. Leur tendance naturelle, favorisée encore par leur intérêt et leur amour-propre, est toujours l'obéissance. Les faveurs de l'autorité sont à ce prix. Elle a tant de moyens secrets pour les dédommager des inconvénients de leur zèle!
B. CONSTANT, Principes de politique, 1815, p. 94.
4. Toutes nos passions finissent par s'absorber dans l'amour-propre ou plutôt dans l'intérêt, comme les rayons de lumière s'absorbent dans le noir.
Ch.-J. DE CHÊNEDOLLÉ, Extraits du journal, 1833, p. 185.
5. La vie de l'avare est un constant exercice de la puissance humaine mise au service de la personnalité. Il ne s'appuie que sur deux sentiments : l'amour-propre et l'intérêt; mais l'intérêt étant en quelque sorte l'amour-propre solide et bien entendu, l'attestation continue d'une supériorité réelle, l'amour-propre et l'intérêt sont deux parties d'un même tout, l'égoïsme.
H. DE BALZAC, Eugénie Grandet, 1834, pp. 124-125.
6. ... quand le dilettante glisse entre les doigts de pierre de toutes les idoles, c'est qu'il a un autre culte, l'autolâtrie; à tout regarder du haut de l'étoile Sirius, tout lui devient exigu et mesquin, tout et tous, il ne reste de grand que l'amour-propre d'un seul, moi : « Ut sim! » Voilà l'aspiration foncière qui, comme un fiat tout spontané et cordial, sanctionne en lui l'être reçu et le produit librement, amoureusement.
M. BLONDEL, L'Action, 1893, p. 16.
7. ... si des actes l'on remontait, par le fil ténu des raisonnements enveloppés, jusqu'au principe des sentiments inaperçus, on demeurerait surpris, comme l'ont été la plupart des moralistes, de l'amour-propre déguisé qui se joue sous une surface de bonté et d'abnégation. Ainsi, en pleurant une séparation, c'est soi qu'on pleure. Mais l'amour-propre est plus clairvoyant encore que les moralistes; il devine que l'affection vraie qu'on sent pour un autre est plus rassasiante qu'un égoïsme trop pressé de jouir de lui-même.
M. BLONDEL, L'Action, 1893 p. 255.
8. Il me paraît que la position que je tâchais de prendre à l'égard de La Rochefoucauld ne saurait être maintenue sans injustice. Mon premier tort était de tenter d'assimiler ce qu'il appelle l'amour-propre, à l'égoïsme. Malgré tout, les maximes ayant trait à l'amour-propre sont de moindre intérêt que celles qui ne se rattachent à aucune théorie, à aucune thèse, et dont certaines sont de la pénétration la plus singulière, ...
A. GIDE, Journal, 1921, p. 698.
2. Goût pour ce qui valorise ou flatte sa propre personne, notamment par l'acquisition de biens de qualité exceptionnelle :
9. Le commencement du discours de Charlemagne me fit éprouver la plus vive émotion; j'admirois le héros saxon avant de le connoître, et devenu son libérateur, l'amour-propre avoit tellement exalté mes sentimens pour lui, que son alliance m'eût paru mille fois plus glorieuse que celle de tous les souverains de la terre.
Mme DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, t. 1, 1795, p. 76.
10. Je l'avouerai, mon cœur nageait dans la joie. Je me voyais aimé, chéri; l'amour et l'amour-propre étaient également satisfaits; ils me causaient une égale ivresse : glorieux d'être avec la plus jolie personne de la chambrée, j'avais encore la délicieuse idée que j'en étais préféré!...
N.-E. RESTIF DE LA BRETONNE, Monsieur Nicolas, 1796, p. 70.
11. Son amour [de Julien] était encore de l'ambition; c'était de la joie de posséder, lui pauvre être malheureux et si méprisé, une femme aussi noble et aussi belle. (...). Si elle [Mme de Rênal] eût possédé un peu de ce savoir-vivre dont une femme de trente ans jouit depuis longtemps dans les pays plus civilisés, elle eût frémi pour la durée d'un amour qui ne semblait vivre que de surprise et de ravissement d'amour-propre.
STENDHAL, Le Rouge et le Noir, 1830, pp. 90-91.
3. Bonne opinion de soi :
12. ... je ferai aux hommes politiques de l'école doctrinaire et métaphysique un reproche qui étonnera au premier abord ceux qui les connaissent : c'est d'avoir trop peu d'amour-propre. Ces esprits, dans les théories sophistiquées et superfines qu'ils appliquent au gouvernement de la société, supposent trop que le commun des hommes leur ressemble.
Ch.-A. SAINTE-BEUVE, Pensées et maximes, 1869, p. 52.
B.— RELIG., MOR. Attachement exagéré à ses passions, préjugés, etc. ou prise en considération anormale du jugement d'autrui sur soi, l'un et l'autre étant considérés comme obstacles au progrès moral ou spirituel :
13. ... notre amour-propre nous porte toujours au dehors le plus loin de nous qu'il est possible, afin d'éviter de sentir nos misères et de nous voir tels que nous sommes.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1823, p. 379.
14. À peine a-t-on saisi la moralité comme affirmation que surgit, du cœur de l'affirmation, la menace mortelle de l'égocentrisme. (...) Les spirituels ont toujours fait de l'amour-propre le premier et le plus rebelle adversaire de l'effort moral.
E. MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 687.
C.— LITT. Forme que prend l'amour de soi lorsque dans la recherche d'un bien personnel apparaît le souci de sa bonne réputation dans le groupe social auquel on appartient.
1. Sans nuance péj. Désir ou souci légitime d'un bon renom ou d'une appréciation valorisante qui normalement s'attachent au comportement d'un homme ou d'une femme de bien :
15. ... la vertu était pour moi ce que tu faisais; l'honneur, ce qui te plaisait; la gloire n'avait d'attrait dans mon cœur que parce qu'elle t'était agréable et flattait ton amour-propre.
NAPOLÉON Ier, Lettres à Joséphine, 1796, p. 36.
16. ... je veux donner à mes censeurs l'exemple de la modération. S'ils n'ont pas craint de blesser mon amour-propre, je me fais un devoir d'épargner leur vanité. Ils attachent sans doute à leurs ouvrages beaucoup plus d'importance que je n'en attache aux miens : puisqu'ils ont mis leur bonheur dans leurs succès littéraires, à Dieu ne plaise que je prétende le troubler.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Martyrs, t. 1, 1810, p. 101.
17. ... jamais aucune considération tirée, ni du succès, ni de la mode, ni des préjugés, ni de tout ce qui vient des autres enfin, n'auroit pu lui [à Schiller] faire altérer ses écrits; car ses écrits étoient lui, ils exprimoient son âme, et il ne concevoit pas la possibilité de changer une expression, si le sentiment intérieur qui l'inspiroit n'étoit pas changé. Sans doute Schiller ne pouvoit pas être exempt d'amour-propre. S'il en faut pour aimer la gloire, il en faut même pour être capable d'une activité quelconque; mais rien ne diffère autant dans ses conséquences que la vanité et l'amour de la gloire...
G. DE STAËL, De l'Allemagne, t. 2, 1810, pp. 87-88.
18. ... je cherche le monde dont j'ai besoin, alors précisément que je suis incapable de tout ce qui peut être agréable au monde et m'y donner quelque valeur, quelque jouissance d'amour-propre; ...
MAINE DE BIRAN, Journal, 1821, p. 305.
En partic. Désir d'être apprécié pour ou dans son travail :
19. ... si je dois dépouiller tout amour-propre, certes, c'est avec toi. Cependant pour tout te dire, je n'étais pas sans avoir remarqué que de toutes les maisons où je vais la tienne était la seule où l'on me témoignât sur mes occupations une complète indifférence. Tu m'apprends aujourd'hui que c'était discrétion de la part de tes parents, je le comprends parfaitement et je leur en sais gré.
V. HUGO, Lettres à la fiancée, 1822, p. 141.
2. Gén. péj. Déformation ou dégradation de la recherche légitime du bon renom :
20. Nous avons des lois mais point d'institutions, et par suite nous avons des méthodes d'instructions pour les sciences et les arts mais point d'éducation de l'homme et du citoyen. Chacun de nous se trouve réduit à son individualité; il se fait centre dans la société où il vit, rapporte tout à lui-même, à son intérêt ou à son amour-propre; il joue son rôle le mieux possible pour tirer parti de sa position, etc... Que peut faire une assemblée composée de tels hommes?
MAINE DE BIRAN, Journal, 1816, p. 110.
21. — Tu ne connais pas l'amour-propre des villes de province, répondit Lucien. On est allé dans une petite ville du Midi recevoir en triomphe, aux portes de la ville, un jeune homme qui avait remporté le prix d'honneur au grand concours, en voyant en lui un grand homme en herbe!
H. DE BALZAC, Les Illusions perdues, 1843, p. 657.
a) [L'amour-propre, source d'erreur ou d'illusion de l'esprit] Tendance plus ou moins consciente à exagérer sa valeur ou son mérite personnel, généralement au détriment de celui d'autrui. Synon. vanterie, vantardise :
22. Lu Xénophon. Il y a des traces de vanterie dans sa relation de la marche des 10.000 et de l'exagération du rôle qu'il y a joué. On remarque pourtant malgré lui que ce rôle était assez subalterne. Le général lacédémonien le traitait fort cavalièrement. La vérité est une chose bien puissante et bien impliable, puisqu'elle se fait jour à travers tous les déguisements de l'amour-propre, dans un auteur qui a écrit il y a 2.000 ans.
B. CONSTANT, Journaux intimes, oct. 1804, p. 147.
23. Tous les peuples avaient leur dieu particulier, et ce n'est qu'en communiquant les uns avec les autres qu'ils ont commencé à reconnaître un dieu universel. Ce n'est pas que chaque homme n'en eût le sentiment en lui-même, mais son amour-propre le portait à croire que le dieu de la nature ne s'occupait que de son pays, et même que de sa seule personne.
J.-H. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature, 1814, p. 309.
24. ... travaillez donc, creusez-vous la tête, plongez votre âme dans un marais de systèmes, desséchez vos idées d'enfance, vos fraîches idées pleines de simplicité; dites-vous tous les matins et tous les soirs que vous êtes un homme de génie; faites-vous de votre amour-propre une coquille de limaçon où vous puissiez vous enfermer; raillez et exaltez, disputez et intriguez; tout tombera un beau matin devant le faible, l'ignorant regard d'une jeune fille.
A. DE MUSSET, Le Temps, 1831, p. 116.
25. — Et il est de l'Académie des sciences pour cela?
— Non pas, de l'Académie française.
— Mais qu'a donc à faire l'Académie française là-dedans?
— Je vais vous dire, il paraît...
— Que ses expériences ont fait faire un grand pas à la science, sans doute?
— Non, mais qu'il écrit en fort bon style.
— Cela doit, dit Monte-Cristo, flatter énormément l'amour-propre des lapins à qui il enfonce des épingles dans la tête, des poules dont il teint les os en rouge, et des chiens dont il repousse la moelle épinière.
A. DUMAS père, Le Comte de Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 149.
En partic. Amour-propre d'auteur. Défaut d'un auteur qui s'exagère l'importance de son œuvre :
26. L'extrait que Minette avait fait de l'ouvrage de M. de Bonstetten avait tellement éveillé son amour-propre qu'il ne pouvait plus finir de parler de ses ouvrages. Les jouissances de l'amour-propre d'auteur ont quelque chose d'un plaisir physique. Tous les traits s'épanouissent et il y a visiblement dans toute la personne une titillation voluptueuse.
B. CONSTANT, Journaux intimes, août 1804, p. 126.
27. Plaisant mot de Schlegel, caractéristique de son amour-propre d'auteur. Je lisais une épître de lui à un de ses amis, et je vis dans une note que cet ami était mort peu de temps après. Je lui en parlai. « Oui, me répondit-il, il mourut vers ce temps-là, âgé de 27 ans. Mais il eut pourtant le temps de recevoir mon épître avant de mourir. » Ne dirait-on pas que la destination de cet ami était surtout de lire l'épître de Schlegel, et que, l'ayant lue, il devait être content!
B. CONSTANT, Journaux intimes, sept. 1804, p. 136.
28. ... c'était une petite note apologétique en quatre pages, dans laquelle l'ami de l'auteur, ou probablement l'auteur lui-même, marque sa place entre Tacite et Bossuet; où l'on prouve qu'il a plus de profondeur que Montesquieu, des aperçus plus fins, plus philosophiques que Voltaire, (...) etc. Combien d'occasions n'a-t-on pas de s'écrier avec Mme Deshoulières : l'amour-propre est, hélas! le plus sot des amours.
V. DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 2, 1812, p. 44.
29. J'ai cru remarquer, Adèle, que tu me croyais de l'amour-propre et même, tranchons le mot, de la vanité. Cette observation a dû m'affliger. Si tu as raison, si je suis vain en effet, je dois gémir de ce que, parmi mes nombreux défauts, il se trouve celui que je déteste et que je méprise le plus au monde. Si tu te trompes, si tu prends pour de l'amour-propre une fierté, ou, si tu veux, un orgueil que je m'avoue à moi-même et dont même je m'applaudis, je dois déplorer bien plus encore d'être mal jugé par le seul être sans l'estime duquel je ne puisse vivre, surtout si ce qui lui semble un défaut (et le dernier de tous!) est à mon gré la première qualité de tout homme qui se sent quelque dignité dans l'âme.
V. HUGO, Lettres à la fiancée, 1821, p. 60.
P. ext. Aveuglement, p. exagér., sur sa valeur personnelle :
30. On croit le sourd malheureux dans la société. N'est-ce pas un jugement prononcé par l'amour-propre de la société, qui dit : « Cet homme-là n'est-il pas trop à plaindre de n'entendre pas ce que nous disons? »
CHAMFORT, Maximes et pensées, 1794, p. 18.
31. ... j'ai lu les critiques qu'ils ont faites de mes premiers ouvrages, j'y ai remarqué du goût, de l'esprit, du talent, du savoir. S'ils m'ont paru quelquefois aller trop loin, j'ai pensé, ou que mon amour-propre me trompoit, ou qu'ils étoient emportés malgré eux au delà des bornes, par cette chaleur d'opinion dont on a tant de peine à se défendre.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Martyrs, t. 1, 1810, p. 109.
32. ... ce rythme qui nous est particulier et qui nous constitue, qu'autrui devine dans notre démarche, dans nos gestes spontanés, dans nos paroles, grâce à l'amour qu'il nous porte. La connaissance de notre existence la plus unique, que notre amour-propre même nous dissimule profondément, est aussi difficile à atteindre que l'image inconnue de notre visage ou de nos épaules sous les mortes effigies qu'en peuvent donner le miroir ou la photographie. Il n'est d'autre moyen, pour saisir cette harmonie ou cette loi particulière que d'échapper au temps par la contemplation du temps, de percevoir, l'oreille tendue, cette mélodie entre toutes les autres, qui est notre destinée.
A. BÉGUIN, L'Âme romantique et le rêve, 1939, p. XI.
♦ Désir inconsidéré de passer pour une personne très intéressante ou pour l'être central d'un groupe :
33. ... M. Valenod (...) apprit des choses les plus mortifiantes pour son amour-propre. Cette femme, la plus distinguée du pays, que pendant six ans il avait environnée de tant de soins, et malheureusement au vu et au su de tout le monde (...) venait de prendre pour amant un petit ouvrier déguisé en précepteur.
STENDHAL, Le Rouge et le Noir, 1830, p. 118.
34. L'amour-propre de Julien était flatté. Une personne environnée de tant de respects (...) daignait lui parler d'un air qui pouvait presque ressembler à de l'amitié.
STENDHAL, Le Rouge et le Noir, 1830 pp. 302-303.
b) [L'amour-propre source de déviation du jugement moral] Tendance immodérée, voire maladive, à rechercher les prévenances, les louanges, les honneurs ou la popularité. Synon. vanité. Rechercher des satisfactions d'amour-propre :
35. Ôtez l'amour-propre de l'amour, il en reste trop peu de chose. Une fois purgé de vanité, c'est un convalescent affaibli, qui peut à peine se traîner. L'amour, tel qu'il existe dans la société, n'est que l'échange de deux fantaisies et le contact de deux épidermes.
CHAMFORT, Maximes et pensées, 1794, p. 61.
36. ... quelles seraient les conséquences de ces succès [militaires], même pour la nation conquérante? N'ayant aucun accroissement de bonheur réel à en attendre, en ressentirait-elle au moins quelque satisfaction d'amour-propre? Réclamerait-elle sa part de gloire? Bien loin de là. Telle est à présent la répugnance pour les conquêtes, que chacun éprouverait l'impérieux besoin de s'en disculper. Il y aurait une protestation universelle, qui n'en serait pas moins énergique pour être muette.
B. CONSTANT, De l'Esprit de conquête et de l'usurpation, 1813, p. 165.
37. ... ce qui me paraît distinguer bien honorablement cette société d'hommes à talens, c'est une bienveillance réciproque qui semble exclure tout sentiment d'amour-propre. — Ne vous y fiez pas, lui répondis-je; en fait d'amour-propre, nous avons ici ce qu'il y a de mieux. Vous voyez bien ce grand garçon qui se balance dans sa chaise d'un air si nonchalant; il a trouvé le moyen (et cela n'était pas facile) d'avoir plus de vanité que de mérite; sa politesse n'est qu'une manière de vous avertir de prendre garde à lui.
V. DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 4, 1813, p. 224.
38. Si mon fils épousait la femme de chambre de sa mère, dans ce monde où il voudrait t'introduire, l'opinion te repousserait, lui-même s'en apercevrait. C'est dans toi qu'il serait humilié, et bientôt il ne t'aimerait plus; car l'amour-propre est malheureusement le premier mobile de l'amour.
E. SCRIBE, A.-F. VARNER, Le Mariage de raison, 1826, I, 2, p. 393.
39. ... tout le coron se groupa autour de lui [d'Étienne]. Ce furent des satisfactions d'amour-propre délicieuses, il se grisa de ces premières jouissances de la popularité : être à la tête des autres, commander, lui si jeune et qui la veille encore était un manœuvre, l'emplissait d'orgueil, agrandissait son rêve d'une révolution prochaine, où il jouerait un rôle.
É. ZOLA, Germinal, 1885, p. 1281.
40. Pour des populations très nerveuses, affolées d'amour-propre, le sport n'est pas une détente, il est un irritant et il s'ajoute aux irritants de la vie pratique, du travail, de la profession, de la famille. Il y avait beaucoup de spleenétiques en Angleterre, vers 1830. Il y a beaucoup de neurasthéniques en France, vers 1930. Et plus on exténuera les gens à force de convoitises, plus on créera de neurasthéniques.
J.-R. BLOCH, Destin du Siècle, 1931, p. 136.
41. ... même si l'on érige en principe de la morale l'intérêt personnel, il ne sera pas difficile de construire une morale raisonnable, qui ressemble suffisamment à la morale courante, comme le prouve le succès relatif de la morale utilitaire. L'égoïsme, en effet, pour l'homme vivant en société, comprend l'amour-propre, le besoin d'être loué, etc.; de sorte que le pur intérêt personnel est devenu à peu près indéfinissable, tant il y entre d'intérêt général, tant il est difficile de les isoler l'un de l'autre.
H. BERGSON, Les Deux sources de la morale et de la religion, 1932, p. 91.
Rem. Il peut s'agir, à la limite, d'une satisfaction complaisante à l'égard de sa propre pers. Synon. narcissisme :
42. Lorsque je m'aimais moi-même, je mettais à tout un intérêt d'amour-propre; j'étais content de tout ce qui venait de moi ou y tenait; je voulais me le retracer ou le retracer aux autres; j'étais toujours dans cette disposition vaniteuse dont parle Pascal et pouvais dire : moi qui écris ces pages obscures et secrètes, j'ai peut-être au fonds l'envie de plaire à d'autres ou à moi-même...
MAINE DE BIRAN, Journal, 1821, p. 308.
En partic. Désir de se faire valoir ou d'être applaudi à bon compte en société, en public; avec souvent une idée de rivalité, d'envie ou de jalousie :
43. L'expérience avait assez montré le danger et le vide de ces délibérations depuis 1789. On avait appris que toute assemblée nombreuse où les lois se discutent n'est qu'une arène ouverte aux passions, à l'amour-propre, à l'ambition des chefs de partis, et que les moins clairvoyants ne pouvaient se dissimuler qu'en rouvrant cette carrière, on s'exposait à tourmenter, à échauffer des têtes encore pleines de révolution, qu'il fallait bien plutôt calmer et refroidir.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1816, p. 136.
44. J'ai vu plus d'une fois jouer la comédie du génie et de l'amour-propre, naître des haines mortelles entre des gens de lettres parce que l'un avait été applaudi au moins quarante secondes de plus que l'autre.
J. GUÉHENNO, Journal d'une « Révolution », 1938, p. 165.
P. ext. Désir de recueillir des louanges pour des qualités seulement simulées; tromperie par vanité :
45. Des gens bien informés, qui nous sont arrivés dernièrement de la Chaussée-d'Antin, nous ont assuré que l'ennui se glisse quelquefois jusque dans les hôtels de la rue Caumartin : les habitants de ce quartier ont l'amour-propre de paraître heureux, et font tout ce qu'ils peuvent pour faire croire qu'ils le sont en effet. On m'a dit qu'on y dépensait des millions pour acheter de la gaîté qui ne se vend point...
V. DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 1, 1811, p. 108.
46. Sienne, ville d'esprit (...) ne partage point les préjugés des Florentins; mais son amour-propre est intéressé à nous dire qu'elle sait, par tradition, que plusieurs figures de la sacristie de Sienne furent peintes par Raphaël.
STENDHAL, Hist. de la peinture en Italie, t. 2, 1817, p. 405.
Rem. 1. Autres syntagmes fréq. mouvement d'amour-propre, plaisirs d'amour-propre, pointe d'amour-propre, succès d'amour-propre; amour-propre flatté, amour-propre légitime. 2. Autres syntagmes rencontrés triomphe d'amour-propre, les ressorts de l'amour-propre; exciter l'amour-propre.
II.— Conscience aiguë qu'une personne (ou une collectivité) a de sa dignité et des droits ou devoirs qui en découlent pour elle.
A.— Sentiment vif de sa dignité personnelle et des droits qu'elle ouvre aux égards et attentions d'autrui.
1. En partic. Sentiment du droit de n'être pas offensé dans sa dignité. Froisser, exaspérer l'amour-propre; blessure d'amour-propre :
47. Dès qu'on déplaisait à Mlle de La Mole, elle savait punir par une plaisanterie si mesurée, si bien choisie, si convenable en apparence, lancée si à propos, que la blessure croissait à chaque instant, plus on y réfléchissait. Peu à peu elle devenait atroce pour l'amour-propre offensé.
STENDHAL, Le Rouge et le Noir, 1830, p. 307.
a) [Avec une idée de vive réaction affective en cas de non respect de sa dignité] :
48. ... les femmes permettent quelquefois qu'on trompe leur amour, jamais qu'on blesse leur amour-propre, et l'on blesse toujours l'amour-propre d'une femme quand, deux jours après qu'on est son amant, on la quitte, quelles que soient les raisons que l'on donne à cette rupture.
A. DUMAS fils, La Dame aux camélias, 1848, p. 159.
49. ... je m'étais vu, soudain, en face d'une grande personne qui, après réflexion, se venge, d'un seul mot, de toutes les blessures à son amour-propre. En fait, elle venait de surmonter toute la mauvaise humeur, — non, exactement : la peine, — que mes moqueries lui avaient causée; elle y était devenue indifférente; ...
V. LARBAUD, Journal, juin 1934, p. 309.
50. Il y est retourné le lendemain exprès pour le revoir ce jeunot... Pour essayer de le convaincre qu'il s'était gourré sur son compte... Et de fond en comble! Absolument!... Qu'on l'avait noirci à plaisir!... C'était une question d'amour-propre... Ça le rongeait à l'intérieur l'engueulade de ce greluchon... Il touchait même plus aux haltères...
L.-F. CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 478.
b) [En parlant d'une collectivité] :
51. Les Français ont fait peur à l'Europe, mais surtout à l'Allemagne, par leur habileté dans l'art de saisir et de montrer le ridicule : il y avoit je ne sais quelle puissance magique dans le mot d'élégance et de grâce qui irritoit singulièrement l'amour-propre. On diroit que les sentiments, les actions, la vie enfin, devoient, avant tout, être soumis à cette législation très-subtile de l'usage du monde, ...
G. DE STAËL, De l'Allemagne, t. 1, 1810, p. 141.
52. Du jour où tous les hommes seront persuadés de cette vérité, que le bonheur et le bien-être d'une nation s'accroît du bonheur et du bien-être des autres nations ses voisines, toutes les vieilles haines nationales, tous ces systèmes de prohibitions, toutes ces piques d'amour-propre de pays à pays, d'individu à individu s'effaceront.
É.-J. DELÉCLUZE, Journal, 1827, p. 408.
53. À l'heure actuelle, pas un Autrichien, pas un Hongrois, qui ne soit convaincu que le meurtre de Sarajevo est le résultat d'une conjuration encouragée par le gouvernement serbe, et peut-être par le gouvernement russe, pour protester contre l'annexion de la Bosnie; pas un, qui ne se sente offensé, et qui ne souhaite une vengeance. C'est bien ce qu'on voulait en haut lieu. Dès le lendemain de l'attentat, on a tout fait pour exaspérer cet amour-propre national!
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 93.
P. méton. Fierté blessée :
54. Je ne vous parle pas de toutes les humiliations d'amour-propre que vous m'avez fait souffrir, votre arrivée annoncée dix fois, tout le monde se plaisant à me plaindre et chargeant sur votre ingratitude pour mieux faire sentir mon abandon.
G. DE STAËL, Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1794, p. 243.
55. Des charpentes abattues, des bancs boiteux, des stalles démantibulées, des tronçons de saints roulés et poussés contre les murs, servaient de gradins aux spectateurs crottés, poudreux, soûls, suants, en carmagnole percée, la pique sur l'épaule ou les bras nus croisés. Les plus difformes de la bande obtenaient de préférence la parole. Les infirmités de l'âme et du corps ont joué un rôle dans nos troubles : l'amour-propre en souffrance a fait de grands révolutionnaires.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 1, 1848, pp. 375-376.
56. ... ce n'est pas ma faute si ce siècle naissant m'a fait épique. Battue, la France fourmillait de héros imaginaires dont les exploits pansaient son amour-propre. Huit ans avant ma naissance, Cyrano de Bergerac avait « éclaté comme une fanfare de pantalons rouges ». Un peu plus tard, l'Aiglon fier et meurtri n'avait eu qu'à paraître pour effacer Fachoda.
J.-P. SARTRE, Les Mots, 1964, p. 95.
2. Susceptibilité à l'égard de toute observation ou critique pouvant dévoiler une faiblesse apparemment cachée. Amour-propre ombrageux, irriter l'amour-propre :
57. Les hommes convertis du parti jacobin entraient pour la première fois dans la société du grand monde, et leur amour-propre était plus ombrageux encore sur tout ce qui tient au bon ton qu'ils voulaient imiter, que sur aucun autre sujet.
G. DE STAËL, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, 1817, p. 456.
58. En province, un garçon de café prend intérêt à vous, s'il vous arrive un accident en entrant dans son café; mais si cet accident offre quelque chose de désagréable pour l'amour-propre, en vous plaignant il répétera dix fois le mot qui vous torture.
STENDHAL, Le Rouge et le Noir, 1830, p. 263.
Rem. 1. Autres syntagmes fréq. chatouillement(s) d'amour-propre, froissement d'amour-propre, piqûres d'amour-propre, plaie d'amour-propre, souffrance d'amour-propre; amour-propre froissé, amour-propre humilié; l'amour-propre saigne, l'amour-propre souffre; chatouiller l'amour-propre, humilier l'amour-propre. 2. Autres syntagmes rencontrés révolte d'amour-propre, offenser l'amour-propre.
B.— Sentiment de sa dignité personnelle et des devoirs qu'elle impose à l'égard de soi. Avoir de l'amour-propre; placer son amour-propre dans quelque chose :
59. Depuis le règne de Louis XIV, toute la bonne compagnie du continent, l'Espagne et l'Italie exceptées, a mis son amour-propre dans l'imitation des Français.
G. DE STAËL, De l'Allemagne, t. 1, 1810, p. 137.
Amour-propre mal placé. Erreur sur le devoir que dicte le respect de la dignité personnelle; témérité :
60. La grande qualité dans ce métier-là, c'est de savoir reconnaître tout de suite à qui on a affaire, et de ne pas avoir d'amour-propre mal placé. Jamais je n'ai engagé le combat avec un avion que je supposais plus rapide ou mieux armé que le mien.
J. ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, Verdun, 1938, p. 259.
En partic.
1. [Le devoir consiste à ne pas s'abaisser habituellement à certaines concessions ou humiliations] Sacrifice d'amour-propre :
61. ... elle a haussé les épaules, mais sans méchanceté. Cela pouvait signifier : « Pauvre garçon! Toujours le même, on ne le changera pas... » ou quelque chose d'approchant. (...) Ma lâcheté m'a fait honte. « Je viens vous parler de mademoiselle votre fille », ai-je dit. Il y a eu un moment de silence. (...) Mais tout amour-propre était comme mort en moi. Mme la comtesse a cessé de sourire. « Je vous écoute, a-t-elle dit, parlez sans crainte, je crois en savoir beaucoup plus long que vous sur cette pauvre enfant. »
G. BERNANOS, Journal d'un curé de campagne, 1936, p. 1145.
[ou à ne pas renoncer à certains droits] :
62. ... en cours de route, il avait soudain vu se rouvrir un horizon déjà entrevu. Pourquoi lui n'épouserait-il pas cette petite Ligneul? Mais son amour-propre se mit en bataille. N'avait-il pas décidé une fois pour toutes que cette petite n'était pas assez riche pour justifier une pareille mésalliance?
P. DRIEU DE LA ROCHELLE, Rêveuse bourgeoisie, 1939, p. 82.
Péj. [Le devoir consiste à vouloir en toute circonstance avoir raison] :
63. Deux ans après, un jeune homme très beau lui fait la cour. Encore cette fois, et toujours par la même raison, parce que le prétendant n'était pas noble, les parents de dona Diana s'opposent violemment à ce mariage; elle déclare qu'il se fera. Il s'établit une pique d'amour-propre entre la jeune fille et son père.
STENDHAL, De l'Amour, 1822, p. 119.
64. De tout temps, nous nous étions chicanées parce que j'étais brutale et qu'elle pleurait facilement; elle pleurait moins, mais nos querelles devinrent plus sérieuses : nous y mettions de l'amour-propre; chacune exigeait d'avoir le dernier mot.
S. DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 101.
[ou à sauver la face, notamment en cachant certaines faiblesses ou en refusant de reconnaître une erreur, une faute, une défaite] :
65. L'amour-propre en France suffit à tout : implacable dans sa vengeance, il vous étoufferoit pour justifier une faute.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Polémique, 1818-1827, p. 448.
66. Si j'avais été moins paresseux, et que je me fusse moins abandonné à toutes les impressions qui m'agitaient, j'aurais peut-être achevé en deux ans un très mauvais livre, qui m'aurait fait une petite réputation éphémère dont j'eusse été bien satisfait. Une fois engagé par amour-propre, je n'aurais pu changer d'opinion : et le premier paradoxe ainsi adopté m'aurait enchaîné pour toute ma vie. Si la paresse a des inconvénients, elle a bien aussi des avantages.
B. CONSTANT, Le « Cahier rouge », 1830, p. 19.
67. Lorsqu'une fois un auteur a manifesté une opinion, la vanité, la plus universelle des infirmités humaines, veut qu'il la soutienne. L'intérêt personnel se joint quelquefois à l'amour-propre; et l'on sait quelle influence il exerce, même à notre insu, sur nos opinions. De là les doctrines hasardées qu'on voit naître chaque jour et les objections qu'on reproduit après qu'elles ont été cent fois réfutées.
J.-B. SAY, Traité d'économie politique, 1832, p. 45.
68. ... on sent qu'il n'y a rien, rien que ce qu'il y a dans une tête de linotte; et si vous la poussez un peu, aussitôt des susceptibilités, une femme armée et en défense qui craint toujours une allusion ou une leçon dans votre parole; des entêtements d'amour-propre froids, mais ulcérés, qui s'opiniâtrent à mesure que vous lui démontrez qu'une chose n'est pas, ou n'est pas comme elle croit qu'elle est. (...) Rien n'y fait, et c'est toujours la même scène : un ton pincé, une petite voix sèche : — c'est bien; je n'ai pas votre intelligence... —
E. et J. DE GONCOURT, Charles Demailly, 1860, p. 299.
69. Les objections parfois véhémentes qu'il opposait à certaines idées préconçues, à certains partis pris, tombaient toujours si juste qu'elles étaient admirablement éclairantes pour moi; et il les accompagnait d'un sourire si peu blessant, d'un regard si délicatement amical, que je n'avais aucun sot amour-propre à vaincre pour lui donner raison.
R. MARTIN DU GARD, Souvenirs autobiographiques et littéraires, 1955, p. LXXI.
70. Avec ça tu sais bien que tu avais l'amour-propre mal placé
Tu ne serais pas revenu sur une phrase prononcée
Tu t'embarquais dans Dieu sait quoi pour camoufler tes ignorances
Tu te faisais couper en quatre pour sauver les apparences
L. ARAGON, Le Roman inachevé, 1956, p. 94.
71. Que de paresseux devenus les prisonniers d'un premier mensonge d'amour-propre ou d'une méprise qu'ils n'auront pas eu le courage de rectifier tout de suite, tant ils craignent de ne plus justifier l'estime d'autrui, c'est-à-dire de décevoir l'attente et la croyance de l'autre!
V. JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, p. 195.
2. [Le devoir consiste à faire une chose pour l'honneur] :
72. Quand on reçoit un décor sur la « cafetière »... quand on reste huit jours à moitié claquée à la taule, et qu'on n'a pas l'amour-propre de faire un procès à la direction, on ne se plaint pas, on se tait!
COLETTE, L'Envers du music-hall, 1913, p. 39.
73. Pour ces gamins, l'idée de voler quelques sous à une femme d'âge respectable, connue dans le quartier, et qui vous fait l'honneur de vous croire capable d'une commission difficile, choquerait plus encore leur amour-propre que leur probité.
J. ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, Le 6 octobre, 1932, p. 62.
[En parlant d'une collectivité] Recherche du prestige, de la grandeur :
74. «... Toutes choses aujourd'hui se tarifent et se vendent. L'estime, l'honneur et l'amour-propre ne sont plus que les aiguillons qui nous font marcher pour les intérêts d'une firme, d'un cartel, d'un parti, d'une patrie. »
J.-R. BLOCH, Destin du Siècle, 1931, p. 55.
75. ... à côté des guerres accidentelles il en est d'essentielles, pour lesquelles l'instinct guerrier semble avoir été fait. De ce nombre sont les guerres d'aujourd'hui. On cherche de moins en moins à conquérir pour conquérir. On ne se bat plus par amour-propre blessé, pour le prestige, pour la gloire. On se bat pour n'être pas affamé, ...
H. BERGSON, Les Deux sources de la morale et de la religion, 1932, p. 305.
Avec une nuance péj. :
76. ... il leur [les rois et leurs ministres] faudra rendre compte un jour du mandat d'amener des peuples qu'ils n'avaient pas le droit de saisir. Des conquêtes violentes peuvent satisfaire l'amour-propre d'un gouvernement et une ambition sans prévoyance, mais elles préparent des catastrophes.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 3, 1848, p. 221.
3. Très usuel. [Le devoir consiste à développer au maximum ses capacités personnelles par le travail, le zèle, en vue de son avancement professionnel ou de sa promotion sociale] Ambition personnelle légitime, fondée sur une appréciation optimiste mais raisonnable de ses possibilités. Synon. point d'honneur, ambition. Avoir de l'amour-propre, avoir beaucoup, peu d'amour-propre :
77. « Cet immense amour-propre qui bouillonnait en moi, cette croyance sublime à une destinée, et qui devient du génie, peut-être, quand un homme ne se laisse pas déchiqueter l'âme par le contact des affaires aussi facilement qu'un mouton abandonne sa laine aux épines des halliers où il passe, tout cela me sauva. »
H. DE BALZAC, La Peau de chagrin, 1831, p. 95.
78. ... Lyautey — il n'avait pas encore fait son chemin — adorait qu'on soit moderne en tout. Il avait beaucoup d'amour-propre pour les troupes coloniales. Il disait souvent : « Est-ce que vous vous prenez pour des épaves du Second Empire?... »
J. ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, Verdun, 1938, p. 53.
79. Dans certains cas, je suis amené à improviser mes propos. Alors, me laissant saisir par une émotion calculée, je jette d'emblée à l'auditoire les idées et les mots qui se pressent dans mon esprit. Mais, souvent, j'écris d'avance le texte et le prononce ensuite sans le lire : souci de précision et amour-propre d'orateur, lourde sujétion aussi, car, si ma mémoire me sert bien, je n'ai pas la plume facile.
Ch. DE GAULLE, Mémoires de guerre, Le Salut, 1959, p. 127.
[Avec une idée de défi relevé] :
80. Le professeur monta dans sa chaire et se mit à dicter. C'était une composition de début. Pour la première fois mon amour-propre avait à lutter contre des ambitions rivales. J'examinai mes nouveaux camarades, et me sentis parfaitement seul.
E. FROMENTIN, Dominique, 1863, p. 64.
81. J'avais passé en novembre la seconde partie de mon baccalauréat; car je m'étais fait stupidement recaler en juillet. La joie de mon père, en apprenant mon échec, avait été comme un coup de fouet à mon amour-propre et je redoublai de zèle.
A. GIDE, Geneviève, 1936, p. 1397.
82. Le président des guides dut (...) dépêcher aussitôt trois hommes rapides, dont Rudi, qui venait de passer le week-end à Zinal, mais qui avait trop d'amour-propre pour refuser de monter par un temps qui exigeait une allure record. Il fallait en effet gagner de vitesse la tempête. Sous les premiers éclairs, les guides arrachèrent de l'arête le couple en perdition : ...
J. PEYRÉ, Matterhorn, 1939, p. 237.
[Avec une idée de perfection dans ce qu'on fait] :
83. ... le docteur Martin soutenait que la division du travail avait détruit l'ambition du bien faire; et à l'appui de sa thèse, Mme Sichel disait : « Comment voulez-vous qu'il existe l'amour-propre d'une robe chez un couturier ou une couturière, où les manches, le corsage, les jupes sont faits par trois ouvrières différentes? » Et l'on faisait la remarque que cette division du travail était peut-être bonne, utile, chez un peuple où l'ouvrier n'est pas artiste, comme en Allemagne, mais que cette division tue l'ouvrage bien fait chez un peuple artiste comme dans notre pays.
♦ et J. DE GONCOURT, Journal, mai 1890, p. 1179.
Loc. usuelle. Mettre de l' (ou son) amour-propre à faire quelque chose :
84. Mon grand-oncle avait pour cuisinière un cordon bleu qui, n'ayant jamais affaire qu'à des palais d'une expérience et d'un discernement consommés, mettait un amour-propre immense à les contenter.
G. SAND, Histoire de ma vie, t. 2, 1855, p. 310.
85. Dans les organisations clandestines, l'habitude était d'accorder un délai de dix minutes. Mais lui ne tolérait que cinq minutes de retard, il s'en allait dès le début de la sixième minute, les « siens » s'y étaient accoutumés, ils mettaient leur amour-propre à arriver quand l'horloge sonnait l'heure, ni plus tôt ni plus tard, c'étaient de bons militants, sérieux, consciencieux, qui méprisaient la légèreté de certains gaullistes...
R. VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p. 242.
Rem. 1. On notera la remarquable logique de l'usage ling. On a de l'amour-propre, comme si on recevait d'abord une part plus ou moins grande de tout l'amour-propre disponible dans le monde; ensuite cette part devient la part de quelqu'un, qui peut alors mettre son amour-propre à faire quelque chose. En d'autres termes, la deuxième loc. présuppose la première. 2. Autres syntagmes fréq. affaire d'amour-propre, prétentions d'amour-propre; amour-propre national; sacrifier l'amour-propre, sauver l'amour-propre. Autres syntagmes rencontrés amour-propre de famille; amour-propre familial, amour-propre littéraire, amour-propre professionnel; faire qqc. par amour-propre.
Rem. gén. Amour-propre peut s'employer au plur., p. méton., pour désigner des personnes ou des collectivités dont la conduite manifeste de l'amour-propre :
86. Il [Voltaire] eut l'art funeste chez un peuple capricieux et aimable, de rendre l'incrédulité à la mode. Il enrôla tous les amours-propres dans cette ligue insensée.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme, t. 1, 1803, p. 5.
87. ... à eux [aux Conseillers du roi] appartient (...) la distribution des grâces, des faveurs, des récompenses, la prérogative de payer d'un regard ou d'un mot les services rendus à l'État, prérogative qui donne à la monarchie un trésor d'opinion inépuisable, qui fait de tous les amours-propres autant de serviteurs, de toutes les ambitions autant de tributaires.
B. CONSTANT, Principes de politique, 1815, p. 29.
88. Le jeune homme, dont la présence suffisait pour mettre en jeu tous ces amours-propres féminins, paraissait, lui, s'en soucier médiocrement; et tandis que c'était parmi les belles filles à qui attirerait son attention, il paraissait surtout occupé à fourbir avec son gant de peau de daim l'ardillon de son ceinturon.
V. HUGO, Notre-Dame de Paris, 1832, p. 277.
89. On a donné des peuples aux princes et des princes aux peuples, parfois sans regarder les voisinages, presque toujours sans consulter l'histoire, le passé, les nationalités, les amours-propres. Car les nations aussi ont leurs amours-propres, qu'elles écoutent souvent, disons-le à leur honneur, plus que leurs intérêts.
V. HUGO, Le Rhin, 1842, p. 459.
90. Ceux qui l'[J.-J. Rousseau] avaient le mieux connu, et qui craignaient son éloquence, fabriquèrent eux-mêmes ou par leurs secrétaires de petits papiers pour se protéger contre les Confessions. Cette petite guerre des amours-propres se prolongea quelques années, tant que survécut quelque comparse de ces tragi-comédies qui s'étaient jouées à l'Ermitage, à Motiers, à Wooton, à Paris, partout où l'avait conduit le destin.
J. GUÉHENNO, Jean-Jacques, Grandeur et misère d'un esprit, 1952, p. 339.
Prononc. :[].
Étymol. ET HIST. — 1. 1613 « attachement exclusif à sa propre personne » (Ph. LE BEL, Estat des Religieux, 953 ds QUEM. t. 1 1959 : Un rechauffement et roidissement d'amour propre), pris en mauvaise part, qualifié de vieilli par ROB.; 2. 1746 « sentiment de dignité personnelle qui pousse à surpasser les autres » (VAUVENARGUES, Réflexions et maximes ds Dict. hist. Ac. fr., t. 2, 1884, p. 563 : Nous n'avons pas assez d'amour-propre pour dédaigner le mépris d'autrui); 1818 « id. » (Mme DE STAËL, Considérations sur la Révolution fr., IIe partie, c. 2, par. 5, ibid., p. 564b : La foule des spectateurs qu'on admettait dans les galeries animait les orateurs, tellement que chacun voulait obtenir pour son compte ce bruit des applaudissements, dont la jouissance nouvelle séduisait les amours-propres).
Mot composé de amour étymol. 1 et de propre au sens de « qui est à une personne à l'exclusion d'une autre ».
STAT. — Fréq. abs. litt. :1 545. Fréq. rel. litt. :XIXe s. : a) 3 627, b) 1 540; XXe s. : a) 1 498, b) 1 748.
BBG. — BACH.-DEZ. 1882. — BAILLY (R.) 1969 [1946]. — BAR 1960. — BASTIN 1970. — BÉL. 1957. — BÉNAC 1956. — BONNAIRE 1835. — DAIRE 1759. — DUP. 1961. — Gramm. t. 1 1789. — LACR. 1963. — LAF. 1878. — LAFON 1969. — LAL. 1968. — MARCEL 1938. — NOTER-LÉC. 1912. — Théol. cath. t. 1, 1, 1909.

amour-propre [amuʀpʀɔpʀ] n. m.
ÉTYM. 1521, Correspondance de Marguerite d'Angoulême, in D. D. L.; de amour, et propre.
1 Vx. Attachement exclusif à sa propre personne, à sa conservation et son développement. Égoïsme. || Amour-propre et amour (cit. 50) de soi-même.
1 L'amour-propre est l'amour de soi-même et de toutes choses pour soi; il rend les hommes idolâtres d'eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres, si la fortune leur en donnait les moyens. Il ne se repose jamais hors de soi et ne s'arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre.
La Rochefoucauld, Maximes, 563 (1665).
(Cf. Flatter, flatteur, habile, orgueil, in Maximes, 582, 2, 4, 228).
2 La nature de l'amour-propre et de ce moi humain est de n'aimer que soi et de ne considérer que soi.
Pascal, Pensées, II, 100.
Spécialt. Attachement à ses passions causant un obstacle au progrès spirituel.
2 (1639-1641, in D. D. L.). Sentiment vif de la dignité et de la valeur personnelle, qui fait qu'un être souffre d'être mésestimé et désire s'imposer à l'estime d'autrui. Fierté. || La susceptibilité d'un amour-propre chatouilleux. || Flatter, ménager; blesser, écorcher, froisser, piquer l'amour-propre. || Être vexé dans son amour-propre. || Blessure, piqûre (cit. 9) d'amour-propre. Humiliation, mortification, pique, vexation. || Satisfaction d'amour-propre. || Avoir trop d'amour-propre. || Mettre son amour-propre à (faire qqch.). || Leurs amours-propres en ont souffert.
3 Nous n'avons pas assez d'amour-propre pour dédaigner le mépris d'autrui.
Vauvenargues, Maximes, 549.
4 Ôtez l'amour-propre de l'amour, il en reste trop peu de chose. Une fois purgé de vanité, c'est un convalescent affaibli, qui peut à peine se traîner.
Chamfort, Maximes.
5 L'amour-propre offensé ne pardonne jamais.
L. Vigée, les Aveux difficiles.
6 (…) l'amour-propre en souffrance a fait de grands révolutionnaires.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, I, 7.
7 L'amour-propre est si habile en ses calculs secrets, que, tout en faisant la critique de soi-même, on est suspect de ne pas y aller de franc jeu.
Renan, Souvenirs d'enfance…, V.
8 La jalousie n'est pour une femme que la blessure de l'amour-propre.
France, le Lys rouge, XXIII.
9 Je tenais de ma grand'mère d'être dénué d'amour-propre à un degré qui ferait aisément manquer de dignité.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XII, p. 109.
10 L'amour-propre blessé n'a jamais donné rien qui vaille, mais parfois mon orgueil souffre d'un véritable désespoir.
Gide, Journal, 24 oct. 1907.
11 L'homme est né d'abord orgueilleux et l'amour-propre toujours béant est plus affamé que le ventre.
Bernanos, les Grands Cimetières sous la lune, p. 28.
CONTR. (Du sens 1.) Abnégation, altruisme. — (Du sens 2.) Humilité, modestie.

Encyclopédie Universelle. 2012.