perdre [ pɛrdr ] v. tr. <conjug. : 41> I ♦ (Sens pass.) A ♦ Être privé, provisoirement ou définitivement, de la possession ou de la disposition de (qqch.).
1 ♦ Ne plus avoir (un bien). Perdre une somme d'argent. Perdre sa fortune, ses biens (détruits, pris ou acquis par d'autres). Perdre sa maison dans un incendie. Absolt « On hasarde de perdre en voulant trop gagner » (La Fontaine). Perdre au jeu. Perdre sur une marchandise.
♢ (Abstrait) Perdre un avantage. « on perdait sa situation, on perdait de l'argent à la Bourse, on perdait le goût du travail » (Aymé). PROV. Qui va à la chasse perd sa place. — Perdre la confiance de qqn. « si vous ne voulez pas perdre mon estime après avoir perdu mon amitié » (Balzac). Perdre son prestige, ses droits, ses illusions.
♢ Loc. N'avoir rien à perdre mais tout à gagner. Tu ne perds rien pour attendre : tu n'échapperas pas à ma revanche (formule de menace). Perdre au change. Perdre des plumes. — Fam. Tu n'as rien perdu en ne venant pas à cette conférence, ce n'était pas intéressant.
2 ♦ Être séparé de (qqn) par la mort (cf. Être en deuil de). « Jadis, à l'âge de vingt-cinq ans, elle avait perdu, en un seul mois, son père, son mari et son enfant nouveau-né » (Maupassant). Perdre des soldats dans la bataille.
♢ Ne plus avoir (un compagnon, un ami, etc.). « je ne sais pas lequel est le plus cruel, de perdre tout à coup la femme qu'on aime, par son inconstance ou par sa mort » (Musset). « J'ai entendu dire qu'on perd une femme pour la trop aimer » (Montherlant).
3 ♦ Cesser d'avoir (une partie de soi; un caractère inhérent). Perdre un bras, un œil, ses dents, ses cheveux. Le chat perd ses poils. Les arbres perdent leurs feuilles. — Perdre du poids, des kilos : maigrir. Perdre la parole : devenir muet. Perdre le souffle : être essoufflé. À perdre haleine. Perdre l'appétit, ses forces, le sommeil. Perdre la vue. Perdre la vie : mourir. Faire perdre à qqn ses moyens. ⇒ enlever, ôter.
♢ Perdre l'esprit, la raison, la tête, (fam.) la boule : devenir fou. Perdre la mémoire. Perdre connaissance : s'évanouir. Perdre courage : se décourager. Perdre espoir : désespérer. Perdre son sang-froid. Perdre patience : s'impatienter. Perdre son calme : s'énerver. « Comment puis-je, à ces moments-là, perdre aussi complètement tout contrôle sur moi-même ? se demanda-t-il » (Martin du Gard). Perdre la face. « Lentement, je perds l'habitude de l'effort » (A. Gide)(cf. Se défaire d'une habitude). Perdre confiance. Perdre la foi.
♢ (Choses) Mot qui perd son sens. Perdre de la vitesse : ralentir. L'avion perd de l'altitude. Ça perd de son intérêt. Perdre une partie de sa valeur.
4 ♦ Ne plus avoir en sa possession (ce qui n'est ni détruit ni pris). ⇒ égarer, fam. paumer. Perdre ses lunettes, ses clés, sa carte de crédit. Il est terrible, il perd tout ! — « Parmi tant de gens dont j'avais perdu les noms, les coutumes, les adresses » (Céline). ⇒ oublier. — Fam. Les touristes ont perdu leur guide.
5 ♦ Laisser s'échapper. Il perd son pantalon. Le blessé perd son sang. ⇒ se vider. — Perdre les pédales. — Absolt Tonneau qui perd. ⇒ fuir.
6 ♦ Cesser de percevoir. « Malgré son embarras, Jeanne écoutait, sans perdre une syllabe, ni une inflexion » (Romains). Il ne veut pas en perdre une bouchée, une miette. — Loc. Perdre (qqn, qqch.) de vue : ne plus voir; fig. ne plus fréquenter qqn, ne plus s'intéresser à lui. « Il le congédia d'une tape amicale sur la joue en lui promettant de ne pas le perdre de vue » (A. Daudet). Il ne faut pas perdre de vue que la situation a changé. ⇒ oublier. Pronom. Nous nous sommes perdus de vue depuis le service militaire.
♢ Mar. Perdre terre, ne plus la voir.
7 ♦ Ne plus pouvoir suivre, contrôler. Perdre son chemin, sa route. « je tremble à cette idée horrible que je pourrais en effet perdre sa trace » (Loti). Perdre le fil. Y perdre son latin. Perdre pied. Perdre l'équilibre. Perdre le nord, la boussole.
8 ♦ Ne pas profiter de (qqch.), en faire mauvais usage. ⇒ dissiper, gâcher, gaspiller. Perdre sa peine, sa salive. Perdre une belle occasion de se taire.
♢ (Temps) « Edmond a l'impression de piétiner, de perdre son temps, de ne pas avancer » (Maurois). Tu perds ton temps à essayer de le convaincre. — Perdre du temps : laisser passer un temps qu'on devrait pleinement utiliser. Sans perdre une minute. Il n'y a pas un instant à perdre. Iron. Avoir du temps, de l'argent à perdre, le gaspiller pour rien. Cet élève a vraiment perdu son année. « Oisive jeunesse À tout asservie, Par délicatesse J'ai perdu ma vie » (Rimbaud).
9 ♦ Ne pas obtenir ou ne pas garder (un avantage dans une compétition). Perdre l'avantage.
♢ Ne pas remporter. Perdre la partie. Allus. hist. « La France a perdu une bataille ! Mais la France n'a pas perdu la guerre ! » (de Gaulle). « Une guerre absurde, injustifiée, Jacques dit qu'elle est perdue d'avance » (Sartre). Perdre son procès, son pari. — Absolt Être le perdant. Il a perdu. Il n'aime pas perdre. Jouer à qui perd gagne.
♢ Perdre du terrain : aller moins vite que son adversaire. — Fig. La Bourse perd du terrain. ⇒ reculer.
B ♦ Intrans. La marée perd, faiblit. Le bateau perd, marche moins vite qu'un autre.
II ♦ (Sens actif) Priver de la possession ou de la disposition de biens, d'avantages.
1 ♦ Ruiner totalement. Vieilli « Il n'y a personne qu'on ne puisse perdre en interprétant ses paroles » (Voltaire). ⇒ déconsidérer, fam. démolir, déshonorer.
2 ♦ (Sujet chose) Priver de sa réputation, de son crédit (auprès de qqn); priver de sa situation. Son orgueil le perdra. « Ces propos de tout le monde me perdront dans l'âme d'Alfred » (Stendhal). « Ce qui perdit Fouquet [...] ce fut ce qui perdit tant d'autres hommes spirituels et habiles, je veux dire l'excès de présomption et la vanité » (Sainte-Beuve). — Spécialt Faire condamner. Son témoignage l'a perdu.
3 ♦ Vx ou littér. Corrompre; rendre mauvais. « Ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain » (Rousseau). — Relig. Damner (⇒ perdition).
4 ♦ Mettre hors du bon chemin pour se débarrasser de. ⇒ égarer. Le Petit Poucet fut perdu dans la forêt par ses parents.
III ♦ SE PERDREv. pron.(XVIe).
1 ♦ Être réduit à rien; cesser d'être. Rien ne se perd, rien ne se crée.
♢ Être perdu; cesser de se manifester, d'exister. Les traditions se perdent peu à peu. ⇒ disparaître. Le sens de ce mot s'est perdu. « La noblesse se conquiert par l'épée et se perd par le travail » (Hugo).
2 ♦ Être mal utilisé, ne servir à rien. « Il est absurde que cette énorme somme d'énergie s'évapore ainsi, se perde dans l'espace » (Duhamel). (Avec ellipse de se) Il finit les plats, il ne veut rien laisser perdre. Laisser perdre une occasion. Loc. fam. Il y a des coups de pied au cul qui se perdent, se dit lorsque qqn aurait mérité une correction.
3 ♦ (Aliments) Se gâter, s'avarier. Mange ces pêches, elles vont se perdre. ⇒ s'abîmer. Laisser perdre des fruits.
4 ♦ Cesser d'être perceptible. ⇒ disparaître. « Elle gémit en vain; sa plainte au vent se perd » (La Fontaine). — « La plaine, en bas, se prolongeait, perdue dans les vapeurs de la nuit » (Flaubert). — Par métaph. Les origines de la vie se perdent dans la nuit des temps. Rivière qui va se perdre sous terre. ⇒ s'enfoncer, s'engloutir, s'engouffrer. « Les vertus se perdent dans l'intérêt comme les fleuves se perdent dans la mer » (La Rochefoucauld).
5 ♦ (Personnes) S'égarer, ne plus retrouver son chemin. ⇒ se fourvoyer, fam. se paumer. Se perdre dans un labyrinthe, en forêt, dans une ville inconnue. Un enfant qui s'est perdu. « Nulle part, dans la plaine où le regard se perd » (Hugo).
♢ Fig. Se perdre dans les détails. ⇒ s'embrouiller, se noyer. Se perdre en conjectures.
♢ Être incapable de comprendre, ne voir plus clair dans. L'intrigue est trop compliquée, on s'y perd. « Plus je sonde l'abîme, hélas ! plus je m'y perds » (Lamartine ).
6 ♦ Appliquer entièrement son esprit à (un objet) au point de n'avoir conscience de rien d'autre. ⇒ s'absorber, se plonger. Se perdre dans la contemplation de qqch. Se perdre dans une rêverie, dans ses pensées. ⇒ s'abîmer.
7 ♦ Causer sa ruine. « tu te perdras par le bonheur comme d'autres se perdent par le malheur » (Balzac). — Vieilli Devenir mauvais, corrompu. « Il se perdait avec une femme mariée » (Flaubert).
⊗ CONTR. Acquérir, 1. avoir, conquérir, conserver, détenir, emparer (s'), gagner, garder, obtenir, posséder, récupérer, regagner, retrouver, sauver, trouver. Suivre, voir. Bénéficier, profiter, utiliser.
● Perdre ne tirer aucun bénéfice, aucun avantage de quelque chose : Il perd à être connu.
perdre
v.
aA./a v. tr.
rI./r être privé de la disposition, de la possession, de la présence de qqn, de qqch.
d1./d Cesser de posséder, d'avoir à soi, près de soi ou à sa disposition: (un bien, un avantage). Perdre son argent, ses biens, sa place.
— (une partie de soi, de son corps). Perdre un bras, un oeil.
— (un caractère essentiel, une qualité, un comportement, etc.). Perdre sa gaieté. Perdre l'habitude de fumer. Argument qui perd de sa force.
— (qqch qui a été égaré, oublié). Perdre une adresse, son stylo, son chien.
— (qqn que l'on ne retrouve plus). Enfant qui a perdu ses parents dans la foule.
d2./d être quitté par (qqn). Perdre un ami, un adjoint.
|| être privé de (qqn) par la mort. Perdre ses parents.
d3./d Cesser de suivre; laisser échapper (qqch). Perdre son chemin.
|| Perdre qqn, qqch de vue, ne plus le voir, ne plus en entendre parler.
|| Absol. Le tonneau perd, fuit.
d4./d Mal employer (qqch). Perdre son temps.
d5./d N'avoir pas le dessus dans (une compétition, un conflit, etc.). Perdre la partie, une bataille, un procès.
rII./r
d1./d Ruiner, discréditer.
d2./d Vieilli Pervertir.
aB./a v. Pron. être perdu, en train de se perdre.
d1./d Cesser d'exister. Usages qui se perdent.
d2./d Disparaître. Se perdre dans la foule.
|| Fig. Se perdre dans la rêverie, s'y absorber.
d3./d S'égarer. Se perdre dans une forêt.
|| Fig. S'embrouiller, s'embarrasser, ne plus s'y reconnaître. On me demande d'accomplir tant de formalités que je m'y perds.
|| Fig. Se perdre en conjectures: faire en vain toutes les suppositions possibles.
⇒PERDRE, verbe trans.
I.— [Le compl. d'obj. dir. désigne un animé]
A.— Empl. trans.
1. Être privé provisoirement ou définitivement de.
a) Être séparé d'une personne par la mort. Perdre ses enfants, son père; perdre beaucoup de monde dans un combat. Vous n'aurez guère perdu que soixante hommes, vous aurez les six pièces qu'ils ont placées là... Vous les tournerez du côté de Reims... À onze heures... onze heures et demie la position sera à nous (VIGNY, Serv. et grand. milit., 1835, p. 197) :
• 1. Ainsi celui qui aime tend à imiter l'objet aimé. Plus encore, l'enfant qui a perdu une mère aimée, tend à s'identifier à la mère morte. Peu importe que l'objet soit un objet d'hostilité : on imite son ennemi, en le combattant, dans cela même que l'on combat.
MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 67.
b) Ne plus avoir auprès de soi la présence d'un être cher. Je ne voulais rien prendre au sérieux; je ne touchais aux idées et aux êtres qu'avec précaution, me tenant toujours prêt à les perdre, pour ne pas souffrir si je les perdais (MAUROIS, Climats, 1928, p. 143) :
• 2. Quand une femme perd son mari, c'est sa faute! Si Jérôme avait trouvé dans ta société ce qu'il demande sans doute ailleurs, tu n'aurais pas à courir après lui, ma belle!
MARTIN DU G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 607.
— Locution proverbiale, p. plaisant. [Se dit pour consoler qqn de la perte d'un amoureux, d'une amoureuse] Un(e) de perdu(e), dix de retrouvé(e)s.
c) Perdre de vue, des yeux un être vivant.
) Cesser d'apercevoir. Fabrice s'approcha du cheval et passa la bride dans son bras gauche, sans perdre de vue le soldat qui s'éloignait lentement (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 62) :
• 3. ... elle fit un appel à son énergie, et, rasant les murailles en talus des gigantesques édifices, elle parvint à ne pas perdre de vue le jeune hébreu, qui tourna l'angle de l'immense enceinte de briques du palais, et s'enfonça à travers les rues de Thèbes.
GAUTIER, Rom. momie, 1858, p. 273.
) Oublier, ne plus fréquenter quelqu'un; ne plus lui porter d'intérêt. Est-elle donc si difficile à connoître, la destination première de l'homme? Si cette découverte étoit impossible à la raison, Dieu nous auroit perdus de vue (SAINT-MARTIN, Homme désir, 1790, p. 126). Je le perdis de vue vers 1805, 1806, 1807 et 1808 (DELÉCLUZE, Journal, 1828, p. 487). [Avec ell. de vue] Rien n'est plus éloigné de lui [l'écrivain américain] que l'idée de collège ou de cléricature; on le fête un temps, puis on le perd, on l'oublie (SARTRE, Sit. II, 1948, p. 203).
— Empl. pronom. Pour moi je crois y retrouver le vœu d'un être qui, jamais ne se perdant de vue, cherche comme par instinct à vivre dans les autres encore plus que dans lui-même (DUSAULX, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 242).
d) Ne plus réussir à retenir la confiance, à conserver la fidélité de. Perdre un ami, ses adhérents, sa clientèle, ses électeurs. Le Figaro, dans l'aventure, ne perdit pas un lecteur. De même, par la suite, le Journal ne devait pas perdre un lecteur, ni un abonné, quand il fut mis sur la sellette dans la personne de son infortuné directeur Charles Humbert, sénateur (L. DAUDET, Brév. journ., 1936, p. 22) :
• 4. Si l'une d'elles avait un mouvement d'impatience ou se montrait trop satisfaite d'une bonne réponse, les demoiselles Poupon perdaient des élèves, elle perdait sa place.
SARTRE, Mots, 1964, p. 65.
2. Causer la perte de.
a) Causer la mort de, faire périr. Ce qui perd le lièvre, ce sont ses ruses. S'il ne faisait que courir droit devant lui, il serait immortel (RENARD, Journal, 1900, p. 623). J'honore mes parents, je perds nos ennemis (MORÉAS, Iphigénie à Aulis, 1903, p. 251)
b) Conduire quelqu'un à sa perte; déconsidérer, déshonorer. Quant à la pauvre princesse je me dispense de la plaindre (...) C'est elle qui a perdu son fils en l'idolâtrant à deux genoux (FEUILLET, Journal femme, 1878, p. 226) :
• 5. Je pense que l'archiduchesse craint le rayonnement d'une reine invisible et que, non content de répandre sur elle des ordures (...) d'exciter nos groupes et de les pousser au crime, vous projetez de l'attirer dans sa capitale, de la perdre, de l'humilier, de l'exaspérer, de la pousser à bout, de la mettre hors d'elle-même, de la faire passer pour folle...
COCTEAU, Aigle, 1946, III, 2, p. 392.
♦ Perdre d'honneur, de réputation. Elle se moque de toutes les femmes qui sont laides, et perd de réputation celles dont la beauté lui porte ombrage. Elle a de l'esprit comme un petit diable (FIÉVÉE, Dot Suzette, 1798, p. 142).
♦ Perdre qqn auprès, dans l'esprit de qqn. Un cercle de curieux se forma autour de madame Laure et de Crainquebille, qui échangèrent encore plusieurs injures (...). Mais cette scène acheva de perdre Crainquebille dans l'esprit du faubourg Montmartre (A. FRANCE, Crainquebille, 1904, p. 44).
c) Pervertir, corrompre. Il n'est pas rare qu'en méprisant trop les hommes on les corrompe, et qu'en se défiant trop des femmes on les perde (FEUILLET, Camors, 1867, p. 72) :
• 6. Reconnaissant le même Dieu que les Musulmans, fondant leur croyance sur les mêmes livres, admettant comme eux un premier homme qui perd tout le genre humain en mangeant une pomme...
VOLNEY, Ruines, 1791, p. 148.
d) Troubler au point de faire perdre la maîtrise de soi. Je rouvris les yeux et je vis qu'elle me regardait; ce regard me perdit. — Oui, monsieur, répondis-je dans mon trouble (A. FRANCE, Livre ami, 1885, p. 175).
e) Égarer quelqu'un volontairement ou non. Ne vaudrait-il pas mieux ne plus le voir, l'abandonner, le perdre dans les rues, ou se sauver soi-même très loin, si loin, qu'il n'entendrait plus jamais parler de rien, jamais! (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, M. Parent, 1886, p. 603).
B.— Empl. pronom.
1. Causer sa propre perte matérielle ou morale. Se perdre de réputation. Ta fille se meurt, c'est fort bien; mais ta femme se perd, c'est autre chose (SAND, Jacques, 1834, p. 265). Un homme (...) n'est jamais que l'expression d'une idée. C'est par elle qu'il se fortifie ou se perd (PROUDHON, Révol. soc., 1852, p. 60).
— RELIG. Tomber en état de perdition. « Là où Dieu vous appelle, il faut monter », avait dit l'autre. Il était appelé. « Monter ou se perdre! » Il était perdu (BERNANOS, Soleil Satan, 1926, p. 142).
2. Ne plus retrouver le chemin; s'égarer. Ce fourré (...) cachait, comme tous les halliers bretons, un réseau de ravins, de sentiers et de chemins creux, labyrinthes où les armées républicaines se perdaient (HUGO, Quatre-vingt-treize, 1874, p. 99).
— Au fig. Dans la forêt enchantée du Langage, les poètes vont tout exprès pour se perdre, et s'y enivrer d'égarements (VALÉRY, Variété IV, 1938, p. 245).
3. Se confondre avec le milieu environnant au point d'échapper aux regards. Elle disparaît, il ne reverra plus, plus jamais, son visage. Et il a le cœur serré comme si celle qui se perdait dans la foule était une inconnue belle et coupable qui disparût couverte de son désir (MONTHERL., Bestiaires, 1926, p. 479).
♦ Se perdre dans la foule. Retourner à l'anonymat. Et plus tard, quand l'autocratie achève d'écraser sous ses ruines l'aristocratie, quand l'ouvrier est séparé de l'ouvrier par la mort des corporations, l'artiste se perd dans la foule, qui l'ignore, ou le méconnaît (FAURE, Hist. art, 1921, p. 11).
4. Au fig. Se perdre dans, en
a) Avoir du mal à comprendre ou à expliquer clairement; s'embrouiller. À tout cela, Mitonneau avait répondu par des faux-fuyants, des phrases dans lesquelles il s'était embrouillé, perdu (KOCK, Compagn. Truffe, 1861, p. 204).
♦ Je m'y perds, on s'y perd. Ne plus savoir où on en est; n'y comprendre plus rien. L'histoire des rapports de ces deux pays, Italie et Flandre, est curieuse : elle est longue, elle est diffuse; ailleurs on s'y perdrait; ici, je vous l'ai dit, on la lit couramment (FROMENTIN, Maîtres autrefois, 1876, p. 12).
♦ Se perdre dans les détails. S'appliquer aux détails au détriment de l'essentiel. Pour l'empêcher de se perdre dans les détails, pour rendre un peu de vie à une interprétation « traditionnelle » à l'excès, il ne faudrait qu'un grand chef d'orchestre (P. LALO, Mus., 1899, p. 346).
♦ Se perdre dans les nuages, dans les nues. S'égarer dans les digressions, les rêves. Quand Mme Necker était sur le sentiment avec M. Thomas il n'y avait plus moyen de les suivre. Elle se perdait dans les nues, on ne pouvait les suivre et l'on se rappelait alors l'estampe où l'on ne voit que les 4 petits pieds (CHÊNEDOLLÉ, Journal, 1809, p. 46).
♦ Se perdre en conjectures, en considérations. Émettre de nombreuses hypothèses et n'en retenir aucune. Si notre vie manque de soufre, c'est-à-dire d'une constante magie, c'est qu'il nous plaît de regarder nos actes et de nous perdre en considérations sur les formes rêvées de nos actes, au lieu d'être poussés par eux (ARTAUD, Théâtre et son double, 1938, p. 13).
b) S'absorber entièrement dans; s'intégrer à un milieu, se livrer à une action, s'enfermer dans une conviction au point d'y sacrifier sa personnalité. Se perdre dans ses pensées. Assis sur un tronc de pin, au milieu d'une lande, dans l'étourdissement du soleil et des cigales, ivre à la lettre d'être seul, je ne pouvais pourtant pas supporter cette confrontation avec moi-même à laquelle j'avais tant aspiré, et ne me retrouvais que pour me perdre, pour me dissoudre dans la vie universelle (MAURIAC, Commenc. d'une vie, 1932, p. 51). Le trait de génie de Hitler (...) ç'a été de fournir chaque Allemand (...) d'un uniforme (...) de retrouver enfin cette discipline (...) où il se perd et se fond avec un sentiment d'anéantissement et de transfiguration de soi-même (ARNOUX, Contacts all., 1950, p. 80).
♦ Se perdre en Dieu. S'unir à la divinité par la contemplation. Si réduite que soit dans ceci la part de la danse, elle n'en exerce pas moins une action sur l'état auquel son association à la voix, et surtout à la sainteté des syllabes émises dans le souffle, doit conduire le récitant animé du désir de se perdre en Dieu (CUISINIER, Danse sacrée, 1951, p. 100).
II.— [Le compl. d'obj. dir. désigne un inanimé]
A.— Empl. trans.
1. Être privé provisoirement ou définitivement de.
a) [En parlant d'un bien]
) Ne plus en avoir la jouissance.
— [La perte est d'ordre matériel] Synon. être dépouillé de. Perdre sa couronne, son siège, son trône. Sais-tu pas qu'il ne faut jamais interrompre les gens qui ont accoutumé d'être brefs; et tel qui coupe les chiens des autres perd sa chasse (TOULET, Mariage Don Quichotte, 1902, p. 149) :
• 7. Dire : « J'ai perdu ma place », ce me paraissait encore assez facile. La phrase est courte, simple, décisive, elle ne me semblait pas impossible à prononcer. J'entrevis même plusieurs façons de me délivrer de ce premier aveu. Je pouvais, par exemple, m'asseoir d'un air navré — un air que je n'aurais pas eu besoin de feindre, je vous assure — et dire, à voix basse : « Maman, j'ai perdu ma situation ».
DUHAMEL, Confess. min., 1920, pp. 24-25.
♦ Proverbe. Qui va à la chasse, perd sa place.
— [La perte est de l'ordre des principes (moraux, philosophiques, etc.) ou du sentiment] Perdre son crédit, ses droits; perdre la confiance, l'estime, la faveur de qqn; perdre la grâce; perdre l'honneur. Quand elle le pourrait, une nation ne doit pas se mettre dans les entraves d'une forme positive. Ce serait s'exposer à perdre sa liberté sans retour (SIEYÈS, Tiers état, 1789, p. 69). Le duc : (...) que je perde mon nom, si vous me proposez quelque chose que je n'accepte (DUMAS père, Mlle de Belle-Isle, 1839, IV, 2, p. 75).
) Ne plus avoir en sa possession.
— Perdre une bague, des billets, un porte-monnaie, un trousseau de clés. Synon. égarer. La Saussaye perdit son étui à cigarres [sic] dont il est inconsolable (...). Il a encore perdu la voix que j'ai vainement essayé de lui rendre hier en lui faisant manger des piments (MÉRIMÉE, Lettres Delessert, 1870, p. 89). Elle resta le regard au loin, comme en suspens. C'est terrible comme on perd les choses en vieillissant (BEAUVOIR, Invitée, 1943, p. 63).
— [En parlant d'une somme d'argent] Isabelle : Cristina a perdu toute sa fortune! Manuel : Quoi? Isabelle : La banque où elle avait son argent à Buenos-Aires a fait de mauvaises affaires et elle est ruinée! (BOURDET, Sexe faible, 1931, III, p. 463). Hélas! Je ne saurais pas me ruiner! Je n'arriverais jamais à perdre mon argent! (MAURIAC, Nœud vip., 1932, p. 232).
♦ Absol. [P. allus. à la fable de La Fontaine, Le Héron, VII, 5] On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
♦ P. métaph. Perdre son âme (au jeu).
♦ Empl. intrans. Perdre sur (qqc.); perdre à (faire) qqc.; perdre sur la marchandise; j'y perds!
Au fig. [En parlant de la dépréciation d'une valeur] Poussin perd beaucoup au voisinage de Lesueur. La grâce est une muse qu'il n'a jamais entrevue (DELACROIX, Journal, 1851, p. 438).
— Loc. div.
♦ Avoir tout à perdre. Être exposé à l'échec ou à la faillite sans espoir de contrepartie. Il faut revenir de bonne foi aux idées vulgaires de sagesse et d'honneur; une femme a tout à perdre en les oubliant (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 400).
♦ N'avoir (plus) rien à perdre. N'être exposé à rien de fâcheux ou en être arrivé aux solutions extrêmes. — (...) Moi qui ne suis qu'un modeste découvreur d'affaires, je possède autrement d'audace. — Vous n'avez rien à perdre (MIOMANDRE, Écrit sur eau, 1908, p. 112). N'avoir rien à perdre et avoir tout à gagner. V. gagner I B 2 a ex. de Céline.
♦ Vous ne perdez rien pour attendre. [Formule de menace qui laisse entendre une vengeance prochaine] Henriette était noire de colère, ses yeux carrés brûlaient les passants, les tramways, le ciel gris sur lesquels ils se posaient, — mais elle ne perd rien pour attendre, cette petite traînée (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 137).
♦ Perdre au change.
b) Ne plus avoir, en partie ou totalement, momentanément ou définitivement.
) [P. réf. à l'intégrité physique ou morale d'un être vivant]
— [La perte est d'ordre matériel ou physique] Perdre ses cheveux, ses dents, un œil, son sang; perdre des kilos, du poids; perdre la voix; perdre haleine, la respiration, le souffle, l'appétit, le repos, le sommeil, l'odorat, la vue, ses forces, la santé, la vie, ses couleurs, son teint; perdre sa peau, ses plumes, ses poils; perdre ses feuilles, son parfum. Une enfant de seize ans qui t'aime depuis trois mois à en perdre le boire et le manger, et qui se désole de n'avoir pas encore obtenu le plus distrait de tes regards (BALZAC, Cous. Bette, 1846, p. 379). Je ne me suis pas occupé de Frédéric. Je ne suis pas chargé de lui faire perdre son pucelage (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p. 185).
— [La perte est d'ordre intellectuel] Perdre la boule (fam.), perdre la boussole (fam.), perdre la conscience, l'équilibre, l'esprit, le jugement, la mémoire, perdre le nord (fam.), perdre la notion, la raison, la tête. On sectionne les canaux semi-circulaires d'un pigeon, il perd le sens de l'orientation et de l'équilibre, on le voit chanceler et, hagard, tourner indéfiniment sur lui-même (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945 p. 50).
♦ Loc. fam. Perdre les pédales. V. pédale B 2 a.
— [La perte concerne une façon d'être] Perdre confiance, connaissance, contenance, courage; perdre espoir (tout espoir n'est pas perdu); perdre la face, sa fierté, la force, le goût de; perdre l'habitude, son orgueil, son sang-froid. Vers les derniers jours de juin, Coupeau perdit sa gaieté (ZOLA, Assommoir, 1877, p. 418). Quel est celui qui détient un secret pour ne pas perdre cœur? (MAURIAC, Journal 2, 1937, p. 130).
♦ Absol. Quand je l'ai revue chez Véron, il y a deux ou trois ans, elle avait perdu beaucoup, mais elle avait encore un certain charme (DELACROIX, Journal, 1853, p. 128).
) [P. réf. aux éléments constitutifs ou à la qualité d'une chose]
— Perdre une plaque minéralogique, un pot d'échappement, une roue (en parlant d'une auto). Perdre une pièce, une vis (en parlant d'un appareil). Perdre ses poils (en parlant d'une brosse, d'une fourrure).
♦ Perdre son eau. Nous avons exposé (...) que le grain de Portland au moment de son contact avec l'eau s'entourait d'une pâte gluante ayant le caractère d'une gelée colloïdale, un hydrogel. Cette gelée est onctueuse et perd difficilement son eau (CLÉRET DE LANGAVANT, Ciments et bétons, 1953, p. 85).
— Perdre son élasticité, sa force, sa puissance, sa vitesse, son volume. Elle montrait un cachemire jaune à petits pois noirs; chacun de ces pois perdait sa couleur et devenait une minuscule violette persane (GIONO, Angelo, 1958, p. 129). En effet, certains virus peuvent être obtenus à un état de pureté très avancée : virus obtenus sous une forme cristalline, sans perdre leur pouvoir pathogène (QUILLET Méd. 1965, p. 189).
— Perdre (de) son intérêt, son sens, sa signification, sa tenue, sa valeur. Si le parallélisme (pincement ou ouverture) n'est pas correct, la direction perd de ses qualités et les pneus s'usent (CHAPELAIN, Techn. automob., 1956, p. 237). Dans la mesure où il apparaît que cette destruction ne pourrait être que réciproque, ce concept perd sa raison d'être (BEAUFRE, Dissuasion et strat., 1964, p. 45).
♦ Empl. abs. Maintenant le diamant perd tous les jours, le Brésil nous en accable depuis la paix, et jette sur les places des diamants moins blancs que ceux de l'Inde (BALZAC, Gobseck, 1830, p. 413).
♦ MARINE
La marée perd. La marée décroît en amplitude. Il jugea donc à propos d'attendre le jour et de rester à l'ancre : mais la marée perdant beaucoup plus qu'on ne l'avait présumé, les chaloupes restèrent à sec à trois heures du matin (Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. XLII). La mer perd. La mer se retire du fait de la marée. Un bateau perd. Il se fait remonter par un concurrent.
Empl. intrans. Perdre en vent. S'éloigner de plus en plus de la direction du vent.
c) [En parlant du champ d'activité des sens et de l'intelligence] Cesser de percevoir, d'appréhender, de contrôler. Perdre son chemin, le contact, le fil (d'un discours), sa route, la trace (en parlant d'animaux), la piste, la voie; ne pas perdre un mot; ne rien perdre de (qqc., un discours, un entretien, un spectacle, etc.). La discussion continua. Meaulnes n'en perdait pas une parole (ALAIN-FOURNIER, Meaulnes, 1913, p. 90). Les jeunes ne savent pas que l'expérience est une défaite et qu'il faut tout perdre pour savoir un peu (CAMUS, Env. et endr., 1937, p. 44).
♦ Perdre de vue (qqc.). Ne plus apercevoir (un objet); au fig., ne pas tenir compte de quelque chose; le négliger. Lorsqu'on perd de vue les jouissances célestes, il est tout simple qu'on s'attache de plus en plus aux seuls biens qui vous restent, ceux de ce monde (TOCQUEVILLE, Corresp. [avec Gobineau], 1843, p. 58).
♦ Perdre pied. Ne plus pouvoir toucher le fond de l'eau avec ses pieds; au fig., être dépassé par la situation. Il perd pied dans l'abstrait et se raccroche à des images (GIDE, Journal, 1946, p. 300).
♦ MAR. Perdre terre. Ne plus voir la terre; au fig., ne plus vivre au contact des réalités :
• 8. C'est là que, s'envolant lui-même aux cieux, Voltaire,
Se sentant devenir sublime, a perdu terre,
Disant : Je vois! ainsi qu'un prophète ébloui.
HUGO, Art d'être gd-père, 1877, p. 276.
d) [En parlant d'une épreuve, d'une compétition, d'un combat, d'un jeu, etc.] Faire la preuve de son infériorité; cesser de maintenir un avantage, une supériorité. Perdre son avance, l'avantage, une bataille, une cause, une course, la guerre, une manche, un match, un pari, son procès, la suprématie.
♦ Perdre la partie :
• 9. « L'essentiel, écrit Roger Caillois, parlant de la guerre courtoise, est de bien jouer, de combiner ingénieusement les manœuvres de façon à persuader l'adversaire qu'il a perdu la partie ». Clausewitz a montré qu'à cette époque on perdait souvent la bataille faute d'avoir engagé les troupes disponibles.
Jeux et sports, 1967, p. 784.
— Perdre du terrain. Reculer devant la pression ennemie; céder à un concurrent une partie de l'avance qu'on avait sur lui; augmenter la distance qui nous sépare de quelqu'un. Le père Dubreuil fermait la marche et perdait du terrain (VERCEL, Cap. Conan, 1934, p. 198).
♦ Au fig. Être en recul. La réalité perd du terrain devant le rêve (SAINT-EXUP., Terre hommes, 1939, p. 220).
— Absol. Je parie qu'on n'a plus entendu parler de lui. Vous avez perdu (...) l'on a beaucoup parlé de lui (A. FRANCE, Crainquebille, 1904, p. 65). Jouer à qui perd gagne (v. gagner I B b).
— Empl. intrans. Ne pas obtenir le gain escompté. Perdre au jeu; perdre sur parole. Rien n'est plus naturel, aujourd'hui, que de voir des gens travailler du matin au soir et choisir ensuite de perdre aux cartes, au café, et en bavardages, le temps qui leur reste pour vivre (CAMUS, Peste, 1947, p. 1218).
e) Ne pas pouvoir garder à sa place; laisser échapper. Perdre ses bas, sa culotte, son pantalon. Un autre jour passait encore et M. Lavoine chuintait, comme s'il eût perdu son dentier. Il avait peut-être, en effet, perdu son dentier (DUHAMEL, Suzanne, 1941, p. 225) :
• 10. Nous planterons des fleurs et danserons en rond
Jusqu'à l'heure où j'aurai perdu ma jarretière
Le roi sa tabatière
L'infante son rosaire
Le curé son bréviaire.
APOLL., Alcools, 1913, p. 86.
♦ Absol. Synon. de fuir. Le fût perd; la chambre à air perd. Les conduits de la source « perdaient », et l'eau égarée en chemin n'arrivait plus jusqu'à la fontaine (ARÈNE, Veine argile, 1896, p. 258).
2. Causer la perte de.
a) Causer de graves dommages matériels; compromettre de façon irrémédiable. Ce qui est fort triste, c'est la gelée qui a perdu les vignes de ce pauvre petit endroit et qui risque de compromettre la récolte en fruits (DELACROIX, Journal, 1854, p. 177).
b) Gâcher, gaspiller. Perdre son année; perdre une journée; perdre une/l'occasion de; perdre sa peine, son temps; il n'y a pas un instant à perdre.
♦ (Y) perdre son latin. Perdre son temps, ne rien comprendre. Toute l'histoire idéaliste de la philosophie perd son latin entre tant de rigueur formelle et de contingence matérielle (NIZAN, Chiens garde, 1932, p. 33) :
• 11. Comment croire que la gouvernante, d'ailleurs jusque-là irréprochable, eût couru un tel risque pour le seul avantage de perdre le bénéfice d'une mesure avantageuse?
BERNANOS, Crime, 1935, p. 798.
♦ Absol. Se priver d'une occasion, d'une possibilité avantageuses. Vous avez bien perdu en n'étant pas là.
B.— Empl. pronom.
1. Être réduit à rien; aller à sa perte, être détruit. Rien ne se perd, rien ne se crée; les parfums se perdent; illusions qui se perdent. Des richesses inouïes en statues, en tableaux, en objets d'art de toute sorte, se perdront sans profiter à personne (GAUTIER, Tra los montes, 1843, p. 53).
— MAR. [En parlant d'un navire] Se perdre (corps et biens). Sombrer. C'est mauvais signe quand la bouteille ne se brise pas (...) j'ai vu bénir un grand bateau. La bouteille (...) ne se cassa pas. Le bateau se perdit à son premier voyage (A. FRANCE, P. Nozière, 1899, p. 238).
2. Tomber en désuétude; cesser d'être pratiqué, aller en s'affaiblissant. Habitudes, traditions, usages qui se perdent; le sens de tel mot s'est perdu. L'on a dit et répété de toutes parts que le goût des courses de taureaux se perdait en Espagne (GAUTIER, Tra los montes, 1843 p. 72) ):
• 12. Un ancien fabricant de chapeaux, vieillard de soixante-dix ans (...) fouilla le passé des Rougon. Il parla vaguement, avec les hésitations d'une mémoire qui se perd, de l'enclos des Fouque, d'Adélaïde, de ses amours avec un contrebandier.
ZOLA, Fortune Rougon, 1871, p. 256.
♦ Fam. Il y a des coups de pied, des gifles qui se perdent. Certains mériteraient coups de pied et gifles.
3. Se perdre dans, en, au milieu de, sous
a) Disparaître (aux regards); échapper à la saisie de nos sens. Route qui se perd au loin; fleuve qui se perd dans la mer; cours d'eau qui se perd sous la terre; voix qui se perdent dans la foule. Le bonheur dans les champs a besoin de bonté. Tout se perd dans le bruit d'une vaste cité (DELILLE, Homme des champs, 1800, p. 53) :
• 13. Ils montèrent vers cet A majuscule d'Avignon, qu'est le palais des papes; leur regard cherchait la fin des formidables verticales se perdant dans le ciel.
TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 59.
b) P. métaph. Ne plus parler à la mémoire. Se perdre dans la nuit des temps. Mais cette miséricorde divine qui se perd dans les mystères de l'infini, et qui est la plus douce joie d'une ame pieuse, la console et ne l'égaie pas, car dans la religion tout est grave, jusqu'au bonheur (COTTIN, Mathilde, t. 2, 1805, p. 241).
Prononc. et Orth. :[], (il) perd []. Homon. (il) perd : pair, paire, père, pers. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Trans. et intrans. A. 1. Fin IXe s. trans. « être privé d'une partie de soi-même, d'une faculté ou d'une qualité propre à la personne » (Eulalie, 17 ds HENRY Chrestomathie t. 1, p. 3 : qu'elle perdesse sa uirginitet); ca 1100 perdre le sens « perdre la raison » (Roland, éd. J. Bédier, 305); 2. a) 2e moitié Xe s. trans. « être privé de la jouissance d'un avantage ou d'un bien » (St Léger, éd. J. Linskill, 161); b) ca 1100 id. « cesser d'avoir un avantage, une supériorité » (Roland, 1090); ca 1770 perdre du terrein ici fig. (J.-J. ROUSSEAU, Confessions, IX ds Œuvres compl., éd. B. Gagnebin, R. Osmont, M. Raymond, t. I, p. 420); c) 1130 intrans. « ne pas obtenir le gain, le profit escompté » estre perdant (Lois Guillaume, éd. Matzke, 38); en partic. 1269-78 trans. « subir une perte d'argent » (JEAN DE MEUN, Rose, éd. Lecoy, 9049); 1288 un perdant part. prés. subst. « celui qui perd au jeu, dans une compétition » (JEAN DE JOURNY, Dîme de pénitence, éd. Breymann, 2630); 1680 intrans. « être privé d'une satisfaction qu'on aurait pu avoir » (Mme DE SÉVIGNÉ, Corresp., éd. R. Duchêne, II, p. 840); 3. a) ca 1050 « être privé de quelqu'un par la mort » (Alexis, éd. Chr. Storey, 106); b) mil. XIIe s. « être privé de la présence, de l'amitié de quelqu'un » (Épître de St Etienne, 54 ds Alt. fr. Übungsbuch, éd. W. Foerster et E. Koschwitz, p. 172); 4. a) ca 1165 trans. « cesser de percevoir par les sens, d'appréhender par la pensée, de maintenir un rapport avec quelqu'un ou quelque chose » perdre terre « perdre de vue la terre » (BENOÎT DE STE-MAURE, Troie, éd. L. Constans, 5067; ca 1220 perdre le voie (Huon de Bordeaux, éd. P. Ruelle, 5570); b) 1538 perdre de vue (EST.); ca 1660 fig. (BOSSUET, Préf. instr. past. de Cambrai, 6 ds LITTRÉ, s.v. vue); 5. a) 1678 intrans. « (d'un inanimé) diminuer de valeur, de qualité » perdre de son prix (LA FONTAINE, Fables, XI, IV, 36 ds Œuvres, éd. H. Régnier, III, p. 122); en partic. 1859 mar. la mer Perd [...] les marées Perdent (BONN.-PARIS); 1797 « laisser échapper son contenu, fuir » (Voy. La Pérouse, t. 4, p. 27 : le fond perd rapidement et n'est réellement vivable que dans un petit espace); b) 1797 trans. « (d'un inanimé) cesser d'avoir un élément, un caractère [...] qui lui est inhérent » (ibid., t. 3, p. 182 : conserver sa robe qui perdit bientôt tout son éclat). B. 1. Ca 980 trans. « pervertir, corrompre quelqu'un » (Jonas, éd. G. de Poerck, verso 18, p. 44, ligne 173); en partic. 1190 s'ame pert (Renart, éd. M. Roques, br. VIII, 8063); 2. a) ca 1100 id. « gâcher, gaspiller quelque chose par le mauvais usage qu'on en fait » (Roland, 1054); en partic. ca 1200 en rapport avec le temps (JEAN BODEL, Saxons, éd. F. Menzel et E. Stengel, 586); b) 1690 id. « endommager quelque chose d'une manière irréparable » (FUR.); en partic. 1694 la nielle a perdu les bleds (Ac.); 3. a) 1546 id. « conduire quelqu'un à sa perte » (La Bible, s.l., impr. J. Gérard, Deuter., IX, f° 69 : il les destruira [...] et les dechassera et perdra); en partic. 1642 « faire périr, tuer quelqu'un » (CORNEILLE, Pompée, II, 4); b) 1651 id. « perdre une personne auprès de quelqu'un » (ID., Nicomède, IV, 2); 4. 1680 id. « égarer volontairement quelqu'un » (RICH.). II. Pronom. A. 1. a) Ca 1170 « causer sa propre ruine » (MARIE DE FRANCE, Lais, éd. J. Rychner, Bisclavret, 56); b) ca 1500 « causer sa propre mort » (PHILIPPE DE COMMYNES, Mém., éd. J. Calmette, I, p. 34); 2. XIIIe s. [ms.] « sortir, s'écarter du bon chemin » en la forest se perdirent (CHRÉTIEN DE TROYES, Perceval, 42988 ds T.-L.); 3. 1546 « avoir du mal à se retrouver, à se reconnaître dans une chose complexe » (RABELAIS, Tiers Livre, éd. M. A. Screech, IV, p. 51, ligne 103); d'où 1698 je m'y perds (BOSSUET, Lett. quiét., 404 ds LITTRÉ); 1810 se perdre en conjectures (STAËL, Allemagne, t. 5, p. 67); 4. 1694 théol. « s'unir à la divinité par la contemplation » se perdre en Dieu (BOSSUET, Rép. aux diff. de Mme de la Maisonfort ds LITTRÉ). B. 1. Ca 1350 « cesser d'être pratiqué » ici en parlant d'un métier (GILLES LE MUISIS, Li Estas des princes et des nobles ds Poésies, éd. Kervyn de Lettenhove, I, 292); 2. ca 1500 « cesser d'exister, se terminer, finir » (PHILIPPE DE COMMYNES, op. cit., II, p. 14); en partic. 1606 « (en parlant d'un navire) faire naufrage » (NICOT); 3. a) 1538 « (d'une rivière) disparaître dans la terre » (EST.); b) 1636 « (d'une personne) cesser d'être perçu » (TRISTAN, Marianne, V, 3 ds LITTRÉ); 1677 « (d'un inanimé) id. » ma voix s'est perdue (RACINE, Britannicus, II, 2); c) av. 1678 « cesser d'être perçu par la pensée en tant que tel; disparaître en se laissant éliminer par autre chose » (LA ROCHEFOUCAULT, Reflexions ou sentences et maximes morales, CLXXI ds Œuvres, éd. M. D. L. Gilbert, I, p. 100); 4. 1560 « être anéanti, détruit » les pommes se perdoyent (Journal du Sieur de Gouberville, 11.11.60 ds POPPE, p. 93). Du lat. class. « détruire, ruiner, corrompre; employer inutilement; faire une perte, en partic. au jeu ». Fréq. abs. littér. :17 647. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 28 933, b) 23 426; XXe s. : a) 21 536, b) 24 858.
DÉR. 1. Perdable, adj. a) Qui peut être perdu; dont le gain n'est pas assuré. Une partie encore perdable. b) Qui peut se perdre; qui peut causer sa propre ruine matérielle ou morale. En étudiant à fond cette petite machine, qui éclate de temps en temps en éclats de rire d'oiseau, je me demande si ce n'est pas à Paris où il y a le moins de cocus. Cette femme n'a pas de quoi se perdre. Elle n'est perdable ni par l'esprit ni par le cœur ni par le tempérament. Il n'y a pas avec elle de surprise possible de n'importe quoi, de la tête ou du cul. Elle est imprenable, par la nullité, le zoophytisme de son être (GONCOURT, Journal, 1861, p. 938). — []. Att. ds Ac. dep. 1798. — 1res attest. ca 1300 « qui peut se perdre » (Hystoire Job, éd. J. Gildea, 1626) — 1611 (COTGR.), à nouv. ds les dict. à partir de Ac. 1798; de perdre, suff. -able. 2. Perdeur, -euse, subst. Personne qui a la mauvaise habitude de perdre, d'égarer les objets. (Dict. XIXe et XXe s.). Perdeur de temps. Celui qui consacre son temps de loisir à la rêverie, à la flânerie. Travaillant dix heures par jour, mais grand perdeur de temps, s'oubliant en lectures et tout prêt à faire un tas d'écoles buissonnières autour de son œuvre (GONCOURT, Journal, 1860, p. 685). — [], fém. [-ø:z]. — 1res attest. 1388 perdour « celui qui perd » (ROQUES t. I, IV-V, 6268), XVe s. perdeur (Prov. communs ds Le Livre des proverbes fr., éd. Le Roux de Lincy, t. II, p. 146), également cité ds H. ESTIENNE, La Précellence du langage françois [1579], p. 210) — 1660 (OUDIN Esp.-fr.), à nouv. au XIXe s. 1842 (Ac. Compl.); de perdre, suff. -eur2.
BBG. — CHAUTARD Vie étrange Argot 1931, p. 610. — DE GOROG (R.). The Concept to destroy in Old Fr. and the question of synon. Linguistics. La Haye. 1972, n° 93, p. 38. — Dossiers de mots. Néol. Marche. 1979, n° 6, p. 275. — DUB. Pol. 1962, p. 371. — GROSS (M.). La Notion de règle et d'exception. In :[Mél. Mounin (G.)]. Aix-en-Provence, 1976, t. 2, p. 42. — HUG. Lang. 1933, pp. 237-238. — LANLY (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp. 255-256. — LYER (S.). Part. prés. actif avec le sens passif. Archivum Romanicum. 1932, t. 16, p. 303. — QUEM. DDL t. 5, 19. — VERREAULT (C.). Les Adj. en -able en franco-québécois. Trav. de Ling. québécoise. 3. Québec, 1979, annexe 2, § 100; p. 215 (s.v. perdable). — VIVÈS (R.). Perdre... R. québec. Ling. 1984, t. 13, n° 2, pp. 13-58.
perdre [pɛʀdʀ] v. [CONJUG. rendre.]
ÉTYM. Fin IXe, Cantilène de Sainte Eulalie; lat. perdere, dont il a gardé le double sens, actif ou passif.
❖
———
I (Sens passif).
A V. tr. Cesser, provisoirement ou définitivement, d'avoir en sa possession ou à sa disposition (un bien, un avantage).
1 Fin Xe. (Le compl. désigne un bien qui n'est pas inhérent à la personne). Ne plus avoir (un bien). || Perdre ses biens (détruits, pris ou acquis par d'autres). || Perdre sa fortune, une somme d'argent… ⇒ Appauvrir (s'), démunir (se). → Arrhes, cit. 1; attendre, cit. 86; capital, cit. 7; consommer, cit. 1; exciter, cit. 11; 2. frais, cit. 1; gré, cit. 17; malheur, cit. 10. || L'Allemagne semblait avoir tout perdu (→ Désarmer, cit. 11). Abstrait. || Perdre son trône, sa couronne, sa place, sa situation, un avantage (→ Favori, cit. 13; hasard, cit. 5; mot, cit. 27). — ☑ Prov. Qui va à la chasse perd sa place. — Perdre le fruit (cit. 38) de son travail (→ Généralisation, cit. 3). || Perdre un marché (cit. 31). || Perdre de l'argent au jeu (cit. 34 et 35). — Par métaphore. || Jouer (cit. 35) et perdre son âme. — ☑ Prov. Pour un point Martin perdit son âne.
1 (…) ils disent l'argent qu'ils ont perdu au jeu, et ils plaignent fort haut celui qu'ils n'ont pas songé à perdre.
La Bruyère, les Caractères, VII, 10.
1.1 (…) un jour, leur absence (de certains êtres) était révélée par un signe matériel : on perdait sa situation, on perdait de l'argent à la bourse, on perdait le goût du travail, on perdait toujours quelque chose, un peu plus qu'on avait déjà perdu.
M. Aymé, Maison basse, p. 173.
♦ Absolt. || « On hasarde de perdre en voulant trop gagner » (cit. 14, La Fontaine). || Jouer (cit. 29) et perdre (→ Hanneton, cit. 4; mise, cit. 2). — Perdre sur une marchandise : subir une perte.
2 J'avais perdu sur parole, dans une maison de jeu, avec des Portugais. Le lendemain, il fallait donner cet argent (…)
Loti, Mon frère Yves, VIII.
♦ ☑ Loc. (où perdre a pour compl. un indéfini : tout, rien ou est employé absolt, sans compl.). Tout perdre. || Craindre de tout perdre (→ Hasarder, cit. 4; impunément, cit. 11). ☑ Avoir tout à perdre : être exposé à tout perdre sans contrepartie (→ Modeste, cit. 6). || « L'avarice (cit. 5) perd tout en voulant tout gagner ». || « Quand on a tout perdu, quand on n'a plus d'espoir… » (cit. 12, Voltaire). ☑ N'avoir rien à perdre (→ Anticiper, cit. 10; habiller, cit. 3). || N'avoir rien à perdre mais tout à gagner. — ☑ (1836). Vous ne perdez rien pour attendre (formule de menace). — Perdre à… : être lésé, subir un dommage du fait de… ☑ Perdre au change. || Le lecteur ne perdra rien à ignorer ce détail (→ Fragment, cit. 8). || Non, je refuse, j'y perdrais (→ Laver, cit. 4). — Fam. || Tu ne le connais pas ? Tu n'y perds rien !, il ne mérite pas d'être connu. — Le cœur, l'art y perd (→ Félicité, cit. 5; gagner, cit. 16). — Vx. || Perdre de… (et infinitif).
3 (…) si elle (Mme de Bouillon) est innocente, elle perd infiniment de n'avoir pas le plaisir de triompher (…)
Mme de Sévigné, 782, 16 févr. 1680.
4 — C'est le plus admirable des poisons (…) — Le respirer peut être mortel, et, de quelque manière qu'on l'absorbe, s'il ne tue pas immédiatement, vous ne perdez rien pour attendre; son effet est aussi sûr qu'il est caché.
Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques, « Dessous de cartes… ».
5 — Seigneur, laissez-moi retourner maintenant dans mon pays (…)
— Partir ! Tout ce que nous perdrions ! Tout ce que vous perdriez !
— Plutôt perdre que supporter.
Montherlant, la Reine morte, I, 1.
♦ (Le compl. désigne un bien psychologique ou moral). || Perdre l'estime (cit. 10 et 13), la confiance, la faveur, les bonnes grâces… de quelqu'un (→ Considération, cit. 10; dur, cit. 25; indigne, cit. 2). ⇒ Démériter; disgrâce. || Perdre la grâce de Dieu (→ Capacité, cit. 2). || Perdre son crédit (→ Envers, cit. 3), son ascendant (cit. 6), son prestige. || Perdre ses droits (→ Avocat, cit. 6; métropole, cit. 3; ingénu, cit. 3), l'honneur (cit. 10 et 17). || « On a perdu bien peu quand on garde (cit. 45, Voltaire) l'honneur ».
6 (…) si vous ne voulez pas perdre mon estime après avoir perdu mon amitié (…)
Balzac, Mme de La Chanterie, Pl., t. VII, p. 283.
2 Compl. n. de personne. a (V. 1050). Être séparé de (qqn) par la mort. ⇒ Deuil (être en deuil de), perte (I., 1.). || Perdre sa mère, son père, ses enfants (→ Douloureux, cit. 4; épouvante, cit. 8; éteindre, cit. 44; fleur, cit. 24; funérailles, cit. 5; miner, cit. 3). — Spécialt. Avoir (des pertes en hommes, des tués). || L'ennemi avait perdu beaucoup de monde dans la bataille (→ Ligne, cit. 36).
7 On ne perdit dans le passage (du Rhin) que le comte de Nogent et quelques cavaliers qui, s'étant écartés du gué, se noyèrent; et il n'y aurait eu personne de tué dans cette journée, sans l'imprudence du jeune duc de Longueville.
Voltaire, le Siècle de Louis XIV, X.
8 J'avais alors pour voisine une espèce de folle, dont l'esprit s'était égaré sous les coups du malheur. Jadis, à l'âge de vingt-cinq ans, elle avait perdu en un seul mois, son père, son mari et son enfant nouveau-né.
Maupassant, Contes de la Bécasse, « La folle ».
b (Mil. XIIe). Ne plus avoir (un compagnon, un ami, etc.). || « Il faut venger un père et perdre une maîtresse » (→ Animer, cit. 20, Corneille). || « Un soupir… M'aurait déjà guéri (cit. 18, Corneille) de vous avoir perdue ». || Perdre une amie (→ Neutralité, cit. 1).
9 (…) je ne sais pas lequel est le plus cruel, de perdre tout à coup la femme qu'on aime, par son inconstance ou par sa mort.
A. de Musset, Nouvelles, « Frédéric et Bernerette », VIII.
10 J'ai entendu dire qu'on perd une femme pour la trop aimer, qu'une froideur affectée, de temps à autre, réussit mieux.
Montherlant, Pitié pour les femmes, p. 273.
3 (Fin IXe). Cesser d'avoir (une partie de soi, un organe; un caractère inhérent). || Perdre un bras, une jambe, un œil, ses dents, ses cheveux… (→ Fistule, cit.; gagner, cit. 13; manchot, cit. 3). || Perdre ses couleurs, la fraîcheur de son teint (→ Assombrir, cit. 7; hépatite, cit.; farder, cit. 8). || Animaux qui perdent leurs poils, leurs plumes, leur livrée (cit. 11). || Perdre un peu, beaucoup de sang (→ Menstruation, cit.). || Perdre du poids, des kilos : maigrir. || Arbres (cit. 17) qui perdent leurs feuilles. ⇒ Dépouiller (se). || Fleur qui perd ses couleurs et son parfum. ⇒ Passer (→ 1. Fruit, cit. 5). || Perdre la voix, la parole : devenir muet (→ Fasciner, cit. 4). || Oppressé (cit. 2) jusqu'à perdre la respiration, le souffle. || Perdre haleine (cit. 10 et 11). ☑ Perdre l'appétit, le boire et le manger (→ Maladie, cit. 15; maigrir, cit. 1). || Perdre ses forces, sa force. ⇒ Affaiblir (s'). → Jeûne, cit. 4. || Perdre le repos, le sommeil… || Perdre la vue. || La rétine perd une partie de sa sensibilité (→ Excitation, cit. 13). || « J'ai perdu ma force (cit. 12, Musset) et ma vie… ». || Perdre la vie. ⇒ Mourir (→ Brave, cit. 5; crever, cit. 18). || Perdre sa liberté. ⇒ Aliéner. — Ne rien perdre de son élasticité, de sa force (cit. 60). || Perdre de sa violence, de sa vivacité. ⇒ Amortir (s'). || Perdre de sa taille, de son volume. ⇒ Atrophier (s')… || Perdre la santé (→ Fréquentation, cit. 9). || Athlète qui perd sa forme. || Faire perdre à quelqu'un ses moyens. ⇒ Enlever, ôter.
11 Comme un beau pré dépouillé de ses fleurs,
Comme un tableau privé de ses couleurs,
Comme le ciel s'il perdait ses étoiles,
La mer ses eaux, le navire ses voiles (…)
Ronsard, Premier livre des poèmes, « Élégie », II.
12 Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue,
Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum;
Que la création est une grande roue
Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un.
Hugo, les Contemplations, IV, XV.
13 Par moments, on eût dit que la petite allait perdre ses dernières forces, et tout ce qui lui restait de vie semblait vaciller avec son regard.
Martin du Gard, les Thibault, t. I, p. 63.
13.1 (…) soyez sûrs que votre mère disparue des personnages qui composent la scène de sa vie quotidienne, ne lui manquera pas, comme on continue à manger avec autant de plaisir sur une table qui a perdu un de ses pieds, tout en déplorant de temps à autre qu'elle l'ait perdu.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 886.
♦ ☑ (1080). Contexte psychologique; le sujet désigne toujours une personne. Perdre la tête, l'esprit (cit. 69 et 70), le jugement, la raison, le sens… : déraisonner, devenir fou; s'affoler, se démonter (→ Égarer, cit. 17; empresser, cit. 2). ☑ Fam. Perdre la boule. || Perdre la mémoire (→ Œil, cit. 21). ⇒ Manquer (de). || Perdre connaissance (cit. 11) : s'évanouir (cit. 27). || Perdre conscience, la conscience, toute conscience (cit. 3) de… (→ Évanouir, cit. 28; invisible, cit. 7). || Perdre courage (→ Hâter, cit. 15) tout courage (→ Neurasthénie, cit. 1). || Perdre contenance (cit. 2). || Perdre son sang-froid. ☑ Perdre la face (cit. 19 et 20). || Perdre son orgueil, sa fierté… ⇒ Déposer. || Perdre la notion (cit. 2), le sens, le sentiment de… (→ Démêler, cit. 4; expression, cit. 6; hyperbole, cit. 2; imprimer, cit. 9). || Perdre le goût de… (→ Ennuyer, cit. 11; immodéré, cit. 6; mollesse, cit. 8). ☑ Loc. Faire perdre à quelqu'un le goût (cit. 9) du pain. || Perdre l'habitude (cit. 12) de… (→ Amollir, cit. 6; engourdir, cit. 9). || Perdre patience. || Perdre l'espérance (cit. 6 et 25), l'espoir. || Perdre le respect (→ Âge, cit. 55; factieux, cit. 1). || Perdre confiance (→ Néant, cit. 25; non-agression, cit.). || Perdre la foi. || Perdre le souvenir de… (→ Bienfait, cit. 4; fructification, cit. 3). — Vieilli. || Perdez votre air fâché. ⇒ Quitter, renoncer (à).
14 C'est perdre toute confiance dans l'esprit des enfants (…) que de les punir des fautes qu'ils n'ont point faites (…)
La Bruyère, les Caractères, XI, 59.
15 — Danser ? Reprit Emma. — Oui ! — Mais tu as perdu la tête ! on se moquerait de toi (…)
Flaubert, Mme Bovary, I, VIII.
16 Comment puis-je, à ces moments-là, perdre aussi complètement tout contrôle sur moi-même ? se demanda-t-il.
Martin du Gard, les Thibault, t. V, p. 41.
17 Non, je n'ai pas perdu la foi ! Cette expression de « perdre la foi » comme on perd sa bourse ou un trousseau de clefs m'a toujours paru d'ailleurs un peu niaise.
Bernanos, Journal d'un curé de campagne, p. 137.
♦ (Sujet n. de choses; compl. abstrait). || Mot qui perd son sens (→ Figure, cit. 1; livre, cit. 42 : minimum, cit. 3; moraliste, cit. 5). || Choses qui perdent toute signification, tout intérêt (→ Altitude, cit. 3; 2. farce, cit. 8 : éprouver, cit. 24). || Les coups perdent leur force (→ Approcher, cit. 15). || L'avion perd sa vitesse (→ Altitude, cit. 1). || Perdre une partie de sa valeur (→ Assigner, cit. 13), perdre de son prix (→ Dormir, cit. 5), de sa qualité…, de son ardeur, de sa puissance… ⇒ Moins (avoir). || Le drame gagne en expression (cit. 29) ce qu'il perd en beauté (→ Freiner, cit. 4 : improbable, cit. 3). || Revue littéraire qui perd sa tenue (→ Magazine, cit. 1). ⇒ Dégénérer.
18 (…) les idées ne perdent pas de leur valeur à jaillir ainsi de la force des choses plutôt que d'une pensée systématique.
Jaurès, Hist. socialiste…, t. VIII, p. 272.
19 Il en résulta qu'à ses yeux la situation où elle se trouvait ne tarda pas à perdre, autant qu'il était possible, le caractère d'un drame personnel.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, I, p. 10.
4 Ne plus avoir en sa possession (ce qui n'est ni détruit, ni pris). ⇒ Égarer. || Qu'as-tu perdu ? (→ Divaguer, cit. 4). || Perdre des billets (→ Inutile, cit. 7), une bague (→ Manquer, cit. 17)… || Il est terrible, il perd tout ! ⇒ Perdeur. || Perdre l'adresse de quelqu'un. Dr. ⇒ Adirer. Allus. évang. || La drachme (cit. 1) qu'une femme a perdue. — (En parlant d'un être qui échappe accidentellement à la compagnie ou à la surveillance de quelqu'un). || Mère qui a perdu son petit (→ Arriver, cit. 76; faon, cit. 1). || Le berger a perdu un de ses moutons.
20 (…) j'ai appris qu'on perd moins facilement une canne grossière qu'un jonc recourbé à bout de corne.
Valery Larbaud, Barnabooth, Journal, III.
21 Parmi tant de gens dont j'avais perdu les noms, les coutumes, les adresses (…)
Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 300.
5 (Le compl. désigne un vêtement mal assujetti). Laisser échapper; ne pas conserver à sa place. || Il a maigri, il perd son pantalon. || Baigneuse qui perd son soutien-gorge. || En courant il a perdu sa botte (→ Distraction, cit. 6). — Par ext. || Perdre ses arçons (cit. 3), ses pédales.
♦ ☑ Loc. fig. Perdre les pédales. — (Le sujet désigne un récipient, qui ne retient plus son contenu). || Tonneau qui perd de l'eau (→ ci-dessous B., 2.).
6 (V. 1160). Cesser de voir, d'entendre, de percevoir (ce qui échappe à la portée des sens). || Objet fuyant que les regards suivent et enfin perdent (→ Distinguer, cit. 21). — ☑ Ne rien perdre de (un spectacle, etc.) : tout observer. || On n'en perdra rien (→ Gaze, cit. 7). || Elle ne perdait rien de l'entretien (cit. 10). ☑ Il ne veut pas en perdre une bouchée, une miette (fig.). — ☑ Loc. Perdre (quelqu'un, quelque chose) de vue : cesser de voir, de fixer les yeux sur… (→ Apparence, cit. 1; 2. courant, cit. 13). Fig. || Perdre quelqu'un de vue : ne plus fréquenter, ne plus s'intéresser à quelqu'un. ⇒ Oublier (→ Congédier, cit. 2). || Perdre de vue (quelqu'un, quelque chose) : ne pas prêter attention, ne pas prendre en considération (→ Agitation, cit. 18; attacher, cit. 77; attrister, cit. 4; détail, cit. 14; éblouir, cit. 10; musique, cit. 20). ⇒ Perte I., 4. (à perte de vue).
22 Cinq-Mars (…) ne perdait pas un mot de ce qu'on disait, et remplissait son cœur de fiel et d'amertume (…)
A. de Vigny, Cinq-Mars, V.
23 En effet, madame de Beauséant lorgnait la salle et semblait ne pas faire attention à madame de Nucingen, dont elle ne perdait cependant pas un geste.
Balzac, le Père Goriot, Pl., t. II, p. 949.
24 (…) Bussière, que j'ai l'avantage de connaître par vous, mais qui se plaint lui-même de vous avoir perdu de vue (non de pensée).
Sainte-Beuve, Correspondance, 508, 18 déc. 1835.
25 Malgré son embarras, Jeanne écoutait, sans perdre une syllabe ni une inflexion.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, IX, p. 132.
♦ Mar., vx. || Perdre terre.
7 Ne plus pouvoir suivre, contrôler. || Perdre son chemin, sa route (→ Égarement, cit. 1; déployer, cit. 10). || Perdre la trace de quelqu'un. || Les chiens ont perdu la piste, la voie de la bête. || Perdre la file, son rang, sa place, son tour… ☑ Perdre le fil (cit. 34, 35 et 39). ☑ Perdre son latin. || Perdre le contact. || Grues qui perdent le vent (→ Brise, cit. 1). || Perdre terre, perdre pied (→ Entrechat, cit. 5). ☑ Perdre l'équilibre (cit. 5), perdre son assiette : être désorienté, affolé (équivaut pratiquement au sens 3. : perdre la tête).
26 Les faibles qui jusque-là allaient d'élan, de sentiment, sans principes, perdirent la voie et se mirent à demander : où sommes-nous ? où allons-nous ?
Michelet, Hist. de la Révolution franç., IV, III.
27 (…) je tremble à cette idée horrible que je pourrais en effet perdre sa trace, et que je ne trouverais plus personne au monde qui pût jamais me parler d'elle !
Loti, Azyiadé, IV, XXV.
♦ ☑ Loc. Perdre le nord.
28 Or M. de Charlus perdait souvent maintenant ce qu'on appelle « le Nord » et ne se rendait plus compte de ce qui se fait et ne se fait pas.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XII, p. 31.
28.1 (…) elle ne s'emballe pas, elle ne perd jamais le nord (…) il y a quelque chose en elle de froid et d'un peu mesquin (…) de pratique (…) elle voit tous les petits côtés (…)
N. Sarraute, le Planétarium, p. 115.
♦ Moins cour. (même sens). ☑ Perdre la boussole, la carte. ☑ Vx. Perdre la tramontane.
8 Employer ou profiter de (qqch.) sans en tirer ce qu'on attendait. ⇒ Dissiper, gâcher, galvauder, gaspiller; perte (I., 5.). — (Le compl. désigne une action, une possibilité). || Perdre sa peine (→ Ergoter, cit. 1). Vieilli. || Perdre ses peines. || Perdre ses pas (→ Arrondir, cit. 3; épargner, cit. 9). ☑ Perdre son latin (cit. 13). || Celui qui parle dans ce sens perd sa voix (→ Discréditer, cit. 3). || Nuire à la réputation de quelqu'un plutôt que de perdre un bon mot (→ Diseur, cit. 3). || Ne perdre aucune occasion de… (→ Adepte, cit. 3; 3. botte, cit. 3; intrigant, cit. 3; méchanceté, cit. 6; inopportun, cit. 1). — (Le compl. désigne une chose concrète). Vx. Gâcher. || « Perdre impunément de l'encre et du papier » (→ Écrire, cit. 33, Boileau). Mod. || Perdre son argent à des bêtises. || Ne pas perdre une bouchée, une miette, une goulée (→ Mangeaille, cit. 3), un coup de dent (cit. 21). || Ne pas perdre un pouce, une ligne (cit. 52) de sa taille (→ Nain, cit. 5). — REM. Dans beaucoup de ces expressions, la langue actuelle tend à remplacer perdre par le tour laisser perdre (c.-à-d. laisser se perdre) ou le tour passif perdu.
29 Annette, cependant, à la ligne pêchait;
Mais nul poisson ne s'approchait :
La bergère perdait ses peines.
La Fontaine, Fables, X, 10.
30 Vainement la philosophie
Reproche à l'homme ses travers,
Elle y perd sa prose et ses vers.
Florian, Fables, V, Épilogue.
31 Un poète est le plus utilitaire des êtres. Paresse, désespoir, accidents du langage, regards singuliers, — tout ce que perd, rejette, ignore, élimine, oublie l'homme le plus pratique, le poète le cueille, et par son art lui donne quelque valeur.
Valéry, Rhumbs, p. 166.
♦ Spécialt. (Le compl. désigne le temps). Vx. || Perdre temps (→ Amuser, cit. 1), le temps (→ Armoire, cit. 2). Mod. || Perdre son temps, l'employer à des activités inutiles (→ Enfiler des perles, peigner la girafe). → Assemblée, cit. 1; dépenser, cit. 6; écouter, cit. 18; heure, cit. 65; musarder, cit. 2. — Perdre du temps : laisser (par lenteur, par maladresse) passer un temps qu'on devrait pleinement utiliser (→ Chipotage, cit.; 2. expédient, cit. 1; instruction, cit. 4; inventeur, cit. 10). || Perdre beaucoup de temps, peu de temps (→ Bagatelle, cit. 15; brouiller, cit. 22). || Ne pas perdre de temps (→ Botter, cit. 2). ⇒ Hâter (se). || Nous n'avons pas de temps à perdre ! (→ Marée, cit. 4). Iron. || Tu as du temps à perdre ! — ☑ Sans perdre une minute (→ Détaler, cit. 4; mêler, cit. 22). || Je n'ai pas une minute (cit. 3) à perdre. || Sans perdre un instant (→ Gratter, cit. 8). || Vous n'avez pas un instant à perdre (→ Jonction, cit. 3). || Perdre une journée (→ Ennuyeux, cit. 10), des mois, des années… || Plus un jour à perdre ! (→ Loisir, cit. 8). || J'ai perdu ma journée : j'ai mal employé mon temps dans cette journée. || Cet élève a vraiment perdu son année. || Perdre sa vie (→ Loyer, cit. 6).
32 Un enfant qui, d'après le système de Rousseau, n'aurait rien appris jusqu'à l'âge de douze ans, aurait perdu six années précieuses de sa vie (…)
Mme de Staël, De l'Allemagne, I, XIX.
33 Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Rimbaud, Poésies, LXXIV.
34 Edmond a l'impression de piétiner, de perdre son temps, de ne pas avancer.
A. Maurois, le Cercle de famille, II, X.
35 Lorsqu'on s'écrie : « Il n'y a plus une minute à perdre », c'est signe que l'on a perdu des semaines et qu'on se prépare encore à perdre des heures, des journées.
Gide, Journal, 8 mai 1940.
9 (1080). Ne pas obtenir ou ne pas garder (un avantage dans une compétition). Par ext. Ne pas remporter (une compétition). ⇒ Perte (I., 6.). || Perdre l'avantage (→ Nettement, cit. 6). || Perdre sa supériorité, sa suprématie. — Perdre la partie (→ Gagner, cit. 26). || Perdre une partie, un match, une course… || Perdre une bataille (→ Gagner, cit. 43; glorieux, cit. 2; ignorer, cit. 29; indiscipline, cit. 1), la bataille (→ Légitimité, cit. 2), la guerre (→ Ligne, cit. 37; marché, cit. 5). || Perdre son procès (→ Appeler, cit. 35; devoir, cit. 24; égorger, cit. 3), sa cause (cit. 49). || Perdre son pari (→ Faire, cit. 166).
36 (…) ceux qui ne se résignent pas à perdre la partie, qui n'acceptent pas que la vie soit une partie qu'il faut toujours perdre. Jean Racine jamais ne consentit à être battu.
F. Mauriac, Vie de J. Racine, VI.
37 (…) la défaite exaspéra le conflit des générations. Pendant quatre ans, les combattants de « 14 » reprochèrent à ceux de 40 d'avoir perdu la guerre et ceux de 40 en retour, accusèrent leurs aînés d'avoir perdu la paix.
Sartre, Situations III, p. 41.
38 La France a perdu une bataille !
Mais la France n'a pas perdu la guerre !
Ch. de Gaulle, Affiche placardée sur les murs de Londres, juin 1940.
♦ Absolt. Être le perdant (dans une compétition). || J'ai perdu (→ 1. Mat, cit.). ⇒ Battre (se faire). || Il n'aime pas perdre (→ Fléau, cit. 9). || Faire perdre quelqu'un (→ Brouiller, cit. 1; mettre, cit. 43). ☑ Jouer à qui perd gagne, la règle du jeu étant inversée, le gagnant étant celui qui réussit à se faire battre.
♦ Perdre du terrain (sur un adversaire), voir diminuer ou croître l'intervalle qui nous sépare de lui, selon que nous sommes poursuivis ou que nous le poursuivons. || Il perd du terrain, il ne vous rattrapera plus. — ☑ Fig. L'analphabétisme perdait du terrain. ⇒ Reculer, recul (être en).
B Intransitif.
1 Mar. || La marée perd : le marnage est moins fort d'une marée à l'autre, le cœfficient des marées va décroissant. || Bateau à voiles qui perd au vent : qui, au louvoyage, se retrouve sous le vent de la route la plus directe, sur un bord ou sur plusieurs.
2 (Du sens A, 5.). Ne pas retenir son contenu (d'un récipient). || Ce tonneau perd. ⇒ Fuir. — REM. Les emplois absolus du sens A., 1., et A, 9. ne peuvent pas être considérés comme intransitifs.
———
II (Sens actif). Priver de la possession ou de la disposition de biens et avantages physiques ou moraux.
1 (1636). Vx. Faire mourir; causer la mort de qqn. || « Va, perds ces malheureux; leur dépouille (cit. 7, Racine) est à toi ». || « Adorant en sa main la vôtre qui me perd » (→ Estomac, cit. 10, Corneille).
2 (1546). Littér. ou style soutenu. Ruiner totalement (en détruisant la fortune, la situation, la puissance, le crédit, la réputation, etc.). Vieilli. || Attirer des gens dans un get-apens pour les perdre (→ Agent, cit. 9). || Perdre un ennemi. ⇒ Étouffer (supra cit. 7). → Attaquer, cit. 37; cabale, cit. 6; flatter, cit. 51; humiliation, cit. 5. || Perdre un concurrent. ⇒ Démolir (fam.). || « Il n'y a personne qu'on ne puisse perdre en interprétant (cit. 4, Voltaire) ses paroles ». || Il m'a perdu dans l'opinion de la ville (→ Lâche, cit. 8). — (1636). || Perdre qqn d'honneur, de réputation, en lui ôtant l'honneur… ⇒ Déconsidérer, décrier (cit. 2), déshonorer. (1651). || On a voulu me perdre auprès de lui, (1868) dans son esprit, m'ôter sa faveur, la bonne opinion qu'il avait de moi.
39 Quoi ! Rodrigue, en plein jour ! d'où te vient cette audace ?
Va, tu me perds d'honneur; retire-toi, de grâce.
Corneille, le Cid, V, 1.
40 La Reine haïssait Monsieur, l'homme qui avait le plus travaillé, le mieux réussi à la perdre de réputation (…)
Michelet, Hist. de la Révolution franç., V, VII.
♦ (Sujet n. de chose). || « Amour, tu perdis Troie » (→ Envenimer, cit. 6, La Fontaine). || Le cotillon (cit. 4) l'a perdu. || « Ô devoir qui me perd et qui me désespère ! » (cit. 9, Corneille). || Ce qui l'a perdu, c'est sa vanité (→ Fastueux, cit. 5), sa bonté (→ Hasardeux, cit. 2), son indiscrétion (cit. 10). || Ce fut ce qui me perdit (→ Œuf, cit. 1). || Les innovations (cit. 1) qui perdirent les Athéniens. || Son inexactitude l'a perdu dans l'esprit de ses chefs (Académie).
41 Madame de Larçay me calomnie; Dieu sait ce qu'on dit de moi à la Redoute ! Ces propos de tout le monde me perdront dans l'âme d'Alfred.
Stendhal, Mina de Vanghel.
42 (…) le principe d'expédients, d'intérêt, qui s'appela le salut public, et qui a perdu la France.
Perdu, en ce que la jetant dans un crescendo de meurtres, qu'on ne pouvait arrêter, elle rendit la France exécrable dans l'Europe, lui créa des haines immortelles;
Perdu, en ce que les âmes brisées, après la Terreur, de dégoût et de remords, se jetèrent à l'aveugle sous la tyrannie militaire;
Perdu, en ce que cette tyrannie eut pour dernier résultat de mettre son ennemi à Paris et son chef à Sainte-Hélène.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., IV, IX.
43 Ce qui perdit Fouquet au degré de chute où il s'abîma, ce n'est pas tant le désordre (…) dont il s'était rendu coupable, ce fut ce qui perdit tant d'autres hommes spirituels et habiles, je veux dire l'excès de présomption et la vanité.
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 12 janv. 1852.
44 Ah ! non ! pas de lettre, surtout ! protesta Hubert. Ce sont toujours les lettres qui nous perdent.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, II, XII.
3 (Xe). Vx ou littér. Corrompre l'esprit, les mœurs de (qqn). || Il a perdu par ses maximes une infinité de jeunes gens (Académie). || Les mauvaises fréquentations l'ont perdu. || La pente inévitable (cit. 6) qui nous entraîne et nous perd. || « Ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain » (→ Métallurgie, cit. 2, Rousseau). — Spécialt. Corrompre l'âme, l'exposer à la damnation (→ Démon, cit. 21).
45 Qu'entends-je ? Quels conseils ose-t-on me donner ?
Ainsi donc jusqu'au bout tu veux m'empoisonner,
Malheureuse ? Voilà comme tu m'as perdue.
Racine, Phèdre, IV, 6.
46 Perdus par une éducation impie et par l'exemple maternel, se soucient-ils de leur mère ?
Chateaubriand, le Génie du christianisme, I, VI, V.
4 Mettre, volontairement ou non, hors du bon chemin, égarer complètement (qqn). ⇒ Désorienter, égarer. || Le père du Petit Poucet alla perdre ses enfants dans la forêt. || J'ai l'impression que notre guide nous a perdus.
5 (V. 1380). Vieilli. Endommager gravement, détruire. || Cette seconde gelée perdit tout, les jardins périrent (→ Orge, cit. 1). — Mod. Fig. || Une situation critique où le moindre échec (cit. 7) pouvait tout perdre, tout compromettre, tout faire échouer. || Son indiscrétion a tout perdu.
——————
se perdre v. pron.
1 (Fin XVe). Être réduit à rien, cesser d'exister. || En fait de matière (cit. 3) rien ne se perd ni rien ne se crée. || Parfum fugace (cit. 2) qui s'évapore et se perd. || Les années se perdent sans retour dans l'abîme (cit. 16) des temps. || Usages, traditions qui se perdent (→ Envoi, cit. 3; étudiant, cit. 3; maestria, cit. 2). || Une habitude qui ne s'est pas perdue (→ Longévité, cit. 2). || Leur intelligence, leur talent se perd (→ Inadaptation, cit. 1; médire, cit. 6). ⇒ Altérer (s'), décroître, diminuer, faiblir. || Leur autorité se perd. ⇒ Relâcher (se). || La grâce (cit. 64) s'affaiblit dans l'âge viril et se perd dans la vieillesse. || Le sens de ce mot s'est perdu (→ Fin, cit. 37). || Illusions qui se perdent (→ Médiocrité, cit. 8). ⇒ Tomber.
47 Chaque membre en souffrit, les forces se perdirent.
La Fontaine, Fables, III, 2.
48 La noblesse se conquiert par l'épée et se perd par le travail. Elle se conserve par l'oisiveté. Ne rien faire, c'est vivre noblement; quiconque ne travaille pas est honoré. Un métier fait déchoir.
Hugo, les Travailleurs de la mer, I, III, II.
♦ Spécialt. Périr dans un naufrage. || Le cargo s'est perdu corps et biens. ⇒ Sombrer.
2 (1560). Ne plus avoir d'utilité, de valeur; disparaître, à cause d'une utilisation nulle ou défectueuse. || Il n'y a pas de bonne graine qui se perde, qui ne germe (cit. 10) un jour. || Rien ne se perd de l'effet produit (→ Nouvelle, cit. 19). || Ainsi se perdait en niaiseries (cit. 4) un temps précieux (→ Enrager, cit. 6). || Il ne faut rien laisser perdre. || Ce serait dommage de laisser perdre ces traces de la pensée classique (→ Archaïque, cit. 1). || Laisser perdre une occasion (cit. 15). — ☑ Fam. Il y a des gifles, des coups de pied qui se perdent, se dit en parlant de gens qui en mériteraient.
49 Le cri, si fort et si vivant qu'on en fera quelque chose, un jour. Il est absurde que cette énorme somme d'énergie s'évapore ainsi, se perde dans l'espace. On en fera de la musique, de beaux airs de jazz-band.
G. Duhamel, Scènes de la vie future, VIII.
3 Cesser d'être perceptible. ⇒ Disparaître. || La rivière tour à tour se perdait dans le bois et reparaissait (→ Brillant, cit. 2). || Château enchanté (cit. 3) qui se perd et disparaît aux yeux. ⇒ Dérober (se). || S'évanouir (cit. 1) et se perdre comme un fantôme. || Se perdre dans la nuit (→ Liserer, cit. 2), à l'horizon (→ Lointain, cit. 9), dans le noir (→ Mansarde, cit. 2). || Voix, bruit qui se perd. ⇒ Étouffer (s'), mourir (→ Morveux, cit. 6; moteur, cit. 6). || Les petites nuances se perdent dans de grands tableaux (→ Face, cit. 29). — Par métaphore. || Les origines de la France se perdent dans la nuit (→ Conjecture, cit. 2). ⇒ Cacher (se). || Tout s'oublie et se perd au cours (cit. 14) rapide des heures. || La notion des durées (cit. 4) se perdait dans la monotonie du temps.
50 Elle gémit en vain : sa plainte au vent se perd.
La Fontaine, Fables, II, 8.
51 L'exclamation de surprise que jeta la femme du notaire se perdit dans le brouhaha et les bourdonnements de la foule.
Balzac, la Maison du Chat-qui-pelote, Pl., t. I, p. 33.
♦ Spécialt. (En parlant de l'eau). || Eau, rivière qui se perd, va se perdre dans la terre, sous terre. ⇒ Enfoncer (s'), engloutir (s'), engouffrer (s'). || Le fleuve (cit. 5) se perd dans un golfe, dans la mer. ⇒ Jeter (se). — Par métaphore. || « Les vertus se perdent dans l'intérêt (cit. 17, La Rochefoucauld) comme les fleuves se perdent dans la mer ».
4 (V. 1175). Personnes. S'égarer, ne plus retrouver son chemin. ⇒ Fourvoyer (se). || Le promeneur croit se perdre (→ Différent, cit. 11). || Errer après s'être perdu. || Beaucoup se sont perdus là (→ Envaser, cit. 1). || Se perdre et se retrouver (→ Irréel, cit. 2; obscur, cit. 3). || Se perdre dans un labyrinthe, un dédale… — Par ext. || Le regard se perdait (→ Allusion, cit. 3; fouiller, cit. 22).
52 Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée, ou perdue.
Racine, Phèdre, II, 5.
53 Nulle part, dans la plaine où le regard se perd (…)
Hugo, la Légende des siècles, XII.
54 (…) nous connaissons bien cependant notre Stamboul, mais les vieux Turcs eux-mêmes se perdent la nuit dans ces dédales.
Loti, Aziyadé, IV, XXII.
♦ Par métaphore ou fig. || Se perdre dans l'espace, dans les espaces (cit. 25 → Expédition, cit. 11), dans les nues (cit. 10), les nuages. || Ma tête commençait à se perdre (→ Offusquer, cit. 3). || L'orateur ânonna, se perdit, renonça à se retrouver (→ Heu !, cit. 2). || Se perdre en des divagations (cit. 2) sans fin, en conjectures (cit. 1), en arguties, en déclamations vaines (→ Égal, cit. 12). || Se perdre dans l'exagération (→ 2. Original, cit. 7), dans des digressions, des explications… ⇒ Embarrasser (s'), embrouiller (s'), noyer (se). — Spécialt. Être incapable de débrouiller, d'expliquer, ne voir plus clair. || Se perdre dans un raisonnement, dans un texte difficile. — Plus cour. || S'y perdre. || « Plus je sonde l'abîme (cit. 32, Lamartine), hélas ! plus je m'y perds » (→ 1. Droit, cit. 11; gouffre, cit. 12; maquis, cit. 2). || Tant de noms différents qu'on finit par s'y perdre (→ Microbe, cit. 1; obus, cit. 2). || Je m'y perds : je n'y comprends rien.
55 (…) ce qui fait que des géomètres ne sont pas fins, c'est qu'ils ne voient pas ce qui est devant eux et qu'étant accoutumés aux principes nets et grossiers de géométries (…) ils se perdent dans les choses de finesse où les principes ne se laissent pas ainsi manier.
Pascal, Pensées, I, 1.
5 (1546). || Se perdre dans, en : appliquer entièrement son esprit à un objet au point de n'avoir plus conscience de rien d'autre. ⇒ Absorber (s'), plonger (se). || Se perdre dans la contemplation (cit. 3) de quelque chose. || Le monde où se complaît et se perd la pensée des astronomes (→ Ouvrir, cit. 20). || Se perdre dans une pensée, dans un souvenir, dans une rêverie… ⇒ Abîmer (s').
♦ Spécialt (t. de mystique à l'origine). Perdre le sentiment de son existence personnelle, au point de s'identifier avec… ⇒ Anéantir (s'), fondre (se). || Se perdre en Dieu, « s'oublier soi-même, pour n'avoir le cœur occupé que de lui » (Bossuet). || S'oublier (cit. 15) et se perdre dans le grand tout.
56 Ô Seigneur, je m'unis à vous (…) je m'unis autant que je puis à vos lumières et à vos attraits incompréhensibles, et, dans ce silence intime de mon âme, je consens à toutes les louanges que vous vous donnez. Ô Seigneur « le silence est votre louange ! » (…) il faut se taire, il faut se perdre, il faut s'abîmer (…)
Bossuet, Méditations sur l'Évangile, 49e journée.
57 Plus un contemplateur a l'âme sensible, plus il se livre aux extases qu'excite en lui cet accord. Une rêverie douce et profonde s'empare alors de ses sens, et il se perd avec une délicieuse ivresse dans l'immensité de ce beau système avec lequel il se sent identifié. Alors tous les objets particuliers lui échappent; il ne voit et ne sent rien que dans le tout.
Rousseau, Rêveries…, 7e promenade.
6 (V. 1165). Causer sa propre ruine. || Bourgeoisie qui se perd par des calculs de petits boutiquiers (cit. 3). || Napoléon s'est perdu pour ne pas céder (cit. 4) un village. || « Je trouvais du plaisir à me perdre pour elle » (cit. 5, Racine). ⇒ Sacrifier (se). || Se perdre de réputation (→ Compromettre, cit. 10).
58 Vous n'avez point ici d'ennemi que vous-même (…)
(…) Ne veuillez pas vous perdre, et vous êtes sauvé.
Corneille, Polyeucte, IV, 3.
59 Comme les démocraties se perdent lorsque le peuple dépouille le sénat, les magistrats et les juges de leurs fonctions, les monarchies se corrompent lorsqu'on ôte peu à peu les prérogatives des corps ou les privilèges des villes (…) La monarchie se perd lorsque le prince, rapportant tout uniquement à lui, appelle l'État à sa capitale, la capitale à sa cour, et la cour à sa seule personne.
Montesquieu, l'Esprit des lois, VIII, VI.
60 Laisse-moi te répéter que tu te perdras par le bonheur comme d'autres se perdent par le malheur.
Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, Pl., t. I, p. 309.
♦ Spécialt. Devenir mauvais, corrompu. ⇒ Corrompre (se), débaucher (se), dévoyer (se). || Il s'est perdu par ses fréquentations (Académie). || Il se perdait avec une femme mariée (→ Lettre, cit. 23). || Entrer dans le vice sans s'y perdre (→ Dépraver, cit. 4). — Spécialt. || Perdre la grâce : se damner (→ Folie, cit. 13; forger, cit. 2; dieu, cit. 38). || C'est le divertissement (cit. 1, Pascal) qui nous fait perdre insensiblement.
61 Jésus est dans un jardin, non de délices comme le premier Adam, où il se perdit et tout le genre humain, mais un de supplices, où il s'est sauvé et tout le genre humain.
Pascal, Pensées, VII, 553.
——————
perdu, ue [pɛʀdy] p. p. adj.
ÉTYM. (XIVe, « damné »).
———
I Qui a été perdu (→ ci-dessus, I., A.).
1 (XIIIe). Dont on n'a plus la possession, la disposition, la jouissance. || L'argent perdu au jeu. || À fonds perdu. || Un bonheur si tôt perdu. ⇒ Disparu (→ Existence, cit. 24). || Le Paradis perdu, poème de Milton. || L'Éden perdu (→ Auréoler, cit. 1; lyrique, cit. 5). || Tout est perdu : il n'y a plus d'espoir, plus de remède (→ Cour, cit. 17; écrier [s'], cit. 3; heureux, cit. 40). ☑ Tout est perdu, fors l'honneur. — Tout serait perdu si… (→ Exercer, cit. 18). || Tout semble perdu (→ Désespérer, cit. 7; détermination, cit. 9; miracle, cit. 9). || Il n'y a rien de perdu, la situation peut encore être rétablie. — Le temps perdu : le temps passé, dont nous ne disposons plus (N. B. Ne pas confondre avec le sens 4. ci-après). || À la recherche du temps perdu, œuvre maîtresse de Marcel Proust. — ☑ Prov. Pour un perdu, deux retrouvés, dix de retrouvés, se dit de personnes ou de choses dont on pense que la perte sera facilement réparable. ⇒ Dix (cit. 5).
62 Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse (…)
(…) Hé quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ? quoi ! tout entiers perdus ?
Lamartine, Premières méditations, « Le lac » (→ Envoler, cit. 7).
63 (…) à ce moment-là l'être que j'avais été était un être extra-temporel, par conséquent insoucieux des vicissitudes de l'avenir. Cet être-là n'était jamais venu à moi, ne s'était jamais manifesté qu'en dehors de l'action, de la jouissance immédiate, chaque fois que le miracle d'une analogie m'avait fait échapper au présent. Seul il avait le pouvoir de me faire retrouver les jours anciens, le Temps Perdu, devant quoi les efforts de ma mémoire et de mon intelligence échouaient toujours.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XV, p. 14.
♦ Une amie, une compagne perdue pour jamais (→ Ensevelir, cit. 7). || Elle est perdue à jamais pour moi (→ Nicodème, cit. 1). || Mes amours perdues (→ Mitaine, cit. 3).
64 (…) mais se trouver auprès d'elle, mais la voir, la toucher, lui parler, l'aimer, l'adorer, et, presque en la possédant encore, la sentir perdue à jamais pour moi; voilà ce qui me jetait dans des excès de fureur et de rage (…)
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, IV, XVII.
♦ Un œil perdu et l'autre très menacé (→ Bouillie, cit. 3). || Retrouver les forces perdues. || Éléments perdus à jamais lors de la dispersion (cit. 2) du peuple juif. || Le sens de la mythologie était perdu chez tous (→ Paganisme, cit. 1). ⇒ Oublié.
2 (XVIIIe). Égaré. || Objets perdus : par métonymie, service où l'on classe et on entrepose les objets perdus. || Je vais essayer de chercher mon parapluie aux objets perdus. — Perdu et bien perdu. ⇒ Introuvable. || Une graine (cit. 3) perdue. || Parabole de la drachme (cit. 2), de la brebis perdue (→ Après, cit. 42). || Chien perdu. ⇒ Errant. || Enfant (cit. 27) perdu. — Par ext. (D'un lieu). Qui semble ne plus pouvoir être retrouvé. ⇒ Écarté (3.); désert, détourné, éloigné, isolé… || Pays perdu (→ Balayer, cit. 16). || Écarts (cit. 9) perdus. || Petite commune perdue (→ Dévorer, cit. 22). || Ferme (cit. 2) perdue. || Un coin perdu (→ Monde, cit. 17), un bled perdu.
65 (…) au fond du Marais, dans ce quartier si désert, perdu, dangereux (…)
Michelet, Hist. de la Révolution franç., V, IX.
66 (…) une femme dont le mari ou l'amant avait disparu pendant vingt ans, dans le Centre de l'Afrique, ou enfin dans quelque endroit perdu de ce genre (…)
Aragon, les Beaux Quartiers, I, V.
3 (1845, dans des loc.). Mal contrôlé, abandonné au hasard. (→ ci-dessus, I., A., 7.). || Coups perdus, tirés au hasard. || Balle perdue, qui a manqué son but et peut en atteindre un autre par hasard. || Être blessé par une balle perdue. || Flottage à bûches perdues (par oppos. au flottage en trains). || Ouvrage à pierre(s) perdue(s) : construction qu'on établit dans l'eau en y jetant de gros quartiers de roc. ☑ À corps (cit. 31) perdu (→ Mêlée, cit. 3).
4 Qui a été mal utilisé ou ne peut plus être utilisé. (→ ci-dessus, I., A., 8.). || Mouler à cire perdue. || Pain perdu. || C'est bien de l'argent perdu. ☑ Peine perdue. || Autant de paroles perdues (→ Gymnase, cit. 3). || Salle des pas perdus (→ Opposite, cit.). || Son jeu (cit. 69) est net, pas de feintes perdues. ☑ Un bienfait n'est jamais perdu. || L'effort qu'on fait pour être heureux n'est jamais perdu (→ Accablant, cit. 4). || Occasion perdue. ⇒ Manqué. || Perdu pour qqn, dont ce qqn ne tire pas profit (→ À-propos, cit. 5; expérience, cit. 26). ☑ Loc. Ce n'est pas perdu pour tout le monde : il y a des gens qui en ont profité.
67 Tous ont fui l'ornement et le trop d'étendue.
On ne voit point chez eux de parole perdue.
La Fontaine, Fables, VI, 2.
68 — Il m'a écrit une lettre fort touchante, par laquelle il vous prie d'avoir pitié pour lui. — Papier perdu, lettre inutile.
A. R. Lesage, Turcaret, III, 7.
69 Quand je vois un dessin tel que celui-ci, je ne saurais m'empêcher de dire, en soupirant : « Combien de temps, d'études et de talent perdus. Ah ! si je savais faire ce que tu fais, je ferais bien autre chose ! »
Diderot, Sur l'estampe de Cochin.
70 Qui aurait pu leur en vouloir, d'empêcher un tel malheur, de l'argent mis en miettes, perdu pour tout le monde ?
Zola, la Terre, V, I.
♦ Spécialt. Qui n'est pas remboursé. || Emballage perdu (1935, in D. D. L.), verre perdu (opposé à consigné). || Temps perdu, inutilement employé (→ Note, cit. 23). || Que de temps perdu ! || Le désespoir, le regret des jours perdus (→ Amertume, cit. 12). || Vie gâchée (cit. 6), dissipée, perdue. || « La plus perdue de toutes les journées (cit. 1, Chamfort) est celle où l'on n'a pas ri ». || Une soirée perdue, poème de Musset.
71 — Toute cette littérature ne vous effraie pas un peu, madame (…) Car enfin une soirée comme celle-là, c'est autant de perdu pour votre beauté. — Ce que le vulgaire appelle temps perdu est bien souvent du temps gagné, comme a dit M. de Tocqueville !
Éd. Pailleron, le Monde où l'on s'ennuie, I, 5.
72 Ma jeunesse a été perdue par votre faute. Et ma vie entière (…) Et perdue pour qui ? Pour le malheureux que vous êtes !
Montherlant, Pitié pour les femmes, p. 215.
♦ Spécialt. || Heures perdues, moments perdus : heures, moments de loisir d'une personne ordinairement très occupée. || À temps perdu : dans les moments de loisir où l'on a du temps à perdre.
5 (1660). Où on a eu le dessous (→ ci-dessus, I., A., 8.). || La partie n'est pas définitivement perdue pour nous (→ 2. Ce, cit. 17). || Bataille perdue (→ Décourager, cit. 1). || Il est l'homme des causes perdues.
73 Une guerre absurde, injustifiée, Jacques dit qu'elle est perdue d'avance.
Sartre, le Sursis, p. 206.
———
II Qui a été perdu (→ ci-dessus, perdre, II.), atteint sans remède (par le fait d'une personne ou d'une chose).
1 (V. 980). Personnes. Atteint dans sa santé. || Le malade est perdu, il ne se rétablira pas, sa mort est certaine (→ Côte, cit. 2; euthanasie, cit. 1). ⇒ Condamné, désespéré, frappé (à mort), incurable; et les fam. fichu, flambé, foutu. || Perdu de santé (→ Musclé, cit. 2). || Perdu de goutte, de rhumatismes, de vapeurs… (→ Éteint, cit. 56). — (1538). Atteint dans sa fortune, sa situation, son avenir… || Le voilà perdu, il est impossible qu'il ne soit pas ruiné (→ Arrérage, cit. 1). || Perdu de dettes, par les dettes. || Il est perdu, c'est un homme perdu. ⇒ Cuit, fini, flambé, frit, mort (→ C'en est fait de lui; caudataire, cit. 2; flatterie, cit. 3). || La famille royale, la monarchie, la nation était perdue (→ Grain, cit. 15; huguenot, cit. 4; mollir, cit. 4). || « Avant que de combattre, ils s'estiment (cit. 24, Corneille) perdus ». || Elle se serait crue perdue si… (→ Ménage, cit. 5). Par exagér. || « Je suis perdu, je suis assassiné » (→ Dérober, cit. 2, Molière). — Perdu de…, dans… || Perdu d'honneur, de réputation. — Perdu dans l'esprit de, auprès de…
74 Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé :
Un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes.
Corneille, Cinna, V, 1.
75 À tout instant, il se prosterne, atterré par la peine :
Je suis au désespoir. Je suis perdu.
André Suarès, Trois hommes, « Dostoïevski », I.
76 (Il) avait reçu deux ou trois coups de poignard dans le ventre et semblait perdu.
G. Duhamel, Salavin, VI, XIV.
♦ (1338). Atteint dans sa vie morale, sans moralité. ⇒ Corrompu, débauché. || Fille perdue (→ Docile, cit. 10) : spécialt, prostituée. || Femme perdue (→ Infâme, cit. 8; insulter, cit. 3). || Fréquenter une jeunesse perdue. — Perdu de débauche.
77 (…) traitez-moi de perfide,
D'infâme, de perdu, de voleur, d'homicide (…)
Molière, Tartuffe, III, 6.
2 (Choses). ⇒ Abîmé, endommagé, gâté. || Les robes de dames se trouvaient perdues (→ Ordure, cit. 1). || Les outres (cit. 1) se rompent, sont perdues.
———
III Qui se perd, qui s'est perdu (→ ci-dessus, se perdre).
1 (1762). Qui est devenu invisible, qui disparaît. || Le fond de la salle était à peine visible, perdu dans une buée (→ Amortir, cit. 11). || Toits perdus dans la nuit (→ 1. Gare, cit. 3). || Ciel perdu dans une grisaille (cit. 5) brumeuse. || Minaret (cit. 2) perdu dans la masse des maisons. ⇒ Confondu. || « Perdu dans la nuit (cit. 19, Hugo) qui le voile ». || « Perdu dans la foule obscure… » (→ Déployer, cit. 15). || Voix gémissantes (cit. 2) perdues dans les nuages. || Bruit perdu dans l'immensité nocturne (→ Mitrailleuse, cit. 2). — Par exagér. || Corps perdus dans des vêtements trop larges (→ Flotter, cit. 8).
78 Penser à retrouver cette Rome si perdue, si enfouie dans les ténèbres du sol, si écrasée sous les constructions de la Rome impériale et de la Rome chrétienne serait une pure folie (…)
Th. Gautier, Souvenirs de théâtre, Fouilles du mont Palatin.
79 (…) la plaine, en bas, se prolongeait, perdue dans les vapeurs de la nuit.
Flaubert, Salammbô, II.
80 Perdu parmi la foule, Salavin suivait le procès avec une sombre ferveur.
G. Duhamel, Salavin, V, XXII.
2 (XVIIIe). Qui s'est égaré. || J'étais perdu et condamné à chercher mon chemin (→ Demander, cit. 51). || Perdu pour s'être aventuré trop loin. Par exagér. ⇒ Dépaysé. || Européens perdus dans une ville étrangère (→ Associer, cit. 23). || Perdu dans ce vaste univers (→ Immensité, cit. 11). || Se sentir perdu dans un flot de paperasserie (cit.). — Par ext. || Regard perdu (→ Inaction, cit. 5).
81 Ils (les deux amants) étaient au fond de cette vaste maison et perdus dans l'immensité de Paris, comme deux perles dans leur nacre, au sein des profondes mers (…)
Balzac, la Vendetta, Pl., t. I, p. 914.
82 Elle ne répondit point, les regards en l'air, perdus dans le ciel.
Zola, la Terre, III, IV.
♦ Fig. || Je suis perdu, je ne m'y retrouve plus. ⇒ Désaxé. || Ma tête est perdue : je perds la tête. — Subst. || Un perdu : un homme dont la tête est perdue, un fou. || Crier, courir, rire comme un perdu. || Une perdue.
3 (XVIIIe). Absorbé. || Perdu dans ses pensées, ses rêveries… (→ Extatique, cit. 4; mensuellement, cit.). || Perdu dans sa douleur. ⇒ Plongé.
83 Elle regardait sans voir et semblait perdue dans un rêve.
France, le Livre de mon ami, Livre de Pierre, V.
84 Et il se mit à la contempler. Elle ne le voyait point, perdue dans sa méditation.
Maupassant, Bel-Ami, I, VIII.
❖
CONTR. Acquérir, avoir, capter, conquérir, conserver, contracter, détenir, emparer (s'), gagner, garder, obtenir, posséder, récupérer, regagner, retrouver, sauver, trouver. — Suivre, voir. — Bénéficier, profiter, utiliser. — (De se perdre). Accroître (s'). — Servir. — Reparaître.
DÉR. Perdable, perdant, perdeur. — Perditance.
COMP. Perd-fluide.
Encyclopédie Universelle. 2012.