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abstrait

abstrait, aite [ apstrɛ, ɛt ] adj. et n. m.
abstract 1372; lat. abstractus
1Se dit d'une notion de qualité ou de relation considérée par abstraction. La blancheur est une idée abstraite. Qui n'existe que sous forme d'idée. La richesse, pour elle, c'est bien abstrait.
Math. Mesure abstraite, mesure sur un ensemble.
2Qui use d'abstractions, opère sur des qualités et des relations et non sur la réalité. Pensée abstraite. Sciences abstraites (mathématiques, logique, métaphysique, etc.). pur.
3Par ext. Qui est difficile à comprendre, à cause des abstractions, par le manque de représentations du monde sensible. Un texte, par ext. un auteur trop abstrait. abscons, abstrus.
4(1932) Arts Qui ne représente pas le monde sensible (réel ou imaginaire); qui utilise la matière, la ligne et la couleur pour elles-mêmes. Art abstrait. Peinture, toile abstraite. Peintre abstrait. non-figuratif.
5 N. m. Ce qui est abstrait. abstraction. Aller du concret vers l'abstrait. « Le langage humain tend à l'abstrait » (Maurois).
♢ DANS L'ABSTRAIT : sans référence à la réalité concrète. ⇒ abstraitement. Parler dans l'abstrait. Tout cela est bien joli dans l'abstrait !
L'abstrait : l'art abstrait. Aimer l'abstrait. « Le conformisme de l'abstrait » (F. Mauriac). Un abstrait : un peintre (homme ou femme) abstrait. Les abstraits et les surréalistes.
⊗ CONTR. Concret, 1. positif, réel. Figuratif.

abstrait nom masculin Ce qui est abstrait (par opposition à concret) : Se perdre dans l'abstrait. L'art abstrait. ● abstrait, abstraite adjectif (latin abstractus) Qui est le résultat de l'abstraction : Le concept d'âme est une idée abstraite. Qui est difficile à comprendre par manque de référence à la réalité concrète : Son exposé est trop abstrait. Philosophie Se dit de ce qui est conçu indépendamment de ses éléments constitutifs : Universel abstrait.abstrait, abstraite (expressions) adjectif (latin abstractus) Art abstrait, courant des arts graphiques et plastiques du XXe s. qui rejette la représentation du réel tangible, que celui-ci ait été pris comme point de départ, et soumis à une opération d'abstraction, ou non. Ballet abstrait, composition de danses abstraite, sans argument, par opposition au ballet d'action. Danse abstraite ou danse pure, type de danse construite sur des mouvements abstraits susceptibles de créer une atmosphère, un état d'âme ou d'exprimer une idée abstraite. ● abstrait, abstraite (homonymes) adjectif (latin abstractus) abstraie forme conjuguée du verbe abstraire abstraient forme conjuguée du verbe abstraire abstraies forme conjuguée du verbe abstraire abstrais forme conjuguée du verbe abstraire abstrait forme conjuguée du verbe abstraireabstrait, abstraite (synonymes) adjectif (latin abstractus) Qui est le résultat de l' abstraction
Contraires :
- concret
Qui est difficile à comprendre par manque de référence à...
Synonymes :
- abscons
- abstrus
- hermétique
- subtil
Contraires :
- concret
- matériel
- positif
- réel
Beaux-arts. Art abstrait
Synonymes :
- abstraction
- art non-figuratif
- non figuratif
- non-figuration
Contraires :
- figuratif
abstrait, abstraite nom Artiste qui pratique l'art abstrait.

abstrait, aite
adj. et n. m.
rI./r adj.
d1./d Considéré par abstraction (sens 1). Notion abstraite.
d2./d Qui s'applique à des relations, et non à des objets du monde. La logique est une science abstraite.
d3./d Art abstrait ou non figuratif, qui ne cherche pas à représenter le réel (V. encycl.).
rII./r n. m. Ce qui est abstrait (par oppos. à concret).
Encycl. Beaux-Arts. - L'art abstrait, qui se libère de l'imitation de la réalité, est né au début du XXe s. Il s'est développé suivant deux grandes tendances, l'une émotionnelle, souvent gestuelle (Hartung, Pollock, De Kooning), l'autre géométrique (Mondrian, Malevitch, Vasarely).

⇒ABSTRAIT, AITE, part. passé, adj. et subst. masc.
I.— Part. passé de abstraire.
II.— Adjectif
A.— [En parlant de la pensée hum. ou de ses produits] Qui relève de l'abstraction.
1. [En parlant de la connaissance en tant qu'acte de pensée] Qui procède par abstraction :
1. Je ne suis plus bon, les hommes m'irritent. Je ne vois plus que des criminels ou des lâches; la pitié pour le malheur, le besoin d'être utile, de servir mes semblables, d'aller au-devant de toutes les infortunes pour les soulager, tous ces sentiments expansifs et généreux qui étaient jusqu'à présent mes principes d'action, s'éteignent chaque jour dans mon cœur dont la chaleur semble s'éteindre, pendant que mon esprit est exclusivement occupé de spéculations abstraites, étrangères à tous les intérêts de ce monde. Ces spéculations m'empêchent heureusement de penser beaucoup aux hommes, car je ne puis y penser que pour les haïr ou les mépriser.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1815, p. 89.
2. Pour moi, dit Augustin, j'ai dû y venir d'un point de vue abstrait, presque méthodologique. C'est un défaut d'universitaire. Ils ne voient des choses que leur idée platonicienne.
J. MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, t. 2, 1933, p. 167.
2. [En parlant du produit de la pensée : concept, idée, thème, système, savoir, etc.] Qui a un haut degré de généralité :
3. ... je dois expliquer encore que, quand je dis de la première sensation que j'éprouve, ou plutôt de l'idée que j'en ai, que je la juge agréable, je ne prétends pas dire que je vois déjà cette idée comme une idée de mode, bien distincte, bien séparée et de l'être qu'elle affecte et de celui qui la cause; et que je vois qu'une autre idée (celle d'être agréable) abstraite, générale, tirée de plusieurs êtres, leur convenant à tous, convient aussi à cette première idée.
A.-L.-C. DESTUTT DE TRACY, Éléments d'idéologie, Logique, 1805, p. 262.
4. Toutes ces opinions sont justes, relativement au côté par lequel on considère l'idée de la liberté; mais dans aucune on ne la voit sous tous ses aspects, et on ne l'embrasse dans toute son étendue. Cherchons donc ce que toutes ces différentes espèces de liberté ont de commun, et sous quel point de vue elles se ressemblent toutes; car c'est cela seul qui peut entrer dans l'idée générale, abstraite de toutes les idées particulières, et qui les renferme toutes dans son extension.
A.-L.-C. DESTUTT DE TRACY, Commentaire sur l'Esprit des lois de Montesquieu, 1807, p. 141.
5. ... si on entend par positif tout ce qui n'est pas abstrait, tout ce qui est réel, tout ce qui tombe sous la prise immédiate et directe de quelqu'une de nos facultés, il faut accorder que l'idée d'infini, de temps et d'espace est aussi positive que celle de fini, de succession et de corps, puisqu'elle tombe sous la raison, faculté tout aussi réelle et tout aussi positive que les sens et la conscience, quoique ses objets propres ne soient pas des objets d'expérience.
V. COUSIN, Hist. de la philosophie du 18e siècle, 1829, p. 188.
6. ... Vient ensuite l'abstraction qui, s'ajoutant à ces données primitives, complexes, concrètes et particulières, sépare ce que la nature vous avait donné réuni et simultané, et considère isolément chacune des parties du tout. Cette partie isolée du tout, cette idée détachée du sein du tableau total des idées primitives, devient une idée abstraite et simple jusqu'à ce qu'une abstraction plus savante et plus profonde fasse sur cette prétendue idée simple ce qu'elle a déjà fait sur l'ensemble des idées antérieures, la décompose, en fasse sortir plusieurs autres idées qu'elle considère isolément, abstractivement les unes des autres; jusqu'à ce qu'enfin, de décomposition en décomposition, l'abstraction et l'analyse arrivent à des idées tellement simples, qu'on ne suppose plus qu'elles soient décomposables.
V. COUSIN, Hist. de la philosophie du 18e siècle, 1829 p. 290.
7. Plus une idée a de simplicité, plus elle a de généralité; plus une idée est abstraite, plus elle a d'étendue. Nous débutons par le concret, et nous allons à l'abstrait nous débutons par le déterminé et le particulier pour aller au simple et au général.
V. COUSIN, Hist. de la philosophie du 18e siècle, 1829 p. 290.
8. Il y a des idées abstraites qui correspondent à des faits généraux, à des lois supérieures auxquelles sont subordonnées toutes les propriétés particulières par lesquelles les objets extérieurs nous deviennent sensibles...
A. COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances, 1851, p. 231.
9. Nous allons passer à cette autre catégorie d'idées abstraites auxquelles l'esprit s'élève par voie de synthèse, afin de relier dans une unité systématique les apparences variables des choses qui sont l'objet immédiat de ses intuitions. Ce sont là les idées ou les conceptions auxquelles nous attribuons le nom d'entités...
A. COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances, 1851 p. 242.
10. La mort n'est pas seulement un thème stoïcien, ni seulement un phénomène biologique, mais elle est une chose qui arrive pour de bon. Ah! Si nous avions su... Mais nous savions de la chose tout ce qu'il y avait à en savoir et nous découvrons aujourd'hui ce que nous savions depuis toujours. Car voici le mot de tout : on peut apprendre ce que l'on sait déjà; comme on peut être surpris par la chose la plus attendue : et la dissipation du malentendu mesure toute la distance qui sépare le savoir abstrait, conceptuel, générique qu'on a de ces choses à vingt ans et l'intuition gnostique qu'on en prend à soixante quand on les découvre du dedans et que la mort devient notre affaire privée.
V. JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, p. 145.
3. [En parlant du lang. en tant qu'expr. de la pensée] Qui traduit des idées abstr. :
11. ... Tout ce que nous venons de dire, est un peu abstrait, et a exigé beaucoup d'attention, parce qu'il est assez difficile de se bien transporter dans une situation dans laquelle on n'a jamais été; délassons-nous actuellement à voir les conséquences qui résultent de ces faits.
A.-L.-C. DESTUTT DE TRACY, Éléments d'idéologie, Grammaire, 1803, p. 293.
12. Les nominaux ne voyaient que les noms ou signes dans les idées générales ou abstraites ils ne tenaient même aucun compte des opérations intellectuelles dont les signes abstraits expriment le résultat. Les réalistes, au contraire, admettent les idées indépendamment des signes, antérieures et innées.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1819, p. 237.
13. ... elle se jeta à des études qui auraient usé la puissance de travail d'un homme. Interprètes de l'ancien et du nouveau testament, apologistes, controversistes, elle parcourut des livres sans nombre, jusqu'aux plus secs, aux plus ardus, aux plus abstraits de la théologie, emplissant des extraits, des volumes de cahiers, tourmentée par la perplexité de sa destinée éternelle qui rejetait toujours son angoisse à la peine de nouvelles et plus studieuses recherches, où chaque jour pourtant elle s'approchait un peu plus de cette certitude qu'elle appelait, qu'elle implorait, qu'elle faisait naître, pour ainsi dire, de l'ardeur de son désir et de la secrète complaisance de ses efforts.
E. et J. DE GONCOURT, Madame Gervaisais, 1869, p. 181.
14. Bergson observe (...) que langage et pensée sont de nature contraire : celle-ci fugitive, personnelle, unique; celui-là fixe, commun, abstrait. D'où vient que la pensée, obligée en tout cas de passer par le langage qui l'exprime, s'y altère et devienne à son tour, sous la contrainte, impersonnelle, inerte et toute décolorée.
J. PAULHAN, Les Fleurs de Tarbes, 1941, p. 78.
Péj. Synon. de vague :
15. J'ai écrit une longue lettre à G pour me soustraire à certaines idées. — Repris et achevé la vie de Buffon par Condorcet. — Pâteusement écrite, avec abus de mots vagues, abstraits, sans couleur.
J. BARBEY D'AUREVILLY, Premier Memorandum, 1838, p. 67.
16. ... La langue de la politique elle-même prit alors quelque chose de celle que parlaient les auteurs; elle se remplit d'expressions générales, de termes abstraits, de mots ambitieux, de tournures littéraires. Ce style, aidé par les passions politiques qui l'employaient, pénétra dans toutes les classes et descendit avec une singulière facilité jusqu'aux dernières.
A. DE TOCQUEVILLE, L'Ancien régime et la Révolution, 1856, p. 240.
4. P. anal. [En parlant d'obj., de milieu, etc.] Qu'on se représente par des concepts abstr. :
17. Tout problème peut être ramené par l'analyse au simple, sans qu'on ait besoin d'envisager pour elle-même l'organisation intrinsèque du composé. Ainsi se constitue le premier milieu tout abstrait et tout homogène où se déploieront, comme en une hiérarchie de formes de plus en plus organisées, les complications croissantes de la science; ainsi, par une élaboration originale, se dégagent de l'expérience les principes fondamentaux de la mécanique rationnelle.
M. BLONDEL, L'Action, 1893, p. 57.
18. Il allait jusqu'à (...) transformer, comme à Notre-Dame de Paris, la cathédrale vivante en cathédrale abstraite.
A. FRANCE, Pierre Nozière, 1899, p. 243.
5. Spécialement
a) B.-A. [En parlant d'un art ou d'une compos. plastique ou mus.] Qui évite la réf. dir. à un être identifiable du monde réel ou imaginaire.
ARTS PLAST.
P. oppos. à expressionniste :
19. Ses peintures (de Degas) ne disent rien de son âme, c'est un abstrait, un exact, on ne sait rien de lui, ni son plaisir, ni son émotion, ...
C. MAUCLAIR, Les Maîtres de l'impressionnisme, 1904, p. 96.
P. oppos. à figuratif (et donc synon. de non-figuratif) :
20. ... l'impressionnisme montre qu'on peut jouer de la couleur pure, sans se soucier du rendu de la matière dont elle est solidaire, sans la contraindre à épouser un volume, donc un modelé, ni une ligne de contour : aussi la génération suivante, celle de Gauguin et des Nabis, en particulier, passera sans difficulté à un emploi de la couleur pour elle-même de la ligne pour elle-même, pour leur propre épanouissement, pour leur plaisir, pourrait-on presque dire. L'élan sera donné au cubisme, et, derrière lui, à l'art abstrait.
R. HUYGHE, Dialogue avec le visible, 1955, p. 161.
MUS. P. oppos. à concret (cf. abstraction II B).
b) ÉPISTÉMOLOGIE. Science abstraite. ,,[Science] qui s'applique aux lois des phénomènes et non à un corps particulier.`` (LITTRÉ) :
21. ... la durée ne peut pas être le sujet d'une science abstraite, totalement distincte de l'histoire des êtres auxquels appartient cette durée, et n'ayant pour objet que les propriétés de la durée elle-même.
A.-L.-C. DESTUTT DE TRACY, Éléments d'idéologie, Logique, 1805, p. 487.
22. Il y a des sciences, comme les sciences abstraites, dont l'objet n'a rien de commun avec l'ordre chronologique des événements, et qui n'ont, par conséquent, aucun emprunt à faire à l'histoire, aucune donnée historique à accepter. Les théorèmes de géométrie, les règles du syllogisme, sont de tous les temps et de tous les lieux...
A. COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances, 1851, p. 455.
c) GRAMM. Terme abstrait :
23. ... on appelle termes concrets les adjectifs, tels que pur, bon, etc. qui expriment une qualité considérée comme unie à son sujet; tandis que l'on appelle termes abstraits, les mots pureté, bonté, etc., qui expriment ces qualités séparées de tout sujet.
A.-L.-C. DESTUTT DE TRACY, Éléments d'idéologie, Idéologie proprement dite, 1801, p. 88.
d) MATH. Nombre abstrait. ,,Se dit d'un nombre énoncé sans désignation d'aucun objet particulier.`` (LITTRÉ) :
24. ... trois mètres est un nombre concret, et (...) trois tout court est un nombre abstrait.
A.-L.-C. DESTUTT DE TRACY, Éléments d'idéologie, Idéologie proprement dite, 1801, p. 88
25. La théorie de Locke ne peut (...) donner ni Dieu, ni le corps, ni le moi, ni leurs attributs : à cela près, j'accorde, si l'on veut, qu'elle peut donner tout le reste. Elle donne les mathématiques, direz-vous. Oui, je l'ai dit moi-même, et je le répète; elle donne les mathématiques, la géométrie et l'arithmétique en tant que sciences des rapports des grandeurs et des nombres; elle les donne, mais à une condition, c'est que vous considériez ces nombres et ces grandeurs comme des grandeurs et des nombres abstraits, n'impliquant pas l'existence.
V. COUSIN, Hist. de la philosophie du 18e siècle, 1829, p. 428.
e) PHILOS. État abstrait. [Dans la philos. d'A. Comte] Âge de l'humanité où la pensée procède par abstraction. Synon. métaphysique :
26. Les variations quelconques des opinions humaines ne sauraient jamais devenir purement arbitraires, quoique je ne puisse démêler aucunement leur marche générale. (...) (Celle-ci) consiste (...) dans le passage nécessaire de toute conception théorique par trois états successifs : le premier théologique, ou fictif; le second métaphysique, ou abstrait; le troisième, positif, ou réel. Le premier est toujours provisoire, le second purement transitoire, et le troisième seul définitif. Ce dernier diffère surtout des deux autres par sa substitution caractéristique du relatif à l'absolu, quand l'étude des lois remplace enfin la recherche des causes.
A. COMTE, Catéchisme positiviste, 1852, p. 82.
Rem. Abstrait fonctionne le plus souvent en concurrence synon. ou anton. avec, et dans l'ordre des fréquences, général, simple, universel, intelligible, différent du sensible (cf. en partic. ex. 3 à 10, 17).
B.— [En parlant d'une pers. ou de son air ou apparence habituelle]
1. [Avec correspondance à l'emploi actif du verbe abstraire]
a) Qui use d'abstractions dans son lang.
Avec nuance péj. :
27. Le grand abus des abstractions est de prendre, en métaphysique, les êtres de raison, tels que la pensée, pour des êtres réels, etc., et de traiter, en politique, les êtres réels, tels que le pouvoir exécutif, comme des êtres de raison.
Avant que l'abstraction soit devenue pour l'esprit une chose qu'il puisse se représenter, et même concevoir, que de temps il lui faut! Par combien de retouches il faut fortifier cette ombre!
Combien de gens se font abstraits pour paraître profonds!
J. JOUBERT, Pensées, t. 1, 1824, p. 321.
P. ext. [En parlant de la pensée] :
28. Il faut choisir dans les lettres entre deux mépris :celui que l'auteur a pour lui-même s'il écrit des vulgarités populaires et celui que le vulgaire a pour lui s'il enveloppe sa pensée d'une forme d'art qui la rend plus belle, plus abstraite et plus difficile à comprendre.
A. DE VIGNY, Le Journal d'un poète, 1851, p. 1288.
b) Dont la pensée se complaît dans l'abstraction :
29. « Orgueil et faiblesse, pensa-t-il. Et mauvaise foi. Un petit visage bourgeois bouleversé par un égarement abstrait des traits charmants, mais sans générosité. »
J.-P. SARTRE, La Mort dans l'âme, 1949, p. 120.
30. Il avait eu comme condisciple à Stanislas Marcel Bouteron, grand spécialiste de Balzac; il en parlait avec commisération : il trouvait dérisoire qu'on consumât sa vie dans de poussiéreux travaux d'érudition. Il nourrissait contre les professeurs de plus sérieux griefs; ils appartenaient à la dangereuse secte qui avait soutenu Dreyfus : les intellectuels. Grisés par leur savoir livresque, butés dans leur orgueil abstrait et dans leurs vaines prétentions à l'universalisme, ceux-ci sacrifiaient les réalités concrètes — pays, race, caste, famille, patrie — aux billevesées dont la France et la civilisation étaient en train de mourir : les droits de l'homme, le pacifisme, l'internationalisme, le socialisme.
S. DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 177.
P. ext., rare :
31. ... quand je lui ai dit que j'aimerais visiter les nouvelles installations, il s'est étonné de voir un intellectuel abstrait et léger comme moi s'intéresser aux précisions viriles de la technique.
P. NIZAN, La Conspiration, 1938, p. 158.
2. [Avec correspondance à l'emploi pronom. du verbe abstraire] Qui par la pensée s'isole du monde environnant. Avec nuance péj., indifférent à ce qui se passe autour de lui. Vieilli, distrait :
32. J'étais né pour être bénédictin. La contemplation continue et non interrompue de toute chose est un bonheur, et l'état naturel pour moi est l'abstraction.
Je suis né abstrait, mon professeur de grec me répétait : vous êtes abstrait et distrait. L'action publique n'est que secondaire et je suis né désenchanté de la vie et n'y trouvant rien qui soit digne d'attention, si ce n'est la contemplation et la passion pour la beauté.
A. DE VIGNY, Le Journal d'un poète, 1850, p. 1275.
33. Il voulut s'arrêter devant une vitrine, mais elle se dit qu'elle serait tout de suite remarquée, surveillée; et elle continua à marcher vite, d'un pas égal, sans rien voir, l'air abstrait, fermé, fuyant l'interrogation furtive partout dardée sur elle.
J. CHARDONNE, L'Épithalame, 1921, p. 239.
34. Nerveux, on le voyait sans cesse mâchonner sa moustache ou se mordre les doigts, ou remuer son râtelier. Débraillé, souvent sale, il faisait son cours en bras de chemise, le melon sur la tête, une main en arrière dans la ceinture de son pantalon, confirmant de l'autre, à grands gestes majestueux, la solennité des formules qu'il annonçait emphatiquement. Invraisemblablement abstrait, distrait et lunatique, négligent de sa personne au delà de toute idée, les mains rongées d'acide, les doigts bruns de nicotine, toujours sur le point de perdre son mouchoir ou son porte-mine, le nœud de cravate pendant, mal boutonné, mal ciré, mal brossé, rarement peigné et toujours en retard, il passait dans l'existence comme une espèce de grand gamin rêveur et puéril, ...
M. VAN DER MEERSCH, L'invasion 14, 1935, p. 71
35. Van Bergen savait que Maria aimait rire. Et il la plaisantait en néerlandais, lui faisait une cour pressante, qui soulevait de grands éclats de gaieté. Seul, Josef Van Oostland restait impassible dans son coin, entre le poêle de faïence et la petite fenêtre à rideaux blancs, et fumait, les yeux mi-clos, l'air abstrait et indifférent, une longue pipe de terre blanche, à la Brauwer.
M. VAN DER MEERSCH, L'Empreinte du dieu, 1936, p. 139.
3. [Avec correspondance à l'emploi passif du verbe abstraire] (êtres ou entités vivantes) dont on se fait une représentation vidée de contenu concr. :
36. Hommes pieux, qui parlez de Dieu avec tant de certitude et de confiance, veuillez nous dire ce qu'il est; faites-nous comprendre ce que sont ces êtres abstraits et métaphysiques que vous appelez Dieu et âme, substances sans matière, existence sans corps, vies sans organes ni sensations.
J.-F. DE VOLNEY, Les Ruines, 1791, p. 206.
37. L'homme, parce qu'il n'est qu'un effet, a voulu que le monde en fût aussi un, et dans le délire de sa métaphysique il a imaginé un être abstrait appelé Dieu, séparé du monde et cause du monde, placé au-dessus de la sphère immense qui circonscrit le système de l'univers, et lui seul s'est trouvé garant de l'existence de cette nouvelle cause; c'est ainsi que l'homme a créé Dieu.
C.-F. DUPUIS, Abrégé de l'origine de tous les cultes, préf., 1796, p. 10.
38. ... (les) passions nommées amour, amitié, haine, etc., ont leur siège et leur résidence en nous, existent subjectivement en nous, à tel point que si elles n'étaient pas en nous, bien qu'invisibles, nous ne serions pas. Ainsi d'abord ces passions bonnes ou mauvaises, c'est nous, ce sont des hommes, c'est l'homme. Et bien, il en est de même, sous ce premier rapport, de l'être abstrait ou universel appelé humanité. L'humanité, c'est la nature humaine en nous, c'est-à-dire la nature générique de l'homme contenue virtuellement en nous dans toute son infinité, et réalisée partiellement d'une certaine façon constituant à la fois notre particularité et notre vie présente.
P. LEROUX, De l'Humanité, 1, 1840, p. 254.
39. ... un ami c'est quelqu'un, et (...) le public ce n'est personne; (...) un ami a un visage, et (...) le public n'en a pas; (...) un ami est un être présent, écoutant, regardant, un être réel, et (...) le public est un être invisible, un être de raison, un être abstrait, (...) un ami a un nom et (...) le public est anonyme; (...) un ami est un confident et (...) le public est une fiction. Je rougis devant l'un parce que c'est un homme, je ne rougis pas devant l'autre parce que c'est une idée; ...
A. DE LAMARTINE, Nouvelles confidences, 1851, p. 30.
III.— Emploi subst., PHILOS. Ce qui a les caractères de la pensée ou de l'expression abstraite :
40. La masse d'amour que le ciel lui avait donnée, il ne la jeta pas sur un être ou sur une chose, mais il l'éparpilla tout alentour de lui, en rayons sympathiques, animant la pierre, conversant avec les arbres, aspirant l'âme des fleurs, interrogeant les morts, communiant avec le monde. Il se retirait petit à petit du concret, du limité, du fini, pour demeurer dans l'abstrait, dans l'éternel, dans le beau. Il aimait moins de choses à force d'en aimer davantage, il n'avait plus d'opinions politiques à force de s'occuper d'histoire.
G. FLAUBERT, La Première éducation sentimentale, 1845, p. 157.
41. Aller du connu à l'inconnu, c'est notre lot; autant dire du simple et abstrait vers le concret et l'individuel, que nous n'épuiserons pas.
ALAIN, Propos, 1922, p. 400.
42. ... je procède, dans ces confidences relatives, du concret vers l'abstrait, des impressions aux pensées, ...
P. VALÉRY, Variété 3, 1936, p. 239.
Prononc. :[], fém. []. Enq. :/ 1, D; 2t /.
Étymol. — Corresp. rom. : prov. abstrayt; ital. astratto; esp. abstracto; cat. abstracte; port. abstracto.
I.— 1. 1372 (1522) « (terme) qui exprime un concept indépendant de l'objet » terme de gramm. (J. CORBICHON, Propriété des choses, I, 7, éd. 1522 ds QUEM. t. 1 1959 et DG :noms... que les grammairiens appellent abstractz); 2. a) 1568 « séparé (de la matière) » terme philos. (LOUIS LE ROY, trad. des Politiques d'Aristote, I, 3, Commentaire ds HUG. : que les intellectz abstractz sont coëternelz avec Dieu); b) 1605 « séparé (des contingences terrestres) » (PH. DE MARNIX, Différ. de la Relig. II, 1, 2 ibid., : Dieu... ne peut en aucune façon estre cogneu ni apprehendé sinon d'une ame abstracte, et retirée de la contemplation de toutes choses terriennes).
II.— 1400-3 « retiré, caché (d'une vie) » terme gén. (CHRISTINE DE PISAN, Mutation de fortune, éd. Solente 23 635-6 : Paix, solitude volumtaire, Vie astracte, solitaire).
Empr. au lat. abstractus, part. passé de abstrahere, attesté au sens I, emploi math. (dep. CASSIODORE, De arte grammat., VII, 214, 3 ds TLL s.v. :abstracta... quantitas dicitur, quam intellectu a materia separantes vel ab aliis accidentibus sola ratiocinatione tractamus); cf. avec emploi I 1, ALBERT LE GRAND, Comm. in sent. P. Lombardi, 1, 33, 1 ds Mittellat. W. s.v., 63, 5 : utrum liceat proprietates abstracto nomine significari; cf. avec I 2a, ID., Quaest. super lib. de animalibus, 1, 1, ibid. 62, 68 : illud quod est universalius, est a materia abstractus; cf. avec I 2 b, ID., De somno, 3, 1, 6, ibid. 4, 3 : quidam sortiuntur animas altiores... quanto fuerint abstractiores. II, terme gén., élargissement de sens à partir de I.
HIST. — À l'orig. un seul mot avec 2 orth. : abstract / abstrait indifféremment empl. jusqu'à FUR. 1690; puis les 2 orth. donnent 2 mots, mais dont les sens sont assez mal définis : d'une part, l'adj. abstract, de l'autre, le part. passé adjectivé abstrait de abstraire. Ac. 1718 regroupe pour la 1re fois tous les sens sous une vedette unique abstrait, alors que FUR. 1690 et Trév. continuent à distinguer 2 vedettes jusqu'en 1771, tout en donnant abstract pour ,,un peu barbare``.
I.— Sens disparus av. 1789. — « Retiré, caché, isolé », extension du sens premier (cf. inf. II) : Les wantiers de ceste ville n'avoient lieu comode au marchié pour estaller (...) pour vendre leur (...) marchandises par ce qu'ilz estoient en lieu abstrat. (10 nov. 1552, Reg. aux Publicat., Arch. Tournai ds GDF.). — Rem. Emploi particulier : « retiré, caché » (en parlant d'une vie), ca 1400, cf. étymol. II.
II.— Hist. du sens et des emplois attestés apr. 1789. — Un seul sens (cf. déf. par DUB.) et différents emplois. Le sens apparaît pour la 1re fois en 1372 (cf. étymol. I 1) dans la lang. techn. de la gramm. Attesté ensuite comme terme de philos. (FUR. 1690), dogmatique (Ac. 1694) ou didactique (Ac. 1762), il a multiplié ses emplois et reste bien vivant. A.— Emplois se rapportant à l'inanimé. — 1. Emploi gén. « qui s'attache à l'aspect purement intellectuel d'une chose en dehors de toute qualité sensible et individuelle. » 1re attestation au XVIIe s. : Ce discours quoique abstrait, me paraît assez bon. REGNARD, 1655-1709 ds JOURNET-PETIT t. 1 1966, ROB. RICH. t. 1 1680 lui donne une valeur péjorative : Qui est détaché des choses sensibles, malaisé à pénétrer, vague. Discours abstrait. — Permanence de ce sens, mais avec une valeur péj. plus prononcée (cf. sém.). 2. Emplois partic. : ce sont des emplois techn. déf. par le cont. (l'adj. étant toujours associé à un mot qui détermine son champ d'application : terme pour la gramm., nombre, sciences, art, etc.). Ils sont énumérés ci-après dans l'ordre chronol. d'apparition : a) terme abstrait (gramm.) : 1re attest. au XIVe s. (cf. étymol. I 1); permanence de cet emploi : XVIIe s. : La blancheur est un terme abstrait (...) (FUR. 1690). XIXe et XXe s. cf. sém. A 5 c. b) sc. abstraites. Apparition au XVIIe s. : J'avais passé beaucoup de temps dans l'étude des sciences abstraites; mais le peu de gens avec qui on en peut communiquer m'en avait dégoûté. (PASCAL ds JOURNET-PETIT t. 1 1966, ROB.). RICH. t. 1 1680 lui donne un sens péj. « malaisé à pénétrer, vague ». Permanence de ce sens (cf. sém.). c) nombre abstrait. Apparaît ds Trév. 1771, subsiste. d) math. abstraites. Dès le XVIIIe s. : Les Mathématiques abstraites ou pures sont celles qui considèrent la grandeur ou la quantité absolument en général, sans se borner à aucune espèce particulière, comme la Géométrie et l'Arithmétique. Dans ce sens elles sont opposées aux Mathématiques mixtes. (Trév. 1771). Emploi attesté au XIXe s. (Ac. Compl. 1842), mais inusité au XXe. e) art abstrait. N'apparaît qu'au XXe s. (cf. sém.). B.— Emploi se rapportant à l'animé : ,,se dit d'un homme qui est comme isolé, séparé du monde extérieur, absent, distrait, indifférent à ce qui se passe autour de lui, absorbé, renfermé en lui-même.`` (ROB.). Apparaît au XVIe s. d'abord dans le cont. partic. du supra-sensible, sans nuance péj. cf. étymol. I 2 et aussi : En tel personnaige studieux vous voirez suspendues toutes les facultez naturelles (...) vous le jugerez (...) estre hors soy abstraict par ecstase. (RABELAIS, Tiers Livre, 1546, 31 ds HUG., s.v. abstraire). — Rem. 1. Au XVIIe s., Rich. t. 1 1680 note une nuance péj.; le mot se charge d'un contenu affectif, être abstrait est une disposition caractérielle : Phédon est abstrait, rêveur, et il a avec de l'esprit, l'air d'un stupide. (LA BRUYÈRE, Caractères, VI, 83 ds CAYROU 1948). 2. La confusion abstrait / distrait est dénoncée par Trév. 1771, mais la distinction devient nette ds Ac. 1798 : On est abstrait pour être appliqué à une seule chose. On est distrait par inapplication et légèreté. 3. Au XIXe s., dans le lang. cour., se dit d'une personne : « qui pense par idées abstraites, s'exprime dans un langage abstrait et par suite, est difficile à comprendre ». Kant est un philosophe abstrait. (LITTRÉ). C.— Emploi comme adj. substantivé : l'abstrait ou les abstraits. Terme issu de la scolastique p. oppos. au concret. Il apparaît au XVIIe s. et subsiste : XVIIe s. : De la connoissance des abstracts on parvient à celle des concrets, qui est le terme opposé. (FUR. 1690). XVIIIe s. : La connaissance des concrets est toujours antérieure à celle des abstraits. (LEIBNIZ, Nouv. essais, II, 12 ds DG). XIXe et XXe s. : cf. sém.
STAT. — Fréq. abs. litt. :2 466. Fréq. rel. litt. :XIXe s. : a) 2 890, b) 1 952; XXe s. : a) 3 053, b) 5 139.
BBG. — BAILLY (R.) 1969. — BAR 1960. — BÉL. 1957. — BÉNAC 1956. — BONNAIRE 1835. — DAGN. 1965. — DAM.-PICH. Gloss. 1949. — FOULQ.-ST-JEAN 1962. — GIRARD 1756. — GOBLOT 1920. — Gramm. t. 1 1789. — GUIZOT 1864. — JULIA 1964. — KNAUER (K.). Beiträge zum Ausdruck vom Abstrakten im Französischen. Rom. Forsch. 1930, t. 44, pp. 185-254. — KOLD. 1902. — LAF. 1878. — LAL. 1968. — LAV. Diffic. 1846. — LITTRÉ-ROBIN 1865. — MAR. Lex. 1961 [1951]. — MIQ. 1967. — PIÉRON 1963. — PRIVAT-FOC. 1870. — REY-COTTEZ 1968, t. 36, n° 2, p. 139. — ROMEUF t. 1 1956. — SARDOU 1877. — SOMMER 1882. — SPR. 1967. — SPRINGH. 1962. — Synon. 1818. — Théol. cath. Table 1929. — UV.-CHAPMAN 1956.

abstrait, aite [apstʀɛ, ɛt] adj. et n. m.
ÉTYM. 1372, abstract, t. de gramm.; lat. abstractus, p. p. de abstrahere, refait d'après le p. p. de abstraire.
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I Adj.
1 Se dit d'une notion de qualité ou de relation considérée par abstraction.Gramm. Se dit des termes (ou noms) qui désignent les qualités conçues indépendamment des sujets qui les possèdent, par opposition aux termes (ou noms) concrets qui désignent ou qualifient les sujets eux-mêmes.
Rondeur (la rondeur d'un visage) est un terme abstrait; rond (un visage rond) est un terme concret.
Math. || Nombre abstrait, que l'on énonce comme une collection d'unités, en faisant abstraction de la nature de celles-ci, par opposition à nombre concret. || Sept est un nombre abstrait; sept dans sept pommes est un nombre concret.Phys. || Nombre abstrait, sans unité.
N. m. Ce qui est abstrait. Abstraction (cit. 3). || Dans l'abstrait : sans référence à la réalité concrète. Abstraitement. || Parler dans l'abstrait.
1 (Abstrait) se dit de toute notion de qualité ou de relation que l'on considère à part des représentations où elle est donnée. Par opposition, la représentation complète, telle qu'elle est ou peut être donnée, est dite concrète.
Lalande, Voc. de la philosophie.
2 Une idée est « plus ou moins abstraite » qu'une autre, selon que sa compréhension — c'est-à-dire l'ensemble des caractères qu'elle évoque — est plus ou moins restreinte que celle de cette autre.
Cuvillier, Petit voc. de la langue philosophique.
3 Le langage humain tend à l'abstrait et s'éloigne toujours davantage du concret.
A. Maurois, Études littéraires, t. I, p. 46.
4 Les discussions des philosophes ne portent pas sur la nature des choses, mais sur les rapports de certains mots, assez largement abstraits pour être vides et indéfinissables.
A. Maurois, Études littéraires, t. I, p. 32.
5 Le mot est devenu un signe abstrait qui désigne conventionnellement à l'intelligence telle ou telle notion. Il n'atteint plus la sensibilité qu'indirectement, par l'intermédiaire de la raison et de l'imagination.
Henri Lichtenberger, Richard Wagner, p. 132.
2 Qui use d'abstractions, opère sur des qualités et des relations et non sur la réalité. || Des spéculations abstraites. || Un point de vue abstrait.
6 La pensée abstraite fatigue l'homme, parce que l'homme n'est pas un pur esprit.
Gustave Lanson, l'Art de la prose, p. 72.
Indépendant de la situation concrète.
6.1 Les orateurs (…) jouent d'ailleurs leurs rôles d'une façon parfaitement abstraite, parlant toujours droit devant eux sans que leur regard se fixe sur qui que ce soit…
A. Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New York, p. 41.
Sciences abstraites, qui usent des abstractions (mathématique, logique; métaphysique autrefois). Pur.
3 Cour. Qui est difficile à comprendre, à cause des abstractions, par le manque de représentations du monde sensible. || Un texte, par ext., un auteur trop abstrait. Abscons, abstrus.
7 Et, s'il (le prédicateur) s'écarte de ces lieux communs, il n'est plus populaire, il est abstrait ou déclamateur, il ne prêche plus l'Évangile.
La Bruyère, les Caractères, XV, 26.
4 (Personnes). Vx (langue class.) ou littér. Qui est comme renfermé en lui-même, séparé du monde extérieur.
8 Il est abstrait, rêveur, et il a, avec de l'esprit, l'air d'un stupide.
La Bruyère, les Caractères, VI, 84.
9 Quand il marche dans la rue, il est constamment préoccupé et abstrait.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. II, p. 16.
5 (1932, in D. D. L.). Qui ne représente pas le monde sensible (réel ou imaginaire); qui utilise la matière, la ligne et la couleur pour elles-mêmes. || Art abstrait. Abstraction. || Peinture, toile, composition, sculpture abstraite. Figuratif (non figuratif).
10 Dépouillé de toute ressemblance avec les formes de la nature, le tableau abstrait crée un répertoire de signes émotionnels qui atteignent directement (…) la sensibilité du spectateur.
M. Brion, l'Abstraction, 10, in Foulquié, Dict. de la langue philosophique, art. Abstraction.
11 Pourtant ma peinture n'est pas, comme beaucoup le croient, une peinture abstraite. Ma peinture est au contraire ultraréaliste.
M. Aymé, le Vin de Paris, « La bonne peinture », p. 214.
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II N. m.
1 Ce qui a les caractères de la pensée abstraite. || Demeurer dans l'abstrait. || Aller du concret vers l'abstrait.Le plus, le moins abstrait.
12 (…) il faut commencer par le commencement; et la nature nous jette justement aux yeux et dans les mains ce qui est le plus obscur et le plus difficile. Il faut comprendre cette ruse de la raison, et cet immense détour qui nous instruit par le plus simple, le plus abstrait et le moins touchant.
Alain, Propos, 16 mai 1922, Les conditions de l'expérience.
2 (1935). || L'abstrait : l'art abstrait. Abstraction.
13 Pignon, lui, se moque du conformisme de l'abstrait. Ce qui vit, rutile et bouge à jamais sur ses toiles, m'a rendu heureux (…)
F. Mauriac, le Nouveau Bloc-notes 1958-1960, p. 334.
Un abstrait : un peintre abstrait (homme ou femme). || Les abstraits et les surréalistes.
14 Oui, nous mettons à profit l'enseignement des impressionnistes, aussi bien que celui des cubistes et des abstraits.
Claude Mauriac, le Dîner en ville, p. 138.
Tableau abstrait.
15 Il y avait (…) un luminaire de boutique et deux fauteuils de télévision. Des abstraits au mur.
René Masson, Drugstore, p. 163.
CONTR. Concret, positif, réel. — Naturel, simple. — Figuratif.
DÉR. Abstraitement.

Encyclopédie Universelle. 2012.