RELIGION
L’ÉTYMOLOGIE du terme religion reste incertaine; elle est controversée depuis l’Antiquité.
À la suite de Lactance, de Tertullien, les auteurs chrétiens se plaisent à expliquer le latin religio par les verbes ligare, religare , lier, relier. La religion serait un lien de piété, elle aurait pour objet les relations qu’on entretient avec la divinité, elle signifierait attache ou dépendance, elle profiterait même des nuances et des variations de sens que nous obtenons, en français comme en latin, lorsque nous changeons un rattachement en attachement, un lien effectif en lien affectif.
Une autre origine est plus probable, signalée par Cicéron, appuyée de son autorité. Religio se tire de legere , cueillir, ramasser, ou de religere , recueillir, recollecter. Toutefois ce dernier verbe, attesté seulement par un participe, est une restitution. D’après Émile Benveniste, il voulait dire: revenir sur ce qu’on fait, ressaisir par la pensée ou la réflexion, redoubler d’attention et d’application. En conséquence, religion est synonyme de scrupule, de soin méticuleux, de ferveur inquiète. Dans ce sens, le mot convient éminemment à l’exercice du culte, à l’observance rituelle, qui exigent que la pratique soit littérale, le zèle soucieux et vigilant. Si religion équivaut à délicatesse de conscience, à recueillement intense, à circonspection craintive et minutieuse, on comprend que le terme se soit fixé rapidement, presque exclusivement, sur l’expérience ou la manipulation du sacré. Il ne la signifiait pas d’abord. Mais en signifiant l’attitude qu’elle requiert, il était destiné à glisser de la disposition subjective qu’il souligne aux réalités objectives que cette disposition concerne.
De cette double étymologie il n’y a rien à conclure, si ce n’est que les langues occidentales (à la différence d’autres idiomes, même indo-européens) ont appris à spécialiser un vocable pour distinguer des autres institutions sociales l’appareil des croyances et des rites. Or c’est là une initiative de rupture, qui tend à penser séparément ce qui ne l’avait jamais été. Les sociétés archaïques sont tellement pénétrées de surnaturel qu’il n’est pas question d’isoler la sacralité de la socialité elle-même. Elles n’ont pas une religion. C’est leur constitution du social qui est intrinsèquement religieuse.
Aussi bien les civilisations de la religion spécifiée, de la religion instituée hors des autres institutions sont-elles responsables de la marginalisation progressive des religions. En délimitant le sacré, elles l’ont limité. Elles ont d’ailleurs bien fait de laïciser la plupart des activités de l’homme, car l’autonomie va de pair avec la maîtrise: il n’y a pas de transcendance à invoquer là où l’immanence suffit et se suffit (le judéo-christianisme a lui-même désacralisé la nature). Mais elles ont encouragé moins une religion radicale qu’une religion qui œuvre à part, qui fonctionne en marge ou à l’écart, qui apporte le «supplément d’âme» dont les technicismes auraient besoin à titre de complément. Comme les technicismes n’éprouvent nullement ce besoin, comme une religion surajoutée n’est plus le fondement du social, mais son accompagnement, son ornement, l’idée a germé que la religion est affaire de conscience individuelle, non de vie en commun, non d’équilibre ou de régulation sociale. Au terme de cette évolution, on aura une société purement profane et un mysticisme d’ordre privé, un sacré résiduel.
Ou plutôt, s’il est vrai que l’intuition archaïque contenait, parmi des éléments contestables, des éléments fondamentaux, à la fois fondés et fondateurs, on devrait avoir, avec la régression de religions devenues marginales, une réinvention du sacré social, du sacré comme social. Il semble bien en effet que ni le fait du rite, c’est-à-dire du geste symbolique, ni le fait de croire, c’est-à-dire de professer des valeurs qui engagent au-delà des raisons qu’on en donne, ne soient éliminables. Toute société s’instaure et persévère en s’exaltant, en se fêtant elle-même (elle se remémore, elle se commémore), et plus encore en se dépassant, en se soulevant au-dessus d’elle-même. Il est donc improbable que la fourniture religieuse vienne à manquer, puisqu’elle est prise directement du dynamisme social: la société n’en manquerait qu’en se manquant à elle-même.
Cette estimation était celle de Durkheim, dès 1912. Il voyait dans la religion «quelque chose d’éternel qui est destiné à survivre à tous les symboles particuliers dans lesquels la pensée religieuse s’est successivement enveloppée». Il ne pouvait ni prédire ni prescrire la religion de l’avenir, car, écrivait-il, «nous traversons une phase de transition et de médiocrité morale». Il conjecturait seulement que la religion perdrait sa fonction spéculative, mais que la science ne nierait pas la religion, car: «Comment la science pourrait-elle nier une réalité?» Sur un point il restait confus: il n’admettait comme transcendance que le dépassement des individus dans la fusion sociale, dans une «conscience de consciences», alors que les libertés personnelles sont capables de contester même la société qui les nourrit, même l’ordre qui les associe et qui les porte. Mais il considérait l’ensemble supra-individuel comme un «système de forces agissantes», comme une «vie» qui connaîtrait encore des «heures d’effervescence créatrice» d’où surgiraient de «nouveaux idéaux», de «nouvelles formules», un «culte vivant».
religion [ r(ə)liʒjɔ̃ ] n. f.
• 1085 « monastère »; lat. religio « attention scrupuleuse, vénération », de relegere « recueillir, rassembler » (de legere « ramasser », et fig. « lire »), ou de religare « relier »
I ♦ (1170) Ensemble d'actes rituels liés à la conception d'un domaine sacré distinct du profane, et destinés à mettre l'âme humaine en rapport avec Dieu.
1 ♦ LA RELIGION : reconnaissance par l'être humain d'un pouvoir ou d'un principe supérieur de qui dépend sa destinée et à qui obéissance et respect sont dus; attitude intellectuelle et morale qui résulte de cette croyance, en conformité avec un modèle social, et qui peut constituer une règle de vie (⇒ religieux; spirituel; 1. sacré, saint) . « La religion n'est ni une théologie, ni une théosophie; elle est plus que tout cela : une discipline, une loi, un joug, un indissoluble engagement » (Joubert). « La religion est devenue chose individuelle » (Renan). « Un peu de philosophie éloigne de la religion, et beaucoup y ramène » (Rivarol). Personne sans religion. ⇒ agnostique, areligieux, athée, impie, incrédule, incroyant, mécréant. Qui combat la religion. ⇒ irréligieux. Indifférence, intolérance, tolérance en matière de religion. « La religion est l'opium du peuple », a dit K. Marx.— Guerres de religion.
2 ♦ (XIIe) Attitude particulière dans les relations avec Dieu. ⇒ foi; déisme, panthéisme, 1. théisme; mysticisme. — La religion de qqn. Une religion sentimentale, vague (⇒ religiosité) , formaliste (⇒ pharisaïsme) , profonde. Jésus « dédaignait tout ce qui n'était pas la religion du cœur » (Renan).
♢ Absolt Avoir de la religion : être croyant, pieux. « Chaque jour, la religion le reprenait davantage » (Zola).
3 ♦ UNE RELIGION : système de croyances et de pratiques, impliquant des relations avec un principe supérieur, et propre à un groupe social. ⇒ confession (3o), croyance, culte. REM. Jusqu'au XVIIe s., religion, opposé à superstition, désignait spécialement la religion catholique, considérée comme seule vraie. « L'origine des religions se confond avec les origines mêmes de la pensée et de l'activité intellectuelle des hommes » (S. Reinach). Histoire, sociologie des religions. « À côté de chaque religion se trouve une opinion politique qui, par affinité, lui est jointe » (Tocqueville). Religion qui se répand, se divise (⇒ hérésie, schisme; secte) , disparaît. Religion d'État. Neutralité d'un État en matière de religion. ⇒ laïcité. — Professer, pratiquer, embrasser une religion. Adeptes, sectateurs d'une religion. — Abjurer, renier une religion; se convertir à une religion. Dogmes, légendes, mythes, symboles d'une religion. — Pratiques, prescriptions des religions. ⇒ cérémonial, culte, liturgie, rite, rituel; observance. — Ministres, prêtres, fonctionnaires des diverses religions : bonze, brahmane, clerc, imam, 2. lama, lévite, mage, muezzin, mufti, pasteur, pontife, pope, prélat, rabbin, sorcier. — Religions polythéistes. Religions initiatiques. Religions révélées. Religions dites « primitives ». ⇒ animisme, chamanisme, fétichisme, totémisme. Religion grecque, romaine (⇒ mythologie) . Religion celtique (⇒ druidisme) . — Religions d'Orient. ⇒ bouddhisme, brahmanisme, hindouisme, jaïnisme, tantrisme, védisme; manichéisme, mazdéisme; confucianisme, shintoïsme, taoïsme. Religion chrétienne. ⇒ christianisme. Religion juive. ⇒ judaïsme. Religion musulmane. ⇒ islam, islamisme. La religion catholique, apostolique et romaine. ⇒ catholicisme. La religion réformée. ⇒ protestantisme.
♢ Par ext. Ma religion m'interdit de boire de l'alcool (se dit aussi par plais.). C'est contraire à ma religion.
♢ Par anal. (en parlant de doctrines, de philosophies comparables à une religion) « La religion de l'avenir sera le pur humanisme » (Renan). Une religion du progrès, de la raison.
♢ Fig. Activité ou organisation comparée à une doctrine religieuse, à un culte. Le parti communiste « est à la fois une religion, une église, une communauté et un ordre » (Gaxotte).
4 ♦ Fig. Sentiment de respect, de vénération (⇒ adoration) ou sentiment du devoir à accomplir (⇒ zèle), comparés au sentiment religieux; objet d'un tel sentiment. Point de religion : cas de conscience, scrupule. — L'honneur militaire, « cette religion de loyauté » (Sainte-Beuve). — Loc. Éclairer la religion de qqn, éclairer ses idées sur qqch. (cf. Éclairer la lanterne de qqn).
II ♦ (XIIe) Dans le christianisme, Vie consacrée à la religion, par des vœux; état de religieux, de religieuse. Entrer en religion : prononcer ses vœux (cf. Prendre l'habit, le voile). Nom de religion, que prend un religieux, qui perd son nom laïque.
♢ Liturg. cathol. Société reconnue par l'autorité ecclésiastique, et dont les membres prononcent des vœux. ⇒ congrégation, ordre.
⊗ CONTR. Doute, irréligion.
● religion nom féminin (latin religio) Ensemble déterminé de croyances et de dogmes définissant le rapport de l'homme avec le sacré. Ensemble de pratiques et de rites spécifiques propres à chacune de ces croyances. Adhésion à une doctrine religieuse ; foi : N'avoir plus de religion. Littéraire. Toute organisation ou activité pour lesquelles on a un sentiment de respect ou de devoir à accomplir : La politique était pour lui une religion. ● religion (citations) nom féminin (latin religio) Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 L'art et la religion ne sont pas deux choses, mais plutôt l'envers et l'endroit d'une même étoffe. Préliminaires à la mythologie Flammarion Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 Il est temps d'instaurer la religion de l'amour. Le Paysan de Paris Gallimard Pierre Bayle Le Carla 1647-Rotterdam 1706 Croire que la religion dans laquelle on a été élevé est fort bonne et pratiquer tous les vices qu'elle défend sont des choses extrêmement compatibles, aussi bien dans le grand monde que par le peuple. Nouvelles de la République des Lettres José Cabanis Toulouse 1922-Balma, Haute-Garonne 2000 Académie française 1990 Peut-être dans le domaine de la religion, comme dans celui de l'amour, est-il inévitable de recourir à des termes vagues : tout y est vrai, pourvu qu'on y croie. Plaisir et lectures Gallimard Paul Claudel Villeneuve-sur-Fère, Aisne, 1868-Paris 1955 C'étaient les précieux de la religion. Correspondance avec André Suarès Gallimard les jansénistes Jean Cocteau Maisons-Laffitte 1889-Milly-la-Forêt 1963 Académie française, 1955 La poésie est une religion sans espoir. Journal d'un inconnu Grasset Victor Cousin Paris 1792-Cannes 1867 Académie française, 1830 Il faut de la religion pour la religion, de la morale pour la morale, de l'art pour l'art. Le bien et le saint ne peuvent être la route de l'utile, ni même du beau. Cours de philosophie Commentaire La première phrase de cette citation serait à l'origine de la fameuse doctrine esthétique de l'art pour l'art. Numa Denis Fustel de Coulanges Paris 1830-Massy 1889 On se trompe gravement sur la nature humaine si l'on suppose qu'une religion puisse s'établir par convention et se soutenir par imposture. La Cité antique Jules Huot de Goncourt Paris 1830-Paris 1870 et Edmond Huot de Goncourt Nancy 1822-Champrosay, Essonne, 1896 Lorsque l'incrédulité devient une foi, elle est plus bête qu'une religion. Journal Fasquelle Jules Huot de Goncourt Paris 1830-Paris 1870 et Edmond Huot de Goncourt Nancy 1822-Champrosay, Essonne, 1896 Une religion sans surnaturel ! Cela m'a fait songer à une annonce que j'ai lue, ces années-ci, dans les grands journaux : vin sans raisin. Journal Fasquelle Remy de Gourmont Bazoches-au-Houlme, Orne, 1858-Paris 1915 La superstition est un peu plus humaine que la religion, parce qu'elle manque de morale. Pensées inédites Honoré Champion Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 Nous sommes pour la religion contre les religions. Les Misérables Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 La religion n'est autre chose que l'ombre portée de l'univers sur l'intelligence humaine. Philosophie, Commencement d'un livre Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 Toutes les religions ont raison au fond et tort dans la forme. Texte : Dieu. Traducteur, trahisseur. Une religion est un traducteur. Tas de pierres Éditions Milieu du monde Marcel Jouhandeau Guéret 1888-Rueil-Malmaison 1979 On a toujours plus de religion qu'on ne croit. La Jeunesse de Théophile Gallimard Gustave Le Bon Nogent-le-Rotrou 1841-Paris 1931 Si l'athéisme se propageait, il deviendrait une religion aussi intolérable que les anciennes. Aphorismes du temps présent Flammarion André Malraux Paris 1901-Créteil 1976 Croyez-vous que toute vie réellement religieuse ne soit pas une conversion de chaque jour ? La Condition humaine Gallimard André Malraux Paris 1901-Créteil 1976 La jeunesse est une religion dont il faut toujours finir par se convertir. La Voie royale Grasset Jacques Maritain Paris 1882-Toulouse 1973 Le religieux parfait prie si bien qu'il ignore qu'il prie. Le communisme est si profondément une religion — terrestre — qu'il ignore qu'il est une religion. Humanisme intégral Aubier Henry Millon de Montherlant Paris 1895-Paris 1972 Académie française, 1960 La religion est la maladie honteuse de l'humanité. La politique en est le cancer. Carnets Gallimard Napoléon Ier, empereur des Français Ajaccio 1769-Sainte-Hélène 1821 Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole. Allocution aux curés de Milan, 5 juin 1800 Étienne Pasquier Paris 1529-Paris 1615 Je ne puis me persuader qu'il faille avancer notre religion par les armes. Recherches de la France, VI, 26 François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Il semble […] que la populace ne mérite pas une religion raisonnable. Essai sur les mœurs, De la religion de la Chine Lactance, en latin L. Caecilius Firmianus, dit Lactantius près de Cirta vers 260-Trèves vers 325 Il y a religion dans la sagesse, et sagesse dans la religion. Idcirco et in sapientia religio, et in religione sapientia est. Institutions divines, IV, 3 Lucrèce, en latin Titus Lucretius Carus Rome ? vers 98-55 avant J.-C. Tant la religion fut capable de conseiller de mauvaises actions ! Tantum relligio potuit suadere malorum ! De natura rerum , I, 102 Commentaire Le poète pense à la terreur que pouvait inspirer la religion païenne, et plus particulièrement, ici, au sort malheureux d'Iphigénie. On préfère souvent traduire « relligio » par « superstition ». Napoléon Ier, empereur des Français Ajaccio 1769-Sainte-Hélène 1821 Nulle société ne peut exister sans morale. Il n'y a pas de bonne morale sans religion. Il n'y a donc que la religion qui donne à l'État un appui ferme et durable. Allocution aux curés de Milan, 5 juin 1800 William Blake Londres 1757-Londres 1827 Les prisons sont bâties avec les pierres de la Loi, les bordels avec les briques de la Religion. Prisons are built with stones of Law, brothels with bricks of Religion. The Marriage of Heaven and Hell Robert Burton Lindley, Leicestershire, 1577-Oxford 1640 Une religion est aussi vraie qu'une autre. One religion is as true as another. The Anatomy of Melancholy, III Samuel Butler Langar, Nottinghamshire, 1835-Londres 1902 La vérité est comme la religion : elle n'a que deux ennemis, le trop et le trop peu. Truth is like religion ; it has only two enemies — the too much and the too little. Erewhon, New Travels, 13 Frédéric II le Grand, roi de Prusse Berlin 1712-Potsdam 1786 Toutes les religions se valent et sont également bonnes si les gens qui les professent sont d'honnêtes gens. Alle Religionen sind gleich und gut, wenn nur die Leute, so sie professieren, ehrliche Leute sind. Réponse à une question du directeur des cultes, 1740 Georg Christoph Lichtenberg Ober-Ramstadt 1742-Göttingen 1799 N'est-il pas étrange de voir les hommes combattre si volontiers pour leur religion et vivre si peu volontiers selon ses préceptes ? Ist es nicht sonderbar, daá die Menschen so gerne für die Religion fechten und so ungerne nach ihren Vorschriften leben ? Aphorismes Karl Marx Trèves 1818-Londres 1883 La religion est l'opium du peuple. Religion ist Opium für das Volk. Contribution de la critique de « la Philosophie du droit » de Hegel Rabia al-Adawiyya ou Rabia al-Qaisiya 713-Bassora 801 Si je t'adore par crainte de l'Enfer, brûle-moi en Enfer ; si je t'adore dans l'espoir du Paradis, exclus-moi du Paradis. Mais si je t'adore pour toi-même, ne me prive pas de ta Beauté éternelle. Diwan George Bernard Shaw Dublin 1856-Ayot Saint Lawrence, Hertfordshire, 1950 Il n'y a qu'une seule religion, bien qu'il y en ait une centaine de versions. There is only one religion though there are hundred versions of it. Pièces plaisantes Jonathan Swift Dublin 1667-Dublin 1745 Nous avons tout juste assez de religion pour nous haïr, mais pas assez pour nous aimer les uns les autres. We have just enough religion to make us hate, but not enough to make us love one another. Thoughts on Various Subjects ● religion (expressions) nom féminin (latin religio) Entrer en religion, être agrégé par un engagement personnel à un ordre monastique ou à tout autre institut religieux. La Religion, aux XVIe et XVIIe s., dans le vocabulaire catholique, l'Église réformée. Se faire une religion sur quelque chose, se forger une opinion à ce sujet. Vieux. Se faire une religion de quelque chose, s'en faire une obligation absolue. Religion naturelle, ensemble de croyances ou de préceptes fondés sur les seules données de la raison et de la conscience. Sociologie des religions, étude des pratiques et des institutions religieuses. ● religion (synonymes) nom féminin (latin religio) Ensemble déterminé de croyances et de dogmes définissant le rapport...
Synonymes :
- culte
- église
Adhésion à une doctrine religieuse ; foi
Synonymes :
- foi
- piété
- spiritualité
Contraires :
- athéisme
Littéraire. Toute organisation ou activité pour lesquelles on a un sentiment...
Synonymes :
- culte
- dévotion
- idolâtrie
Religion naturelle
Synonymes :
Religion
(guerres de) ensemble des troubles et des guerres civiles (1562-1598) provoqués en France par la Réforme. Princ. épisodes: le massacre des protestants à Wassy (Haute-Marne) le 1er mars 1562, l'édit de pacification d'Amboise (1563), le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572), la paix de Monsieur (1576), l'assassinat du duc de Guise (1588), celui du roi Henri III (1589). Le nouveau roi de France, Henri IV, qui avait abjuré le protestantisme en 1572, puis dirigea le parti protestant, renouvela son abjuration en 1593; il reconquit le royaume et accorda aux protestants l'édit de Nantes (1598).
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Religion
n. f.
d1./d Ensemble de croyances ou de dogmes et de pratiques cultuelles qui constituent les rapports de l'homme avec la puissance divine (monothéisme) ou les puissances surnaturelles (polythéisme, panthéisme). Religion chrÉtienne, musulmane, animiste.
d2./d Foi, piété, croyance. Avoir de la religion.
d3./d état des personnes engagées par des voeux au service de Dieu, de leur église. Entrer en religion.
d4./d Par anal. Sentiment de vénération profonde pour qqch. Avoir la religion du progrès.
d5./d Loc. fig. Ma religion est faite: je sais à quoi m'en tenir.
⇒RELIGION, subst. fém.
I. A. — Au sing., gén. en empl. abs. Rapport de l'homme à l'ordre du divin ou d'une réalité supérieure, tendant à se concrétiser sous la forme de systèmes de dogmes ou de croyances, de pratiques rituelles et morales (v. infra B). Foi et religion; philosophie et religion; morale et religion; philosophie, psychologie, sociologie, théologie de la religion; le besoin de religion; indifférence en matière de religion. Le mot religion [chez les anciens] ne signifiait pas ce qu'il signifie pour nous; sous ce mot nous entendons un corps de dogmes, une doctrine sur Dieu, un symbole de foi sur les mystères qui sont en nous et autour de nous; ce même mot, chez les anciens, signifiait rites, cérémonies, actes de culte extérieur. La doctrine était peu de chose; c'étaient les pratiques qui étaient l'important; c'étaient elles qui étaient obligatoires et qui liaient l'homme (ligare, religio) (FUSTEL DE COUL., Cité antique, 1864, p. 210). Les travailleurs ont besoin de poésie plus que de pain (...) seule la religion peut être la source de cette poésie. Ce n'est pas la religion, c'est la révolution qui est l'opium du peuple (S. WEIL, Pesanteur, 1943, p. 180). V. fanatisme ex. 1:
• 1. Si l'on admet que les rapports avec le sacré constituent l'essentiel de la religion, la distance apparaît avec la philosophie. Mais il reste à s'entendre sur la notion du sacré; si l'on admet que le sacré inspire le respect et la crainte, une autre distance s'éclaire, avec la magie qui suppose audace et contrainte. On n'hésite point à reconnaître la religion dans le christianisme ou l'islamisme; on discute la part de religion que contiennent les grandes conceptions orientales de la vie et de la mort, les représentations et les pratiques des « primitifs »...
Traité sociol., 1968, p. 80.
♦ Guerre de religion. V. guerre A 1 en partic.
B. — Forme particulière que revêt pour un individu ou une collectivité cette relation de l'homme au divin ou à une réalité supérieure.
1. a) Au sing. et au plur. Ensemble des croyances relatives à un ordre surnaturel ou supra-naturel, des règles de vie, éventuellement des pratiques rituelles, propre à une communauté ainsi déterminée et constituant une institution sociale plus ou moins fortement organisée. On est contraint à la foi. Croire de force, tel est le résultat. Mais avoir foi ne suffit pas pour être tranquille. La foi a on ne sait quel bizarre besoin de forme. De là les religions. Rien n'est accablant comme une croyance sans contour (HUGO, Travaill. mer, 1866, p. 303). V. confession A p. ext., culte B 2 a:
• 2. Pour la plupart des civilisés, les églises ne sont que des musées où reposent les religions mortes. L'attitude des touristes qui profanent les cathédrales d'Europe montre à quel point la vie moderne a oblitéré le sens religieux. L'activité mystique a été bannie de la plupart des religions.
CARREL, L'Homme, 1935, p. 158.
♦ P. métaph. V. dogmatique ex. 2 et infra au fig.:
• 3. C'est en tant que religion, que la doctrine communiste exalte et alimente les ferveurs des jeunes gens d'aujourd'hui. Leur action même implique une croyance; et s'ils transfèrent leur idéal du ciel sur la terre, ainsi que je fais avec eux, ce n'en est pas moins au nom d'un idéal qu'ils luttent et, au besoin, se sacrifient.
GIDE, Journal, 1933, p. 1182.
SYNT. Les préceptes, les pratiques, la morale d'une religion; religions fondées, organisées, historiques; histoire des religions; embrasser, professer, pratiquer une religion; abandonner, abjurer, renier une religion; se convertir à une religion; changer de religion; enseigner, fonder une religion.
— [Suivi d'un adj. ou d'un compl. déterminatif]
♦ [Suivi d'un adj. caractérisant le système de croyances envisagé] Religions animistes, fétichistes, totémiques; religions dogmatiques, savantes. Seules les religions polythéistes ou panthéistes créent les idoles et sont créées par les idoles dans un échange passionné et continu d'idées, de sensations, de sentiments. Les religions monothéistes, au contraire hostiles à l'idole, ou bien triomphent avec le secours de l'idole, ou bien meurent sur place sans pouvoir se renouveler (FAURE, Espr. formes, 1927, p. 249).
♦ [Suivi d'un adj. ou d'un compl. donnant une indication d'ordre géogr. ou hist.] Religions anciennes, antiques, archaïques, primitives; religions actuelles; religions vivantes. L'homme, à cette voix dont l'accent le ranime [dans l'Apologie de Pascal], se remet donc à parcourir l'Univers, cherchant quelle religion est la vraie, comme il avait déjà fait pour les philosophies. (...) Ici serait venue une énumération des principales religions connues, celle de Mahomet, celle des anciens Grecs et Romains, celle des Égyptiens, celle de la Chine. Aucune de ces religions ne satisfait l'homme de Pascal, pas plus que tout à l'heure ne l'ont satisfait les philosophies (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 371).
♦ [Suivi d'un adj. ou d'un compl. déterminant la doctrine ou la communauté religieuse envisagée ou indiquant le nom de son fondateur] Les religions païennes; la religion judaïque, juive; la religion des Juifs, d'Israël, de Moïse; la religion chrétienne, des chrétiens, du Christ, de l'Évangile; la religion catholique, anglicane, orthodoxe, protestante, mahométane, musulmane, islamique; la religion de l'Islam, de Mahomet (v. supra ex. de Sainte-Beuve); la religion bouddhiste; la religion de Bouddha. Ce qu'il y a de plus probable, c'est qu'ils [les Druzes] sont, comme les Maronites, une tribu arabe du désert qui, ayant refusé d'adopter la religion du Prophète, et persécutée par les nouveaux croyants, se sera réfugiée dans les solitudes inaccessibles du haut Liban, pour y défendre ses dieux et sa liberté (LAMART., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 109):
• 4. ... pour lui [Passavant], le magnétisme, qui est d'abord une force organique, mais qui devient une force spirituelle lorsqu'on l'oriente dans ce sens, finit par être l'organe d'une vision divine. Et celle-ci est également le but que se propose le culte dans la religion catholique; rite et sacrement constituent une magie sacrée, grâce à laquelle la nature devient l'organe de l'esprit.
BÉGUIN, Âme romant., 1939, p. 75.
b) Locutions
— Religion domestique. [Dans l'Antiquité ou chez les peuples dits « primitifs »] Culte rendant hommage au(x) dieu(x) d'une famille, d'un foyer. La religion est encore domestique dans les peuplades qui vivent en familles, et c'est ce qui a été cause que quelques voyageurs, n'apercevant point chez elles de culte public, ont conclu qu'elles n'avoient aucune religion (BONALD, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 312). Dans cette religion primitive chaque dieu ne pouvait être adoré que par une famille. La religion était purement domestique (FUSTEL DE COUL., Cité antique, 1864, p. 33).
— Religion naturelle. [P. oppos. à religion positive (v. positif I A) et à religion révélée] Ensemble des connaissances relatives à Dieu, à ses attributs, aux principes de l'action morale, obtenues par les seules lumières de la raison et de la conscience, indépendamment de toute révélation. La religion parfaite et définie n'a pas été donnée à l'homme dès le principe. Aussi peut-on distinguer plusieurs phases dans le progrès de la religion. — 1 o Religion naturelle. C'est celle qui est inscrite par Dieu au cœur de l'homme, indépendamment de toute révélation extérieure. Cette religion comporte la connaissance de l'existence de Dieu, la notion de ses perfections et l'idée de devoirs à lui rendre (Bible 1912).
♦ [Princ. chez les philosophes du XVIIIe s. et p. réf. à eux] Elle croyait à cette sorte de religion naturelle préconisée et peu définie par les philosophes du dix-huitième siècle. Elle se disait déiste et repoussait avec un égal dédain tous les dogmes, toutes les formes de religion (SAND, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 364). [La conception de la religion naturelle] leur permettait de se détacher sans remords des religions positives auxquelles ils avaient cessé de croire, et de conserver néanmoins une religiosité très vive, à laquelle la « religion naturelle » fournissait un aliment suffisant (LÉVY-BRUHL, Mor. et sc. mœurs, 1903, p. 202). V. déisme ex.
— Religion patriarcale. V. patriarcal A 1. Religion positive. V. positif I A 1 et B 3 b p. méton. Religion révélée. Religion qui repose sur une révélation.
— Religion universelle. [P. oppos. à religion nationale, religion particulière, religion d'un peuple] Religion à vocation œcuménique, c'est-à-dire qui n'est pas destinée à un groupe social déterminé, mais s'adresse à tous les hommes, de tous les pays et de tous les temps. Vous voudriez faire une religion particulière, comme si la religion vraie n'étoit pas universelle et de toutes les nations! (SAINT-MARTIN, Homme désir, 1790, p. 232). Les religions universelles font abstraction des liens nationaux naturels et s'adressent absolument à tous les hommes, leur offrant le salut ou une voie qui y conduit. Le bouddhisme, le christianisme et l'Islam, religions universelles les plus importantes, sont aussi des religions qui ont été fondées, alors que le développement des religions nationales se présente surtout comme spontané (FRIES t. 4 1967).
— [Chez Bergson] Religion statique et religion dynamique. Si la frange d'intuition qui entoure son intelligence [de l'individu] s'élargit assez pour s'appliquer tout le long de son objet, c'est la vie mystique. La religion dynamique qui surgit ainsi s'oppose à la religion statique, issue de la fonction fabulatrice, comme la société ouverte à la société close (BERGSON, Deux sources, 1932, p. 285).
— Religion à mystères. V. mystère I A.
— Religion d'État ou religion de l'État. Religion déclarée comme la religion officielle d'un état et qui exclut les autres religions ou ne fait que les tolérer. La religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État (Charte de 1814, art. 6 ds LITTRÉ). Le plus mauvais état social, à ce point de vue, c'est l'état théocratique, comme l'islamisme et l'ancien état pontifical, où le dogme règne directement d'une manière absolue. Les pays à religion d'état exclusive comme l'Espagne ne valent pas beaucoup mieux. Les pays reconnaissant une religion de la majorité ont aussi de graves inconvénients (RENAN, Souv. enf., 1883, p. XIV).
— La religion d'amour. Le christianisme. Après la conquête de Jérusalem par les Arabes, la plupart des chrétiens durent se convertir à l'islamisme pour échapper aux supplices. Mais ils ne renoncèrent pas à la religion d'amour (ADAM, Enf. Aust., 1902, p. 202).
c) [En empl. abs., la détermination venant du cont.] J'en étais à cette phrase, que je répétais souvent avec onction et désespoir: — Oh! musulmans! oh! musulmans! Il n'y a plus d'Islam! La religion est perdue! (GOBINEAU, Nouv. asiat., 1876, p. 232). Vous savez que la religion condamne avec force les injures qu'elle range sous le titre des homicides par intention. Je ne suis pas l'ami de Desjardins. Mais je ne le suis pas non plus de ceux qui ne veulent voir dans la religion qu'une autorité et qu'une discipline, et qui voudraient garder le christianisme sans le Christ (CLAUDEL, Corresp. [avec Gide], 1912, p. 192).
♦ Les secours de la religion. Les sacrements de l'Église. M. l'Archevêque de Paris s'est présenté chez l'acteur [Talma] pour lui offrir les secours de la religion (DELÉCLUZE, Journal, 1826, p. 354). Le troisième jour, Claude expirait, privée des secours de la religion, et on refusa de l'enterrer en terre chrétienne (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 36).
— En partic. [Au XVIe et XVIIe s.; gén. avec une majuscule] La Religion (pour religion réformée ou religion prétendue réformée). Le protestantisme, le calvinisme. Dieu me damne! camarade, je sens une odeur d'hérétique. Je gage (...) que vous êtes de la Religion (MÉRIMÉE, Chron. règne Charles IX, 1829, p. 44). Je rappelle que M. de La Mothe, l'aïeul de toute cette famille, celui qui ne portait sa robe qu'à la Chambre des comptes, s'était fait huguenot, qu'il ne se convertit qu'après la Saint-Barthélemy, et que plusieurs de ses fils restèrent de la Religion ou n'abjurèrent que tard (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 1, 1840, p. 63).
d) P. méton.
— Instruction religieuse, catéchisme. J'étais un bon élève en tout; en religion aussi (MARTIN DU G., Thib., Pénitenc., 1922, p. 796).
— Ceux qui appartiennent au monde de la religion; les gens d'Église. La religion, l'armée, le gouvernement, s'engagent dans la lutte (CLEMENCEAU, Iniquité, 1899, p. VII). Il (...) rédigea une longue lettre, pour laquelle il n'accepta aucun salaire. Trop heureux, disait-il, d'obliger la religion (QUEFFÉLEC, Recteur, 1944, p. 147).
2. [La religion de qqn]
a) Attitude théorique, morale, pratique de l'individu à l'égard du divin à l'intérieur ou non d'une religion constituée. Une religion individuelle, intérieure; religion du cœur; une religion éclairée, formaliste; la religion de Pascal. Si le grand adolescent se trouve en présence d'une religion d'adulte, il arrive au contraire que, à la troisième adolescence, il adhère à une religion profonde et personnelle. Il cherche alors à comprendre et à justifier sa foi, à s'engager au service de Dieu, à pratiquer une prière intérieure et personnelle (MANTOY Psychol. 1971):
• 5. Son système [de la mère de Lamartine] n'était point un art, c'était un amour. Voilà pourquoi il était infaillible. Ce qui l'occupait par-dessus tout, c'était de tourner sans cesse mes pensées vers Dieu et de vivifier tellement ces pensées par la présence et par le sentiment continuels de Dieu dans mon âme, que ma religion devînt un plaisir et ma foi un entretien avec l'invisible. Il était difficile qu'elle n'y réussît pas, car sa piété avait le caractère de tendresse comme toutes ses autres vertus.
LAMART., Confid., 1849, p. 78.
— En empl. abs. Manifestations intérieures ou extérieures de cette attitude; sentiment religieux, pratique religieuse. Synon. foi, dévotion, piété. Il y a le plus de religion, là où il y a le plus d'amour, il y a le plus d'amour là où il y a le plus d'unité (CLAUDEL, Corresp. [avec Gide], 1908, p. 84):
• 6. À mon sens, le christianisme est avant tout religieux, et la religion n'est point une méthode: elle est une vie, une vie supérieure et surnaturelle, mystique par sa racine et pratique par ses fruits, une communion avec Dieu, un enthousiasme profond et calme, un amour qui rayonne, une force qui agit, une félicité qui s'épanche, bref la religion est un état de l'âme.
AMIEL, Journal, 1866, p. 270.
♦ [Surtout dans des loc.] Avoir beaucoup, peu de religion; avoir de la religion; esprit, sentiment de religion; exercices de religion. Elle ne manque pas de religion, et même elle a obtenu de grandes bénédictions, l'an passé, au pèlerinage de sainte Anne (LOTI, Mon frère Yves, 1883, p. 193). Les actions de la vie, dont il s'agit ici, ne doivent pas être comprises, on le sait, des seules œuvres de religion, ou de piété (prières, jeûnes, aumônes, etc...) (TEILHARD DE CH., Milieu divin, 1955, p. 33).
THÉOL. Vertu de religion. Vertu par laquelle l'homme rend à Dieu le culte et l'hommage qui lui sont dus dans un esprit de soumission et de révérence profonde. [Bérulle et Condren] professeront bien la même doctrine, laquelle, chez l'un et chez l'autre, a eu pour point de départ une facilité merveilleuse à la vertu de religion, un désir, un besoin intense d'exalter la grandeur divine (BREMOND, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 346). Avec la majorité des exégètes modernes, il faut comprendre que le Christ fut exaucé « en conséquence, à cause de » sa crainte de Dieu, donc de sa vertu de religion. Le terme est choisi pour signaler que le Sauveur, au sein même de sa détresse, gardait un respect vigilant et soigneux de la volonté de son Père (Bible Suppl. 1981).
b) Loc. fig.
♦ Éclairer la religion de qqn. Fournir à quelqu'un les explications, les renseignements nécessaires sur une question. Celui-là recueillant des lèvres de celui-ci tous les renseignements de nature à éclairer sa religion sur le compte de ses employés (COURTELINE, Ronds-de-cuir, 1893, 2e tabl., 3, p. 81). Je n'en reste pas moins perplexe sur l'étymologie de ce vocable. Pouvez-vous éclairer ma religion à ce sujet? (BENOIT, Atlant., 1919, p. 149).
♦ Surprendre la religion de qqn. Tromper, abuser quelqu'un. Surprendre la religion du prince, la religion des juges, la religion d'un tribunal (Ac. 1835, 1878). Il s'agissait de découvrir le mensonge à l'aide duquel monsieur votre frère a surpris la religion de cette noble famille (BALZAC, Splend. et mis., 1844, p. 320).
♦ (Sur ce point) ma religion est faite. Mon opinion est arrêtée. La France dans son immense majorité désire le travail dans l'ordre! Là-dessus ma religion est faite (PROUST, Guermantes 1, 1920, p. 246). En ce qui me concerne, ma religion est faite. Il me reste à convaincre (...) ceux qui pourraient me croire l'instrument d'une intrigue à laquelle je ne comprends rien (COCTEAU, Bacchus, 1952, II, 8, p. 143).
C. — P. anal. ou au fig.
1. Doctrine, philosophie proposant des valeurs considérées comme absolues; valeur érigée en absolu, à laquelle on voue un respect quasi religieux. La religion de l'amour, de la patrie, de la science, du progrès. Encore un peu de temps, elle [la bourgeoisie] affirmera avec nous la religion de Hegel, de Lessing, d'Anacharsis Clootz, de Diderot, de Molière, de Spinoza, la religion qui ne reconnaît ni pontife, ni empereur, ni improducteur, la religion de l'humanité (PROUDHON, Confess. révol., 1849, p. 372):
• 7. À la révolution jacobine qui essayait d'instituer la religion de la vertu, afin d'y fonder l'unité, succéderont les révolutions cyniques, qu'elles soient de droite ou de gauche, qui vont tenter de conquérir l'unité du monde pour fonder enfin la religion de l'homme.
CAMUS, Homme rév., 1951, p. 167.
— Vx. Être de la religion de qqn. Se réclamer de sa doctrine; partager ses opinions, ses goûts. On avait à vaincre plus d'un préjugé de goût, d'éducation et presque de famille [pour goûter Homère] on était trop, en France, de la religion de Racine pour ne pas pencher avec prédilection du côté de Virgile (SAINTE-BEUVE, Virgile, 1857, p. 211).
— Religion séculière. Ensemble de valeurs constituant ,,un idéal terrestre et purement humain (anthropocentrique) qui, chez ceux qui sont devenus étrangers à la religion proprement dite (théocentrique), lui sert de substitut`` (FOULQ. Sc. soc. 1978). La religion séculière garde le prestige et la force du prophétisme, elle suscite en petit nombre des fanatiques et ceux-ci à leur tour mobilisent et encadrent des masses, moins séduites par la vision d'avenir que révoltées contre les malheurs du présent (R. ARON, L'Opium, p. 428, ibid.).
2. Sentiment de respect, de vénération profonde (pour une doctrine, une valeur, une personne). Avoir la religion de qqc.; avoir de la religion pour qqc.; avoir la religion du serment, du secret. Tu n'admires pas assez, tu ne respectes pas assez. Tu as bien l'amour de l'art, mais tu n'en as pas la religion. Si tu goûtais une délectation profonde et pure dans la contemplation des chefs-d'œuvre, tu n'aurais pas parfois sur leur compte de si étranges réticences (FLAUB., Corresp., 1847, p. 68):
• 8. ... ce que l'auteur de la France juive reproche justement à ce malheureux [l'homme moderne], c'est de ne pas savoir vivre (...) il n'a pas tort de noter une perversion plus profonde: le besoin, la nostalgie et comme la religion de la servitude, de la bienheureuse servitude qui dispense de vouloir, d'agir...
BERNANOS, Gde peur, 1931, p. 373.
— Locutions
♦ Avec religion. Avec un respect religieux; avec de grands scrupules. Après s'être occupée de ces recherches avec religion et scrupule (SUE, Atar-Gull, 1831, p. 37). L'arbre sous lequel je demeurais existe encore (...) j'y vais en pèlerinage et je m'assieds dessous avec religion (VALLÈS, Réfract., 1865, p. 55).
♦ Se faire une religion de + inf. Se faire une obligation scrupuleuse et absolue de. Il se fait une religion de tenir sa parole (Ac. 1798-1935). M. Duhamel ne consacre pas ces bas désirs, ces velléités brûlantes, perfides, ces maléfices qu'il y découvre [dans la conscience]. Il ne se fait pas une religion de les accueillir, de les respecter, de les favoriser en quelque sorte (MASSIS, Jugements, 1924, p. 195).
II. — [Dans la relig. chrét.]
A. — [Surtout dans des loc.] État religieux, c'est-à-dire état des personnes qui s'engagent par des vœux à suivre la règle propre à un ordre ou à une congrégation religieuse. Ce bénédictin a trente ans de religion. Habit de religion (Ac. 1798-1935). Pendant le noviciat de Marguerite et ses premières années de religion, les carmels de l'observance bérullienne lisent, relisent, savent par cœur la vie d'une autre « petite personne », Catherine de Jésus, morte en 1627 au second carmel de Paris (BREMOND, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 538).
— Entrer en religion. Se faire religieux ou religieuse. Synon. prendre l'habit, prendre le voile. Je parvins à comprendre la beauté de la prière dans la solitude, et j'eus pour idée fixe d'entrer en religion, suivant la belle expression de nos pères (BALZAC, Méd. camp., 1833, p. 235). Quelqu'un qui, venu du « monde », entre en art, y entre comme on entre en religion (DU BOS, Journal, 1928, p. 132).
— Mettre une personne en religion. Faire entrer une personne en religion. Et il donne la raison qui, le plus souvent meut les parents à mettre leurs enfants en religion. C'est que les moines (...) se trouvent incapables d'hériter (A. FRANCE, Rabelais, 1909, p. 5).
— Nom de religion. Nom pris par une personne entrant en religion, et qui remplace son nom laïque. J'ai oublié leurs noms de famille, je ne me rappelle que leurs noms de religion: Mary-Agnès et la sœur Anne-Joseph (SAND, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 143). Mademoiselle X, en religion sœur sainte Geneviève, sœur Angèle (Ac. 1935). Sa sœur Agathe, en religion sœur Marie des anges, cloîtrée aux carmélites de Toulouse (VOGÜÉ, Morts, 1899, p. 86).
— Vœux de religion. Vœux d'obéissance, de chasteté et de pauvreté prononcés par un chrétien qui s'engage dans l'état religieux. Le chapitre général de 1233 les astreignit [des oblats] aux trois vœux de religion comme les pères (HUYSMANS, Oblat, t. 1, 1903, p. 190). Je dois vous donner lecture du décret de l'Assemblée qui suspend jusqu'à nouvel ordre les vœux de religion (BERNANOS, Dialog. Carm., 1948, 4e tabl., 1, p. 1651).
B. — 1. Anciennement. Établissement monastique, couvent. Quand elle [la mère Angélique] lui parla [à saint François de Sales] d'entrer dans l'Ordre de la Visitation, il lui répondit avec humilité que cet Ordre était peu de chose, que ce n'était presque pas une religion (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 1, 1840, p. 244).
2. [Actuellement, dans le vocab. de l'admin. relig.] On appelle religion ou Institut religieux toute association de chrétiens qui ont émis des vœux publics et s'engageant à vivre conformément aux règles ou constitutions de leur société (...). Un Institut dont les membres émettent des vœux solennels est un ordre: tels les Bénédictins; si ce sont des vœux simples, c'est une congrégation religieuse (MARCEL 1938).
— Absol., vx. La Religion ou la religion. L'Ordre de Malte. Ce chevalier avait servi tant d'années la religion. Les galères de la religion (Ac. 1835-1935). Monsieur, vous êtes de la Religion, vous appartenez à l'Ordre de Malte? (LA VARENDE, Manants du Roi, 1938, p. 37).
REM. 1. Religionnel, -elle, adj. Qui provient de la religion, de ceux qui ont une religion. [M. Deletre] y avait fait [dans l'Encyclopédie] l'article Fanatisme (...): cet article lui barra bien des chemins. Il y gagna d'avoir contre lui la haine religionnelle, comme il l'appelait, la plus forte de toutes et la plus acharnée (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 4, 1863, p. 344). 2. Religionnette, subst. fém. Religion facile et sans valeur. Je me vois raconter cela à des prêtres! Ils me diront que je n'ai pas à m'occuper d'idées mystiques et ils me présenteront en échange une religionnette de femme riche (HUYSMANS, En route, t. 1, 1895, p. 71).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1130 « monastère » iglise de religiun (Lois de Guillaume, éd. J. E. Matzke, 1, § 1); ca 1175 (BENOÎT DE STE-MAURE, Chron. ducs de Normandie, 835 ds T.-L.); 2. ca 1150 « état d'une personne engagée par vœu dans un ordre monastique » [estre] de religïon (WACE, St Nicolas, 379, ibid.); 1174-76 prendre saint abit de religïun (GUERNES DE PONT-STE-MAXENCE, St Thomas, éd. E. Walberg, 3327); 1283 entrer en religion (PHILIPPE DE BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 624, t. 1, p. 310). B. 1re moit. XIIe s. « ensemble des croyances, des pratiques impliquant des relations avec la divinité » commune religion [catholica religio] (Psautier de Cambridge, Symbolum apostolorum, 20, p. 289b: treis deus u seinurs dirre par commune religion sumes deveed); spéc. a) 1533 ceulx de la religion « les Protestants » (ds Herminjard, III, p. 84, d'apr. RICHARD, Kirchenterminologie, p. 21); 1568 ceux de la religion prétendue réformée (ds HAAG, France protestante, Pièces justificatives, p. 84, ibid., p. 54); 1690 guerres de la religion (FUR.); 1701 guerres de religion (ID.); b) 1588 religion chrestienne (MONTAIGNE, Essais, I, 23, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 120); ca 1590 religion Catholique (ID., op. cit., I, 56, p. 320); c) ca 1590 religion de Mahumet (ID., op. cit., II, 12, p. 532). C. 1. Ca 1145 « pratique, piété, dévotion (liées à l'adhésion d'une personne à une doctrine religieuse » estre de grant religïon (WACE, Conception N.-D., 1166 ds T.-L.); ca 1175 eclesïau religïon (BENOÎT DE STE-MAURE, op. cit., 10211, ibid.); 1234 fausse relegïon (HUON DE MÉRY, Tournoiement Antechrist, 867, p. 54, ibid.); 2. p. ext. a) ca 1210 « conscience, respect scrupuleux » (HERBERT DE DAMMARTIN, Fouque de Candie, 1910, ibid.: Viex est et sages, de grant religïon); 1541 avoir [les sermens] en grande religion (CALVIN, Instit., III, p. 143 ds HUG.); b) 1690 surprendre la religion [de quelqu'un] « abuser de sa bonne foi » (FUR.); c) 1797 éclairer la religion [de quelqu'un] (Idées sur la compétence du Conseil de guerre... concernant les prévenus d'embauchage, p. 6 ds QUEM. DDL t. 13). Empr. au lat. religio « attention scrupuleuse; conscience »; spéc. « scrupule religieux, sentiment religieux, crainte pieuse; vénération, pratique religieuse, culte; croyance religieuse, religion » et « caractère sacré; engagement sacré; chose sainte, objet sacré ». Dans la lang. chrét. « vie religieuse, monastère; profession religieuse » (Ve s. ds BLAISE Lat. chrét.; v. aussi NIERM.), « ordre religieux » (1143 ds DU CANGE), « ensemble des vérités et des devoirs religieux » (s.d. ds BLAISE Latin. Med. Aev.). L'orig. du mot lat. est discutée (ERN.-MEILLET; Théol. cath. t. 13, col. 2182 sqq.). Fréq. abs. littér.:11 287. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 23 242, b) 17 528; XXe s.: a) 12 531, b) 11 239. Bbg. MESLIN (M.). Qu'est-ce que la Religion? Foi Lang. 1977, n ° 4, pp. 241-248. — QUEM. DDL t. 13. — RICHARD Kirchenterminologie 1959, pp. 20-22, 53-54.
religion [ʀ(ə)liʒjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 1085, « monastère »; lat. religio « attention scrupuleuse », d'où « respect religieux, vénération », dér., selon Cicéron, de relegere « recueillir, rassembler » (de legere « ramasser », et, fig., « lire »), ou, selon Lucrèce, de religare « relier », étymologie contestable, mais fréquemment reprise pour son intérêt sémantique.
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I (1170).
1 Religio paraît être d'une manière générale, en latin, le sentiment avec crainte et scrupule, d'une obligation envers les Dieux. Il n'y avait pour les anciens que des religiones (…) Quand on parle aujourd'hui de plusieurs religions, c'est bien entendu dans un sens tout autre (…) chaque religion étant pour nous un système complet, qui se donne pour le seul véritable. Le mot, à partir de ce moment, a exprimé trois idées : 1o celle d'une affirmation ou d'un ensemble d'affirmations spéculatives; 2o celle d'un ensemble d'actes rituels; 3o celle d'un rapport direct et moral de l'âme humaine à Dieu (…)
1 La religion. Reconnaissance par l'homme d'un pouvoir ou d'un principe supérieur de qui dépend sa destinée et à qui obéissance et respect sont dus; attitude intellectuelle et morale qui résulte de cette croyance, en conformité avec un modèle social (→ ci-dessous, 3.), et qui peut constituer une règle de vie. ⇒ Dieu, divinité, sacré (n.). → Art, cit. 82; exister, cit. 2; indéfini, cit. 4. || Relatif à la religion. ⇒ Religieux; spirituel; sacré, saint. || Étranger à la religion. ⇒ Laïc, profane. || La religion et l'État (⇒ Autel, fig.). — Morale et religion (→ Devoir, cit. 2; fait, cit. 12; fondement, cit. 7). || Philosophie, métaphysique… et religion. || Magie, sorcellerie, spiritisme et religion (⇒ Magie, cit. 4 et 5). || Aspects intellectuels, affectifs, moraux…; individuels, collectifs, sociaux de la religion. || « La religion est devenue chose individuelle » (cit. 5). — Le grand et le sublime de la religion… (→ Esprit, cit. 119). || Les hauteurs de la religion (→ Escalader, cit. 8). || « Un peu de philosophie éloigne de la religion, beaucoup (cit. 5) y ramène ». — Indifférence (cit. 11), intolérance, tolérance en matière de religion. || Éclectisme en religion (⇒ Gnose, syncrétisme). || Préjugés de religion (→ Caste, cit. 1). — Guerre de religion. — Point de religion : question particulière concernant le dogme ou le culte. || Instruction, mandement; homélie, sermon sur un point de religion.
2 De toutes les opinions humaines et anciennes touchant la religion, celle-là me semble avoir eu plus de vraisemblance et plus d'excuse, qui reconnaissait Dieu comme une puissance incompréhensible, origine et conservatrice de toutes choses, toute bonté, toute perfection, recevant et prenant en bonne part l'honneur et la révérence que les humains lui rendaient sous quelque visage, sous quelque nom et en quelque manière que ce fût (…)
Montaigne, Essais, II, XII.
3 La religion est une chose si grande, qu'il est juste que ceux qui ne voudraient pas prendre la peine de la chercher, si elle est obscure, en soient privés.
Pascal, Pensées, VIII, 574.
3.1 (…) pendant ces délais, j'instruisais cette jeune personne; en lui donnant le goût des vertus, je lui inspirais celui de la Religion, je lui en dévoilais les saints dogmes et les sublimes mystères, je liais tellement ces deux sentimens dans son jeune cœur que je les rendais indispensables au bonheur de sa vie.
Sade, Justine…, t. I, p. 120-121.
4 La religion n'est ni une théologie, ni une théosophie; elle est plus que tout cela : une discipline, une loi, un joug, un indissoluble engagement.
Joseph Joubert, Pensées, I, LXII.
5 Religion veut dire lien, et certes le culte, ou autrement dit la religion exprimée, constitue la seule force qui puisse relier les espèces sociales et leur donner une forme durable.
Balzac, le Médecin de campagne, Pl., t. VIII, p. 379.
6 Quant à la religion, plus j'y pense, plus je vois que c'est une chose de l'âme, de l'homme individu à Dieu. Qu'elle ait ses pompes, son culte extérieur, sa protection publique; voilà tout ce à quoi elle doit prétendre; c'est aux âmes qu'elle s'adresse, et c'est la seule conquête qui l'intéresse; et on ne gagne pas sincèrement les âmes par les choses du monde, qui ne sont pas de l'âme, mais de la matière.
Sainte-Beuve, Correspondance, 60, 3 janv. 1829.
7 Faut-il que la religion s'écroule du même coup ? Non, non. La religion est nécessaire. Le jour où elle disparaîtrait, ce serait le cœur même de l'humanité qui se dessécherait.
Renan, Questions contemporaines, Chaire d'Hébreu, Œ. compl., t. I, p. 169.
8 Le mot religion ne signifiait pas ce qu'il signifie pour nous; sous ce mot, nous entendons un corps de dogmes, une doctrine sur Dieu, un symbole de foi sur les mystères qui sont en nous et autour de nous; ce même mot, chez les anciens, signifiait rites, cérémonies, actes de culte extérieur.
Fustel de Coulanges, la Cité antique, III, VIII.
9 La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple.
J. Molitor, Trad. K. Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, p. 84.
10 La recherche de la vie a fait la religion, et non pas la crainte de la mort. Il n'est pas un seul homme qui n'ait besoin de Dieu pour vivre.
André Suarès, Trois hommes, « Ibsen », III.
11 La religion est l'élan de l'âme qui (…) conçoit un idéal transcendant et acquiert, pour y tendre, des forces dépassant la nature (…) Elle se reconnaît à ce signe qu'elle va du devoir au pouvoir (…)
Émile Boutroux, Morale et Religion, II, p. 71.
♦ Littér. || De la religion, de Lamennais (1841). || De la religion considérée dans sa source, ses formes et son développement, de B. Constant (1824-1831).
2 (XIIe, estre de grant religion « très pieux »). Attitude particulière (individuelle ou collective) dans les relations avec Dieu, avec le principe suprême, dans le domaine de la religion (1.). — REM. Dans ce sens, religion peut s'appliquer à des attitudes philosophiques plus vagues, ou simplement morales, sentimentales…, pourvu qu'elles concernent la notion de sacré. ⇒ Déisme, panthéisme, théisme; mysticisme (cit. 3), mystique; morale, principe. — La religion de qqn (→ Fête, cit. 3). || Sa religion est profonde, sincère (→ Filial, cit.). ⇒ Ferveur (cit. 1), piété; dévotion. || Une religion sentimentale, vague (⇒ Religiosité); grossière, superstitieuse (superstition); affectée, formaliste. ⇒ Pharisaïsme. || Jésus dédaignait tout ce qui n'était pas la religion du cœur (→ Dévot, cit. 8). — Par ext. || « Votre religion est donc l'arithmétique ? ». — Par plais. || Ma religion m'interdit de boire de l'eau, ma religion me l'interdit.
12 Je n'avais jamais été tout à fait sans religion; mais peut-être, vaudrait-il mieux n'en point avoir du tout que d'en avoir une extérieure et maniérée, qui sans toucher le cœur rassure la conscience; de se borner à des formules, et de croire exactement en Dieu à certaines heures pour n'y plus penser le reste du temps.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, III, XVIII.
13 Le curé s'émerveillait de ces dispositions, bien que la religion d'Emma, trouvait-il, pût, à force de ferveur, finir par friser l'hérésie et même l'extravagance.
Flaubert, Mme Bovary, II, XIV.
13.1 — Ma femme, reprit M. Dandillot, ma femme a la religion du Français moyen : elle ne pratique pas, ne prend pas les sacrements, et va à la messe du dimanche.
Montherlant, Pitié pour les femmes, p. 203.
♦ Absolt. || Avoir de la religion. ⇒ Croyant, pieux. || Un germe de vertu et de religion (→ Fructifier, cit. 4). || Absence de religion. ⇒ Irréligion, irréligiosité.
14 Chaque jour, la religion le reprenait davantage. Il pratiquait de nouveau, se confessait et communiait, sans cesse combattu, doublant de ses remords les joies du péché et de la pénitence.
Zola, Nana, XIII.
3 (XVIe). || Une religion. Système de croyances et de pratiques, impliquant des relations avec un principe supérieur (le plus souvent un ou plusieurs dieux…), et propre à un groupe social. ⇒ Communion, confession, credo (cit. 1), croyance, culte (5.), doctrine, dogme, foi (II., B., 3.).
REM. Le mot religion n'était employé au moyen âge qu'au sens II ou pour désigner le système religieux reçu en terre d'expression française (le catholicisme romain); en 1690 le dict. de Furetière porte encore : « Tous les cultes des faux Dieux ne sont que superstition, ne s'appellent Religion qu'abusivement. En ce sens abusif, on dit la Religion mahométane, la Religion des Gaures et des Brahmins, des Bonzes ». — Au XVIIe s., la religion s'emploie absolument pour la religion catholique (→ Ennemi, cit. 10, Pascal; histoire, cit. 1, Bossuet).
♦ Les religions et la religion (→ Croyance, cit. 8; détourner cit. 12). || Des foisons (cit. 1, Pascal) de religions. || La vraie religion (→ Enseigner, cit. 15). || L'origine (cit. 11) des religions. || Les premières religions (→ Homme, cit. 59). || Histoire d'une religion (→ Embrasser, cit. 25). || L'histoire des religions. || Historien des religions. || Sociologie des religions. || Religion qui se répand, s'étend, se divise (⇒ Hérésie, schisme, secte), disparaît. || L'orthodoxie d'une religion. || Établir (cit. 10) une religion nouvelle. || Les religions s'apaisent (cit. 23) en vieillissant. || La religion régnante (→ Prosélyte, cit. 2), dominante. || Religion d'État. || Neutralité de l'État en matière de religion. ⇒ Laïcité (cit. 1). — Professer, pratiquer… une religion (⇒ Croire, croyant; pratiquant; juste [spécialt]). || Observance (cit. 1) d'une religion. || Embrasser (cit. 14) une religion. || Adeptes d'une religion (⇒ Fidèle, 3.; et aussi catéchumène, converti, néophyte, prosélyte), d'une même religion (⇒ Coreligionnaire), d'une autre religion (⇒ Infidèle, mécréant). || Sectateurs d'une religion. || N'accepter aucune religion (⇒ Athée, cit. 4 et 5; athéisme; impie, incrédule, incrédulité, irréligieux, libertin, mécréant). || Attaques, insultes… contre une religion (⇒ Blasphème, profanation…). || Religion persécutée, proscrite. ⇒ Persécution. || Souffrir, mourir pour une religion (⇒ Martyr, cit. 4; martyre). — Abjurer, renier une religion (⇒ Abjuration, apostasie; renégat; et aussi [catholicisme] laps, relaps). || Changer de religion. ⇒ Conversion, convertir (→ 1. Pratique, cit. 11). — Apologie, défense d'une religion (⇒ Apologétique). || Enseigner, répandre… une religion (⇒ Prosélytisme; et aussi [relig. chrét.] catéchiser, catéchisme). || Zèle aveugle, fanatique… pour une religion (⇒ Fanatisme, intolérance, sectarisme).
15 Les autres religions, comme les païennes, sont plus populaires, car elles sont en extérieur : mais elles ne sont pas pour les gens habiles. Une religion purement intellectuelle serait plus proportionnée aux habiles; mais elle ne servirait pas au peuple. La seule religion chrétienne est proportionnée à tous (…)
Pascal, Pensées, IV, 251.
16 Les hommes sont extrêmement portés à espérer et à craindre, et une religion qui n'aurait ni enfer, ni paradis, ne saurait guère leur plaire (…)
Pour qu'une religion attache, il faut qu'elle ait une morale pure. Les hommes, fripons en détail, sont en gros de très honnêtes gens; ils aiment la morale… Lorsque le culte extérieur a une grande magnificence, cela nous flatte, et nous donne beaucoup d'attachement pour la religion.
Montesquieu, l'Esprit des lois, XXV, II.
17 Comme les philosophies, les religions répondent aux besoins spéculatifs de l'humanité. Comme les mythologies, elles renferment une large part d'exercice spontané et irréfléchi des facultés humaines.
Renan, l'Avenir de la science, XV, Œ. compl., t. III, p. 945.
18 (…) une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent (…) en montrant que l'idée de la religion est inséparable de l'idée d'Église, (ceci) fait pressentir que la religion doit être une chose éminemment collective.
Durkheim, les Formes élémentaires de la vie religieuse, p. 65, in Bouglé et Raffault, Éléments de sociologie, p. 438.
19 (…) l'origine des religions se confond avec les origines mêmes de la pensée et de l'activité intellectuelle des hommes; leur décadence et leur limitation est l'histoire des progrès qu'elles ont seules rendus possibles. Les religions ne sont pas, comme le croyait Voltaire (…) des chancres greffés par l'avidité et la fraude sur l'organisme social, mais la vie des sociétés elles-mêmes à leur début. Avec le temps, la religion a donné naissance à des branches spéciales des connaissances humaines, aux sciences exactes, à la morale, au droit (…)
19.1 (…) il se demanda si (…) il n'aurait pas une idée personnelle sur la question et précisément il en avait une, à savoir qu'une religion à, et pour, soi tout seul devait avoir son charme.
R. Queneau, le Dimanche de la vie, p. 270.
♦ Par ext. La société religieuse elle-même.
20 Les religions constituent des sociétés, analogues à toutes les sociétés humaines : elles se perpétuent par une incorporation réglée, répartissent en catégories leurs membres, qui se coordonnent par obéissance nécessaire ou par volontaire association.
♦ Contenu, connaissance d'une religion. ⇒ Article (de foi), catéchèse, credo, croyance, doctrine, dogme, dogmatique, théologie, tradition; et aussi âme, delà (au-delà, supra cit. 15), dieu, esprit, grâce (et prédestination), illumination; ciel, enfer, jugement, paradis, punition, salut; métempsycose, transmigration. || Légendes, mythes, symboles d'une religion. ⇒ Mythologie, symbolique, théogonie. — Pratiques, prescriptions des religions. ⇒ Cérémonial, cérémonie, culte, liturgie, pratique, rite, rituel, service (divin)…; commandement, 1. devoir, 1. loi (I., 6.), observance, précepte; ablution, abstinence, adoration, ascèse, ascétisme, bénédiction, cortège, formule, holocauste, jeûne, mortification, offrande, pénitence, prière, procession, purification, recueillement, retraite, sacrement, sacrifice. — REM. Les termes concernant la liturgie catholique sont développés à liturgie, messe, sacrement. — Lieux consacrés à une religion. ⇒ Sanctuaire, temple; chapelle, église, mosquée, pagode, synagogue. — Ministres, prêtres, fonctionnaires… des diverses religions. ⇒ Ministre; clerc, pasteur, prêtre, prêtrise, sacerdoce; et aussi asiarque, bonze, brahmane, iman, 2. lama, lévite, mage, muezzin, mufti, pontife, pope, prélat, prêtresse, rabbin, sorcier, vestale… — REM. Le vocabulaire chrétien se trouve à prêtre et à cardinal, diacre, évêque, pape; celui des autres religions à prêtre (2.) et aux noms de religions, de peuples… ⇒ aussi Ascète, moine, religieux; ordre.
♦ Religions polythéistes (⇒ Polythéisme; dieu, II.; panthéon), monothéistes (⇒ Monothéisme; dieu). || Religions « fermées », ésotériques, occultes; religions à mystères. ⇒ Mystère (cit. 4), théosophie. || Religions initiatiques. ⇒ Initiation; mystagogue; mystagogie. — Religions révélées. ⇒ Révélation (→ Christianisme, cit. 11). — Religion de salut. ⇒ Rédemption, salut. — Religions positives, par oppos. à la religion « naturelle ». — Religion éthique (cit. 5) plus que métaphysique. || Religion à tendance intellectualiste; sentimentale, mystique. — Religions rudimentaires (→ Croyance, cit. 13), inorganisées. || La religion domestique (→ Parenté, cit. 2; et aussi famille, cit. 3 et 4). || Religions dogmatiques, organisées. || Les grandes religions. || Religion universelle.
21 La religion, considérée par rapport à la société, qui est ou générale ou particulière, peut aussi se diviser en deux espèces : savoir, la religion de l'homme, et celle du citoyen. La première sans temples, sans autels, sans rites, bornée au culte purement intérieur du Dieu suprême et aux devoirs éternels de la morale, est la pure et simple religion de l'Évangile, le vrai théisme, et ce qu'on peut appeler le droit divin naturel. L'autre, inscrite dans un seul pays, lui donne ses dieux, ses patrons propres et tutélaires. Elle a ses dogmes, ses rites, son culte extérieur prescrit par des lois : hors la seule nation qui la suit, tout pour elle est infidèle, étranger, barbare; elle n'étend les devoirs et les droits de l'homme qu'aussi loin que ses autels. Telles furent toutes les religions des premiers peuples, auxquelles on peut donner le nom de droit divin civil ou positif.
Rousseau, Du contrat social, IV, VIII.
22 (…) religions organisées, ayant des livres sacrés, des dogmes précis; religions non organisées (…) n'étant que des formes plus ou moins pures du culte de la nature (…) Dans la première classe rentrent les grandes religions asiatiques : judaïsme, christianisme, islamisme, parsisme, brahmanisme, bouddhisme, auxquels on peut ajouter le manichéisme (…) Dans la seconde devraient être rangés les polythéismes mythologiques de la Grèce, des Scandinaves, des Gaulois (…)
Renan, l'Avenir de la science, XV, Œ. compl., t. III, p. 953.
♦ Religions particulières. || Religions préhistoriques. || Religions « primitives ». ⇒ Animisme, chamanisme, fétichisme, totémisme… || Religions de l'Antiquité égyptienne, mésopotamienne, grecque (infra cit. 1; ⇒ aussi Orphique, orphisme), étrusque, romaine… (⇒ Mythologie, paganisme, païen; gentil). || Religions germanique, nordique, celte… (⇒ Druide, druidisme). — Religions d'Orient : hindoues, iraniennes, chinoises, japonaises… ⇒ Bouddhisme (et aussi véhicule), brahmanisme, caodaïsme, hindouisme, jaïnisme, tântrisme, védisme; magisme, manichéisme (cit.), mazdéisme (et guèbre, parsisme), mendaïte, mithriacisme, sabéisme, zoroastrisme; confucianisme, shintoïsme, taoïsme. — Religion juive (→ Baptême, cit. 5), des Juifs (cit. 1). ⇒ Hébraïque, hébraïsme, judaïsme (cit. 1), mosaïque, mosaïsme; cabale, judéo-christianisme. — Religion musulmane (cit. 1). ⇒ Islam, islamisme, mahométan, mahométisme. — Religion des Mormons. ⇒ Mormonisme.
♦ Religion chrétienne. ⇒ Chrétien, christianisme (cit. 3 et 4), judéo-christianisme. || Hérésies, schismes, sectes et tendances chrétiennes (qui n'ont pas vécu en tant que religions constituées, et qui, pour la plupart, ont été condamnées). ⇒ Hérésie, schisme; adamisme, albigeois, anabaptisme, anthropomorphite, arianisme, arien, arminien, baptisme, donatisme, fidéisme, gnosticisme, gnostique, hussite, iconoclasme, jacobite, jansénisme, molinisme, molinosisme, monothélisme, montanisme, néo-catholicisme, nestorien, nestorianisme, 2. ophite, particularisme, pélagianisme, quiétisme, sabbathien, sacramentaire, socinien, socinianisme, tertullianisme, universalisme, valentinien. — Églises, tendances et dissidences chrétiennes. ⇒ Église (I., 3.); catholique, catholicisme; orthodoxe, uniate; protestant (cit. 1 et 2), protestantisme, réforme, réformé; et aussi anglicanisme, calvinisme, conformisme, évangélisme, luthéranisme (cit.), mandéisme, méthodisme, piétisme, presbytérianisme, puritanisme, puseyisme, quakerisme, zwinglianisme; intégrisme. || La religion catholique, apostolique et romaine. || La religion réformée, appelée officiellement au XVIIe siècle « prétendue réformée » (R. P. R.), et, absolt, la religion. || « Un officier de cette ville qui est de la religion » (Racine, Lettres), qui est protestant.
23 (…) la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts (…)
Chateaubriand, le Génie du christianisme, I, I, I.
♦ (Religion de…). Doctrine, philosophie comparée à une religion, ou qui se présente comme une religion. || Une religion de l'homme et de l'espèce (→ Dieu, cit. 10), de l'humanité (→ Humanisme, cit. 3, Renan), du progrès, de la raison…
4 (Déb. XVIIe). Sentiment de respect, de vénération (⇒ Adoration), ou sentiment du devoir à accomplir (⇒ Zèle), comparés au sentiment religieux; objet d'un tel sentiment (⇒ Devoir, obligation). — ☑ Vx. Se faire une religion de…, un point d'honneur (→ aussi Fonder, cit. 9). ☑ Point de religion : cas de conscience, scrupule. — L'honneur (cit. 22) militaire, cette religion de loyauté. || La peinture (cit. 10) était une religion pour les artistes…
24 (Mirabeau) démêlait finement, mais avec l'indulgence et la bonté du génie, l'orgueil profond de Robespierre, la religion qu'il avait pour lui-même, pour sa personne et ses paroles.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., IV, V.
♦ Surprendre la religion du prince, des juges, surprendre « leur bonté » (Académie, 1696), « leur justice » (Furetière), les tromper. — ☑ (1797, in D. D. L.). Éclairer la religion de qqn, éclairer ses idées sur quelque chose.
25 Sa manière de procéder était si connue, que les plaideurs ne le venaient plus voir que pour lui remettre des pièces qui pouvaient éclairer sa religion; personne ne cherchait à le tromper.
Balzac, le Cabinet des Antiques, Pl., t. IV, p. 435.
♦ ☑ Loc. Ma religion est faite sur ceci : ma conviction est entière, bien établie.
5 (Fig. du 3.). Activité ou organisation comparée à une doctrine religieuse, à un culte… || Le parti communiste (cit. 3) est à la fois une religion, une communauté… — La religion de la maladie (→ Ordonnance, cit. 15), du camping… (→ Iconoclaste, cit. 4).
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II (1170; mais le sens de « couvent, monastère », encore utilisé au XVIIe, est la première acception de religion). Dans le christianisme, Vie consacrée à la religion, par des vœux; état de religieux, de religieuse. ☑ Entrer en religion : faire sa profession, prononcer ses vœux (→ 1. Port, cit. 12; et aussi Se consacrer à Dieu, prendre l'habit, le voile…). — Nom de religion, que prend un religieux et qui sert à le désigner, son nom laïc n'étant jamais employé.
♦ Liturgie cathol. Société reconnue par l'autorité ecclésiastique, et dont les membres prononcent des vœux. ⇒ Congrégation, ordre.
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CONTR. Doute, irréligion.
DÉR. Religionnaire.
Encyclopédie Universelle. 2012.