DONATISME
Le donatisme est un schisme qui divisa l’Église, en Afrique, pendant trois siècles et demi, de la fin de la persécution de Dioclétien à l’invasion arabe. Des divergences irréconciliables s’installèrent dans le peuple chrétien sur l’attitude à prendre à l’égard des croyants, voire des évêques qui avaient failli durant la persécution. L’évêque Donat organisa le parti des intransigeants, pour qui la validité des sacrements dépendait de la sainteté des ministres. Du côté catholique, cela contraignit à une réflexion plus approfondie sur les sacrements et la théologie de l’Église, réflexion à laquelle participa grandement saint Augustin.
Les donatistes, qui recouraient souvent eux-mêmes à la violence, furent l’objet d’une répression impériale quasi permanente; elle ne les entama guère dans une résistance qui prit souvent les allures d’un mouvement de protestation sociale, fortement lié aux réalités ethnographiques, culturelles, économiques et politiques de l’Afrique romaine. Les contemporains ne prirent pas une nette conscience de la complexité des rapports qui s’instaurèrent là entre religion et société, mais c’est un exemple qui retient volontiers l’attention tout à la fois des historiens modernes, des théologiens et des sociologues de la religion.
Un schisme de l’Église d’Afrique
Origines (305-321)
L’événement initial qui permit aux deux partis en présence de s’organiser fut une double élection épiscopale à la mort de l’évêque de Carthage, en 311-312. Élu en premier, Cécilien n’attendit pas l’arrivée des évêques de Numidie pour se faire consacrer, bien que cette fonction revînt à leur doyen. Ces évêques, au nombre de soixante-dix, déclarèrent son ordination nulle, conformément à la théologie africaine traditionnelle, parce que parmi ses consécrateurs se trouvait Félix d’Aptonge, qu’on accusait d’être un traditor , un apostat, c’est-à-dire d’avoir livré les Écritures aux persécuteurs. À sa place, ils élurent Majorin, un diacre qui ne partageait pas les réticences de Cécilien vis-à-vis des confesseurs de la foi et du culte des martyrs.
Cependant, dès la publication de l’édit de Milan (313), Cécilien fut reconnu comme l’évêque catholique de Carthage par l’administration impériale. Majorin mourut peu après et fut remplacé par Donat qui occupa le siège de Carthage pendant plus de trente ans et sut organiser la dissidence. Les débuts ne furent pas aisés. En octobre 313, le synode d’évêques gaulois, réclamé par les donatistes pour trancher le différend entre les deux évêques concurrents, condamna le parti de Donat; en appel au Concile d’Arles de 314, la sentence fut identique. Lors d’un ultime recours auprès de la juridiction impériale cette fois (316), la justice prouva que l’accusation de traditio portée contre Félix d’Aptonge n’était qu’une diffamation, reposant sur des faux de fabrication donatiste, et qu’en revanche d’authentiques traditeurs se trouvaient parmi les consécrateurs de Majorin. Ainsi s’écroulait le fondement même de la querelle faite à Cécilien. Constantin traita toute l’affaire comme un procès en calomnie et punit sévèrement les donatistes par une loi (317) qui prescrivait la confiscation de leurs basiliques et l’exil des meneurs. Cependant, devant les désordres qui en résultèrent on renonça bientôt à sévir, avant de rétablir la pleine liberté religieuse en 321.
L’enracinement (321-373)
Une fois ses chefs convaincus de faux, les progrès du donastisme ne s’expliquent aisément que par l’ardeur de l’adhésion populaire. Le scandale de la conduite médiocre de certains évêques lors des persécutions persistait. Bien des chrétiens, vivement conscients, avec Donat, d’être les «fils des martyrs», souhaitaient n’avoir rien de commun avec les «fils des traditeurs». De plus, sans que l’on puisse parler de nationalisme, au sens moderne du terme, les donatistes faisaient aisément figure de continuateurs de la tradition africaine, face aux partisans de Cécilien qui recevaient leur mot d’ordre d’ailleurs. Certes, ils firent appel, les premiers, à l’arbitrage de l’empereur, mais toute leur attitude exprime une vive réticence devant la nouvelle situation faite à l’Église par la paix constantinienne. «Quoi de commun entre l’empereur et l’Église?» s’écrie Donat, lorsque les légats de Constant arrivent en Afrique pour y rétablir l’unité religieuse.
À partir de cette date (347), le donatisme élargit encore son audience populaire par une alliance explicite avec les circoncellions. Ce mouvement d’ouvriers agricoles indigènes lutte, fait remarquable pour l’Antiquité, d’une façon violente et organisée, contre les abus des propriétaires fonciers; on le trouve impliqué dans les rébellions contre le pouvoir romain. Par cette alliance, le donatisme ne s’assure pas seulement des hommes de main, il se place du côté de la protestation sociale et économique, voire politique, lui apportant, au moins de fait, sa caution religieuse.
La répression de l’empereur Constant est très énergique. Il envoie Donat lui-même en exil, où il meurt en 355. Mais en 361, à leur requête, Julien l’Apostat rétablit les dissidents dans tous leurs droits. Le donatisme échappe ainsi au déclin qui le menaçait.
Luttes décisives (373-430)
Le donatisme à son apogée est cependant déchiré par des schismes successifs. Celui des maximianistes (391) ébranle particulièrement sa position morale, car, à l’occasion d’un conflit qui reproduit, chez eux, celui de Majorin et de Cécilien, ses dirigeants renient cyniquement les principes mêmes qui justifient l’existence de leur Église. Entre-temps, une réaction catholique s’amorce: dès 366-367, l’évêque Optat de Milève entreprend la première réfutation théologique sérieuse du schisme. Il établit à ce sujet un dossier historique et scripturaire dans lequel saint Augustin puisera l’essentiel de son argumentation. Celui-ci entre en scène dès 392. Il mène le combat décisif sur le plan théologique, tandis que le primat de Carthage refait l’unité de l’épiscopat catholique en présidant dix-huit synodes entre 393 et 410.
Parallèlement, la répression impériale se fait plus systématiquement. En 404, par exemple, Théodose répond par un édit d’union à l’appel au bras séculier provenant de l’épiscopat catholique. C’est encore sous l’égide impériale que se tient, du 1er au 26 juin 411, la fameuse conférence de Carthage qui réunit, en un débat public, 279 évêques donatistes et 286 évêques catholiques. Les catholiques l’ayant emporté, Honorius promulgue de nouvelles lois antidonatistes: leurs églises et propriétés sont transférées aux catholiques, leurs clercs exilés et leurs fidèles condamnés à l’amende. Ces peines sont encore aggravées en 428, à la veille de la conquête vandale. Sous cette domination arienne, leur sort ne s’améliore pas. À l’époque byzantine, Justinien prend encore des mesures contre eux. C’est seulement après l’invasion arabe que leur trace se perd définitivement.
Signification du conflit
L’enjeu théologique
En déniant toute valeur aux sacrements conférés par des ministres schismatiques ou apostats, les donatistes, loin d’innover, demeuraient fidèles à la théologie de saint Cyprien, le grand évêque martyr de Carthage. Sa position, rejetée par Rome, ne l’avait jamais été nettement en Afrique, et Cécilien lui-même la partageait. De plus, en dépit des assertions de saint Augustin, cette théologie ne liait pas tant la validité des sacrements à la sainteté personnelle du ministre qu’à sa reconnaissance par l’Église comme membre fidèle et intègre. Ainsi sainteté, sacrements valides et frontières sociologiques de l’Église coïncidaient parfaitement. L’exigence légitime d’un ministère confessant revenait à prôner une Église de purs, de structure cléricale et sectaire, dont la marque était la recherche quelquefois fanatique du martyre (provocation des païens, voire suicides collectifs). C’est en établissant que le Christ est le véritable auteur des sacrements qu’Augustin réussit à dissocier cette synthèse: la sainteté des sacrements étant celle du Christ non seulement le rôle des clercs en était relativisé mais on échappait à l’attitude donatiste du «tout ou rien», et l’on était mis dans la nécessité de reconnaître l’unique baptême partout où il était donné et par là même de voir dans les communautés dissidentes des «vestiges» de la véritable Église. En justifiant de plus la non-réitération du baptême et de l’ordre, il posait les autres fondements de ce qui devait devenir, dès le XIIe siècle, le traité classique des sacrements en théologie latine. Cette réflexion, appuyée sur un critère de catholicité (la pratique de l’Église universelle) a certainement aidé l’Église à ne pas se transformer en secte et offre encore aujourd’hui le fondement le plus communément accepté à l’action œcuménique entre les confessions chrétiennes.
Dans son appel au pouvoir civil, saint Augustin fut bien moins heureux. On lui a beaucoup reproché son exégèse de Luc, XIV, 23 (Compelle intrare : force-les d’entrer): elle n’était qu’occasionnelle. Malgré son génie, il n’a guère pressenti le cadeau empoisonné que représentait pour l’Église la situation constantinienne et encore moins soupçonné les dimensions sociologiques du donatisme.
Religion et société
La recherche historique a établi que le donatisme ne fut jamais un mouvement purement religieux. Mais, à critères identiques, cela ne vaut-il pas également de l’Église catholique africaine? Celle-ci s’appuyait juridiquement sur l’Empire; ses évêques, administrateurs de grands domaines ecclésiastiques, étaient solidaires de l’aristocratie foncière romanisée; ainsi l’Église catholique s’insérait, tout autant que le donatisme, dans un réseau de solidarités politiques, économiques et culturelles.
Reste à savoir pourquoi le donatisme qui, au point de départ, était une protestation de «purs» contre la mansuétude de la discipline ecclésiastique est également devenu une révolte contre l’injustice sociale et la domination étrangère, pour employer une terminologie moderne. Son conservatisme explique probablement ce développement: en s’opposant obstinément à toute modification de l’attitude chrétienne traditionnelle vis-à-vis de l’État, il rencontrait un écho favorable dans les tendances autonomistes africaines. Semblable rencontre explique aussi pour une large part le succès remporté par les monophysismes copte et syrien. De nombreux facteurs contribuèrent à diviser catholiques et donatistes: la langue (latinisation incomplète du pays), la race (antagonisme entre Berbères et romanisés), l’économie et la politique (circoncellions et latifundiaires). Cela, l’historien peut le constater; quant à préciser l’importance relative de chacun de ces facteurs, il marquera une légitime circonspection, en particulier s’il s’agit de préciser le poids respectif des facteurs proprement théologiques et des autres. Il remarquera seulement que, dans cette crise, les conflits de la société se sont exprimés sous la bannière de la religion, et qu’un mouvement religieusement «intégriste» s’est trouvé socialement «progressif». Quant au théologien, il constatera que l’idée d’État chrétien s’est trouvée gravement compromise en se réduisant à celle d’État protecteur d’une Église établie, qui ne répondait pas alors à l’espérance des pauvres.
donatisme [ dɔnatism ] n. m.
• 1587; de Donat, évêque de Carthage au IVe s.
♦ Hérésie qui entraîna un schisme dans l'Église d'Afrique au IVe s. Partisan du donatisme (DONATISTE n. et adj. , (1541) ).
● donatisme nom masculin Schisme des donatistes.
donatisme
n. m. HIST Doctrine des partisans de Donat (donatistes), condamnée au concile d'Arles (314), ce qui entraîna un schisme dans l'église d'Afrique.
⇒DONATISME, subst. masc.
HIST. RELIG. Hérésie doublée d'un schisme, qui affecta l'Église d'Afrique au IVe siècle et dont les adeptes, sous l'autorité de Donat, faisaient dépendre la validité des sacrements de la sainteté du ministre qui les confère et prétendaient que l'Église ne subsistait que dans leur société.
Rem. Attesté ds la plupart des dict. gén. du XIXe et du XXe s., dont Ac. 1835, 1878.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1878. Étymol. et Hist. 1752 (Trév. Suppl.). Issu de donatiste par changement de suff. (-isme).
donatisme [dɔnatism] n. m.
ÉTYM. 1752; de donatiste.
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♦ Hist. relig. Hérésie de Donat, qui faisait dépendre la validité des sacrements de la sainteté de celui qui les conférait, et qui entraîna un schisme dans l'Église d'Afrique au IVe siècle.
Encyclopédie Universelle. 2012.