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RACE
RACE

Utilisé pour signifier la différence entre les groupes humains (et plus généralement la différence des types au sein d’une espèce animale quelconque), le mot « race » s’attache à des caractères apparents, le plus souvent immédiatement visibles. Les plus frappantes de ces différences sont chez l’homme la couleur de la peau, la forme générale du visage avec ses traits distinctifs, le type de chevelure [cf. ANTHROPOLOGIE PHYSIQUE]. Ces variations sensibles, sitôt reconnues, sont interprétées par le système de valeurs propre à chaque culture. Un tout jeune enfant blanc qui rencontre pour la première fois un enfant noir, et s’il n’a pas encore reçu de ses parents le schéma culturel raciste, se demandera pourquoi l’autre s’est mis de la couleur et, en lui serrant la main, il regardera la sienne pour voir si cette couleur déteint. Ce comportement marque la découverte d’une différence qu’il demandera à l’adulte d’expliquer; ici commence le discours sur les « variétés dans l’espèce humaine ».

Aux différences physiques visibles s’ajoutent celles du vêtement, de la parure, de la langue et des mœurs. Il est loisible aussitôt de les mêler toutes en un amalgame significatif d’une distance entre les « gens du soi » et les autres. Plus radicalement en nous opposant, nous les « hommes », aux autres, les « non-hommes ». Ce rapport à l’identité, que tous les peuples élaborent et définissent par l’interprétation systématique de la différence, place chaque discours culturel et historique particulier dans l’obligation de rendre compte non seulement de la distinction de l’homme et de l’animal, et des hommes entre eux, mais aussi de la relation au surnaturel; ce faisant, il est chaque fois possible de penser un ordre du monde et de la société sans cesse confronté au réel, mais toujours appuyé sur des idéologies. Cette mise en présence dans le monde place les hommes en face des autres hommes dans une structure d’échange qui constitue autant d’histoires pour dire la vie et la mort des sociétés humaines.

La question de la race s’inscrit plus particulièrement, au niveau tant biologique qu’anthropologique, dans le devenir historique propre à l’Occident cherchant à dominer tous les peuples de la terre. Dans la langue française, le mot « race », dès le XVIe siècle, signifie la différenciation des espèces, mais également celle des classes sociales ou des grandes familles; la race est considérée comme étant composée des descendants d’une même lignée et d’un même ancêtre: ainsi chaque dynastie royale constituait-elle en elle-même une race. On opposait couramment au XVIIe siècle la noblesse de race transmise de génération en génération et la noblesse acquise de fraîche date. La race fait donc référence explicite à la lignée généalogique enfermée dans un contexte social, où elle tient une place déterminée par rapport à toutes les autres; certains mariages pouvaient faire « dégénérer la race », à tel point que la race se trouvait même ne plus pouvoir être estimée en termes de rang social; de là vient que l’on opposait la race aux races serviles, méchantes, infidèles et parjures. Aussi les avatars du concept de race dans les sciences sont-ils d’un grand enseignement, non seulement pour connaître l’histoire de la méthode scientifique, mais pour comprendre les relations entre le discours scientifique, le discours idéologique et la réalité de l’histoire.

1. Les critères biologiques

Ce qui a d’abord préoccupé les hommes de science au regard de l’humanité, c’est de distinguer parmi les types humains des critères permettant d’aboutir à une classification des races; pour Linné, l’espèce Homo sapiens pouvait se diviser en six races différentes: sauvage, américaine, européenne, asiatique, africaine et monstrueuse. En réalité, la première n’avait jamais pu être repérée, et quant à la dernière, il est question ici d’une description purement pathologique. Pour Buffon, au contraire, la variété des races humaines devait être expliquée par le fait qu’à partir de la race blanche originelle les types humains se sont trouvés diversifiés et modifiés suivant les climats. Peu à peu, certains caractères particulièrement visibles, telles la couleur de la peau, la forme du cheveu, la forme crânienne et celle du visage, notamment du nez, ont amené les hommes de science à vouloir y trouver des critères pertinents pour la distinction raciale. Ainsi, pour J. F. Blumenbach, il existe cinq races à la surface du globe, les races caucasienne 漣 c’est-à-dire européenne 漣 mongole, éthiopienne, américaine et malaise. La difficulté, dans ces classifications, consistait surtout à choisir les critères [cf. ANTHROPOLOGIE PHYSIQUE]. En 1842 fut élaboré l’index crânien qui permettait, à partir de plusieurs mensurations, de déterminer divers types; mais ces différences n’étaient valables, en réalité, que pour des cas extrêmes, et, que ce soit la dolichocéphalie, la mésocéphalie ou la brachycéphalie, ces trois catégories ne permettaient pas de découvrir des « types purs », tels que le voulait la science de ce temps-là. Ces difficultés n’ont pas empêché l’anthropologie physique de compliquer les classifications; ainsi J. Deniker distingue-t-il dix-sept races humaines, d’autres après lui plusieurs dizaines. Le défaut majeur de ces classifications est qu’elles confondent les notions purement biologiques avec les traits proprement culturels et sociologiques des différentes nations humaines. Plus on multiplie le nombre des races humaines, plus on les confond inévitablement avec des cultures humaines particulières. Les questions que l’on se posait étaient essentiellement, d’une part, l’origine historique des races et, d’autre part, la distribution des races à la surface du globe.

La génétique moderne permit de s’apercevoir que les différences biologiques entre les races humaines ne pouvaient être considérées comme absolues et surtout que la hiérarchie que l’on se plaisait à établir entre les diverses races ne pouvait avoir aucune justification scientifique: toute l’humanité possède un patrimoine héréditaire commun. À la lumière de la génétique moderne, le concept de race est fondé sur la variabilité de quelques gènes parmi les dizaines de milliers que comptent les chromosomes de l’homme (cf. HOMME -Génétique humaine). Certains de ces gènes commandent les propriétés sérologiques du sang [cf. HÉMOTYPOLOGIE], ce qui a permis d’individualiser certains groupes humains. Mais une classification fondée sur un aussi petit nombre de gènes ne saurait avoir une portée générale. Que penser, en effet, d’une différence certes objective, mais qui trouve son origine dans la variation d’une fraction infime de l’immense fonds génétique de l’humanité? Pour l’ethnologie moderne, le concept biologique de race n’est pas utilisable.

2. La perception des différences

La tradition hébraïque

Si la Bible fait bien descendre toute l’humanité du premier homme, Adam, elle attribue aux trois fils du patriarche Noé l’origine des Européens (Japhet), des Asiatiques (Sem) et des Africains (Cham). « Les fils de Noé qui sortirent de l’arche étaient Sem, Cham et Japhet: Cham est le père de Canaan. Ces trois-là étaient les fils de Noé et, à partir d’eux, se fit le peuplement de toute la Terre. » (Gen., x, 18-19.) Ainsi, du même mouvement, se trouvaient affirmées l’unité du genre humain et sa division. Le texte biblique poursuit: « Noé, le cultivateur, commença de planter la vigne. Ayant bu du vin, il fut enivré et se dénuda à l’intérieur de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père et avertit ses frères au-dehors. Mais Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent tous deux sur leurs épaules et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père; leurs visages étaient tournés en arrière et ils ne virent pas la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son fils le plus jeune. Et il dit: « Maudit soit Canaan! Qu’il soit pour ses frères le dernier des esclaves! » Il dit aussi: « Béni soit Yahvé, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave! Que Dieu mette Japhet au large, qu’il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit son esclave! » (Gen., x, 20-27.) La Bible instaure non seulement la différence, mais encore la hiérarchie entre les trois ancêtres qui peuplèrent les continents, et la malédiction qui pèse sur les fils de Canaan les désigne à la fois comme esclaves de tous les autres, et comme victimes de toutes les violences. Le Moyen Âge reconnaissait en Cham l’ancêtre des serfs, en Sem celui des clercs, en Japhet celui des seigneurs. Il s’agit toujours de confondre la différence des apparences avec la délimitation des statuts et de la hiérarchie. Pour sa part, la tradition hébraïque, fondée sur la loi de Moïse, tout en ne faisant pas de référence explicite à la race, affirmait que « la barrière qui devait séparer le peuple élu des nations était destinée à perpétuer sa fonction de peuple prêtre » (Léon Poliakov, Le Mythe aryen ). On sait que la différence, quand elle n’est pas acceptée, sert souvent de prétexte pour étayer un jugement de valeur, pour appuyer un rapport de force, pour autoriser la violence.

Le siècle des Lumières

L’anthropologie du siècle des Lumières est particulièrement significative car elle cherche à rendre compte de l’existence, récemment découverte, des nations sauvages, pour mieux l’opposer à celle du monde européen civilisé. Ce qui intéresse les philosophes, c’est de découvrir le sens des nations européennes. Ce faisant, ils confondent les apparences « raciales » et les « productions sociologiques et psychologiques des cultures humaines » (C. Lévi-Strauss, Race et histoire ) et cherchent à renvoyer les hommes sauvages parmi les ancêtres historiques de l’homme moderne. Cet ordre historique créait du même coup l’ordre des valeurs.

Dès 1749, Buffon, dans son Histoire naturelle de l’homme, marquait très nettement la séparation entre l’homme et l’animal. Cependant, il cherchait en même temps à expliquer les causes des « variations dans l’espèce humaine ». Les critères que reconnaissait Buffon sont la couleur de la peau, la forme et la taille, enfin ce qu’il nomme le naturel. Si les deux premiers critères sont d’emblée corporels et visibles, le « naturel » renvoie à l’interprétation des comportements culturels. Mais, pour expliquer les variations tout en posant l’unité du phénomène humain, il faut croire qu’à partir d’un modèle originel les hommes se sont peu à peu distingués de lui pour « dégénérer » au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient de la zone tempérée. Car, écrit Buffon, « c’est sous ce climat qu’on doit prendre le modèle ou l’unité à laquelle il faut rapporter toutes les autres nuances de couleur et de beauté ». Ce sont donc des causes accidentelles qui font varier les nations qui peuplent la Terre, creusant ainsi l’écart entre l’Europe civilisée et le monde sauvage. Celle-là, par le progrès qu’elle manifeste, se doit de convaincre les sauvages de réintégrer la nature de l’homme. Et Buffon se félicite de ce que les sauvages « sont venus souvent d’eux-mêmes demander à connaître la loi qui rendait les hommes si parfaits ». Ainsi l’Europe se voit offrir, en raison de la dégénérescence des sauvages, la mission de les ramener sous sa loi supérieure. Ce devait être l’alibi des conquêtes coloniales.

Si la démarche de Voltaire est autre, ses conclusions rejoignent celles de Buffon en ce qu’il place l’Europe au sommet de la civilisation. Il voit entre les peuples de la Terre de telles différences qu’il croit d’une autre espèce les hommes sauvages. Il distingue des degrés qui vont de la « stupidité » et de l’« imbécillité » à la « raison commencée », pour atteindre chez certains peuples le stade de la « raison perfectionnée » qui suppose la reconnaissance du vrai Dieu. C’est sur « ces différents degrés de génie et ces caractères des nations qu’on voit si rarement changer » que Voltaire proclame la supériorité des nations policées et la logique de leur domination partout dans le monde. Et s’il proteste contre les atrocités des conquérants, c’est qu’il voudrait voir triompher la civilisation non par la violence, mais seulement par le droit et la raison.

Avec Rousseau, la différence manifeste entre les peuples est complètement dégagée des déterminations raciales et de l’histoire naturelle des espèces. À l’opposé de tous les animaux, l’homme, de par sa supériorité, peut vivre selon un « état de nature » puisque, tout en restant isolé, il peut commander en même temps à cette nature qui l’environne. L’homme ne dépend pas des autres hommes dans l’état de pure nature, il est libre et par là se distingue de l’animal. Mais, en usant de cette liberté, il invente à chaque moment son histoire. Celle-ci peut manifester diverses formes selon que les hommes vivent dans l’état de nature ou qu’ils se constituent en sociétés. « Celui qui voulut que l’homme fût sociable, écrit Rousseau, toucha du doigt l’axe du globe et l’inclina sur l’axe de l’univers. À ce léger mouvement, je vois changer la face de la terre et décider la vocation du genre humain. » L’état de nature, « qui n’a peut-être pas existé », laisse ouverte la possibilité d’existence aux sociétés politiques fondées sur l’inégalité au service des plus forts. L’homme est donc renvoyé d’abord à sa liberté originelle et puis, de révolution en révolution, à son destin politique qu’il doit maîtriser pour y réintroduire sa liberté. L’homme connaît ici sa pleine dimension, qu’il soit sauvage ou bien lié par le contrat social.

Cependant, les auteurs du siècle des Lumières n’accordent aux peuples sauvages qu’une représentation mythique en regard de quoi ils élaborent l’idéologie de leur propre société et celle de ses transformations. L’homme sauvage est toujours opposé à l’homme civilisé et, le plus souvent, réduit à la qualité de « primitif ». L’histoire ainsi orientée renvoie les peuples sauvages dans l’enfance de l’humanité, et désigne l’Europe comme missionnaire de la civilisation après l’avoir été de la religion. C’est au nom de la « supériorité » du civilisé qu’il lui revient d’imposer le progrès et son ordre.

L’affirmation de la supériorité aryenne

Le privilège de la race blanche, et plus précisément de la nation aryenne, a été réaffirmé au XIXe siècle pour en faire une idée reçue avec d’autant plus de conviction qu’elle convenait aux prises de possession et aux conquêtes de l’Europe partout dans le monde. Par son Essai sur l’inégalité des races humaines , le comte de Gobineau allait dès 1853 proposer une théorie qui satisfaisait les besoins inconscients de l’élite européenne. Lui-même le constatait dans la préface qu’il écrivit pour la seconde édition de son ouvrage en 1882: « Des écrivains [...], qui possèdent aujourd’hui une grande réputation, en ont fait entrer incognito, sans l’avouer, les principes et même des parties entières dans leurs œuvres et, en somme, [...] on s’en servait plus souvent et plus largement qu’on n’était disposé à en convenir. » Gobineau ne faisait en réalité que reprendre et systématiser les idées de son siècle et de la classe politique de son temps. « Une des idées maîtresses de cet ouvrage, écrit-il, c’est la grande influence des mélanges ethniques, autrement dit des mariages entre les races diverses [...] on présenta cet axiome que tant valait le mélange obtenu, tant valait la variété humaine produit de ce mélange et que les progrès et les reculs des sociétés ne sont autre chose que les effets de ce rapprochement. » Sa thèse est d’une grande netteté puisque les civilisations n’existent qu’en fonction de la plus ou moins grande influence de la race aryenne sur le reste du peuplement. Les dix civilisations reconnues par Gobineau sont donc l’indienne, l’égyptienne, l’assyrienne, la grecque, la chinoise, l’italienne, la germanique et puis, loin derrière, trois civilisations américaines. Il résume sa démonstration d’une manière péremptoire: « Point de civilisation véritable chez les nations européennes, quand les rameaux aryens n’ont pas dominé. » La vision de Gobineau promet à l’humanité un sort d’autant plus misérable que le mélange des races y sera plus complet: « Le dernier terme de la médiocrité dans tous les genres », puisque « l’espèce blanche a désormais disparu de la face du monde » et que « la part du sang aryen, subdivisée déjà tant de fois, qui existe encore dans nos contrées, et qui seule soutient l’édifice de notre société, s’achemine vers les termes extrêmes de son absorption ». Cette vision a servi de réponse à la culpabilité des peuples européens devant l’implacable domination qu’ils réussissaient à étendre sur toute la Terre. Les chauvinismes, les nationalismes, les impérialismes trouvaient là des prétextes à l’exercice de la violence. Le fascisme européen, sous ses formes nazie, mussolinienne, franquiste, devait porter à son paroxysme la justification, par le moyen du concept de race, de la haine et du meurtre des races « inférieures » ou « cosmopolites ».

3. Race et pouvoir

La fortune du mot « race », chaque fois que se manifestent la violence et plus précisément l’extermination, pose le difficile problème du rapport entre la violence perpétrée par un pouvoir et la définition de la victime en terme de groupe humain, généalogiquement défini, c’est-à-dire « racial ». Tout au long du devenir de l’humanité, la découverte des peuples étrangers, le commerce qui s’instaurait entre nations et les rapports de forces qui se manifestaient obligeaient à des interprétations de caractère idéologique capables de rendre compte des faits vécus.

À partir de la diversité de fait que chacun peut constater à l’œil nu entre les groupes humains, il existe deux attitudes fondamentales aisément repérables qui conduisent toutes deux, quoique par des chemins opposés, à légitimer la violence d’un groupe sur l’autre. En réalité ces deux attitudes ont en commun une même négation de la différence. Elle supposent la discrimination et, par là même, l’affirmation exclusive de soi.

Un faux évolutionnisme

La première attitude est « une tentative pour supprimer la diversité des cultures, tout en feignant de la reconnaître pleinement. Car, si l’on traite les différents états où se trouvent les sociétés humaines, tant anciennes que lointaines, comme des stades ou des étapes d’’un développement unique qui, partant du même point, doit les faire converger vers le même but, on voit bien que la diversité n’est qu’apparente. L’humanité devient une et identique à elle-même; seulement, cette unité et cette identité ne peuvent se réaliser que progressivement et la variété des cultures illustre les moments d’un processus qui dissimule une réalité plus profonde ou en retarde la manifestation » (Lévi-Strauss, op. cit. ). Privilégier ce processus de nature historique c’est vouloir écrire dans les faits une histoire pour soi, une histoire pour l’Europe, une histoire pour le Blanc. La référence historique est contraignante pour les autres, exaltante pour soi puisqu’on est toujours à l’aboutissement du devenir historique comme à la pointe significative du présent. Seul est reconnu « actuel », c’est-à-dire pertinent, le présent de sa propre société, et seul est valorisé, dans le futur, son propre projet. C’est ce faux évolutionnisme qui a permis de réduire la diversité des cultures en la rendant moins inquiétante et de sauvegarder une précieuse et rassurante image de soi. Il est clair que le pouvoir trouve ici raison de nier la différence et de vouloir réduire la diversité en forçant l’autre à l’identité. C’est ne réhabiliter l’autre qu’en en faisant un autre soi-même; et pour cela la force est dans « le » sens de l’histoire. Toutes les techniques d’« assimilation », d’intégration, de même que toutes les contraintes allant jusqu’à l’extermination physique ou culturelle sont légitimées.

La « pureté » de la race

La seconde attitude n’admet la différence des cultures que pour mieux la valoriser en termes de rapport de forces. On postule une hiérarchie des groupes humains selon des critères qui sont favorables aux « gens du soi ». La valeur ne peut être préservée que par le maintien d’une distance infranchissable entre soi et les autres. Maintenir la « pureté » de la race contre les mélanges qui la font dégénérer devient la préoccupation obsédante et la tâche essentielle du pouvoir. À partir d’une différence, on institue une discrimination qui devient la charte du pouvoir, de l’ordre et de la sécurité. Peu importe la manière dont est reconnue la supériorité congénitale d’une fraction de l’espèce humaine, elle est un dogme. Cette discrimination fondamentale a pour conséquence logique de désigner l’autre pour victime. Ce faisant, l’exercice de la violence et du meurtre est une tentative d’identification à l’autre par le sacrifice même qu’on lui inflige. Le refus d’acceptation de la différence ne supporte que l’identification forcée, par le moyen du meurtre. L’affirmation de soi passe ici par la négation de l’autre, et ce meurtre est une protestation d’identité avec la victime. Rien n’est plus frappant que de constater combien ce désir d’incorporer la victime suppose qu’on en ait fait d’abord son double pour mieux la nier et mieux la détruire. Hitler, dans son livre Mein Kampf, ne cesse de s’en prendre aux juifs qu’il accuse « de vouloir détruire par l’abâtardissement résultant du métissage cette race blanche qu’ils haïssent, la faire choir du haut niveau de civilisation et d’organisation politique auquel elle s’est élevée et devenir ses maîtres ». Pour Hitler, la supériorité de la race aryenne des seigneurs et son combat pour défendre la pureté de cette race trouvent leur pendant dans la description qu’il fait du peuple juif. Il écrit: « [Le juif] empoisonne le sang des autres, mais préserve le sien de toute altération [...]. Par tous les moyens il cherche à ruiner les bases sur lesquelles repose la race du peuple qu’il veut subjuguer. » Hitler désigne la victime en la transformant en un modèle qu’il voudrait voir suivre par les siens: préserver à tout prix son sang de toute altération! Faute de pouvoir accepter la différence, la volonté d’identité transforme l’autre en victime d’un sacrifice qui, à l’échelle parfois de tout un peuple, prend la forme de l’extermination. Ainsi, la discrimination, qui correspond au refus d’accorder existence à l’autre, est une affirmation exclusive de soi. Cette attitude d’identification forcée de l’autre à soi entraîne le massacre de l’autre au nom de quelque chose de supérieur. Le peuple victime n’est autre que soi-même offert en sacrifice en l’honneur d’une puissance supérieure qu’il importe de vénérer. Tous les génocides que l’histoire a portés ont suivi cette réduction de l’autre à soi-même. La terrible violence exterminatrice supprime les victimes, allège le poids de la culpabilité et purifie. Il ne faut pas s’étonner que le mot « race », qui fait référence à un lien généalogique avec l’ancêtre, ait toujours servi de support au discours qui prélude à l’extermination des peuples. Car son contenu biologique et la référence constante à l’engendrement viennent désigner l’instance supérieure au nom de quoi le sacrifice est perpétré.

Violence ou rencontre des cultures

Ainsi les deux attitudes du faux évolutionnisme, d’une part, et du combat pour la préservation d’une pureté raciale, d’autre part, conduisent-elles au même refus de la différence, à une même volonté d’identification de l’autre, ramené au même. La violence en sera la conséquence certaine, qu’elle prenne la forme du génocide ou celle plus subtile de l’ethnocide. Le faux évolutionnisme aurait plutôt tendance à recourir à la réduction de l’autre par la négation de sa culture et de ses formes de relation avec le monde, tandis que le génocide serait plus souvent la conséquence d’une volonté de sauvegarde de la pureté originelle et généalogique.

À l’opposé, l’acceptation de l’autre, sans besoin d’appuyer un jugement de valeur sur la différence constatée, permet de s’engager dans une collaboration des cultures entre elles, chacune ayant la liberté de déterminer le contenu de l’échange. En ce sens, il est impossible et ridicule de chercher à établir une « supériorité » entre telle ou telle culture. C’est par la fréquence des échanges et des relations que les sociétés qui ont eu la chance de vivre ensemble parviennent à majorer leur entente et à surmonter la tension résultant des nouveaux rapports de forces. Comme l’écrit Lévi-Strauss, « l’unique tare qui puisse affliger un groupe humain et l’empêcher de réaliser pleinement sa nature, c’est d’être seul ». La coalition des cultures est une donnée essentielle du progrès, mais elle entraîne l’unification. Celle-ci conduit à une civilisation mondiale dont le contenu serait très pauvre s’il n’était que la réduction des différences. Au contraire, l’acceptation de la différence chaque fois qu’elle apparaît doit permettre de maintenir la diversité. Cette contradiction fixe les limites du destin de l’humanité.

race [ ras ] n. f.
• v. 1500; it. razza « sorte, espèce », lat. ratio
I
1Famille, considérée dans la suite des générations et la continuité de ses caractères (ne se dit que de grandes familles, familles régnantes, etc.). famille, sang. Être de race noble. ascendance, origine. Loc. adj. Fin de race : décadent. Un homme très distingué, un peu fin de race.
Vx Descendance, postérité. « Race d'Abel, dors, bois et mange » (Baudelaire). Génération. « Que direz-vous, races futures » (Malherbe).
2Vieilli Communauté plus vaste considérée comme une famille, une lignée. « Ces blocs énormes réveillent l'idée d'une race de géants disparus » (Gautier). Littér. La race humaine : l'humanité. « Le peuple juif est un abrégé de la race humaine » (Chateaubriand).
3Fig. Catégorie de personnes apparentées par des comportements communs. espèce. Il est de la race des héros. « J'aurais horreur de redevenir civil [...] D'ailleurs c'est une race qui s'éteint » (Sartre). Fam. Quelle sale race ! engeance.
IISubdivision de l'espèce zoologique, elle-même divisée en sous-races ou variétés, constituée par des individus réunissant des caractères communs héréditaires. Les diverses races canines. Croisement entre races. Animal de race pure, pure race ( pedigree; herd-book, stud-book) .
Absolt Race pure. Ces « lignes heureuses et déliées qui indiquent la race » (Balzac). Avoir de la race : être racé. — Loc. adj. De race : de race pure (opposé à bâtard, croisé). « Deux grands chiens courants de race, véritables fox-hound » (Balzac).
III(Groupes humains)
1(1684 ) Subdivision de l'espèce humaine d'après des caractères physiques héréditaires. En dépit des recherches sur l'indice céphalique, les groupes sanguins et la génétique, rien ne permet de définir la notion de race, sinon des caractères visibles globaux, relatifs et partiels. La race blanche, la race jaune. Croisement entre races. interracial; métissage.
2Par ext. (XIXe) Dans la théorie du racisme, Groupe naturel d'humains qui ont des caractères semblables (physiques, psychiques, culturels, etc.) provenant d'un passé commun, souvent classé dans une hiérarchie. ethnie, peuple. La race prétendue supérieure. La race « aryenne ». La race « juive » des nazis. « Essai sur l'inégalité des races humaines », ouvrage de Gobineau (1855). « Ces questions de suprématie de races sont niaises et dégoûtantes » (R. Rolland). Extermination d'une race (en fait, d'un groupe humain abusivement qualifié de race). génocide, racisme.
⊗ HOM. poss. 2. Ras.

race nom féminin (italien razza, du bas latin ratio, espèce) Catégorie de classement biologique et de hiérarchisation des divers groupes humains, scientifiquement aberrante, dont l'emploi est au fondement des divers racismes et de leurs pratiques. Subdivision de l'espèce humaine en Jaunes, Noirs et Blancs selon le critère apparent de la couleur de la peau. Population animale résultant, soit par isolement géographique, soit par sélection, de la subdivision d'une même espèce, et possédant un certain nombre de caractères communs transmissibles d'une génération à la suivante. Littéraire. Lignée familiale considérée dans sa continuité ; ensemble des ascendants ou des descendants d'un personnage ou d'un groupe humain : La race de David. Ensemble de personnes présentant des caractères communs (profession, comportement, etc.), et que l'on réunit dans une même catégorie : La race des gens honnêtes.race (citations) nom féminin (italien razza, du bas latin ratio, espèce) Joseph Arthur, comte de Gobineau Ville-d'Avray 1816-Turin 1882 L'espèce blanche, considérée abstractivement, a désormais disparu de la face du monde. Essai sur l'inégalité des races humaines Jules Michelet Paris 1798-Hyères 1874 La France a fait la France, et l'élément fatal de race m'y semble secondaire. Elle est fille de sa liberté. Histoire de France, Préface de 1869 Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval Paris 1808-Paris 1855 Notre passé et notre avenir sont solidaires. Nous vivons dans notre race, et notre race vit en nous. Aurélia Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 La nature […] continue les races et ne prévoit pas les individus […]. Chroniques, Vacances de Pâques Dante Alighieri Florence 1265-Ravenne 1321 Considérez la race dont vous êtes, créés non pas pour vivre comme brutes, mais pour suivre vertu et connaissance. Considerate la vostra semenza : fatti non foste a viver come bruti, ma per seguir virtute e conoscenza. la Divine Comédie Georg Christoph Lichtenberg Ober-Ramstadt 1742-Göttingen 1799 L'instinct de perpétuer la race a aussi perpétué une foule d'autres choses. Der Trieb, unser Geschlecht fortzupflanzen, hat noch eine Menge anderes Zeug fortgepflanzt. Aphorismes race (expressions) nom féminin (italien razza, du bas latin ratio, espèce) Avoir de la race, avoir une distinction et une élégance naturelles. De race, se dit d'un animal domestique non métissé. La race humaine, l'ensemble des hommes, l'humanité. ● race (homonymes) nom féminin (italien razza, du bas latin ratio, espèce) ras nom masculinrace (synonymes) nom féminin (italien razza, du bas latin ratio, espèce) Littéraire. Lignée familiale considérée dans sa continuité ; ensemble des ascendants ou...
Synonymes :
- branche
- lignée
- maison
- postérité
- sang
- souche
- tige
Ensemble de personnes présentant des caractères communs (profession, comportement, etc.)...
Synonymes :
- engeance
- espèce
- gent (littéraire)
- graine

race
n. f.
d1./d Vx ou litt. Ensemble des membres d'une grande lignée.
|| Loc. adj. Fin de race: décadent.
d2./d Fam. (souvent péjor.) Catégorie de personnes qui ont un même comportement. La race des pédants.
d3./d Division de l'espèce humaine, fondée sur certains caractères héréditaires, physiques (couleur de la peau, forme du crâne, etc.) et physiologiques (groupes sanguins, notam.). Les races (ou grand-races) blanche, jaune, noire.
|| Par ext. Groupe naturel d'hommes qui présentent des caractères physiques et culturels semblables provenant de traditions et d'un passé communs. (V. encycl. ci-après.)
d4./d BIOL Subdivision de l'espèce zoologique, constituée par des individus ayant des caractères héréditaires communs. Les différentes races bovines (charolaise, normande, etc.).
|| Loc. adj. De race: de race pure, non métissée. Un cheval de race.
Encycl. Le concept de race entraîna l'apparition du racisme. La conviction de leur supériorité biologique a déterminé ou conforté l'attitude des Blancs au cours de leur expansion dans le monde (massacre des populations autochtones en Amérique et en Australie, traite négrière, ségrégation raciale aux États-Unis). Dans l' Essai sur l'inégalité des races humaines (1853), Gobineau prétendit prouver que les Aryens, anciens habitants de la Perse, constituaient l'élite de la race humaine. Cette théorie fut reprise par les nazis qui considérèrent les Allemands, et plus largement les Européens, comme les descendants des Aryens et exterminèrent six millions de Juifs et de nombreux Tsiganes. Ce même racisme, renforcé par des motifs pseudo-religieux, inspira le régime d' apartheid (développement séparé) qui permit à la minorité blanche d'Afrique du Sud d'opprimer, jusqu'en 1991, la majorité noire. Aujourd'hui, les progrès de la génétique conduisent au rejet des classifications raciales de l'espèce humaine. Ainsi, selon le généticien des populations Albert Jacquard (éloge de la différence, 1978, et Cinq milliards d'hommes dans un vaisseau, 1987), la notion de race n'a aucun fondement biologique: "Les individus de l'espèce humaine sont fort différents les uns des autres..., mais il est impossible de tracer des frontières permettant de regrouper ces populations en races distinctes".

⇒RACE, subst. fém.
I. A. — 1. Vieilli, littér. [En parlant le plus souvent d'une grande famille] Ensemble des personnes appartenant à une même lignée, à une même famille. Synon. ascendance, descendance. La race des Atrides, vieille race. Que Bonaparte et sa race doivent tomber, c'est ce qui me paraît infaillible; mais quelle sera l'époque de cette chute (J. DE MAISTRE, Corresp., 1808, p. 104). Aujourd'hui cette race, égale aux Rohan sans avoir daigné se faire princière (...) cette famille, pure de tout alliage, possède (...) sa maison de Guérande et son petit castel du Guaisnic (BALZAC, Béatrix, 1839, p. 10):
1. La première pensée du biographe, qui veut avancer dans la connaissance d'un homme, est de chercher d'abord du côté de ses ascendants. L'individu le plus singulier n'est que le moment d'une race. Il faudrait pouvoir remonter le cours de ce fleuve (...) pour capter le secret de toutes les contradictions, de tous les remous d'un seul être.
MAURIAC, Vie Racine, 1928, p. 8.
En partic. Chacune des différentes lignées des rois de France. Le pouvoir (...) électif dans les deux premières races des rois de France, ne devint fixe et héréditaire que sous la troisième (BONALD, Essai analyt., 1800, p. 174). Commença, en la personne de Hugues Capet, la troisième race de nos rois (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 1, 1821-24, p. 93).
P. ext. Race humaine. Espèce humaine, l'humanité. C'est surtout dans la race humaine que l'infini de la variété se manifeste d'une manière effrayante (BAUDEL., Salon, 1846, p. 148). Tout enfant de la race humaine (JAURÈS, Ét. soc., 1901, p. 199).
P. méton. Ensemble des descendants d'une même personne. Synon. descendance, lignée, postérité. J'allais souvent voir l'aîné de ma race dans l'institution où je l'avais placé (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 414). Une race naîtrait de moi! Comment le croire? Comment se pourrait-il que j'eusse des enfants? (HUGO, Légende, t. 1, 1859, p. 85). Abraham put voir (...) la race née de son fils Isaac se multiplier à l'infini comme les étoiles du ciel (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p. 169).
Race(s) future(s). Génération(s) future(s). La pierre de ma tombe à la race future Dira qu'un seul hymen délia ma ceinture (CHÉNIER, Bucoliques, 1794, p. 278). Je n'ai pas dédié « Mes enfances » à la postérité, ni supposé un moment que la race future pût s'intéresser à ces bagatelles (A. FRANCE, Vie fleur, 1922, p. 560).
2. Origine noble; p. méton., élégance, distinction naturelle.
a) De race. M. de Talleyrand avait eu beau se mêler à la Révolution, il était resté, lui, un homme de race, gardant au fond beaucoup des idées ou des instincts aristocratiques (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 12, 1869, p. 118). Vous êtes de très vieille race; pourquoi diable avez-vous laissé tomber la particule, Jacquemin? (BAZIN, Blé, 1907, p. 132). M. de Charlus, se rappelant qu'il était de race plus pure que la maison de France (PROUST, Sodome, 1922, p. 1067).
Noble, noblesse de race. Noble, noblesse par l'ascendance. Il n'y a pas en France une seule famille noble, mais je dis noble de race et d'antique origine, qui ne doive sa fortune aux femmes (COURIER, Pamphlets pol., Procès, 1821, p. 120). Je le vois encore (...) sérieux, grave, un peu triste, car il était presque seul de son espèce. Cette petite noblesse de race avait disparu en grande partie (RENAN, Souv. enf., 1883, p. 27).
Fin de race.
Empl. subst. V. fin1 A 2.
Empl. adj., au fig. Décadent. Lado. 42 piges. Austro-Hongrois (...) un peu fin de race. Toujours bronzé (...), pompes Weston, socquettes blanches, pull cachemire et yeux en amandes (Ph. ADLER, C'est peut-être ça l'amour, Paris, J'ai lu, 1987 [1986], p. 17).
b) P. méton. Comportement attendu d'un(e) aristocrate; en partic., élégance, distinction, assurance naturelle dans l'affirmation d'une personnalité marquée. Avoir de la race; homme, femme de race. Je la trouve jolie, fine, et infiniment distinguée (...) elle a surtout de la race (GYP, Pas jalouse, 1893, p. 96). Ce que j'admire toujours en lui [Guitry], c'est sa race; sa qualité fine d'homme supérieur (RENARD, Journal, 1919, p. 1054):
2. Il avait ce don que je prise fort chez les gens de race, de parler sur le même ton, des mêmes choses, et avec le même sentiment, au dernier des roturiers et au plus titré des aristocrates.
JAMMES, Mém., 1922, p. 135.
[En parlant d'un créateur ou d'une expr. artist.] De grande qualité. Le style est si beau, quand il s'élève, un style de race, comme en ont seuls les nobles, qui se mêlent d'écrire (RIVIÈRE, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1905, p. 152). Ces écrivains de race, qui ont toujours eu le goût si sûr (...) n'hésitent pas, quand ils parlent de politique, à employer ce vocabulaire à formules creuses des politiciens (MARTIN DU G., Souv. autobiogr., 1944-45, p. CXXVIII).
B. — P. anal. Race de + subst.
1. Ensemble de personnes ayant entre elles des caractères communs importants. Synon. espèce. Être d'une autre race que qqn. De là est née la race meurtrière et carnivore des Géants (MÉNARD, Rêv païen, 1876, p. 121). La race méprisante des grands seigneurs de la révolution (CAMUS, Homme rév., 1951, p. 205).
2. Catégorie de personnes ayant en commun certaines particularités sur lesquelles on attire l'attention. Race des seigneurs. Ceux-là, c'est la race des obstinés rêveurs pour qui l'art est demeuré une foi et non un métier (MURGER, Scènes vie boh., 1851, p. 6). Cette nostalgie morne qui asservit un grand nombre d'entre nous à leur passé le plus trouble et qui crée une horrible race de vieux adolescents inconsolables (MAURIAC, Vie Racine, 1928, p. 241). S'il y a une race suspecte, c'est celle des taverniers et des hôteliers (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 76).
Sale race. [Peut fonctionner comme injure] Sale engeance. La sale race de l'ouvrier parisien, qui ne veut rien entendre, rien comprendre! (ALAIN-FOURNIER, Corresp. [avec Rivière], 1906, p. 263).
P. anal., rare. Catégorie de choses ayant certaines particularités en commun. La nouvelle race des récepteurs couleur Modulaires 51 cm (...) vous permet de profiter de la cou-leur pour un moindre coût d'achat (Le Point, 11 oct. 1976, p. 160).
[P. allus. à l'expr. empl. dans l'Écriture pour désigner les Pharisiens] Race de vipères. Mauvaises gens. « Qui de vous (...) Du maître ou de l'esclave est le plus odieux? Oh! fuyons, mon amour! ces races de vipères! Emportons nos enfants aux forêts de nos pères! (...) » (LAMART., Chute, 1838, p. 1063).
II. — BIOL. Subdivision de l'espèce fondée sur des caractères physiques héréditaires, représentée par une population. Races actuelles, fossiles; amélioration, croisement, sélection de races. Il y a tant de races d'animaux et de végétaux qui nous sont encore inconnues (LAMARCK, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 31):
3. La race, c'est l'animalité. L'homme a fait des races animales, par un choix, par un massacre, par un parfait mépris des préférences (...). Nul homme n'a de race que l'adoration même de sa race, c'est-à-dire de son propre animal. Quand on dit que la race parle, on veut dire que l'inférieur parle, et que la force est considérée comme première valeur.
ALAIN, Propos, 1933, p. 1152.
A. — ANTHROPOLOGIE
1. Groupement naturel d'êtres humains, actuels ou fossiles, qui présentent un ensemble de caractères physiques communs héréditaires, indépendamment de leurs langues et nationalités. Race blanche, jaune, noire; race pure, métissée; races primitives, vivantes; croisement entre races; caractères, classification, concept, définition, différenciation, histoire, mélange, notion de(s) race(s). Les individus de la race caucasique (CUVIER, Anat. comp., t. 3, 1805, p. 17). On possède de très nombreux crânes et squelettes humains de l'époque de la pierre polie (...). Suivant les pays, nous voyons des races à tête ronde, des races à tête allongée, des races de grande stature, des races de petite taille, etc. (BOULE, Conf. géol., 1907, p. 211):
4. En Europe, la doctrine de l'inégalité des races prit un regain d'actualité au XIXe siècle avec le livre du Comte Joseph de Gobineau, Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-54). Procédant par affirmations, sans souci d'apporter aucune preuve, Gobineau soutint la supériorité de la race blanche et, à l'intérieur de celle-ci, d'une famille privilégiée, les arians (nous disons maintenant aryens), possédant originellement le monopole de la beauté, de l'intelligence et de la force.
Hist. sc., 1957, p. 1404.
PRÉHIST. Race de Chancelade, de Cro-Magnon, de Grimaldi, de Néandertal. Homme de Chancelade, Cro-Magnon, Grimaldi, Néandertal. La race de Chancelade est une race à part, différente de la race de Cro-Magnon (S. BLANC, Init. préhist., 1932, p. 19).
Race primaire ou grand-race. Un des quatre grands groupes qui forment l'humanité actuelle: grand-race leucoderme ou race (primaire) blanche; grand-race mélanoderme ou race (primaire) noire; grand-race xanthoderme ou race (primaire) jaune; grand-race australoïde ou race (primaire) primitive. V. infra ex. de Ethnol. gén.
Race secondaire ou race de second-ordre. Division à l'intérieur de chacune des races primaires, constituée par des groupes ayant des caractères physiques héréditaires spécifiques non communs à l'ensemble de la grand-race. Toutes les races n'ont pas la même valeur. Les anthropologistes sont d'accord pour établir entre elles une hiérarchie et distinguer au moins deux catégories: les races primaires ou grand-races et les races secondaires ou races de deuxième ordre (Ethnol. gén., 1968, p. 679 [Encyclop. de la Pléiade]).
2. Ensemble de personnes qui présentent des caractères communs dus à l'histoire, à une communauté, actuelle ou passée, de langue, de civilisation sans référence biologique dûment fondée. Synon. ethnie, peuple. Race aryenne, celtique, élue, ennemie, étrangère, française, germanique. À cette époque les conquérans de l'empire étaient presque tous de la même race, tous germains, sauf quelques tribus slaves (GUIZOT, Hist. civilis., leçon 2, 1828, p. 32). L'Allemagne allait, d'ailleurs, développer tout un système raciste. Elle établirait une hiérarchie des races dans laquelle, à la suite de quelques races de seigneurs, il y aurait des collectivités satellites (MARIN, Ét. ethn., 1954, p. 30):
5. La race juive est tellement avilie qu'il est impossible de se représenter un noble juif. Comment se figurer Abraham, autrement que sous les traits d'un chrétien?
BLOY, Journal, 1894, p. 137.
P. ext. Population autochtone d'une région, d'une ville. Avec la ténacité caractéristique de nos vieilles races de montagnes, une population s'implanta jusque dans les intimes replis du massif (VIDAL DE LA BL., Tabl. géogr. Fr., 1908, p. 194).
B. — ZOOLOGIE
1. Division de l'espèce, représentée par une population, à caractères constants, spécifiques, originaux et héréditaires. Race bovine, canine, chevaline, porcine; amélioration des races. Que de races très-différentes parmi nos poules et nos pigeons domestiques (LAMARCK, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 227). Mes recherches sur le gigantisme chez les pédiculés. Je cherche à obtenir une race de poux géants (QUENEAU, Loin Rueil, 1944, p. 97). La diversité des races: cela se traduit sans doute par des signes extérieurs (...) mais surtout par des aptitudes productives nettement définies: races laitières et races de boucherie pour les bovins (...) races de trait et races de course pour les chevaux (WOLKOWITSCH, Élev., 1966, p. 76).
De (pure) race, de race pure. Dont les ascendants sont de même race. Chien de race. Des chevaux de race pure, aux formes élégantes et nobles, aux jambes fines (GAUTIER, Rom. momie, 1858, p. 222). On achetait des pigeons de race (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 35).
Bon chien chasse de race. V. chien1 II B 4 b.
2. P. ext. Synon. de espèce. Mon discours sur l'amélioration de la race chevaline (CHAMPFL., Bourgeois Molinch., 1855, p. 245). Dans la race canine si vantée, la femelle seule a l'amour de la progéniture (SAND, Hist. vie, t. 1, 1855, p. 17).
C. — BOT. Ensemble de plantes qui, appartenant à une même espèce possèdent un caractère particulier héréditaire. Synon. variété. En changeant de localité, des races de plantes s'éteignent (CHATEAUBR., Mém., t. 1, 1848, p. 270). Certaines races d'arbres ou de plantes (...) ne peuvent donner des fruits quand leurs fleurs sont fécondées avec leur propre pollen (CUÉNOT, J. ROSTAND, Introd. génét., 1936, p. 79).
REM. 1. Raceur, -euse, subst. Animal présentant des caractères raciaux marqués et sélectionné pour la reproduction. Le prix de revient d'un bon « raceur » de lait (WOLKOWITSCH, Élev., 1966, p. 83). 2. Racique, adj. Synon. rare de racial. La grâce du Christ (...) peut maintenir et sauver tout ce qu'il y a de trésors spirituels dans la culture chinoise, sans léser son individualité nationale et racique (MARITAIN, Primauté spirit., 1927, p. 247). 3. Sous-race, subst. fém., anthropol. physique. Variété identifiable à l'intérieur d'une communauté. Une analyse détaillée permet souvent de séparer des groupes de troisième ordre qui sont les types locaux dits encore sous-races s'ils occupent un territoire suffisamment étendu (Ethnol. gén., 1968 [Encyclop. de la Pléiade]).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1480 rasse « ensemble des ascendants et des descendants d'une même famille, d'un même peuple » (Myst. Viel Test., éd. J. de Rothschild, t. 1, p. 162, 4270); id. race (ibid., t. 4, p. 311, 34208: Destruyt sera, luy et sa race); 2. 1549 « rejeton, postérité » (J. DU BELLAY, Vers liriques, IX, A Boviv, 70 ds Œuvres, éd. H. Chamard, t. 3, p. 123: Ou me guidez vous, Pucelles [les Muses], Race du Pere des Dieux?); 3. 1552 « durée d'une génération » (ID., Œuvres de l'in-vention de l'auteur, VII, 147, ibid., t. 4, p. 163); 4. 1558 « origine, extrac-tion » (ID., Les Regrets, LXIV, 11, éd. E. Droz, p. 76: Et combien voyons nous aujourd'huy de bastards [...] Exceller ceulx qui sont de race legitime?); 1559 (J. GRÉVIN, La Trésorière, II, 4, éd. L. Pinvert, p. 80: Autant peut le lay que le prestre, [...] Le pauvre, comme un de grand'race); 1579 abs. « origine noble » (P. LARIVEY, La Vefve, I, 2, éd. Viollet le Duc, Anc. théâtre fr., t. 5, p. 112: Que me servent les biens, la jeunesse, la race et les amis, sans Emée?); 5. 1564 « catégorie, classe de gens de même profession, de même caractère, etc. » (Indice de la Bible, f ° 282); 6. 1636 désigne une lignée de rois de France (MONET: Race de Pepin). B. 1. Ca 1500 « subdivision d'une espèce, à caractères héréditaires, représentée par un certain nombre d'individus » (PHILIPPE DE COMMYNES, Mém., éd. J. Calmette, t. 3, p. 80: races des chevaulx); 2. 1684 « population humaine qui se distingue d'autres populations par la fréquence relative de certains traits héréditaires »; ([Fr. BERNIER], Nouvelle Division de la terre, par les différentes Espèces ou Races d'hommes qui l'habitent, in Journal des Sçavans, 24 avr., pp. 85-89); 1733 (Abbé J.-B. DUBOS, Réflexions crit. sur la poés. et la peint., t. 2, p. 311: race de Pigmées; 1749 (BUFFON, Hist. nat., t. 3, p. 379: la race Lappone et la race Tartare)). Empr. à l'ital. razza, att. dep. ca 1300 sous la forme razzo (destrier di grande razzo, poème intitulé Intelligenza d'apr. PRATI), puis razza « famille, espèce d'animaux » (dep. XIVe s., Commentaires sur Dante ds TOMM.-BELL.), d'orig. controversée. Pour FEW (t. 10, pp. 111b-112a et 115-116), qui reprend une hyp. déjà proposée par CANELLO, L. SPITZER (ds Z. rom. Philol. t. 53, pp. 300-301) et PRATI, razzo (devenu razza par changement de genre) est issu du nomin. lat. ratio « calcul, compte; système, procédé » et en lat. chrét. « idée, conception (d'une chose) » (chez St Augustin et St Thomas d'Aquin), d'où « modèle d'une chose, d'un être vivant; race »; cette hyp. est confirmée par le fait que l'ital. ragione, issu de l'acc. rationem, a eu le sens de « qualité, espèce, race » du XIIIe au XVIIe s. (v. TOMM.-BELL.). Pour G. MERK (ds Trav. Ling. Litt. Strasbourg t. 7, 1, pp. 177-188), qui reprend en la complétant une hyp. déjà formulée par C. SALVIONI (ds Romania t. 31, p. 287) et REW3 n ° 3732, l'ital. razza est issu avec aphérèse (phénomène fréq. en ital.) du lat. generatio « génération, reproduction », naraccia « race », att. au XVIe s. dans le dial. de Belluno en Vénétie, pouvant représenter une forme intermédiaire (v. SALVIONI, loc. cit.); à l'appui de cette hyp., G. Merk montre que les sens de l'a. ital. et de l'a. prov. rassa correspondent beaucoup plus à ceux du lat. biblique generatio « famille, descendance; engeance; espèce, race » qu'à ceux de ratio dont le sens le plus proche n'est que « caractéristique de ce qui appartient à la famille » (v. aussi E. LERCH ds Rom. Jahrb. t. 3, 1950, pp. 198-205); il cite également l'a. fr. generace qui, issu de l'acc. generationem, a eu le sens de « famille, race » (2e moit. XIIIe s., Blancandin ds T.-L.) et de « bande de gens au service de quelqu'un » (fin XIIe s., Brut de Munich, ibid.), ce 2e sens étant à rapprocher de l'a. prov. rassa « bande d'individus qui complotent » (fin XIIe s., GUIRAUT DE BORNELH) qui s'explique mal à partir de l'étymon. ratio. Pour G. Merk, l'ital. razza, l'a. prov. rassa et l'a. fr. generace seraient en fait issus d'une contamination sém. et phonét. de generatio (éventuellement sous une forme avec métathèse gerenatio) avec ratio, aidée par la synon. partielle de natio (nation); il s'agirait de mots pop. (mais influencés par la prononc. du lat. carol.) et la forme ne viendrait pas du nomin. lat. mais d'une substitution de -atia à -ationem. Pour d'autres hyp. et leurs critiques, v. FEW t. 10, p. 115a. Fréq. abs. littér.:6 549. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 8 337, b) 10 804; XXe s.: a) 12 616, b) 7 359. Bbg. ANS (A.-M. d'). Le Sens de la « race ». Cah. Inst. Ling. Louvain. 1984, t. 9, n ° 314, pp. 45-56. — BLANCKAERT (Cl.) Réflexions sur la détermination de l'espèce en anthropol. 18e-19e s. Doc. Hist. Vocab. sc. 1983, n ° 4, pp. 65-66. — DUB. Dér. 1962, p. 42 (s.v. raceur). — FOSSAT (J.-L.). Le Mot race vu par les lexicologues aux journées de la Soc. d'ethnozootechnie. Ethnozootechnie. 1982, n ° 29, pp. 15-23. — HOPE 1971, p. 49, 149. — JACQUARD (A.). Le Bilan. Différences. 1983, n ° 22, pp. 35-36. — JUD. (J.). Vox rom. 1942, n ° 6, p. 373, 374. — LEROY (G.). Les Idées pol. et soc. de Ch. Péguy. Thèse. Paris, 1977. — QUEM. DDL t. 6; 18 (s.v. racique), 22 (id.), 28 (s.v. race à part). — RABOTIN (M.). Le Vocab. pol. et socio-ethnique à Montréal de 1829 à 1842. Paris-Bruxelles, 1975, p. 36. — SPITZER (L.). Race. In: Essays in historical semantics. New York, 1948, pp. 147-176; Ratio > race. Amer. J. Philol. 1941, t. 62, pp. 129-143. — WARTBURG (W. von). Glanures étymol. R. Ling. rom. 1960, t. 24, pp. 286-287.

race [ʀas] n. f.
ÉTYM. V. 1500, sens I.; ital. razza « sorte, espèce », lat. ratio « ordre de choses, catégorie, espèce », en moy. lat. « descendance ».
———
I
A (Personnes).
1 a (1512). Famille, considérée dans la suite des générations et la continuité de ses caractères (ne se dit que de grandes familles, familles régnantes, etc.). Ascendance, descendance (cit. 1). || L'individu n'est que le moment d'une race (→ Cours, cit. 3). || Le premier d'une race. Souche. || Des princes de même race. Sang. || Une race pleine de vertu (→ Honnêteté, cit. 9). || La splendeur de sa race. Généalogie (cit. 1). || La force cachée dans une race (→ Arbre, cit. 47). || Race appauvrie (cit. 8) et déclinante. || Par le rang que me donne ma race (→ 1. Passe, cit. 11). || La race des Atrides. || Vous ne démentez point une race funeste (cit. 8, Racine). || Le bon sens, qualité dominante (cit. 2) de la race des Capétiens. || Race qui s'éteint avec le dernier descendant. — ☑ Loc. Tenir qqch. de race, de famille.Traître à sa race (→ Draper, cit. 13).
1 (…) je veux imiter mon père, et tous ceux de ma race, qui ne se sont jamais voulu marier.
Molière, le Mariage forcé, 8.
2 C'était une de ces femmes de vieille race, épuisée, élégante, distinguée, hautaine, et qui, du fond de leur pâleur et de leur maigreur, semblent dire : « Je suis vaincue du temps, comme ma race; je me meurs, mais je vous méprise ! »
Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques, « Bonheur dans le crime ».
Une, la fin de race : les derniers représentants d'une famille noble. — ☑ Loc. adj. Fin de race : décadent. || Un homme très distingué, un peu fin de race.
2.1 Quant à la particule (…) Darteau, self made man, n'avait pour elle aucune considération. En affaires, elle lui paraissait plutôt une tare : ou elle était vraie, et il craignait toujours de se trouver en face d'une « fin de race » incapable, ou elle était fausse et constituait quelquefois le premier maillon d'une escroquerie.
René Floriot, La vérité tient à un fil, p. 20.
b Les ascendants. Ancêtre, ascendance, extraction, lignage, origine, parage (vx). || Être de race noble (→ Estampille, cit. 2). || Daphnis, berger (cit. 9) de noble race. || Un noble (cit. 17) de race, par oppos. à un anobli.
3 Si je ne suis pas né noble, au moins suis-je d'une race où il n'y a point de reproche (…)
Molière, George Dandin, II, 2.
c (V. 1660, Desportes). Les descendants. Descendance, enfant(s), fils, lignée, postérité. || La race d'Abraham (→ Alliance, cit. 2), de David (→ Autant, cit. 41; éteindre, cit. 22).
4 Race d'Abel, dors, bois et mange;
Dieu te sourit complaisamment.
Race de Caïn, dans la fange
Rampe et meurs misérablement.
Baudelaire, les Fleurs du mal, « Révolte », CXIX.
d (XVIe, Ronsard). Vx. Génération. || La race, les races futures. Postérité (→ Paraître, cit. 31). || Pendant ces deux races (→ Imposition, cit. 3).
5 Que direz-vous, races futures,
Si quelquefois un vrai discours
Vous récite les aventures
De nos abominables jours ?
Malherbe, Poésies, I, V.
6 Ce qui a donné l'idée d'un règlement général fait dans le temps de la conquête, c'est qu'on a vu en France un prodigieux nombre de servitudes vers le commencement de la troisième race (…) Dans le commencement de la première race, on voit un nombre infini d'hommes libres (…)
Montesquieu, l'Esprit des lois, XXX, XI.
2 Vieilli. Communauté plus vaste, considérée comme une famille, une lignée. || L'honneur (cit. 23) de notre race. || Les Amazones (cit. 1), race fabuleuse de femmes guerrières. || Une race de héros (→ Entremise, cit. 5), de géants disparus (→ Entassement, cit. 1). || Exterminer (cit. 3) une race. Génocide (étymologie).
(XVIe). || La race humaine : l'humanité. Espèce (→ Abrégé, cit. 3; contribuer, cit. 2; geler, cit. 9).
3 (1564). Fig. Catégorie de personnes apparentées par des comportements communs, des situations analogues. Espèce, sorte. || La race des maîtres (cit. 20). || La race des seigneurs (Nietzsche).Bibl. || Race incrédule (cit. 1) et dépravée. || Race de vipères, nom donné aux Pharisiens. || La race des bonnes gens est-elle épuisée ? (cit. 30). || La race des meuniers était éteinte (cit. 67). || La race des hommes de loi (1. Loi, cit. 19). || La race parlementaire française (→ Magistrat, cit. 5). || La race des illuminés (cit. 23).Quelle race, quelle sale race ! Engeance. || Nous ne sommes pas de la même race. || J'étais d'une autre race qu'eux (→ Arrêt, cit. 2).
7 Il ne connaissait peut-être pas les hommes mais admirablement les grands hommes. Il connaissait les mœurs, les forces, les faiblesses de cette race internationale qui vit toujours, sinon au-dessus, du moins en marge des lois.
Giraudoux, Bella, I.
8 J'aurais horreur de redevenir civil, pensa-t-il. D'ailleurs, c'est une race qui s'éteint.
Sartre, la Mort dans l'âme, p. 106.
Tous ces emplois ont vieilli, subissant en outre le discrédit attaché au concept de race au sens III.
B (Rare). Catégorie de choses. || Une race d'œuvres calomniées (→ Appartenir, cit. 34).
9 (…) la vaste cour était pleine de véhicules de toute race, charrettes, cabriolets, chars à bancs, tilburys, carrioles innombrables (…)
Maupassant, Miss Harriet, « La ficelle ».
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II (XVIIIe). a Sc., cour. Subdivision de l'espèce zoologique (cit. 30 et 33), constituée par des individus réunissant des caractères communs héréditaires. || La race est divisée en sous-races ou variétés. || Le caniche, l'épagneul sont des races de chien. || Races canines, félines (→ Guépard, cit. 2). || Races chevalines ( Cheval), asines, mulassières, bovines, ovines, porcines… (→ Bétail, cit. 1; comice, cit. 2). aussi Gent. || Plus une race est ancienne, plus la force de l'atavisme (cit. 0.1) est grande. || Croisement entre races. Métissage. || Animal qui n'est pas de race pure ( Bâtard, croiser, [p. p. adj.], mâtiné, métissé), qui a perdu les qualités de sa race ( Abâtardi, dégénéré). || Animal de race pure. || Livres, listes décrivant les animaux selon leurs races. aussi Herd-book, pedigree, stud-book. || Amélioration des races de chevaux.
10 Ce cheval était (…) de cette petite race du Boulonnais qui a trop de tête, trop de ventre et pas assez d'encolure, mais qui a le poitrail ouvert, la croupe large, la jambe sèche et fine et le pied solide; race laide, mais robuste et saine.
Hugo, les Misérables, I, VII, V.
11 Dans le cadre de l'espèce la seule réalité objective c'est le génotype, c'est-à-dire l'ensemble des individus ayant même patrimoine héréditaire (…) En associant par croisement divers génotypes de manière à grouper à l'état homozygote une série de facteurs, nous réalisons une collectivité homogène formée par des individus de la même espèce, présentant un ensemble de caractères communs, transmissibles indéfiniment par hérédité (…) Cette collectivité est une race. L'ensemble des caractères considérés constitue le standard. La race sera pure, bien fixée ou homogène lorsque les caractères choisis sont tous à l'état homozygote. Elle est mal fixée, sans uniformité ou hétérogène, lorsque certains des facteurs sont à l'état hétérozygote et se disjoignent, réalisant des faits d'atavisme.
L. Gallien, la Sélection animale, p. 77-78.
Absolt. || De race : de pure race. || Un chien de race (→ Fox-hound, cit.; parier, cit. 1). || Les papiers d'un cheval de race.
Fig. (Personnes). Dont les qualités évoquent celles d'un animal de race. Racé. || Les chevaux (cit. 7) de prix et les femmes de race. || Un écrivain de race (→ Notation, cit. 2).(Choses). Rare. || Un style de race (→ Lyrisme, cit. 2).
(1836, in D. D. L.). Par ext. Avoir de la race : être racé, avoir de la distinction et de l'aisance.
12 Il avait les yeux bleus étincelants des d'Esgrignon (…) la distinction de ces attaches du pied et du poignet, lignes heureuses et déliées qui indiquent la race chez les hommes comme chez les chevaux.
Balzac, le Cabinet des antiques, Pl., t. IV, p. 355.
Loc. adv. Vx. || De race : du fait de sa race. — ☑ Loc. prov. Bon chien chasse de race.
b Abusivt. Espèce.
12.1 Je me dis que (…) la race bovine ne périclitera pas, que la race ovine se maintiendra, et qu'enfin la race porcine (…) gagnera encore, s'il est possible, en santé, en poids et en beauté !
A. Robida, le Vingtième Siècle, p. 155.
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III (Groupes humains).
1 (1684). Vieilli. Groupe ethnique qui se différencie des autres par un ensemble de caractères physiques héréditaires (couleur de la peau, forme de la tête, proportion des groupes sanguins, etc.) représentant des variations au sein de l'espèce. || L'anthropologie (cit. 2) classe les hommes en races d'après la pigmentation, la couleur de la peau, des cheveux et des yeux. || Race blanche, jaune, noire. Blanc, jaune, nègre, noir; couleur, pigment (cit. 1). || La prétendue « race rouge » des Amérindiens est jaune. Indien (cit. 5), peau (peau-rouge). || Classement des races par la taille, la forme de la tête, du crâne, l'indice céphalique ( Brachycéphale, dolichocéphale, mésocéphale), la forme des mâchoires ( Prognathe), de l'œil, du cheveu, la proportion des groupes sanguins. || Caractères d'une race. Racial.
Sous-race : type physique identifiable à l'intérieur d'une communauté. — Ex. : nordique, dinarique, alpine, méditerranéenne, etc. (dans la race blanche); sibérienne, nord- et sud-mongole, indonésienne, polynésienne, eskimo (inuit), amérindienne, etc. (race jaune); éthiopienne, mélano-africaine, mélano-indienne, etc. (race noire)…Croisement entre races. Métis, métissage (→ Fusionner, cit. 1). || Pureté de la race, caractère des populations géographiquement isolées où l'on retrouve un type très constant. Dysgénique, eugénique. || On a pu dire que les Pygmées, les Lapons étaient de race pure. || Essai sur l'inégalité des races humaines, œuvre de Gobineau. Racial; racisme.
13 L'origine des noirs a dans tous les temps fait une grande question : les anciens, qui ne connaissaient guère que ceux de Nubie, les regardaient comme faisant la dernière nuance des peuples basanés, et ils les confondaient avec les Éthiopiens (…) qui, quoique extrêmement bruns, tiennent plus de la race blanche que de la race noire.
Buffon, Hist. nat. de l'homme, Variétés espèce humaine.
14 Lorsqu'on eut pénétré au delà du Sénégal, on fut surpris de voir que les hommes étaient entièrement noirs au midi de ce fleuve (…) La race des nègres est une espèce d'hommes différente de la nôtre, comme la race des épagneuls l'est des lévriers.
Voltaire, Essai sur les mœurs, CXLI.
15 Pour moi, je n'ai aucune peine à reconnaître mon frère humain, sous ces variétés de couleur (…) Les esprits tyrans, qui cherchent un miroir d'eux-mêmes, repoussent aussi bien l'Allemand que le noir; ils inventent des races, et vivent de mépriser. Je n'ai point cette maladie; j'aime les différences et les variétés.
Alain, Propos, 19 sept. 1921, Races.
16 La race est un fait de zoologie : elle représente la continuité d'un type physique. Une race se conserve d'autant mieux qu'elle est plus isolée (…) C'est pourquoi quelques-unes des races demeurées les plus pures sont aussi parmi les plus misérables. La race ne se confond ni avec la langue, ni avec la nationalité, ni avec la culture, ni avec la religion. Il n'existe pas de race latine, ni de race française, ni de race bretonne, ni de race aryenne, mais une culture latine, une nation française, un peuple breton, des langues aryennes ou indo-européennes.
Pierre Gaxotte, Hist. des Français, I, I, « Il n'y a pas de race française ».
17 Sur le plan psychologique on peut admettre qu'il existe des différences équivalentes (aux différences physiques) et qu'il y ait, entre la moyenne des individus appartenant à des races diverses, certains écarts permanents dans leurs aptitudes intellectuelles et dans leurs prédispositions psycho-physiologiques respectives. Mais ces tendances ou ces réflexes demeurent des formes vides (…) on ne peut comparer les aptitudes innées des races ou des nations que si elles sont placées dans les (…) mêmes conditions sociales que les autres sociétés auxquelles on les compare. Il faut donc appliquer la principale règle en matière de comparaison, celle des « toutes choses égales d'ailleurs ».
Gaston Bouthoul, Traité de sociologie, p. 267-268.
2 (XIXe). Par ext. (Abusif ou vx en sc.). Groupe naturel d'hommes qui ont des caractères semblables (physiques, psychologiques, sociaux, linguistiques ou culturels) provenant d'un passé commun. Ethnie, lignée, peuple; ethnique.La race germanique (→ Flexible, cit. 7), celtique (→ Nationalité, cit. 1), flamande (→ Difformité, cit. 2), bretonne (→ Erroné, cit. 2), grecque (→ Aiguiser, cit. 12; inconséquence, cit. 6), juive (cit. 6; → Âpreté, cit. 9), sémite. || La France, dans laquelle tant de races sont venues se fondre (cit. 32). || Le génie de notre race (→ Esprit, cit. 172). || Walter Scott, chantre (cit. 3) des races opprimées. || Des races plus ou moins douées (cit. 3) en musique. || Frontières (cit. 1) entre les races.Vx. || La race aryenne (Gobineau) : la communauté linguistique indo-européenne. || « Il n'y a pas de race pure » (Renan; → Ethnographique, cit. 2). || Amélioration de la race. Eugénique (cit. 1). || D'une autre race que celle des habitants du même pays. Allogène. || « Sans distinction de race, de religion, ni de croyance » (→ 3. Droit, cit. 8). || Théorie de Taine, de la race, du milieu (cit. 29) et du moment (cit. 30).
18 Pour les anthropologistes, la race a le même sens qu'en zoologie; elle indique une descendance réelle, une parenté par le sang. Or l'étude des langues et de l'histoire ne conduit pas aux mêmes divisions que la physiologie (…) Ce qu'on appelle philologiquement et historiquement la race germanique est sûrement une famille bien distincte dans l'espèce humaine. Mais est-ce là une famille au sens anthropologique ? Non, assurément.
Renan, Discours et conférences, Qu'est-ce qu'une nation ? Œ. compl., t. I, p. 897.
19 Au point de vue des sciences historiques (en note : Nous laissons à d'autres le soin de parler des caractères physiologiques, anthropologiques […]), cinq choses constituent l'apanage essentiel d'une race, et donnent droit de parler d'elle comme d'une individualité dans l'espèce humaine (…) une langue à part, une littérature empreinte d'une physionomie particulière, une religion, une histoire, une civilisation.
Renan, Mélanges d'histoire et de voyages, Société berbère, I, Œ. compl., t. II, p. 553.
20 (…) nous n'avons (dit Olivier) qu'à nous défendre et à les tenir (les Juifs) à leur rang, qui est, chez nous, le second. Non que je croie leur race inférieure à la nôtre : — (ces questions de suprématie de races sont niaises et dégoûtantes). — Mais il est inadmissible qu'une race étrangère, qui ne s'est pas encore fondue dans la nôtre, ait la prétention de connaître mieux ce qui nous convient, que nous-mêmes.
R. Rolland, Jean-Christophe, Dans la maison, II, p. 1007.
21 Si chaque famille du groupe linguistique indo-européen (…) ne correspond à aucune race mais est parlée par un métissage de peuples, comment concevoir encore une unité ethnique du groupe ? Le plus curieux, c'est que les Allemands se croient le plus pur spécimen de cette « race » inexistante, alors que le germanique offre, seul dans l'indo-européen, des tendances aberrantes (…) qui ne peuvent être attribuées — Meillet l'a montré — qu'à un important substrat non indo-européen (…)
A. Dauzat, l'Europe linguistique, p. 15.
22 (…) je leur dis toujours : la race, qu'est-ce que c'est que ça, la race, est-ce que vous prendriez Ella pour une Juive, si vous la rencontriez dans la rue ? Mince comme une Parisienne, avec le teint chaud des filles du Midi et un petit visage raisonnable et passionné, un visage équilibré, reposant, sans tare, sans race, sans destin, un vrai visage français.
Sartre, le Sursis, p. 77.
23 En 1911, au Congrès universel des races, aucun des nombreux rapporteurs, tous anthropologistes ou ethnologues, ne soutint l'infériorité foncière d'un groupe humain quelconque, et on proclama « l'égalité substantielle des races dans leur capacité innée de progrès » (G. Spiller). Malgré cela, la doctrine raciste, instrument politique d'États totalitaires, n'en continua pas moins à se développer (…)
P. Lester, in Encycl. Pl., Hist. de la science, Anthropologie, Paléontologie humaine, p. 1405.
En franç. d'Afrique. Ethnie, tribu.
24 (…) j'avais abandonné les cultes que faisaient mes ancêtres; j'ai en quelque sorte abandonné ma tribu pour me faire d'une autre race.
P. Teissereng, le Dieu des autres, p. 103, in I. F. A.
REM. Une bonne part des aberrations scientifiques du racisme provient de la confusion entre la notion génétique de race (III., 1.), elle-même rapprochée sans précaution du sens zoologique (II.), et la notion extrêmement indécise de sous-race ou celle, littéraire ou socioculturelle, traitée ici (III., 2.), si ce n'est la valeur initiale de « lignée » (I.). Ainsi, la notion aberrante de race juive relève en réalité de l'usage vague et traditionnel (I.), auquel certains ont tenté de donner un contenu pseudo-biologique.
DÉR. Racé, raceur, racial, racisme, raciste.
COMP. Sous-race.

Encyclopédie Universelle. 2012.