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GÉNOCIDE
GÉNOCIDE

Inventée par le professeur américain d’origine polonaise R. Lemkin qui, pour ce faire, n’a tenu aucun compte des règles élémentaires de l’étymologie, l’expression gréco-latine de «génocide» cherche à introduire pour les groupes entiers d’humains ce qu’est l’homicide pour un individu isolé: le refus du droit à l’existence. Aussi ancien que l’humanité qui a souvent assisté, sans beaucoup réagir, aux massacres des populations, ce crime n’a été pourtant défini comme tel qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle, il est vrai, il a été perpétré, par les tenants de «l’État gangster» nazi, avec une ampleur encore jamais égalée. L’extermination systématique des Juifs, des Tziganes et d’autres «races» considérées comme inférieures, que leurs membres aient été ou non ressortissants du IIIe Reich, a contraint l’humanité à ne plus abandonner à la compétence exclusive de l’État le traitement des êtres humains qui se trouvent en son pouvoir. Dans la trilogie sur laquelle reposait le statut du 8 août 1945 créant le tribunal militaire international de Nuremberg appelé à juger les plus grands criminels nazis: crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, ces derniers marquaient le plus clairement le progrès du droit pénal international. Le génocide, s’il n’est pas le seul, reste le plus grave des crimes contre l’humanité. Il est aujourd’hui juridiquement identifié grâce à la «Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide», adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1948. Tous les problèmes que soulève la répression de ce crime contre le droit des gens n’en sont pas résolus pour autant, comme l’ont révélé les âpres controverses menées autour du drame des Ibo, habitant la partie sud-est du Nigeria: ce territoire a revendiqué l’indépendance sous le nom de Biafra jusqu’à l’échec au début de 1970. De nouveaux progrès devront encore être réalisés pour que l’humanité soit enfin libérée d’un fléau aussi odieux.

1. Un crime contre l’humanité

Le concept de génocide signifie l’extermination de groupes humains entiers comme tels. Cependant, la protection que représente la mise hors la loi internationale du génocide ne profite pas à tous les groupes: seuls les groupes nationaux, ethniques, raciaux et religieux sont pris en considération, à l’exclusion donc des groupes politiques, économiques et culturels (art. 2 de la Convention de 1948). L’absence de référence au génocide politique et au génocide culturel ne manque pas d’être préoccupante, dans la mesure où la garantie internationale de la survie des groupes politiques ou de certaines minorités, qui n’ont en commun que quelques droits de caractère culturel ou même... folklorique, dépend entièrement de l’existence des mécanismes de protection internationale des droits de l’homme et des droits des minorités. Or, les réalisations dans ce domaine ne sont guère convaincantes, mis à part la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950, qui ne fonctionne cependant que dans un cadre limité à l’Europe occidentale.

Les actes constitutifs du génocide aboutissent toujours à l’anéantissement physique et biologique du groupe, ce qui constitue d’ailleurs l’essence de ce crime, quels que soient les moyens mis en œuvre pour atteindre ce but: meurtre d’un nombre plus ou moins grand de membres, atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale, soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence susceptibles d’entraîner sa destruction physique totale ou partielle, mesures visant à entraver les naissances, transfert forcé d’enfants à un autre groupe (art. 2). De tels actes ne pourront jamais être perpétrés par quelques individus isolés: de par sa nature, le génocide ne peut donc être qu’un crime collectif, commis par les détenteurs du pouvoir de l’État, en leur nom ou avec leur consentement exprès ou tacite. La recherche des «responsables» n’en sera pas facilitée et le partage des responsabilités souvent difficile à faire dans le cas de ce crime qui, par excellence, est un crime d’État.

Visant non seulement à punir mais aussi à prévenir, l’article 3 déclare criminels aussi bien le génocide proprement dit que l’entente en vue de commettre le génocide, l’incitation directe et publique, la tentative pour le mettre en œuvre et la complicité dans sa réalisation. Il ne sera guère facile de faire passer cette disposition dans les faits, surtout si on veut distinguer la tentative de génocide – qui est punissable – d’avec les actes préparatoires (constructions de chambres à gaz et – qui sait? – fabrication des armes atomiques, chimiques et biologiques) que la Convention de 1948 ignore, probablement à tort. De même, on pourra longuement s’interroger sur la question de savoir où s’arrête la propagande psychologique par laquelle un gouvernement mobilise sa population, même dans un esprit défensif, contre celle d’un autre État, et où commence l’incitation à commettre le génocide que cette convention réprime.

Depuis l’entrée en vigueur de la Convention de 1948, le 12 janvier 1951, les actes constitutifs de ce crime ont été révélés à plusieurs reprises aussi bien par la presse que par plusieurs gouvernements: en U.R.S.S. contre certaines populations minoritaires comme les Tchétchènes-Ingouches, les Tatars de Crimée et les Allemands de la Volga; au Brésil, contre les Indiens de l’Amazonie; au Nigeria, contre le peuple Ibo; au Moyen-Orient, contre les Juifs d’Israël et des pays arabes; et ailleurs encore. Jamais, pourtant, le crime de génocide n’a été juridiquement établi: c’est que sa répression se heurte à des obstacles tant juridiques que politiques qui se résument tous à l’organisation insuffisante de la justice pénale internationale.

2. Insuffisance du droit

Il semble de prime abord que tout a été fait dans la Convention de 1948 pour rendre effective la répression du génocide.

Toutes les personnes ayant commis le génocide doivent être punies, quelles que soient leurs qualités: gouvernants, fonctionnaires ou particuliers (art. 4). L’on a ainsi écarté la responsabilité pénale des États ou des gouvernements en tant que tels, alors que, comme l’a affirmé avec force le représentant français à l’Assemblée générale des Nations unies, «la notion du génocide est liée à l’action ou à l’abstention coupable de l’État». Du moins, s’agissant de définir les coupables, ne s’est-on pas arrêté aux exécutants, puisque ceux qui ordonnent de tels agissements, serait-ce au nom de l’État, doivent également être sanctionnés. Encore le fait justificatif que pourrait constituer l’ordre du supérieur hiérarchique n’a-t-il pas été expressément écarté par la convention; le juge devra donc décider dans chaque cas particulier si l’élément intentionnel existe ou non chez l’auteur des actes constitutifs du génocide accomplis sur ordre.

Le génocide étant un crime essentiellement politique, son auteur aurait normalement la possibilité d’échapper à toute sanction en se réfugiant dans un État étranger puisque, traditionnellement, les crimes politiques ne donnent pas lieu à l’extradition. Aussi, la convention prévoit-elle que le génocide ne sera pas considéré comme un crime politique en ce qui concerne l’extradition, les États contractants s’engageant à l’accorder conformément à leur législation et aux traités en vigueur (art. 7).

Enfin, si le génocide a été identifié par le législateur international à l’occasion d’actes commis pendant la guerre, il constitue désormais un crime aussi bien du temps de paix que du temps de guerre, et les États contractants se sont engagés à le prévenir et à le punir (art. 1er).

Malgré ces diverses mesures destinées à faciliter sa répression, le génocide reste trop souvent impuni, faute d’un tribunal qui serait appelé à instruire et à juger son auteur.

Les auteurs de la Convention de 1948 avaient à cet égard deux possibilités. Tout d’abord, chaque fois que les tribunaux de l’État où le génocide a été commis n’auraient pas poursuivi les coupables, les tribunaux d’autres États qui les auraient appréhendés auraient pu y procéder; toutefois, l’application au génocide du principe de la répression universelle – qui joue pourtant dans le cas de crimes contre le droit des gens comme la piraterie et le faux-monnayage – a été malheureusement écartée, car on ne voulait pas rendre les tribunaux nationaux juges de la conduite des gouvernements étrangers. La seconde solution, plus révolutionnaire, consistait à créer de toutes pièces une juridiction pénale internationale: la Convention de 1948 l’a bien retenue (art. 7), mais celle-ci est restée lettre morte, puisque aucune cour criminelle internationale n’a pu être jusqu’ici établie malgré plusieurs tentatives en ce sens aux Nations unies.

Une seule possibilité reste donc ouverte; elle consiste à traduire les personnes accusées de génocide devant les tribunaux de l’État sur le territoire duquel l’acte a été commis (art. 7). Mais quand on sait que le génocide est le plus souvent le crime de l’État qui est appelé à le réprimer, on éprouve des doutes sérieux sur l’efficacité d’une telle répression...

Un dernier obstacle juridique pouvait rendre illusoire toute répression du génocide, du moins dans certains pays: la prescription. Certes, par l’article 5, les États contractants se sont engagés à prendre les mesures législatives nécessaires pour donner plein effet à la Convention de 1948 et, notamment, pour prévoir des sanctions pénales efficaces; mais par le jeu normal des règles internes relatives à la prescription de l’action pénale et de la peine infligée, les coupables du génocide pouvaient échapper aux conséquences de leurs agissements criminels. Cette perspective, impensable au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, risquait de devenir une réalité à l’expiration du délai normal de prescription – vingt ans –, c’est-à-dire à partir de 1965. C’est pourquoi une action a été déclenchée tant sur le plan national qu’au sein des Nations unies où elle a abouti, le 26 novembre 1968, à l’adoption, par l’Assemblée générale, de la convention relative à l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, parmi lesquels le génocide (art. 1er de la Convention de 1968).

Ainsi, malgré des lacunes institutionnelles se traduisant surtout par l’absence d’une cour pénale internationale, l’humanité a été en mesure de se doter d’une législation qui, dans l’ensemble, paraît suffisante pour identifier le crime de génocide. Encore faudrait-il, cependant, que cette législation fût véritablement d’application universelle, tout comme l’est la menace que représente ce crime contre l’humanité. Certes, dans son avis consultatif du 28 mai 1951 sur les «Réserves à la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du génocide», la Cour internationale de justice a déduit, du caractère de crime contre le droit des gens que revêt le génocide, que «les principes qui sont à la base de la convention sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les États, même en dehors de tout lien conventionnel». Une différence n’en subsiste pas moins entre la force obligatoire des principes et celle des règles juridiques précises. Sur les 183 États et entités étatiques qui composent la communauté internationale, 107 ont, au 1er janvier 1993, ratifié la Convention de 1948. On notera que, parmi les grandes puissances dont toute décision possède un effet multiplicateur du fait de leur poids dans les affaires mondiales, le Royaume-Uni et les États-Unis tardèrent beaucoup à la ratifier (respectivement en 1970 et 1988), sans parler de la Chine communiste, toujours absente. L’humanité n’est pas encore libérée du spectre du génocide...

génocide [ ʒenɔsid ] n. m. et adj.
• 1945; du gr. genos « race » et -cide
1Destruction méthodique d'un groupe ethnique. ethnocide. L'extermination des juifs par les nazis est un génocide. Le génocide des Arméniens. Par ext. Extermination (d'un groupe important de personnes en peu de temps).
2 Adj. Qui pousse au génocide, tient du génocide. Des actes génocides.

génocide nom masculin Crime contre l'humanité tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ; sont qualifiés de génocide les atteintes volontaires à la vie, à l'intégrité physique ou psychique, la soumission à des conditions d'existence mettant en péril la vie du groupe, les entraves aux naissances et les transferts forcés d'enfants qui visent à un tel but.

génocide
n. m. Extermination systématique d'un groupe ethnique, par ext. national ou religieux.
Par ext. Extermination d'un groupe important de personnes.

⇒GÉNOCIDE, subst. masc.
A. — Extermination systématique d'un groupe humain de même race, langue, nationalité ou religion par racisme ou par folie. Le génocide des Juifs par les nazis. Holocauste et génocide. Pour les Israélites américains en tout cas, (...) c'est, huit ans à peine après la fin de l'autre, une nouvelle opération de génocide qui s'annonce pour leurs frères (Figaro, janv. 1953, p. 3, col. 4). Devant l'horrible révélation du génocide nazi, un jour de jeûne et de prière eut lieu le 14 mars 1945 (P. PIERRARD, J. KAPLAN, P. Pierrard interroge le grand rabbin Kaplan : Justice pour la foi juive, Paris, Le Centurion, 1977, p. 126).
B. — P. ext.
1. Destruction d'un peuple, d'une population entière :
... les armes nucléaires seraient utilisées à plein. Ce serait alors dans des zones très étendues une scène d'apocalypse, un spectacle d'horreur, de terreur et d'épouvante; des morts par millions; la fin d'une civilisation; le chaos. Ce serait aussi un crime contre l'humanité, un crime de génocide contre les peuples ainsi attaqués.
BILLOTTE, Consid. strat., 1957, p. 4201.
2. Mort violente et rapide d'un grand nombre de personnes. Synon. hécatombe. Génocide microbien. J'ai visité des hôpitaux, j'ai vu les victimes de la route. Le génocide commence en France (DELAIS, 70 ds GILB. 1971).
Au fig. Génocide politique, scientifique. Maurice Vincent avait critiqué sur les antennes de Sud-Radio un article du Journal espagnol Vanguardia accusant M. Georges Pompidou de « génocide culturel » contre la langue espagnole (L'Express, 11 déc. 1972, p. 86, col. 2). Iriez-vous jusqu'à parler de génocide culturel? É[tiemble] — Non : d'abord parce que (...) je tiens mordicus à la propriété du langage. Le génocide, c'est la destruction physique d'une population au nom d'un principe raciste (Interview d'Étiemble ds Le Nouvel Observateur, 15 sept. 1975, p. 56, col. 1).
Prononc. : []. Étymol. et Hist. [1945 d'apr. Lar. Lang. fr.]; 1948 (d'apr. une convention de l'ONU du 9 déc. ds Lar. 20e Suppl.). Composé du rad. du gr. et de l'élém. suff. -cide. Bbg. GLÄTTLI (H.). Vox rom. 1952, t. 12, p. 387. - MAULNIER (T.). Le Sens des mots. Paris, 1976, pp. 101-102.

génocide [ʒenɔsid] n. m. et adj.
ÉTYM. 1945, O. N. U.; mot créé en angl. par Lemkin, 1944; de géno-, et suff. -cide.
1 Destruction méthodique d'un groupe ethnique. Ethnocide. || L'extermination des Juifs par les nazis fut un génocide.
1 (…) l'Assemblée (des Nations Unies) n'a pas craint (…) de s'affirmer comme un organe quasi législatif, en affirmant que le génocide est un crime du droit des gens. Elle a approuvé une convention sur le génocide, que les États sont priés de ratifier.
L. Delbez, Manuel de droit international public, 25.
2 À partir tout au moins d'un certain degré de développement et d'expansion de l'espèce, la guerre tribale ou raciale a évidemment joué un rôle important comme facteur d'évolution. Il est très possible que la disparition brutale de l'homme de Néanderthal soit le résultat d'un génocide commis par Homo sapiens notre ancêtre. Ce ne devait pas être le dernier : on connaît assez de génocides historiques.
Jacques Monod, le Hasard et la Nécessité, p. 204-205.
Par ext. Extermination (d'un groupe important de personnes en peu de temps).
Par métaphore :
3 La France devient chauve ! Il n'y aura bientôt plus entre Paris et Quimper que des terrains découverts car les arbres ont été victimes d'un génocide dont les survivants sont parqués dans de lointaines réserves de l'Auvergne ou des Vosges.
Benoîte et Flora Groult, Il était deux fois, p. 303.
2 Adj. Qui pousse au génocide, tient du génocide. || Des actes génocides.
4 Certains disent (…) qu'il (1) s'agit d'une précaution contre un retour des fureurs génocides (…)
Jacques Perret, Bâtons dans les roues, p. 106.
(1) Le fait de changer de nom, pour certains israélites.
Auteur d'un génocide (1.). || Tyran génocide.N. m. || Un génocide.
5 (…) depuis 1932 j'ai encore aggravé mon cas, je suis devenu, en plus de violeur, traître, génocide, homme des neiges…
Céline, Entretiens avec le Professeur Y, p. 36.

Encyclopédie Universelle. 2012.