ÉCRITURE
Ceci doit-il tuer cela? L’écran de l’ordinateur supplanter l’écrit? Cette page immatérielle où l’on peut faire réapparaître à sa guise un texte déjà composé pour l’intégrer à un autre, tout à fait neuf, cette rédaction à la machine, et non plus au courant de la plume, et cette machine elle-même, où le travail du retour à la ligne est aboli, comme l’est celui de la rature – une machine qui, selon qu’on l’y invite, écrit, obéit, ou crée toute seule –, toutes ces «merveilles» nées de l’informatique ne doivent-elles pas rendre caduques les pratiques artisanales et millénaires du papier, de l’encre, voire de l’imprimé?
Deux mondes s’opposent, à l’heure actuelle, à l’intérieur de l’univers de la communication graphique-visuelle. Mais ne s’agit-il pas, en fait, d’une opposition illusoire? N’est-ce pas, au contraire de ce que l’on suppose, un retour au passé extrême de l’écrit, à ses sources idéographiques, que nous offre l’ordinateur? Plus que l’écrit, à la vérité, c’est l’alphabet et ses contraintes, auxquelles nous nous sommes habitués comme si elles étaient inévitables, que l’ordinateur met en question – et cela, au profit de l’écriture même.
1. L’idéogramme et l’alphabet
L’écriture et l’Occident
Le déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens, que Champollion réalisa en 1822 après des siècles d’essais infructueux, a bouleversé la conception que l’Occident se faisait jusqu’alors de l’écriture. Non seulement ces figures pittoresques que l’on interprétait par tradition comme des symboles ou des copies réalistes s’avéraient être des signes, mais on leur découvrait aussi une faculté qui semblait depuis toujours réservée en propre à l’alphabet, la transcription phonétique des mots. Le dessin d’une bouche pouvait se lire «bouche», mais il notait également le son r , le dessin d’une chouette le m , celui d’une caille le w ... Déterminante pour notre connaissance de la civilisation pharaonique, cette découverte l’était tout autant du point de vue d’une théorie générale de l’écriture. Car comment reconnaître encore au système alphabétique la supériorité dont on était convaincu qu’elle lui était due par principe, s’il se révélait que d’autres, avant lui, avaient atteint le même niveau d’analyse sonore du langage?
Il a pourtant fallu attendre encore plus d’un siècle pour que s’engage de façon sérieuse une remise en question du statut privilégié de l’alphabet dans l’ensemble des systèmes écrits. Champollion lui-même est, pour une part, responsable de ce délai. Car sa découverte, à vrai dire, reposait sur un malentendu. Ce n’était pas une écriture qu’il avait voulu déchiffrer, c’était la langue que reproduisait cette écriture: sa Grammaire s’ouvre par un hommage à la philologie, science nouvelle, et science dominante, de son temps. Il était parvenu à lire les hiéroglyphes en ayant l’idée de comparer des textes rédigés en trois langues, égyptienne, copte et grecque. Mais c’est pour cette raison aussi qu’il avait pris à son compte sans songer à les discuter, car elles n’intervenaient pas dans sa démarche, les justifications que l’on apportait habituellement à l’aspect figuratif des hiéroglyphes. À l’origine, dit-il, reprenant les affirmations de Warburton un siècle plus tôt, les hiéroglyphes étaient «des imitations plus ou moins exactes d’objets existants dans la nature». Le phonétisme de ces caractères n’avait donc pu se manifester qu’à une étape ultérieure de création, où l’on aurait réussi à obtenir ce que ces figures, apparemment vouées à ne transcrire que des vocables concrets, étaient dans l’incapacité de restituer: un état fidèle et complet de la parole.
Une interprétation aussi négative du rôle du visible dans l’écriture, dont une des conséquences fut, par exemple, que l’on décida en 1881 d’interdire aux sourds la langue des signes sous prétexte que «la parole vive, orale, encore plus que l’écriture, est le seul signe mental qui puisse indiquer les choses spirituelles et abstraites, sans leur donner une figure, sans les matérialiser», ne constitue pas un simple accident de notre histoire. La pensée de l’écriture comme mode visuel de transmission des messages linguistiques est profondément étrangère à l’Occident. Parce que notre civilisation, ainsi que l’a montré Jacques Derrida dans De la grammatologie (1967), est de type logocentrique . Mais également parce que l’écriture n’a jamais représenté pour nous autre chose qu’un héritage, et un héritage verbal. À la différence des Japonais, qui ont choisi sciemment de recourir aux idéogrammes chinois, nous n’utilisons l’alphabet que par hasard. Ce système était celui des Romains; les textes fondateurs de la religion chrétienne avaient été traduits en latin et ils étaient conservés au moyen de son écriture: il était tout naturel d’y avoir accès par ce biais. On comprend qu’une écriture transmise de cette manière nous ait été, au sens littéral du terme, invisible: elle nous semblait aussi transparente à l’oral qu’il fût possible (et tel avait été en effet le souci majeur des Romains) et sa fonction était strictement de préserver à des fins pieuses les leçons canoniques d’un Verbe saint.
Que nous ayons hérité de notre alphabet n’est une anomalie, toutefois, qu’eu égard à l’état d’ingénuité et de méconnaissance dans lequel cet héritage nous a trouvés. Il n’y a rien de plus normal, en effet, que d’emprunter une écriture: il n’existe aucun système dont on puisse dire qu’il ait été véritablement premier . Les Grecs ont inventé l’alphabet, mais cette invention prend appui sur le système phénicien, lequel était né, déjà, d’un remodelage du cunéiforme. Les systèmes idéographiques créés en Mésopotamie, en Égypte, en Chine, aux environs de trois mille ans avant notre ère (au moins pour les deux premiers) ne constituent pas davantage une origine . Ils résultent de la combinaison des deux modes de communication qui les avaient précédés: la parole et, apparue un peu plus tard, l’image. Ces deux médias correspondent chacun à des structures et à des usages différents de la communication sociale. La parole est l’exploitation par les membres d’une communauté d’un système de signes vocaux dont cette communauté est l’auteur. L’image est une proposition visuelle faite à l’ensemble du groupe et qui combine deux données hétérogènes: une surface, prélevée artificiellement ou symboliquement sur le réel (une paroi que l’on privilégie, mais aussi bien une portion du ciel, ou du sol), et des «figures», traces ou taches, produites ou non de main d’homme, qui se trouvent réunies sur cette surface. L’image n’est pas un système, à la différence de la langue. Elle n’exige pas non plus la coprésence d’un émetteur et d’un récepteur: il lui suffit d’un observateur. Aussi sa fonction sociale est-elle autre que celle de la parole: elle sert à poser une relation entre les individus du groupe et un monde extérieur à ce groupe, où sa langue est ignorée ou sans pouvoir. La mythologie dogon nous renseigne sur la corrélation que les sociétés orales établissent entre parole et image. On y considère que «Dieu dessine», qu’il a créé l’univers en produisant des figures, mais que seule leur nomination par l’homme a pu leur donner la vie.
L’apparition de la divination en Mésopotamie et en Chine constitue, comme l’ont montré Jean-Marie Durand et Léon Vandermeersch, l’étape immédiatement préliminaire à l’invention de l’écriture. Elle témoigne en effet d’une première forme de rationalisation de l’image, dans la mesure où la finalité vague qu’on lui avait attribuée d’abord – permettre de communiquer avec les dieux – est devenue beaucoup plus précise et contraignante. Le support élu par le devin concentre en lui certaines des valeurs symboliques essentielles à sa culture: carapaces de tortues en Chine, foies d’animaux en Mésopotamie. Les figures visibles sur ce support sont conçues comme formant système entre elles et elles sont désormais perçues comme des signes. Quant au devin, il n’a plus pour fonction, comme le mage, de manifester le pouvoir des dieux en agissant directement en leur nom sur des substances: son ministère consiste strictement à observer des ensembles de traces reconnus comme leurs messages et à tenter de les interpréter – c’est-à-dire, en fait, de les lire. Il est remarquable que cette fonction soit toujours nettement distinguée de celle du prophète: le devin estime, suppute, il ne décide jamais. C’est au prophète de traduire verbalement ses hypothèses, et d’affirmer une éventuelle vérité.
De la mythographie au pictogramme
L’écriture est apparue lorsque le système de signes visuels qui était censé transmettre les messages venus des dieux est devenu le support de ceux des hommes, c’est-à-dire des messages verbaux. Mais il ne pouvait s’agir que d’une traduction, sinon même d’une transposition: la composante iconique de l’écriture s’opposait à ce qu’elle fût une projection directe de la langue.
Le signe écrit ne s’identifie pas au signe verbal. Mais il doit encore moins s’assimiler à une copie de la réalité. Contrairement à ce que l’on affirme généralement, en effet, le pictogramme, ce signe figuratif que l’on trouve à l’origine de tous les systèmes écrits, et qui a été ensuite soit maintenu tel, comme en Égypte, soit rendu graphiquement méconnaissable comme en Mésopotamie ou en Chine, où il se combine aux signes abstraits issus de la divination, n’est pas une représentation de «chose». En tant que figure, déjà, il ne saurait l’être. Ce que traduit une figure n’est pas de l’ordre du catalogage objectif mais de la pensée symbolique; plus qu’un objet réel, une figure évoque l’importance de cet objet pour une société donnée (le soleil, la lune, la maison, le chat, etc.) et elle concentre dans son graphisme l’histoire d’un imaginaire culturel spécifique. C’est afin de pouvoir traduire cette complexité connotative qu’André Leroi-Gourhan a inventé pour désigner la figuration préhistorique le terme de «mythographie». Le pictogramme est un type de figure dont la fonction a été restreinte et modifiée: ce qu’elle doit susciter chez le spectateur n’est plus une émotion diffuse ou l’émergence nécessairement vague d’une notion polysémique, mais une réponse verbale. Nommer une figure ne saurait être, si l’on accepte la définition qui vient d’être donnée de cette figure, nommer le réel: une telle désignation a la valeur d’un complément apporté au schème visuel, sorte d’hommage ambigu par lequel le groupe reconnaît ce qui le domine, mais aussi l’intègre à ses structures. Il n’est pas indifférent que ce soient des noms de personnes, et d’abord des noms de dieux, qui soient toujours largement majoritaires dans les lexiques pictographiques.
Lorsque ces noms de personnes sont des phrases, comme c’est le cas en Mésopotamie, on peut dire que l’écriture est prête à naître: la pensée de la syntaxe se combine désormais à celle du signe. Mais une étape supplémentaire reste à franchir, celle où l’on passe de l’adéquation d’une figure donnée et de phrases connues d’avance à la création de phrases nouvelles. Cette liberté, elle est celle que suggéraient les pratiques divinatoires. Mais elle était interdite, alors, aux humains. L’idéogramme va la leur offrir.
Les leçons de l’idéogramme
De même que le pictogramme peut se définir comme une version réduite de la figure, on pourrait dire que l’idéogramme est une version systématisée du pictogramme. Ce qui lie ce signe au langage n’est plus de l’ordre de la métaphore ou du syncrétisme symbolique mais de l’alternative rationnelle.
Rationnel, ce signe l’est en premier lieu parce que sa conception graphique, même si elle demeure figurative, est ostensiblement dissociée de toute référence réaliste. Ce qui détermine formellement l’idéogramme est son calibrage, la norme qui lui attribue une place identique à celle des autres sur la surface du document. En Égypte, le hiéroglyphe se distingue de la figure parce que les dessins de dieu, d’oiseau ou de bouche à valeur idéographique s’inscrivent tous à l’intérieur d’un module unique.
Dans son rapport à la langue, l’idéogramme témoigne du même souci de mettre au service d’un système ce qui relève encore en lui, du fait de sa nature graphique, d’une polysémie incontrôlable. Les trois civilisations de l’idéogramme ont adopté une solution identique: inventer un signe qui, selon le contexte où il se trouve, peut assumer trois fonctions tout à fait différentes l’une de l’autre – mais seulement trois: celle d’un mot (l’idéogramme proprement dit), d’une syllabe dégagée phonétiquement de ce mot, que l’on utilisera pour désigner un mot homophone, une syllabe, voire, comme en Égypte, une seule consonne (le phonogramme) – et celle de ce que l’on nomme selon les civilisations «clé» ou «déterminatif», c’est-à-dire l’idéogramme envisagé comme un indice de mot purement visuel, que l’on ne prononcera pas mais qui accompagnera graphiquement un phonogramme pour signaler son appartenance à telle ou telle catégorie (la clé de l’eau accompagnant les mots «source» ou «rivière», par exemple).
L’intérêt de cette tripartition est qu’elle est commune aux trois cultures sans qu’il ait pu y avoir entre elles concertation, mais aussi – et ceci explique sans doute cela – qu’elle autorise une extraordinaire souplesse d’usage. La valeur de «mot» de l’idéogramme peut être celle d’un mot particulier, mais elle peut aussi correspondre à un noyau sémantique à partir duquel se formuleront des mots différents selon le contexte. La valeur phonétique est tantôt rigoureuse – comme elle l’a été en Mésopotamie, très tôt, dès que l’écriture sumérienne est devenue celle des Akkadiens, pour des motifs d’ordre linguistique –, tantôt approximative – comme en Chine –, ou encore proliférante – comme en Égypte, où l’on multiplie les redondances phonétiques d’une manière qui nous paraît aberrante. Quant au «déterminatif», relativement rare en Mésopotamie, devenu en Chine, au contraire, la base principale du système, puisque les «idéophonogrammes», signes doubles composés pour moitié d’une clé et pour l’autre d’un phonogramme, sont de loin les caractères les plus abondants de son vocabulaire écrit, il a suscité en Égypte, une fois encore, une pratique à première vue très surprenante. Par une sorte de retour du signe à son état initial de figure, le déterminatif peut se trouver situé en effet non pas dans la partie textuelle d’un document mais dans sa partie iconique: l’opération est réalisée en libérant le hiéroglyphe du calibrage auquel il devait être normalement soumis pour lui donner la dimension que requiert l’image où on le déplace. Un tel transfert n’est pas exceptionnel: Pascal Vernus a dressé le répertoire des cas nombreux de glissements de fonctions des signes entre le texte et l’image que se sont autorisés les Égyptiens. Le phénomène s’explique sans doute par l’équivalence graphique qui unit signe et figure dans ce type particulier d’écriture, mais il se justifie surtout par deux traits caractéristiques de tout système idéographique quel qu’il soit, et dont il ne fait que rendre les conséquences plus spectaculaires: le fait que le support de l’écrit joue un rôle déterminant – c’est-à-dire, pour reprendre le vocabulaire des linguistes, pertinent – à l’intérieur du système lui-même, et que le lecteur du message ne soit pas envisagé comme étant un simple déchiffreur mais comme participant activement, par un jeu d’observations et d’interprétations qui se situent à plusieurs niveaux, à la réalisation du texte. Les «textes» divinatoires mésopotamiens et chinois étaient fondés sur les mêmes principes: le choix d’un support motivé, seul susceptible d’opérer la transmutation des traces et des empreintes en signes, et la collaboration étroite du devin à la constitution d’un message qu’il crée, en réalité, en le «lisant». Ce sont ces principes que l’on retrouve à l’œuvre dans l’écriture proprement dite. Ils nous permettent de comprendre que les textes archaïques des deux civilisations aient une forme «télégraphique», l’information étant suggérée par un nombre de signes restreint, et, par conséquent, impossibles à énoncer de façon littérale (ce qui donnera naissance, en Chine, à une véritable «langue graphique», selon Léon Vandermeersch), ou que l’espace du cartouche primitif puis celui de la tablette d’argile – et jusqu’à son format rond ou carré, voire son enveloppe – conditionnent la compréhension des textes mésopotamiens (Jean-Marie Durand).
Ces principes éclairent enfin un dernier aspect de l’écriture prise à son état natif: le pouvoir que lui reconnaît la société. Ce pouvoir est très différent de celui dont on l’a investi plus tard en Occident en choisissant de limiter la définition de l’écriture à une fonction de conservation et de diffusion de la parole. En Chine ancienne, au contraire, l’écriture représente le pouvoir créateur par excellence, antérieur (avec la peinture dont on ne la dissocie pas) à celui de la parole. En Mésopotamie et en Égypte, les dieux de l’écriture sont toujours quant à eux des dieux intermédiaires, à la fois utiles et modestes: Inana, la déesse du grain, ou Nabû, un des dieux de la sagesse, Thot, le «maître des paroles divines». Ce sont des conseillers, non des chefs. La figure du devin-lecteur leur a servi évidemment de modèle. Comme la détermination de l’écrit par son support a conduit à imaginer une forme de pouvoir curieusement labile, détourné, qu’illustre bien l’histoire de la reconstruction de Babylone par le roi Asarhaddon. La ville avait été détruite par son père, Sennachérib, et le dieu Marduk, dans son courroux, avait interdit qu’on la reconstruisît avant soixante-dix ans. Asarhaddon décida pourtant de n’en attendre que onze. Car la parole du dieu avait été inscrite sur une tablette, et le chiffre soixante-dix, lorsqu’on retournait cette tablette, se lisait onze. La liberté de l’écrit et, par suite, de sa lecture, faisait du pouvoir royal l’égal de celui des dieux.
La nébuleuse alphabétique
La révolution absolue que les Grecs ont introduite dans l’écriture consiste dans l’établissement d’une correspondance terme à terme entre un signe écrit et chacun des sons, consonne ou voyelle, dont se compose la syllabe. La rationalisation de l’écrit est parvenue, grâce à eux, à son degré le plus extrême d’abstraction, l’analyse de l’espace graphique en signes trouvant son répondant rigoureux dans celle de la parole en phonèmes. Ainsi, la langue ne gagnait plus seulement à son transfert dans le monde des images les avantages d’une transmission différée, elle y apprenait même à se connaître. Mais force est aussi de constater que, ce faisant, les Grecs ont arraché l’écriture à ce feuilleté d’informations et de références hétérogènes qui, sans doute, était offert au lecteur pour qu’il retrouve une formule orale, mais reflétait surtout une conception profondément originale de la communication humaine. Cette forme première de l’écriture avait son utilité, comme le prouve l’écriture chinoise, dont le système s’est maintenu en Asie jusqu’à nos jours, comme le prouve aussi la manière dont l’écriture est apparue dans l’Amérique précolombienne. Aux Incas – inventeurs d’un système de comptabilité visuelle particulièrement subtil, les quipus, mais qui n’en ont pas tiré les principes d’une écriture (preuve que le désir de disposer de l’écrit n’a rien à voir avec un raisonnement d’économe) – s’opposent en effet les Mayas, qui, eux, en ont créé une: elle permettait aux différents groupes linguistiques qui composent cette société de se comprendre, la langue visuelle étant indifférente, exactement comme elle l’est en chinois, aux variations dialectales.
L’écriture est plurilinguistique par vocation. La diffusion internationale de l’alphabet ne peut que le confirmer. Mais ce système – qui, lorsqu’il a été inventé, transcendait la langue en tant que telle, de même que la géométrie, autre création due aux Grecs, transcendait l’image concrète – a été récupéré très vite au bénéfice d’idiomes particuliers. Triomphe fragile: chaque langue s’efforcera désormais de distinguer sa propre prononciation des lettres, voire leur graphie, de celle des autres, se heurtant rapidement au fait que toute transcription de prononciation est condamnée à devenir caduque pour des motifs d’évolution interne ou encore, comme le montre le vietnamien romanisé, elle sera cause, si cette langue possède aussi une structure tonale, de complications graphiques invraisemblables. De plus, en s’affichant sous cette forme linéaire où l’on a cru trop naïvement déceler une empreinte directe du discours, l’alphabet a perdu contact avec le sens. L’addition sonore qu’il propose n’a rien à voir, en effet, avec ce concentré visuel d’énigmes et de présences qui faisait de l’idéogramme un révélateur verbal. Sur les lignes de l’alphabet, le regard ne voit pas se lever, de lettre en lettre, le verbe tel qu’en lui-même: il tâtonne, cherchant à retrouver ces nœuds compacts du sens qui faisaient du texte archaïque une architecture de secrets.
Facile à écrire, susceptible de se transformer en un véritable code phonétique, l’écriture alphabétique, il faut l’admettre, n’obéit pas, à la différence de celle qui se fonde sur l’idéogramme, à des principes de lisibilité. Mais aussi le souci des Grecs, en l’inventant, était moins de renouveler le système que d’adapter à leur langue l’un de ceux que l’on utilisait dans le bassin méditerranéen au VIIIe siècle avant notre ère. Leur démarche n’avait pas pour but de mettre en question la conception que leurs prédécesseurs se faisaient de l’écriture, elle était la même, au contraire: celle de l’emprunt.
C’était cette démarche, d’ailleurs, qui avait conduit les Phéniciens, avant les Grecs, à opérer une première révolution de l’écrit. Tandis que les Akkadiens, empruntant leur système aux Sumériens alors que leur langue, sémitique, était de structure très différente, n’avaient pas jugé nécessaire de modifier le système et utilisaient conjointement idéogrammes et phonogrammes, les Phéniciens avaient opté pour une solution totalement neuve, réduisant le nombre des signes au minimum de consonnes nécessaires pour qu’une racine verbale soit lisible. Un tel choix était le signal que priorité était donnée pour cette fois à la langue sur toute autre considération. Mais il constituait aussi une maturation de l’écriture conforme à son fonctionnement d’origine. La notation des consonnes n’était phonétique qu’en apparence (si même elle était conçue comme telle). En fait, elle constituait une sorte de sténographie du sens, le phonogramme ayant simultanément valeur d’amorce d’idéogramme et reposant pour pouvoir être lu, comme c’était le cas en cunéiforme, sur un contexte dont l’appréhension devait se faire en combinant des niveaux d’analyse hétérogènes, celui des lettres voisines – pour qu’apparaisse la racine du mot (KTB renvoyant à celle de l’écriture, par exemple) – et celui de la structuration des groupes de consonnes en phrases, afin que la prononciation orale exigée par la syntaxe soit assurée.
Or trois consonnes qui se suivent, en grec, se prononcent; elles n’ont aucune fonction sémantique. L’intervention des voyelles, ici, est nécessaire, car elle seule permet de distinguer un mot d’un autre – comme, en français, elle le fait pour les mots «mère» et «marée». Le système phénicien ne pouvait donc pas convenir au grec.
Que la démarche qui a conduit les Grecs à inventer l’alphabet soit plus logique que phonétique nous est prouvé a contrario par les écritures de l’Inde. On est parvenu dans cette culture à élaborer un système syllabique à ce point perfectionné qu’il équivaut à un abécédaire. Mais on y est parvenu à partir d’une analyse purement orale de la langue, bien antérieure au recours à l’écriture, et sans que jamais l’écriture en constitue l’objectif réel. La parole, et la parole prononcée, possède, en Inde, une vertu liturgique irremplaçable: l’écrit n’y est donc guère estimé (c’est-à-dire avec un grand mépris) qu’autant qu’il permet strictement de préserver, ou de susciter, une parole agréée des dieux. En Grèce, comme Marcel Detienne l’a montré, ce ne sont pas les dieux mais les hommes que l’écriture nouvelle doit servir, exposée au cœur de la cité pour en rendre les lois publiques et les imposer à tous. L’invention de l’alphabet est étroitement complémentaire de celle de la démocratie. Elle signifie également le triomphe d’un humanisme. Mais en devenant ainsi propriété entière des hommes, l’écriture s’est privée des connotations divinatoires qui en vivifiaient naguère encore la lecture. Impossible, dans la mouvance grecque, de concevoir l’écrit et l’oral sous la forme d’une loi double, subtilement mais rigoureusement différenciée, comme le feront de leur côté les commentateurs de la Torah: la loi écrite est, en Grèce, et elle le sera plus encore dans les sociétés qui vont la suivre, dès lors que l’individu y gagnera en autonomie et en conscience de soi, nécessairement une, celle du Logos . Les seuls liens qu’on lui supposera désormais avec l’au-delà seront ceux, dégradés, de la magie.
Le geste et le regard
Parvenue en Occident doublement marquée par le Verbe, celui de la démocratie athénienne d’une part et celui d’un Dieu d’autorité de l’autre, l’écriture se trouvait donc dans une situation paradoxale: elle était devenue un système de signes d’une perfection admirable, qui analysait la langue avec la minutie d’un instrument de chirurgie, mais qui avait été inventé seulement pour l’oreille, c’est-à-dire pour être non pas véritablement lu mais traduit . Une telle situation ne portait pas à conséquence si l’on se contentait de recourir à l’écrit comme à un simple conservatoire de textes – ce qui fut précisément le cas pendant longtemps. Passer par l’oralisation pour comprendre ce que l’on a sous les yeux constitue un détour coûteux en temps mais permet toutefois d’avoir accès à une information donnée. Le problème devait apparaître lorsqu’on allait se soucier d’exploiter le médium écrit en tant que tel, c’est-à-dire de produire des textes dont l’efficacité, et le sens, reposeraient directement et essentiellement sur leur lecture.
La réinvention de l’écriture est une constante de son histoire puisque, comme on l’a vu, l’écriture est, dans son principe, un système second . Mais le problème que l’on avait rencontré jusqu’alors était exclusivement celui de l’adaptation des signes écrits à la langue. Cette fois, c’était l’inverse: la langue était devenue un obstacle. La situation, toutefois, était loin d’être symétrique des précédentes: ce qui se trouvait menacé était le fondement même de l’écriture, ce qui en avait constitué la motivation tant sociale que culturelle, et qu’il fallait rétablir.
C’est par un biais tout différent de celui qui avait conduit à l’apparition de l’alphabet que s’est faite cette réinvention: par la copie. Quelle création peut-on attendre d’une copie? Les calligraphies chinoise et japonaise nous le montrent de façon splendide: copier peut n’être pas reproduire mais apporter à l’écrit une valeur supplémentaire, et qui ne consiste, cependant, que dans un hommage qu’on lui rend, celui de son interprétation devenue elle-même lisible. La copie du calligraphe est un poème visuel, l’œuvre d’un lecteur inspiré.
Mais il existe bien des variantes de la copie créatrice, et qui dépendent de plusieurs facteurs. Elle ne se fera calligraphie que si le support et l’instrument mis à la disposition du scribe autorisent la liberté du geste. Le papier, l’encre, le pinceau ou le calame lui sont indispensables. L’écriture cunéiforme, contrainte à creuser d’empreintes l’argile molle des tablettes, ignore la calligraphie. La nature de l’écriture reproduite, de même que la fonction sociale reconnue au calligraphe, interviennent également dans l’apparition d’un tel art. L’écriture idéographique appelle la calligraphie dans la mesure où le signe écrit y est aussi, en raison de sa cohérence graphique autant que de la relation qu’il entretient avec l’espace qui l’entoure, une figure au sens pictural du terme. En l’interprétant plastiquement, le calligraphe pourra reconstituer l’association originelle de l’écriture et de la peinture. Telle est, du moins, l’expérience du calligraphe chinois, puisant une suprême sagesse et l’accomplissement de soi dans cette harmonie reconquise et capable de se muer, grâce au souffle spirituel qui se communique à la main et jusqu’à la pointe du pinceau, dans la trace déposée sur le papier. L’expérience du calligraphe musulman est autre. Parce que son écriture n’est plus idéographique mais consonantique-sémantique, et aussi parce que reproduire les formules sacrées du Coran sera, pour lui, célébrer Dieu, exalter par la beauté de l’écrit la valeur unique et fondatrice de la parole divine recueillie par Mahomet. Il n’y a pas de commune mesure entre ces deux calligraphies et celle du «maître écrivain» occidental. Bien écrire, pour Paillasson, est reproduire fidèlement des lettres en leur donnant une certaine beauté, ce n’est pas offrir au lecteur une expérience spirituelle.
Mais la lecture contemplative était bien éloignée de nous, humanité dominée par le sens de l’affirmation et de l’action, et tributaire d’une écriture à vocation plus géométrique qu’intuitive. Dans la sérénité pieuse des scriptoria , la copie s’était faite cependant, à sa manière, réflexion sur les moyens de restituer une lisibilité à l’alphabet. Enluminures, lettres ornées et historiées, rubriques ont peu à peu ponctué et structuré les manuscrits du Moyen Âge. Le XIIIe siècle est la grande époque qui voit naître en Occident une véritable pensée de l’écriture – c’est-à-dire du voir-l’écrit . Comme l’a montré Robert Marichal, le style gothique des lettres s’inspire directement des articulations du raisonnement scolastique. On crée des idéogrammes à partir de l’alphabet en contractant par exemple le mot substantia en «sba». Surtout, et l’innovation la plus importante se situe sans doute là, on rompt les alignements pseudo-linguistiques du texte, on compose symphoniquement la page (cette page du codex , une création vieille de dix siècles dont on n’avait guère réalisé encore à quel point elle bouleversait les traditions de l’espace écrit), répartissant en pavés de graphies variables, dans les marges ou au cœur du texte, des strates de commentaires présents non parce qu’ils avaient été dits mais parce qu’ils devaient être lus.
Brève victoire, cependant, que devait interrompre de nouveau, et de nouveau pour des siècles, l’apparition de l’imprimerie. L’isolement de chaque lettre sur son petit socle de plomb, en même temps qu’il a porté à son comble – on le voit bien chez Geoffroy Tory au XVIe siècle – une nostalgie de l’idéogramme qui mêlait vœux légitimes et divagations ésotériques, a entraîné globalement une régression de la pensée de l’écrit. L’image du mot a trouvé, certes, un équivalent pertinent dans le composé orthographique, mais on n’a eu de cesse que de parvenir à le normaliser et le fixer. Le Discours de la méthode est, selon Henri-Jean Martin, le premier texte français imprimé en paragraphes. Deux siècles plus tard, Mallarmé découvrait dans le ciel étoilé le modèle du Livre futur, le même qui avait inspiré, près de cinq mille ans plus tôt, les Sumériens et les Chinois, et leur avait fait inventer l’écriture.
2. L’écriture électronique
Toute écriture est concernée par la technologie qui la matérialise: stylet, stylo, plombs d’imprimerie, etc. Non seulement parce que ces différents outillages provoquent des conséquences concrètes dans les sociétés où l’écriture est utilisée (sans l’imprimerie il n’y aurait pas d’économie du livre), mais également, et peut-être davantage encore parce que la technologie employée influe directement sur les effets fondamentaux de l’écriture comme technique de conservation et de partage du sens. Si l’imprimerie a totalement bouleversé les économies d’échange et de transmission antérieures à son apparition, l’électronique provoque aussi des transformations fondamentales, aux conséquences tout aussi importantes.
Une écriture immatérielle
Les changements introduits par le traitement informatique de l’écriture sont d’abord matériels. Ils découlent des particularités de constitution et d’exploitation électroniques du signal. L’électronique ne sait traiter que des codes binaires, des séquences de 0 ou de 1: le courant électrique passe ou ne passe pas. L’écriture électronique s’apparente à un alphabet morse pauvre ne disposant même pas de la distinction longue-brève. Tous les signes complexes, tels ceux des alphabets des langues naturelles, sont traduits sous forme de suites codées de zéros et de uns illisibles pour un lecteur humain sans programme spécialisé. Sur un écran d’ordinateur, une trace quelconque, une lettre n’est qu’une matrice de points pouvant prendre des valeurs colorées. Ces signes, ouverts à des opérations numériques, sont interchangeables. Passer de la lettre «d» à la lettre «a» ou à n’importe quel autre dessin, n’est que lui faire subir une opération mathématique. Un mot quelconque d’une langue, un dessin sont des séquences de chiffres. Leur nature profonde est virtuelle , en attente des divers traitements qui les rendront perceptibles. Dans les mémoires des ordinateurs, le dessin d’un iguane n’est pas un iguane; l’écriture du mot iguane n’est pas la séquence graphique «i.g.u.a.n.e»... La matérialité visible du signe est trompeuse, car elle n’est que le produit d’opérations abstraites prédéfinies lui attribuant une existence temporaire pouvant toujours être soumise à de nouvelles opérations. On peut ainsi remplacer automatiquement, en temps réel, tous les «a» d’un texte par n’importe quelle autre lettre, faire placer des «s» à la fin des mots, ajouter des mots, en remplacer par d’autres, etc. On peut modifier un dessin, le faire agrandir, le faire réduire, le faire transformer, l’ajouter à d’autres, le faire bouger, apparaître, disparaître, etc. La séparation entre la lettre en tant que signe codé pré-constitué et le dessin s’estompe. Les tablettes graphiques ou la reconnaissance optique de caractères abolissent même la traditionnelle séparation technologique entre écriture manuscrite et mécanique qui permettent, à partir des traces émises par un capteur, de transformer les mouvements d’une main dans les codes typographiques choisis par l’utilisateur. Il y a dématérialisation du signe: le signe lu n’est qu’une des manifestations superficielles, à un moment donné, d’une infinité d’opérations sur un codage profond auquel le lecteur n’a pas normalement accès. Matérialisations virtuelles toutes inscrites dans les possibilités du codage. L’écriture informatique est ainsi, avant tout, un ensemble de conventions, de codes et de normes. L’écriture lue est toujours le résultat d’opérations définies par diverses couches d’écritures sous-jacentes: langage machine, langages système, langages d’interprétation, normes des logiciels, etc. Ainsi, par exemple, si n’importe quelle machine, pourvu qu’elle soit reliée à un réseau, peut communiquer avec n’importe quelle autre, c’est grâce à l’existence d’un standard commun, la norme HTML, qui définit un ensemble de conventions d’écriture dont la codification informatique est respectée par toutes ces machines.
Cette dématérialisation profonde confère à l’écriture informatisée, et par là aux textes qui en sont le produit, des caractéristiques que jusque-là elle ne possédait sur aucun autre support. L’écriture informatique est mobile, interactive, délocalisée, démultipliable et engendrable.
Une écriture mobile
Contrairement à ce qui se passe sur les supports conventionnels, le graphisme informatique, concrétisation momentanée de procédures de calculs sur des informations non matérialisées, n’est jamais définitivement fixé. Les signes binarisés se référant tous, quelle que soit leur apparence, à un système unique de codage, la transformation d’une convention de codage en une autre, permettant toutes sortes d’affichages variables, peut être réalisée sans grande difficulté. Il suffit de modifier les procédures de calcul pour que les codages changent avec une vitesse de traitement qui, paraissant instantanée à l’échelle de la lecture humaine, est dite «en temps réel». Les traitements de texte permettent ainsi à leurs utilisateurs de choisir la police de caractère qu’ils désirent, la taille du corps des lettres, leurs caractéristiques: italique, gras, souligné, etc., ou même de changer chaque signe de l’alphabet en pictogrammes. Une fonction de base de ces logiciels est de pratiquer l’opération du «couper-coller», transport instantané de portions de textes d’un lieu quelconque de l’espace virtuel pour le constituer à un autre. Toutes ces fonctions d’affichage ne consistent en rien d’autre qu’en des calculs sur les pixels – unités d’émulation des écrans – ou sur les bits – unités d’enregistrement des mémoires (binary digits ).
Une des conséquences de cette mobilité est que l’écriture informatique est sans traces. Contrairement à la feuille de papier où remords, variantes, corrections, surcharges laissent leur empreinte, aucune de ces opérations ne s’inscrit sur l’écran. Un terme effacé est un terme disparu, une faute d’orthographe corrigée n’a jamais existé. L’écriture informatique est amnésique, qui ne garde aucune mémoire des cheminements de la pensée. Sur le médium informatique, toute conservation de trace suppose la volonté délibérée d’en garder la mémoire. Lorsque cette volonté existe, elle revient à mémoriser tout acte, même le plus insignifiant: hésitation, erreur de clavier, etc. Un enregistrement de texte détruisant le texte précédent, cette conservation ne peut se faire que si l’auteur, au travers d’opérations non immédiates, en affirme l’intention. Mais cette conservation produit un nouveau texte et la comparaison de leurs états successifs n’est pas une opération prévue dans les logiciels d’écriture, dans la mesure où elle est jugée sans intérêt par le commerce. Toute séquence écrite est ainsi à la fois éminemment volatile et fragile, ou au contraire trop exhaustive.
Une autre conséquence est que tout texte, à l’instant même de sa production, est ouvert à des opérations instantanées de calcul. Un correcteur orthographique opérationnel dans un traitement de texte n’est rien d’autre qu’un algorithme interprétant, alors même que le scripteur est en train d’écrire, le texte qui s’écrit. Les divers outils – dictionnaires de synonymes, correcteurs syntaxiques, phonétiseurs, lectures sonores... – qui ont été peu à peu installés à l’intérieur des traitements de texte les plus performants fonctionnent de cette manière.
Une écriture interactive
Mobilité, instantanéité, virtualité, calculabilité autorisent de nouveaux modes d’interactivité.
Si l’écriture a toujours été interactive parce que tout scripteur réagit à ce qu’il écrit pour le transformer, la rapidité des transformations informatiques en modifie les conséquences. L’interactivité informatique change toute opération, même la plus élémentaire, en terrain permanent d’expérimentation. Le scripteur peut faire tous les essais qu’il désire sans que les conséquences en soient rédhibitoires, sans que leur coût intellectuel et économique représente un obstacle. Couper un fragment pour l’insérer en un autre lieu du texte permet de simuler une écriture nouvelle qui, jugée satisfaisante, peut être rendue définitive, mais qui, jugée sans intérêt, peut être aussitôt annulée sans conséquences. Plus simplement encore, examiner si telle police de caractère est préférable à telle autre pour une recherche d’effet ne coûte rien de plus que l’utilisation d’une fonction alors qu’antérieurement, le coût de réécriture, celui d’impression, demandaient un effort jugé la plupart du temps impossible. Cette richesse d’interactivité transforme tout scripteur en typographe, en maquettiste: l’informatique est la nouvelle imprimerie. Le scripteur peut non seulement visualiser sur la page les fragments du texte qu’il produit mais, également, en obtenir immédiatement sur imprimante des tirages lui permettant d’en vérifier l’effet. La lecture sur papier, du fait de la fixité et de la «chaleur» du médium, est une lecture davantage tournée vers l’intérieur du texte, plus propice à la réflexion et à la critique; la lecture sur écran, médium froid, à cause des possibilités permanentes d’interaction, est plus extérieure, davantage tournée vers la manipulation du texte. C’est une lecture de surface incitant à la participation.
Une écriture délocalisée
Mais c’est aussi une écriture sans lieu matériel. Sur un même écran d’ordinateur peuvent figurer, simultanément, des textes d’origines très diverses: l’écran de l’Encyclopædia Universalis et celui de la lettre que le lecteur est en train d’écrire, une «page» de miniatures émise par la bibliothèque du Congrès à Washington et celle d’un roman numérisé provenant d’une bibliothèque française. Le lieu d’affichage est ce lieu unificateur temporaire à la fois des différents médias et des différentes sources que Joël de Rosnay appelle un «unimédia»: ce qui est vu ou lu n’est qu’une construction contextuelle de données dont le «lieu» et la forme n’ont pas vraiment besoin d’être connus par le lecteur.
L’hypertexte est une autre des techniques nouvelles permises à l’écriture numérique. Elle repose sur une des particularités de la mémoire informatique. Sur une mémoire d’ordinateur, quel qu’il soit, un texte n’est pas un ensemble compact d’écrit, mais un ensemble de fragments dont, au moment de l’affichage sur l’écran, l’ordinateur assure l’intégrité. Dématérialisée, la notion si habituelle de «page» n’a aucun sens en informatique. Sur un écran d’ordinateur, une page est une convention locale, temporelle et non définitive. Tout texte lu est un ensemble indéfini de fragments de textes dont le découpage n’a rien à voir avec la sémantique de la lecture. Par exemple un texte A est composé des fragments a, b, c, d ou x ... en fonction des seules contraintes d’enregistrement sur la mémoire de stockage. Le texte a peut se terminer au milieu d’un mot, le texte b commencer au milieu d’un mot. Pour reconstituer le texte A, il suffit que l’ordinateur sache que A = a + b + c + x, c’est-à-dire qu’il dispose des informations indiquant où sont enregistrés les fragments a, b, c, x, et quelles sont leurs longueurs respectives. Un texte mémorisé est, indissolublement, un ensemble de fragments purement textuels, un ensemble de codes et un tableau d’adresses.
La localisation concrète de ces «adresses» n’a, en soi, aucune importance. Pourvu que les mémoires sur lesquels les fragments sont mémorisés communiquent, et quelle que soit la façon dont elles communiquent – réseau, satellite, infrarouge... – tout fragment de n’importe quel texte dont on possède l’adresse peut être ramené «à l’intérieur» de n’importe quel autre texte. C’est là le principe fondateur des «autoroutes de l’information» ou du «World Wide Web» (WWW) qui changent en profondeur la nature de la communication écrite puisque, tout en conservant ses caractéristiques de fixation, celle-ci acquiert certaines des caractéristiques de l’oral: réactivité, interactivités multiples, temps réel... D’un écran d’ordinateur quelconque, n’importe qui a ainsi accès à la totalité mondiale des textes mémorisés et peut les intégrer dans sa propre écriture.
La contrainte technique de fragmentation entraîne que tout texte est une virtualité de texte. S’il existe quelque part un texte A tel que A = a + b + c + x et un texte B tel que B = d + e + f + g, rien n’interdit de constituer un texte C tel que C = a + d + b ... Tout document n’est que la résultante de parcours dans des ensembles de fragments. À partir de logiciels adéquats appelés également «hypertextes», il est donc possible à un auteur de déclarer qu’un fragment donné ouvre sur plusieurs lectures – par exemple: d + e ou d + b –; il est aussi possible de donner à l’ordinateur la mission de calculer ces parcours: par exemple, «rassembler tous les textes contenant l’expression traitement des névroses » ou, mieux encore, «classer par ordre de pertinence tous les documents parlant d’œnologie». Cette fonction est naturellement utilisée par tous les logiciels appelés «systèmes de gestion de bases de données» (SGBD) mais bien entendu aussi, de façon plus ou moins puissante en fonction des algorithmes de calcul, par les traitements de texte ou les logiciels hypertextes. Elle est à l’œuvre, par exemple, dans le CD-ROM de l’Encyclopædia Universalis où les recherches peuvent être faites suivant des thématiques dynamiques, dans les index, dans les documents, dans l’ensemble de l’encyclopédie... ou même dans des ensembles de documents constitués en dossiers pour un usage donné par le lecteur lui-même: le «panier». De telles recherches peuvent souvent accepter des opérateurs booléens sur les mots indexés: «alphabet OU morse», «littérature ET danoise», «littérature SAUF france» ou même «latin OU romain ET rome SAUF césar»...
Les outils qui, sur Internet, sont appelés des «moteurs de recherche» fonctionnent ainsi et peuvent réunir à la demande d’un lecteur tous les documents numériques qui, n’importe où dans le monde, traitent de tel ou tel sujet. Il suffit pour cela que les mémoires sur lesquelles sont stockés les documents A, B, C ou X soient physiquement reliées par un réseau. L’ensemble constitue alors quelque chose comme une immense mémoire d’écrits collective. On comprend que cette technique ouvre d’immenses perspectives à la recherche d’informations. Elle est d’ailleurs la technique de base de la plupart des CD-ROM qui permettent des explorations non linéaires d’ensembles informatifs.
De plus, il n’y a pas de différence théorique entre «hypertexte» et «hypermédia» puisque, dans l’univers digital, il n’y a pas de différence théorique entre texte, son et image. Un «hypermédia» n’est qu’un ensemble de documents comportant des images et du son, entre lesquels est possible une circulation de type hypertexte. C’est le cas d’Internet et de la grande majorité des CD-ROM actuels.
Signal électronique parmi d’autres, toute écriture informatisée est transportable, immédiatement lisible, dans les lieux les plus éloignés les uns des autres. Comme telle elle peut être produite dans un lieu, lue simultanément dans un ou plusieurs autres à l’aide des instruments adéquats: modems, satellites, fax, etc. Elle peut également, de façon symétrique, être modifiée à distance. Dématérialisée, réduite à un signal électrique, elle est reproductible sans limites ni usure. Instantanément reçu par ses destinataires, y compris dans ses hésitations, l’écrit devient matière première pour ceux-ci qui, à leur tour, produisent de l’écriture. Le réseau est la conséquence logique de cette dématérialisation des textes informatiques. L’écriture devient collective, objet d’un partage à la fois planétaire et intime.
Une écriture automatisée
Mais, parce qu’elle permet d’agir sur les signifiants à partir d’un ensemble de lois externes, l’unicité du codage autorise également la générativité qui n’est qu’un mode de calcul particulier parmi l’ensemble des modes de calcul imaginables. Si le codage informatique ne permettait pas la transformation matérielle des signes, il ne serait pas possible d’utiliser ces instruments ordinaires que sont devenus les correcteurs orthographiques ou syntaxiques pour rectifier automatiquement les erreurs d’écriture. Pas plus que d’introduire les modifications morphologiques nécessaires pour passer de termes extraits d’un dictionnaire à une phrase. Il ne serait pas possible de passer, automatiquement, de: «enfant», «jeune», «regarder», «fleur», «prunier» à: «Un jeune enfant regarde des fleurs de prunier». L’adjonction automatique d’un «s» à la séquence «fleur» montre que celle-ci n’est pas considérée comme un tout immuable, mais qu’elle est au contraire prise comme signe susceptible de transformations. Elle montre aussi que, dans l’algorithme utilisé, une information codée sous une forme quelconque indique qu’il est possible, sous certaines conditions, d’ajouter «s» à d’autres séquences de lettres, cette condition pouvant être nommée «pluriel» et ses conditions d’application devant être définies. L’ordinateur ne génère des textes que parce qu’informatiquement ceux-ci ne sont rien d’autre que des séquences insignifiantes non figées et parce qu’il a été constitué des algorithmes spécialisés pour l’écriture. L’écrit, sous tous ses aspects, des plus élémentaires, comme l’inscription d’une lettre ou la mise en page d’un texte, aux plus complexes, comme sa conception, est ouvert à la programmation. L’écriture devient le produit d’opérations abstraites profondes sans rapport immédiat avec les résultats obtenus. Aussi un des avenirs prévisibles de l’écrit se situe-t-il très probablement dans la multiplication d’outils sophistiqués interagissant avec la volonté d’écriture d’un scripteur quelconque.
Écriture informatique et littérature
Si l’informatique bouleverse la pratique quotidienne et commune de l’écriture, son action est plus profonde encore en ce qui concerne l’écriture littéraire. Certains écrivains n’ont pas tardé à se rendre compte des possibilités nouvelles que permettait cet outil, des effets qu’ils pouvaient en obtenir dans leur domaine. Beaucoup d’entre eux se sont bien entendu servis des particularités de l’hypertexte pour concevoir des récits non linéaires. Sont ainsi apparus des textes interactifs, dans lesquels un lecteur agit sur ses parcours de lecture en induisant, par ses réponses aux propositions de l’ordinateur, des variations textuelles diverses ou en modifiant le déroulement des textes qu’il lit, parfois même leur contenu. Dans un texte interactif, il est tout à fait concevable qu’un lecteur ne rencontre jamais deux fois les mêmes séquences de textes. Ceux-ci deviennent les produits d’une lecture réellement active induite par les comportements du lecteur. Un texte interactif ne prend sens qu’au travers de la lecture. Plus que n’importe où ailleurs, la signification passe ici par l’élaboration du sens au travers de réseaux d’indices. Le texte est nécessairement «à faire», porteur de potentialités latentes que la participation du lecteur accepte – ou non – de révéler.
La délocalisation du signal, elle, ouvre sur les «réseaux d’écriture» – écriture collective d’écrivains sur les mêmes textes qui n’appartiennent plus à un seul d’entre eux, mais à l’ensemble. Plusieurs écrivains ont aussi réalisé des œuvres exploitant la mobilité comme composante majeure de la lecture, avec toutes ses conséquences: irruption de la temporalité comme modalité de transformation du texte, partie intégrante de la constitution d’un sens. Le lecteur est confronté à une écriture en modification perpétuelle qui, sans être dénaturée, ne peut être imprimée au sens classique du terme. La mobilité du signal permet la typographie dynamique
Enfin, le texte que le lecteur parcourt sur un écran de lecture peut n’exister nulle part dans l’espace de mémorisation de l’ordinateur. Des programmes spécialisés peuvent, en fonction de besoins spécifiques, ou à des fins particulières, créer en temps réel le texte qu’il est en train de lire. Cette particularité est utilisée pour générer de la littérature.
Interactivité, mobilité, générativité ont pour effet d’introduire quelque chose de l’ordre du dialogue, de la théâtralisation, dans un texte qui devient spectacle d’une écriture en cours. Le lecteur est autant spectateur de la «fabrique» du texte que du texte achevé. Sa lecture en est différente, il lit la mise en espace et les processus de réalisation plus peut-être que le texte lui-même qui, conçu pour exister dans une dynamique constante, ne parvient pas à se constituer en texte classique figé. Cela a pour effet second, de mettre le texte informatique naturellement dans le champ de la «performance»: l’écriture sort de l’espace où elle était cantonnée pour occuper d’autres lieux et notamment ceux d’exposition. Pouvant envahir simultanément tous les écrans d’affichage à diodes de villes, être projetée, par des faisceaux laser, sur un ciel nocturne, l’écriture devient partie de l’environnement. Son statut change: d’écriture à lire, elle devient écriture à voir, à vivre. La communion solitaire du lecteur et du livre tend à s’effacer devant une forme collective de participation. L’écriture électronique est ainsi allée à la rencontre des autres formes d’expression pour constituer un autre territoire, celui de l’écriture interactive multimédia dont l’espace de déploiement est le CD-ROM ou Internet.
Permanence de l’écrit
La simple sauvegarde magnétique ou optique du contenu, par exemple la pratique du couper-coller, ont une incidence directe sur le statut de la citation, des sources, des références et de leur utilisation. Les notions d’originalité, d’auteur, de propriété littéraire en sont affectées. Dans Xanadu, immense réseau planétaire d’échange permanent d’information, imaginé par Ted Nelson, aujourd’hui de l’ordre du possible, du prévisible, du réalisable, l’écriture individuelle se dissout dans une réappropriation perpétuelle. Consommer et produire sont de même nature: il ne s’agit plus seulement d’intertextualité mais de cotextualité, l’écrit étant le produit collectivement anonyme d’une communauté universelle. Or l’informatique ne se contente pas de réutiliser des matériaux déjà fabriqués, elle permet également la génération qui déplace la question de l’auteur. L’ordinateur intervient dans le processus, tenant un rôle de producteur. Les problèmes de l’écriture, entendue comme production économique et/ou artistique d’écrits, avec toutes leurs incidences économiques et juridiques, se posent en des termes nouveaux dès lors que se répandent des instruments de plus en plus puissants servant à son traitement. Que devient par exemple le «droit moral» d’un auteur sur des textes qu’il n’a pas totalement écrits, dès lors qu’il utilisait massivement, sans les citer, de façon créatrice et originale cependant, des fragments d’autres textes? Où commence la «propriété littéraire»? Qui est concepteur d’un texte lorsque le programme le générant est le fruit d’une collaboration entre un écrivain qui en a eu l’idée et un informaticien qui l’a mis en programme? Quelle est la place de la création, de l’inspiration, du style? Qu’est-ce qu’une «œuvre»? Quel est le statut d’un écrit lorsqu’il n’est qu’une réalisation particulière parmi des milliers de réalisations potentielles? Que deviennent les textes «princeps», les éditions critiques? Comment devra évoluer le droit d’auteur? Que deviendra l’immense secteur économique d’industrialisation des écrits?
Autant de questions aujourd’hui ouvertes par l’évolution des technologies et montrant combien l’écriture, apparemment simple codage symbolique du langage, reste partie intégrante de l’ensemble des enjeux d’une société moderne.
Contrairement à ce qui a pu être affirmé par des théoriciens de la communication, comme Mac Luhan voyant dans l’écran de télévision l’annonce de la disparition de l’écrit, l’écran informatique a au contraire multiplié à la fois les lieux et les puissances d’expression de l’écrit. Amené à changer de nature par la technologie qui le sous-tend, l’écrit a acquis une nouvelle modernité qui le situe à nouveau au centre de la communication.
écriture [ ekrityr ] n. f.
• escriture v. 1050; lat. scriptura
1 ♦ Représentation de la parole et de la pensée par des signes graphiques conventionnels destinés à durer. ⇒ -graphe, grapho-. Écriture pictographique, idéographique. Écriture phonétique. Écriture alphabétique, syllabique. Déchiffrement des écritures anciennes. ⇒ paléographie. Système d'écriture des aveugles. ⇒ braille. Écriture secrète, chiffrée. ⇒ cryptographie.
♢ Apprentissage de la lecture et de l'écriture. ⇒ dictée, rédaction. Écriture d'un mot, d'un texte. ⇒ graphie, orthographe. Page d'écriture.
2 ♦ Type de caractères particuliers adopté pour cette représentation. ⇒ alphabet; hiéroglyphe, idéogramme, pictogramme. Écriture égyptienne, grecque, arabe, gothique. — Écritures employées en calligraphie (anglaise, bâtarde, moulée, gothique, ronde). Écriture en caractères d'imprimerie. ⇒ 2. script.
3 ♦ Manière personnelle dont on trace les caractères en écrivant; ensemble des caractères ainsi tracés. ⇒ graphisme. Avoir une belle écriture. Une grosse écriture. Une écriture fine, serrée (cf. Pattes de mouches). Une écriture illisible, de chat. ⇒ gribouillage, griffonnage. Écriture en miroir. Étude du caractère par l'analyse de l'écriture. ⇒ graphologie. Reconnaître, imiter l'écriture de qqn. « Il écrivait rapidement, d'une écriture déliée, symétrique, très nette à l'œil » (Fromentin). « Une mauvaise écriture, irrégulière, épaisse, avec des parties tracées à la hâte, et d'autres inutilement appuyées » (Romains).
4 ♦ Inform. Opération par laquelle une donnée est transférée vers un registre, une mémoire (opposé à lecture). — Par ext. Opération globale de transfert de l'unité de traitement vers le support physique d'un périphérique. L'écriture d'un secteur sur disquette.
5 ♦ (1879) Littér. Manière de s'exprimer par écrit. ⇒ style. Roman d'une écriture classique. ⇒ 1. facture. « L'écriture artiste » (Goncourt). Écriture automatique : technique surréaliste visant à traduire exactement la « pensée parlée ».
♢ Acte d'écrire un texte. « Il invente qu'on écrit pour soi seul ou pour Dieu, il fait de l'écriture une occupation métaphysique » (Sartre). — Par anal. (Bx-arts) Graphisme. Le Greco « n'y prend d'abord qu'une écriture souple et forte » (Malraux).
6 ♦ Dr. Écrit. Écritures privées, publiques. Faux en écriture privée, publique, de commerce ou de banque. — Plur. Actes de procédure nécessaires à la soutenance d'un procès. Les faits énoncés par les écritures.
♢ Comptab. Inscription au journal ou sur un compte correspondant à une opération déterminée. Passer une écriture. Les écritures : la comptabilité d'un commerçant, d'une entreprise. Tenir les écritures. — Admin. Employé aux écritures : employé de bureau chargé de travaux n'exigeant pas de compétence technique comptable. ⇒ gratte-papier, scribouillard.
7 ♦ (Avec É majuscule) L'Écriture sainte, les Saintes Écritures, et absolt L'Écriture, les Écritures : les textes de l'Ancien et du Nouveau Testament. ⇒ bible.
● écriture nom féminin (latin scriptura) Système de signes graphiques servant à noter un message oral afin de pouvoir le conserver et/ou le transmettre. Action d'écrire : Faire une page d'écriture. Ensemble de caractères écrits ; manière propre à chacun de les former : Avoir une belle écriture. Manière d'exprimer sa pensée par l'écrit, par le son, par l'image : Roman d'une écriture recherchée. Calligraphie Tracé des lettres considéré du point de vue des règles de la calligraphie ou d'un point de vue esthétique (par exemple l'anglaise, la bâtarde, la ronde, la gothique). Droit Écrit ayant une valeur probatoire. Informatique Enregistrement d'une information dans une mémoire ou sur un support quelconque. ● écriture (citations) nom féminin (latin scriptura) Jean-Marie Gustave Le Clézio Nice 1940 L'écriture est la seule forme parfaite du temps. L'Extase matérielle Gallimard ● écriture (expressions) nom féminin (latin scriptura) Dénégation d'écriture, action de contester l'écriture ou la signature d'un acte sous seing privé. Écriture privée, écrit passé entre individus pour leurs affaires particulières. Écriture publique ou authentique, écrit passé pour affaires, qui a un caractère de publicité ou d'authenticité dressé par un notaire. Vérification d'écriture, procédure destinée à établir qu'un acte sous seing privé a bien été écrit ou signé par une personne déterminée. L'Écriture, l'Écriture sainte, les Écritures, ou les saintes Écritures, ensemble des livres tenus pour inspirés par Dieu et rassemblés dans la Bible. ● écriture (synonymes) nom féminin (latin scriptura) Système de signes graphiques servant à noter un message oral...
Synonymes :
- graphie
Ensemble de caractères écrits ; manière propre à chacun de les...
Synonymes :
- plume (familier)
écriture
n. f.
d1./d Représentation des mots, des idées, du langage au moyen de signes. écriture alphabétique, idéographique, phonétique.
d2./d Caractères écrits, forme des lettres tracées. écritures ronde, bâtarde, anglaise, gothique.
d3./d Manière particulière à chacun de former les lettres. J'ai reconnu son écriture. Une belle écriture.
d4./d Fig. Manière de s'exprimer par écrit. Une écriture simple.
d5./d ADMIN Ce que l'on inscrit, ce que l'on consigne pour garder trace d'une opération. Employé aux écritures.
|| (Plur.) Comptabilité d'un commerçant, d'un industriel, d'une administration. Tenir les écritures.
|| DR écrits que l'on fait à l'occasion d'un procès.
d6./d (Avec une majuscule.) Texte saint, sacré. L'écriture sainte, les Saintes écritures ou, absol., les écritures: la Bible.
⇒ÉCRITURE, subst. fém.
I.— [Correspond à écrire I]
A.— Représentation graphique d'une langue. Pour le moment, je m'en tiens à l'idée fondamentale. Celle de l'écriture proprement dite, est de copier les sons; et celle de l'écriture hiéroglyphique, est de représenter les idées (DESTUTT DE TR., Idéol., 2, 1803, p. 282) :
• 1. Puisqu'il y a des troubles électifs, qui atteignent le langage parlé à l'exclusion du langage écrit, ou l'écriture à l'exclusion de la parole, et que le langage peut se désagréger par fragments, c'est qu'il se constitue par une série d'apports indépendants et que la parole au sens général est un être de raison.
MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, 1945, p. 204.
1. Écriture + adj. déterminatif
a) Système de représentation graphique. Écriture hiéroglyphique, idéographique, phonétique :
• 2. Dans l'alphabet grec primitif, on ne trouve pas de graphies complexes comme notre « ch » pour , ni de représentations doubles d'un son unique comme « c » et « s » pour s, pas non plus de signe simple pour un son double, comme « x » pour ks. Ce principe, nécessaire et suffisant pour une bonne écriture phonologique, les Grecs l'ont réalisé presque intégralement. Les autres peuples n'ont pas aperçu ce principe, et leurs alphabets n'analysent pas la chaîne parlée en ses phases acoustiques homogènes.
SAUSSURE, Cours de ling. gén., 1916, p. 64.
b) Ensemble des caractères d'un système de représentation graphique. Écriture cunéiforme, cyrillique, arabe, romaine, chinoise :
• 3. De grandes plaques sont historiées du haut en bas d'inscriptions cunéiformes, une écriture dont le principe est le coin ou clou groupé et disposé de diverses manières.
GAUTIER, Guide de l'amateur au Musée du Louvre, 1872, p. 190.
c) Ensemble des formes particulières de chacun des caractères dans un système de représentation graphique. Écriture anglaise, bâtarde, gothique, ronde, script. L'idée de variété soutenue a fait également adopter la ronde, la bâtarde — et jusqu'à l'imitation de l'écriture courante — naturellement accommodées suivant l'habituelle « esthetic » (E. LECLERC, Nouv. manuel typogr., 1932, p. 376).
2. P. anal. Enfin, au treizième siècle, un Allemand, Franco de Cologne, inventa l'écriture des sons par carrés, cercles et points, sur et entre les lignes (KASTNER, Gramm. mus., 1837, p. 10).
3. Au fig. Mes yeux te disent que je t'aime. Regarde-moi donc dans les yeux, ça y est écrit, et toute fille sait lire dans cette écriture-là (SAND, Mare au diable, 1846, p. 157).
B.— En partic.
1. Manière personnelle de tracer les caractères. Belle, grande, grosse, jolie écriture. Je prends cette lettre avec émotion; mais, grand Dieu! que devins-je en reconnoissant l'écriture de Maria (GENLIS, Chev. Cygne, t. 2, 1795, p. 71).
♦ Expert en écritures. Graphologue assermenté :
• 4. Les experts en écritures ont déclaré que le bordereau, qui n'était pas de Dreyfus, était de Dreyfus. Les experts en écritures ont déclaré que le bordereau, qui est d'Esterhazy, n'était pas d'Esterhazy.
CLEMENCEAU, Vers la réparation, 1899, p. 398.
2. Façon d'orthographier :
• 5. ... rien n'est plus facile que de constater la conformité de l'écriture d'un texte, ou sa non-conformité, avec l'orthographe légale, aux dépens de la véritable connaissance, c'est-à-dire de la sensation poétique.
VALÉRY, Variété III, 1936, p. 281.
II.— [Correspond à écrire II] Action d'écrire; ce qui est écrit.
A.— Action de rédiger de la correspondance; résultat de cette action :
• 6. Je hais tant les lettres que je ne puis en écrire qu'en leur donnant le style et l'écriture de lettres d'affaires et forcées.
MALLARMÉ, Corresp., 1867, p. 254.
B.— Domaine de la litt.
1. Action de composer un ouvrage littéraire; résultat de cette action. Je tiens le plan de « Nana » (...) Je ne pourrai me mettre à l'écriture que dans une quinzaine de jours (ZOLA, Corresp., 1902, p. 505).
— En partic. Écriture automatique (cf. automatique A 1 a spéc.).
2. Manière de s'exprimer par écrit. J'en arrivai à Flaubert et à Baudelaire, je découvris alors le style, l'art abstrait de l'écriture (VALÉRY, Lettres à qq.-uns, 1945, p. 14) :
• 7. Dès la première lecture, j'ai été ravi. Comme c'est admirablement cela! Comme la délicatesse d'écriture convient exactement à la délicatesse de pensée!
RIVIÈRE, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1907, p. 280.
— En partic. Pratique du langage envisagée du point de vue de sa production et de sa destination sociales :
• 8. L'écriture (...) est la langue littéraire transformée par sa destination sociale. (...) L'écriture est donc essentiellement la morale de la forme, c'est le choix de l'aire sociale au sein de laquelle l'écrivain décide de situer la nature de son langage.
R. BARTHES, Le degré 0 de l'écriture, p. 24, 26 ds FOULQ. 1971.
— P. anal., ARTS. Action de signifier une réalité matérielle ou spirituelle au moyen de structures artistiques :
• 9. Le gothique, le roman même connurent toujours deux écritures : la première est celle du style monumental, depuis la colonne jusqu'à la pureté; la seconde est l'écriture à volutes de maintes miniatures, tapisseries et figures de vitraux...
MALRAUX, Les Voix du silence, 1951, p. 249.
C.— DROIT
1. Preuve écrite :
• 10. Les parties seront entendues devant le juge-de-paix, sans qu'elles puissent fournir d'écritures, ni employer le ministère d'aucun homme de loi et de pratique.
Le Moniteur, t. 2, 1789, p. 447.
2. Au plur. Actes de procédure, conclusions, mémoires effectués à l'occasion d'un procès. Anton. plaidoirie.
Rem. Attesté ds la plupart des dict. gén., excepté Ac. 1932.
♦ Écritures privées. ,,Écritures qui émanent des particuliers dans le cas où l'on peut se passer du ministère d'officiers publics, livres de commerce, et, surtout, actes ou billets sous seings privés, promesses, reconnaissance, registres et papiers domestiques`` (CAP. 1936).
♦ Écritures publiques. ,,Écritures qui émanent d'officiers publics et qui reçoivent par là l'authenticité`` (CAP. 1936).
D.— ADMIN., COMM., au plur. Ensemble des registres, comptes et correspondances :
• 11. Faute d'avoir pu m'arrêter à temps, le désordre s'était introduit dans mes écritures, et ma liquidation se présentait sous l'aspect le plus déplorable.
REYBAUD, Jérôme Paturot, 1842, p. 445.
— P. méton. La comptabilité :
• 12. Trois mois plus tard la compagnie de paquebots était mise en faillite et le directeur poursuivi pour irrégularités dans les écritures commerciales.
MAUPASSANT, Une Vie, 1883, p. 220.
♦ Commis aux écritures. Commis chargé des comptes et des correspondances.
♦ Jeu d'écritures. Il avait inscrit l'ingénieur, et s'était inscrit lui-même, chacun pour cinq cents actions, qu'il devait payer par un jeu d'écritures (ZOLA, Argent, 1891, p. 138).
♦ Tenir les écritures. Être chargé des comptes et des correspondances. À travailler douze heures par jour pour tenir les écritures d'un boutiquier (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 2, 1859, p. 48).
E.— RELIG. [Dans le lang. chrét. avec une majuscule et l'art. déf.] L'ensemble des textes de l'Ancien et du Nouveau Testament; la Bible. L'Écriture, l'Écriture sainte, la Sainte Écriture, les Écritures, les Saintes Écritures. L'Écriture a dit que le commencement de la sagesse était la crainte de Dieu (CHAMFORT, Max. et pens., 1794, p. 29) :
• 13. Pour lui, toutes les Écritures, anciennes et modernes, religieuses et laïques, de Moïse à Berthelot, étaient certaines, étaient divines, étaient l'expression de Dieu. L'Écriture sainte en était seulement l'exemplaire le plus riche...
ROLLAND, Jean-Christophe, Dans la maison, 1909, p. 1033.
Rem. On rencontre ds la docum. a) Le néol. écriturement, adv. Du point de vue de l'écriture. Génie incontestable, éclatant fréquemment surtout vers le milieu de l'œuvre, des pages (...) comme l'« Expiation » [bien qu'inférieure écriturement parlant au « Feu du Ciel » (« Orientales »), prototype] (VERLAINE, Œuvres posth., t. 2, Critiques et conférences, 1896, p. 343). b) Écriturier, subst. masc. Synon. écrivailleur (s.v. écrivailler rem. b). Un écriturier millionnaire et lyonnais, auteur innommable d'une « Vie d'Ernest Hello » (BLOY, Journal, 1894, p. 137).
Prononc. et Orth. :[]. Enq. ://. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1050 Sainte escriture (Alexis, éd. Ch. Storey, 258); b) 1121-34 « ce qui est écrit, les livres » si cum dit escripture (PH. DE THAON, Bestiaire, éd. E. Walberg, 82); 2. 1re moitié XIIe s. ms. « représentation de la parole et de la pensée par des signes » (Traduction de St Grégoire ds Alexis, éd. W. Fœrster et E. Koschwitz, p. 164 : Lascripture); 3. 1311 « type de caractères employés dans tel ou tel système d'écriture » (Arch. JJ 145, pièce 1321 ds GDF.); 4. 1465 « style, art d'écrire » (ROBERTET, Renvoy à Mr de Montferrant ds G. CHASTELLAIN, Œuvres, éd. K. de Lettenhove, t. VII, p. 181); 5. 1549 dr. (EST.); 1723 compt. les écritures (J. SAVARY DES BRUSLONS, Dict. universel de comm.); 6. a) 1837 « tout système de représentation graphique » l'écriture des sons (KASTNER, Gramm. mus., p. 10); b) 1920 écriture automatique « technique surréaliste » (MARCEL, Journal, 1920, p. 235). Du lat. class. scriptura « écriture, écrit, ouvrage », la forme du mot s'expliquant par le contact qu'il a toujours gardé avec la langue écrite. Fréq. abs. littér. : 3 248. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 4 928, b) 4 731; XXe s. : a) 4 827, b) 4 169. Bbg. GOHIN 1903, p. 244 (s.v. écriturier). — Litt. (La) et son double. Actual. terminol. 1974, t. 7, n° 10, p. 2. — PAMART (P.), RIVERAIN (J.). Mots ds le vent. Vie Lang. 1969, p. 526.
écriture [ekʀityʀ] n. f.
ÉTYM. V. 1050, escriture; lat. class. scriptura, du supin de scribere « écrire ».
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1 (Av. 1150). Système de représentation de la parole et de la pensée par des signes conventionnels tracés et destinés à durer. || L'antiquité attribuait aux Phéniciens la découverte de l'écriture. || Système d'écriture. ⇒ Graphie, graphisme. || Relatif à l'écriture. ⇒ Grapho-; -graphie. || Écriture pictographique, idéographique, représentant les idées par des signes (⇒ Idéogramme; hiéroglyphe). || Les écritures chinoise, égyptienne, cunéiforme sont idéographiques. || Écriture phonétique, représentant les mots ou les sons par syllabes (écriture syllabique) ou par phonèmes isolés (écriture alphabétique). ⇒ Alphabétisme; → Alphabétique, cit. 2. || Adopter une écriture alphabétique. ⇒ Alphabétiser (s'). || Les écritures phénicienne, hébraïque, grecque, romaine sont alphabétiques. || Signes de l'écriture alphabétique. ⇒ Alphabet, lettre; consonne, voyelle; majuscule, minuscule. || Écriture dont les signes sont tracés de gauche à droite (égyptien, sanscrit, latin, langues européennes modernes), de droite à gauche (hébreu, chaldéen, syrien, arabe, persan, turc). || Écriture grecque primitive (⇒ Boustrophédon). || Déchiffrement des écritures anciennes. ⇒ Paléographie. || Passage d'une écriture à une autre. ⇒ Transcription, translittération. || Écriture universelle. ⇒ Pasigraphie. || Système d'écriture des aveugles. ⇒ Braille, cécographie. || Écriture secrète, chiffrée. ⇒ Chiffre, cryptographie; code.
1 Lorsque les nations germaines conquirent l'empire romain, elles y trouvèrent l'usage de l'écriture (…)
Montesquieu, l'Esprit des lois, XXVIII, 11.
2 L'architecture commença comme toute écriture. Elle fut d'abord alphabet. On plantait une pierre debout, et c'était une lettre, et chaque lettre était un hiéroglyphe et sur chaque hiéroglyphe reposait un groupe d'idées comme le chapiteau sur la colonne.
Hugo, Notre-Dame de Paris, V, II.
2.1 (…) Séil-kor remit à Carmichaël une large feuille de papier couverte par lui de mots étranges mais parfaitement lisibles, dont la périlleuse prononciation se trouvait fidèlement reproduite au moyen de l'écriture française; c'était la Bataille du Tez, transcrite à l'instant par le jeune noir sous la dictée de l'empereur.
Raymond Roussel, Impressions d'Afrique, p. 431-432.
3 Depuis au moins un millénaire avant qu'Abraham vînt au monde, les hommes du Sinéar savaient fixer leur pensée. Tour à tour, suivant une évolution traditionnelle, leur écriture avait été pictographique, c'est-à-dire figurative, chaque dessin désignant l'objet; puis idéographique, le signe correspondant non plus à une figure, mais à une idée; stylisée peu à peu, elle était devenue syllabique; c'est seulement plus tard que l'alphabet naîtra.
Daniel-Rops, Histoire sainte, I, III, p. 76.
3.1 En même temps que l'étrusque, et sans doute avec une influence de celui-ci, les langues indo-européennes italiques non écrites auparavant ont emprunté l'écriture grecque : ce sont, outre le latin, l'ombrien, l'osque et le falisque (qui ont été ensuite éliminés par lui). La direction de l'écriture a été diverse. Le latin a connu la direction droite-gauche, puis le boustrophédon, et ne s'est fixé en gauche-droite qu'au IVe siècle av. J.-C., sans doute sous l'influence du grec littéraire.
M. Cohen, l'Écriture, p. 75.
♦ L'ensemble des caractères, dans un système d'écriture (dans les écritures syllabiques ⇒ Syllabaire; alphabétique; alphabet). || Manuscrit couvert d'écriture grecque. || Banderole ornée d'écriture chinoise. || Manuscrit couvert d'écriture au recto et au verso. ⇒ Opisthographe.
4 (Un élément de l'ornementation mauresque) c'est l'emploi de l'écriture comme motif de décoration; il est vrai que l'écriture arabe avec ses formes contournées et mystérieuses se prête merveilleusement à cet usage.
Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 167.
♦ Didact. (anthropol.). Tout « système de communication humaine au moyen de signes spatio-visuels fixes et conventionnels à deux ou trois dimensions qui articulent des messages analysables » (J. Rey-Debove, Sémiotique). || Les quipous sont une écriture.
2 (1311). Type de caractères adopté dans tel ou tel système d'écriture. || Écriture égyptienne (démotique, hiératique), grecque, cyrillique, arabe, coufique, karmatique, hébraïque, gothique, romaine. || Écriture ammonéenne. || Transcrire l'arabe en écriture romaine. ⇒ Romaniser. || Écriture syriaque (⇒ Estranghela). || Écriture romaine en grands caractères. ⇒ Onciale. || Écriture usuelle du sanscrit (⇒ Devanâgarî; brâhmî). — Ensemble de caractères (manuscrits) d'un style particulier, dans une écriture donnée (notamment l'écriture latine). || Principales écritures employées en calligraphie. ⇒ Anglaise, bâtarde (→ Bâtard, cit. 7), gothique, moulée, ronde. || Écriture en caractères d'imprimerie. ⇒ Script. || Écriture courante, cursive, expédiée. || Éléments d'écriture. ⇒ Délié; plein; jambage, liaison, paraphe, trait.
3 Ensemble des caractères (appartenant à une écriture, 1.) tels qu'ils sont tracés par une personne en écrivant. || L'écriture de qqn. || Une écriture. || Avoir une belle écriture. → Avoir une belle main. || Écriture large, grasse; grosse écriture. ⇒ Grosse. || Écriture fine, serrée; petite écriture. ⇒ Minute. || Écriture chancelante (cit. 4), tremblée; illisible. ⇒ Gribouillage, gribouillis, griffonnage, patarafe. || Écriture petite et peu lisible. → Pattes de mouche, d'araignée. || Une écriture pleine de paraphes (cit. 1.1). || Étude du caractère par l'analyse de l'écriture. ⇒ Graphologie. || Expert en écritures : graphologue assermenté. Forme de l'écriture : écriture anguleuse, arrondie, ronde, calligraphique, filiforme, jointoyée, simplifiée. Dimension : écriture dilatée, grande, petite, serrée, surélevée. Direction : écriture droite, descendante, inclinée, montante, progressive, régressive, renversée, sinueuse. Pression : écriture épaisse, fine, maigre, pâteuse. Vitesse : écriture lente, rapide, lancée, dynamogéniée. Ordre : écriture enchevêtrée, ordonnée. Continuité : écriture inégale, inhibée, juxtaposée, liée, suspendue, groupée. — Écriture inversée de certains aphasiques. ⇒ Spéculaire (écriture). || Reconnaître l'écriture de qqn sur l'enveloppe d'une lettre. || Je ne parviens pas à lire son écriture. || Déchiffrer (cit. 3) une écriture. || Imiter l'écriture de qqn. — ☑ Prov. (vx). Il est bien âne de nature qui ne sait lire son écriture.
5 (…) cette bonne vieille écriture de prêtre, droite, ferme, un peu grosse, qui dit tant de choses à la pensée, et qu'un mondain hâté et convulsif ne saurait voir.
Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 34.
6 Il écrivait rapidement, d'une écriture déliée, symétrique, très nette à l'œil, et semblait se dicter à lui-même à demi-voix.
E. Fromentin, Dominique, III.
7 (…) soixante-dix-sept lettres, toutes de la main de Huet, de cette petite écriture, nette, fine, serrée, minutieuse et distincte jusque dans les abréviations (…)
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 3 juin 1850, t. II, p. 182.
8 La prose lui était facile et négligeable; sa véloce écriture inclinée couvrait en quelques minutes des pages et des pages. L'alexandrin envahissant (…) s'élançait en pattes d'insectes, en mandibules aiguës (…) Active, sensible, joyeuse écriture, qui me transmit combien de messages affectueux (…)
Colette, l'Étoile Vesper, p. 119.
9 L'écriture est un dessin, souvent un portrait, presque toujours une révélation. Celles des poètes du dernier demi-siècle valent des motifs décoratifs, et je me divertis aux graphismes importants d'Henri de Régnier, de Pierre Louÿs (…) roulés, déferlants comme la vague, annelés comme les vrilles de la viorne. Les messages de Robert de Montesquiou sont des labyrinthes de calligraphie (…)
Colette, l'Étoile Vesper, p. 180.
10 Les feuillets étaient épars sur le lit. Ils étaient au nombre de cinq, couverts de sa bizarre écriture hiéroglyphique où chaque lettre était isolée, — habitude qui datait de l'époque où il faisait des thèmes grecs.
Martin du Gard, les Thibault, t. IX, p. 12.
11 Mais l'écriture le surprenait. Une mauvaise écriture, irrégulière, épaisse, avec des parties tracées à la hâte, et d'autres inutilement appuyées.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. II, VI, p. 68.
12 Pitteaux saisit la lettre avec répugnance, cette sale petite écriture irrégulière, pointue, avec des ratures et des taches (…)
Sartre, le Sursis, p. 115.
4 Façon dont un texte est écrit (II.). Voir ci-dessous, B., 2.
5 (XXe). Manière dont une œuvre graphique est exécutée, réalisée par son auteur; style graphique. || L'écriture d'un dessin, d'un tableau, d'une décoration. ⇒ Graphisme; dessin (cit. 2). || L'écriture de Matisse, de Dufy.
13 Et il existait à Venise un goût plutôt qu'un style, anguleux, un peu oriental, où s'unirent le Tintoret et Bessano, et que le Greco retrouvera. Il n'y prend d'abord qu'une écriture souple et forte dont les lignes s'emmêlent comme des algues sur des rochers (…)
Malraux, les Voix du silence, p. 419.
14 (…) l'écriture de l'affiche, de la caricature, des albums destinés à la jeunesse n'est pas sans unité; et celle des dessins de fous est parfois aussi rigoureuse que celle des maîtres.
Malraux, les Voix du silence, p. 449.
B Action d'écrire.
1 (Au sens I de écrire). Rare. || L'écriture d'une lettre, d'un mot, d'un signe graphique. — Par anal. ⇒ Notation. || « Franco de Cologne inventa l'écriture des sons par carrés, cercles et points… » (Kastner, 1837, in T. L. F.).
♦ Spécialt (plus cour.). Le fait d'écrire (I., 5.) des lettres. || L'écriture d'une lettre. || Aimer l'écriture plus que la conversation. ⇒ Correspondance.
15 Je ne réponds point à tout ce que vous dites sur l'écriture : croyez-vous que je prenne moins de plaisir que vous à notre conversation ? Je me repose des autres lettres quand je vous écris.
Mme de Sévigné, 1085, 10 nov. 1688.
2 (1465; au sens II de écrire). Le fait, l'action d'écrire, de créer en langage; l'activité de l'écrivain.
16 Écrire me paraissait donc un travail très différent de l'expression immédiate, comme le traitement par l'analyse d'une question de physique diffère de l'enregistrement des observations (…) Je trouvais de même que les recherches de forme auxquelles devait conduire cette conception de l'écriture, demandaient une manière de voir les choses, et une certaine idée du langage, plus subtiles, plus précises, plus conscientes que celles qui suffisent à l'usage naturel.
Valéry, Variété V, p. 87.
17 Il (l'écrivain du XIXe siècle) parle volontiers de sa solitude et, plutôt que d'assumer le public qu'il s'est sournoisement choisi, il invente qu'on écrit pour soi seul ou pour Dieu, il fait de l'écriture une occupation métaphysique, une prière, un examen de conscience, tout sauf une communication.
Sartre, Situations II, p. 166.
♦ Rare (avec un compl.). || L'écriture d'un roman, d'un poème, sa production.
♦ ☑ Loc. (1920). Écriture automatique : une des techniques surréalistes visant à traduire instantanément la « pensée parlée », et consistant à rédiger « un monologue de débit aussi rapide que possible, sur lequel l'esprit critique du sujet ne puisse porter aucun jugement, qui ne s'embarrasse par suite d'aucune réticence, et qui soit aussi exactement que possible la pensée parlée » (A. Breton, Premier manifeste du surréalisme). ⇒ Automatisme (cit. 4.1, C. Rochefort).
17.1 On a pu penser que l'écriture automatique rendait les poèmes inutiles. Non : elle augmente, développe seulement le champ de l'examen de conscience poétique, en l'enrichissant.
Éluard, Donner à voir, Pl., t. I, p. 980.
18 (…) l'écriture automatique est avant tout la destruction de la subjectivité : lorsque nous nous y essayons, nous sommes traversés spasmodiquement par des caillots qui nous déchirent, dont nous ignorons la provenance, que nous ne connaissons pas avant qu'ils aient pris leur place dans le monde des objets et qu'il faut percevoir alors avec des yeux étrangers.
Sartre, Situations II, p. 215.
18.1 Les phénomènes bizarres de l'inconscient — l'écriture automatique etc. doivent s'interpréter ainsi : Certains mécanismes généraux ou fonctions ont appris de la conscience à exécuter certains actes après de nombreuses répétitions.
Valéry, Cahiers, t. II, Pl., p. 206.
♦ Manière d'écrire (emploi quasi syn. de style, au XIXe s., mais que l'on peut interpréter aujourd'hui selon les concepts ci-dessous). || L'écriture artiste (cit. 14, Goncourt).
♦ Didact. Action de produire du discours écrit, correspondant sur le plan graphique à l'énonciation. || L'écriture (production) s'oppose au texte (produit).
♦ (1953, Barthes). Spécialt La pratique de l'écrivain quant à l'« usage social de la forme » qu'il utilise, au delà de la langue; le système signifiant spécifique (→ ci-dessus le sens A, 4) que cette pratique engendre (dans cet emploi, écriture s'oppose à style, → cit. 18.2; il peut être quasi synonyme de langage littéraire).
18.2 Mérimée et Lautréamont, Mallarmé et Céline, Gide et Queneau, Claudel et Camus, qui ont parlé ou parlent le même état historique de notre langue, usent d'écritures profondément différentes; tout les sépare, le ton, le débit, la fin, la morale, le naturel de leur parole (…)
Placée au cœur de la problématique littéraire, qui ne commence qu'avec elle, l'écriture est donc essentiellement la morale de la forme, c'est le choix de l'aire sociale au sein de laquelle l'écrivain décide de situer la nature de son langage.
R. Barthes, le Degré zéro de l'écriture, p. 17-18.
REM. Le sommaire de cet ouvrage fournit de nombreux exemples de l'emploi : « écritures politiques; l'écriture du roman; y a-t-il une écriture poétique; triomphe et rupture de l'écriture bourgeoise; écriture et révolution ».
18.3 Or, ce style (de Chateaubriand) sert à lever une valeur nouvelle, l'écriture, qui est, elle, débordement, emportement du style vers d'autres régions du langage et du sujet, loin d'un code littéraire classé (code périmé d'une classe condamnée) (…) le style est en quelque sorte le commencement de l'écriture : même timidement (…) il amorce le règne du signifiant.
R. Barthes, Roland Barthes, p. 80.
♦ ☑ Loc. Écriture blanche : écriture neutre, poursuivant le « degré zéro de l'écriture » (appliqué par Barthes à Camus, Blanchot, Cayrol).
3 Fig. Création artistique au moyen de signes spatiaux (arts plastiques) ou temporels (arts du temps : musique, danse, cinéma, etc.), selon des modalités propres (à un genre, à un moyen d'expression, à une finalité collective, à un individu…).
18.4 Le gothique, le roman même connurent toujours deux écritures : la première est celle du style monumental, depuis la colonne jusqu'à la pureté; la seconde est l'écriture à volutes de maintes miniatures, tapisseries et figures de vitraux (…)
Malraux, les Voix du silence, p. 249.
18.5 L'écriture filmique ou littéraire prend pour référence la quotidienneté, mais dissimule avec soin la référence.
Henri Lefebvre, la Vie quotidienne dans le monde moderne, p. 21.
1 Cour. (Une, des écritures). || Manuscrit dont on a effacé la première écriture. ⇒ Palimpseste (et cit. 3).
19 Votre dernier mot m'a si touché que je veux vous le dire ainsi que je le sens, au risque de vous lasser de mes écritures.
Sainte-Beuve, Correspondance, t. I, p. 374.
2 Dr. Ce qui, étant écrit selon certaines normes, a valeur probatoire. ⇒ Preuve. || Écritures privées, émanant de particuliers (ex. : actes sous seing privé). || Écritures publiques, émanant d'officiers publics. || La dénégation d'écriture privée donne lieu à un examen judiciaire (vérification d'écritures). || Contestation des écritures publiques. ⇒ Faux (inscription de faux). || Faux en écriture privée, publique, de commerce ou de banque.
♦ N. f. pl. || Écritures : actes de procédure nécessaires à la soutenance d'un procès. || Les faits énoncés par les écritures.
20 Le Commissaire : — (…) qui me payera mes écritures ?
Molière, l'Avare, V, 6.
3 (1723). Comm. || Les écritures : ensemble des comptes, de la correspondance commerciale d'une entreprise, d'un commerçant. ⇒ Comptabilité. || Tenir les écritures. || Écritures servant de vérification. ⇒ Contrepartie. || Une écriture : inscription au journal ou sur un compte correspondant à une opération déterminée. ⇒ Article (supra cit. 16). || Passer une écriture. || Cette opération ne nécessite pas de mouvements de capitaux; elle se réduit à un jeu d'écritures.
21 On adopterait le taux de 4%, qui n'avait en fait aucune importance, puisque tout se ramenait à un jeu d'écritures.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XVIII, p. 125.
♦ Admin., comm. || Commis aux écritures, employé aux écritures : employé de bureau chargé de travaux n'exigeant pas de compétence technique comptable. ⇒ Bureaucrate, copiste, expéditionnaire, rond-de-cuir, scribe.
4 (V. 1050). D'après le lat. chrét. scriptura. (Avec É majuscule). || L'Écriture sainte, les Saintes Écritures, et, absolt, L'Écriture, les Écritures : les Livres Saints. ⇒ Bible, livre. || Comparaison, concordance, conformité des Écritures. || Livres poétiques des Écritures (⇒ Hagiographe). || Prêtre, docteur qui interprétait les Écritures. ⇒ Hiérogrammate. || Sens littéral et sens spirituel de l'Écriture.
22 Les chrétiens disent à la vérité que leur Écriture a été inspirée par le Saint-Esprit; mais (…) elle est regardée comme un livre dangereux pour le plus grand nombre des fidèles.
Voltaire, Dict. philosophique, Livres.
23 Je vous avoue aussi que la majesté des Écritures m'étonne, que la sainteté de l'Évangile parle à mon cœur.
Rousseau, Émile, IV.
Encyclopédie Universelle. 2012.