GRAPHISME
Écrire l’histoire du graphisme en Occident, c’est faire le récit d’un cheminement obscur et parallèle à celui de la peinture. Ce cheminement n’a pas commencé avec la peinture de plein air, au XIXe siècle, mais avec les portraits charges que Léonard de Vinci, Bernin et Annibal Carrache traçaient comme par jeu en marge de leur œuvre, révélant que, dans l’esprit des artistes les plus aptes à transmettre l’idée de beauté, le procès de cette dernière était déjà en cours. Un type de dessin, libéré de la peinture, devenait ainsi le versant critique de l’art. Un rapport de contradiction s’établissait entre le «oui» d’une peinture vouée à exalter une beauté dont les canons remontaient à l’Antiquité grecque et le «non» d’un graphisme qui manifestait son autonomie par à-coups. Ces dessins-là que l’on peut considérer comme issus de l’art par la «main gauche» eurent partie liée avec les aspects marginaux de la société.
La trajectoire historique du graphisme passe par les gueux, les comédiens et les soldats de fortune de Jacques Callot; par les débauchés et les prostituées de Hogarth; avec Toulouse-Lautrec, le graphisme triomphe face à l’impressionnisme libéré du carcan du dessin, en faisant surgir un univers de prostituées, de viveurs, de chanteuses de caf’conc’ – monde qui, à l’opposé de la peinture de plein air, est celui de la lampe à pétrole et de la rampe à gaz.
Lorsque, vers la fin des années cinquante, le trait fait une apparition remarquée dans le monde de la peinture, il semble introduire un facteur de désordre. Il s’accompagne souvent d’un discours critique à l’égard de l’expressionnisme abstrait et de la société capitaliste. Mais ses manifestations, très diverses, ressemblent à un combat contre des adversaires qui se dérobent: le modèle se dérobe devant les exigences d’une volonté d’imitation désormais sans objet (Titus-Carmel); l’esprit de subversion se trouve rapidement sans ennemi, l’institution culturelle faisant sien le renoncement à ce que l’on appelle alors l’«académisme abstrait»; la société capitaliste que représente cette institution crée déjà les lieux (le futur Centre Georges-Pompidou, en particulier) où ces «nouvelles figurations» prendront place. Ainsi, ces tendances échappent en fin de compte aux intentions souvent critiques de leurs auteurs et ne peuvent éviter d’entrer plus vite que par le passé dans le cours de l’histoire de l’art.
Les «nouvelles figurations»
L’art abstrait, en libérant l’art de la figuration, l’avait du même coup libéré de son équivalent dans le domaine du langage écrit et parlé: la description. Il visait à s’adresser directement à la sensibilité, voire à la sphère spirituelle de l’être, en faisant l’économie du langage, ou en substituant à ce dernier un nouvel ordre de signes, capable d’en appeler à une pensée non encore formulée. Pour que le dessin reprenne sa place dans la peinture, il fallait que l’image redevienne la préoccupation première de l’artiste. Elle avait certes continué à jouer un rôle dans la publicité, la bande dessinée, le cinéma et la télévision. Aussi est-ce en puisant dans le réservoir d’images constamment renouvelé de la publicité, de la bande dessinée, des magazines, des séquences de télévision et dans l’objet produit que Rauschenberg, par exemple, introduisit l’objet dans des collages.
En 1961, à la biennale de Liverpool, un groupe d’artistes anglais, dont certains sont encore élèves au Royal College of Art, s’affirme comme le tenant d’une nouvelle figuration. Ses membres ont pour nom Allen Jones, Derek Boshier, David Hockney, Max Shepherd, Peter Phillips, Norman Poynton et Brian Wright. Prétendant tirer leur inspiration de leur environnement immédiat, ils juxtaposent dans leurs toiles des objets d’usage courant, des images publicitaires, des personnages sommairement représentés qui donnent l’impression d’être projetés dans le mouvement général de la consommation. Le dessin est souvent esquissé, proche de l’effacement, rageur, comme s’il exprimait à la fois une affirmation et une négation. À cet égard, la toile de David Hockney, The Most Beautiful Boy in the World (1961), fait figure de manifeste: un personnage dont on ne sait s’il est nu ou simplement en partie effacé apparaît à travers la transparence d’un déshabillé féminin. Un fragment de publicité – Alka Sel –, des portées musicales, des inscriptions rappelant les graffitis, un nombre à la signification obscène, une échelle grossièrement tracée, des personnages minuscules sont réunis autour de lui ainsi que l’inscription qui donne son titre (sans majuscule) au tableau. En dépit de son hétérogénéité, l’œuvre apparaît tout à la fois comme une protestation, une provocation, une confession... Le dessin est au cœur de l’œuvre. Agressif, fragile, ambigu, il est chargé d’intentions, nourri par la révolte. Les artistes pop américains entreprennent un peu plus tard de simplifier la composition. Un champ d’expériences est ouvert. Il est à la fois esthétique – c’est l’expérience de la rupture – et critique – c’est l’époque des grandes vagues contestataires. Il s’y engouffre des œuvres de haute température, enveloppées de froids calculs ou teintées d’humour (Claes Oldenburg). Cette poussée figurative connaît ensuite une période d’épanouissement en Europe, en particulier en France. Cinéma et télévision sont sollicités comme «modèles» de composition dans les œuvres de Monory d’Aillaud, d’Equipo Cronica (appellation que se donnent deux artistes espagnols qui travaillent en étroite collaboration). Dans les œuvres de ces peintres, le fait historique ou social, l’anecdote cèdent le pas à un emprunt ironique aux séquences médiatiques.
À côté de ces nouvelles figurations persiste une abstraction «minimaliste» dont l’expression trouve son aboutissement en France dans le groupe Supports/Surfaces, lié au mouvement littéraire animé par la revue Tel quel . D’autres artistes que ceux qui se signalent par leur appartenance à l’un des courants de la «nouvelle figuration» méritent assurément l’attention. L’expression graphique et plastique se double d’un discours politique qui est souvent le fait des artistes eux-mêmes. Bernard Dufour s’abandonne aux déchirements d’une inspiration érotique pour faire éclore, dans ses dessins mêlés d’écritures, un «nouvel espace»; Veli face="EU Caron" カkovi が cherche dans la vitesse le référentiel commun à des représentations anatomiques humaines et animales promises à une chute inévitable; Adami articule corps et objets dans des compositions dominées par la froideur; Gérard Titus-Carmel et Wolfgang Gäfgen s’efforcent de recréer la notion de modèle à travers la simulation d’une imitation minutieuse.
Des œuvres à dominante graphique méritent d’être citées: celle de Combas, où les surfaces sont tourmentées par des formes humaines et animales qui se veulent sans grâce; celle d’Erró, qui accumule, dans des toiles divisées en carrés, une imagerie politique et culturelle; celle, encore, d’Antonio Segui, qui, à sa manière, recrée les gauches envolées d’un Chagall. D’autres peintres se proposent d’allier le graphisme à la peinture: Rouan couvre ses toiles d’un fourmillement de traits et, grâce à l’allongement de quelques-uns de ceux-ci, «centre» un sujet difficilement identifiable; Jean-Paul Bertrand, dans ses Quatre Mouvements pendulaires secs (1983), couvre de larges surfaces d’un dessin fragile, plus proche du froissement que du tracé; Garouste bâtit chacune de ses œuvres autour des longues silhouettes de personnages sortis de ses sources d’inspiration écrites: l’œuvre de Dante et la Bible.
Dans une série de dessins que la présence de quatre carrés réguliers a fait abusivement appeler «Fenêtres», Christian Frappier a su poser, en 1977, le problème de la répétition et de la variation. En introduisant dans chacun de ses dessins un «pleurage» plus ou moins étendu, il a divisé la surface en deux parties de façon irrégulière: la partie inférieure, encore occupée par le quadrillage originel, n’est déjà plus de ce fait qu’une mémoire; et la partie supérieure forme une surface rendue à la blancheur des commencements possibles. Les années quatre-vingt ont été marquées, sur le plan graphique, par la «nouvelle figuration libre», dont les acteurs, épris d’expériences brutes, ont fréquemment fait leur apprentissage en couvrant des palissades de chantiers et des murs pignons: tel fut le cas de Keith Harring, qui donnait du rythme aux surfaces, et de Jean-Michel Basquiat, qui, lui, avait choisi de les maltraiter.
Écriture et calligraphie
Le dessin peut chercher son origine dans l’écriture. Tel est le cas des logogrammes de Christian Dotremont, poète du groupe Cobra («Mon but est l’unité d’inspiration verbale-graphique»). Seul ou associé à Corneille ou à Alechinsky, il réalise l’équivalent graphique de la glossolalie. Alechinsky déploie un dessin tentaculaire sur des fonds informels. Parti d’une représentation tournoyante en forme de pieuvre, il aboutit souvent à la spirale («Le dessin est comme de l’écriture dénouée et renouée autrement»). Cette spirale est devenue le leitmotiv de nombre d’affiches qu’il a réalisées.
À côté de ces artistes issus du mouvement Cobra, d’autres sont directement influencés par la pensée orientale; quel que soit le support utilisé, ils insistent plus volontiers sur la direction du geste créateur que sur la composition et s’efforcent de mettre en évidence les rapports du vide et du plein, du blanc et du noir. De ce point de vue, l’œuvre de Degottex paraît exemplaire. Judith Reigl ne lui cède en rien sur le plan de l’ascétisme et de l’austérité.
C’est d’une inspiration encore différente que semble procéder l’expression graphique récente de Zao Wou-ki. On connaît la situation paradoxale de ce peintre venu de Chine, attiré par la peinture de Cézanne, et qui redécouvrit l’Orient grâce à la vision des tableaux et des dessins de Klee. Ses dessins marquent une redécouverte de la nature à travers ses «éléments» (au nombre de cinq, en Chine: eau, feu, bois, métal, terre). C’est par l’intermédiaire de ces éléments primaires que le peintre se faisant dessinateur cherche l’origine du dessin.
La mouvance surréaliste
À l’intérieur de la mouvance surréaliste, encore très active bien qu’à l’arrière-plan de la scène de l’art, des artistes font preuve d’un talent sans concession: Konrad Klapheck dessine soigneusement des objets et des pièces de mécanismes articulées dépourvus d’atmosphère mais dont l’étrangeté et la solitude appellent irrésistiblement le rapprochement avec la condition humaine; Hervé Télémaque semble se rapprocher, par son graphisme et l’emploi des couleurs acryliques, des artistes pop mais sort les objets de leurs circulations marchandes pour les entraîner dans des circuits oniriques. Avec Christian d’Orgeix, on passe à un art très raffiné dont le graphisme est l’équivalent d’un scalpel – scalpel qui traite la couleur comme un viscère. Parti d’un art à base de décalcomanies, il s’oriente vers l’étalement de représentations anatomiques – dont on ne sait si elles sont humaines ou animales –, écartelées jusqu’à l’éclatement pour, par la suite, représenter les formes qui sont comme refermées autour d’un pôle invisible et qui concentrent en elles les caractéristiques de l’animal, du végétal et du minéral. Camacho, lui, se réclame de l’alchimie. Ses constructions articulées semblent être autant de tentatives pour rebâtir le squelette humain.
Dans la plupart des œuvres contemporaines, graphisme et peinture sont rarement dans un rapport de complémentarité dynamique. Raison de plus pour souligner l’exceptionnelle réussite, dans ce domaine, de l’Argentine Delia Cugat. Dans ses toiles, le dessin participe à l’élaboration d’un univers dont l’atmosphère fantastique tient, pour une bonne part, à un rapport de complémentarité entre l’unité picturale et la fragmentation extrême d’un dessin qui parcourt toute la surface, la froisse et la fait frissonner. Ce dessin sert à construire les volumes et à organiser leur fuite. L’harmonie de la toile repose ainsi sur un jeu minutieux et savant de dysharmonies. Le travail tient de la brisure et de l’ajustage, et ce n’est pas sans plaisir que l’on voit perler la couleur à la jointure de certaines coupures.
Les modes d’expression dits mineurs
Pour ce qui concerne la publicité – l’affiche, en particulier –, la caricature, le dessin d’humour, la bande dessinée, on est contraint, en fait d’innovation, de parler au passé. En effet, si, d’une certaine manière, l’art contemporain vit largement sur les années soixante et soixante-dix – en dépit d’un retour marqué à l’abstraction pendant les années quatre-vingt –, les moyens d’expression dits mineurs du graphisme ne constituent plus une riposte militante aux événements politiques et sociaux; ils se contentent d’en être les témoins plus ou moins indignés. Par ailleurs, la société, prompte hier à condamner ceux qui la combattaient, est aujourd’hui demandeuse de nouveauté, ce qui signifie qu’elle sait s’approprier dans ce qui la condamne ce qui lui permet de se revivifier. La notion de modernité tout comme celle de postmodernité permettent d’élaborer de grandes machines conceptuelles destinées à assimiler la nouveauté, à la prévenir.
Du début des années soixante à la fin des années soixante-dix, on assiste dans le domaine de l’affiche à l’éclosion d’un grand nombre de talents: regroupés autour de Milton Glaser, les artistes du Push Pin Studio, Seymour Schwast, Paul Davis, James MacMullan, donnent naissance à un nouvel art de l’image qui, de l’aveu même d’Andy Warhol, n’a pas été sans influence sur le pop art; chez les Japonais se distinguent, appartenant pour la plupart au Japanese Advertising Art Club, Kiyoshi Awazu, Ikko Tanaka et Kasumasa Nagai, auxquels il convient d’ajouter deux «satellites» d’importance: Tadanori Yoko et Shigeo Fukuda; en Pologne, enfin, à la suite de Henryk Tomaszewsky, Roman Cieslewicz, Waldemar Zwierzy, Jan Lenica, Maciej Urbaniec, puis, plus tard, Jan Sawka, Boleslav Lustyk, Francizk Starowieyski, Andrej Pagowsky ne cessent de donner de la force à l’image. Parmi les «indépendants», Vittorio Fiorucci, Canadien d’origine italienne, se distingue par sa capacité de maintenir une continuité dans ses productions tout en faisant preuve d’un exceptionnel pouvoir de métamorphose.
Jusqu’aux années quatre-vingt, le graphiste est moins convié à imiter le produit qu’à mettre en place des équivalents symboliques. Le seul groupe qui ait réussi à fondre des individualités dans la recherche d’un style commun est Grapus. Il est fondé en 1970 par trois élèves de l’éphémère Institut d’environnement – Pierre Bernard, Gérard Paris-Clavel et François Miele –, unis par l’amité et leurs convictions communistes. Ils s’orientent tout naturellement vers la création d’affiches de propagande. L’affiche annonçant la «Fête de l’Huma» en 1980 est particulièrement représentative de leurs partis pris: maladresse simulée, traits ressemblant plus à des griffures et à des «dérapages» qu’à ce qu’on appelle communément du dessin. Tout concourt à marginaliser ces créateurs qui retrouvent, par des moyens détournés, l’origine de la persuasion. C’est la force des complices de Grapus que d’agir comme s’ils étaient à la place de «ceux qui ne savent pas» et qui «s’essayent»... Mieux vaut parler à leur propos d’interventions que de réalisations.
Caricature et bande dessinée
Pour la caricature, le dessin d’humour et la bande dessinée, tout s’est également joué entre 1960 et 1980. La caricature s’est d’ordinaire montrée très conservatrice sur le plan de la création graphique. On ne peut guère déceler de changement significatif entre une caricature née au XVIIe siècle et une autre réalisée au début du XIXe. Il a fallu l’apparition de nouvelles techniques de reproduction, et en tout premier lieu la lithographie, pour obliger le caricaturiste à tirer parti de cette transformation. Dans les années soixante, marquées par les affrontements liés à la décolonisation, la caricature se veut souvent un instrument au service de l’émancipation des peuples. Siné, dans L’Enragé , utilise un style de graffitiste pour s’en prendre au régime mis en place par le général de Gaulle, ce qui lui vaut saisies et interdictions. À la même époque, Hara-Kiri , avec Wolinski, Cabu, Fred et, surtout, Reiser, engage la lutte pour briser les tabous concernant la morale et les interdits relatifs au langage. Reiser impose un trait de plume «à l’écorché», semblable à celui que faisaient les mauvais élèves dans leurs cahiers avant l’invention du crayon à bille.
À côté de ces «épines» graphiques, les «séries» de Jules Feiffer, publiées, à New York, dans The Village Voice , peuvent sembler «plus lisses». Et pourtant il s’agit là d’une des plus féroces critiques menées par la gauche intellectuelle des États-Unis. Ces suites de dessins découpent habituellement un monologue en une série de répliques qui se terminent par une «chute» d’une cruauté rare. Feiffer se contente, dans de nombreux cas, de reproduire le même profil énonçant des propos laconiques et sentencieux. En France, Claire Bretécher reprendra, avec succès, ce type de dessins critiques dans Le Nouvel Observateur .
S’il est un genre dans lequel les graphistes américains ont excellé pendant la période de contestation qui a accompagné et suivi la guerre du Vietnam, c’est celui de la bande dessinée. La remise en cause – provisoire – des valeurs de la société américaine y est, là aussi, totale, à travers, en particulier, le Fritz the Cat et le Mr. Natural de Robert Crumb. Là, le graphisme se veut provocateur. L’obsession sexuelle sert de fil conducteur. À la suite de Robert Crumb, des cartoonistes d’un nouveau genre font leur apparition: Victor Moscoso, Vaughan Bodé, Richard Corben... Déjà, au début des années cinquante, l’équipe de Mad , réunie par Harvey Kurtzman, avait ouvert la voie à la contestation en se livrant à une parodie sans merci des bandes dessinées classiques dont la publication se poursuivait dans les journaux américains – se survivait, pourrait-on ajouter, dans la mesure où les créateurs de ces bandes avaient été pour la plupart remplacés par des tâcherons consciencieux.
Le dessin d’humour et le triomphe de la ligne
Parallèlement à la caricature traditionnelle – représentée aux États-Unis par David Levine, dont les portraits charges s’inspirent des gravures sur bois du XIXe siècle – se développe une forme de dessin d’humour qui s’intéresse moins aux faits sociaux qu’aux attitudes culturelles, morales et esthétiques. Les dessinateurs humoristiques sont hantés par les rapports de l’individu et de la société et par les formes variables qu’ils peuvent prendre. Les Anglais Gerald Scarfe et Ralph Steadman, l’Alsacien Tomi Ungerer sont parmi les dessinateurs les plus radicaux. Les figures qu’ils couchent sur le papier sont étirées, écrasées et – chez Ralph Steadman, en particulier – explosent dans des taches d’encre. Un Ronald Searle, au contraire, préfère se faire le chroniqueur – sous l’œil bienveillant d’animaux domestiques qui semblent «en avoir vu d’autres» – des petites absurdités émiettées dans la vie quotidienne. James Thurber, écrivain et dessinateur, se livre à une description misogyne des rapports conjugaux.
Le procès de la forme est magistralement dressé par Saül Steinberg, qui «dénude» la ligne en la libérant de toute confusion avec ce qu’elle est amenée à représenter. Chez lui, le trait devient le présent insoumis de toute forme que, dans un même mouvement, il fait et défait. L’un des plus prodigieux dessins qui aient jamais été exécutés est ce «labyrinthe» représenté par une ligne droite à partir de laquelle s’élabore la représentation du réalisé et du possible. Unique, elle joue le rôle d’axe de symétrie, de plan d’eau, de ligne d’horizon et, également, de ligne de chemin de fer... Bonne à tout faire, elle ne se confond pourtant avec rien de ce qu’elle donne à voir. Elle rend compte du vide, du plein, de la forme dans tous ses états. «Ma ligne veut rappeler constamment qu’elle est faite d’encre», dit Steinberg. Son dessin confesse, à chaque instant, le mensonge de ses représentations.
On peut dire que, depuis les années cinquante, les graphistes ont «fait le tour» du dessin. Celui-ci apparaît aujourd’hui comme le fil tiré d’un tissu entièrement défait – trame et chaîne serrée d’une réalité reconnue par tous. Quoi que fasse l’artiste, il ne peut, au mieux, qu’user du trait comme d’une frontière ténue entre le visible et ce qui ne l’est pas – semblable à celle où la parole se frotte au silence –, comme d’une ligne de séparation qui maintient nos facultés éveillées et qui, après avoir fait cause commune avec la croyance, a maintenant partie liée avec la conscience.
graphisme [ grafism ] n. m.
• 1875; du gr. graphein « écrire »
1 ♦ Caractère propre de l'écriture, et spécialt Caractères particuliers d'une écriture individuelle, donnant des indications sur la psychologie, les tendances du scripteur (⇒ graphologie).
2 ♦ (1920) Aspect des signes graphiques, considérés sur le plan esthétique. « Léonard de Vinci eut la fortune de dire presque tout dans l'idiome international du graphisme » (Cocteau).
● graphisme nom masculin (de graphique) Caractère particulier d'une écriture individuelle ; manière d'écrire propre à quelqu'un impliquant sa personnalité. Manière de tracer un trait, de dessiner : Le graphisme d'Albrecht Dürer. ● graphisme (synonymes) nom masculin (de graphique) Caractère particulier d'une écriture individuelle ; manière d'écrire propre à quelqu'un...
Synonymes :
- graphie
graphisme
n. m.
d1./d Façon d'écrire de qqn, considérée du point de vue de la graphologie.
d2./d BX-A Manière de dessiner particulière à un artiste. Le graphisme de Picasso.
⇒GRAPHISME, subst. masc.
A. — LINGUISTIQUE
1. Manière de représenter un langage par des signes écrits. P. méton. Signe graphique. L'instruction musicale se borne à donner aux enfants une connaissance élémentaire du graphisme musical (Enseign. mus., 1, 1950, p. 17). Des machines à lire, c'est-à-dire à traduire le graphisme en sons (SCHAEFFER, Rech. mus. concr., 1952, p. 119).
2. P. ext. Manière d'écrire, écriture individuelle souvent envisagée dans ses implications psychologiques. La suggestibilité se trahit par une déformation du graphisme (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 18).
B. — ARTS GRAPH. Manière de tracer des lignes, des courbes, souvent envisagée d'un point de vue esthétique :
• ... le dessin n'est plus qu'un schéma, une arabesque linéaire qui silhouette le mouvement d'un trait (...). L'esprit du Japon devait fatalement évoluer vers ce graphisme prodigieux qui satisfait par sa réalisation propre, comme les volutes écrasées, effilées ou sinueuses de leurs beaux idéogrammes, les besoins sensuels de l'imagination...
FAURE, Hist. art, 1912, p. 216.
Prononc. : []. Étymol. et Hist. 1875 (A. MAURY, De l'origine de l'écriture, Journ. des savants, août, p. 473 ds LITTRÉ). Dér. du rad. de graphique; suff. -isme. Fréq. abs. littér. : 14. Bbg. QUEM. DDL t. 15.
graphisme [gʀafism] n. m.
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1 Caractère propre de l'écriture, et, spécialt, caractères particuliers d'une écriture individuelle, donnant des indications sur la psychologie, les tendances… du scripteur (⇒ Graphologie; → Écriture, cit. 9).
2 (1920). Aspect de signes graphiques (écriture, dessin, etc.), considérés sur le plan esthétique. || Le graphisme de Daumier. || Les graphismes des écritures arabe, chinoise, japonaise. ⇒ Calligraphie.
1 La beauté des lignes et l'élégance de leur graphisme est en Occident l'apanage exclusif des artistes, mais en Orient, en Chine, le besoin de la beauté est resté si universel que ces mêmes qualités sont requises jusque dans le simple tracé de l'écriture.
René Huyghe, Dialogue avec le visible, p. 32, note no 25.
2 Léonard de Vinci eut la fortune de dire presque tout dans l'idiome international du graphisme. Ses textes s'accompagnent de dessins explicatifs.
Cocteau, Journal d'un inconnu, p. 126.
3 Ensemble des productions graphiques, de l'illustration, de la typographie, des signes conventionnels, que réalisent les graphistes. — (Un, des graphismes). Production graphique de ce genre.
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DÉR. Graphiste.
Encyclopédie Universelle. 2012.