PERSONNE
La notion de personne a longtemps été du seul ressort de la psychologie et de la philosophie: une longue tradition occidentale s’est interrogée sur la persona , devenue progressivement la catégorie permettant de subsumer l’âme et le corps pensés comme indissociables, doués de raison et perfectibles. Par la suite, les études psychologiques de la personne se sont davantage centrées sur les problèmes du comportement, sur les interactions entre les différentes personnalités, sur les processus de l’éducation et sur l’univers de valeurs qui en formait le contexte. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que s’est amorcée une mise en perspective générale de la catégorie de personne par la prise en compte des différences culturelles. Lucien Lévy-Bruhl tout d’abord, puis Marcel Mauss et Maurice Leenhardt ont été, par leurs recherches ethnographiques, les premiers à souligner l’étendue des dissemblances entre les représentations occidentales et celles des sociétés traditionnelles – bien que Mauss fût, en 1938, encore tenté de repérer entre elles une ligne évolutive. Loin d’être naturelle et univoque, l’idée judéo-chrétienne et humaniste de la personne s’est donc progressivement révélée n’être qu’une forme particulière parmi d’autres de la représentation de l’être humain, tant pour les éléments constitutifs de celui-ci que pour son fonctionnement et son insertion dans l’organisation sociale d’un groupe donné. L’approche anthropologique montrait ainsi que la notion de la personne est, au même titre que d’autres, un fait local de représentation, qu’elle est par là solidaire de l’état de structures sociales particulières, et qu’elle a sa spécificité par rapport à la perspective psychologique, qui reste attachée à l’élucidation de la «personnalité» comme attribut universel de l’être humain.
De l’étymologie à la métaphysique
Selon l’étymologie traditionnelle, «personne» vient du latin persona , terme lui-même dérivé du verbe personare , qui veut dire «résonner», «retentir», et désigne le masque de théâtre, le masque équipé d’un dispositif spécial pour servir de porte-voix.
Cette étymologie est généralement attribuée à Boèce (VIe s.). En réalité, elle est déjà attestée chez Aulu-Gelle, IIe siècle. Mais elle est fausse. Pour des raisons d’accentuation (la deuxième syllabe de persona est longue, la deuxième syllabe de personare est brève), il est impossible que persona dérive de personare . Au reste, on a découvert un mot étrusque, phersu , qui pourrait être l’amorce d’un persuna , changé bientôt en persona , et qui semble signifier masque. Cette explication, même probable, reste cependant discutée.
Ce qui est sûr, c’est qu’une fois formé, le terme persona a été perçu plus ou moins comme un calembour du verbe personare , bien que leurs origines diffèrent, bien que la phonétique elle-même, en raison de la divergence d’accents, n’ait pu favoriser de tous points leur rapprochement. Persona signifiait «masque», sans plus; mais en le prononçant, un Latin entendait (à peu près) un groupe de syllabes qui signifiait «sonorité», «résonance». Comme, de surcroît, le masque était, du moins à certaines époques, un résonateur, un amplificateur, persona apparaissait comme un terme imagé, descriptif, et même expressif.
Persona , qui était le masque de scène, est devenu peu à peu le porteur de masque, l’acteur, puis le personnage joué par l’acteur, le rôle. Du théâtre, des choses du théâtre, il est passé aux choses de la vie, c’est-à-dire au rôle social joué par le personnage social. Mais ce personnage et son rôle pouvaient être considérés à deux points de vue: soit selon la charge exercée, la dignité, le rang, la richesse, les responsabilités (c’était là un sens purement sociologique, en référence aux institutions romaines: ce sens a fini par être codifié dans le langage des juristes; c’est lui qu’on retrouve dans la distinction classique des droits personnels et des droits réels), soit selon la conscience apportée à remplir les devoirs de la charge, à assumer la dignité requise par la fonction ou le statut (d’où la moralisation progressive de la persona , c’est-à-dire du rôle social; une éthique de la personne en est résultée, dont les stoïciens ont fourni la première esquisse: on peut le voir par l’emploi qu’ils font du grec prosôpon , utilisé selon le sens de la persona latine).
Le droit romain a porté jusqu’à nous la notion de la personne juridique. Le stoïcisme, puis le christianisme ont porté jusqu’à nous la notion de la personne morale, de celle qui est sujet de droits et d’obligations dans l’ordre moral. C’est cette dernière notion qui a resurgi dans la morale de Kant, dans la philosophie de Renouvier et, de nos jours, dans le personnalisme de Max Scheler, de Gabriel Marcel, d’Emmanuel Mounier, de Maurice Nédoncelle, de Jean Lacroix [cf. PERSONNE].
Curieusement, la notion métaphysique de la personne ou la notion de la personne ontologique, pas seulement juridique ou morale, est venue d’un autre point de l’horizon. Ce sont les penseurs de l’école néo-platonicienne, les philosophes de la basse Antiquité (Porphyre, seconde moitié du IIe s.), qui ont conçu l’idée de la «singularité substantielle», dénommée en raccourci hypostase. Les chrétiens (soit les Pères grecs, soit les Pères latins) ont repris cette idée et, en outre, admis, vers le milieu du IVe siècle, l’équivalent des termes «hypostase» et «personne». C’est pourquoi la persona , qui n’avait rien de métaphysique au départ, est entrée dans le vocabulaire de l’ontologie et s’est mise à désigner, dans le cadre de ce vocabulaire, le principe ultime d’individuation: à savoir ce qui singularise chacun d’entre nous, ce qui le singularise non pas accidentellement (par son physique, par sa position dans le monde), mais substantiellement (comme tel acte d’être, telle position dans l’être).
L’idée d’une personnalisation comme actuation de soi, comme position de soi dans l’être même, n’est donc pas une idée récente. C’est une idée préchrétienne, reprise par les chrétiens, exaltée par les modernes. Ceux-ci lui ont conféré une densité dramatique en renouvelant le langage de l’ontologie par le langage de la liberté. La personne est devenue liberté de position, d’autoposition, c’est-à-dire de création de soi par soi. Cette créativité, appliquée à la personne humaine et par elle étendue à la transformation du monde, au devenir historique, au progrès par la science et par l’art, par la réflexion et l’action, se trouve être à la fois l’idéal le plus stimulant de la civilisation moderne et la conclusion la plus haute de la civilisation antique.
Si les chrétiens ne sont les inventeurs ni de la persona latine ni de l’hypostase grecque, ils n’en ont pas moins été les serviteurs les plus zélés de la notion de personne. Ce sont eux qui l’ont vulgarisée, à l’occasion des controverses trinitaires et des controverses christologiques. Surtout, ils l’ont mise en pratique, ils l’ont rendue pratique, en la liant aux idées de charité, de fraternité, d’égalité de tous devant Dieu. Jusqu’au christianisme, la notion de personne ne concernait que les personnes d’importance, celles qui dans la société jouaient les premiers rôles. À partir du christianisme, tout homme, toute femme, l’enfant lui-même ont eu droit à la même considération, à «l’éminente dignité de la personne».
Approche anthropologique
Le problème de l’individuation
Dès les travaux de Maurice Leenhardt sur le sujet (1947), un premier niveau de contraste avec la pensée occidentale s’est manifesté à propos de l’individuation: chez les Mélanésiens – mais aussi dans bien d’autres sociétés –, la catégorie de la personne ne fournit pas un schéma individuant de l’être humain. L’individu en tant que tel est dépourvu de pertinence: l’être humain ne se définit que par des «rôles» partiels auxquels il adhère dans des situations données et par les places sociales qui lui sont dévolues, soit par la naissance, soit par acquisition. Dans cette société, comme dans certaines sociétés africaines, le corps à lui seul ne circonscrit pas nécessairement un individu. Il semble bien plutôt que jouent ici, selon les termes de Roger Bastide, deux «antiprincipes d’individuation»: la pluralité des éléments constitutifs de la personne, et la fusion de l’individu avec l’espace qui l’entoure et avec la temporalité où il s’insère. Cela ne signifie, certes, pas que les membres de ces sociétés ne reconnaissent pas de principes différenciateurs ni qu’ils se conçoivent dans une sorte de flou diffus de l’être-au-monde, mais que la personne ne s’achève qu’au terme de déterminations progressives, dans un processus qui s’effectue tout au long de la vie sociale et grâce à tout un système de signes et de marques, notamment le nom, qui en instaure la singularité. Celle-ci, cependant, n’existant que dans de multiples réseaux sociaux et mythiques, s’inscrit très différemment de celle de l’homme des sociétés industrielles, centrée sur le «moi» et sur l’intériorité.
La notion de personne en anthropologie définit donc le savoir d’une société relatif à l’être humain en tant que situé à une place sociale qui est authentifiée, corrélative de droits et d’obligations et localement conçue comme «naturelle». Une telle conception n’est pas séparable des autres ordres de représentations – cosmogoniques, symboliques, biologiques, etc. – propres à toute société. Loin d’être indifférenciée, elle apparaît, comme l’a montré Claude Lévi-Strauss, fortement organisée, selon des taxinomies et classifications quelquefois très complexes, en tout cas toujours hétérogènes à l’unicité d’un moi, à une identité simple qui ordonnerait les rapports d’un sujet au monde. Toutefois, l’usage anthropologique de ces systèmes classificatoires est une construction qui a une valeur heuristique, et qui, commode pour l’analyse, n’est, pas plus que pour l’homme moderne, opératoire en totalité, à tout instant et en toute situation. Aussi, le terme même de «personne», bien que ses connotations classiques l’empêchent de rendre compte exactement des représentations traditionnelles, reste-t-il un concept pratique, aucun autre ne semblant plus approprié.
Les composantes de la personne dans les sociétés soudanaises
Les analyses de la personne effectuées par Marcel Griaule et Germaine Dieterlen chez les Dogon et les Bambara du Mali ont eu historiquement une influence considérable et ont marqué l’essor des recherches ultérieures – ce qui explique partiellement l’importance des travaux des africanistes sur ce thème. Fondées sur de longues observations, elles ont mis en évidence des systèmes complexes de composantes ou d’éléments: systèmes «corporels», «spirituels» et sociaux. D’une manière schématique, on peut dire que la personne dogon comprend le corps périssable, huit principes spirituels individuels et non transmissibles (dont l’«âme» et le «double»), la force vitale et le contenu des clavicules – composé des symboles des graines des huit céréales fondant l’alimentation dogon et correspondant, comme l’être humain, aux quatre points cardinaux et aux quatre éléments. La «force vitale» est un fluide véhiculé par le sang et reçu du père, de la mère et d’un ancêtre défunt qui a choisi l’individu considéré et qui a lui-même bénéficié de la force vitale d’un ancêtre précédent. Le géniteur mythique de l’humanité, le Nommo, confère, de son côté, une part de la personnalité. Le corps, dont la représentation anatomique prolonge des représentations cosmogoniques, constitue, lui aussi, une des composantes de cette synthèse.
Chez les Bambara, culturellement proches des Dogon puisqu’ils sont issus aussi du Mande, la composition de la personne obéit à la même logique de «disjonction inclusive» d’éléments qui, aux yeux d’un observateur occidental, relèvent de niveaux distincts. L’«âme» et le «double», principes spirituels existant en permanence dans le groupe social, quittent le corps lors du décès (l’«âme» est conservée dans un autel individuel et le «double» retourne au fleuve où demeure le génie de l’eau) et ils se réincarnent lors d’une nouvelle naissance. Un autre élément, que l’on peut très approximativement traduire par «caractère», mais aussi par «force vitale», est transmis par les deux parents et par le défunt dont l’individu a hérité l’«âme» et le «double». Le corps est, comme dans bien d’autres sociétés, une partie de l’édifice de la personne, et permet de discerner par son aspect la nature de la «force vitale» ou la sexuation de l’«âme» et du «double». Certaines parties du corps, comme les cheveux, peuvent contenir une part du principe spirituel qu’est l’«âme».
Ces conceptions soudanaises de la personne présentent des traits que l’on retrouve avec de multiples variantes dans de nombreuses sociétés traditionnelles: s’y trouvent juxtaposés des éléments individuels rendant compte de la singularité de l’individu (non-transmissibilité; croyance à une détermination prénatale du destin individuel, par exemple), des éléments héréditaires qui marquent l’insertion de l’individu dans la chaîne filiative et des éléments symboliques qui l’intègrent dans l’univers (cosmogonie, mythes). Une telle pluralité d’éléments, tout en ne fonctionnant pas comme principe d’individuation, a nécessairement – et de façon non contradictoire – une fonction intégrative.
Personne, corps et hérédité
Dans les sociétés traditionnelles, les notions de personne et de corps se trouvent étroitement imbriquées, puisque certaines parties du corps peuvent être considérées comme des supports privilégiés de principes spirituels ou d’âmes. De même, certains éléments physiologiques participent pleinement à l’édification de la personne, parallèlement à des entités plus «immatérielles». À cet égard, la distinction classique entre matériel et immatériel, homologue de celle d’âme et de corps, se révèle dépourvue ici de pertinence, puisqu’un principe peut être véhiculé ou même matèrialisé par un organe corporel, tout comme un caractère physique (telle marque corporelle, par exemple) ne devient signifiant qu’en fonction de la grille locale de représentations de l’homme. C’est la notion d’hérédité qui permet de rendre compte partiellement de l’articulation des différents niveaux. La personne, dans une société donnée, est, en effet, souvent soutenue par une pensée «biologique», qui est aussi une pensée du destin individuel. On peut saisir par là comment, dans la personne, se correspondent un pôle non individuant (les déterminations produites indépendamment du sujet par la seule chaîne de l’engendrement) et un pôle qui accentue l’extrême singularité (les déterminations particulières, immanentes et contraignantes, de la destinée individuelle).
Ainsi, chez les Samo du Burkina Faso, le «destin individuel» est en lui-même une des neuf composantes de la personne, les autres étant le corps, l’ombre portée, la chaleur, la sueur, le souffle, la vie, la pensée et le double. Certaines de ces composantes ressortissent directement à l’hérédité, tel le corps: la chair est donnée à l’enfant par la mère, le sang par le père. D’autres, comme la vie, principe véhiculé par le sang, sont absolument individuels. Le double, lui, est immortel et remis par Dieu dans le sein de la mère, en même temps que le souffle; il quitte chaque nuit le corps pour des pérégrinations dont le dormeur prend connaissance par le rêve. Seul des neuf composantes à ne pas disparaître au moment de la mort, le double continue à mener pendant un certain temps une «vie de mort» avant de passer définitivement dans un arbre particulier.
Pour les Gourmantché du Burkina Faso, le destin individuel est largement déterminé avant la naissance, en particulier par les désirs de l’«âme» de l’individu et de celle de ses parents, l’«âme» de la mère étant la seule instance par laquelle ce destin peut être modifié. Cette notion d’un «choix prénatal» de la destinée, qui oriente la chance ou la malchance ultérieure de l’individu, est répandue dans de nombreuses sociétés d’Afrique de l’Ouest: une part de la personne qui préexiste à l’individu physique décide ainsi de la fortune ou des malheurs du destin terrestre, qui pourront toutefois être modifiés par certains rituels. Il arrive que cette destinée puisse être discernée grâce au repérage d’un signe individuel inscrit dans le placenta de la mère. Dans la pensée «biologique» africaine évoquée plus haut, la notion de placenta est, en effet, d’une grande importance: les «principes spirituels» ou composantes psychiques de la personne sont souvent considérés comme des signes présents dans le placenta et de leur nature dépendra le développement individuel ultérieur, tout comme la création de l’espèce humaine a dépendu, selon les mythes d’origine, des signes inscrits dans le placenta primordial.
Les relations de l’homme traditionnel avec les représentations du monde végétal ou animal, loin de relever des catégories d’identification ou de pensée analogique des premiers anthropologues (comme Lévy-Bruhl), sont établies en fonction de correspondances ponctuelles et de transformations réglées. Ainsi, Lévi-Strauss a résolu la question du totémisme en montrant que seule l’analyse des rapports différentiels des animaux totémiques entre eux était pertinente, et non pas l’existence supposée de quelque lien psychique entre l’homme et tel arbre ou tel animal.
Les attributs de la personne: dation du nom et initiation
La personne, notion d’emblée sociale, comporte, outre des composantes, des attributs qui assurent son identité au sein d’un groupe donné et même participent à son achèvement en tant que membre de celui-ci. Le nom individuel constitue un attribut majeur, auquel d’autres déterminations peuvent s’ajouter qui contribuent à préciser cette identité sociale, telles, par exemple, les puissances extra-humaines (identifiées notamment par des devins) des ancêtres supposés se réincarner dans un nouveau-né ou des «génies» ayant élu un individu. Cérémonie importante dans de nombreuses sociétés, la dation du nom est à la fois une étape et un élément quasi physique du processus qui aboutit à la personne, vue ici davantage sous l’angle de son inscription dans le groupe ou dans une lignée filiative que de son inscription biologique: ainsi, de nombreuses sociétés confèrent à l’enfant un nom particulier et fixe qui correspond à son rang dans la succession des naissances de ses frères et sœurs, ou au fait qu’il est venu au monde après des jumeaux, etc. De même, un nom spécial peut être attribué à celui qui naît après des événements familiaux tels qu’une maladie (le sujet porte alors le nom de l’agent responsable, un animal ou une entité extra-humaine, par exemple) ou une série de décès d’enfants (le nouveau-né peut alors être considéré comme la réincarnation de l’un d’eux et être nommé «celui qui revient» comme chez les Senoufo de Côte-d’Ivoire; ou bien on l’appellera «sans nom» pour tromper la vindicte de l’entité responsable). La dation du nom indique les modalités possibles des liens rattachant la personne à son lignage et, au-delà, à son univers social et cosmogonique. Les noms sont ainsi à la fois une partie intégrante de la personne (et peuvent, à ce titre, servir à des manipulations d’attaque en sorcellerie) et des facteurs d’intégration au groupe social. Un même individu peut en avoir plusieurs: les Canaques de Mélanésie – mais cette pratique est largement répandue ailleurs – ont autant de noms différents qu’il existe pour eux de domaines de relations possibles (parentales, ancestrales ou mythiques). Les noms redoublent ainsi la multiplicité des insertions d’un individu, chacune d’elles (lignage, clan, classe d’âge, association initiatique, etc.) définissant un aspect de sa personne.
Le processus initiatique et, à la limite, les rituels qui ponctuent l’ensemble du cycle de la vie individuelle peuvent participer à l’accomplissement de la personne, celle-ci se concevant alors comme un devenir continu. Les Bantou du Sud-Est distinguent, par exemple, cinq grandes étapes de la vie, rythmées par des rites de passage: dans la première enfance, l’individu n’est pas encore une personne (avant ses premières dents); il se forme dans l’enfance, qu’il quitte lors des rites initiatiques de la puberté; il ne devient une personne «complète» qu’en accédant à l’activité sexuelle et procréatrice; à la ménopause, et à l’âge mûr, la personne détient les traditions sociales et devient médiatrice de la vie; elle accède, à la mort, au statut d’ancêtre, lorsque le «souffle» et l’«ombre» ont quitté le corps, le défunt étant intégré définitivement, par un rituel approprié, à la société des ancêtres. La personne est donc bien, autant que la résultante de traits biologiques prédéterminés et immanents au groupe social, un statut qui s’acquiert, dans une marge de possibles qui reste cependant étroite.
Dans les sociétés africaines, la gémellité constitue un axe fondamental des croyances relatives à la personne; il n’existe pas de groupe qui n’ait élaboré un système de représentations portant sur la naissance de jumeaux. Chez les Bantou du Sud-Est, comme les Venda, les jumeaux sont considérés comme étant exclus de l’espèce humaine; de même, chez les Lugbara de l’Ouganda, ils appartiennent à la classe des «hommes-choses» et non à celle des «hommes-personnes». À l’opposé, ils peuvent ailleurs, comme chez les Dogon ou les Bambara, constituer l’idéal mythique, leur naissance étant alors accueillie avec joie. Mais, quels que soient les sentiments et les attitudes qu’elle provoque, la naissance de jumeaux est toujours un événement signifiant, qui doit être décrypté. Par ailleurs, c’est parfois la personne elle-même qui se trouve fondée sur une gémellité première: ainsi les Dogon postulent une androgynie gémellipare originelle, et ils considèrent que la gémellité représente une «perfection ontologique» que les non-jumeaux ont définitivement perdue.
Personne et structure sociale
Conçu dans certaines sociétés comme une faculté innée matérialisable physiologiquement et localisable, par exemple dans un organe du corps humain, le pouvoir de sorcellerie peut en cela constituer un élément de la personne, mais à la différence des composantes et attributs qu’on vient d’évoquer, il n’est évidemment pas partagé par tous et constitue un facteur de différenciation des personnes. Ce pouvoir peut soit être transmissible à l’intérieur d’un même lignage et n’être efficace qu’à l’intérieur de celui-ci, soit, comme chez les Tiv du Nigeria, constituer le propre de certains individus, en l’occurrence ceux qui disposent du pouvoir, toute transmission étant exclue. Parvenir à une position sociale élevée implique la possession de cette qualité et réciproquement; un tel pouvoir est une force autonome qui constitue son propriétaire comme puissant et qui le place au-dessus des autres individus.
La sorcellerie se trouve, en outre, liée aux conceptions de la personne par le biais de la notion de «double». Dans de nombreuses sociétés, comme chez les lagunaires de Côte-d’Ivoire, l’attaque d’un sorcier s’effectue «en double»: c’est la part «double» du sorcier qui agresse celle de la victime, par exemple pendant son sommeil, alors que le double du dormeur a quitté momentanément son corps. Ainsi que l’a montré Marc Augé, le fait d’être accusé de sorcellerie s’articule directement avec les conceptions locales de la personne, car il peut témoigner d’une faille dans la personne sociale de l’individu accusé, c’est-à-dire dans son système d’inclusion à l’intérieur des réseaux sociaux.
Les élaborations relatives à la personne dans les sociétés traditionnelles (conceptions dont on peut trouver bien des équivalents dans d’autres sociétés, telle la Grèce antique avec ses phénomènes de transe, comme le ménadisme dionysiaque) se caractérisent par l’absence d’une dimension, celle de sujet. Bien qu’il faille se garder de considérer l’homme de ces sociétés comme étant dépourvu de la conscience de ses limites corporelles, comme entretenant des rapports diffus avec son univers environnant, etc., il apparaît que la personne, dans un tel contexte, tient la plupart de ses déterminations des situations, des événements ou de puissances actives, indépendamment de toute référence à une subjectivité individuelle – catégorie qui en l’occurrence n’est pas opérante, en tant qu’elle est un produit de la rationalisation et de l’intériorisation de l’humanisme occidental. Non constitutive d’un sujet, la personne des sociétés traditionnelles n’en est pas pour autant une forme rigide et inerte: d’une part, elle ne cesse de prendre en compte la singularité (par exemple, avec les signes placentaires individuels), d’autre part, elle est ouverte à une sorte d’historicité, certaines instances (les devins, par exemple) ayant justement pour fonction d’interpréter tout ce qui peut y faire événement. Par de tels événements singuliers, les croyances qui, quoique applicables à tous les individus, ne sont jamais opératoires dans leur totalité, se trouvent constamment infléchies et d’une certaine façon réorientées.
1. personne [ pɛrsɔn ] n. f.
• 1180; lat. persona « personnage, personne », mot d'o. étrusque « masque de théâtre »
1 ♦ Individu de l'espèce humaine. ⇒ 2. être, homme, individu, mortel. Les personnes et les choses. Relatif à une personne. ⇒ individuel, personnel . Une personne. ⇒ quelqu'un; on; particulier, quidam. Des personnes. ⇒ 1. gens. Quelques, plusieurs personnes. Chaque, toute personne qui... ⇒ chacun, quiconque. Certaines, de nombreuses personnes disent que... ⇒ beaucoup, certain, tel. La personne qui... ⇒ celui. Les personnes qui nous entourent. ⇒ prochain, semblable. Groupe de personnes. ⇒ association, classe, corps, société. Relations entre personnes (⇒ interpersonnel) . Prix par personne. ⇒ tête (cf. Par tête de pipe). Passer par une tierce personne, par personne interposée. Sans acception de personne. — Être humain, en particulier lorsqu'on ne peut ou ne veut préciser l'âge, le sexe (⇒ femme, homme), l'apparence (⇒ 1. dame, monsieur), etc. Une personne de connaissance. ⇒ visage. Les personnes âgées. « C'était une personne — nous n'osons dire une femme — calme, austère » (Hugo). « Ce n'était pas une personne à demeurer en repos » (Jaloux) .
♢ Spécialt GRANDE PERSONNE : adulte, dans le langage des enfants. « Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants » (Saint-Exupéry).
♢ Spécialt (XVIIe) Femme ou jeune fille. « Une de ces jolies personnes qui vont trottant menu, [...] et tortillant un peu des hanches » (Beaumarchais).
2 ♦ Être humain considéré dans son individualité, sa spécificité. La personne de qqn, la personnalité, le moi. Faire grand cas, être content de sa personne, de sa petite personne. Répondre de la personne de qqn, se porter garant de lui. Payer de sa personne. — La personne et l'œuvre (d'un écrivain, d'un artiste).
♢ (XIIe) Le corps, l'apparence extérieure. « Ne trouves-tu pas [...] qu'il est bien fait de sa personne ? » (Molière). Plus cour. Il est bien de sa personne. « je me suis si bien incarné à votre cœur que mon âme est ici quand ma personne est à Paris » (Balzac). — Exposer sa personne, sa vie. La personne d'un souverain. Je m'adresse à la personne (distincte de sa fonction).
♢ (1464) EN PERSONNE : soi-même, lui-même (cf. En chair et en os). Le ministre en personne. — Fig. Incarné. « Il est impassible, il se moque de tout, c'est vraiment le calme en personne » (Henriot). ⇒ personnifié.
♢ LA PERSONNE DE : la personne même. Elle s'en est prise à la (propre) personne de l'orateur.
3 ♦ Individu qui a une conscience claire de lui-même et qui agit en conséquence. ⇒ âme, moi, 3. sujet; et aussi personnalité. Le respect dû à la personne humaine.
♢ Théol. chrét. Les trois personnes de la Trinité. ⇒ hypostase. Personne divine.
4 ♦ Dr. Individu ou groupe auquel est reconnue la capacité d'être sujet de droit. L'esclave « n'est pas une personne dans l'État; aucun bien, aucun droit ne peut s'attacher à lui » (Bossuet) . — (Au point de vue physique) Identité, signalement d'une personne. — Personnes à (la) charge, dont la subsistance et l'entretien sont assurés par qqn (par ex. un conjoint, un enfant, un ascendant). Erreur sur la personne. La personne, sujet de droits civiques, politiques. ⇒ citoyen.
♢ PERSONNE MORALE : groupement de personnes ou établissement titulaire d'un patrimoine collectif et doté de droits et d'obligations, mais n'ayant pas d'existence corporelle. Personne morale et physique (individu). Personnes morales de droit public (ex.État, régions) ou privé (ex.syndicat, association).
5 ♦ ( persone XVe; h. XIIIe ) Gramm. Indication du rôle que tient la personne qui est en cause dans l'énoncé, suivant qu'elle parle en son nom (première personne⇒ je, nous), qu'on s'adresse à elle (deuxième personne⇒ tu, vous) ou qu'on parle d'elle (troisième personne⇒ il[s], elle[s]). La désinence du verbe exprime la personne, le nombre, le mode et le temps. Roman écrit à la première, à la troisième personne. « Vivre et mourir à la troisième personne..., m'exiler en moi » (Cioran). — Par anal. Psychologie à la première personne (subjective), à la troisième personne (objective). « Toute métaphysique est à la première personne du singulier. Toute poésie aussi » (Aragon).
personne 2. personne [ pɛrsɔn ] pron. (nominal) indéf.
• ne... persone « nul » v. 1288; de 1. personne
1 ♦ (Style soutenu) Quelqu'un (dans une subordonnée dépendant d'une principale négative). « Ne vous figurez pas que vous choquerez personne » (Romains). « Mourir ? Il n'est pas question que personne meure » (J.-R. Bloch). — Il sortit sans que personne s'en aperçût. — Cour. (en phrase compar.) Vous le savez mieux que personne. ⇒ quiconque.
2 ♦ (v. 1288) (Avec ne) Aucun être humain (négation de quelqu'un). Personne ne le sait. ⇒ aucun, nul. Que personne ne bouge ! « D'où vient que personne en la vie N'est satisfait de son état ? » (La Fontaine). Rien ni personne ne m'en empêchera. Ce n'est la faute de personne. Je n'accuse, je ne nomme personne. Je n'y suis pour personne. — Il n'y avait personne (cf. Pas un chat), presque personne (cf. Trois pelés et un tondu). « Jacques, ne craignez personne, puisque vous n'êtes comparable à personne » (France). Je ne vois personne qui puisse le remplacer. — Fam. Toujours prêt à s'amuser; mais quand il s'agit de travailler, il n'y a plus personne ! — (Sans ne) Avoir de l'esprit comme personne, comme personne n'en a, beaucoup. « Qui vient ? qui m'appelle ? — Personne » (Musset).
♢ Personne de (suivi d'un adj. ou d'un part. au masc.). « Personne d'autre que Frantz n'avait vu la jeune fille » (Alain-Fournier). « Vous n'avez personne de sérieux à me recommander ? » (Romains ). Je ne connais personne d'aussi intelligent qu'elle. Littér. (sans de) « Personne autre que moi-même » (Louÿs). ⇒ nul.
⊗ CONTR. Quelqu'un; monde (tout le monde).
● Personne tout être capable d'être titulaire de droits et soumis à des obligations (personne physique ou morale).
personne
Pron. indéf. m.
d1./d Quelqu'un, quiconque. Il joue mieux que personne.
d2./d Nul, aucun, pas un. Personne n'est dupe. "Qui a sonné?
— Personne."
————————
personne
n. f.
d1./d Individu, homme ou femme. Un groupe de dix personnes.
d2./d Individu considéré en lui-même. "Je chéris sa personne et je hais son erreur" (Corneille).
|| Individu considéré quant à son apparence, à sa réalité physique, charnelle. Il est assez bien fait de sa personne. Attenter à la personne de qqn, à sa vie.
|| En personne: soi-même (insistant sur la présence réelle, physique de qqn). J'y étais, en personne.
— C'est l'avarice en personne, personnifiée.
d3./d être humain. Le respect de la personne.
|| PHILO être humain considéré en tant qu'individu conscient (du bien et du mal), doué de raison, libre et responsable.
d4./d THEOL CHRET Les personnes divines: les trois personnes de la Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit.
d5./d DR Individu ou être moral doté de l'existence juridique.
— Personne civile ou personne morale: être moral, collectif ou impersonnel (par opposition à personne physique, individu), auquel la loi reconnaît une partie des droits civils exercés par les citoyens. Une commune est une personne civile.
d6./d GRAM "Indication du rôle que tient celui qui est en cause dans l'énoncé, suivant qu'il parle en son nom (1re personne), qu'on s'adresse à lui (2e personne) ou qu'on parle de lui (3e personne)" (Marouzeau). Première, deuxième, troisième personne du singulier, du pluriel.
I.
⇒PERSONNE1, subst. fém.
I. —Individu de l'espèce humaine, sans distinction de sexe.
A. —1. Cet individu défini par la conscience qu'il a d'exister, comme être biologique, moral et social. Le pouvoir que l'homme a de s'emparer de ses capacités naturelles et de les diriger fait de lui une personne (JOUFFROY, Mél. philos., 1833, p.246). La chair se corrompt dès que l'esprit l'abandonne —l'esprit: cette part de nous-même différente des milliards d'humains qui nous ont précédés et qui viendront après nous, cette âme qui peut être sauvée ou perdue mais non détruite. Et nous ne constituons une personne que dans la mesure où elle existe et où nous le savons. L'homme est esprit ou il n'est rien (MAURIAC, Mém. intér., 1959, p.91):
• 1. «Personne» vient, selon lui [Claudel], de per-sonare: résonner à travers; cette étymologie a été interprétée souvent dans un sens trop littéral par ceux qui y voient l'image du personnage théâtral, dont la voix se fait entendre sous le masque. Pour Carus, la personne est l'individu à travers lequel transparaît l'idée et s'exprime la voix de la divinité intérieure. Tout notre effort de progrès personnel doit tendre vers cette transparence.
BÉGUIN, Âme romant., 1939, p.132.
♦La personne humaine. [Expr. tautologique qui insiste sur l'appartenance au genre humain] Individu de l'espèce humaine qui se distingue du simple individu biologique et a droit à la considération parce que doué d'une conscience morale. Synon. l'être humain. Épanouissement, exaltation, liberté, primauté, respect, unité de la personne humaine. La personne humaine est sainte, elle l'est dans toute sa nature, et particulièrement dans ses actes intérieurs, dans ses sentiments, dans ses pensées, (...) dans ses déterminations volontaires (PROUDHON, Propriété, 1840, p.174). Le travail des prolétaires ne leur appartient pas tout entier. Et comme, dans notre société fondée sur la production intensive, l'activité économique est une fonction essentielle de toute personne humaine, comme le travail est une partie intégrante de la personnalité (JAURÈS, Ét. soc., 1901, p.126). Les prisonniers demandaient qu'on respectât en eux la personne humaine et qu'on les nourrît correctement, moyennant quoi ils consentaient à travailler sans trop de répugnance (AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p.189).
2. En partic.
a) PHILOS., MOR., PSYCHOL.
) HIST. DE LA PHILOS., SCOLAST. [Chez Boèce] ,,Individu doué de raison en tant que constituant une substance`` (FOULQ.-ST-JEAN 1962). À la suite de Boèce qui posa la personne comme une «substance individuelle de nature rationnelle», le Moyen Âge engagea la réflexion sur la personne dans une vue tout à la fois individualiste et intellectualiste (Dict. des grandes philos., 1973, p.281).
) Être humain considéré comme un être conscient de son existence, possédant la continuité de la vie psychique et capable de distinguer le bien du mal. La personne, nous l'avons vu, est unité significative, le caractère forme génératrice et déterminante d'une mélodie structurelle (MOUNIER, Traité caract., 1946, p.47).
b) Individu défini par ses droits et ses devoirs. Droits, devoirs, incapacité de la personne. On ne peut vendre la succession d'une personne vivante, même de son consentement (Code civil, 1804, art. 1600, p.295). On dit parfois que les crimes contre la personne individuelle n'étaient pas reconnus chez les peuples inférieurs, que le vol et le meurtre y étaient même honorés (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p.138). La personne des prolétaires ne leur appartient pas tout entière. Ils aliènent une part de leur activité, c'est-à-dire une part même de leur être, au profit d'une autre classe. Le droit humain en eux est donc incomplet et mutilé. Ils ne peuvent plus faire un acte de la vie sans subir cette restriction du droit, cette aliénation de la personne (JAURÈS, Ét. soc., 1901, p.126).
— DROIT
♦Personne future. Être qui n'est pas encore conçu au moment de la réalisation d'un événement (d'apr. BARR. 1974).
♦Personne incertaine, indéterminée. ,,Personne dont l'identité n'est pas déterminable ou déterminée et qui, pour cette raison, ne peut figurer dans un rapport juridique`` (CAP. 1936).
♦Personne à charge; personne à la charge de. Personne dont la subsistance et l'entretien sont assurés par une autre personne qui bénéficie d'un dégrèvement fiscal établi en parts sur la base de son revenu imposable. Pour la mise en oeuvre du quotient familial en matière d'impôt sur le revenu, sont considérés comme personnes à la charge du contribuable (...) son conjoint ou ses enfants mineurs (...) (Jur. 1981).
♦Loc. verb. Il y a, faire erreur sur la personne. V. erreur II C 2 a dr.
c) P. anal.
— Personne morale (de droit privé, de droit public). ,,Être de raison (association, société, fondation), sujet de droits et spécialement titulaire d'un patrimoine collectif, distinct de celui des personnes qui le composent, mais n'ayant pas d'existence corporelle`` (BARR. 1974). L'administration de la Radiodiffusion et de la Télévision française en tant que personne morale se voit dédier (...) l'hommage des travaux accomplis sans que soit oubliée la personne physique de son directeur général (SCHAEFFER, Rech. mus. concr., 1952, p.7).
♦P. ext. [À propos d'une nation] La guerre, l'exercice du droit de la force, de nation à nation, et la conquête qui s'ensuit, est donc le sacrifice d'une ou de plusieurs de ces personnes morales qu'on appelle nations ou États, à une nécessité supérieure qui prime, dans ce cas, le respect dû à cette personne morale, et son droit à l'existence (PROUDHON, Guerre et paix, 1861, p.146).
— Personne juridique. Groupement reconnu comme ayant une existence juridique. [Les villes] devinrent personnes juridiques, selon l'ancien droit civil, et personnes juridiques, selon le droit féodal (THIERRY, Tiers État, 1853, p.29).
— RELIG. [P. réf. au dogme de l'Église cath.] Chacun des trois êtres (Père, Fils, Saint-Esprit) qui constituent un même Dieu dans le mystère de la Trinité bien qu'ils soient égaux ou distincts. La personne divine peut embrasser les faits passés, présents et futurs que notre imagination atteint (à la réserve de notre liberté), mais non ceux qu'une généralisation sans limites épuiserait pour les faire entrer dans la synthèse absolue des choses (RENOUVIER, Essais crit. gén., 3e essai, 1864, p.LXXV). [Jésus-Christ] est sanctificateur et père: Parit; il est docteur:Docet; il est pasteur:Regit. Il est en relation constante, intime, avec les trois personnes divines (DUPANLOUP, Journal, 1851-76, p.110).
♦P. méton. Groupement considéré comme un être unique. Cette personne dont je parlais et qui est la Grèce, ne connaît ni le bon goût ni le mauvais goût. Elle possède cette vertu qui ne relève ni de l'un ni de l'autre (COCTEAU, Maalesh, 1949, p.225).
B. —P. méton. [Souvent précédé du poss.]
1. Le moi, ce qui fait l'individualité. La personne du romancier s'étale, déborde. C'est lui qui est au premier plan (LEMAITRE, Contemp., 1885, p.319). Une lueur fascinante de capacité et de puissance émanait de sa personne (JOUVE, Scène capit., 1935, p.96).
— Adj. poss. + modeste, petite, propre personne. [Avec une valeur hypocor.] Moi, toi, soi-même; lui-même.
♦Loc. verb. Aimer, être satisfait, content de sa (modeste, petite, propre) personne. Être satisfait, content, de soi. Il est content de sa personne, de sa petite personne (Ac.).
♦Faire grand cas de sa personne. Se montrer prétentieux. (Dict.XIXe et XXes.).
♦Payer de sa personne. Se donner sans compter en consacrant tous ses efforts à quelque chose. Le sang dont il était couvert montrait assez qu'il avait payé de sa personne (ABOUT, Roi mont., 1857, p.167). J'ai toujours payé de ma personne!... Ici!... Là-bas!... Ailleurs!... Partout! (...) Jamais éludé un péril! Jamais!... En quel honneur? (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p.521).
♦Ne savoir que faire de sa personne; avoir l'air/être embarrassé de sa personne. Ne savoir quelle attitude adopter. Un grand gaillard en blouse, qui, depuis un instant, rôdait le long de la route, l'air embarrassé de sa personne (ZOLA, Débâcle, 1892, p.407). V. grimaud II ex. de Balzac.
— Acception de personne.
— Être personne à. Être capable de. (Dict.XIXe et XXes.).
2. Apparence extérieure de l'individu. Je ne me fais pas d'illusion sur les défauts de ma personne physique (ABOUT, Roi mont., 1857, p.177).
— Loc. verb.
♦Être soigneux de sa personne; prendre soin de sa personne. Se montrer soucieux de son apparence physique. Son vêtement d'une exquise propreté révélait ce soin minutieux de la personne que les simples prêtres ne prennent pas toujours d'eux (BALZAC, Illus. perdues, 1843, p.721). Farfadet, soigneux de sa personne, (...) pour éviter une seconde fois le contact du mur (...) heurte la table et fait tomber sa cuiller par terre (BARBUSSE, Feu, 1916, p.82).
♦Être bien (mal) (fait) de sa personne. Avoir bel ou vilain aspect. Ce ton tranchant que doit avoir l'homme le plus riche de France, quand surtout il est assez bien fait de sa personne (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p.260). [Clotilde]: C'est un monsieur très bien. La bonne: Et avec ça, pas mal de sa personne. Une belle barbe grise (Tr. BERNARD, M. Codomat, 1907, I, 2, p.141).
3. L'individu en tant qu'être physiquement distinct de tous les autres. Dans toutes ses paroles il ne faisait qu'exprimer, avec son dédain pour tous les hommes de la terre, le mépris qu'il avait de sa propre personne (MILLE, Barnavaux, 1908, p.221). Chaque pas que je risque en ma propre personne Me révèle d'autres détours (COCTEAU, Clair-obscur, 1954, p.53).
— En personne. Soi-même; personnellement. Synon. fam. en chair et en os. Commander, venir en personne. Il prend parti, comme simple volontaire, dans l'armée que le Roi commandait en personne (JOUY, Hermite, t.4, 1813, p.65). Comme si notre contact eût été dangereux, nous vîmes foncer sur nous, suivi de son état-major, le colonel en personne. C'était une manière de vieux poupon en baudruche, d'un rose délavé (AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p.293).
♦Au fig. Subst. + en personne. Incarnation de quelque chose. Le diable, le tonnerre, la grâce,la vanité en personne. C'est un renégat, ce qui fait la pire espèce de coquin (...). Il a le ton très doux, enfin c'est Machiavel en personne (STENDHAL, L. Leuwen, t.3, 1836, p.140).
— Par personne interposée. Une tierce personne.
— (En) la personne de; ma, ta, sa personne. Soi-même personnellement. Le déni de justice sera constaté par deux réquisitions faites aux juges en la personne des greffiers (...): tout huissier requis sera tenu de faire ces réquisitions, à peine d'interdiction (Code procéd. civile, 1806, p.414). La justice d'Omer ne laissa nul méfait impuni, touchant sa personne (ADAM, Enf. Aust., 1902, p.58). Il vous faut aussi racheter le crime que vous vous disposiez à commettre sur ma personne (MONTHERL., Malatesta, 1946, II, 5, p.478).
C. —L'individu parmi d'autres, comme une unité dans la collectivité. Personne de connaissance; personne de bon sens, de confiance; personne aimable, charmante, distinguée, respectable, singulière, considérable, honnête, respectable. L'inconnu (...) s'excusa (...) de n'avoir pas tout de suite reconnu une personne de mérite (A. FRANCE, Rôtisserie, 1893, p.48). En admettant que ma conduite puisse étonner quelques personnes malveillantes, je soutiens que j'ai bien agi. Si je ne m'étais pas conduit comme je l'ai fait, des catastrophes irréparables seraient arrivées (FLERS, CAILLAVET, M. Brotonneau, 1923, III, 5, p.21). On voit des personnes fort distinguées frapper le bois des fauteuils et pratiquer des actes conjuratoires et fiduciaires (VALÉRY, Variété III, 1936, p.225).
1. Au sing.
♦Une autre personne. Quelqu'un d'autre. Mon Dieu, vous auriez peut-être pu trouver une autre personne de votre famille (FEYDEAU, Dame Maxim's, 1914, II, 7, p.41).
Toute personne qui. Quiconque. Toute personne qui désire voir diminuer son embonpoint doit manger modérément, peu dormir, et faire autant d'exercice qu'il lui est possible (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p.230).
♦Par personne. [Loc. à valeur distributive] Au total, deux tiers de l'humanité disposent de 2150 calories par personne et par jour (Univers écon. et soc., 1960, p.36-12).
2. Au sing. et au plur.
♦Plusieurs, quelques, certaines, (bon) nombre de personnes. J'ai connu, moi, cinq personnes de la même famille, malades toutes à la fois, au lit toutes à la fois, et qui se débrouillaient fort bien (ROMAINS, Knock, 1923, III, 6, p.18). Plusieurs personnes s'en allèrent (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p.63).
♦Rare. Les personnes. Les gens. Qu'est-ce qui lui prend d'entrer comme ça, chez les personnes! (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p.233).
♦Personne âgée. [Avec une nuance de respect] S'il est convenable d'accepter l'amitié d'une personne âgée, il l'est aussi de lui faire comprendre que nos caractères ne sont pas les mêmes (LAUTRÉAM., Chants Maldoror, 1869, p.337).
♦Être bonne personne. Être facile à vivre, avoir un bon fond. Synon. fam. être (un) bon type, être (un) brave type. Mais ce sont les péchés mignons de cette pécheresse sur le retour, et, somme toute, avouons qu'elle fut bonne personne au fond (VERLAINE, OEuvres compl., t.4, Mém. veuf, 1886, p.268). Pantagruel est fils de Gargantua (...). Nous allons faire connaissance avec ces deux horribles géants, qui sont, au fond, de très bonnes personnes (A. FRANCE, Rabelais, 1909, p.38).
[Par personnification] La Mort, qui était bonne personne, alla s'asseoir sur l'escabeau et attendit une heure entière (MÉRIMÉE, Mosaïque, 1833, p.100).
♦Grande personne. [P. oppos. à l'enfant] Adulte. Moi, ça m'était bien égal, tous ces beaux discours, et pourtant je me disais, (...) qu'il fallait pourtant que ça eût de l'intérêt pour que des grandes personnes, (...) s'animassent à ainsi pérorer et parfois crier à ce propos (VERLAINE, OEuvres compl., t.5, Confess., 1895, p.32). Ces malheureuses frimousses cireuses! Ça ne tient pas debout, ça vacille même assis, il faut continuellement que ça s'appuie des yeux sur une grande personne (FRAPIÉ, Maternelle, 1904, p.36).
♦Vieilli. Aimable, belle, charmante, jeune personne. Jeune fille; femme. Je fus regardé comme un dieu par ces jeunes personnes (RESTIF DE LA BRET., M. Nicolas, 1796, p.84). Jamais ces charmantes personnes n'avaient vu prendre le café avec tant de mimiques et de roulements d'yeux (A. DAUDET, Tartarin Alpes, 1885, p.225).
♦Petite personne. Petite fille; jeune fille. La petite personne a quelque amourette en tête; elles sont terribles pour cela dans ce couvent (MÉRIMÉE, Théâtre C. Gazul, 1825, p.330).
♦Personne du sexe (vieilli). Pour la fille, il [le vicaire] avait ces manières réservées qu'ont nos ecclésiastiques bretons avec les «personnes du sexe», comme ils disent (RENAN, Souv. enf., 1883, p.32).
II. —GRAMM. Catégorie grammaticale marquant le rapport à celui qui parle, à celui à qui on parle, à celui (ce) dont on parle et qui se note morphologiquement dans le verbe, le pronom personnel, le pronom et l'adjectif possessifs. La première personne (je, moi, me, mon) renvoie au locuteur, qui parle de lui-même, la deuxième personne (tu, toi, te, ton) renvoie à l'interlocuteur, la troisième personne à ce qui n'est ni le locuteur, ni l'interlocuteur. La personne où le locuteur est impliqué avec d'autres est dite première personne du pluriel (nous, notre, vôtre). La troisième personne du pluriel est homogène en ce sens qu'elle vient de la réunion de deux ou plusieurs «troisièmes personnes». La troisième personne du singulier comme au pluriel, est celle de la personne dont il est parlé sans plus. C'est la personne passive, absente du système de l'interlocution. Ce n'en est pas moins une personne, et il est inexact de parler d'elle comme d'une «non personne»; c'est la personne de tout ce que la pensée a appris à désigner, la personne inhérente à toute sémantèse, à tout ce dont le langage est capable de parler (G.. MOIGNET, Systématique de la lang. fr., 1981, p.124):
• 2. Ni le romancier ni les lecteurs ne descendent de leur place pour jouer eux-mêmes le jeu comme s'ils étaient l'un ou l'autre des joueurs. Et ceci demeure vrai quand le personnage s'exprime à la première personne, dès l'instant où il fait suivre ses propres paroles de: dis-je, m'écriai-je, répondis-je, etc...
SARRAUTE, Ère soupçon, 1956, p.109.
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. a) Ca 1135 persone «prestance, taille» (Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, AB 1891); b) ca 1170 «corps de celui dont on parle» (BÉROUL, Tristan, éd. E. Muret, 4431); payer de sa personne v. étymol. hist. payer; 1538 content de sa personne «satisfait de soi-même» (EST., s.v. placere); ca 1660 bien fait de sa personne (ABLANCOURT ds RICH. 1679); 1907 pas mal de sa personne (Tr. BERNARD, loc. cit.); 1935 bien de sa personne (Ac.); 1694 aimer sa personne «avoir soin de son corps, de sa santé, aimer ses aises» (Ac.); 1694 s'assurer de la personne de qqn «arrêter» (Ac.); c) ca 1140 «personnage, personne d'importance» (GEFFREI GAIMAR, Hist. des Anglais, éd. A. Bell, 6020); 1174 «personne revêtue d'une dignité ecclésiastique» (GUERNES DE PONT-STE-MAXENCE, St Thomas, éd. E. Walberg, 2411, 2476, 4773 et 4781); d) ca 1170 en persone de (qqn) «sous l'apparence de (quelqu'un)» (Rois, éd. E. R. Curtius, p.84); ca 1200 la pressonne de (qqn) «ce qui constitue la personne même» (Psautier, B.N. 1761, f° 31 r° et f° 38 r° ds GDF. Compl.); ca 1210 persone d'ome (HERBERT DE DAMMARTIN, Foulque de Candie, éd. O. Schultz-Gora, 13580); 1335 personne de (doc. ds GDF. Compl.); ca 1200 en la sue persone «à sa place, au lieu de lui» (Dialogues Grégoire, éd. W. Foerster, p.78) [l'existence de cette expr. en a. fr. est mal assurée. Ne s'agirait-il pas plutôt ici de la trad. du lat. quasi in persona sua?]; ca 1250 en sa propre personne «lui-même» (Évangiles des données, éd. R. Bossuat et G. Raynaud de Lage, p.27, 15); 1269-78 en propre personne (JEAN DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 5645); 1464 en personne (Pathelin, éd. R. T. Holbrook, 1232); 2. a) 1174 «individu, homme ou femme» (GUERNES DE PONT-STE-MAXENCE, op. cit., 4471); ca 1175 povres persones «pauvres gens» (Chronique Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 23161); 1295 les personnes «les gens» (BEVANS, The old french vocabulary of Champagne, p.92); b) 1316-28 bele persone «être humain (surtout avec une épithète laudative)» (Ovide moralisé, éd. C. de Boer, IV, 2073); 1547 jeune personne «jeune homme ou jeune fille» (AMYOT, Hist. Aethiop., livre VII, 75 v° ds HUG.); 1640 grande personne «adulte» (OUDIN Curiositez); 3. 1174 «une des trois formes de Dieu (Père, Fils, Saint-Esprit)» (GUERNES DE PONT-STE-MAXENCE, op. cit., 60); 4. 1495 dr. (assigner, etc.) à personne ou domicile «en s'adressant à la personne même ou en faisant parvenir l'avis à son domicile» (Nouv. Coutumier gén., éd. A. Bourdot de Richebourg, t.1, p.86); 5. XIVes. gramm. persone «celui, celle qui parle, à qui l'on parle ou dont on parle» (THUROT, p.184), hapax; déb. XVes. personne (E. STENGEL, Les plus anc. ouvrages composés pour enseigner le fr. ds Z. fr. Spr. Lit. t.1, p.31). Du lat. d'orig. étrusque persona «masque de l'acteur» d'où à l'époque chrét. «visage, face»; «rôle [au théâtre], caractère, personnage; personnalité, personne, individu»; aussi terme de gramm., où il traduit le gr. «face, figure» et aussi «masque de théâtre» et «personne (terme de gramm.)»; pour le sens 3 att. en lat. chrét., v. BLAISE Lat. chrét. Fréq. abs. littér.:17652. Fréq. rel. littér.: XIXes.: a) 28165, b) 26260; XXes.: a) 22603, b) 23373.
II.
⇒PERSONNE2, pronom
I. —[Avec une valeur positive dans certains cont. qui comportent une idée nég.] Quelqu'un.
A. —[Après une princ. à valeur nég.]
1. [Dans une sub., intr. par une princ. nég.] Je ne souffrirai pas que personne fasse ici la loi, et s'oppose à mes volontés (GUILBERT DE PIXÉR., Coelina, 1801, I, 3, p.8). Je ne crois pas en effet que personne (...) ait expliqué avec plus de limpidité et d'élégance, ait justifié avec plus de force la psychologie des exercices spirituels (BREMOND, Hist. sent. relig., t.4, 1920, p.526). Et les renseignements (...), vous n'êtes pas sûr que personne les ait eus? (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1938, p.20). Tu es comme ce mètre de platine qu'on conserve quelque part à Paris ou aux environs. Je ne pense pas que personne ait jamais eu envie de le voir (SARTRE, Nausée, 1938, p.175).
2. [Dans une sub., introd. par une princ. dont le verbe exprime la crainte, le doute, l'empêchement ou comporte en lui une idée nég.] Je doute que personne y réussisse (Ac.). Les préjugés s'opposent à ce que personne tente de naviguer sur cette mer (LAMART., Voy. Orient, t.2, 1835, p.23).
B. —[Dans une interr. dir. ou indir.] Dieu sait si personne a protesté avec plus de force que moi quand on a fait dans la société une place disproportionnée aux nationalistes (PROUST, Temps retr., 1922, p.797).
C. —1. [Dans une compar. d'inégalité] Quiconque, n'importe qui. Il rit de toutes ses forces, amusé plus que personne de sa plaisanterie (HÉMON, M. Chapdelaine, 1916, p.156). Eux moins que personne ne pouvaient le reconnaître, noblement travesti (RADIGUET, Bal, 1923, p.118). Mon Dieu! C'est vrai qu'il a humé, flairé, reniflé plus que personne, possédé sa jeunesse par les narines (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p.1394).
2. Rare. [Dans une compar. d'égalité] Pour cette fête-ci, les éléments impurs qui s'y conjuguaient me frappaient à un autre point de vue: certes, j'étais aussi à même que personne de les dissocier (PROUST, Prisonn., 1922, p.265).
D. —[Après la prép. sans] Je ne sais pas de crime plus lâche!... Une pauvre petite, sans parents, sans personne pour la défendre!... (CUREL, Nouv. idole, 1899, I, 6, p.181). Vous accompliriez ce crime? Vous vous laveriez les mains. Vous me l'arracheriez. Vous me laisseriez sans personne (COCTEAU, Parents, 1938, II, 9, p.253).
E. —[Après certaines loc. conj.: avant que, sans que, assez, suffisamment, trop... pour que] La monarchie de France est tombée en un jour sans que personne puisse dire où elle a laissé seulement la poignée de son épée (QUINET, All. et Ital., 1836, p.30). Les motifs de cette fuite étaient trop simples et trop généreux pour que personne eût l'idée de les accueillir comme vraisemblables (THEURIET, Mariage Gérard, 1875, p.171). Mon coeur battait très fort; je suis resté un instant appuyée contre un arbre, puis suis rentrée avant que personne ne fût levé (GIDE, Porte étr., 1909, p.582).
— Avant de + inf. + personne; assez, suffisamment, trop, pour + inf. + personne. Comme il était trop tard pour appeler personne, il se décida aussitôt à passer la nuit sur un fauteuil (MAUPASS., Contes et nouv., t.1, Voy. santé, 1886, p.551).
II. —[Avec une valeur nég. en corrél. avec ne, explicite ou non] Pas une personne; nul.
A. —[Ne est explicite] Ces indiscrétions qui ne se produisent qu'après que la vie terrestre d'une personne est finie, ne prouvent-elles pas que personne ne croit, au fond, à une vie future? (PROUST, Fugit., 1922, p.617). On sait bien que personne n'est cru qui prétend se défendre du délice d'être honoré (VALÉRY, Variété III, 1936, p.73).
B. —[Personne est empl. sans ne]
1. [Dans une phrase nominale avec ell. du verbe et de ne] Le jour désigné, Bouvard et Pécuchet se rendirent à la mairie une heure trop tôt. Personne (FLAUB., Bouvard, t.2, 1880, p.179).
2. [Dans une réponse avec ell. du verbe et de ne] Qui se lèvera pour détailler une chanson triste, ou quelques couplets qui feront de leur auteur, plus tard, un académicien distingué? Personne (FARGUE, Piéton Paris, 1939, p.46).
3. [Empl. apr. ni] Si l'amour et la haine sont l'avers et le revers de la même médaille, je n'aimais rien ni personne (SARTRE, Mots, 1964, p.29).
Rem. 1. Personne n'a pas de marque de genre: Je ne connais personne d'aussi heureux que cette femme (Ac. 1935); LITTRÉ cite cependant: Personne n'était plus belle que Cléopâtre. 2. Personne suivi d'un adj. s'emploie avec de: personne d'autre; mais on rencontre la tournure littér. personne autre: Personne autre que vous n'est entré ici (POMIER, Loc. vicieuses Hte-Loire, 1835, p.95). 3. Personne suivi de ne n'admet pas point ou pas, mais admet jamais ou plus: Des ruelles, des impasses, que personne n'arriverait jamais plus à détordre et à débrouiller (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1932, p.201). 4. Personne, à la différence de rien, est postposé au verbe aux temps simples (Il n'aime personne) et aux temps composés (Il n'a aimé personne). Régionalement (en partic. en Suisse), on relève dans la lang. pop. le type: Il a personne aimé.
Prononc.:[]. Étymol. et Hist.1. Ca 1288 ne ... persone «nul» (JEHAN DE JOURNI, La dime de penitance, éd. H. Breymann, 108); 2. a) 1460 personne «quelqu'un (dans une phrase négative)» (doc. ds GDF. Compl.); b) 1537 «id. (dans une phrase hypothétique)» (B. DES PÉRIERS, Cymbalum mundi, f° E 2 r°, Dialogue III); 3. 1663 «nulle personne (réponse elliptique)» (MOLIÈRE, Critique de l'Ecole des Femmes, I). V. personne1. Fréq. abs. littér.:18252. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 24388, b) 26506; XXes.: a) 25706, b) 27151. Bbg. BAYET (A.). Note sur l'hist. du mot personne. J. de Psychol. normale et pathol. 1948, t.41, pp.326-330. —BENVENISTE (E.). Probl. de ling. gén. Paris, 1966, pp.225-236, 255-257. —ETZRODT (W.). Die Syntax der unbestimmten Fürwörter personne und même. Rom. Forsch. 1910, t.27, pp.852-870. —FRIEDLÄNDER (P.). Persona. Glotta. 1910, t.2, pp.164-168. —FRYCER (J.). Le Narrateur à la première personne ds le rom. fr. d'auj. Ét. rom. Brno. 1979, t.10, pp.63-72. —GAATONE Nég. 1971, pp.160-163. —JOLY (A.). Sur le Syst. R. Lang. rom. 1973, t.80, pp.3-56. —MARTIN Rien 1966, p.25, 73. — MILNER (J.-C.). Le Syst. de la négation en fr. et l'opacité du sujet. Lang. fr. 1979, n° 44, pp.82-89; p.97. —MOIGNET (G.). Personne humaine et personne d'univers. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1970, t.8, n° 1, pp.191-202; Sur le syst. de la personne en fr. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1972, t.10, n° 1, pp.71-81. —RHEINFELDER (H.). Das Wort persona. Halle, 1928, 199 p.—ROGGERO (J.). Le Quantificateur minimal. Sigma. 1980, n° 5, pp.121-122. —SPITZER (L.). Rem. sur personne, aucun, rien, jamais. Fr. mod. 1938, t.6, pp.51-55. —VIKNER (C.). Les Auxil. négatifs. R. rom. 1978, t.13, n° 1, p.98, 102. —WAGNER (R.-L.). Contribution à l'hist. du mot personne en fr. Kwart. neofilol. 1976, t.23, n° 1/2, pp.225-234.
1. personne [pɛʀsɔn] n. f.
ÉTYM. 1180; lat. persona « personnage, personne », mot d'orig. étrusque « masque de théâtre ».
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1 Individu de l'espèce humaine (considéré en tant que sujet conscient et libre). ⇒ Créature, être, homme, individu, mortel, particulier, quidam. || Les personnes et les choses. ⇒ Gens. || Relatif à une personne. ⇒ Individuel, personnel. || Le gouvernement (cit. 8 et 9) des personnes et l'administration des choses. || Socrate épargnait les personnes et blâmait les mœurs (→ Cynique, cit. 1). || Une personne. ⇒ Quelqu'un; on. || Des personnes. ⇒ Gens. || Chaque, toute personne qui… ⇒ Chacun, quiconque. || Certaines, de nombreuses personnes disent que… ⇒ Beaucoup, certain, tel. || La personne qui… ⇒ Celui. || Les personnes qui nous entourent. ⇒ Prochain, semblable. || Un certain nombre, un grand nombre de personnes (→ Aristocratie, cit. 1; assemblée, cit. 1). || Rassemblement de plus de quinze personnes (→ Attroupement, cit. 1 et 3). || Groupes de personnes. ⇒ Association, classe (cit. 1), corps, société. || Distribuer une part, une portion par personne. ⇒ Tête. || Tant par personne. — Passer par une tierce personne (→ Interprète, cit. 2), par personne interposée. || Sans acception de personne. || Ce qui différencie les personnes. ⇒ Individualité, personnalité. || Le corps et l'esprit d'une personne (→ Âge, cit. 7). || On change, on n'est plus la même personne (→ Guérir, cit. 21). || L'originalité d'une personne (→ Gagner, cit. 15). — Être humain — en particulier lorsqu'on ne peut ou ne veut préciser l'âge, le sexe (⇒ Homme, femme), l'apparence (⇒ Monsieur, dame), etc. || Une personne de connaissance, connue. ⇒ Visage. — (D'après la place, l'importance dans la société). ⇒ Personnage. || Personne de distinction (→ Orchestre, cit. 1), de qualité (→ Mettre, cit. 27 et 66), de condition, d'importance (cit. 11). || Une personne très convenable, très comme il faut. — (D'après le comportement, le caractère). || Personnes graves (1. Grave, cit. 8). || Une brave personne (→ Pain, cit. 8). || De fort honnêtes personnes (→ 1. Gens, cit. 34). || C'est une excellente personne. || Personne humble (→ Cabinet, cit. 4; docte, cit. 2), simple (→ Épais, cit. 18). || Dons, talents d'une personne. || « Des dons que le ciel fait à peu de personnes » (→ Art, cit. 6). || Personne supérieure (→ Jalousie, cit. 3). || Personnes de goût (cit. 20), d'action et de pensée (→ Démontrer, cit. 4). || Personne frivole (cit. 7). || Personnes faibles (cit. 17).
1 Eh ! Messieurs les badauds, faites vos affaires, et laissez passer les personnes sans leur rire au nez.
Molière, Monsieur de Pourceaugnac, I, 3.
2 (…) cette personne de mérite, si délicate à la fois et si bien pensante, et qui fit de ses qualités et de sa fortune un si noble usage (…)
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 9 juin 1851.
♦ REM. De nombreux emplois de personne, dans ce sens, sont vieillis. — (Pour insister sur le caractère indifférencié) :
3 C'était une personne — nous n'osons dire une femme — calme, austère, de bonne compagnie, froide, et qui n'avait jamais menti.
Hugo, les Misérables, I, VII, I.
♦ Être (une) personne à… → Être homme, femme à…
4 Ce n'était pas une personne à demeurer en repos.
Edmond Jaloux, l'Ami des jeunes filles, p. 138.
♦ (D'après l'âge, l'apparence physique). || Personne d'âge (→ Ivresse, cit. 1; oncle, cit. 2), personnes âgées. || Les personnes valides (→ Forcer, cit. 33). || Une personne plus forte (cit. 5).
♦ Spécialt. || Grande (cit. 8) personne : adulte (→ Enfance, cit. 10; indulgent, cit. 8; jouer, cit. 1). || Les grandes personnes et les enfants. — REM. Au XVIIe s. on employait absolument personne dans ce sens.
5 (…) elle lit, elle travaille : enfin c'est une personne.
Mme de Sévigné, 799, 12 avr. 1680.
6 Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants (Mais peu d'entre elles s'en souviennent).
Saint-Exupéry, le Petit Prince, Dédicace.
♦ La personne que nous aimons, qu'on aime, la personne aimée (→ Attacher, cit. 56; constance, cit. 5; délibération, cit. 7; évanouir, cit. 12; irradier, cit. 3). || Construire (cit. 2) sa vie pour une personne. || Deux personnes indissolublement (cit. 1) unies dans le mariage.
REM. Dans la langue classique, personne est parfois suivi d'un mot (pron., adj.) au masculin (lorsqu'il s'agit d'un homme).
7 Jamais je n'ai vu deux personnes être si contents l'un de l'autre (…)
Molière, Dom Juan, I, 2.
♦ Spécialt (XVIIe). Vieilli. Femme ou jeune fille. || Une jeune personne (→ Engoncer, cit. 2; entacher, cit. 2). || Cette petite personne… (→ Beauté, cit. 39; enfantin, cit. 2). || Une belle personne (→ Conquérant, cit. 2). || Aimable, jolie personne. || Les vieilles personnes qui ont été aimables (cit. 1). — Absolt, vx. || Un galant près d'une personne… (→ Alphabet, cit. 1, La Fontaine).
2 La personne de qqn, sa personnalité, notamment dans ses manifestations extérieures (→ Appareil, cit. 6; hétéroclite, cit. 4). || Faire grand cas, être content de sa personne, de sa petite personne (→ Gober, cit. 9). || Le monde affectif (cit. 2), pour lui, se limite à sa personne. || Ne savoir que faire de sa personne (→ Grimaud, cit. 5). — ☑ Loc. Payer (cit. 34 et 35) de sa personne. — La personne et l'œuvre (d'un écrivain, d'un artiste…). ⇒ Homme. → Écraser, cit. 10; fantastique, cit. 7. — « Le ciel joignit en sa personne… » (→ Aimer, cit. 71). || En sa personne se confondent le juge et le justicier (→ 2. Justicier, cit. 1). || Honorer (cit. 8) dans la personne de quelqu'un…
8 Recevez donc, Monsieur, avec l'hommage de toute mon admiration pour votre génie, l'assurance de tout mon dévouement pour votre personne.
Flaubert, Correspondance, 395, 2 juin 1853.
♦ (XIIe). Le corps, l'apparence extérieure… (→ Agrément, cit. 6; hâle, cit. 1). a De sa personne. || Agréable (cit. 14), bien fait de sa personne (→ Galanterie, cit. 17). Plus cour. || Il est bien de sa personne. || Panurge, galant homme de sa personne (→ Argent, cit. 17). — L'air de propreté répandu sur toute sa personne (→ Fraîcheur, cit. 11). || Soigneux, peu soigneux de sa personne (→ Malpropre, cit. 1; miasme, cit. 3).
b Toute sa personne… (→ Difformité, cit. 1; exotique, cit. 4). || « Toute sa petite personne dodue… » (→ Gonfler, cit. 9). || Tout son visage, toute sa personne respiraient la bonté (→ Mansuétude, cit. 1). || « Toute sa personne velue… » (→ Cacher, cit. 52, La Fontaine).
9 Ne trouves-tu pas (…) qu'il est bien fait de sa personne ?
Molière, le Malade imaginaire, I, 4.
10 (…) comment ne savez-vous donc plus que je me suis si bien incarné à votre cœur que mon âme est ici quand ma personne est à Paris ?
Balzac, le Lys dans la vallée, Pl., t. VIII, p. 914.
11 Le soin exclusif de sa personne et le dandysme qu'il affecta me choquèrent tout d'abord (…)
Baudelaire, la Fanfarlo.
12 (…) il ne comprend pas les choses; mais c'est un soldat dans chaque pouce de sa personne.
A. Maurois, les Discours du Dr O'Grady, VII.
♦ Vie. || Exposer sa personne (→ Intrépide, cit. 1). || Sauver, non sa personne, mais son âme (→ Honnête, cit. 7).
♦ Spécialt. || La personne d'un souverain, d'un roi, son auguste personne.
♦ ☑ (1464). En personne : soi-même, lui-même. ⇒ Même. → En chair et en os. || Venir (→ Courrier, cit. 7), aller quelque part (→ Main, cit. 13) en personne. || L'évêque officiait en personne (→ Notabilité, cit. 1). — Fig. || La vérité en personne (→ Excuse, cit. 6) : la vérité personnifiée, incarnée.
13 Il est impassible, il se moque de tout, c'est vraiment le calme en personne, la sécurité dans la force.
Émile Henriot, le Diable à l'hôtel, VII.
3 Individu, être individuel, en tant qu'il possède la conscience, l'unité, la continuité de la vie mentale (⇒ Personnalité), la liberté, et, sur le plan éthique (personne morale), la capacité de distinguer le bien du mal et « de se déterminer par des motifs dont il puisse justifier la valeur devant d'autres êtres raisonnables » (Lalande). ⇒ Âme (II.), moi (cit. 65 et 66), 3. sujet; → Déterminisme, cit. 5; intuition, cit. 2. || L'individu (cit. 10) et la personne. || Le respect de la personne, de la personne humaine. || Unité (→ Flux, cit. 9), complexité de la personne (→ Humanisme, cit. 7). || L'accomplissement, l'autonomie de la personne humaine (→ Gouvernement, cit. 15). || La personne et la masse (→ Lutte, cit. 8). || La personne et la loi. || Les régimes qui ont tenté de dégrader et d'asservir la personne humaine (→ 3. Droit, cit. 8). — Être qui constitue, ne constitue pas une personne. ⇒ Personnel; impersonnel. || La personne et la fonction, et le personnage (⇒ Homme).
14 Dans le langage psychologique, on entend généralement par personne l'individu qui a une conscience claire de lui-même et agit en conséquence (…)
Th. Ribot, les Maladies de la personnalité, Introd., §1.
15 (…) la personne n'est rien d'autre que sa liberté.
Sartre, Situations II, p. 26.
16 La personne, c'est l'homme d'une totale responsabilité. Radicalement séparée de toute masse, de toute collectivité, elle n'existe pourtant que liée, par sa responsabilité même, à ce qui l'entoure. Elle est un acte autant qu'une présence, une présence autant qu'un acte. Ce qu'elle apporte à soi-même, elle l'apporte au monde. Ce n'est pas dans une glorification de son égoïsme qu'elle trouve sa signification profonde, c'est dans la puissance de son rayonnement parmi les autres vivants.
Daniel-Rops, Ce qui meurt…, p. 26.
♦ Par ext. Dieu conçu comme personnel (→ Dieu, cit. 19). Spécialt. Théol. chrét. || Les trois personnes de la Trinité. ⇒ Hypostase (→ Coexistence, cit. 1). || Personne divine (→ Esprit, cit. 16).
4 Dr. « Être auquel est reconnue la capacité d'être sujet de droit » (Capitant).
17 L'esclave (…) n'est pas une personne dans l'État : aucun bien, aucun droit ne peut s'attacher à lui.
Bossuet, Ve avertissement aux protestants, L.
♦ (En parlant des personnes physiques). → Absence, cit. 13; assister, cit. 8; diffamation, cit. 3; ligne, cit. 49. || Incapacité (cit. 7) d'une personne. || L'état (cit. 67, 68 et 71) des personnes. || Identité, signalement d'une personne. || Exploits (cit. 6) faits à personne ou domicile. || Acception de personne. — Personnes à la charge, à charge…, dont la subsistance et l'entretien sont assurés par quelqu'un. || Personne incertaine, indéterminée, dont l'identité n'est pas déterminée. || Personne future, qui n'est pas née au moment où se produit un fait juridique. || Personne interposée (cit. 8 et 9), interposition (cit. 1) de personne. || Erreur (cit. 39) dans, sur la personne. Cour. || Il y a erreur sur la personne. || La personne, sujet de droits civiques, politiques. ⇒ Citoyen. — La personne et les biens du mineur (→ Assimiler, cit. 2), des associés (→ Association, cit. 6)… || Dommage (cit. 3) qui frappe la victime dans sa personne physique. — Comparaître (cit. 3) en personne.
♦ Personne morale : groupement ou établissement possédant la personnalité morale, titulaire d'un patrimoine collectif et d'une certaine capacité juridique, mais n'ayant pas d'existence corporelle (opposé à personne physique : individu). || Personnes morales de droit public (État, départements, communes, colonies, établissements publics), de droit privé (sociétés, associations, syndicats). || Personne publique (→ Cité, cit. 1). || L'État, personne internationale (→ Nationalité, cit. 4).
♦ Cour. (Métaphore du sens 1). || La nation (cit. 4) est une personne. || Considérer l'opinion (cit. 37) comme une sorte de personne. ⇒ Personnalité.
18 L'Angleterre est un empire, l'Allemagne un pays, une race; la France est une personne.
Michelet, Hist. de France, III.
5 (Attestation isolée, XIIIe; persone, XVe). Ling., cour. « Indication du rôle que tient celui qui est en cause dans l'énoncé, suivant qu'il parle en son nom (première personne), qu'on s'adresse à lui (deuxième personne) ou qu'on parle de lui (troisième personne) » (Marouzeau, Lexique de la terminologie linguistique). ⇒ Conjugaison, verbe. — Première (⇒ Je, nous), deuxième (⇒ Tu, vous), troisième (⇒ Il, elle) personne d'un verbe. ⇒ Personnel. || Flexions de personne (→ Désinence, cit. 1). || Verbes qui n'ont point de personnes (⇒ Impersonnel, cit. 1), qui n'ont qu'une personne (⇒ Unipersonnel). || L'infinitif (cit. 4) ne connaît ni la personne ni le nombre. — Utiliser la troisième personne dans un récit. || Roman écrit à la première personne. || User de la troisième personne en parlant à qqn. (→ Déférent, cit.). — Par anal. || Psychologie à la première personne (subjective), à la troisième personne (objective).
19 (…) la première personne du singulier exprime pour moi tout le concret de l'homme. Toute métaphysique est à la première personne du singulier. Toute poésie aussi.
Aragon, le Paysan de Paris, p. 250.
❖
DÉR. Personnage, personnalisme, 2. personne, personnifier. — (Du lat. personalis) Personnaliser, personnalité, personnel.
COMP. Pèse-personne.
————————
ÉTYM. 1226, persone; du précédent.
❖
1 Une personne, quelqu'un (dans une subordonnée dépendant d'une principale négative). || Il ne pense pas que personne veuille… (→ Dresser, cit. 10).
20 Non content de n'être pas sincère, il ne souffre pas que personne le soit.
La Bruyère, les Caractères, VIII, 62.
21 Ne vous figurez pas que vous choquerez personne.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, VII, p. 111.
22 Mourir ? Il n'est pas question que personne meure.
J.-R. Bloch, …Et compagnie, p. 270.
♦ Sans… personne; sans que… personne.
22.1 (…) je veux vivre et mourir tranquille dans le sein de l'Église catholique (…) sans attaquer personne, sans nuire à personne, sans soutenir la moindre opinion qui puisse offenser personne (…)
Voltaire, Mélanges littéraires, Lettre au P. de La Tour, 7 févr. 1746.
22.2 Le nom de Saintenois a été prononcé, sans que personne parût soupçonner la tragédie (…)
Paul Bourget, la Geôle, VII.
♦ (En phrase comparative). || Vous le savez mieux que personne. ⇒ Quiconque (→ Affaire, cit. 83; brouiller, cit. 8; nuancer, cit. 4). || Plus dénué (cit. 5),… plus désarmé que personne au monde. || Comme personne : aussi bien que n'importe qui.
23 Je suis meilleur juge que personne de ce qui lui convient.
Émile Augier, les Effrontés, V, IV.
24 (…) Haverkamp savait comme personne initier à ce genre de poésie les âmes rudimentaires.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XVIII, p. 130.
2 (V. 1288). Sens négatif. Avec ne. Aucune personne. ⇒ Aucun, nul. → Néant, cit. 1, Sartre. || Personne ne le sait (→ Pas un). || Jamais personne n'en a rien su (→ Bavarder, cit. 2). — Ni moi (cit. 15) ni personne. || Rien ni personne ne m'en empêchera.
25 D'où vient que personne en la vie
N'est satisfait de son état ?
La Fontaine, Fables, XII, 9.
26 (…) et comme il ne se résistait jamais à lui-même, il n'admettait pas que rien pût lui résister, ni personne.
Gide, Si le grain ne meurt, II, II, p. 338.
♦ Personne de vous deux n'a encore… (→ Glace, cit. 9). || Personne parmi nous n'y trouve à redire (→ Exagérer, cit. 21). ⇒ Aucun.
27 Je n'ai perdu personne des miens. Mais je suis arrivée à l'âge où on fait le deuil de sa vie.
Maupassant, Bel-Ami, II, VII.
28 Huit jours passèrent. Huit jours sans que l'on vît au dehors personne des Baillard.
M. Barrès, la Colline inspirée, XII.
♦ Je n'accuse (cit. 2), je ne nomme personne. || Le temps n'attend (cit. 35) personne. || Ne laisser entrer (cit. 7) personne. || N'offenser (cit. 7 et 10) personne. || Je n'ai connu personne qui fût plus injuste (cit. 5). || Ne s'intéresser à personne. — Il n'y avait personne (→ Pas un chat), presque personne (→ Quatre pelés et un tondu). — ☑ Fam. Il n'y a plus personne : il, elle n'est plus disponible (pour le travail, etc.). || Toujours prêt à s'amuser; mais quand il s'agit de travailler, il n'y a plus personne ! — Il n'y a personne, presque personne, quasi personne qui ne… (→ Agréable, cit. 6; ingratitude, cit. 1). — Il ne confie (cit. 8) jamais à personne ce qu'il fait. || Chacun se donnant à tous ne se donne à personne (→ Associer, cit. 3). || Je ne veux de mal (3. Mal, cit. 9) à personne. || Personne ne s'intéresse à personne (→ Monde, cit. 65). || Non, l'avenir (cit. 13) n'est à personne ! || N'être l'obligé (cit. 18 et 20) de personne. || Ce n'est la faute (cit. 48) de personne. — Ne se gêner (cit. 33) pour personne. || Qu'on ne me dérange pas, je n'y suis pour personne.
29 Par moments il croyait voir quelqu'un venir à lui. Ce n'était personne. C'était lui, dans une glace, en habit de seigneur.
Hugo, l'Homme qui rit, II, VII, II.
30 (…) elles ne rencontrèrent personne dans leur courte sortie, personne qu'un porteur d'eau (…)
Loti, les Désenchantées, I, II.
31 — Jacques, ne craignez personne, puisque vous n'êtes comparable à personne.
France, le Lys rouge, XXIX.
32 (…) Bobillard, si férié que soit le jour, ne va chez personne et ne reçoit chez lui âme qui vive.
M. Jouhandeau, Chaminadour, II, XII.
33 Le peuple ne murmura pas. Personne n'offrit le concours de ses vues.
Rimbaud, les Illuminations, III.
♦ Sans ne. (Avec un verbe de sens négatif : empêcher, retenir…). || Cela m'interdit de prévenir personne. — Avant que personne s'en aperçoive. — Avoir de l'esprit comme personne (→ Accorder, cit. 12). — (Dans une réponse). || Qui est venu ? Personne.
34 Qui vient ? qui m'appelle ? — Personne.
A. de Musset, Poésies nouvelles, « Nuit de Mai ».
35 Il n'arrive pas ce qu'il faudrait. Joie ou douleur, personne jusqu'au bout.
Claudel, Cinq grandes odes, V.
36 La crainte de soupçonner à tort m'a retenu d'accuser personne (…)
Gide, les Faux-monnayeurs, III, VI.
♦ Allus. littér. (Homère, l'Odyssée, IX). Nom que se donne Ulysse pour tromper le cyclope Polyphème (par jeu de mots entre Outis « personne », et Odysseus « Ulysse »).
37 — Eh, Cyclope ! criaient-ils (…) Dis-nous qui t'a pincé ? — C'est Personne ! répondit le Cyclope. C'est Personne ! — Qui est-ce, ton Personne ! demandèrent les Cyclopes, car ils voyaient, à l'absence de la négation, que Personne était un nom propre et point un pronom.
Giraudoux, Elpénor, Le Cyclope.
REM. 1. Que la négation soit ou non exprimée, personne est senti de nos jours comme un pronom et ne se construit plus guère avec un adjectif : || « J'espère montrer ici qu'il n'y a personne raisonnable qui puisse parler de la sorte » (Pascal, Pensées, III, 194). On emploie plutôt le tour avec de en faisant l'accord régulier au masculin : Je ne connais personne de plus élégant que cette femme.
2. Personne, indéfini, est normalement du masculin, mais la langue classique le faisait des deux genres.
38 Au XVIe siècle, quand le nominal personne ne faisait que de naître, même pris au sens indéfini il gardait son genre originel, le féminin (…) Au XVIIe siècle, Vaugelas veut que, parlant en général, on le fasse suivre du masculin : « personne n'est venu »; mais que, s'il s'agit d'une femme, on mette le féminin : « Je ne vois personne si heureuse qu'elle (…) »
G. et R. Le Bidois, Syntaxe du franç. moderne, §393.
39 (…) il n'y a personne au monde si bien liée avec nous de société et de bienveillance (…) qui n'ait en soi (…) des dispositions très proches à rompre avec nous (…)
La Bruyère, les Caractères, VI, 59.
♦ Personne de…, suivi d'un adj. ou participe au masc. || Il n'y a personne de blessé. || Personne d'autre. — (Littér.). || Personne autre (cit. 71) que… (→ Fumier, cit. 1).
40 Personne, autre qu'elle, son fils et les ouvriers, n'était encore entré, afin que la surprise fût complète quand on verrait combien c'était joli.
Maupassant, Pierre et Jean, VII.
41 Personne autre que moi-même n'aura mission d'arrêter ma fille.
Pierre Louÿs, les Aventures du roi Pausole, IV, I.
42 Personne d'autre que Frantz n'avait vu la jeune fille.
Alain-Fournier, le Grand Meaulnes, I, XIV.
43 (…) en avant de nous, personne de vivant, mais le sol est peuplé de morts (…)
H. Barbusse, le Feu, II, XX.
44 Vous n'avez personne de sérieux à me recommander ?
J. Romains, Knock, III, 4.
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Encyclopédie Universelle. 2012.