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HABITUDE
HABITUDE

HABITUDE

Distincte de l’instinct, qui est un montage héréditaire plus ou moins prédéterminé, l’habitude est une conduite ou un ensemble de conduites pouvant s’acquérir par des actes répétés et se conservant de manière relativement stable. La capacité de contracter de nouvelles habitudes, de les garder à sa disposition et de les exercer avec un certain automatisme se rencontre à tous les échelons de la vie animale. Elle fait ainsi partie des processus généraux de l’adaptation de l’individu à son milieu.

Après avoir alimenté bien des débats relatifs à la distinction entre l’inné et l’acquis ou à l’origine des conduites intelligentes, la notion d’habitude est pratiquement devenue caduque dans le champ de la psychologie, face au succès de celle d’apprentissage. Elle en est venue à prendre un sens de plus en plus étroit, en rapport avec la technicité de la théorie dans laquelle elle s’insère. On peut d’abord distinguer l’habitude de l’accoutumance organique (qui ne se traduit que par des changements d’ordre biologique), de l’habituation (qui consiste dans des acquisitions propres à une situation nouvelle et qui disparaît dès que celle-ci perd son caractère inédit), des habitudes collectives (qui font intervenir des processus propres à un groupe donné), des habiletés ou performances (qui sont les résultats mesurables, comme dans les sports, de systèmes complexes d’actes organisés en vue d’un but et supposant un long entraînement).

Entendue au sens strict, l’habitude est alors l’association d’une stimulation (S) et d’une réponse (R), de telle sorte que celle-ci reparaît de manière régulière en présence de celle-là, comme la salivation du chien de Pavlov, après un conditionnement approprié, dès que retentit la cloche. Mais, pour les uns, cette liaison S-R, élémentaire et primitive, ne constitue qu’un processus associatif simple, tandis que les autres y voient, dès ce stade, le signe d’une activité organisatrice du sujet. Le problème de l’habitude se trouve principalement posé à propos des activités supérieures qui définissent l’intelligence et dont on se demande dans quelle mesure elles dépendent du mécanisme des habitudes, c’est-à-dire des ajustements progressifs de tâtonnements, d’essais et erreurs, de répétitions, etc. Pour l’école «associationniste» et empiriste, qui s’est surtout développée dans le monde anglo-saxon, avec E. L. Thorndike, J. B. Watson, E. R. Guthrie, C. L. Hull, toute connaissance vient de l’expérience, laquelle se ramène à une association nouvelle entre une stimulation et une réponse, c’est-à-dire à la formation d’une habitude nouvelle. Pour le courant «cognitiviste» de W. Köhler, P. Guillaume, J. Piaget (en Europe) et E. C. Tolman (aux États-Unis), il n’existe pas d’associations pures et toute habitude, même la plus élémentaire, fait intervenir une activité structurante du sujet. Selon Piaget notamment, si l’habitude peut être envisagée comme chronologiquement antérieure à l’intelligence, cela ne signifie pas que cette dernière procède de la première. En réalité, l’une et l’autre dépendent de l’activité assimilatrice du sujet, laquelle, véritable source de connaissance, engendre, d’une part, des ensembles indécomposables et irréversibles (les habitudes), d’autre part, des ensembles mobiles et réversibles (les conduites intelligentes). Piaget, d’ailleurs, fait des premiers les stades élémentaires des processus beaucoup plus élaborés qui interviennent dans la construction du savoir scientifique.

En marge de ce débat théorique, étayé néanmoins sur de très fines et très nombreuses expériences spécifiques, beaucoup d’études ont été consacrées aux différents facteurs qui entrent en jeu dans l’acquisition et le perfectionnement des habitudes. Elles constituent une part importante des travaux sur l’apprentissage et sur les «transferts d’apprentissages», qui consistent en des interactions entre différents systèmes d’habitudes. On étudie aussi les caractéristiques spécifiques des diverses espèces d’habitudes (sensori-motrices, intellectuelles, artistiques, sensorielles, mnémoniques, etc.) et leurs rôles respectifs dans le processus général de l’adaptation, ainsi que leurs modalités d’acquisition en fonction du sexe ou de l’âge.

Le problème de l’habitude intéresse enfin la sociologie et la psychosociologie. De ce point de vue, les uns considèrent la rigidité de tels mécanismes comme un facteur de conservation sociale, comme «un énorme volant qui régularise les mouvements de la société, nous garde dans les limites de l’ordre et sauve les privilégiés de la fortune des assauts de l’envie» (W. James). Les autres, plus sensibles à la plasticité des habitudes, pensent qu’en toute société et à tout âge celles-ci peuvent être, en se complexifiant et en s’affinant sans cesse, un ferment d’innovation et de transformation.

habitude [ abityd ] n. f.
XIVe « complexion »; lat. habitudo « manière d'être »
IVx Complexion, constitution d'un être. habitus. II
1Manière de se comporter, d'agir, individuelle, fréquemment répétée. « Ce qui forme les habitudes, ce sont les actes fréquents et réitérés » (Bourdaloue). Des habitudes de paresse. « les anciennes habitudes élégantes de l'homme du monde » (Hugo). De vieilles habitudes. Des habitudes de vieux garçon. Douce habitude, habitude qui devient un tic. manie, marotte. Avoir ses petites habitudes ( train-train) . Prendre une bonne, une mauvaise habitude. 1. pli. Une habitude invétérée. « La seule habitude qu'on doit laisser prendre à un enfant est de n'en contracter aucune » (Rousseau). Être esclave de ses habitudes ( maniaque, routinier) . Changer d'habitudes, ses habitudes. Il a perdu cette mauvaise habitude ( se déshabituer) . « Grognon comme un vieux chien qu'on aurait dérangé dans ses habitudes » (Céline). Cela n'est pas son habitude, dans ses habitudes; cela sort de ses habitudes : il n'agit pas ainsi d'ordinaire. Avoir ses habitudes dans un restaurant ( habitué) . Loc. PAR HABITUDE : parce qu'on a toujours agi de telle façon, sans réflexion. ⇒ machinalement; routine. Par habitude professionnelle ( déformation) . À son habitude, selon, suivant son habitude; comme à son habitude : comme il fait d'ordinaire.
L'HABITUDE DE (qqch., faire qqch.). Donner l'habitude de la propreté. « Quand vous avez l'habitude de vous coucher sur la droite, ce n'est pas à mon âge que vous changez » (Romains). Je n'ai pas l'habitude de répéter : je ne vous le répéterai pas. Je n'en ai pas l'habitude. Il a la sale habitude de me contredire. Avoir pour habitude de faire qqch. (cf. Être coutumier du fait).
Absolt (collect.) L'habitude : l'ensemble des habitudes de qqn, des comportements habituels. PROV. L'habitude est une seconde nature. « L'habitude abêtissante qui pendant tout le cours de notre vie nous cache à peu près tout l'univers » (Proust). La force de l'habitude.
2Usage d'une collectivité, d'un lieu. coutume, mœurs, règle, tradition, usage. « La vie sociale nous apparaît comme un système d'habitudes » (Bergson). Ce sont les habitudes de l'endroit, du pays. Avoir des habitudes de paysan, de bourgeois. manière.
3Le fait d'être constamment en contact, en relation, d'éprouver constamment, par lequel se crée la familiarité. accoutumance. « Qui t'a donné une philosophie aussi gaie ? — L'habitude du malheur » (Beaumarchais). Elle a une grande habitude des enfants. Il vous laisse seule ? Ce n'est rien, j'en ai l'habitude, j'y suis habituée, c'est toujours ainsi. C'est une question d'habitude, vous vous y ferez. L'habitude émousse les sensations. « Ce n'est pas dans la nouveauté, c'est dans l'habitude que nous trouvons les plus grands plaisirs » (Radiguet). Manque d'habitude.
4spécialt Usage répété, action répétée qui apporte l'habileté ou la connaissance. 1. pratique. « L'habitude du métier est si nécessaire dans tous les arts » (E. Delacroix). Acteur qui a une grande, une longue habitude de la scène. Je n'ai pas l'habitude de cette voiture; de ces méthodes. expérience.
5Loc. adv. D'HABITUDE : comme c'est d'ordinaire, comme le plus souvent. ⇒ habituellement. D'habitude, je me lève tard (cf. À l'accoutumée). Il vient d'habitude le mardi. généralement. Le café est meilleur que d'habitude. ordinairement. — COMME D'HABITUDE : comme toujours. Comme d'habitude, il est en retard. Il n'est pas comme d'habitude. Abrév. fam. Comme d'hab [ kɔmdab ].
⊗ CONTR. Accident, exception. Nouveauté. Inexpérience.

habitude nom féminin (latin habitudo, -inis, manière d'être, de habere, être) Manière ordinaire, habituelle d'agir, de penser, de sentir, propre à quelqu'un ou à un groupe de personnes : Ils ont l'habitude de déjeuner au restaurant le dimanche. Aptitude à accomplir avec facilité et sans effort particulier d'attention tel ou tel genre d'actions, acquise par une pratique fréquente, l'exercice, l'expérience : Habitude de la conduite automobile. L'habitude d'organiser. Adaptation de degré variable à certains états, qui fait qu'on les supporte plus aisément : Prendre l'habitude de vivre seul. C'est une question d'habitude. Usage répété de quelque chose qui crée un besoin chez quelqu'un : Se défaire de l'habitude de fumer. Manière de faire, comportement créés chez quelqu'un par une action répétée : De mauvaises habitudes dans sa manière de taper à la machine.habitude (citations) nom féminin (latin habitudo, -inis, manière d'être, de habere, être) Évariste Désiré de Forges, chevalier puis vicomte de Parny île Bourbon, aujourd'hui la Réunion, 1753-Paris 1814 Académie française, 1803 La variété est la source de tous nos plaisirs, et le plaisir cesse de l'être quand il devient habitude. Lettres, janvier 1775 Charles Péguy Orléans 1873-Villeroy, Seine-et-Marne, 1914 La mémoire et l'habitude sont les fourriers de la mort. Note conjointe sur M. Descartes Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 En amour, il est plus facile de renoncer à un sentiment que de perdre une habitude. À la recherche du temps perdu, la Prisonnière Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 L'habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première dont elle n'a ni les cruautés, ni les enchantements. À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe Gallimard Raymond Radiguet Saint-Maur-des-Fossés 1903-Paris 1923 Ce n'est pas dans la nouveauté, c'est dans l'habitude que nous trouvons les plus grands plaisirs. Le Diable au corps Grasset Marcel Schwob Chaville 1867-Paris 1905 Toute habitude nous est pernicieuse ; car elle nous empêche de nous offrir entièrement aux mensonges nouveaux. Le Livre de Monelle Mercure de France Samuel Beckett Foxrock, près de Dublin, 1906-Paris 1989 L'habitude est une grande sourdine. Habit is a great deadener. En attendant Godot, II Edmund Burke Dublin vers 1729-Beaconsfield 1797 L'habitude nous réconcilie avec tout. Custom reconciles us to everything. On the Sublime and Beautiful, IV, 18 Abd al-Rahman Ibn Khaldun Tunis 1332-Le Caire 1406 L'homme est fils de ses habitudes et de son milieu, et non fils de sa nature et de son mélange d'humeurs. Prolégomènes William James New York 1842-Chocorua, New Hampshire 1910 L'habitude est l'énorme volant d'entraînement de la société, son plus précieux agent de conservation. Habit is the enormous fly-wheel of society, its most precious conservative agent. Principles of Psychology, I Aleksandr Sergueïevitch Pouchkine Moscou 1799-Saint-Pétersbourg 1837 L'habitude est l'âme des États. Boris Godounov habitude (expressions) nom féminin (latin habitudo, -inis, manière d'être, de habere, être) À son habitude, selon, suivant son habitude, comme il fait le plus souvent. Délit d'habitude, délit continu qui suppose la répétition de plusieurs actes semblables dont chacun, pris isolément, n'est pas punissable (usure, exercice illégal de la médecine, etc.). D'habitude, de façon habituelle, ordinairement, dans la majorité des cas, généralement. Par habitude, de façon machinale, sans penser à ce que l'on a fait. ● habitude (synonymes) nom féminin (latin habitudo, -inis, manière d'être, de habere, être) Manière ordinaire, habituelle d'agir, de penser, de sentir, propre à...
Synonymes :
Aptitude à accomplir avec facilité et sans effort particulier d'attention...
Synonymes :
- expérience
Adaptation de degré variable à certains états, qui fait qu'on...
Synonymes :
- entraînement

habitude
n. f.
d1./d Manière d'agir, état d'esprit acquis par la répétition fréquente des mêmes actes, des mêmes faits. Avoir l'habitude de fumer, de faire du sport, de se coucher tôt.
Il n'a pas l'habitude d'être contredit.
Prov. L'habitude est une seconde nature.
d2./d Coutume. Les habitudes de la maison.
Les habitudes alimentaires.
d3./d Loc. adv. D'habitude: ordinairement, le plus souvent. D'habitude, je le vois le jeudi.

⇒HABITUDE, subst. fém.
I. — Vx. Conformation d'un être humain, d'un animal ou d'un végétal. Synon. complexion. Habitudes physiques. Alors, examinant de nouveau le cadavre, il reconnut les longues mains, les cheveux rares, et toute l'habitude du corps de l'infortuné (HUGO, Han d'Isl., 1823, p. 519) :
1. Les anciens (...) avaient remarqué qu'à telles apparences extérieures, c'est-à-dire, à telle physionomie, taille, proportion des membres, couleur de la peau, habitude du corps, état des vaisseaux sanguins, correspondaient assez constamment telles dispositions de l'esprit...
CABANIS, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. 38.
II. A. — Manière usuelle d'être, de sentir ou de faire. La mère, la tante et Mariotte s'entendaient (...) pour fêter Calyste quand il dînait au logis. La pauvreté bretonne, armée des souvenirs et des habitudes de l'enfance essayait de lutter avec la civilisation parisienne (BALZAC, Béatrix, 1839-45, p. 119). Je ne dirai pas (...) que le peintre les ait mal vus [les portraits de Rubens]; mais je croirais qu'il les a regardés à la légère, par l'épiderme, peut-être à travers des habitudes, sans doute à travers une formule (FROMENTIN, Maîtres autrefois, 1876, p. 107). Cette distinction [entre les sons et les lettres] a abouti pratiquement à la naissance d'alphabets phonétiques, c'est-à-dire à une représentation directe des sons, indépendante des habitudes orthographiques (Traité sociol., 1968, p. 266) :
2. ... nous pouvons prendre l'habitude de la prière, la prière devient une habitude — une chère — la plus chère de nos habitudes.
BERNANOS, Crime, 1935, p. 760.
Loc. adv.
D'habitude. De manière courante, ordinairement. Nous allons chez les marchands où je me fournis d'habitude (FIÉVÉE, Dot Suzette, 1798, p. 123). Voilà l'heure d'aller à la soupe. Je te verrai ce soir comme d'habitude? — Si tu veux (AYMÉ, Jument, 1933, p. 106) :
3. — Est-ce que ce n'est pas par défi, par orgueil, par complaisance à moi-même que je m'entête? — C'est drôle que vous ayez ce genre de scrupules, dis-je. D'habitude vous ne vous méfiez pas de vous. — Je me méfie aussi de mes habitudes!
BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 194.
Par habitude. Sans réfléchir, machinalement. On répète encore longtemps, par habitude, ce que l'on ne croit plus (JOUBERT, Pensées, t. 1, 1824, p. 306). C'est vrai que Basilida était sa cousine; mais plus jeune qu'elle de quatre ou cinq ans, il la respectait, un peu par habitude (TOULET, J. fille verte, 1918, p. 7).
1. [En parlant d'une collectivité] Façon quasi-permanente de se comporter, de réagir à des événements. Synon. coutume. Conserver, perdre une habitude; renoncer aux habitudes; rompre les habitudes; contraire aux habitudes; habitudes de mœurs, de langage; habitudes et opinions; mœurs et habitudes. Il n'y a point de défaut, point de qualité, point d'habitude en France qui n'ait sa parodie. La passion de la chasse est parodiée à Paris (JOUY, Hermite, t. 4, 1813, p. 185). Les parentés, les relations de famille, les habitudes de société, les convenances de voisinage et de fortune (LAMART., Nouv. Conf., 1851, p. 22). Les chiffres [poids moyen des carcasses abattues] doivent être interprétés en tenant compte des goûts et des habitudes alimentaires propres à chaque pays (WOLKOWITSCH, Élev., 1966, p. 21) :
4. ... si la parole est l'expression de la pensée d'un homme, une langue entière est l'expression des pensées d'un peuple, qui sont ses lois, ses coutumes, ses habitudes.
BONALD, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 265.
P. anal. Les qualités qui consacrent le vrai chasseur : connaissance des habitudes du gibier, endurance, persévérance, adresse en toutes circonstances, réflexes prompts (VIDRON, Chasse, 1945, p. 6).
2. [En parlant d'un individu]
a) Façon permanente, fréquente, régulière ou attendue, d'agir, de sentir ou de se comporter, acquise volontairement ou non. Il faut que je vous prévienne des habitudes de Madame : elle ne boit que du vin (GONCOURT, Journal, 1860, p. 773). Il faudrait quitter votre existence, votre maison, vos habitudes, tout, tout! Hors de là, il n'y a pas de remède, d'espoir (FLAUB., Corresp., 1861, p. 412). C'est, il faut bien le dire, la funeste habitude que la plupart des femmes ont de trop serrer leurs corsets (HOLTZEM, Bases art chant, 1865, p. 142). Non, décidément, rien n'est changé et cela est bon. Le changement m'irrite, j'aime mes habitudes! (CAMUS, État de siège, 1948, p. 204) :
5. ... le déjeuner était, pour tout le monde, une heure plus tôt. Et ma tante avait si bien pris l'habitude de cette dérogation hebdomadaire à ses habitudes, qu'elle tenait à cette habitude-là autant qu'aux autres.
PROUST, Swann, 1913, p. 110.
Mauvaises habitudes. Comportement contraire aux règles morales en vigueur. Si je restais, ma femme croirait que je prends de mauvaises habitudes; elle serait inquiète (ERCKM.-CHATR., Ami Fritz, 1864, p. 197).
P. euphém. Onanisme :
6. On dit d'un petit garçon qu'il « a de mauvaises habitudes ». On devrait lui apprendre qu'il n'en existe pas de bonne. L'habitude! L'habitude qui nous endort dans la roue morte de l'infortune...
COCTEAU, Foyer artistes, 1947, p. 114.
Être, homme d'habitude(s). Être, homme dont la vie est réglée par des actes qui se répètent. Il était devenu un être d'habitude et craignait le nouveau (ESTAUNIÉ, Simple, 1891, p. 46) :
7. ... M. Dubois tenait par son éducation à la vieille société française. On le disait égoïste et parcimonieux (...). C'était un homme d'habitudes, qui aimait la simplicité, la pratiquait, s'en faisait à la fois un agrément et une vertu.
A. FRANCE, Vie fleur, 1922, p. 339.
Avoir des habitudes. Avoir une vie réglée par des actes qui se répètent. Le cher enfant avait déjà des habitudes, des manies, comme un vieux garçon (MAURIAC, Baiser lépreux, 1922, p. 160).
Ça devient une habitude (en parlant d'un acte ou d'un fait qui se répète un peu trop souvent).
DR. PÉNAL. Délit d'habitude. ,,Infraction caractérisée par une répétition habituelle de l'acte`` (BARR. 1974).
THÉOL. Péché d'habitude. ,,Péché provoqué par une sorte d'automatisme (ou de pli) de la puissance qu'il concerne`` (Foi t. 1 1968).
P. méton. L'habitude. La force de l'habitude. Effet, empire, influence, pouvoir, puissance de l'habitude :
8. Les efforts de ces principes universels et constans de nos affections se modifient dans chaque homme, et sont inclinés vers tel ou tel objet principal par le pouvoir déterminant de l'habitude. Entre plusieurs choses qui étoient également possibles, l'habitude a rendu les unes toutes naturelles et convenables, et laissé les autres encore difficiles et comme étrangères.
SENANCOUR, Rêveries, 1799, p. 39.
Proverbe. L'habitude est une seconde nature. Nous pourrions rétablir la fortune de Didier Orry; mais il nous en coûterait cher, parce qu'il a joui longtemps des douceurs de l'aisance et que l'habitude est une seconde nature (NODIER, Fée Miettes, 1831, p. 158).
SYNT. a) À/dans son habitude. b) Douce, longue, vieille habitude; habitude ancienne, constante, machinale; bonnes habitudes. c) Avoir, donner, prendre, reprendre une/des habitude(s); perdre, quitter une/des habitude(s). d) Ne pas avoir, manquer, changer d'habitude(s). e) Être l'esclave d'une habitude; être attaché à une habitude. f) Communiquer, donner une/l'habitude à qqn.
Rem. Être dans l'habitude de (faire qqc.) « avoir l'habitude de (faire quelque chose) » est vieilli. Malgré l'habitude où je suis de ne répondre à aucune critique, je ne puis accepter la vôtre (FLAUB., Corresp., 1863, p. 76).
b) Longue fréquentation d'une personne avec une autre personne; p. méton., personne fréquentée. Une habitude déjà longue a supprimé entre nous la politesse, la coquetterie, la pudeur, tous les mensonges (COLETTE, Vagab., 1910, p. 164) :
9. Mon idéal, ce serait d'être une chère habitude pour trois ou quatre personnes d'un certain âge...
SARTRE, P. respect., 1946, p. 42.
Avoir l'habitude de qqn. [Correspond à habituer B 2] Être accoutumé au comportement de quelqu'un. Mme de Séryeuse n'avait aucune habitude d'Anne, de ses images, de ses folies (RADIGUET, Bal, 1923, p. 102).
Rem. L'expr. avoir l'habitude auprès de qqn est vieillie (Ac.).
B. — P. méton. [Souvent avec un compl. déterminatif introd. par de] Capacité acquise par répétition. Habitude professionnelle; affaire d'habitude. L'habitude de l'ordre dans les idées est pour toi la seule route au bonheur (DELACROIX, Journal, 1823, p. 26). Je jetai un coup d'œil sur le lit, et avec l'instinct que nous donne l'habitude des affaires, je devinai ce qui s'était passé (BALZAC, Gobseck, 1830, p. 434) :
10. L'école primaire, dans son enseignement terminal (...) doit donner aux élèves des habitudes d'esprit, une confiance dans les méthodes scientifiques et les connaissances de base qui leur permettent d'admettre et de comprendre l'évolution des techniques...
Encyclop. éduc., 1960, p. 186.
P. ext. Expérience pratique. Habitude d'écrire, de lire; manquer d'habitude. Ceux qui ont une grande habitude du cheval et qui ont servi dans la cavalerie (DAVOUT, Réorg. milit., 1871, p. 34).
Avoir l'habitude de :
11. ... plus on s'éloigne [dans le temps], plus la preuve d'un fait surnaturel devient difficile à fournir. Pour bien comprendre cela, il faut avoir l'habitude de la critique des textes et de la méthode historique; or voilà ce que les mathématiques ne donnent en aucune façon.
RENAN, Souv. enfance, 1883, p. 238.
C. — P. ext. Accoutumance (à certaines actions, sensations, sentiments). Habitude du froid, du travail :
12. Je sais ce que c'est que ces arrachements de l'âme où il semble que l'on va mourir soi-même. Et si le temps, si l'habitude, émousse la souffrance, il ne l'enlève pas, au contraire!
FLAUB., Corresp., 1861, p. 426.
Avoir l'habitude (de) (v. habitué II). [Relativement à une pratique devenue fam.] Ne pas (la) trouver pénible, difficile. [Relativement à un affect fréq. ressenti] Ne pas (en) être ému. Elle ne permettait pas à Henriette de laver la vaisselle : « Laissez, disait-elle, laissez, j'ai l'habitude... » (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 217).
Rem. Habitudineux, -euse, adj., hapax. Il faut, te dis-je, une saison ici après une saison à Broussais pour t'inciter aux habitudineuses relevées! (VERLAINE, Corresp., 1889, p. 41).
Prononc. et Orth. : [abityd]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1365 habitude « relation, rapport » (ORESME, Traictié des monnoies, éd. M. L. Wolowski, chap. X, p. XXX); b) 2e moitié XVe s. « relation avec quelqu'un » (Myst. du V. Testament, éd. J. de Rothschild, 6533); 2. 1370-72 « disposition générale (du corps) » (ORESME, Ethiques, éd. A. D. Menut, livre V, chap. 23, p. 327-8); 3. 1580 « disposition acquise par la répétition » (LA PORTE, Epith., p. 202 ds GDF. Compl.). Empr. au b. lat. habitudo, -inis « aspect physique; manière d'être », « relation » dér. du supin habitum de habere, avoir, avec peut-être infl. de habituer pour le sens 3 (cf. FEW t. 4, p. 371a). L'expr. avoir l'habitude employée fréquemment au XVIIe s. (v. LITTRÉ) avec la prép. à au sens de « être accoutumé » a supplanté l'anc. verbe so(u)loir (fin Xe s. Passion, éd. D'A. S. Avalle, 458) dont la Bruyère (Caractères, chap. 14, n° 73, éd. G. Servois, t. 3, 1, p. 213) constate la disparition (cf. aussi RICH. et FUR.). Fréq. abs. littér. : 12 040. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 19 330, b) 15 440; XXe s. : a) 14 842, b) 17 510.

habitude [abityd] n. f.
ÉTYM. V. 1361, au sens de « complexion »; lat. habitudo « manière d'être, état », de habitum, supin de habere « avoir, se trouver dans un état ». → Avoir.
———
I Vx. Complexion, constitution (d'un être). Habitus. — ☑ Loc. Habitude du corps.
1 (…) cette physionomie (…) cette habitude du corps, menue, grêle, noire et velue, lesquels signes le dénotent très affecté de cette maladie (…)
Molière, Monsieur de Pourceaugnac, I, 8.
———
II (XVe). Mod. Manière d'être ou disposition permanente acquise sous l'influence d'une action extérieure, de l'éducation ou d'un effort personnel. || Qui tient de l'habitude. Habituel. || Accoutumer par l'habitude. Habituer.REM. De façon générale, l'habitude acquise est opposée à la nature ou aux aptitudes innées. Mais on a souvent remarqué qu'elle finit par prendre certains aspects de la nature.
1 Façon d'agir constante. Coutume.(Dans une collectivité). Manière, façon d'être à laquelle la plupart des membres d'une société se conforment. Coutume (cit. 5), mœurs, règle, rite, tradition, usage. || Conforme aux habitudes. Admis, classique, courant, habituel, normal. || Habitudes d'habillement. Mode. || C'est l'habitude, on a l'habitude, en Espagne, de manger très tard. || Ce sont les habitudes de l'endroit, du pays. || Les habitudes des peuplades primitives (→ Avorter, cit. 11). || Ces pudeurs ne sont guère dans nos habitudes occidentales (→ Après, cit. 5). || Habitudes et conventions (cit. 7) sociales. || S'encroûter (cit. 2) dans les habitudes de la province. || Habitudes administratives (→ Fou, cit. 6). || Habitudes des diverses professions (→ Contrecarrer, cit. 2). || Avoir des habitudes de paysan, de bourgeois. Manière. || Les habitants de ce pays, de cette région ont tous pris, contracté l'habitude de… (→ Costumer, cit.; fréter, cit. 1). || S'adapter facilement aux habitudes de divers pays ( Cosmopolite).
2 C'est dans les mœurs, dans les institutions, dans le langage même que se déposent les acquisitions morales; elles se communiquent ensuite par une éducation de tous les instants; ainsi passent de génération en génération des habitudes qu'on finit par croire héréditaires.
H. Bergson, les Deux Sources de la morale et de la religion, p. 289.
3 La vie sociale nous apparaît comme un système d'habitudes plus ou moins fortement enracinées qui répondent aux besoins de la communauté.
H. Bergson, les Deux Sources de la morale et de la religion, p. 2.
4 En était-il arrivé, sans s'en apercevoir, aux pires habitudes d'esprit du bavardage parlementaire et du journalisme ?
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, XVI, p. 215.
(Chez les individus). Façon d'agir ou de se comporter plus ou moins constante et régulière. Coutume. || Petites habitudes plus ou moins ridicules. Manie, marotte (→ Certain, cit. 12; fréquent, cit. 1). || L'habitude de… (et inf.). || J'ai l'habitude, c'est mon habitude de me promener à cinq heures (→ Faire, cit. 197). || Nous avons l'habitude de nous servir chez ce marchand, c'est notre fournisseur attitré. || L'habitude, les habitudes de qqn, ses habitudes. || On ne lui connaît que cette habitude (→ Fréquentation, cit. 6). || L'habitude de bavarder, de s'enivrer (cit. 18), de fumer (cit. 29). || Avoir l'habitude de boire : s'adonner à la boisson, être sujet à boire. || L'habitude de fréquenter les mauvais lieux, de courir (cit. 51) les femmes… (→ Engouffrer, cit. 7).L'habitude de… (qqch.). || L'habitude des stupéfiants, de l'opium (→ Énergie, cit. 11).Des habitudes de… || Habitudes d'orgueil (→ Borner, cit. 25), de braverie (cit. 2), de silence (→ Cacher, cit. 21), de défiance (→ Figer, cit. 6); de paresse (→ Faction, cit. 6), de fainéantise (cit. 1); d'ascétisme (cit. 3). Attitude, penchant. || Habitudes de travail.Habitudes insouciantes de bohème… (→ Briser, cit. 29).Avoir des habitudes de grand seigneur, de soudard. Façon(s), manière(s). || Habitudes de carabin (cit. 1).Habitudes intellectuelles, habitudes d'esprit (→ Appétence, cit. 4; empirisme, cit. 2). || Habitudes (et adj.). || Habitudes sédentaires, de sédentarité (→ Excitation, cit. 6). || Habitudes élégantes, douces (→ Bien-être, cit. 1). || Habitude à laquelle on s'abandonne volontiers. Péché (mignon). || Drôle d'habitude. || Sale habitude (→ Gnôle, cit. 1). || Innocente habitude. || Bonne, excellente, salutaire, heureuse habitude. || Habitude néfaste. Errement, pli (mauvais pli). || Habitude qui devient un tic (→ Fantassin, cit. 1). Déformation. || Se faire une habitude de qqch. (→ Auteur, cit. 40; créer, cit. 17; essuyer, cit. 7). — Habitudes qui se créent (cit. 20), se forment. || Contracter (cit. 6), prendre une habitude (→ Bout, cit. 20; différent, cit. 9). || Garder, conserver une habitude. || Habitudes constantes, inchangeables, invétérées, enracinées (cit. 15), implantées en nous. || Vieilles habitudes. || Longue habitude, acquise depuis fort longtemps. || Il est très régulier dans ses habitudes. → Réglé comme une horloge. || Un casanier très attaché (cit. 101) à ses habitudes. || Être esclave de ses habitudes, encroûté, sclérosé dans ses habitudes. || J'en ai tellement l'habitude que je ne puis m'en passer, c'est plus fort que moi. || La chaîne, le joug, le train-train des habitudes. Routine (→ Forger, cit. 3). || Donner à qqn une habitude. Familiariser (avec). || L'oisiveté crée de mauvaises habitudes. Acoquiner. || Communiquer, imposer ses habitudes à qqn. || Changer les habitudes de qqn ( Déclimater, dépayser, déshabituer). || Changer, rompre ses habitudes (→ Exciter, cit. 41). || Cela sort de ses habitudes, n'est pas dans ses habitudes ( Extraordinaire). || Abandonner ses vieilles habitudes. → Dépouiller le vieil homme. || Déranger, gêner qqn dans ses habitudes (→ Autoritarisme, cit.; bouleversement, cit. 3). || Dépouiller qqn de ses habitudes (→ Factice, cit. 6). || Se corriger d'une mauvaise habitude (→ Couper, cit. 15). || Perdre l'habitude d'employer une expression (→ Fraîcheur, cit. 18). || Habitude qui s'en va (→ Discontinuer, cit. 2). || J'ai fini par lui faire perdre cette habitude. || Retrouver ses habitudes.
5 Les vertus morales sont habitudes acquises et apprises par longue accoutumance et long usage, insinuées et imprimées de longue main en cette partie et faculté de l'âme irraisonnable pour corriger, châtier, subjuguer et mettre sous l'obéissance les passions de l'appétit et de la sensualité (…)
Ronsard, Œuvres en prose, « Des vertus ».
6 Ce qui forme les habitudes, ce sont les actes fréquents et réitérés.
Bourdaloue, Pensées, t. III, p. 73.
7 Je ne quitterai point mes douces habitudes (…)
Molière, Dom Juan, V, 2.
8 (…) ils ont contracté du barreau certaine habitude de déclamation.
Molière, Monsieur de Pourceaugnac, II, 10.
9 (…) il met du rouge, mais rarement, il n'en fait pas habitude.
La Bruyère, les Caractères, XIII, 14.
N. B. On dirait aujourd'hui Il n'en fait pas une habitude.
10 (…) j'ai déjà vieilli dans l'habitude de ne dire jamais mon secret, et encore plus de ne trahir jamais, sous aucun prétexte, le secret d'autrui.
Fénelon, Télémaque, III.
11 La seule habitude qu'on doit laisser prendre à l'enfant est de n'en contracter aucune (…)
Rousseau, Émile, I.
12 Une femme doit-elle perdre l'habitude de séduire ?
Balzac, les Ressources de Quinola, II, 8.
13 (…) ses manières décidées, la sécurité de son regard, le port de sa tête, tout aurait trahi ces habitudes régimentaires qu'il est impossible au soldat de jamais dépouiller, même après être rentré dans la vie domestique.
Balzac, le Médecin de campagne, Pl., t. VIII, p. 319.
14 (…) dans l'ombre du lit, derrière un rideau, les ustensiles de toilette trahissant encore les anciennes habitudes élégantes de l'homme du monde (…)
Hugo, les Misérables, I, I, VI.
15 Lisez et ne rêvez pas. Plongez-vous dans de longues études; il n'y a de continuellement bon que l'habitude d'un travail entêté. Il s'en dégage un opium qui engourdit l'âme.
Flaubert, Correspondance, 285, 26 juil. 1851.
16 C'était un vieillard dont la vie, les idées, les habitudes, formaient avec celles du pays le plus singulier contraste.
Renan, Souvenirs d'enfance…, V, p. 90.
17 Ce qui est moins acceptable, c'est le penchant qu'il manifeste à faire des dupes, je veux dire l'habitude qu'il a de spéculer sur la niaiserie du partenaire.
G. Duhamel, Salavin, I, XV.
18 Peu porté lui-même au paradoxe — par une sorte de respect filial de la vérité, et aussi par l'habitude professionnelle de penser juste — il ne le détestait pas chez autrui.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, IX, p. 90.
19 (…) quand vous avez l'habitude de vous coucher sur la droite, ce n'est pas à mon âge que vous changez (…)
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. II, VII, p. 75.
20 (…) grognon, comme un vieux chien qu'on aurait dérangé dans ses habitudes et qui essaie de retrouver son panier à coussin partout où on veut bien lui ouvrir la porte.
Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 30.
21 Souvent un léger changement dans les habitudes peut agir en bien dans le cas d'une personne nerveuse.
J. Green, Adrienne Mesurat, IV, p. 239.
Loc. — Avec dans. a Vieilli. || Être dans l'habitude de faire une chose.
21.1 Je n'ai reçu qu'une lettre de vous, ma chère fille, et j'en suis fâchée, j'étais dans l'habitude d'en avoir deux.
Mme de Sévigné, in Littré.
b Mod. Il n'est pas dans son habitude (et surtout dans ses habitudes) d'agir ainsi. || Ce n'est pas dans ses habitudes de rentrer si tard.
Loc. Vx. || L'habitude à (qqch.), à (et inf.). || L'habitude à régner (Corneille), à souffrir (Voltaire). || L'habitude qu'elle a aux péchés (Pascal, in Littré).
Par euphém. || Mauvaises habitudes ( Onanisme).
22 Dame ! déclara la Bécu, quand on ne marie point les filles ! Ils ont bien tort de ne pas la donner au fils du charron (…) Et, d'ailleurs, à ce qu'on raconte, celle-là se tue le tempérament avec ses mauvaises habitudes.
Zola, la Terre, IV, 4.
Absolt. (Collectif). || L'habitude : l'ensemble des habitudes de qqn. || Cherchez le bonheur dans l'habitude (→ Monotonie, cit. 1). || L'habitude, la force de l'habitude (→ Axe, cit. 2; découdre, cit. 4). || L'ornière, les chaînes, les liens de l'habitude (→ Aisément, cit. 5). || L'habitude, obstacle à la volonté (→ Empêcher, cit. 13). || L'habitude enchaîne (→ Former, cit. 47). || Sentiment qu'engendre l'habitude (→ Affermir, cit. 7). || L'habitude, source d'inertie et d'inconscience ( Automatisme).
23 (…) l'empire de l'habitude est très grand sur les vieillards et sur les gens indolents, très petit sur la jeunesse et sur les gens vifs. Ce régime n'est bon qu'aux âmes faibles, et les affaiblit davantage de jour en jour.
Rousseau, Émile, II (note).
24 L'habitude est une étrangère
Qui supplante en nous la raison (…)
(…) cette vieille au pas monotone
Endort la jeune liberté;
Et tous ceux que sa force obscure
A gagnés insensiblement,
Sont des hommes par la figure,
Des choses par le mouvement.
Sully Prudhomme, Poésies, « L'habitude ».
25 D'ailleurs, quand il n'y a, de part ou d'autre, ni dégoût physique ni haine, l'habitude finit par créer une espèce de lien malgré tout…
Loti, Mme Chrysanthème, XVI, p. 94.
26 Soulevant un coin du voile lourd de l'habitude (l'habitude abêtissante qui pendant tout le cours de notre vie nous cache à peu près tout l'univers […]) […]
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XIII, p. 157.
Vice, défaut d'habitude, dû à l'éducation, aux circonstances, à la persévérance dans une mauvaise voie, et non à la nature du sujet (→ Égarement, cit. 3).
Loc. Par habitude : en suivant un penchant, une inclinaison affermis par le temps, sans spontanéité ni réflexion. Machinalement; routine. || Acheter par habitude un journal qu'on ne lit pas. || Fumer sans plaisir, par habitude. || Suivre certains principes par habitude et sans examen (cit. 4).
27 L'on est encore longtemps à se voir par habitude, et à se dire de bouche que l'on s'aime, après que les manières disent qu'on ne s'aime plus.
La Bruyère, les Caractères, IV, 37 (→ aussi Asservissement, cit. 3; empresser, cit. 5; éreinter, cit. 7).
À son habitude, selon, suivant son habitude : comme de coutume, comme d'ordinaire (→ Cribler, cit. 13; écouter, cit. 8; faire, cit. 162). || Comme à son habitude (→ Fouiller, cit. 13).
28 Suivant son habitude, il se remémorait jusque dans le détail ce discours qu'il avait improvisé.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XIV, p. 215.
Loc. adv. (XIXe). D'habitude : comme les choses se passent d'ordinaire, le plus souvent. Habituellement (→ Accabler, cit. 14; animer, cit. 41; appréhension, cit. 9; assertion, cit. 6; farder, cit. 11; frileux, cit. 6; garder, cit. 54). || D'habitude, il prend ce chemin. || Il vient d'habitude le mardi. || Il est plus ponctuel d'habitude. — ☑ Comme d'habitude : de manière habituelle. → Comme toujours. || Garçon, un café, un apéritif, comme d'habitude ! || Il est parti avant la fin, comme d'habitude. — ☑ Abrév. fam. : comme d'hab [kɔmdab], marque la reconnaissance d'une situation normale, courante, prévisible.
(En parlant d'un événement quelconque et non plus d'un acte individuel, commandé par les habitudes de qqn). Généralement, ordinaire (d'). || Le café est meilleur que d'habitude (→ Empaumer, cit. 2). || Il y a eu moins de monde que d'habitude. || Comme d'habitude (→ Envelopper, cit. 6; fois, cit. 18). || Il n'est pas comme d'habitude.
28.1 Déjà le matin, au petit déjeuner, Mariette avait un air pas comme d'habitude. Et à midi (…)
M. Aymé, le Vin de Paris, « Traversée de Paris », p. 37.
2 a Vx. « Accès auprès de quelqu'un, fréquentation ordinaire » (Académie, Littré). || Avoir habitude auprès de qqn ou avec qqn, en quelque lieu, en quelque maison (Académie 1935, qui indique qu'en ce sens habitude est vieux).
29 Je vous avoue que je n'ai aucune habitude avec ces messieurs-là (Aristote et Horace), et que je ne sais point les règles de l'art.
Molière, Critique de l'École des femmes, VI.
b Par métonymie (mais généralt compris comme relevant du sens 1). (Vieilli). Maîtresse.
29.1 (…) une vraie maîtresse, là ? appelle ça comme tu voudras, une habitude, si tu veux.
Ed. et J. de Goncourt, Sœur Philomène, p. 168.
3 L'habitude de…, absolt l'habitude : processus par lequel la répétition de mêmes actes, de mêmes situations, de mêmes phénomènes, avive, atténue ou supprime certaines sensations, impressions ou sentiments qu'ils faisaient primitivement éprouver. Accoutumance (cit. 4); acclimatement, adaptation; endurance, endurcissement, entraînement. || L'habitude de l'effort (→ Amollir, cit. 6), du danger (→ Affermir, cit. 6), de la misère, du malheur. || L'habitude rend insensible au bruit. || Il finira, comme tout carabin, par supporter la vue du sang, c'est une question d'habitude. || Affaire d'habitude. || L'habitude de coucher sur la dure, de faire de longues marches, de passer des nuits blanches. || On n'a pas encore pu prendre l'habitude de ne point manger (→ Accoutumer, cit. 19). || L'habitude rend ces poisons anodins (cit. 7). || L'habitude nous apprivoise (cit. 21) avec les choses. Familiariser. || Il vous laisse seule ? Ce n'est rien, j'en ai l'habitude, j'y suis habituée, c'est toujours ainsi. || L'influence anesthésiante, apaisante, calmante de l'habitude (→ Cesser, cit. 7). || L'habitude amortit (cit. 6), émousse (cit. 4) la sensibilité. || L'habitude nous empêche de voir les objets familiers (→ Chambre, cit. 6). || L'habitude engendre l'indifférence, la satiété. || « L'habitude qui fortifie tous les penchants qu'elle ne détruit pas… » (→ Époux, cit. 11, Laclos). || Plaire par la nouveauté, dégoûter par l'habitude (→ Aurore, cit. 20). || L'habitude apprend à goûter certains plaisirs qu'on n'appréciait pas tout d'abord.
30 La grâce de la nouveauté et la longue habitude, quelque opposées qu'elles soient, nous empêchent également de sentir les défauts de nos amis.
La Rochefoucauld, Réflexions et maximes, 426.
31 — Qui t'a donné une philosophie aussi gaie ? — L'habitude du malheur.
Beaumarchais, le Barbier de Séville, I, 2.
32 (…) cet effet singulier de l'habitude qui introduit l'indifférence dans toutes les pratiques prescrites, et qui fait regarder les cérémonies les plus augustes et les plus terribles comme des choses convenues de pure forme (…)
B. Constant, Adolphe, X, p. 97.
33 (…) il faut avouer aussi qu'il y a un charme étrange, plus doux, plus dangereux peut-être, dans l'habitude de vivre avec ce qu'on aime. Cette habitude, dit-on, amène la satiété; c'est possible; mais elle donne la confiance, l'oubli de soi-même, et lorsque l'amour y résiste, il est à l'abri de toute crainte.
A. de Musset, Frédéric et Bernerette, VI, p. 225.
34 La verdure, les oiseaux qui chantent, les blés qui remuent au vent, les hirondelles qui vont si vite, l'odeur de l'herbe, les coquelicots, les marguerites, tout ça me rend folle ! C'est comme le champagne quand on n'en a pas l'habitude.
Maupassant, la Femme de Paul, Au bois, p. 73.
35 (…) je crois là-dessus (les combats de gladiateurs), d'après l'expérience des soldats, des infirmières et des médecins, que l'habitude rendrait promptement insensible à ce genre de spectacle.
Alain, Propos, Hist. et rom., p. 340.
36 (…) nous connaissons le mécanisme de cette hébétude, de cet émoussement d'habitude qui rend, qui finit par rendre une âme impénétrable aux infusions de la grâce.
Ch. Péguy, Note conjointe…, p. 118.
37 La saveur du premier baiser m'avait déçu comme un fruit que l'on goûte pour la première fois. Ce n'est pas dans la nouveauté, c'est dans l'habitude que nous trouvons les plus grands plaisirs.
R. Radiguet, le Diable au corps, p. 63.
38 Au contraire de tant d'autres, l'habitude est une condition de mon plaisir. Plus j'ai de souvenirs, d'images de mes plaisirs passés, plus grand est mon plaisir du moment.
Paul Léautaud, Propos d'un jour, Amour, p. 16.
Habitude passive (ou négative) : accoutumance, adaptation. || Habitude active (ou positive) : apprentissage (→ ci-dessous, 4.).
4 Psychol. et cour. Usage répété, action répétée qui apporte l'habileté ou la connaissance. Pratique. || La répétition d'une opération engendre l'habitude. || Je n'ai plus l'habitude de conduire une moto, j'ai perdu la main, il faut que je m'y remette. || Manque d'habitude. (→ Esprit, cit. 125). || C'est une habitude qui reviendra vite. || Acquérir une habitude. Apprendre, initier (s'). || Toute habitude repose sur l'éducation d'une aptitude (cit. 11) primitive, sur un dressage (→ Former, cit. 27), sur un entraînement. || Il faut un apprentissage, plus ou moins long, pour acquérir et perfectionner une habitude. || Les psychologues ont dressé les courbes graphiques, formulé les lois relatives à l'acquisition des habitudes. || Lois de Jost, d'Ebbinghaus, sur la maturation des habitudes, l'espacement et la durée des séances d'apprentissage.Habitudes intellectuelles ou mentales sur lesquelles reposent les opérations supérieures de la pensée. || Avoir l'habitude de calculer de tête, de manier des formules logarithmiques. || Habitude d'embrasser un grand nombre d'idées (→ Esprit, cit. 92). || S'enrichir d'habitudes; l'habitude des automatismes (cit. 3, 4 et 7). || L'habitude endort (cit. 39) nos facultés en se substituant à elles.
39 L'habitude de penser en donne la facilité; elle nous rend plus pénétrants et plus prompts à tout voir. Nos organes, comme nos membres, acquièrent par l'exercice plus de mobilité, de force et de souplesse.
Joseph Joubert, Pensées, III, XXX, p. 47.
40 L'habitude du métier est si nécessaire dans tous les arts, et cette culture incessante de l'esprit dirigée vers un but doit si bien accompagner le génie qui crée, que, sans elle, les lueurs les plus heureuses s'évanouissent.
E. Delacroix, Écrits, Œuvres littéraires, p. 96.
41 Il conviendrait de séparer nettement l'accoutumance de l'organisme, l'adaptation biologique, phénomène physiologique dans lequel la volonté n'intervient pas, au moins directement, et d'autre part l'habitude psychologique qui est une forme de vouloir, qui consiste en une manière spéciale de penser, de diriger son attention, d'enchaîner ses idées.
D. Roustan, Leçons de philosophie, p. 498.
42 L'habitude est un facteur essentiel du comportement le plus intelligent, le plus plastique. Tout comportement intelligent aboutit sans cesse à de nouvelles habitudes.
H. Delacroix, les Grandes Formes de la vie mentale, p. 90.
43 (…) l'habitude est la condition d'une conscience bien orientée et maîtresse d'elle-même. Mais si nous devons utiliser l'habitude, nous ne devons pas nous laisser envahir par elle.
F. Alquié, Psychologie in Leçons de philosophie, t. I, p. 160, note.
Habitudes générales (V. Egger) : aptitudes très vastes (écrire, jouer d'un instrument de musique); habitudes spéciales : actes très précis.
Par ext. Expérience, pratique.Loc. Avoir l'habitude de… || Avoir l'habitude des hommes, des fortes têtes : savoir diriger. || Avoir l'habitude des méthodes scientifiques (→ Expérience, cit. 44). || Métier qui demande plus d'habitude que de génie (→ Capacité, cit. 7). || Acteur qui a une grande, une longue habitude de la scène.
Prov. L'habitude est une seconde nature : notre nature première subit la transformation sous l'influence de l'habitude, de sorte qu'une seconde nature paraît se substituer à la première (pensée exprimée sous des formes diverses par Cicéron, saint Augustin, Rousseau). → Éloigner, cit. 18.De l'influence de l'habitude sur la façon de penser, ouvrage de Maine de Biran (1802). || De l'habitude, ouvrage de Ravaisson (1838).
44 La nature, nous dit-on, n'est que l'habitude. Que signifie cela ? N'y a-t-il pas des habitudes qu'on ne contracte que par force, et qui n'étouffent jamais la nature ? (…) Il en est de même des inclinaisons des hommes. Tant qu'on reste dans le même état, on peut garder celles qui résultent de l'habitude, et qui nous sont le moins naturelles; mais, sitôt que la situation change, l'habitude cesse et le naturel revient.
Rousseau, Émile, I, p. 8.
45 Entre l'habitude et la nature, la différence n'est donc que de degré, et cette différence peut être réduite et amoindrie jusqu'à l'infini […] (l'habitude) est une nature acquise, une seconde nature, qui a sa raison dernière dans la nature primitive, mais qui seule l'explique à l'entendement.
Ravaisson, De l'habitude, p. 22-23.
46 Le style c'est l'habitude, la seconde nature de la pensée.
J. Renard, Journal, 28 juil. 1899.
47 Si l'habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première, dont elle n'a ni les cruautés ni les enchantements.
Proust, Sodome et Gomorrhe, éd. La Gerbe, p. 210.
48 C'est ici que l'on voit bien (…) que l'habitude est littéralement une seconde nature. Elle a même force et pour ainsi dire même commandement que la nature.
Ch. Péguy, Note conjointe…, p. 262.
CONTR. Accident, anomalie. — Désuétude, exception, inhabitude, occasion, rareté.
DÉR. Habitudinaire.

Encyclopédie Universelle. 2012.