garder [ garde ] v. tr. <conjug. : 1>
• 1050; germ. °wardôn;cf. all. warten « veiller, prendre garde »
I ♦
1 ♦ Prendre soin de (une personne, un animal). ⇒ veiller (sur); surveiller. Garder des bêtes, un troupeau (⇒ berger, gardeur, gardien) . Jeanne d'Arc gardait ses moutons quand elle entendit des voix. PROV. « Chacun son métier, Les vaches seront bien gardées » (Florian). Nous n'avons pas gardé les cochons ensemble. — Garder des enfants, rester avec eux et les surveiller en l'absence de leurs parents. Jeune fille qui garde des enfants le soir. ⇒ baby-sitter.
2 ♦ Empêcher (une personne) de sortir, de s'en aller. ⇒ enfermer, séquestrer. « Il nous le fait garder jour et nuit, et de près » (Racine). Garder un prisonnier. ⇒ détenir. Garder à vue : surveiller soigneusement, ne pas perdre de vue (⇒ 1. garde [à vue]) .
3 ♦ Rester dans (un lieu) pour surveiller, défendre ce qui s'y trouve. Garder une maison, un magasin. Un chien garde la propriété. Sentinelle, patrouille qui garde un arsenal, une caserne. Garder une porte, une entrée : surveiller tous ceux qui entrent ou qui sortent. Agent de sécurité qui garde l'entrée d'une banque (⇒ gardiennage) . — Fig. (le sujet désigne une statue, un bâtiment, etc.) « le bistrot des mariniers [...] garde l'entrée du canal » (Céline).
♢ Garder la chambre, le lit : rester chez soi, rester couché par suite de maladie.
4 ♦ Littér. ou Région. Protéger; préserver (d'un mal, d'un accident, d'un danger). ⇒ garantir, protéger, sauvegarder. Garder qqn de l'erreur. Absolt Les chapeaux « sont trop plats; ils ne gardent pas du soleil » ( É. Guillaumin). — Au subj., sans que (valeur optative) Dieu me garde de la maladie. ⇒ protéger. « Dieu me garde de mes amis ! Quant à mes ennemis, je m'en charge » (mot attribué à Voltaire). Dieu vous garde !
II ♦ (Conserver).
1 ♦ Préserver (qqch.) de la destruction, d'altérations. Produit à garder à l'abri de la chaleur et de l'humidité. ⇒ conserver. Garder des fruits dans du sucre (⇒ confire) , de la viande au réfrigérateur. — Mettre en lieu sûr. Garder des marchandises en entrepôt. ⇒ entreposer.
2 ♦ Conserver pour soi, ne pas se dessaisir de. Garder un double du contrat. Gardez la monnaie. « Il est plus difficile de garder une fortune que de la gagner » (Bainville). ⇒ amasser, économiser, épargner, thésauriser (cf. Mettre de côté). Garder un objet volé. ⇒ receler. Garder sa voiture dix ans, ne pas en changer. Il garde tout, ne jette rien. ⇒ accumuler, entasser.
♢ Ne pas rendre. Il a gardé ce qu'on lui avait confié, prêté. — Spécialt Il ne peut rien garder, il vomit tout.
3 ♦ Conserver sur soi (un vêtement, un bijou). Gardez votre chapeau.
4 ♦ Retenir (une personne) avec soi. Garder qqn à dîner. Il m'a gardé une heure. ⇒ tenir.
♢ Conserver un employé, un domestique à son service. — Garder un client, le conserver dans sa clientèle.
5 ♦ Ne pas dévoiler, ne pas divulguer. Garder un secret. Gardez cela pour vous : n'en dites pas un mot, soyez discret. — Par ext. Ne pas communiquer, garder pour soi. Gardez vos réflexions, vos remarques pour vous, je vous dispense de me les faire connaître. Garder tout en soi-même (⇒ renfermé, réservé, 1. secret) .
6 ♦ Continuer à avoir (une qualité, une idée, un sentiment, une attitude, une position). « L'œuvre garde le jeune éclat, la juste harmonie et la fraîcheur vivace » (Gautier). — Suivre un régime pour garder la ligne.
♢ (Personnes) Garder son calme, son sérieux. Garder son sang-froid. Il a gardé toute sa tête. « il affectait de garder une attitude insouciante » (Barrès). — Garder qqch. en mémoire. « Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir ! » (Lamartine). — Garder le silence. ⇒ observer. Garder rancune. Garder les apparences. Garder l'espoir.
♢ Garder un sentiment à qqn, continuer à éprouver un sentiment pour lui. « vous me gardiez un fonds de haine et de colère » (France). Je lui garde toute ma confiance.
7 ♦ (Avec un adj. attribut du compl.) Garder les yeux baissés. ⇒ tenir. Garder la tête froide, les idées claires. — Garder les cheveux longs. « Il avait gardé intacte la chambre de sa compagne » (Maupassant).
8 ♦ (Choses) Préserver, conserver (une qualité). Cette lessive garde aux couleurs leur vivacité.
III ♦ Mettre de côté, en réserve. ⇒ réserver. Garder de la viande froide pour le dîner. Si vous arrivez le premier, gardez-moi une place. Garder le meilleur pour la fin. — Fig. Garder une dent contre qqn. Garder à qqn un chien de sa chienne. Garder une poire pour la soif. — Garder pour la bonne bouche.
IV ♦ Observer fidèlement, avec soin. ⇒ observer, pratiquer, respecter. Garder le jeûne. Garder les convenances. Garder une discrétion absolue. Il faut garder une mesure en tout, ne pas dépasser certaines limites. Garder son rang, ses distances : s'abstenir de toute familiarité. ⇒ maintenir.
V ♦ SE GARDER v. pron.
1 ♦ Vx Se protéger, se défendre. Se garder à carreau.
2 ♦ SE GARDER DE (suivi d'un n. de personne ou de chose abstraite) :prendre garde à. ⇒ se défier, se méfier, se préserver. Gardez-vous des flatteurs. Il faut se garder des jugements hâtifs. — (Suivi d'un inf.) S'abstenir soigneusement de, avoir soin de ne pas (faire). « Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage » (La Fontaine). Elle s'est bien gardée de m'en parler. Le provoquer ? Gardez-vous en bien.
3 ♦ (Pass.) Se conserver. La viande se garde au réfrigérateur.
⊗ CONTR. Abandonner, céder, changer, congédier, détruire, donner, enlever, gâter, laisser, rendre, renoncer (à). — Débarrasser (se), défaire (se). Négliger , oublier, perdre. Révéler. — Enfreindre.
● garder verbe transitif (germanique wardôn) Surveiller quelqu'un, un animal pour les protéger, prendre soin d'eux, veiller sur eux : Garder les enfants dans le jardin public. Empêcher quelqu'un de sortir d'un lieu, de s'en aller ; détenir : Garder un prévenu dans les locaux de la police. S'occuper d'un enfant, d'un malade en l'absence de ses parents, du médecin, etc. Rester dans un lieu pour le surveiller, le protéger, le défendre, être situé à l'entrée d'un lieu : Un détachement de soldats garde le pont. Un pont-levis garde le château. Conserver quelque chose pour soi en un lieu : Il garde tout son argent chez lui. Conserver quelque chose pour quelqu'un, éviter qu'il ne soit pris, en restant tout près : Gardez-moi ma place, je reviens tout de suite. Réserver en vue d'une utilisation ultérieure : Téléphone au restaurant pour qu'on nous garde une table. Conserver par-devers soi ce qui est donné, ou qu'on a en sa possession, ne pas s'en défaire : Vous pouvez garder la monnaie. Ne pas ôter quelque chose qu'on a sur soi : Je garde mon manteau, on repart tout de suite. Ne pas se séparer de quelqu'un, le conserver dans telle fonction, tel rôle, faire en sorte que la relation établie entre soi et quelqu'un d'autre dure : Garder sa secrétaire. Continuer d'avoir quelque chose, rester dans le même état : Garder ses illusions. Linge qui garde toute sa souplesse. Ne pas s'écarter de quelque chose : Garder le rythme. Littéraire. Pratiquer, observer rigoureusement un usage, une règle : Garder les convenances. Rester dans la même position, le même état : Il avait du mal à garder son sérieux. Garder la main levée. Continuer d'éprouver un sentiment à l'égard de quelqu'un malgré un obstacle ou une difficulté passés : Je lui garde toute ma confiance. Faire en sorte que quelque chose reste dans le même état ; conserver : Ce produit gardera votre linge souple. Conserver en bon état ce qui est susceptible de s'altérer : On peut garder plusieurs mois le lait stérilisé. Rester marqué par une trace, une marque : Il a gardé une cicatrice de son accident. Retenir quelqu'un près de soi : Il m'a gardé une heure pour me parler de cette bêtise. Inviter quelqu'un à rester pour dîner, souper, dormir chez soi. Littéraire. Préserver quelqu'un d'un mal, d'un danger, le protéger : Dieu vous garde ! Ne pas révéler quelque chose, être discret sur tel point : Gardez cela pour vous. ● garder (citations) verbe transitif (germanique wardôn) Juvénal, en latin Decimus Junius Juvenalis Aquinum, Apulie, vers 60 après J.-C.-vers 130 Mais les gardiens, eux, qui les gardera ? … Sed quis custodiet ipsos Custodes ? Satires, VI, 347 ● garder (expressions) verbe transitif (germanique wardôn) Garder le lit, la chambre, rester au lit, ne pas sortir de chez soi parce qu'on est malade. Gardez vos remarques, abstenez-vous de tout commentaire. Ne rien pouvoir garder, rejeter toute substance solide ou liquide ; vomir. ● garder (homonymes) verbe transitif (germanique wardôn) ● garder (synonymes) verbe transitif (germanique wardôn) Surveiller quelqu'un, un animal pour les protéger, prendre soin d'eux...
Synonymes :
- veiller sur
Contraires :
- délaisser
Empêcher quelqu'un de sortir d'un lieu, de s'en aller ; détenir
Synonymes :
- détenir
- séquestrer
Contraires :
- délivrer
- libérer
- relâcher
- relaxer
Rester dans un lieu pour le surveiller, le protéger, le...
Synonymes :
Contraires :
- fuir
- quitter
Conserver quelque chose pour soi en un lieu
Contraires :
- céder
- échanger
- liquider (familier)
- se défaire
- vendre
Réserver en vue d'une utilisation ultérieure
Synonymes :
- mettre de côté
- réserver
Conserver par-devers soi ce qui est donné, ou qu'on a...
Synonymes :
- économiser
- épargner
Contraires :
- dissiper
- manger (familier)
Ne pas ôter quelque chose qu'on a sur soi
Contraires :
- enlever
- ôter
- quitter
- se débarrasser de
Ne pas se séparer de quelqu'un, le conserver dans telle...
Synonymes :
- retenir
Contraires :
- chasser
- congédier
- éconduire
- expédier
- limoger (familier)
- renvoyer
Continuer d'avoir quelque chose, rester dans le même état
Synonymes :
Littéraire. Pratiquer, observer rigoureusement un usage, une règle
Synonymes :
- observer
Rester dans la même position, le même état
Synonymes :
- tenir
Contraires :
- se départir de
Continuer d'éprouver un sentiment à l'égard de quelqu'un malgré un...
Contraires :
- abdiquer
- renoncer à
Retenir quelqu'un près de soi
Contraires :
- écarter
- éloigner
Ne pas révéler quelque chose, être discret sur tel point
Contraires :
- dévoiler
- ébruiter
- répandre
- révéler
garder
v. tr. (et intr.)
rI./r Surveiller, protéger.
d1./d Rester près de qqn (ou d'un animal, d'une plante) pour en prendre soin. Garder un malade. Garder les chèvres.
|| v. intr. (Québec) Prendre soin d'enfants en l'absence de leurs parents. Aller garder chez la voisine.
d2./d Surveiller pour empêcher de s'enfuir. Garder à vue un suspect: V. garde (I, sens 1). Syn. détenir.
d3./d Surveiller, veiller à la protection, à la sécurité de. Des gendarmes gardent l'arsenal.
— Pp. adj. Chasse, pêche gardée.
d4./d Préserver. Dieu vous garde d'un tel malheur! Syn. protéger, sauver.
rII./r Conserver.
d1./d Ne pas se dessaisir de. Gardez bien ces papiers.
|| Continuer de posséder. Garder sa fortune. Ant. perdre.
|| Continuer d'avoir (une attitude). Garder son sérieux.
|| Continuer d'avoir à son service. Garder un employé. Ant. licencier, renvoyer.
|| (Avec un attribut.) Conserver (dans tel état). Garder intact son patrimoine.
|| Continuer de porter, d'avoir sur soi. Garder son chapeau.
d2./d Garder la chambre, garder le lit: rester chez soi, rester au lit, quand on est malade.
d3./d Réserver, mettre de côté. Je vous ai gardé cette chambre.
d4./d Ne pas divulguer. Savoir garder un secret. Ant. dévoiler, répéter.
rIII/r Se soumettre à (une obligation), observer avec rigueur. Garder le jeûne.
rIV./r v. Pron.
d1./d Se garder de: se prémunir contre. Gardez-vous du froid. Syn. se défendre, se protéger.
d2./d Se garder de (+ inf.): s'abstenir de. Gardez-vous de parler.
⇒GARDER, verbe trans.
I. — Tenir quelqu'un ou quelque chose en sa garde.
A. — Accorder à quelqu'un ou à quelque chose une protection attentive et diligente.
1. [Le compl. d'obj. dir. désigne un animé]
a) Emploi trans.
— Veiller sur la santé, le bien-être de quelqu'un. Garder un enfant, un vieillard, un malade. Mme Barucchi veut bien que je le garde [son petit garçon] ici, pour que je ne me fasse pas de mauvais sang après lui (COLETTE, Music-hall, 1913, p. 148).
— Veiller sur la sécurité de quelqu'un. Garder un monarque, un ministre. Jamais je ne tuerai César (...). Les dieux gardent César! (DUMAS père, Caligula, 1837, III, 5, p. 90).
— Locutions
♦ Garder qqn de/contre + subst. Protéger quelqu'un de/contre un danger physique ou moral. Le Dieu clément qui nous gardera du mal (VERLAINE, Œuvres compl., t. 1, Jadis, 1884, p. 375). Cette aberration douce, cette paisible sauvagerie qui garde l'enfant tout jeune contre la peur de la mort et du sang (COLETTE, Mais. Cl., 1922, p. 94) :
• 1. ... je ne suis pas gardée contre la blessure, et je ne suis pas gardée contre la prison, et je ne suis pas gardée contre la mort.
PÉGUY, Tapisserie Ste Geneviève et J. d'Arc, 1913, p. 307.
♦ (Que) Dieu, (le Seigneur...) nous (vous...) garde de! « Allah nous garde des djins!... » (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p. 203).
[P. ell., en guise de salut] (Que) Dieu (le Seigneur...) vous garde! Dieu vous garde, messire Gringoire (BANVILLE, Gringoire, 1866, IV, p. 28).
Rem. La plupart des dict. gén. note les graphies gard ou gart qui sont des formes anc. du subj. (cf. LITTRÉ).
b) Emploi pronom.
— Être sur ses gardes, prêt à se défendre. C'était à son ennemi de se garder (DUMAS père, Monte-Cristo, 1848, IV, 8, p. 114).
— Spécialement
♦ [Au jeu de cartes] Se garder à carreau.
♦ [Dans un assaut, aux échecs, à l'escrime] :
• 2. La partie [d'échecs] s'engageait entre les deux vieux joueurs (...).
— Excellence, vous vous gardez mal...
— Possible... je l'ai voulu ainsi pour développer mon Fou.
MORAND, Folle amour., 1956, p. 10.
— Locutions
♦ Se garder de + inf. S'abstenir de faire quelque chose. — « Putain de temps! » grommelle l'hercule en sueur, sans interrompre son travail. Loutre, lui, se garde d'acquiescer (MARTIN DU G., Vieille Fr., 1933, p. 1020).
♦ Vieilli, littér. [Avec ell. du pron. pers.] :
• 3. Pour user des personnes âgées et de ceux-ci, faites-vous agréable, plaisez. Gardez de prétendre à quelque supériorité; le mérite ne suffit pas à conquérir les plus honnêtes.
BARRÈS, Barbares, 1888, p. 187.
♦ Vieilli, littér. Garder que... (ne) + verbe au subj. Avoir soin qu'une chose soit évitée. Sors, sors, maintenant, et garde que personne ne te voie (A. DUMAS père, Henri III, 1829, IV, 1, p. 178).
2. [Le compl. d'obj. dir. désigne un inanimé abstr. ou concr.]
a) Garder qqc. de, contre qqc. Veiller à ce qu'une chose ne subisse aucun dommage. Il [l'arbre] couvre le sol de ses toits étagés, il le garde de l'érosion des grêles et des pluies (PESQUIDOUX, Livre raison, 1925, p. 179). Une proie à surveiller, un trésor à garder (L. DE VILMORIN, Retour Érica, 1946, p. 81).
♦ Loc. fig., vieilli. Garder les balles, les manteaux. Attendre dehors, faire le guet pendant que d'autres s'amusent ou commettent un forfait. Tu ne trouveras pas mauvais, Léopold, que je change d'avis, et que je reste ici à garder les manteaux (BALZAC, A. Savarus, 1842, p. 36).
♦ En donner à garder à qqn. Berner quelqu'un, lui en faire accroire. Bah! bah! on ne nous en donne pas à garder. Personne n'est sorti (MÉRIMÉE, Théâtre C. Gazul, 1825, p. 255).
b) Veiller sur un lieu, en défendre l'accès. Il [le chef de chantier] ne quitte le chantier [au moment du tir des coups de mine] que lorsqu'il a été (...) évacué et qu'il a l'assurance que toutes les issues sont gardées (J. CAHEN, BRUET, Carrières, 1926, p. 107) :
• 4. Ce n'est pas parce que je suis pauvre et que je garde la porte d'un riche qu'il m'est cruel de garder cette porte, c'est parce que garder une porte est cruel, que la bise est froide, que mon fusil est lourd, que ma femme s'ennuie, que mon enfant crie, que ma vie s'use et s'enfuit.
MUSSET ds Le Temps, 1831, p. 91.
B. — Empêcher qu'une personne ou un animal ne s'échappe.
1. [Le compl. d'obj. dir. désigne une ou plusieurs pers. captives] Moreau s'était même abaissé jusqu'à garder prisonniers, au Palais du Luxembourg, les deux seuls hommes de cœur du Directoire (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 522). M. Félix Faure (...) a laissé MM. Méline et Billot garder au bagne un homme qu'il sait condamné en violation de la loi (CLEMENCEAU, Iniquité, 1899, p. 456).
♦ Garder qqn à vue. Retenir quelqu'un pendant un court délai à la disposition de la police ou d'un tribunal. Elle demeura (...) gardée à vue aux Peuples, comme une prisonnière (MAUPASS., Une vie, 1883, p. 211).
2. [Le compl. d'obj. dir. désigne un ou plusieurs animaux] Surveiller dans un lieu non clos. Madame, il y a une madame bergère qui garde ses moutons là-haut au bout du chemin et qui file de la laine (PÉGUY, Myst. charité, 1910, p. 17).
♦ Au fig. Nous n'avons pas gardé les vaches (les cochons...) ensemble. Ne soyez pas si familier (nous ne sommes pas assez liés pour cela). Nous n'avons pas gardé les cochons ensemble, dit le régisseur (BALZAC, Tén. affaire, 1841, p. 48).
3. P. anal. [Le suj. et le compl. d'obj. dir. désignent une chose] Trois rayons adossés aux cyprès qui gardent le bassin (LARBAUD, Enfantines, 1918, p. 136).
C. — Maintenir en bon état une chose périssable, destructible. Ce vin est si délicat qu'on ne pourra le garder. Dans les chaleurs on ne peut garder la viande (LITTRÉ).
— Emploi pronom. à sens passif. Se conserver, ne pas se gâter. Ça se garde très bien la choucroute, tu sais... (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 45).
II. — Conserver quelque chose ou quelqu'un par devers soi.
A. — Posséder encore, ne pas se dessaisir de quelque chose.
1. Garder qqc. Je garde le bibelot. — Gardez-le (HUGO, Travaill. mer., 1866, p. 172).
— En partic.
a) [Le compl. d'obj. dir. désigne un élément de l'habill.] Il garde ses braies, mais quitte sa chemise (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 142) :
• 5. Il était en tenue de jour, son sabre sur la banquette, et il avait des éperons. On ne garde pas d'éperons à bord.
BENOIT, Atlant., 1919, p. 26.
b) Ne rien garder. Vomir. Je suis malade comme jamais, je ne puis rien garder (VERLAINE, Corresp., t. 3, 1895, p. 243).
c) Garder un œil, garder l'œil sur qqn/qqc. Surveiller quelqu'un/quelque chose du regard :
• 6. LE CHINOIS. — Cependant je garde un œil sur ce petit bois de pinasses.
DON RODRIGUE. — Et moi, je garde l'œil sur toi, cher Isidore. CLAUDEL, Soulier, 1929, 1re journ., 7, p. 677.
d) Garder une entaille, une cicatrice... Conserver la trace de cette entaille, de cette cicatrice. Elle gardait sur ses traits les stigmates de son émotion (MARTIN DU G., Thib., Belle sais., 1923, p. 965).
♦ Au fig. Lorsque l'échine humaine a trop fait la courbette, Elle en garde le pli, quoi que l'on s'en promette (AUGIER, Jeunesse, 1858, p. 332). Besançon, où je fais ma première halte, garde l'empreinte de la féodalité pesante d'une république ecclésiastique (MICHELET, Chemins Europe, 1874, p. 391).
2. Garder qqc. (à qqn). Mettre quelque chose en réserve pour soi ou pour d'autres. Garde ton argent, garde : on n'en a jamais de trop (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 19). Il était convenu que la première arrivée garderait des chaises (GYP, Leurs âmes, 1895, p. 84).
— Loc. fig.
a) Garder son cœur (son amour...) à qqn/qqc. Les choses qu'on a une fois quittées, à quoi bon leur garder son cœur?... (CLAUDEL, Feuilles Saints, 1925, p. 597). Cf. aussi se garder, infra.
b) Garder à qqn un chien de sa chienne.
c) Garder une dent à/contre qqn.
d) Garder qqc. pour la bonne bouche.
e) Garder une poire pour la soif. Mettre quelque chose en réserve pour l'avenir. Le banquier (...) conseilla fortement à Roguin de garder une poire pour la soif (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p. 84).
3. Garder qqn
a) Emploi trans.
— Garder qqn dans ses bras, p. méton. garder la main de qqn dans la sienne, garder les doigts de qqn dans les siens. Il lui gardait un instant les doigts entre les siens (ZOLA, Assommoir, 1877, p. 613).
♦ Au fig. Garder une personne en main. La contrôler. S'il contrôle encore quelques éléments, il doit les faire agir pour les garder en main (SAINT-EXUP., Pilote guerre, 1942, p. 270).
— Retenir quelqu'un près de soi, en sa compagnie. J'ai dû garder Brague quelques minutes, lui offrir du café, le présenter à mes convives (COLETTE, Vagab., 1910, p. 108). Je gardai à dîner le général Nivelle (JOFFRE, Mém., t. 2, 1931, p. 420).
— Garder qqn (à son service). C'est un excellent coiffeur, je le garderai (Ac. 1878).
b) Emploi pronom. Se réserver (pour quelqu'un/pour quelque chose). Mon Cascaret, c'est-à-dire le fiancé en question, se garde pour sa fiancée (SAND, Corresp., t. 4, 1858, p. 155). Le voyeur ne se livre pas (...) il fait le mal et il le sait; il possède l'autre à distance et il se garde (SARTRE, Baudelaire, 1947, p. 88).
4. Rester au même endroit. Me voici grippé, forcé de garder la chambre quelques jours (GIDE, Corresp. [avec Valéry], 1909, p. 420) :
• 7. — Elle est souvent malade?
— Je ne l'avais jamais vue garder le lit toute la journée...
SIMENON, Vac. Maigret, 1948, p. 73.
— En partic., ART MILIT.
a) Garder les rangs. ,,Demeurer dans les rangs`` (LITTRÉ).
b) Garder les arrêts. Rester dans le lieu où l'on a été mis aux arrêts. Il [mon père] m'a déclaré que je garderais les arrêts jusqu'à son retour du prétoire, et il m'a enfermé (AUGIER, Mme Caverlet, 1876, p. 462).
B. — Au fig.
1. [Le compl. d'obj. dir. désigne un inanimé abstr.]
a) Conserver en soi une impression. Les échos d'un passé merveilleux dont nous gardons le souvenir (GREEN, Journal, 1941, p. 178).
b) Taire une connaissance, une impression... Gardez vos réflexions pour vous (MAURIAC, Asmodée, 1938, I, 3, p. 22) :
• 8. ... le docteur a su garder le secret du poste émetteur caché dans le village. Et le village garde le secret des parachutages.
TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 389.
— P. anal. [Le suj. désigne une chose] Couvert de hiéroglyphes qui gardent leur secret depuis tant de siècles (STAËL, Corinne, t. 1, 1807, p. 243).
2. Conserver le même état, rester dans la même situation, la même attitude.
a) Garder + subst.
— [L'obj. désigne une situation concr.] Garder l'allure, l'équilibre. Le modèle, assis sur un tabouret très haut, gardait la pose. C'était une longue fille brune (A. FRANCE, Lys rouge, 1894, p. 317).
— [L'obj. désigne un état abstr. ou un état d'esprit] Garder l'anonymat, garder son sérieux, garder les pieds sur terre. Le médecin garde peu d'espoir, madame, et Georges vous attend! (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Mme Hermet, 1887, p. 1130). J'ai eu quelque mérite à garder ma patience (BLOY, Journal, 1899, p. 365) :
• 9. ... il ne profite jamais d'une discussion pour s'improviser une opinion; le plus souvent il garde le silence...
MARTIN DU G., Devenir, 1909, p. 36.
b) Garder + subst. + adj. attribut du compl. d'obj. dir. Il s'efforçait de garder sa voix tendre, ses gestes câlins (ZOLA, Pot-Bouille, 1882, p. 21). Le vieux comte garda quelques instants les yeux clos (GIDE, Caves, 1914, p. 729) :
• 10. Sans doute le gouvernement avait-il le devoir de garder la tête froide. Mais passer l'éponge sur tant de crimes et d'abus c'eût été laisser un monstrueux abcès infecter pour toujours le pays.
DE GAULLE, Mém. guerre, 1959, p. 107.
3. [Le compl. d'obj. dir. désigne une norme, une valeur soc., relig., etc., qu'il ne faut pas transgresser] Pense à l'enfer qui t'attend si tu ne gardes pas désormais une bonne conduite (MAUPASS., Une Vie, 1883, p. 126).
— Locutions
a) Garder les apparences.
b) Garder les (ses) distances.
c) Garder la mesure. Ne pas franchir les limites imposées par un événement, une circonstance. Dieu, certe, a des écarts d'imagination; Il ne sait pas garder la mesure (HUGO, Art d'être gd-père, 1877, p. 63).
d) Garder son rang. Se conformer aux règles, aux devoirs imposés par son rang. Un Royal-allemand doit garder son rang (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 1, 1870, p. 317).
Prononc. et Orth. : [], (il) garde []. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Fin du Xe s. « regarder » (Passion, éd. D'A. S. Avalle, 259); 2. a) 2e moitié du Xe s. « se tenir sur ses gardes (vis-à-vis de Dieu) en se conduisant bien » (S. Léger, 70 ds HENRY Chrestomathie t. 1, p. 10, v. DEAF s.v. garder, col. 185, 24); b) ca 1050 « prendre soin de (une personne) » (Alexis, éd. Chr. Storey, 152); ca 1145 « id. (des animaux) » (WACE, Conception N.D., éd. W. R. Ashford, 299); c) ca 1130 « rester dans un lieu pour en interdire l'accès, pour le protéger » (Paraphrase du Cantique des cantiques, éd. E. Koschwitz, 43); d) ca 1165 soi garder de « prendre garde à, se méfier de » (BENOIT DE STE-MAURE, Troie, éd. L. Constans, 3640); e) 1269-78 garder la chambre, le lit, etc. (JEAN DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 12513); f) 1334 « conserver (une chose périssable) en bon état, (l') empêcher de se corrompre » (Reg. de la loy, 1332-35, f° 78 v°, A. Tournai ds GDF. Compl.); 3. ca 1100 « surveiller (un prisonnier, un otage), pour l'empêcher de s'enfuir » (Roland, éd. J. Bédier, 3849); 4. a) ca 1135 « mettre de côté, en réserve » (Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, réd. AB, 432) : b) ca 1145 « garder dans son intégrité (son vœu, sa foi, etc.) » (WACE, Conception N.D., 692); c) ca 1265 absol. « conserver pour soi, ne pas se dessaisir de » (BRUNET LATIN, Trésor, éd. F. J. Carmody, p. 192, 22); d) 1675 « garder (une personne) à son service » (LA ROCHEFOUCAULD, Réflexions ou sentences et maximes morales, 396 ds Œuvres, éd. D. L. Gilbert, t. 1, p. 180); 1738 « retenir (une personne) avec soi » (MARIVAUX, Fausses confidences, III, 12 ds LITTRÉ); 5. ca 1145 « observer, respecter, suivre (une règle, un ordre, etc.) » (WACE, Conception N.D., 1528). Du germ. occid. wardôn « regarder vers », cf. l'a. h. all. warten « regarder; se garder de », m. h. all. warten « regarder; prendre soin de », m. néerl. waerden « veiller sur; monter la garde; se garder de ». Dans les langues romanes, le mot a pris les mêmes sens principaux « regarder » et « surveiller, protéger »; en fr., celui de « regarder » s'est perdu au profit des dér. esgarder (v. égard) et regarder. Pour la date de l'empr. du mot germ. par les langues romanes, v. DEAF, s.v. garder, col. 167-168. Fréq. abs. littér. : 15 227. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 18 204, b), 23 505; XXe s. : a) 25 176, b) 21 488. Bbg. QUEM. DDL t. 2.
garder [gaʀde] v. tr.
ÉTYM. 1050, saint Alexis; « regarder », fin Xe; germanique wardôn; cf. all. warten « veiller, prendre garde ».
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I (Compl. n. de personne ou de lieu). Prendre soin de, protéger, surveiller.
1 Prendre soin de (un être vivant). ⇒ Veiller (sur); surveiller. a (Compl. n. de personne). || Garder un malade, rester auprès de lui pour le soigner (⇒ Garde-malade). || Sa mère l'a gardé pendant toute sa pneumonie. — Vx. || Duègne, gouvernante, chaperon qui garde une jeune fille.
b (V. 1155; le compl. désigne un animal). || Garder des bestiaux. ⇒ Berger (cit. 6), gardeur. || Jeanne d'Arc gardait ses moutons quand elle entendit des voix. || Io était gardée par Argus (→ Éternel, cit. 40). — ☑ Prov. À chacun son métier, les vaches seront bien gardées (→ ci-dessous, cit. 2).
1 (…) La voilà donc compagne
De certaines Philis qui gardent les dindons
Avec les gardeurs de cochons.
La Fontaine, Fables, VII, 2.
2 (…) Chacun son métier
Les vaches seront bien gardées.
Florian, Fables, I, 12.
c Spécialt. || Garder des enfants, rester avec eux et les surveiller en l'absence de leurs parents. || Elle cherche qqn pour garder les enfants ce soir. ⇒ Baby-sitter (anglic.).
3 Elle rentra chez elle en courant. Une voisine gardait les petits.
Aragon, les Beaux Quartiers, I, XXV.
d ☑ Loc. fam. (1900). On croirait qu'ils ont gardé les cochons (les dindons) ensemble : ils sont l'un avec l'autre d'une familiarité choquante. || Dites-donc ! nous n'avons pas gardé les cochons ensemble : de quel droit êtes-vous si familier ? ⇒ Familiarité (supra cit. 10).
4 (…) Si tu savais, mon cher…
— Si tu ?… Tu ?… Qu'est-ce donc qu'ensemble nous gardâmes ?
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, II, 7.
2 (1080). Empêcher (une personne) de sortir, de s'en aller; (avec un compl. de lieu) maintenir (qqn) dans un lieu. ⇒ Barricader, enfermer, séquestrer. || Garder un enfant dans une chambre (→ Enfermer, cit. 15). — (Sans compl. de lieu). || Garder un prisonnier, l'empêcher de s'évader. ⇒ Détenir, 1. garde (tenir sous sa garde, sous bonne garde). || Ceux qui gardaient Jésus (→ Centurion, cit. 1). || Garder qqn de près.
5 Il nous le fait garder jour et nuit, et de près (…)
Racine, les Plaideurs, I, 1.
6 L'infante est gardée comme un homme à pendre.
Balzac, les Ressources de Quinola, I, 2.
7 Il battit Robert avec ses soldats mercenaires, l'attira, le garda, bien logé, bien nourri, dans un château fort, où il vécut jusqu'à quatre-vingt-quatre ans.
Michelet, Hist. de France, IV, V.
8 J'avais soudain tenu à garder Albertine parce que je la sentais éparse en d'autres êtres auxquels je ne pouvais l'empêcher de se joindre.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XII, p. 189.
♦ ☑ Loc. (1690). Garder qqn à vue : avoir constamment l'œil sur, surveiller soigneusement, ne pas perdre de vue (→ Enfermer, cit. 4).
9 Il avait une jeune femme nommée Aurore qu'il gardait à vue; sa maison était inaccessible aux hommes.
A. R. Lesage, le Diable boiteux, IX.
10 Je vous racontais donc comme quoi ma maîtresse Était gardée à vue : on la promène en laisse.
A. de Musset, Premières poésies, « Mardoche », XXX.
3 Mar. || Garder un navire en mer, « se tenir à sa portée et le conserver à vue » pour l'observer, naviguer de conserve ou lui porter secours (Gruss). — Garder l'évitage : « surveiller un navire affourché, au changement de marée, afin de l'empêcher de faire des tours dans les chaînes » (Gruss).
4 (V. 1131). Rester dans (un lieu) afin de surveiller, défendre, etc., ce qui s'y trouve. || Garder le foyer, une maison, un magasin, une boutique. || Le chien garde la ferme (→ Chien de garde). || Garder une terre (→ Avoisinant, cit. 1), une chasse, un domaine. || Garder une route, un poste, un canal, une forteresse. || Sentinelle, patrouille… qui garde un arsenal, une caserne. || Garder une porte, une entrée : surveiller tous ceux qui entrent ou qui sortent (→ Farouche, cit. 3). || Garder un passage. || Il garde farouchement sa porte. ⇒ Consigner; aussi garde-barrière, garde-canal, garde-champêtre, garde-chiourme, garde-magasin…
11 Et que chacun enfin, d'un même esprit poussé,
Garde en mourant le poste où je l'aurai placé.
Racine, Athalie, IV, 5.
12 La barricade sera probablement bloquée, toutes les rues seront gardées, et tu ne pourras sortir.
Hugo, les Misérables, IV, XIV, VII.
13 Des soldats et des eunuques noirs gardaient ces entrées défendues.
Loti, Aziyadé, III, XLI.
14 Il fallait que quelqu'un restât pour garder la maison (…)
Louis Hémon, Maria Chapdelaine, XII, p. 163.
♦ Au p. p. || Entrée gardée, non gardée.
♦ (1932). Fig. (Le sujet désigne une statue, une maison, un bâtiment, etc.). || La statue de la Justice garde l'entrée du Palais, elle est placée à l'entrée comme une sentinelle. || Deux ormes gardent l'allée du château.
15 Tout près du halage se tient le bistrot des mariniers, il garde l'entrée du canal.
Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 400.
♦ (V. 1138). Par ext. (seult dans quelques loc.). Ne pas quitter (un lieu). ⇒ Demeurer, rester. — ☑ (1532). Le médecin lui a ordonné de garder la chambre. ☑ Il doit encore garder le lit. ☑ Il fait un temps à garder le coin du feu (→ Coin, cit. 4).
16 Un mal subit qui le force à garder le lit (…) Quand je dis le lit, monsieur, c'est la chambre que j'entends.
Beaumarchais, le Barbier de Séville, III, 2.
17 Depuis un mois que j'habitais Honfleur, je n'avais pas encore vu la mer, car le médecin me faisait garder la chambre.
Henri Michaux, La nuit remue, p. 135.
♦ ☑ (1865). Garder les rangs : rester à sa place dans une ligne de personnes, de soldats, etc. — Manège. || Garder le terrain : ne pas s'écarter de la piste.
18 On enterra ces héros chacun à la place où il était tombé. Les rangs avaient été si bien gardés, malgré un déluge de mitraille, qu'on peut les reconnaître encore à la symétrie des fosses (…)
Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 136.
5 (V. 1131). Littér. Protéger; préserver (qqn) d'un mal, d'un accident, d'un danger. ⇒ Garantir, protéger, sauvegarder. — REM. Dans cette acception, le complément indirect de garder est introduit par la prép. de et plus rarement par contre. || Garder qqn de l'erreur. || Garder un enfant de tout mal. || Garder un voyageur du froid (→ Épais, cit. 20), contre le froid.
19 Car c'est un demi-dieu, à qui plaisent nos sons,
Qui fait cas des pasteurs, qui aime leurs chansons,
Qui garde leurs brebis de chaud et de froidure,
Et en toutes saisons les fournit de pâture.
Ronsard, Églogues, III.
20 J'avais la certitude qu'ils (mes parents) sauraient me garder de tout mal et j'éprouvais près d'eux une entière sécurité.
France, le Livre de mon ami, Pierre, I, V.
♦ Vx ou littér. || Garder qqn de… (suivi d'un infinitif). || Garder un enfant de se brûler. ⇒ Empêcher (→ Couronne, cit. 1, Malherbe).
21 Tu gardes les cœurs de connaître
Que l'univers n'est qu'un défaut
Dans la pureté du Non-être !
Valéry, Poésies, « Ébauche d'un serpent ».
♦ (1613). Au subjonctif, sans que (valeur optative). Vx. || Dieu garde le Roi ! (cf. God save the King, hymne national anglais). || Dieu me garde de la maladie. ⇒ Protéger. — Dieu nous garde des tentations. ⇒ Écarter; délivrer. — || « Dieu me garde de mes amis ! Quant à mes ennemis, je m'en charge », mot attribué à Voltaire et, sous une autre forme, à Gourville (→ Ami, cit. 18).
22 Ma fille, Dieu vous garde, et vous veuille bénir !
Mathurin Régnier, Satires, XIII.
23 (…) Les saints
Nous protègent. — Les morts nous servent. — Dieu nous garde.
Hugo, Hernani, IV, 3.
24 Dieu me garde d'aspirer à la pairie ! Dieu garde surtout mon pays que j'y arrive !
Émile Augier, le Gendre de M. Poirier, I, 4.
♦ (1579). Vx. || Dieu vous gard' (ancienne forme du subj.), formule de salutation (cf. l'anglais God bless you).
25 — Ah ! Dieu vous gard', mon frère ! — Et vous aussi,
Mon frère.
Molière, les Femmes savantes, II, 2.
♦ Régional. || Dieu garde ! : Dieu nous protège !
———
II (Compl. n. de chose ou [sens 6.] de personne). Conserver, retenir avec soi.
1 (1334). Préserver (qqch.), empêcher de se gâter, de disparaître, de devenir inutilisable. || Garder du vin dans une cave, un cellier. || Elle garde ses fruits dans son grenier. || Garder des fruits dans du sucre. ⇒ Confire. || Il est difficile de garder la viande pendant les grosses chaleurs. — (V. 1130). Mettre en lieu sûr. || Garder des marchandises en entrepôt. ⇒ Entreposer. || Garder le courrier de qqn pendant son absence.
26 (…) je sais bien qu'il veut simplement me remercier d'avoir eu de la complaisance pour lui garder son courrier, et pour le reste (…)
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, XIX, p. 212.
2 (Fin XIIIe). Conserver pour soi, ne pas se dessaisir de (qqch.). || Garder soigneusement ce qu'on possède. || Garder un objet comme une relique. || Garder les gages, les enjeux, les conserver en dépôt jusqu'à la fin du jeu. || Il garde précieusement tout ce qu'il gagne. ⇒ Amasser (cit. 3), économiser, épargner, mettre (de côté). || Garder un objet volé. ⇒ Receler. || Ce qui est bon à prendre est bon (cit. 97) à garder. || Elle garde un tas de vieilleries inutiles (→ Encombrer, cit. 3).
27 On voit s'ouvrir les fleurs que garde
Le jardin, pour dernier trésor (…)
Th. Gautier, Émaux et Camées, Ce que disent les hirondelles.
28 Cet engagement pouvait figurer sur une lettre qu'il leur adresserait, et dont lui ne garderait même pas la copie.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XII, p. 87.
29 (…) il est plus difficile de garder une fortune que de la gagner.
J. Bainville, Hist. de France, XII.
30 Sa mère ne pouvait pas se dépouiller ainsi; il fallait bien qu'elle gardât de quoi vivre.
F. Mauriac, la Fin de la nuit, p. 73.
31 (…) on est tout le temps trop bête. Quand on a de bonnes choses, on est toujours là à les garder pour le lendemain.
J. Giono, Regain, I, III.
♦ Garder une coutume, sa langue.
32 (…) M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c'était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide : qu'il fallait la garder entre nous et ne jamais l'oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu'il tient bien sa langue, c'est comme s'il tenait la clef de sa prison (…)
Alphonse Daudet, Contes du lundi, « La dernière classe ».
♦ Ne pas rendre. || Garder qqch. que l'on vous a confié (→ Façon, cit. 48). — (Av. 1850). Fig. || Garder la main de qqn.
33 Je vais vous rendre le billet, si vous voulez. — Eh ! garde-le; que veux-tu que j'en fasse ?…
A. R. Lesage, Turcaret, IV, 1.
34 Toutes les libertés que se permit Sammécaud furent de saisir deux ou trois fois la main de son amie, de la garder quelques minutes en la pressant à peine, de lui baiser le bout des doigts (…)
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, IV, p. 29.
♦ (1690). Spécialt. || Garder une médecine, un lavement, ne pas l'évacuer.
3 (1833). Conserver sur soi (un vêtement, un bijou). || Garder son chapeau en entrant chez qqn. || Garder un ruban, une fleur à sa boutonnière (cit. 1). || Elle n'a gardé sur elle que ses bijoux (→ Attirail, cit. 7). — Fig. || D'une honnête femme, elle n'a gardé que la robe (→ Carrière, cit. 14).
35 J'ai ceint mes reins, j'ai gardé cette nuit mes sandales.
Gide, le Retour de l'enfant prodigue, V.
36 Avoyer avait posé son chapeau sur la table non occupée. Mais Treilhard avait gardé sur la tête, et même un peu sur l'oreille, le sien, qui était un huit-reflets magnifique.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XXV, p. 238.
4 (1736). Retenir (une personne) avec soi. || Garder qqn à dîner (→ Contribution, cit. 3). || Je ne vous garderai pas longtemps. || Il m'a gardé une heure. ⇒ Tenir. — (Av. 1678). Conserver un employé, un domestique à son service (→ Emploi, cit. 15; félonie, cit. 1). — Garder un client : conserver qqn dans sa clientèle. || Commerçant avisé qui sait garder ses clients.
37 Si vous n'avez pas assez de ça pour garder un bon domestique, je ne suis pas assez bête, moi, pour renvoyer un si bon maître.
Beaumarchais, le Mariage de Figaro, II, 21.
38 Vous y plaignez (dans vos écrits) le sort des nègres de l'Afrique,
Et vous ne pouvez pas garder un domestique.
Ch.-G. Étienne, les Deux Gendres, I, 7.
5 (Déb. XIIIe). Ne pas dévoiler, ne pas divulguer. — (1647). || Garder un secret (→ Bouche, cit. 13). || Promettez-moi de garder mon secret (→ Faire, cit. 191). ☑ Gardez cela pour vous : n'en dites pas un mot, soyez discret. || Le secret sera bien gardé (→ Conserver, cit. 12; curieux, cit. 10). — ☑ Loc. (1668). Garder le secret sur ses intentions (→ Attaquer, cit. 24). — (XXe). Par ext. Ne pas communiquer, garder pour soi. || Garder ses pensées. || Gardez vos remarques, vos réflexions pour vous, je vous dispense de me les faire connaître. ☑ Garder tout en soi-même : être renfermé, réservé, secret.
39 Comment prétendons-nous qu'un autre garde notre secret, si nous ne pouvons le garder nous-mêmes ?
La Rochefoucauld, Maximes supprimées, 584.
40 (…) malgré ce qu'on dit du bavardage des femmes, jamais secret ne fut mieux gardé.
Th. Gautier, Portraits contemporains, Mme Sontag.
41 Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes,
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Baudelaire, les Fleurs du mal, Spleen et idéal, XIV.
42 (…) idées personnelles ainsi nommées parce qu'il faut les garder pour soi.
J. Renard, Poil de Carotte, p. 60.
43 Il revoyait le fils de Matelot. Un de ces hommes qui gardent tout en eux, qui écoutent, qui regardent, qui ne disent pas non mais qui pensent non, et c'est non.
J. Giono, le Chant du monde, I, II.
6 (V. 1155). Continuer à avoir (une qualité, une idée, un sentiment, une attitude, une position…). — (XXe). || Suivre un régime pour garder la ligne. — Garder sa pureté, sa vertu. || Garder son charme, sa force, sa réputation, sa prééminence (→ Cap, cit. 4; célèbre, cit. 6). || Garder le goût de qqch., du goût pour qqch. (→ Celtisme, cit. 1; entrer, cit. 57). || Garder sa foi, ses croyances. — Garder un avantage. || Garder sa place, sa position, sa situation. || Garder sa liberté d'action (→ Arbitre, cit. 8). || Cacher (cit. 25) son bonheur pour le garder. || Garder une chance, une possibilité (→ Canaliser, cit. 3). || Garder son avance sur ses concurrents.
44 On garde sans remords ce qu'on acquiert sans crimes (…)
Corneille, Cinna, II, 1.
45 On a perdu bien peu quand on garde l'honneur.
Voltaire, Adélaïde du Guesclin, III, 1.
46 Ses bras cessèrent de me presser sur son cœur, et je crus à une de ces pamoisons comme elle en avait souvent, quoique ordinairement elle gardât, en ses pamoisons, la force crispée de l'étreinte (…)
Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques, « Le rideau cramoisi ».
47 Les femmes sont de grands enfants, Marcenat. Elles ont gardé le sens du merveilleux.
A. Maurois, Climats, I, XII.
♦ Garder un sentiment dans son cœur. || Garder l'espoir, de l'espoir, de la reconnaissance, de la colère, de la méfiance (→ Agressivité, cit. 2). — ☑ (1872). Garder rancune à qqn : en vouloir à… (→ Aggraver, cit. 8; aigreur, cit. 7). — En garder lourd sur le cœur (supra cit. 15). || Garder le désir, l'intention de… (→ Coquetterie, cit. 8). || Garder fidélité (→ Appuyer, cit. 41).
48 Ce qui les étonne encore plus, c'est la résignation de ce peuple, son respect pour ses maîtres, laïques, ecclésiastiques, son attachement idolâtrique pour ses rois (…) Qu'il garde, parmi de telles souffrances, tant de patience et de douceur, de bonté, de docilité, si peu de rancune pour l'oppression, c'est là un étrange mystère.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., Introd., II.
49 — Jacques, vous me l'avez dit plusieurs fois, que vous me gardiez un fonds de haine et de colère.
France, le Lys rouge, XXXIV.
50 Alors il s'en alla, sans se presser. Mais il en gardait sur le cœur bien plus lourd qu'il n'avait espéré.
M. Genevoix, Raboliot, III, I.
♦ Garder une humeur, une disposition d'esprit. — Garder son calme, sa présence d'esprit, son sérieux. — ☑ Loc. cour., mod. (mais syntaxe archaïque). Il faut raison garder. — Il a gardé toutes ses facultés. || Garder une attitude, une contenance (cit. 4). || Garder un masque, un rôle (→ S'enfermer dans). || Garder une habitude (→ Changer, cit. 19 et 63; envoi, cit. 3).
51 (…) tout en mâchant sa douleur il affectait de garder une attitude insouciante et assurée (…)
M. Barrès, Un jardin sur l'Oronte, p. 214.
52 (…) au milieu de l'accablement général, M. Nègre gardait un masque éploré et une âme parfaitement sereine (…)
Courteline, Messieurs les ronds-de-cuir, 6e tableau, II.
♦ (1636). || Garder le silence. ⇒ Observer (→ Courber, cit. 31). — Garder une position, une posture. || Garder l'immobilité, son équilibre (→ Attrait, cit. 12).
53 Tantôt sur un pied, gardant le plus savant équilibre, et suspendu sans mouvement pendant plusieurs mesures, il étonne, il surprend par l'immobilité de son aplomb.
Beaumarchais, le Barbier de Séville, Lettre sur la critique.
54 Emma, pourtant, ne paraissait pas joyeuse, et, d'habitude, elle gardait aux coins de la bouche cette immobile contraction qui plisse la figure des vieilles filles et celle des ambitieux déchus.
Flaubert, Mme Bovary, II, VII.
♦ Garder la marque, l'empreinte, la trace de qqch. (→ Écrire, cit. 41; empreindre, cit. 2; fêlure, cit. 2). || Garder une cicatrice (cit. 9), une lésion.
55 Dans le premier âge, puis autour de la vingtième année, il avait fait une pointe de tuberculose, et il en gardait sans doute une lésion discrète.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, XVIII, p. 237.
♦ (1820). || Garder qqch. en mémoire : ne pas oublier. || Garder le souvenir, la mémoire de qqch., de qqn (→ Afféterie, cit. 4; anniversaire, cit. 1; cuisant, cit. 7; ferveur, cit. 2). || Garder une impression, une image. || Garder le passé dans son cœur.
56 Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
Lamartine, Premières méditations, « Le lac ».
57 Heureusement, le passé ne meurt jamais complètement pour l'homme. L'homme peut bien l'oublier, mais il le garde toujours en lui.
Fustel de Coulanges, la Cité antique, Introd.
58 Elle a un mouvement délicieux du visage, qui exprime l'abandon et le ravissement. Dans ce mouvement il y a de la mélancolie comme si elle voulait fixer le moment présent et le garder dans ses yeux.
A. Maurois, Ariel, p. 37.
♦ Garder (une certaine partie, un élément…) de qqch. || Garder qqch. de… (→ Entité, cit. 2; enveloppe, cit. 5). || Il n'en a rien gardé.
59 (…) quand même elle ne gardait de la religion que les dehors du culte (…)
P.-J. Toulet, la Jeune Fille verte, III, p. 73.
60 Voilà ce qu'il gardera de son amour avec Marie. Il en gardera surtout une grande leçon (…)
Louis Bertrand, Louis XIV, II, III, p. 146.
61 (…) de mon ascendance terrienne, j'ai gardé un vif amour pour tout ce qui touche aux choses de la nature.
G. Duhamel, Inventaire de l'abîme, VI.
7 (Sujet n. de personne ou de chose; le compl. désigne une qualité, une caractéristique, un attribut du sujet). || Garder un certain aspect (cit. 23 et 24), un côté mystérieux (→ Émouvoir, cit. 22). || Garder sa forme (→ Changer, cit. 62). || Garder un reflet, une lueur, une couleur (→ Aube, cit. 8; bleuir, cit. 3). || Garder un ton, un accent (→ Angélique, cit. 1). || Garder un arrière-goût (cit. 2). || Garder un parfum pénétrant. || Garder sa destination (cit. 1) d'origine. || Il a longtemps gardé des allures d'étudiant.
62 L'œuvre garde le jeune éclat, la juste harmonie et la fraîcheur vivace qu'elle avait sur le chevalet; l'artiste y est tout entier.
Th. Gautier, Souvenirs de théâtre…, Collection Comte de…
63 Ce qui inquiétait un peu Haverkamp, tout en le séduisant aussi, chez son architecte, c'était le côté rapin qu'il avait gardé, et certains enfantillages.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XXVII, p. 280.
♦ (1699). || Garder les apparences (cit. 30 et supra). ⇒ Ménager, sauver. || Garder les apparences de la justice, l'apparence de la liberté (→ Captiver, cit. 3).
64 Il savait qu'on ne disait rien d'elle. Elle avait soin, au moins, de garder les apparences.
Maupassant, les Sœurs Rondoli, Rencontre.
65 Pour en faire accroire aux gens de Plouherzel et garder la vraisemblance de mon costume d'emprunt, nous avions concerté cette intimité.
Loti, Mon frère Yves, XXI.
8 (Av. 1890; avec un adj. attribut du compl. direct). || Garder les yeux baissés. ⇒ Tenir. — Garder les cheveux longs (→ Cosmétique, cit. 2). || Garder la tête libre (→ Culpabilité, cit. 3). || Garder une somme intacte.
66 Il avait gardé intacte la chambre de sa compagne.
Maupassant, les Bijoux.
67 Elle (la République) n'a point d'amour-propre; elle n'a point de majesté. Heureux défaut qui nous la garde innocente !
France, l'Orme du Mail, Œ., t. XI, p. 155.
———
III
1 (V. 1131). Mettre (qqch.) de côté, en réserve. ⇒ Réserver; 1. garder. || Garder des provisions. — (Avec un compl. second introduit par pour). || Garder de la viande froide pour le dîner. || Le boucher doit nous garder un rôti de veau pour dimanche. || Si vous arrivez le premier au train, gardez-moi une place. || Garder une bonne bouteille pour le dessert. || Garder un livre pour les vacances. — Par anal. || Il lui garde jalousement son amour (→ Fade, cit. 7). || Qui sait ce que le sort nous garde ? : qui sait ce qui arrivera demain.
68 Sans doute. C'est le prix que vous gardait l'ingrate.
Racine, Andromaque, II, 5.
69 Mais je garde à ce prince un traitement plus doux.
Madame, il va bientôt paraître devant vous.
Racine, Britannicus, II, 3.
70 C'était une des grandes occupations du clerc que de les entretenir (ses ongles) et il gardait, à cet usage, un canif tout particulier dans son écritoire.
Flaubert, Mme Bovary, II, III.
71 (…) quand tu en auras d'autres (peaux), garde-m'en une à ce prix.
J. Giono, Regain, II, I.
2 ☑ Loc. fig. Garder une dent contre qqn. ☑ Garder à qqn un chien de sa chienne : promettre de se venger. — ☑ (1690). Garder une poire pour la soif : ménager qqch. en prévision des besoins à venir. ⇒ Épargner. — ☑ Garder pour la bonne bouche : réserver un bon morceau pour la fin du repas. — Fig. Réserver le meilleur pour la fin.
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IV (V. 1155). Littér. ou style soutenu. Observer fidèlement, avec soin. ⇒ Observer, pratiquer, respecter. || Garder la loi. || Garder les commandements de Dieu. || Garder les arrêts. || Garder la continence (cit. 2), le jeûne. || Garder le décorum (cit. 1), les convenances, une règle de bienséance (cit. 10). — ☑ (1675). Garder la mesure. || Il faut garder une mesure en tout, ne pas dépasser certaines limites (→ Copieux, cit. 2). || Garder une juste mesure (→ Ébauche, cit. 4; excès, cit. 3). — ☑ (1687). Garder son rang, ses distances : s'abstenir de toute familiarité. ⇒ Maintenir. — Garder une certaine réserve, une discrétion absolue. || Garder une conduite exemplaire. || Garder sa foi, sa parole, ses serments.
72 La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite, et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État.
Pascal, Pensées, IX, 620.
73 Jusque là, il avait toujours évité de parler de Berthe avec Marie. Et si elle n'avait pas gardé exactement la même réserve en ce qui concernait son propre ménage, ce genre de confidences (…) ne leur était nullement habituel.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XX, p. 151.
74 (…) il a gardé une certaine réserve, comme il convient à un témoin de bonne volonté.
Camus, la Peste, p. 324.
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1 (Fin Xe). Vx. Se protéger, se défendre.
75 (Il) prétendait que la vendette est le duel des pauvres. « Cela est si vrai, disait-il, qu'on ne s'assassine qu'après un défi en règle. “Garde-toi, je me garde”, telles sont les paroles sacramentelles qu'échangent deux ennemis avant de se tendre des embuscades l'un à l'autre. »
Mérimée, Colomba, III.
76 À ses côtés (du roi Jean le Bon), son plus jeune fils, qui mérita le surnom de Hardi, guidait son courage aveugle, lui criant à chaque nouvel assaut : Père, gardez-vous à droite, gardez-vous à gauche.
Michelet, Hist. de France, VI, II.
77 Avant que les municipalités s'organisent, le village se gouverne, se garde, se défend, comme association armée d'habitants du même lieu.
Michelet, Hist. de France, V, II.
78 À lui voir tant de prudence, n'allez pas croire au moins que Tartarin eût peur… Non ! seulement il se gardait.
Alphonse Daudet, Tartarin de Tarascon, I, V.
79 Ma fille, mon enfant, gardons-nous du péché d'orgueil.
Ch. Péguy, Mystère de la charité de Jeanne d'Arc, p. 184.
80 Une partie de chasse de temps en temps, pour l'élégance de la chose (…) en se gardant comme de la peste des départs à l'aube, ou des marches sous la pluie.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, XVIII, p. 238.
♦ ☑ Loc. Se garder à carreau (cit. 7) : se tenir sur ses gardes.
2 ☑ (V. 1160). Se garder de (suivi d'un infinitif) : s'abstenir soigneusement de, avoir soin de ne pas (faire), se défendre de. — Vieilli. (Concret). || Gardez-vous de tomber. — Mod. (Abstrait). || Il faut se garder de remettre les choses au lendemain. || Je me garderai bien d'intervenir dans votre querelle (→ Attendre, cit. 35; augmenter, cit. 19; conduire, cit. 11; confondre, cit. 4; coup, cit. 44; écouter, cit. 26; espérer, cit. 10).
81 Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
La Fontaine, Fables, V, 9.
82 Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger les gens sur la mine.
La Fontaine, Fables, VI, 5.
83 (Elle) lui dit tout bas qu'il fallait bien se garder de lui parler de cette aventure (…)
Mme de La Fayette, la Princesse de Clèves, III.
84 Gardez-vous de demander du temps; le malheur n'en accorde jamais.
Mirabeau, Disc. sur le projet Necker, 26 sept. 1789.
85 (…) Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol !
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, I, 4.
86 Pourtant elle s'était gardée de montrer à son père la coupure du journal parisien, elle l'avait brûlée sans en souffler mot à personne (…)
F. Mauriac, la Fin de la nuit, p. 50.
♦ (Avec en représentant un verbe exprimé précédemment). || Vous détromper ? Je m'en garderai bien ! || Le provoquer ? Gardez-vous-en bien !
87 — La coupe de la jupe, vous ne la déconseillez pas ?
— Moi, Madame ? Je m'en garderai bien. J'ai une telle confiance dans votre jugement…
Colette, Belles saisons, p. 96.
3 (1690). Passif. Se conserver. || Ce fromage ne se garde pas plus de deux jours.
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VI V. tr. (1538). Vx. || Garder de… (et inf.), que… (et subj.) : prendre garde. ⇒ Éviter. || Gardez de le détromper : ayez soin de ne pas le détromper. || Garde qu'il ne s'en aperçoive : veille à ce qu'il ne s'en aperçoive pas (→ Enfumer, cit. 2). — REM. La particule ne est régulière, comme après prendre garde que, éviter que, empêcher que.
88 Prince Jésus, qui sur tous a maîtrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie (…)
Villon, Testament, « Ballade des pendus ».
89 Heureux, trois fois heureux, celui que Dieu corrige !
Gardons de repousser les peines qu'il inflige (…)
A. de Vigny, Poésies, « La prison ».
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gardé, ée p. p. adj. REM. Pour les emplois ordinaires de ce participe, se reporter au corps de l'article.
a Concret. ☑ Loc. Chasse gardée : chasse réservée à son propriétaire, et généralement sous la surveillance d'un garde. ⇒ Garde-chasse. — Carte gardée, protégée par une carte de même couleur. || Roi gardé. — Passage à niveau gardé, non gardé.
b Abstrait. || Proportion gardée, ou, plus ordinairement, toute proportion gardée, toutes proportions gardées : en tenant compte des différences entre les choses ou les personnes que l'on compare.
90 Le soin maniaque avec lequel j'ai préparé certains de mes romans, ou du moins certaines de leurs parties, n'est pas, toutes proportions gardées, sans rappeler l'application du chartiste (…)
♦ Révérence gardée. ⇒ Révérence.
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CONTR. Abandonner, acquérir, aliéner, céder, chambarder, changer, congédier, détériorer, détruire, dissiper, donner, écarter, échanger, enlever, évacuer, gâcher, gaspiller, gâter, lâcher, laisser, libérer, quitter, rejeter, rendre, renoncer (à), renvoyer, transmettre, vendre. — Débarrasser (se), défaire (se), départir (se), dessaisir (se). — Disparaître (faire). — Négliger, oublier, perdre. — Dévoiler, divulguer, ébruiter, révéler. — Déroger, enfreindre, transgresser, violer.
DÉR. Gardable, gardage, 1. garde, 2. garde, garderie, gardeur, gardien.
COMP. V. Garde- (et comp.). Regarder.
Encyclopédie Universelle. 2012.