abandonner [ abɑ̃dɔne ] v. tr. <conjug. : 1>
• 1080; de abandon
I ♦
1 ♦ Ne plus vouloir de (un bien, un droit). ⇒ renoncer (à). Abandonner ses biens. Abandonner le pouvoir, une charge. ⇒ 2. se démettre, se désister.
♢ Laisser (un bien, un droit) à qqn. Abandonner sa fortune à qqn. ⇒ donner, léguer. Par ext. Laisser, confier. Abandonner à qqn le soin de faire qqch.
♢ Laisser au pouvoir (de qqch.). Abandonner une ville au pillage. Vous m'abandonnez à mon triste sort.
2 ♦ Quitter, laisser définitivement (qqn dont on doit s'occuper, envers qui on est lié). Abandonner ses enfants. Elle le délaisse sans se résoudre à l'abandonner. ⇒fam. 1. lâcher; 2. droper, larguer, plaquer (cf. Laisser tomber). « Dès qu'il ne voit plus les gens, il les oublie, il les abandonne » (Duhamel).
♢ Cesser d'aider, de soutenir. Ses alliés, ses complices l'abandonnent. — Faire défaut. « Ses forces subitement l'abandonnèrent » (Flaubert).
3 ♦ Quitter définitivement (un lieu). « Le harcèlement constant des moustiques nous fait abandonner Liranga » (A. Gide). ⇒ déserter, laisser. Abandonner son poste. — Abandonner le domicile conjugal.
4 ♦ Renoncer à (une action difficile, pénible). Abandonner la lutte, le combat. ⇒ capituler, céder, flancher (cf. Lâcher pied, lâcher prise). Abandonner les recherches. ⇒ cesser. Abandonner la partie. — Absolt J'abandonne ! ⇒ capituler, fam. décrocher, démissionner. Sport Athlète qui abandonne (en cours d'épreuve).
5 ♦ Cesser d'employer, ne plus considérer comme utile, bon. Abandonner une hypothèse (⇒ rejeter) , un procédé.
II ♦ S'ABANDONNER v. pron.
1 ♦ S'abandonner à : se laisser aller à (un état, un sentiment). S'abandonner au désespoir. ⇒ se livrer, succomber. S'abandonner à la facilité.
2 ♦ Absolt, vieilli Accorder les dernières faveurs à un homme. « Se cachant la figure, elle s'abandonna » (Flaubert).
3 ♦ Se détendre, se laisser aller physiquement. « Ses muscles se détendirent, ses épaules s'abandonnèrent contre le mur : il dormait » (Martin du Gard).
4 ♦ Se livrer en toute confiance. ⇒ s'épancher, se fier. « Elle céda au plaisir de s'abandonner, de se confier » (F. Mauriac).
⊗ CONTR. Rechercher. Soigner, soutenir. Continuer. Garder, maintenir. — Résister. Raidir (se). Méfier (se), observer (s').
● abandonner verbe transitif Laisser définitivement quelque chose à la discrétion de quelqu'un, en son pouvoir ; confier, céder : Abandonner le pouvoir à un ministre. Laisser quelque chose au pouvoir, à l'action de quelque chose ; laisser aller, livrer à : Abandonner une barque au courant. Laisser aller un objet, le lâcher, ne plus le retenir : Abandonner les rênes d'un attelage. Ne plus poursuivre quelque chose qui était en cours ou en projet, ne plus utiliser quelque chose, y renoncer définitivement : Au troisième round, le boxeur a abandonné (le combat). Abandonner un projet, une idée. Quitter un lieu, une fonction, une activité pour un(e) autre : Abandonner la ville pour la campagne. Laisser quelqu'un, un animal, des objets en un lieu quelconque sans s'en soucier ni s'en occuper davantage : Abandonner un chat. S'éloigner de quelqu'un, le laisser, définitivement ou non, sans secours ; délaisser, quitter : Tous l'avaient abandonné. ● abandonner (citations) verbe transitif Bible N'abandonne pas un vieil ami, le nouveau venu ne le vaudra pas. Vin nouveau, ami nouveau, laisse-le vieillir, tu le boiras avec délices. Ancien Testament, EcclésiastiqueIX, 10 Commentaire Citation empruntée à la « Bible de Jérusalem ». Bible Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? Ancien Testament, Psaumes XXII, 2 Commentaire Citation empruntée à la « Bible de Jérusalem ». ● abandonner (expressions) verbe transitif Abandonner son bâtiment, le quitter après avoir sauvé l'équipage ; le délaisser aux assureurs. Abandonner son poste, le quitter alors qu'on devrait continuer à en assumer la charge. Abandonner quelqu'un à son (triste) sort, l'y laisser, l'y livrer. Ses forces, son courage, la chance, etc., l'abandonnent, lui font défaut. ● abandonner (synonymes) verbe transitif Laisser définitivement quelque chose à la discrétion de quelqu'un, en son...
Synonymes :
- céder
- laisser
- livrer
- renoncer à
Contraires :
- garder
Ne plus poursuivre quelque chose qui était en cours ou en...
Synonymes :
- dételer (familier)
- jeter l'éponge
- renoncer à
Contraires :
- persévérer dans
Quitter un lieu, une fonction, une activité pour un(e) autre
Synonymes :
- déserter
- laisser
- quitter
- se retirer de
Laisser quelqu'un, un animal, des objets en un lieu quelconque...
Synonymes :
- délaisser
- lâcher (familier)
- négliger
- quitter
Contraires :
- avoir soin de
- s'occuper de
S'éloigner de quelqu'un, le laisser, définitivement ou non, sans secours ;...
Synonymes :
- délaisser
- lâcher (familier)
- laisser tomber
- négliger
- quitter
Contraires :
- avoir soin de
- s'occuper de
abandonner
v.
rI./r v. tr.
d1./d Renoncer à (qqch). Abandonner un projet. Abandonner son emploi.
d2./d Laisser (qqch) à (qqn); mettre (qqch) à la disposition de (qqn). Il abandonne sa part d'héritage à son frère.
d3./d Ne pas conserver, délaisser (qqch). Abandonner sa voiture sur la voie publique.
d4./d Quitter (un lieu). J'abandonne Port-au-Prince pour Montréal.
|| Ses forces l'abandonnent, viennent à lui manquer.
d5./d Se séparer volontairement de (qqn envers qui on a des obligations, avec qui on est lié). Abandonner sa famille.
rII./r v. Pron.
d1./d Se livrer à (une émotion, un sentiment). S'abandonner à la douleur.
|| (S. comp.) Détendre son corps, son esprit. Vous êtes crispé, laissez-vous aller, abandonnez-vous!
d2./d S'en remettre à (qqch). S'abandonner au destin.
d3./d (S. comp.) Se confier. Dans l'intimité, il s'abandonne volontiers.
⇒ABANDONNER, verbe trans.
I.— Emploi trans.
A.— [L'agent est normalement une pers.] Rompre le lien qui attachait à une chose ou à une personne.
1. [L'obj. est une chose]
a) [Le lien ant. avec l'obj. était un lien de possession réelle]
— Renoncer à un pouvoir, à des droits, à la possession d'un bien ou à l'utilisation d'une chose :
• 1. La surcharge rendant la possession des terres onéreuse, l'humble propriétaire abandonna son champ, ou le vendit à l'homme puissant; et les fortunes se concentrèrent en un moindre nombre de mains.
C.-F. DE VOLNEY, Les Ruines, 1791, p. 72.
• 2. On dit [proverbialement] n'abandonnez pas les étriers, c'est-à-dire servez-vous bien des avantages que vous avez, ne les quittez point.
J.-F. ROLLAND, Dict. du mauvais langage, 1813, p. 1.
• 3. ... le 3 mai, des cris de Nab, posté à la fenêtre de sa cuisine, annoncèrent que la baleine était échouée sur le rivage de l'île. Harbert et Gédéon Spilett, qui allaient partir pour la chasse, abandonnèrent leur fusil, Pencroff jeta sa hache, Cyrus Smith et Nab rejoignirent leurs compagnons, et tous se dirigèrent rapidement vers le lieu d'échouage.
J. VERNE, L'Île mystérieuse, 1874, p. 307.
• 4. ... la molesquine, (...), commença de lui coller aux chausses. On ne s'en aperçut, hélas! qu'à la fin de la séance, au moment qu'il voulut se lever. Vains efforts! Il tenait à la chaise, et la chaise tenait à lui. Son mince pantalon (nous étions en été) si l'étoffe en était un peu mûre, le fond allait y rester, c'était sûr; il y eut quelques secondes d'angoisse ... et puis, non! Sur un nouvel effort, ce fut la molesquine qui céda, doucement, doucement, abandonnant du sien, comme par conciliation.
A. GIDE, Si le grain ne meurt, 1924, p. 459.
• 5. Oh! Mon père, mon père! Si je n'espérais pas que le ciel a quelque dessein sur moi, je mourrais ici de honte à vos pieds. Il est possible que vous ayez raison, que l'épreuve n'ait pas été poussée jusqu'au bout. Mais Dieu ne m'en voudra pas. Je lui sacrifie tout, j'abandonne tout, je renonce à tout pour qu'il me rende l'honneur.
G. BERNANOS, Dialogues des carmélites, 1948, I, 4, p. 1579.
Rem. Dans l'ex. 2 l'emploi du verbe est fig.
— Quitter un lieu, ne plus l'occuper; dans la lang. du dr. « abandonner le domicile conjugal », dans le lang. milit. « abandonner son poste » :
• 6. Julien vit le succès de son récit. Il comprit qu'il fallait tenter la dernière ressource : il arriva brusquement à la lettre qu'il venait de recevoir de Paris.
— J'ai pris congé de monseigneur l'évêque.
— Quoi, vous ne retournez pas à Besançon! Vous nous quittez pour toujours?
— Oui, répondit Julien d'un ton résolu; oui, j'abandonne un pays où je suis oublié même de ce que j'ai le plus aimé en ma vie, et je le quitte pour ne jamais le revoir. Je vais à Paris ...
STENDHAL, Le Rouge et le Noir, t. 1, 1830, p. 219.
• 7. M. Clavier et Caroline rentrèrent dans le salon de plain-pied, dont ils prenaient ordinairement possession l'été, et qu'ils abandonnaient l'hiver à cause de la fraîcheur des murs.
L. GOZLAN, Le Notaire de Chantilly, 1836, p. 4.
• 8. ... maintenant que le général de Wimpffen succédait au général Ducrot, le premier plan de nouveau l'emportait, l'ordre arrivait de réoccuper Bazeilles coûte que coûte, pour jeter les bavarois à la Meuse. N'était-ce pas imbécile de leur avoir fait abandonner une position, qu'il leur fallait à cette heure reconquérir? On voulait bien se faire tuer, mais pas pour le plaisir, vraiment!
É. ZOLA, La Débâcle, 1892, p. 277.
• 9. « Voilà mon Favery épouvanté. Une femme sur les bras, et, qui pis est, une femme bientôt divorcée, libre, qui allait exiger qu'on l'épouse... C'est alors qu'il a eu ce qu'il appelle lui-même son idée de génie. Il a écrit au mari : Monsieur, je reconnais que c'est pour me suivre que votre femme abandonne le domicile conjugal. Salutations. Favery. »
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Belle saison, 1923, p. 850.
• 10. Ils sont obsédés par la trahison. Non sans raison ... (...).
— Si ce type abandonne son poste, il doit être fusillé.
A. MALRAUX, L'Espoir, 1937, p. 636.
— Cesser de défendre une cause, renoncer à des principes, à une idée en la rejetant ou simplement en s'en séparant :
• 11. Ici, je vois répandre de dangereuses erreurs; ici je m'aperçois qu'on abandonne les premiers principes du bon sens et de la liberté, pour poursuivre de vaines abstractions métaphysiques.
M. DE ROBESPIERRE, Discours, 1793, p. 506.
• 12. Cette école pythagoricienne (...) succomba sous les efforts des tyrans. Un d'eux brûla les pythagoriciens dans leur école; et ce fut une raison suffisante sans doute, non pour abjurer la philosophie, non pour abandonner la cause des peuples, mais pour cesser de porter un nom devenu trop dangereux, et pour quitter des formes qui n'auraient plus servi qu'à réveiller les fureurs des ennemis de la liberté et de la raison.
A. DE GONCOURT, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, 1794, p. 49.
• 13. ... les croyances religieuses ne sont plus l'unique sphère dans laquelle s'exerce l'esprit humain; sans les abandonner, il commence à s'en séparer, à se porter ailleurs.
F. GUIZOT, Hist. générale de la civilisation en Europe, 1828, p. 27.
b) [Le lien avec l'obj. était un lien de possession seulement envisagé] Renoncer à poursuivre une action, une recherche; renoncer à une entr., à un projet. D'où l'expr. abandonner la partie, et abandonner en empl. absol., dans la lang. du sport avec le sens de « renoncer à poursuivre une compétition ») :
• 14. J'ai lu, dans je ne sais quel voyageur, que certains sauvages de l'Afrique croient à l'immortalité de l'âme. Sans prétendre expliquer ce qu'elle devient, ils la croient errante, après la mort, dans les broussailles qui environnent leurs bourgades, et la cherchent plusieurs matinées de suite. Ne la trouvant pas, ils abandonnent cette recherche, et n'y pensent plus.
S. CHAMFORT, Maximes et pensées, 1794, p. 17.
• 15. ... sous ses joies vivait un regret, celui de n'avoir pas tué. Quoi! Cette occasion de la guerre passerait donc en vain! Et cela lui laissait un sourd sentiment d'infériorité, analogue à celui qui lui venait jadis en songeant que sur le ring, dans les championnats d'amateurs, il avait battu de ses adversaires aux points, il en avait forcé d'autres à abandonner, mais jamais il n'avait pu réussir un knock-out.
H. DE MONTHERLANT, Le Songe, 1922, p. 78.
• 16. Bientôt, je me heurtai à des difficultés éternelles. Un jour presque entier consumé à faire, à défaire et à refaire quelque partie de mon poème, j'en ai pris ce dégoût désespéré que connaissent tous les artistes. L'artiste serait peu de chose, s'il n'était le jouet de ce qu'il fait. Je décidai d'abandonner la partie; je m'assurai qu'il fallait renoncer; et voulant rompre par un acte le triste enchantement qui m'enchaînait à mes ébauches, je me suis contraint de sortir.
P. VALÉRY, Variété 5, 1944, p. 121.
2. [L'obj. est une pers. (ou un être considéré comme tel); on laisse entendre qu'on mesure les conséquences résultant pour elle de la rupture du lien] Quitter qqn, s'en séparer; laisser qqn à lui-même, le laisser seul. (Anton. rester avec qqn, lui rester fidèle) :
• 17. ... je suis seul? ô Dieux! où sont donc mes amis
Ah! ce cœur qui, toujours à l'amitié soumis,
D'étendre ses liens fit son besoin suprême,
Faut-il l'abandonner, le laisser à lui-même?
A. CHÉNIER, Élégies, Les Amours, amours diverses, 1794, p. 110.
• 18. ... il faut ordonner à l'âme non de se tirer à quartier, de s'entretenir à part, de mépriser et abandonner le corps (aussi ne le saurait-elle faire que par quelque singerie contrefaite), mais de se rallier à lui, de l'assister, le conseiller, le contrôler et le redresser quand il fourvoie, enfin l'épouser et lui servir de mari, à ce que leurs effets ne paraissent pas divers et contraires, ainsi accordants et uniformes ... etc.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1815, p. 71.
• 19. Antoine, il faut le dire, avait quelque sujet de prétendre à l'attachement et à la fidélité des siens. Tous ceux qui le quittèrent ne se plaignaient point de lui, mais de Cléopâtre. Au moment de la bataille, son vieil ami Domitius l'ayant abandonné, Antoine lui renvoya généreusement ses serviteurs, ses esclaves, tout ce qui était à lui.
J. MICHELET, Histoire romaine, t. 2, 1831, p. 323.
• 20. Mes amis, dit-elle, en tournant le dos au docteur, allez me chercher un prêtre : je vois que le médecin m'abandonne.
G. SAND, Lélia, 1833, p. 64.
• 21. — Vous avez bien fait de me parler, vous avez bien fait de me prier; car j'allais former un autre plan et m'éloigner de vous. Mais votre âge me rassure, je vous rejoindrai, attendez-moi.
— Quand cela?
— Il faut que je calcule nos chances, laissez-moi vous donner le signal.
— Mais vous ne m'abandonnerez pas, vous ne me laisserez pas seul, vous viendrez à moi, ou vous me permettrez d'aller à vous?
A. DUMAS Père, Le Comte de Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 181.
• 22. — Je vais te faire une confidence, ajouta-t-il (...), si ce nom seul m'émeut, ce nom de Suresnes, c'est que là demeure celle que j'aime, la femme que j'aime, ma femme, mon épouse, mon épouse qui m'a quitté, qui m'a abandonné, qui m'a plaqué car elle m'a laissé tomber la garce, après dix ans de mariage, la méchante, la vilaine, mais je l'aime toujours, ...
R. QUENEAU, Loin de Rueil, 1944, p. 84.
• 23. Nous pensons, au contraire que des principes trop abstraits échouent pour définir l'action. Encore une fois, prenez le cas de cet élève; au nom de quoi, au nom de quelle grande maxime morale pensez-vous qu'il aurait pu décider en toute tranquillité d'esprit d'abandonner sa mère ou de rester avec elle Oui, il n'y a aucun moyen de juger. Le contenu est toujours concret, et par conséquent imprévisible; il y a toujours invention.
J.-P. SARTRE, L'Existentialisme est un humanisme, 1946, p. 85.
— Except. l'agent peut être un inanimé :
• 24. Je vous en prie, écrivez-moi. Moi qui ne croyais pas à l'influence du physique, je sens que mes inquiétudes sont accrues par l'état où je suis, et que mes forces sont prêtes à m'abandonner quand vous ne les soutenez pas.
G. DE STAËL, Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1792, p. 38.
• 25. Chant de Minona.
Colma.
Loin de moi Salgar est errant;
Par-tout règne la nuit profonde;
Sous mes pieds mugit le torrent,
Sur ma tête la foudre gronde,
Pas un asile où me cacher;
Tout me délaisse et m'abandonne.
Je suis seule sur le rocher
Que la sombre mer environne.
P.-M.-F.-L. BAOUR-LORMIAN, Ossian, Les Chants de Selma, 1827, p. 115.
3. Abandonner un cheval « laisser aller librement un cheval en relâchant les rênes » (cf. Ac. 1932) :
• 26. Il n'est pas moins dangereux d'abandonner un cheval de trait. Les chevaux (...) venant à tomber peuvent se couronner, et même se tuer.
F. CARDINI, Dict. d'hippiatrique et d'équitation, t. 1, 1848, p. 12.
B.— [Avec un obj. second. toujours précédé de à introduisant l'idée de « confier, remettre ou livrer à »]
1. Laisser à qqn la possession ou le soin d'un bien (ou d'une pers.), laisser qqc. à l'entière disposition de qqn. Noter l'expr. abandonner à qqn le soin de faire qqc. :
• 27. Si c'est la femme survivante qui a, moyennant une somme convenue, le droit de retenir toute la communauté contre les héritiers du mari, elle a le choix ou de leur payer cette somme, en demeurant obligée à toutes les dettes, ou de renoncer à la communauté, et d'en abandonner aux héritiers du mari les biens et les charges.
Code civil, 1804, p. 282.
• 28. Elle pourrait m'abandonner tout son être et même me donner son cœur sans m'arracher à ce désespoir qui grandit à mesure que je l'approche.
J. BOUSQUET, Traduit du silence, 1936, p. 248.
• 29. ... je pris soudain conscience de ceci : que j'avais assis mon humaine souveraineté sur un crime, de sorte que tout ce qui s'ensuivait en fût conséquemment souillé non seulement toutes mes décisions personnelles, mais même celles des deux fils à qui j'abandonnai la couronne; car je me démis aussitôt de la glissante royauté que m'avait octroyée mon crime.
A. GIDE, Thésée, 1946, p. 1452.
• 30. ... le texte de l'accord équivalait à une transmission pure et simple de la Syrie et du Liban aux Britanniques. Pas un mot des droits de la France, ni pour le présent, ni pour l'avenir. Aucune mention des états du Levant. Vichy abandonnait tout à la discrétion d'une puissance étrangère et ne cherchait à obtenir qu'une chose : le départ de toutes les troupes, ainsi que du maximum de fonctionnaires et de ressortissants français.
Ch. DE GAULLE, Mémoires de guerre, L'Appel, t. 1, 1954, p. 164.
• 31. Nos rapports se situaient dans une sphère limpide où ne pouvait se produire aucun heurt. Il ne se penchait pas sur moi, mais me haussait jusqu'à lui et j'avais la fierté de me sentir alors une grande personne. Quand je retombais au niveau ordinaire, c'est de maman que je dépendais; papa lui avait abandonné sans réserve le soin de veiller sur ma vie organique et de diriger ma formation morale.
S. DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 39.
2. Laisser qqc. ou qqn en proie à qqc. (gén. une force hostile). [Noter l'expr. abandonner un ecclésiastique au bras séculier, « le renvoyer au juge laïque afin qu'il le punisse selon les lois » (cf. Ac. 1932, et hist. II A 2)] :
• 32. Scipion se retira derrière le Pô, derrière la Trébie, abandonnant aux ravages les terres des Gaulois, qui restaient fidèles aux Romains.
J. MICHELET, Histoire romaine, t. 2, 1831, p. 17.
• 33. La loi romaine, qui était celle de tous les ecclésiastiques sans distinction de race, punissait de mort l'imputation calomnieuse d'un crime capital, tel que celui de lèse-majesté; cette loi fut appliquée dans toute sa rigueur, et le synode porta contre le clerc Rikulf une sentence qui l'abandonnait au bras séculier.
A. THIERRY, Récits des temps mérovingiens, t. 2, 1840, p. 287.
• 34. ... dès qu'un Rebendart de la seconde zone avait volé, déserté, ou violé, le Rebendart ministre venait lui-même au prétoire témoigner contre lui et publiquement le renier. Il est mieux vu d'abandonner un enfant au bagne qu'à l'assistance. Cette vaniteuse humilité suffisait au jury qui acquittait largement. De sorte qu'une espèce d'impunité était octroyée en fin de compte à tous les Rebendart et que leurs écarts publics, vol, grivèlerie, ou exhibition, restaient des affaires et des fautes de famille.
J. GIRAUDOUX, Bella, 1926, p. 57.
II.— Emploi pronom. S'abandonner
A.— Emploi absolu
1. [Correspond à abandonner qqn au sens de « le laisser à lui-même, le laisser seul »] :
• 35. La Gazette perd les royalistes et la France et l'Europe entière, et ils méritent d'être perdus, des hommes qui s'abandonnent eux-mêmes et revient leur propre existence comme citoyens.
A. DE LAMARTINE, Correspondance, 1831, p. 175.
• 36. Il [Lamartine] s'est abandonné lui-même, il gît dans une solitude qui semble au premier regard un désert de prosaïsme, il a depuis longtemps abdiqué.
M. BARRÈS, Les Maîtres, 1923, p. 234.
2. Se laisser aller.
a) Renoncer à agir, à lutter. Anton. résister, se défendre :
• 37. Eh bien! la passion était fatale, Hélène ne se défendait plus. Elle se sentait à bout de force contre son cœur. Henri pouvait la prendre, elle s'abandonnait. Alors, elle goûta un bonheur infini à ne plus lutter.
É. ZOLA, Une Page d'amour, 1878, p. 906.
• 38. Songe à ces petits Français, nés dans des maisons en deuil, à l'ombre de la défaite, nourris de ces pensées découragées, élevés pour une revanche sanglante, fatale, et peut-être inutile : car, si petits qu'ils fussent, la première chose dont ils avaient pris conscience, c'était qu'il n'y a pas de justice, il n'y a pas de justice en ce monde : la force écrase le droit! De pareilles découvertes laissent l'âme d'un enfant dégradée ou grandie pour jamais. Beaucoup s'abandonnèrent : ils se dirent : « puisque c'est ainsi, pourquoi lutter? Pourquoi agir? Rien n'est rien. N'y pensons pas. Jouissons. »
— Mais ceux qui ont résisté sont à l'épreuve du feu; nulle désillusion ne peut atteindre leur foi : ...
R. ROLLAND, Jean-Christophe, Dans la maison, 1909, p. 988.
b) Renoncer à la surveillance ou à la possession de soi-même (anton. se tenir); se laisser aller (plan moral), en partic. laisser aller son corps (se donner, dans le lang. de l'amour), son âme, son esprit :
• 39. Gisors, du 6 au 24 septembre. C'est ici un lieu où je m'épanouis. J'y suis à l'aise. J'y amuse et je m'y amuse. J'y ai de l'assurance, de la gaieté, de l'esprit et de tous les esprits, — du gros surtout. Je fais des imitations, des queues de mots, des bêtises, tout ce qui délasse une pensée tendue et une langue obligée de se surveiller. Je me détends et je m'abandonne. Ce sont les vacances de ma tête et de mon caractère. Il y a un grand enfant en moi, que je lâche dans cette maison qui m'a vu petit.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, sept. 1859, p. 629.
• 40. ... la communauté des plaisirs, des toilettes, des promenades, a fait la ligne de démarcation si mince et si facilement franchie ... entre une lorette qui se tient et une marquise qui s'abandonne, que les plus experts, à première vue, peuvent s'y tromper ...
A. DAUDET, Jack, t. 1, 1876, p. 13.
• 41. ... elle [Benedetta] ne voulait s'abandonner qu'en légitime union. Et quelle torture, pour cette âme enflammée, que de résister à son amour! Quel continuel combat du devoir, du serment fait à la Vierge, contre la passion ...
É. ZOLA, Rome, 1896, p. 166.
• 42. LAURENCY, posant son casque sur la table. — Pourquoi rit-elle
CLOTILDE. — Je ne sais pas. Elle est très enjouée, maintenant, avec moi. Elle a compris que je ne lui voulais pas de mal.
LAURENCY. — Elle ne se défie plus. Elle s'abandonne. Toi, ne t'abandonne pas trop. Ne te confie pas à elle.
H.-R. LENORMAND, Le Simoun, 1921, p. 93.
c) Ne plus prendre soin de soi-même, se négliger :
• 43. Hélène, (...) était tellement changée, que les époux ne purent, à sa vue, retenir un mouvement de surprise. Elle devait s'abandonner, négliger de se teindre et de se maquiller. Ce n'était plus la poupée d'enfant devenue vieille, aux joues luisantes de fard, aux sourires puérils; c'était une pauvre femme dont les cheveux gris et la face ridée exprimaient une tristesse sale et honteuse.
É. ZOLA, Madeleine Férat, 1868, p. 254.
• 44. Il est évident qu'il s'est produit dans sa vie, en ces années 1812-1813, une catastrophe sentimentale, — la plus pénible de celles que l'amour lui a réservées, — et qu'il en est sorti brisé. (...). Il se néglige. Il s'abandonne. Il n'a plus goût à rien.
R. ROLLAND, Beethoven, t. 1, 1903, p. 73.
— [L'agent peut aussi être une partie du corps] :
• 45. ... il ne s'aperçut pas de la torpeur qui s'emparait de lui : ses muscles se détendirent, ses épaules s'abandonnèrent contre le mur : il dormait.
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Belle saison, 1923, p. 883.
B.— S'abandonner à. Se donner, se confier, se livrer à.
1. S'abandonner à qqn :
• 46. O mères! Apprenez donc à vos enfants à prier dès qu'ils savent cueillir un fruit : leur reconnaissance envers Dieu assurera leur reconnaissance envers vous. Accoutumez-les, au lever et au coucher du soleil, à élever leurs mains et leur cœur vers le ciel. Qu'ils prient en ouvrant et en fermant leurs yeux à la lumière; qu'ils se fassent une douce habitude de mettre leur confiance en Dieu, et de s'abandonner à lui dans toutes les actions de leur vie.
J.-H. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature, 1814, p. 133.
2. S'abandonner à qqc. :
— RELIG. S'abandonner à la miséricorde de Dieu, à la grâce divine :
• 47. — L'important, c'est de se mettre dans la miséricorde de Dieu, et de s'y abandonner en toute confiance, par le sentiment d'un amour vrai et humble qui chasse la crainte, d'un amour confiant de cette bonté, de cette miséricorde infinie. Il est impossible de n'y pas croire de ne pas l'aimer, de ne pas s'y confier.
F.-A.-P. DUPANLOUP, Journal intime, 1873, p. 340.
• 48. Toute l'économie de notre sanctification personnelle se ramène à cette règle unique : se prêter, s'ouvrir, s'abandonner à la grâce, ...
H. BREMOND, Hist. littéraire du sentiment religieux en France, t. 3, 1921, p. 133.
— expr. dial.-région. s'abandonner aux mouches :
• 49. Abandonner (s'), v. réf. — S'abandonner aux mouches, — ne plus avoir de souci de sa personne ou de ses intérêts; être dégoûté de tout; jeter le manche après la cognée.
VERR.-ON. 1908.
— [S'abandonner] à un état, un sent., un plaisir, une passion, une action. Noter la constr. s'abandonner à faire qqc. :
• 50. Je voudrais savoir si vous finirez par avoir tout à fait de la confiance en moi, si vous vous abandonnerez à m'ouvrir tout à fait votre âme.
G. DE STAËL, Lettres diverses, t. 2, 1793, p. 511.
• 51. ... ne vous interdisez pas non plus tout à fait ces pensées graves et tristes, quand la nature ou le spectacle de la société vous les envoie. (...). Il est donc bon de sentir la mélancolie dont vous parlez; il serait faible de s'y abandonner sans résistance. Et le moyen d'y résister, c'est de considérer le but nécessairement plus élevé et nécessairement religieux donné par le créateur à notre destinée.
A. DE LAMARTINE, Correspondance, 1832, p. 244.
• 52. Il n'y avait plus guère que le chevalier de Lacy, dont l'habitation était distante d'une lieue environ, qui la vînt visiter une ou deux fois par semaine. Et encore n'était-ce que lorsque le digne gentilhomme n'avait pas la goutte lui-même, ou que la chasse était fermée; car, tant qu'il pouvait se livrer à son exercice favori il s'y abandonnait avec passion et négligeait sa vieille voisine, ...
P.-A. PONSON DU TERRAIL, Rocambole, t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859, p. 407.
• 53. Je comprenais la vanité de toute intention, de toute poursuite, de tout vouloir. Dans une voluptueuse détresse, je renonçais, je m'abandonnais à ma lassitude, je me confiais en ce repos qui est la mort ou l'éternité.
J. RIVIÈRE, ALAIN-FOURNIER, Correspondance, lettre de J. R. à A.-F., oct. 1906, p. 287.
• 54. ... je ne vois pas beaucoup de différence entre un homme qui s'abandonne à la colère et un homme qui se livre à une quinte de toux.
ALAIN, Propos, 1912, p. 144.
• 55. Loin de m'abandonner à une amertume diffuse, je pris de face ma tristesse. Ainsi elle offre sa figure forte et l'on a toujours avantage à se confronter à cet aspect d'une puissance dont il faut redouter la nature insaisissable.
H. BOSCO, Le Mas Théotime, 1945, p. 120.
Prononc. ET ORTH. — 1. Forme phon. : [], j'abandonne []. Enq. :/2n/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : abandon- : abandonnataire, abandonnateur (-atrice), abandonné, abandonnement, abandonnément, abandonneur, abandonnique. 3. Forme graph. — L'adj. abandon(n)ique, récemment entré dans la lang., est noté ds le Vocab. de la psychanalyse (LAPL.-PONT. 1967, p. 273), ds Pt Lar. et le suppl. du Lar. encyclop. avec redoublement de l'n p. anal. avec les autres mots de la famille. Selon les principes de Thimonnier, le redoublement de n ne répond pas au syst. orth. du fr., le suff. -ique étant d'orig. sav. (cf. -on). 4. Hist. — Le mot apparaît sous sa forme graph. actuelle dès le XIIe s. (cf. ex. étymol.); cette graph. est attestée régulièrement ds les dict. dep. COTGR. 1611. En a. et m. fr., on trouve sans redoublement de consonne : abanduner (XIe s., cf. étymol.), abandoner (XIIIe s., cf. étymol.). Pour les formes du type abbandonner, cf. NICOT 1606. — Rem. FÉR. Crit. t. 1 1787 emploie comme vedette la forme mod. abandonner avec la rem. ,,(ou abandoner, avec une seule n).``
ÉTYMOLOGIE
I.— Trans. 1. Obj. inanimé a) ca 1100 le frein abanduner « lâcher la bride » (Rol., éd. Bédier, 1536 : Brochet le [ceval], le frein li abandunet), d'où part. prés. « à disposition » (ibid., 1522 : Seint pareis vos est abandunant); 1207 abandonner que « permettre que » (VILLEHARD., éd. Wailly, 377 ds GDF. : Li marchis li abandona qu'il i alast); b) 1165-70 « mettre en activité, appliquer » (CHRÉT. DE TROYES, Erec, éd. M. Roques, 6110 : Erec le [cor] prant et si le sone; tote sa force i abandone); 1225-30 abandonner la lance en « enfoncer la lance dans » (Beuve d'Hanst., Vat. chr., 1632 ds GDF. : el cors li a la lance abandoné); 2. obj. animé a) début XIIe s. « laisser aller (un cheval) la bride sur le cou » (Mon. Guill., Bibl. nat., 368, ibid. :Parmi la presse son cheval abandonne); b) ca 1200 « livrer (une femme) à la débauche » (Jourdains de Blaivies, éd. Hofmann, 3368 ds T.-L. : a un bordel sera mise et boutee, Lors si sera a touz abandonnee); XVe s. « laisser (qqn) à lui-même » (Cent Nouvelles nouvelles, Bartsch., 92, 3 : qu'il abandonne sa belle et bonne femme).
II.— Réfl. a) ca 1100 s'abandonner de « se laisser aller à » (Rol., éd. Bédier, 390 : Kar chascun jur de mort s'abandunet); emploi absolu 1160-70 « se livrer (en parlant d'une femme) » (WACE, Rou, éd. Andresen, 2845 ds T.-L. : Tute se pout abanduner Senz sa chemise reverser); b) ca 1100 s'abandoner a « se précipiter vers » (Rol., 928 : Franceis murrunt si a nus s'abandunent), emploi absolu 1160-70 « s'exposer au danger » (WACE, ibid., 3917 d'apr. KELLER, Vocab. Wace, 250b : Trop vus abandunates si feïstes folie).
Dér. de abandon.
HIST. — Mot entré très tôt dans la lang. (XIIe s., cf. étymol.) et attesté régulièrement jusqu'à nos jours. Offrant dès l'orig. une grande richesse sém., il donne lieu à de nombreux emplois (surtout à partir du XVIIe s.) dont la plupart subsistent.
I.— Accept. disparues av. 1789. — A.— Trans. — 1. « Mettre en activité, appliquer »; attesté uniquement au XIIe s. (1165-60, cf. étymol. I 1). 2. « Permettre que »; attesté régulièrement du début du XIIIe au début du XVe s. (cf. étymol. I 1 b et 5 ex. ds GDF.). 3. Abandonner en « enfoncer dans »; une seule attest. au XIIIe s. (1225-30, cf. étymol. I 1). B.— Réfl. — S'abandonner à « se précipiter vers », emploi absolu « s'exposer au danger », attesté dep. le XIIe s. (cf. étymol. II b) jusqu'au début du XVe s. : Onques sanglier escumant ne loup enragé plus fierement ne s'abandonna. Hist. de Boucicaut [1409], I, 24, Buchon (Gdf.). Se rencontre fréquemment au XIVe s. surtout ds Froissart (cf. 5 ex. ds GDF.).
II.— Accept. attestées apr. 1789. — Nombreuses et anc. pour la plupart (XIIe s.), elles ont pour composante dominante une idée de recherche d'autonomie, obtenue par une rupture de liens, par une séparation; d'où la valeur dépréc. du verbe (XVIIe s.). Ainsi abandonner évolue-t-il non sans anal. avec abandon dont il est dér. A.— Trans. — 1. Abandonner, cf. sém. I A. Ca 1100 « lâcher la bride » (cf. étymol. I 1 a), abandonner les rênes, une corde; début XIIe s. « lâcher en liberté, laisser courir » en parlant d'animaux (cf. étymol. I 2 a et ds GDF.); d'où au XVIIe s. « lâcher, laisser échapper » notamment un cheval attelé (FEW). Dans un sens analogue apparaissent un emploi techn. en fauconn. : abandonner l'oiseau « le lâcher dans la campagne » (FUR. 1690 et sqq), arch. de nos jours, et l'expr. proverbiale et fam. abandonner les étriers « retirer les pieds de dedans les étriers », empl. souvent au fig. : n'abandonnez pas les étriers « servez-vous bien des avantages que vous avez » (de FUR. 1701 à Lar.). XIIe s. et sqq « quitter, délaisser entièrement »; dep. le XVe s. abandonner une affaire « ne pas continuer à s'occuper de » (FEW), d'où abandonner son poste, la partie, etc. (cf. sém.), et en partic. dep. le XXe s. (cf. Lar.; mais déjà : ,,La victoire est revenue à Sébille, car Rouault a dû abandonner au quatrième round.`` La vie au grand air, 5 mai 1904, p. 357) « renoncer » terme de sport peut-être par l'intermédiaire de la lang. des jeux; XVe s. et sqq. aussi « laisser (qqn) à soi-même » (cf. étymol. I 2 b in fine), d'où « quitter qqn, s'en séparer » (abandonner ses enfants, un malade, etc. cf. sém.); XVIe s. (1553 ds FEW) « venir à manquer de » en parlant des forces phys. et morales, toujours attesté (cf. BESCH. 1845, LITTRÉ, DG, ROB.). — Rem. A signaler dans le même sens 2 emplois techn. de faible vitalité : anc. jurispr. (Ac. Compl. 1842) « faire un abandon, un abandonnement » (sens conforme à l'étymol., alors que le verbe est davantage usité dans des accept. moins spécialisées; toutefois abandonner [p. ex. le domicile conjugal] peut appartenir à la lang. jur.), et mar. (Lar. encyclop.) : abandonner son bâtiment « le quitter après avoir sauvé l'équipage; en faire le délaissement aux assureurs ». 2. Abandonner... à, cf. sém. I B. XIIe s. et sqq : abandonner (qqc. ou qqn) à (qqn ou qqc.) « mettre à son entière disposition, laisser agir en toute liberté » (FEW); « exposer à, livrer à », prenant le sens partic. de « livrer à la débauche » ca 1200 (cf. étymol. I 1 b), qui s'emploie plus souvent avec le pron. pers. (cf. inf.); XVIIIe s. [Ac. 1718-Lar., cf. FEW] « remettre, confier à », etc. (cf. ex. 35 à 44). Avec ce sens, les expr. abandonner au bras séculier « remettre un ecclésiastique au juge laïc », ou, proverbial et au fig. : abandonner (de la nourriture, etc.) au bras séculier « laisser à la discrétion des domestiques après s'être servi » se disent dep. FUR. 1690, l'une désignant une réalité jusqu'à Ac. 1798, et ne subsistant plus ensuite dans les dict. qu'avec une valeur hist., l'autre n'étant plus attestée au-delà de Ac. 1835. Ac., 1835 et sqq : abandonner un point à qqn, « le lui concéder ». B.— Réfl. — 1. Ca 1100 et sqq : s'abandoner de « se laisser aller à » (cf. étymol. II a); d'où, au XIIIe s. (1270, cf. FEW) et sqq, s'abandonner à, « se livrer à »; à partir du XVIe s. (1553, cf. FEW) « s'en remettre à qqn, à sa volonté » ensuite « se confier à »; dep. le XVIIe s. (1636, Monet ds FEW) s'abandonner à la fortune, à un sentiment, etc. (cf. sém. II B). 2. S'abandonner, empl. absolument, connaît certaines accept. partic. : 1160-70 et sqq « se prostituer », désuet de nos jours (peut se construire aussi avec un compl.); XVIIe s. (1636, Monet ds FEW) « se négliger dans son maintien, dans son habillement », encore en usage (cf. ex. 56 à 58); dep. le XVIIe s. aussi (cf. FEW) « se laisser aller à des mouvements naturels », d'où « se détendre »; en outre, au XIXe s., en parlant d'un orateur qui se lance sans ménagement dans l'improvisation, ou à propos d'un enfant qui commence à faire ses premiers pas (cf. LITTRÉ); au XIXe s. s'abandonner « ralentir sa marche (en parlant d'un cheval) » est mentionné ds LITTRÉ comme terme d'équit.
STAT. — Fréq. abs. litt. :7 249. Fréq. rel. litt. :XIXe s. : a) 11 018, b) 9 573; XXe s. : a) 9 584, b) 10 532.
BBG. — Banque 1963. — BAUDR. Chasses 1834. — CHABAT 1875-76. — DUPIN-LAB. 1846. — Gramm. 1789. — JAL 1848. — MARCEL 1938. — REMIG. 1963. — SOÉ-DUP. 1906. — Théol. cath. 1909. — WILL. 1831.
abandonner [abɑ̃dɔne] v. tr.
ÉTYM. 1080; de abandon.
❖
1 a Sans compl. second. Ne plus vouloir de (un bien, un droit). ⇒ Dessaisir (se), renoncer (à). || Abandonner tous ses biens. ⇒ Déposséder (se), dépouiller (se). || Abandonner le pouvoir. ⇒ Abdiquer. || Abandonner une charge, une fonction, un poste. ⇒ Démettre (se), démissionner, désister (se), résigner (ses fonctions).
b Abandonner qqch. à qqn. Laisser (un bien, un droit) à qqn. ⇒ Céder, confier, donner, léguer. || Abandonner sa fortune à qqn.
♦ Par ext. Littér. Laisser, confier. || Abandonner à qqn le soin de faire qqch.
2 Renoncer à (une idée, une conviction, une intention). || Abandonner ses prétentions.
1 Vous abandonnez le principe général (…) vous voudriez entrer en composition.
Pascal, les Provinciales, 4.
1.1 Je n'abandonnai nullement mon goût pour l'idéal; je l'ai plus vif que jamais, je l'aurai toujours.
Renan, Souvenirs d'enfance…, II, 7.
♦ Abandonner à qqn (une idée, une opinion). ⇒ Concéder. || Je vous abandonne ce point. ⇒ Accorder.
3 Quitter, laisser définitivement (qqn dont on doit s'occuper, envers qui on est lié). || Abandonner ses enfants. ⇒ Exposer (anciennt). || Abandonner son conjoint. ⇒ Délaisser, lâcher, tomber (laisser tomber); fam. larguer, plaquer. || Elle vient d'abandonner son mari.
2 Dès qu'il ne voit plus les gens, il les oublie, il les abandonne.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, III, XVI.
3 Un amour trompé, qu'est-ce que cela ? Une femme qu'on abandonne, un serment qu'on trahit, un lien sacré qu'on brise (…)
A. de Musset, Bettine, 18.
4 Cesser de défendre (une cause, une idée). || Abandonner sa foi. ⇒ Abjurer. || Abandonner ses engagements, ses devoirs. ⇒ Lâcher, rejeter, renier. — Abandonner une affaire, un travail, cesser de s'en occuper. ⇒ Finir (en finir avec).
4 Je n'ai jamais abandonné une affaire quand elle a valu la peine d'être achevée, il y a telle chose que j'ai poursuivie quinze ans de ma vie, aussi plein d'ardeur le dernier jour que le premier.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, II, p. 98.
5 Il n'est pas si facile qu'on pense de renoncer à la vertu; elle tourmente longtemps ceux qui l'abandonnent.
Rousseau, cité par Lafaye, Dict. des synonymes, Quitter…
5 Interrompre (une activité). || Abandonner les recherches. ⇒ Cesser. || Abandonner la partie. || Il parle de tout abandonner. ⇒ Lâcher, laisser, plaquer.
♦ Spécialt. Renoncer à poursuivre, à continuer (une action difficile, pénible). || Abandonner le combat, la lutte, la partie. ⇒ Capituler, céder, flancher, incliner (s'), lâcher (pied, prise).
♦ Absolt. || Abandonner : ne plus continuer. → Laisser tomber. — (1858, in Petiot). Interrompre sa participation à une épreuve; renoncer à concourir (en cours d'épreuve). || Boxeur qui abandonne après deux rounds. → Jeter l'éponge.
6 Quitter définitivement (un lieu), cesser d'entretenir et d'occuper. ⇒ Déserter, évacuer, laisser. || Abandonner son logement, sa maison pour s'installer ailleurs. ⇒ Déloger, déménager. || Il a à peu près abandonné sa maison de campagne. || Abandonner les lieux rapidement, en fuyant. ⇒ Déguerpir.
6 La différence entre quitter et abandonner est que l'on quitte de toutes les manières, ce mot en lui-même étant indifférent, au lieu que dans abandonner il y a toujours l'idée d'une sorte de délaissement, de désertion.
Littré, Dict., art. Abandonner.
6.1 Le harcèlement constant des moustiques et des tsé-tsé nous fait abandonner Liranga sans regrets.
Gide, Voyage au Congo, in Souvenirs, Pl., p. 708.
♦ Spécialt. || Abandonner le domicile conjugal. — Abandonner son poste, le laisser vacant.
♦ Figuré :
7 Je n'aime pas regarder en arrière, et j'abandonne au loin mon passé, comme l'oiseau, pour s'envoler, quitte son ombre.
Gide, l'Immoraliste, p. 172.
7 Cesser d'aider, de soutenir (qqn). || Ses complices l'abandonnent. ⇒ Larguer (fam.). || Abandonner qqn dans une situation difficile, alors qu'il a besoin d'aide.
8 On ne peut quand même pas l'abandonner dans cette situation tragique.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, VI, I.
9 Il me fait encore pitié. Je ne peux pas l'abandonner dans l'état de (…) maladie où je le vois aujourd'hui.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, VI, IX.
♦ Abandonner (qqn, soi-même) à (qqn, qqch.) : (le, la; se) laisser au pouvoir de (qqn, qqch.), sans plus intervenir. || Je l'abandonne à la colère de ses ennemis. || Abandonner une ville au pillage.
10 (…) Je ne veux pas qu'on emprisonne ce garçon; je ne veux pas qu'on l'abandonne à la colère et humeur mélancolique d'un furieux maître d'école.
Montaigne, Essais, I, 25.
♦ Abstrait; domaine psychique.
11 Il était de ces êtres (…) qui, lorsqu'une pensée lancinante s'insinue en eux, ne peuvent lui mesurer la place, lui abandonnent leur cœur entier.
Martin du Gard, les Thibault, IV, 9.
12 (…) Je compris qu'elle était détachée même de ses fautes et qu'elle abandonnait le tout à la Miséricorde.
F. Mauriac, la Pharisienne, XVI.
♦ (Sujet inanimé). Faire défaut, venir à manquer. || Ses moyens l'ont abandonné pendant les épreuves.
13 Ses forces subitement l'abandonnèrent.
Flaubert, Mme Bovary, III, VIII.
14 Antoine lut sur les traits dévastés de Rachel qu'elle était à bout de force; et lui aussi, toute fermeté l'abandonnait.
Martin du Gard, les Thibault, III, 13.
8 Cesser d'employer, de considérer comme utile, bon. || Abandonner une hypothèse (⇒ Rejeter), un procédé.
——————
abandonné, ée p. p.
1 Qu'on a abandonné, délaissé (→ aussi ci-dessous, 3.). — Spécialt. || Abandonné par les médecins : considéré comme incurable.
15 Une femme (…) abandonnée de tous les médecins.
Fénelon, Empédocle.
16 Dans cette dernière maladie, vous demeurez sans secours, plus délaissé, plus abandonné que ce pauvre qui meurt sur la paille.
Bossuet, cité par Lafaye, Dict. des synonymes, Abandonner, délaisser.
16.1 (…) pas plus qu'à l'intérieur des groupes, on ne lit ici sur aucune figure, dans aucun mouvement, l'hésitation, la perplexité, le débat intérieur ou le repliement sur soi. Les trois soldats, au contraire, paraissent abandonnés. Ils ne conversent pas entre eux; ils ne s'intéressent à rien de précis : ni affiche, ni verre, ni voisinage. Ils n'ont rien à faire.
A. Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe, p. 28.
♦ Sans maître. || Chien abandonné.
2 a (Lieux). Que ses habitants, ses utilisateurs, ont quitté sans intention de retour. || Un village abandonné. ⇒ Dépeuplé, déserté, inhabité; → À l'abandon. || Maison abandonnée.
17 (…) les grandes cours abandonnées, que l'herbe envahissait déjà.
Alphonse Daudet, le Petit Chose, I, 1.
18 Dans la cour abandonnée des pavots plient
Sous l'eau lourde qui les effeuille et les pourrit.
Francis Jammes, Poèmes, « Souvenirs d'enfance ».
18.1 Force sera de (…) gagner Nola par la rive gauche, car, nous dit-on, l'autre route est abandonnée.
Gide, Voyage au Congo, in Souvenirs, Pl., p. 755.
3 (Du sens 1., ci-dessus). Spécialt. (Dans le contexte amoureux). Que l'on a quitté. || Séduite et abandonnée.
19 Tel lorsque, abandonné d'une infidèle amante,
Pour la première fois j'ai connu la douleur,
Transpercé tout à coup d'une flèche sanglante,
Seul, je me suis assis dans la nuit de mon cœur.
A. de Musset, Lettre à Lamartine.
20 Trois heures cependant ont lentement sonné;
La voix du temps est triste au cœur abandonné;
Ses coups y réveillaient la douleur de l'absence.
A. de Vigny, Poèmes antiques et modernes, « Dolorida ».
4 Vx, langue class. (pour abandonné de Dieu, abandonné aux vices). Moralement perdu, sans règle de vie.
21 Il y a bien peu de femmes assez abandonnées pour porter le crime si loin (violer la foi conjugale). Elles peuvent bien se relâcher des devoirs extérieurs que la pudeur exige; mais, quand il s'agit de faire les derniers pas, la nature se révolte.
Montesquieu, Lettres persanes, XXVI.
5 Qui a de l'abandon (7.). || Position abandonnée.
——————
s'abandonner v. pron.
♦ Se laisser aller à (un état, un sentiment). || S'abandonner au désespoir. ⇒ Livrer (se), succomber. || S'abandonner à la facilité, à ses passions. ⇒ Céder (→ ci-dessous cit. 23, 24, 25, 26, 28 et 31). — S'abandonner à (et l'inf.) : se laisser aller à (et l'inf.). → cit. 30.
♦ Absolt, vieilli. Laisser (un homme) avoir des relations sexuelles avec soi (le sujet désigne une femme). → Accorder les dernières faveurs (→ ci-dessous cit. 29). ⇒ Donner (se). — REM. L'emploi du verbe avec un sujet masculin est rare. — Fig. Se donner (→ cit. 27).
♦ Se détendre, se laisser aller physiquement (→ ci-dessous cit. 33, 36 [p. p.] et 37).
♦ Se livrer en toute confiance. ⇒ Épancher (s'), fier (se), reposer (se reposer sur). → ci-dessous cit. 32, 34 et 35.
♦ Se livrer. → ci-dessous cit. 22.
22 Quand je m'abandonne à mes propres coups, qui pourrait me sauver ?
J.-M. G. Le Clézio, l'Extase matérielle, p. 159.
23 (…) il s'abandonna lâchement au bien-être, mêlé de fatigue, qui peu à peu l'engourdissait.
Martin du Gard, les Thibault, IV, 13.
24 Emma s'abandonnait à cette facilité de satisfaire tous ses caprices.
Flaubert, Mme Bovary, II, XII.
25 Malheur à celui qui, au milieu de la jeunesse, s'abandonne à un amour sans espoir. Malheur à celui qui se livre à une douce rêverie, avant de savoir où sa chimère le mène, et s'il peut être payé de retour.
A. de Musset, les Caprices de Marianne, I, 1.
26 De jour en jour on se fait à sa souffrance, on s'y livre, on s'y abandonne, on s'y dévoue, on l'aime, on aime la mort…
A. de Musset, Carmosine, III, 8.
27 (…) la campagne dort, s'abandonne, se livre au vent du sud, à la pluie orageuse, au soleil, à l'ombre, ne songe à aucune résistance.
F. Mauriac, Souffrances et Bonheur du chrétien, p. 154.
28 Mon âme à tout mon sort s'était abandonnée.
Racine, Andromaque, IV, 5.
29 Défaillante, tout en pleurs, avec un long frémissement et se cachant la figure, elle s'abandonna.
Flaubert, Mme Bovary, II, IX.
30 Le moindre défaut des femmes qui se sont abandonnées à faire l'amour, c'est de faire l'amour.
La Rochefoucauld, Maximes, 131.
31 Ce qui nous empêche de nous abandonner à un seul vice est que nous en avons plusieurs.
La Rochefoucauld, Maximes, 195.
32 Elle prit notre silence pour un acquiescement et céda au plaisir de s'abandonner, de se confier.
F. Mauriac, la Pharisienne, p. 193.
33 L'homme qui marche est miraculeusement allégé par le jeu des muscles. Il se délie; il s'abandonne (…) Il avouera certainement à la faveur de la marche (…) mille secrets délicats dont il ne soufflerait pas mot dans l'ombre et dans le silence.
G. Duhamel, le Temps de la recherche, X, p. 138.
34 Le tout est de savoir s'abandonner à Dieu en pure foi.
Bossuet, Lettre à Mme Cornau, 4.
35 Elle devait à présent joindre ses souffrances à celles de Jésus-Christ, et s'abandonner à la miséricorde divine.
Flaubert, Mme Bovary, III, VIII.
36 Ces visages détendus, abandonnés dans le sommeil.
Alphonse Daudet, les Contes du lundi, « La partie de billard ».
37 Ses muscles se détendirent, ses épaules s'abandonnèrent contre le mur : il dormait.
Martin du Gard, les Thibault, III, 3.
❖
CONTR. Rechercher. — Continuer; achever. — Soigner, soutenir. — Aider, assister. — Garder, maintenir. — Résister. — Méfier (se), observer (s'); attention (faire); garder (se). — Maîtriser (se), observer (s'). — Raidir (se), résister. — Tenir. — (Du p. p.) Recherché; tendu.
DÉR. Abandonnataire, abandonnateur, abandonnement.
Encyclopédie Universelle. 2012.