POSSESSION
Observée dans des contextes culturels très divers, la possession par des entités divines – » esprits », « génies », etc. – est un phénomène social d’une grande fréquence, qui a suscité des interrogations et reçu des interprétations multiples. Une très vaste littérature a tenté de rendre compte de ce « fait social total », qui qualifie aussi bien les cultes dionysiaques grecs (le ménadisme notamment) que certains épisodes qui ont jalonné l’histoire du christianisme européen. Si la possession, dont les multiples manifestations se traduisent par une incertitude lexicale – transe, extase, démonisme, médiumnité, etc. –, a longtemps ressorti au domaine de la psychologie, où elle a été analysée en termes d’états dissociatifs, de perte de la conscience, de déstructuration psychique, etc., la manière dont l’étudie l’anthropologie contemporaine s’articule autour de questions différentes. Rarement équipés pour aborder de tels problèmes dans leurs dimensions physiologiques et psychologiques – quand ils ne sont pas nettement hostiles à l’usage de concepts psychologiques –, les anthropologues qui ont rencontré sur le terrain des phénomènes d’altérations codifiées de la personnalité se sont intéressés à ce qui, dans la possession, dépend à l’évidence d’un contexte culturel et social déterminé: l’appareil rituel et symbolique qui se trouve par là mis en œuvre, la position sociale de l’individu « possédé », les systèmes de causalités repérables et les modifications statutaires individuelles qui en résultent, la place, enfin, de la possession dans l’ensemble de l’organisation sociale du groupe. L’examen de ce dernier point conduit à des questions plus générales: de quelle manière s’opère ou échoue à s’effectuer l’insertion de la possession dans un cadre culturel socialement institutionnalisé? Pour quelles raisons la possession demeure-t-elle un fait « marginal »? Dans quelle mesure la possession de sous-groupes d’individus par des entités extra-humaines intéresse-t-elle, dans le cas d’un culte institué, l’ensemble de la communauté ou seulement le devenir biographique des possédés?
1. Le christianisme et les possédés
La Bible et les Évangiles
On rencontre de nombreux exemples de possession diabolique dans les textes évangéliques. Des expulsions fréquentes de démons sont imputées à Jésus, soit dans les récits d’exorcismes proprement dits, soit dans les récapitulations significatives que l’on appelle « sommaires ». On repère dans ces passages un vocabulaire typique, des verbes comme « menacer » (épitimân ), « se taire » (phimoun ), « adjurer » (orkidzein ), appartenant au langage des pratiques magiques familières au monde hellénistique de l’époque, attestées par des papyri. Le premier de ces termes, « menacer » (épitimân ), renvoie – à travers une longue filière de récits bibliques qui monnaient à leur façon la lutte primordiale entre le Dieu suprême et le monstre marin (Genèse, I; Exode, XIV; Psaume CXIV, etc.) – aux fameux mythes de Babylonie ou de Canaan (à Ougarit, par exemple, Baal « menace » Yam, la Mer mythique, et est vainqueur). Il est à noter que le vocabulaire de la possession et de l’exorcisme se retrouve, dans les récits évangéliques, à propos de maladies personnifiées comme la lèpre (« elle le quitta »), ou encore de la mer déchaînée, calmée (« tais-toi ») comme un possédé. Cet aspect cosmique (ou mythique) de la possession est à mettre en liaison avec la qualité charismatique de la mission de Jésus et de ses Apôtres, dont les discours s’articulaient sur l’annonce du Royaume de Dieu: « Si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, c’est que le Royaume de Dieu est arrivé parmi vous » (Matthieu, XII, 28).
Les récits évangéliques d’exorcismes reflètent la même architecture littéraire que d’autres récits du même genre de la littérature hellénistique, païenne (la Vie d’Apollonius de Tyane par Philostrate) ou juive (Flavius Josèphe, Exorcismes rabbiniques ). Le texte le plus représentatif est Marc, V, 1-20 (exorcisme de Gérasa).
Dans l’Église chrétienne, un ordre des exorcistes apparaîtra assez tôt dans la hiérarchie sacerdotale. Et, de ce fait, les cas de « possession » et les exorcismes ne cessèrent pas tout au long du Moyen Âge. C’est pourtant au XVIIe siècle que les épidémies de possession vont se multiplier, succédant aux épidémies de sorcellerie des siècles précédents.
L’Occident moderne
Qui dit possession ne dit pas sorcellerie. Les deux phénomènes sont distincts dans la société occidentale moderne et se relaient, alors même que bien des traités anciens les associent, voire les confondent. La sorcellerie (les épidémies de sorciers et de sorcières) vient d’abord. Elle s’étend du dernier quart du XVIe siècle (1570, Danemark; 1575-1590, Lorraine; etc.) au premier tiers du XVIIe (1625 en Alsace; 1632 à Wurtzbourg ou 1630 à Bamberg, etc.), avec des prolongements jusqu’en 1663 dans le Massachusetts, jusqu’en 1650 à Neisse (Saxe) ou 1685 à Meiningen (Saxe). Elle sévit en France (Bretagne, Franche-Comté, Lorraine, Alsace, Savoie, Poitou, Béarn, etc.), en Allemagne (Bavière, Prusse, Saxe), en Suisse, en Angleterre, aux Pays-Bas, mais non pas, semble-t-il, en Espagne ou en Italie (sauf dans la région nordique et montagneuse de Côme). Pendant la période que Lucien Febvre considérait comme celle de la grande « révolution psychologique », entre 1590 et 1620, la sorcellerie semble partager deux Europes: le Nord, où elle prolifère, et le Sud, où elle est rare. Dernier trait, mais capital, c’est surtout un phénomène rural. Même si les cours intéressées traitent en ville les grands procès, elles doivent déléguer commissaires et juges dans les campagnes (tels Boguet, de Lancre, Nicolas Remy...).
Une espèce différente du genre suit la sorcellerie, la double pendant un temps et lui succède: la possession . Elle apparaît d’abord en pointillé avec des isolées, telles Nicole Aubry, Jeanne Féry, Marthe Brossier surtout (1599). Elle trouve son modèle avec le procès de Gaufridy à Aix-en-Provence (1609-1611), aussitôt orchestré par le livre qui va circuler partout et définir la nouvelle série: l’Histoire admirable de la possession et conversion d’une pénitente ... par le père Sébastien Michaelis (Paris, 1612). D’autres « possessions » suivront: Loudun surtout (1632-1640), Louviers (1642-1647), Auxonne (1658-1663), etc. Chacune invente selon le schéma initial, draine sa clientèle, diffuse aussi sa propre littérature.
Dans l’Europe moderne, la possession n’est plus rurale mais urbaine. Elle n’a plus les formes sauvages, massives et sanglantes de la sorcellerie primitive; elle se concentre sur quelques vedettes seulement. Elle laisse apparaître les relations et les psychologies personnelles (il s’agit d’individus ou de microgroupes). Le milieu social atteint s’élève et s’homogénéise; les personnages en sont de milieu plus « moyen » et il y a une moindre différence sociale entre juges et accusés, qui désormais s’entendent et circulent dans le même type de discours. De binaire (juges-sorciers), la structure devient ternaire, et c’est le troisième terme, les possédées, qui retient de plus en plus l’attention publique: autrement dit, ce sont les « victimes » et non plus les « coupables ». Quant aux sorciers, ils sont souvent prêtres, médecins ou lettrés, parfois considérés comme « libertins »; ils contreviennent donc d’une manière déjà tout autre à l’image traditionnelle ou populaire du curé, de l’aumônier ou du médecin. Chez ces nouveaux « sorciers », c’est encore un savoir secret qui est tenu pour menaçant et qu’on traite de magie, mais un savoir moderne, créateur d’une autre forme de distance par rapport au groupe.
Passant de la violence contre les magiciens à une curiosité apitoyée envers ses victimes, localisée dans les couvents et non plus dans les landes et les villages perdus, devenue moins vengeresse, moins punitive, mais plus apologétique et prédicante, la diablerie vire d’une « guerre » contre les sorciers à un spectacle qui tient à la fois du cirque et de la mission populaire – même si la « fête » continue d’exiger une mise à mort. La « possession » représente donc une seconde étape par rapport à la sorcellerie. Mais elle débouche elle-même sur les procès, qu’on peut dire politiques, d’empoisonneuses.
Ces deux moments de la diablerie ne forment ainsi qu’un segment dans une évolution plus vaste qui se poursuit. D’un côté, le phénomène « diabolique » va prendre des formes plus culturelles, s’étaler dans la littérature et le folklore, se dissoudre aussi dans l’astrologie populaire et dans les « bergeries », où survivent pourtant bien des thèmes contestataires. De l’autre, il s’amplifie, mais, en se politisant, il se métamorphose; des résistances populaires se traduiront par de nouveaux langages, allant de l’émeute au pamphlet de colportage, sans cesser pour autant de rester marginaux. Chaque fois, l’ordre régnant essaie de nommer ce qui lui échappe. Demeure pourtant l’ambivalence des insatisfactions et des violences qui s’investissent tour à tour dans une expression plus « religieuse » ou plus « politique » et qui ne sont réductibles ni à l’une ni à l’autre: une colère veille au fond de chaque ordre.
2. Les sociétés traditionnelles
« Mediumship », transe, shamanisme et possession
Face à la complexité du phénomène de la possession dans les sociétés traditionnelles, quelques définitions paraissent préalablement nécessaires. Ainsi, la possession par un « esprit » doit être distinguée de la médiation d’un esprit (spirit mediumship ). Dans les deux cas, les membres du groupe considèrent qu’une entité extra-humaine a pénétré ou affecté de quelque manière le corps de l’individu « pris » (la métaphore du « chevauchement » par l’esprit est très fréquente, aussi bien en Afrique que dans les sociétés sibériennes où l’on rencontre des phénomènes de shamanisme). Mais, dans le premier cas de possession, la conduite du possédé, pure manifestation corporelle de l’esprit, ne constitue pas nécessairement un message destiné à d’autres que lui, alors que l’individu médiateur des entités spirituelles aura à communiquer les informations qu’il reçoit. Son comportement est par là même nettement plus contrôlé et, dans ce deuxième type de rapports, certaines formes de divination sont souvent associées. C’est ainsi qu’aux yeux de nombreuses sociétés une personne qui n’est que « possédée » est un simple malade justiciable, comme tel, d’un traitement particulier, tandis qu’un médium est un individu sain occupant un rôle social parfois important (ces deux formes de possession sont souvent confondues et peuvent coexister au sein d’une même société).
Il faut, par ailleurs, distinguer transe et possession. Le premier terme met l’accent sur la « dissociation » de la personnalité, qui s’accompagne de manifestations (telles que l’hypnose et les automatismes) éventuellement favorisées par diverses techniques (musique, jeûne, substances psychotropes, etc.). En tant qu’état culturellement codé, la transe n’est pas nécessairement interprétée en association avec la possession. Ainsi, chez les Samburu du Kenya, les guerriers célibataires tombent électivement en transe dans les situations de tension, sans que le phénomène puisse être expliqué localement par la manifestation d’entités mystiques. Inversement, la possession par un esprit n’entraîne pas forcément de transe: la maladie, par exemple, est fréquemment perçue comme un signe de possession, la transe pouvant survenir seulement au cours du traitement consécutif à ce diagnostic, notamment lors de cérémonies d’exorcisme. La possession déborde donc les phénomènes extatiques. Elle a le sens d’une « évaluation culturelle » par les membres du groupe de la condition du possédé, en tant qu’individu envahi par un ou des agents extra-humains.
Le terme de shamanisme enfin, emprunté aux Toungouses arctiques, doit être réservé aux sociétés sibériennes et arctiques. D’après Mircea Eliade, le shaman est un individu inspiré, en état de transe, dont une « âme » voyage dans l’univers non humain (parfois pour lutter avec les esprits), plutôt qu’un individu « possédé » auquel des agents mystiques se seraient incorporés. Luc de Heusch va jusqu’à envisager la possession et le shamanisme comme deux processus antithétiques: dans le premier cas, les entités mystiques « descendent » en l’homme, tandis que, dans le second, c’est l’homme qui quitte son enveloppe corporelle, en un mouvement ascendant vers elles. Mais la distinction ne peut être aussi tranchée car, au sein des sociétés arctiques, les deux phénomènes se rencontrent simultanément dans la personne même du shaman, « réceptacle », autant que maître, des esprits.
Cultes institutionnalisés
La possession est souvent intégrée dans un cadre institutionnel fixe, et les individus « affligés », considérés comme possédés, sont initiés à des cultes de possession qui fonctionnent à la manière de processus curatifs. Alfred Métraux en a étudié un exemple fameux, le vaudou haïtien, qui procède des cultes vodun fon du Bénin. Ceux-ci, toutefois, diffèrent de leur avatar haïtien ou brésilien (le candomblé, d’origine yoruba) en ce qu’ils comportent un double aspect thérapeutique et cognitif: ils fonctionnent à la fois comme des cures individuelles et comme une communication avec les esprits vodun par une transe contrôlée dans le cadre initiatique. La possession dahoméenne ne revêt un caractère spectaculaire qu’au moment de l’initiation, alors qu’au Brésil et à Haïti les crises se répètent tout au long des cérémonies qui jalonnent la carrière de l’initié (ces différences tiennent sans doute au caractère syncrétique des cultes américains). La crise proprement dite doit, en effet, être distinguée, d’une part, du processus d’initiation ou du processus de guérison qui peut la suivre, d’autre part, des crises de possession qui sont canalisées par le culte et ponctuent l’existence ultérieure de l’initié. À Haïti, le culte du vaudou, qui est presque une religion « nationale », a mêlé les apports africains, antillais et chrétiens dans ce que Michel Leiris a appelé un « théâtre vécu », constitué par des crises de possession où prêtres et fidèles incarnent les esprits loa , chacun avec ses particularités. Enrichi de très nombreux emprunts au christianisme (calendrier, invocations, etc.), le vaudou est la « religion » de la majeure partie de la paysannerie et du prolétariat urbain haïtiens, qui y trouvent une compensation aux inégalités sociales et pour lesquels il a valeur de protestation autant vis-à-vis du pouvoir que des grandes religions constituées (catholicisme, ou islam pour le culte bori haoussa). Les esprits ou « mystères » loa , en effet, « protègent » immédiatement ceux qu’ils possèdent, leur procurant réussite sociale, emploi, etc. Le vaudou confère à ses adeptes à la fois des bénéfices psychiques et des améliorations statutaires, soit de manière provisoire, lorsqu’il fonctionne comme association d’assistance mutuelle, soit à titre permanent, lorsqu’il donne une définition sociale nouvelle à ses membres ou gratifie ceux qui occupent une position élevée dans la hiérarchie cultuelle. Cette approche fonctionnaliste de la possession instituée en tant qu’expression simultanée de l’oppression et des moyens d’inverser celle-ci (ou de la suspendre au moins) ne résout cependant pas le problème de la signification d’une contestation qui est le fait de la quasi-totalité d’une population et qui est encadrée par un appareil cultuel fortement structuré.
Dans son étude du culte des zar en Éthiopie et en Somalie, Michel Leiris a davantage insisté sur les aspects « théâtraux » de la possession. Les zar, esprits responsables de maladies ou de spectaculaires crises de possession, font l’objet d’un culte institué à titre permanent et comportant une initiation. Ils ont pour victimes, le plus souvent, des femmes. Leurs multiples avatars, particularisés et mis en scène par les « possédées », dépendent des conditions socio-historiques qui commandent la disparition ou l’apparition de tel ou tel zar au fil du temps. Les nouvelles initiées apprennent auprès des plus anciennes à exécuter de façon stéréotypée, au cours de crises publiques, la transe caractéristique du zar impliqué. Selon Michel Leiris, plutôt que des possédées au sens classique, les victimes des zar sont des personnes malades ou prises dans des situations conflictuelles. Ceux-ci, réputés agents responsables, permettent d’interpréter le malheur individuel. Sous son aspect codé, la possession se manifeste postérieurement à l’entrée dans l’association cultuelle, une fois que le chef du culte a déterminé quel esprit zar se trouve agir. Comme le vaudou haïtien, le culte des zar est une institution hiérarchisée, divisée en « confréries », dont chacune est regroupée autour d’un ancien possédé devenu « guérisseur ». Celui qu’on rencontre en Somalie présente de nombreuses similitudes avec le culte haïtien (une très grande multiplicité d’esprits, une structure associative hiérarchisée à l’intérieur du panthéon des zar). Principalement féminin, ce culte propre à une société islamisée et dominée politiquement par le sexe masculin est analysé par I. M. Lewis comme l’expression des revendications des femmes.
Une telle interprétation, comparable à celle qu’on donne du vaudou haïtien, revient donc à considérer cette possession institutionnalisée comme le moyen dont disposent des individus pour rééquilibrer sur le plan du sexe ou celui du statut (lesquels ici se recouvrent) une position d’infériorité et pour exprimer des « frustrations »: lors de la crise, les esprits ne demandent-ils pas fréquemment aux maris objets, cadeaux, sécurité domestique, etc.? Néanmoins, ce type d’analyse se révèle, là aussi, insuffisant: on ne peut réduire la possession par les zar à un simple moyen subreptice de compenser des inégalités sociales, ce qui relève d’une vision trop mécaniste des rapports sociaux ou trop agonistique des rapports entre sexes. On se trouve, en fait, en présence d’une institution positive et très structurée, qui met en œuvre une part de l’imaginaire social des groupes concernés. Il n’en reste pas moins que ces cultes, par les fonctions mêmes qu’ils remplissent, intéressent l’organisation sociale du groupe dans son ensemble. Sans en être le pur reflet, ils s’articulent directement à un rapport de forces actuel qui leur est extérieur et leur préexiste. Procurant des bénéfices sociaux et des procédures thérapeutiques, réparant des inégalités et des troubles organiques, ils mettent en scène des entités extra-humaines qui y fournissent à la fois une interprétation de l’infortune ou de la maladie et des moyens de remédier à celles-ci.
Cultes institués centrés sur l’individu
Il est un culte en voie d’institutionnalisation, le bori haoussa du Niger (comparable au culte holey des Songhay étudié par Jean Rouch), qui permet de saisir la double dimension, individuelle et sociale, le caractère ambivalent des cultes de possession. Étudié par J. Monfouga-Broustra, le bori, à la différence du vaudou et des zar, où toute la société se trouve impliquée, ne comporte que des cérémonies intéressant des individus, des femmes surtout, et ayant une finalité essentiellement thérapeutique. Comme dans le vaudou ou dans le culte ndöp des Wolof du Sénégal, les phénomènes de possession du bori se reproduisent publiquement après l’initiation. Lié à un panthéon syncrétique d’entités extra-humaines (« génies ») – unies entre elles par des relations identiques à celles des systèmes de parenté en vigueur chez les vivants –, le bori recrute ses adeptes parmi les femmes qui souffrent de troubles graves de la fécondité. Il est censé procurer principalement des transformations de type « cathartique » et la guérison physiologique et psychologique à l’intéressée qui y adhère de façon irréversible, et qui doit ce renouvellement et cette valorisation de son être au fait qu’elle devient alors support des « génies » et guérisseuse.
De même que dans d’autres cultes centrés sur l’individu, le recrutement débute ici par le mécontentement de l’entité extra-humaine, qui s’estime négligée par telle ou telle femme et lui « envoie » une maladie. L’élue obtient la guérison en devenant définitivement, par les séances de possession, la « jument », le réceptacle de l’entité responsable du mal. (En échange, elle pourra soigner chez d’autres la maladie dont elle fut la victime, chaque syndrome étant particularisé et dépendant d’une entité « titulaire » qui peut et le susciter et le faire disparaître.) La possession, dans le bori, strictement encadrée par le culte, est donc subordonnée au processus de résolution des troubles; elle ne survient que lors des étapes importantes de la vie de l’initiée (au moment du mariage ou des naissances, par exemple). Selon J. Monfouga, c’est une « faute » initiale qui inaugure le processus de morbidité. Mais, comme c’est généralement le cas en Afrique, il s’agit là d’une culpabilité « sociale » exogène, que le culte a pour fonction de transformer en un syndrome de « persécution » externe, mode normal d’interprétation des troubles – moyennant l’intégration de l’adepte dans un statut social plus valorisant.
Le culte des esprits rab propre aux Wolof du Sénégal et le processus thérapeutique qui lui est associé (le ndöp , décrit par A. Zempleni) obéissent aux mêmes principes. Les rab sont réputés responsables d’un syndrome précis, qui affecte surtout les femmes (anorexie, amaigrissement, mutisme, troubles de la fécondité) et qui est inséré dans le système local de représentation par le moyen d’un processus rituel qui comporte la nomination de l’esprit, la mort et la renaissance symbolique de l’initiée, des crises publiques de possession. Par les travaux d’A. Zempleni et ses « études de cas », qui analysent la personnalité des femmes initialement affectées, on voit comment ce culte se fonde à la fois sur la structure lignagère et sociale wolof et sur le vécu individuel que le sujet a de son corps dans son rapport aux signifiants familiaux et ancestraux.
La possession non institutionnalisée
Outre les cultes institués propres à des aires culturelles déterminées, il existe, dans certaines sociétés, des phénomènes de possession qui surviennent en dehors de tout cadre institutionnel, tout en étant culturellement codés. Qu’ils débutent par des transes ou par des syndromes psychiques aigus, ils suivent, du point de vue de la signification sociale, différents modes: le possédé peut ne jamais sortir du simple statut de « soigné » ou accéder, par exemple, à celui de devin. Chez les Mofu du Nord-Cameroun, qui n’ont pas de culte institué, on trouve des femmes-devins et des hommes-devins (forgerons), qui correspondent à deux catégories distinctes de « génies » et à deux formes de possession divinatoire. Les premières, médiums des génies et initiées, entrent en transe lors de la consultation divinatoire, tandis que les seconds sont « en état de possession permanent », mais n’ont pas de transe. Aucune de ces deux catégories ne forme, en tout cas, de collège ou d’institution collective stable. L’apparition récente (dans les années quarante) des génies féminins chez les Mofu semble être un emprunt à une population voisine (il est certain, en effet, que les facteurs historiques interviennent dans la forme et dans l’évolution des cultes de possession). Chez les Téké de la république du Congo, où les femmes sont en situation de forte dépendance, certaines d’entre elles sont « possédées » par un esprit de l’eau, leur symptôme initial étant la maladie, des rêves de richesse, etc. Bientôt suit la crise elle-même. Un traitement individuel est alors entrepris: au prix d’une réclusion de la possédée, sous l’égide d’une « mère » qui est elle-même une ancienne possédée, les troubles disparaissent et l’esprit en cause est maîtrisé. Comme chez les hommes-devins mofu, la « possession » des femmes téké est héréditaire (en ligne matrilinéaire) et doit être rapportée aux relations lignagères et socio-historiques locales: ces femmes, dont l’existence se déroule souvent sous le signe du malheur, trouvent là un moyen individuel de modifier leur vécu somatique et leur statut social. L’accroissement des difficultés économiques et démographiques des Téké semble d’ailleurs entraîner une nette recrudescence des cas de possession.
Il ne semble pas que la possession qu’on rencontre dans les sociétés traditionnelles puisse être analysée comme relevant, par exemple, de l’hystérie. Bien que, en raison de ses aspects individuel et thérapeutique, elle intéresse, de manière privilégiée, aussi bien la psychologie que l’anthropologie, la complexité des faits et la diversité des paramètres qu’elle implique invalident toute tentative de l’expliquer, sur un mode généralisant, par une fonction simple, la valeur de concepts tels que « culpabilité », « résolution de conflits » ou « contestation » ne pouvant être que ponctuelle et parfois équivoque.
possession [ pɔsesjɔ̃ ] n. f.
• 1120; lat. possessio, de possidere → posséder
I ♦ (1190) Fait, action de posséder, d'être possédé.
1 ♦ Faculté d'user d'un bien dont on dispose. « L'usage seulement fait la possession » (La Fontaine). Possession d'une fortune, d'immeubles, de terres. Possession en commun : communauté. S'assurer la possession de : se procurer.
♢ EN (LA, SA...) POSSESSION. — (Sens actif) Être en possession de. ⇒ 1. avoir, détenir, posséder. Entrer en possession de. ⇒ acquérir, prendre. Avoir en sa possession quantité de biens. Gardez-le en votre possession. — (Sens pass.) Être en la possession de qqn. ⇒ appartenir, 1. être (à). Il ne faut pas que ce papier tombe en sa possession. Mettre qqn en possession de sa charge.
♢ Dr. Maîtrise de fait exercée sur une chose corporelle et correspondant, dans l'esprit du possesseur, à l'exercice d'un droit réel. ⇒ jouissance. Possession et usufruit. Vices de la possession : discontinuité; violence, clandestinité. Présomption de propriété fondée sur la possession. « En fait de meubles, la possession vaut titre » ( CODE CIVIL ). Possession véritable et possession à titre précaire. ⇒ détention. Délai de possession fondant la propriété. ⇒ usucapion (cf. Prescription acquisitive). — Envoi en possession : droit à entrer en possession d'un héritage. Possession d'état : exercice des prérogatives attachées à un état donné.
♢ PRENDRE POSSESSION DE (un lieu) :s'installer comme chez soi dans. Prendre possession d'une chambre. — Fig. « Le silence reprit possession de son empire » (Duhamel).
2 ♦ (Abstrait) ⇒ connaissance, maîtrise. La possession des biens véritables, du beau, de la vérité. « La possession de l'autre monde est faite du renoncement à celui-ci » (A. Gide).
3 ♦ (XVIIe) Absolt Jouissance d'un bien, d'un plaisir (opposé à désir, envie, espérance). « La possession flétrit toutes choses » (Proust).
4 ♦ (XVIe ) Le fait de posséder un partenaire amoureux (traditionnellement une femme). « L'amour sensuel ne peut se passer de la possession, et s'éteint par elle » (Rousseau).
5 ♦ Maîtrise de ses facultés, de ses sentiments (pour une personne). « Les couleurs naturelles lui revinrent, il avait complètement repris possession de lui-même » (Gautier). Loc. EN POSSESSION DE... Être en possession de toutes ses facultés, dans un état mental normal. Être en pleine possession de ses moyens, dans sa meilleure forme.
6 ♦ (1694) Relig. Phénomène par lequel un être humain est habité par un être surnaturel, en général maléfique. « Je subis le phénomène que les thaumaturges appelaient la possession » (Sand). — Mod. Psychiatr. Forme de délire dans lequel le malade se croit habité par un être surnaturel, et spécialt un démon, avec sentiment de dédoublement et hallucinations. Possession et transe.
7 ♦ (1732) Gramm. Mode de relation exprimé par les possessifs (ex. mon livre, sa mère), les prépositions à et de (ex. le bureau de mon père; c'est à mon père). ⇒ appartenance.
II ♦ (1120)
1 ♦ Chose possédée par qqn. ⇒ 2. avoir, 2. bien. Une possession, des possessions. — Spécialt Les terres. ⇒ domaine; propriété. Agrandir, étendre ses possessions.
2 ♦ Dépendance coloniale d'un État. ⇒ colonie, établissement, territoire. Nos possessions à l'étranger.
⊗ CONTR. Dépossession, privation.
● possession nom féminin (latin possessio, -onis) Fait de posséder quelque chose : Revendiquer la possession d'un bien. Territoire possédé par un État : Cette île est une possession française. Littéraire. Accomplissement de l'acte sexuel sur une femme. Exercice, en fait, des prérogatives attachées à un droit réel. Phénomène diabolique qui fait d'un sujet l'instrument du démon. (Chez les catholiques et les luthériens, on combat la possession par l'exorcisme.) ● possession (citations) nom féminin (latin possessio, -onis) Sidonie Gabrielle Colette Saint-Sauveur-en-Puisaye, Yonne, 1873-Paris 1954 Une chose qu'on connaît bien pour l'avoir possédée, on n'en est jamais tout à fait privé. Le Pur et l'impur Calmann-Lévy André Gide Paris 1869-Paris 1951 Il n'a plus rien : tout est à lui ! Les Faux-Monnayeurs Gallimard André Gide Paris 1869-Paris 1951 Je te le dis en vérité, Nathanaël, chaque désir m'a plus enrichi que la possession toujours fausse de l'objet même de mon désir. Les Nourritures terrestres Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Le désir fleurit, la possession flétrit toutes choses. Les Plaisirs et les Jours Gallimard Ésope VIIe-VIe s. avant J.-C. La possession n'est rien si la jouissance ne s'y joint. Fables, 344, l'Avare ● possession (expressions) nom féminin (latin possessio, -onis) Délire de possession, délire à base hallucinatoire dans lequel le sujet ressent son corps occupé, violé, aimé ou torturé par une autre personne, un animal ou un démon. (Il se rencontre dans de nombreuses psychoses.) Être en possession de quelque chose, l'avoir, pouvoir en disposer. Être en possession de tous ses moyens, être sain d'esprit, dans son état normal. Possession de soi, maîtrise de soi. Prendre possession de quelque chose, en devenir possesseur. Rentrer en possession de quelque chose, le recouvrer. Possession utile, possession exempte des vices de clandestinité, violence, équivoque ou discontinuité. ● possession (synonymes) nom féminin (latin possessio, -onis) Fait de posséder quelque chose
Synonymes :
- détention
- propriété
- usage
Territoire possédé par un État
Synonymes :
- colonie
- établissement
Possession de soi
Synonymes :
- contrôle
- empire
possession
n. f.
rI./r
d1./d Fait de détenir (qqch); faculté de disposer, de jouir (de qqch). Possession d'un bien, d'une charge.
|| DR Jouissance de fait d'un bien corporel non fondée sur un titre de propriété. La possession n'est pas la propriété. En fait de meubles, possession vaut titre.
|| (Sens abstrait.) être en possession de tous ses moyens, de toutes ses facultés, les maîtriser.
d2./d RELIG état d'une personne possédée par une puissance diabolique.
d3./d PSYCHIAT Délire de possession: trouble hallucinatoire qui donne au sujet la sensation d'être habité par une autre personne, un animal, un démon.
rII./r
d1./d Chose possédée.
|| Spécial. Domaine, terres.
d2./d Territoire colonial.
⇒POSSESSION, subst. fém.
I. —Fait de posséder.
A. —Fait de posséder quelque chose.
1. Fait d'avoir à soi, de disposer en maître de (quelque chose) et pouvoir en tirer profit et jouissance. Synon. détention. J'adorai ce meuble. J'ouvrais à chaque instant ses portes, ses tiroirs; je le maniais avec ravissement, goûtant toutes les joies intimes de la possession (MAUPASS., Contes et nouv., t.2, Chevel., 1884, p.938). J'ai doté ma fille aînée, doté mon fils aîné, j'ai constitué mon apport personnel en terre, estimant que rien ne stabilise comme la possession d'un bien au soleil (PESQUIDOUX, Livre raison, 1925, p.135). La possession d'un cheval témoignait d'une promotion sociale, comme celle d'une automobile aujourd'hui (P. ROUSSEAU, Hist. transp., 1961, p.164).
— Loc. verb.
♦Être en possession de + subst. Synon. posséder, détenir. Il était en possession d'une petite fortune (DRIEU LA ROCH., Rêv. bourg., 1937, p.34).
♦Avoir (quelque chose) en sa possession. Synon. détenir. Il essaya alors de se souvenir de ce qui s'était passé tandis qu'il avait eu en sa possession les clefs de la caisse, et chercha à sonder cet horrible mystère (PONSON DU TERR., Rocambole, t.1, 1859, p.273).
♦Prendre possession de + subst. Devenir le possesseur, le propriétaire de. Mon père était mort, et m'avait laissé cette petite maison avec les terres qui l'entourent; j'en pris possession (DUMAS père, Jones, 1838, II, 3, p.150).
♦Entrer, rentrer en possession de + subst. Devenir le possesseur, le propriétaire de. Synon. recouvrer. Il avait exprimé, en cinq lignes, son refus catégorique et à peine motivé d'entrer en possession de sa part d'héritage (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p.116). Il implorait qu'un jour ou l'autre, seulement, et quand Thomas l'en jugerait digne, il rentrât en possession de son or (QUEFFÉLEC, Recteur, 1944, p.40).
♦Mettre (quelqu'un) en possession de + subst. Rendre possesseur, propriétaire de. La mort de son père l'avait mise en possession d'une fortune considérable (STENDHAL, Abbesse Castro, 1839, p.215).
♦[Avec un sens passif]. Être en la possession de (quelqu'un). Être possédé, détenu par (quelqu'un). Ce manuscrit est, aujourd'hui, en la possession de Cécile (DUHAMEL, Terre promise, 1934, p.99).
a) DR. CIVIL
) Fait de se comporter vis à vis d'un bien comme si on en était propriétaire. La possession est la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l'exerce en notre nom (Code civil, 1804, art. 2228, p.408).
♦En fait de meubles, possession vaut titre. ,,Présomption de propriété, établie en faveur du possesseur, laquelle n'admet aucune preuve contraire, si ce possesseur a acquis la chose de bonne foi d'un non-propriétaire, pourvu que celui-ci ne se la soit pas procurée par suite d'une perte ou d'un vol`` (RÉAU-ROND. 1951). Quatre-vingt-mille francs comptant, et vous me laisserez les diamants, ajouta-t-il (...). En fait de meubles, la possession vaut titre (BALZAC, Gobseck, 1830, p.414).
♦Envoi en possession. ,,Acte judiciaire par lequel les ayants droit sont mis en possession de ce qui leur est dévolu`` (Ac. 1935).
) Possession d'état. ,,Apparence d'un état donné (dans le droit de la famille)`` (Jur. 1971). Il ne lui manque que l'investiture et la possession d'état; mais voilà, il ne les aura jamais, et il le sent (ARNOUX, Crimes innoc., 1952, p.148).
♦Possession d'état (d'enfant légitime). Fait, pour un enfant, d'être élevé et traité par des gens mariés comme leur enfant légitime, de porter le nom du mari et de passer aux yeux du public pour l'enfant des époux (d'apr. LEMEUNIER 1969):
• 1. ... la légitimité des enfans ne peut être contestée sous le seul prétexte du défaut de représentation de l'acte de célébration, toutes les fois que cette légitimité est prouvée par une possession d'état qui n'est point contredite par l'acte de naissance.
Code civil, 1804, art. 197, p.38.
b) [Le compl. du nom désigne un pouvoir, un droit] Fait de posséder, de jouir de. Synon. jouissance. Si les libres enfants de l'Amérique n'obtenaient pas de leurs magistrats protection et justice, ils rentreraient dans la possession de leurs droits naturels (TAINE, Notes Paris, 1867, p.102):
• 2. ... il y a un autre devoir qui est imposé à une opinion qui est devenue gouvernement; ce devoir est celui-ci: c'est de ne pas abuser des moyens que la possession du pouvoir met entre ses mains...
THIERS, 1864 ds Doc. hist. contemp., p.28.
— Loc. verb.
♦Être en possession de + subst. Posséder, détenir. Souvenez-vous de ne laisser jamais personne plus d'un an, en possession de la charge d'avoyer (MICHELET, Chemins Europe, 1874, p.400). Tout citoyen de l'un ou l'autre sexe, majeur, en possession de ses droits civils et politiques peut donc être élu (VEDEL, Dr. constit., 1949, p.427).
♦Prendre possession de + subst. Devenir le possesseur de, être investi de. Le nouveau roi prenait possession de sa charge (FUSTEL DE COUL., Cité antique, 1864, p.222).
♦Entrer, rentrer en possession de + subst. Devenir le possesseur de, être investi de:
• 3. Que les évêques le sachent cependant, nulle loi n'empêche qu'ils ne s'assemblent selon les ordonnances des canons; il suffit qu'ils le veuillent pour rentrer en possession de ce droit...
LAMENNAIS, Religion, 1826, p.13.
♦Mettre qqn en possession de + subst. Rendre possesseur de, investir de. On s'acheminait ainsi vers un état de choses où le peuple serait remis en possession de ses droits (DE GAULLE, Mém. guerre, 1959, p.106).
♦Être en possession de + inf. Être en droit, en état de. À Brest, quatre ou cinq familles sont en possession, par la faveur des ministres, d'occuper des places de municipalité et de judicature (Le Moniteur, t.2, 1789, p.222). Le théâtre de Carinthie avait alors pour directeur Bernardone Curtz, célèbre Arlequin, en possession de charmer le public par ses calembours (STENDHAL, Haydn, Mozart et Métastase, 1817, p.39).
2. P. méton., le plus souvent au plur.
a) La chose possédée. Synon. avoir, biens, terres. Je vis apposer les scellés chez moi; j'appris qu'ils avoient été mis sur mon hôtel à Paris et sur les autres possessions de mon époux (FIÉVÉE, Dot Suzette, 1798, p.79). Dans une société organisée, et par conséquent solidaire, il se peut que les uns possèdent, travaillent et consomment, tandis que les autres n'auraient ni possession, ni travail, ni pain (PROUDHON, Syst. contrad. écon., t.2, 1846, p.54):
• 4. L'unique héritière de Niéser était une fille dont l'innocence et la beauté auraient pu (...) paraître une dot suffisante, sans la perspective attrayante des possessions de son père.
NERVAL, Nouv. et fantais., 1855, p.3.
b) En partic. [Le plus souvent suivi d'un adj. indiquant le pays d'appartenance] Dépendance coloniale d'un état. Le grand-père de mon amie lui remit un atlas scolaire dans lequel l'Angleterre et toutes les possessions britanniques dans le monde avaient été effacées (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p.379). La France combattante étendait son autorité à tout l'ensemble des possessions françaises dans l'Océan Indien (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p.54).
3. En partic. [Dans un cont. milit.] Fait de posséder, de disposer d'un territoire reconnu pour ses qualités stratégiques. La possession incontestée du front Damvillers (...) était nécessaire pour permettre la sécurité de nos débarquements (JOFFRE, Mém., t.1, 1931, p.177):
• 5. La capitale du Wurtemberg sera, en effet, pour nos troupes la porte ouverte vers le Danube, la Bavière, l'Autriche. Sa possession nous assurera, en outre, un gage important pour soutenir nos desseins quant à la zone d'occupation française.
DE GAULLE, Mém. guerre, 1959, p.168.
— Loc. verb. Prendre possession de (+ subst. désignant une position stratégique). S'emparer de, occuper. Les Anglais prenaient possession de la ville. On voyait un peu partout des troupes d'Allemands qui s'étaient cachés et qui se rendaient au passage des soldats (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p.412).
♦P. ext. [Le compl. désigne un lieu]
[Le suj. désigne une pers.] S'installer dans, sur. Les bouquinistes ne tardèrent pas à reprendre possession des quais (A. FRANCE, P. Nozière, 1899, p.84). J'avais imaginé que rentrant chez lui ce jour-là, le garçon y trouvait la jeune femme reprenant possession de son ancienne chambre (GREEN, Journal, 1949, p.276).
[Le suj. désigne un animal, un végétal ou un élément naturel] Envahir. Ainsi tout torrent laissé à lui-même arrive-t-il (...) à une sorte d'équilibre, qui permet à la végétation de prendre possession de ses rives (LAPPARENT, Abr. géol., 1886, p.24). Dès octobre, les pluies et les brouillards prennent possession de la contrée (VIDAL DE LA BL., Tabl. géogr. Fr., 1908, p.280). Mites, mouches, souris, poussière, ont pris possession des couloirs (MARTIN DU G., Vieille Fr., 1933, p.1047).
Au fig. Envahir. À mesure qu'ils s'éloignaient de la fanfare et des détonations, le silence reprenait possession de la ville (CAMUS, Exil et Roy., 1957, p.1679).
— Loc. nom. Prise de possession. Fait de s'emparer, d'occuper (une position stratégique). Ce projet a pour point de départ la prise de possession de Djibouti par les Forces Françaises Libres (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p.339).
4. GRAMM. Mode de relation exprimé par différents procédés: complément de nom, adjectifs et pronoms possessifs, pronom en, article en relation ou non avec le, lui, se (d'apr. J. PINCHON, Morphosyntaxe du fr., Paris, Hachette, 1986, p.105):
• 6. Un complément du nom indique la possession [it. ds le texte] quand il peut être le sujet d'une phrase sous-jacente avec le verbe avoir; celui-ci a pour objet le nom qui devient complément dans la phrase réalisée. Dans «le chapeau de Pierre, Pierre indique la possession [it. ds le texte]».
Ling. 1972.
B. —Fait de posséder quelqu'un.
1. [La pers. possédée est assimilée à un bien matériel] Fait d'avoir à soi, de disposer en maître de (quelqu'un) et pouvoir en tirer profit et jouissance. Ma mère était à moi, personne ne m'en contestait la tranquille possession (...) on m'épargna ce dur apprentissage, la jalousie (SARTRE, Mots, 1964, p.17).
— Loc. verb.
♦Avoir (qqn) en sa possession. Avoir quelqu'un avec soi, profiter et jouir de la compagnie de. Je serais aussi bien contente de voir cette enfant, de la tenir sur mes genoux, de la caresser, de l'embrasser, de l'avoir en ma possession pour quelques jours (E. DE GUÉRIN, Journal, 1835, p.64).
♦[Avec un sens passif] Être en la possession de (qqn). Appartenir à (quelqu'un); être sous sa domination. Seulement, qu'il ne me parle plus de lui devoir mes moyens d'existence. Cela, c'est fini, je ne veux plus retomber en sa possession, je veux m'appartenir (SAND, M. Sylvestre, 1866, p.4).
— En partic. [La pers. possédée est une maîtresse, un amant] Je passais dans le cabinet d'études, en L, et je volais un volume. Je ne saurais exprimer la passion avec laquelle je lisais ces livres (...). Je devins fou absolument, la possession d'une maîtresse réelle, alors l'objet de tous mes voeux, ne m'eût pas plongé dans un tel torrent de volupté (STENDHAL, H. Brulard, t.1, 1836, p.197).
♦Loc. verb.
Être en possession de (qqn). Posséder, avoir pour soi. Plus tard après déjà des aventures, me voici employé boulevard Voltaire, 137, et en possession d'une jeune femme (JACOB, Cornet dés, Petit hist., 1943, p.10).
Prendre possession de (qqn). Se l'approprier. La famille était là qui s'extrayait du fourgon-limousine Borniol, la veuve de mon ami venue reprendre possession de son mari, plus encombrante et déplaçant plus d'air que jamais (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p.52).
[Avec un sens passif] Être en la possession de (qqn). Être sous la coupe de (quelqu'un), lui appartenir. Elle aimait s'éveiller la première, surprendre son amant endormi, examiner, tout à loisir, le front sans rides, et la bouche assoupie (...) c'est à ces moments-là seulement qu'elle le sentait en sa possession (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p.584).
2. [En parlant d'un homme] Possession d'une femme. Fait d'avoir avec elle des rapports charnels. Elle était de celles dont on ne supporte pas l'idée de rester l'ami et dont la possession devient un désir furieux (FEUILLET, Veuve, 1884, p.168). Il se promit, dans son héroïque frivolité, de terminer dignement sa vie heureuse par la possession de cette jeune femme qu'il appréciait (...). Il déploya pour la prendre les roueries les plus savantes (A. FRANCE, Lys rouge, 1894, p.27).
— [Sans compl. du nom] Satisfaction des désirs sexuels. L'ange désirait cette femme autant que jamais, mais son désir avait perdu par la possession le venin de la curiosité (A. FRANCE, Révolte anges, 1914, p.360). Le sentiment de l'amour, que la possession exténue, la perte et la privation le développent. Posséder, c'est n'y plus penser; mais perdre, c'est posséder indéfiniment en esprit (VALÉRY, Variété [I], 1924, p.84).
3. [Le compl. du nom désigne Dieu] Fait de posséder, de pouvoir jouir de la présence divine en soi. Il n'y a qu'une seule de ces joies qui ne trompe pas, c'est la vue ou la possession de Dieu au dedans de nous-mêmes (MAINE DE BIRAN, Journal, 1820, p.269).
C. —Au fig.
1. [Le compl. du nom désigne une notion abstr.] Fait de posséder, de pouvoir jouir de. Synon. jouissance. C'est alors à la dernière seconde que la possession du bonheur nous est enlevée, ou plutôt c'est cette possession même que par une ruse diabolique la nature charge de détruire le bonheur (PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p.624). Il y a des lois immuables qui gouvernent la possession de la gloire, comme la rencontre de l'amour, comme l'acquisition du bien-être (BARRÈS, Cahiers, t.13, 1921, p.101).
— Loc. verb.
♦Être en possession de. Posséder, jouir de. Au milieu des accidents et des catastrophes de la vie commune, on est en possession de certaines joies intimes et pures qui sont bien l'idéal de celui qui les savoure (SAND, Hist. vie, t.4, 1855, p.268).
♦Prendre possession de. Pouvoir jouir, tirer profit de. Les poilus placés tout d'un coup dans l'enchantement d'une ville (...) jouissent de mieux en mieux du beau décor net et invraisemblablement propre. Ils reprennent possession de la vie calme et paisible, de l'idée du confort et même du bonheur pour qui les maisons, en somme, ont été faites (BARBUSSE, Feu, 1916, p.324).
♦Mettre (qqn) en possession de. Pouvoir le faire jouir de. Otto, tout en considérant cette roue d'or immobile, se livrait à une rêverie si vive et si impatiente, qu'elle semblait le mettre par avance, en possession du bonheur auquel il songeait (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p.221).
2. [Le compl. du nom désigne un sentiment qu'une pers. peut ressentir à l'égard d'une autre pers.] Fait de posséder, de pouvoir bénéficier de. Possession de l'amour, de l'estime de qqn:
• 7. ... telle est la comtesse; tout conspire chez elle à interdire tout espoir à votre amour (...) pouvez-vous vous dissimuler que votre espoir ne se borne pas à vous présager la seule possession de son coeur.
SÉNAC DE MEILHAN, Émigré, 1797, p.1804.
— Loc. verb. Être en possession de. Posséder, jouir de. J'apprécie (...) autant que je le dois (...) toute la distance qui me sépare des écrivains en possession de l'admiration publique (STENDHAL, Racine et Shakspeare, t.1, 1825, p.78). Quand mademoiselle Marie voulut bien paraître dans le salon de famille (...) elle y trouva M. de Réas déjà acclimaté, et en possession manifeste des bonnes grâces de madame Fitz-Gerald (FEUILLET, Mariage monde, 1875, p.40).
3. [Le compl. du nom désigne une qualité mor.] Fait de posséder, d'être pourvu de. M. Gagnon avait une sorte d'aversion pour son fils, Romain Gagnon, mon oncle, jeune homme brillant et parfaitement aimable. C'est la possession de cette qualité qui brouillait, ce me semble, le père et le fils (STENDHAL, H. Brulard, t.1, 1836, p.80).
— Loc. verb. Être en possession de. Être pourvu de, détenir. Les consolations et les maximes de la philosophie stoïcienne peuvent être bonnes pour les forts, pour ceux qui sont en possession des grandes qualités de l'âme et du caractère (MAINE DE BIRAN, Journal, 1819, p.242). Si je n'étais pas en possession de la vertu, du moins j'étais et je suis encore, j'espère, dans le chemin qui y mène (SAND, Hist. vie, t.4, 1855, p.481).
4. [Le compl. du nom désigne une matière que l'on a dû apprendre] Fait de posséder, d'avoir une bonne connaissance de. Synon. maîtrise. Possession d'une science, d'une langue. Bien que la rédaction d'un catalogue de manuscrits exige du bibliothécaire la possession de plusieurs sciences, elle n'en demeure pas moins un art (Civilis. écr., 1939, p.52-7). Il n'était plus question pour une petite Française d'aller apprendre l'allemand en Allemagne, et (...) pourtant la possession de cette langue gardait un intérêt, tant de scolarité que de culture (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1939, p.52).
II. —Fait d'être possédé.
A. —THÉOL. CATH. État d'une personne qui se sent habitée et dirigée par un être surnaturel et maléfique. Synon. envoûtement. Je subis le phénomène que les thaumaturges appelaient la possession. Deux esprits se sont emparés de moi (SAND, Elle et lui, 1859, p.278). Tous les jours (...) les mêmes profils d'animaux se dégagent lentement des faces entrevues (...). C'est une possession, que veux-tu? (LORRAIN, Sens. et souv., 1895, p.168).
— Loc. verb. Prendre possession de. S'emparer de. Le diable, qui avait de moi pris possession, est assez fort et assez subtil pour tromper mes sens, égarer mon jugement, mêler le vrai au faux (BERNANOS, Soleil Satan, 1926, p.269).
B. —PSYCHOPATHOL. (Délire de) possession. ,,Forme de délire au cours duquel le malade se croit habité par un être surnaturel (démon surtout: démonopathie), qui parle par sa bouche, mobilise sa langue malgré lui, dirige ses mouvements. Cet état est conditionné par un sentiment de dédoublement de la personnalité`` (POROT 1975). Il en est de même des délires de possession corporelle par des animaux (ou zoopathie), dont les plus célèbres sont les lycanthropies ou le sujet se croit transformé en loup garou (LAPLANTINE 1974, p.154).
III. —Fait de se posséder.
— Possession de soi. Fait d'avoir la maîtrise, le contrôle de soi. Synon. calme, domination. Il parlait posément (...) achevant ses phrases avec (...) calme (...). L'extraordinaire possession de soi dont il faisait preuve achevait de m'exaspérer (GIDE, Symph. pastor., 1919, p.902).
♦Loc. verb.
Reprendre possession de soi. Recouvrer la possibilité d'être soi-même. En dehors des contraintes indispensables de la guerre, chaque Français, chaque Française, a repris possession de soi-même, recouvré la possibilité de penser, de parler (DE GAULLE, Mém. guerre, 1959, p.420).
Se sentir, être en (pleine) possession de soi, de ses moyens, de ses facultés. Se sentir, être maître de soi; jouir de toutes ses capacités intellectuelles. Je commence l'année en pleine possession de moi (GIDE, Journal, 1928, p.868). Malgré ses quatre-vingts ans sonnés, il était encore d'une merveilleuse activité, en pleine possession de ses facultés (FOCH, Mém., t.1, 1929, p.252).
Prononc. et Orth.:[], [-se-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Mil. XIIes. possessïun «ce qu'on possède, propriété» (Psautier Cambridge, 2, 8 ds T.-L.); b) 1549 (EST.: L'art de musique est devenue en la possession de peu de gens); 2. a) fin XIIIes. «folie» (La Desputoison du uin et de l'iaue ds JUBINAL, Nouv. rec., t.1, p.306), attest. isolée; b) 1679 «emprise d'une personne sur les sentiments d'une autre» (SÉVIGNÉ, Lettres, éd. M. Monmerqué, t.6, p.20); c) 1694 «état d'une personne possédée par le démon» (Ac.); d) 1903 pathol. (Nouv. Lar. ill.). Empr. au lat. possessio «fait d'être en possession, jouissance, propriété; prise de possession» et p.ext., au plan spirituel en lat. chrét., «fait d'être possédé par le démon». Fréq. abs. littér.:3092. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 4599, b) 3834; XXes.: a) 3830, b) 4866.
DÉR. 1. Possessionné, -ée, adj., vx. Qui a des possessions, des terres (dans un pays). Derrière nous tout le cercle des puys avec le long plateau noble de Gergovie que l'on voit superbement. Pays riche, végétation luxuriante de châtaigniers, mûriers, noyers. Les bourgeois de Clermont étaient «possessionnés» ici (BARRÈS, Cahiers, t.7, 1908, p.46). Hist. ,,Vassaux des anciens empereurs allemands dont la paix de Westphalie (1648) réunit les domaines alsaciens à la France, et qui jouirent dans ce pays de certains droits d'autonomie que la révolution refusa de reconnaître`` (QUILLET 1965). Lorsque l'Assemblée Nationale législative ayant sommé les électeurs de Trèves et de Mayence de dissiper chez eux les rassemblements d'émigrés, ces électeurs s'y refusèrent et demandèrent le rétablissement des princes allemands possessionnés en Alsace (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t.1, 1870, p.448). — [], [-se-]. — 1res attest. XVes. «qui a des possessions (dans un pays)» (Généalogie de la maison de Waziers Wavrin, ms. Tournai 221 ds GDF. Compl.), attest. isolée, à nouv. au XVIIIes. (1776 VOLTAIRE, Lett. Dupont ds LITTRÉ), rare; de possession, suff. -é, cf. lat. médiév. possessionatus adj. ou subst. (1345 ds LATHAM). 2. Possessionnel, -elle, adj., dr. Qui marque la possession. Acte possessionnel. (Dict. XIXe et XXes.). — [], [-se-]. — 1re attest. 1836 (Ac. Suppl.); de possession, suff. -el.
BBG. —QUEM. DDL t.15.
possession [pɔsesjɔ̃] n. f.
ÉTYM. XIIe; lat. possessio, dér. de possidere. → Posséder.
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1 Faculté d'user, de jouir (d'un bien dont on dispose). ⇒ Posséder (1.); appartenance, 2. avoir (3.), détention, propriété; et aussi disposition, jouissance, usage. || La possession d'un bien, d'une chose par qqn. || « L'usage seulement fit la possession » (→ Avare, cit. 13). || Les objets dont la possession nous flatte (→ Maudire, cit. 12; et aussi patrimoine, cit. 1). || Perte ou possession de pièces d'or (→ Jeu, cit. 36). || Le désir (cit. 3) et la possession d'une chose. || Possession d'une fortune, d'immeubles, de terres (⇒ Domaine). || Possession exclusive, jalouse. || Possession en commun (⇒ Collectivité). — S'assurer la possession de… : se procurer.
0.1 (…) la seule possession qui soit impossible (les choses n'étant possédables que par l'esprit), la possession matérielle.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 482.
♦ ☑ Loc. En (la, sa…) possession (Sens actif). || Être en possession de… ⇒ Avoir, détenir, posséder; maître (être maître de…). || Entrer en possession. ⇒ Acquérir, prendre. || Rentrer en possession. ⇒ Recouvrer, récupérer, ressaisir. || Mettre en possession de… ⇒ Nantir. || Avoir en sa possession quantité de biens. ⇒ Regorger. || Garder en sa possession. ⇒ Devers (par devers soi), main (entre ses mains). — (Sens passif). || Être en la possession de qqn. ⇒ Appartenir, être (à).
♦ Dr. « État de fait, qui consiste à détenir une chose d'une façon exclusive et à accomplir sur elle les mêmes actes matériels d'usage et de jouissance que si on en était propriétaire » (Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. I, p. 773). ⇒ Propriété; jouissance (2.). || Possession et usufruit. || Élément intentionnel de la possession. ⇒ Animus. || Vices de la possession (discontinuité; vice de violence, de clandestinité, d'équivoque…). || Présomption de propriété fondée sur la possession. — Possession de bonne foi (en vertu d'un titre translatif de propriété dont le possesseur ignore les vices). || Protection de la possession immobilière. ⇒ Possessoire. || Possession paisible et utile (→ Garantie, cit. 1; garantir, cit. 3). || Possession véritable et possession à titre précaire (⇒ Détention). || Appropriation (cit. 3) et possession. || Prise de possession. ⇒ Occupation; occupant. || Transfert de possession (par suite d'une obligation, etc.). || Délai de possession fondant la propriété. ⇒ Prescription (acquisitive), usucapion. || Objets mobiliers dont le propriétaire a perdu la possession (→ Épave, cit. 4). — Par ext. || Possession d'un droit, d'une créance. || Possession d'État. ⇒ État (II., 3.).
1 La possession est la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui le tient ou qui l'exerce en notre nom.
Code civil, art. 2228.
2 En fait de meubles, la possession vaut titre. Néanmoins celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose, peut la revendiquer pendant trois ans (…)
Code civil, art. 2279.
3 Les jurisconsultes romains n'ont d'abord connu et compris la possession que dans son application la plus parfaite : le cas où une personne détient une chose, d'une manière actuelle et exclusive, et peut s'en servir, et au besoin la détruire et la consommer (…) Mais avec le temps on admit, à côté de cette possession des choses corporelles, ou possessio rei, un autre genre de possession qui consistait à exercer en fait, sur une chose, un simple droit de servitude. Ce fut ce qu'on appela la possessio juris ou quasi-possessio (…) dans notre droit moderne, la notion de possession est même sortie du domaine des droits réels (…)
M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. I, p. 773.
♦ Envoi en possession : droit à entrer en possession d'un héritage, pour les successeurs irréguliers (correspondant à la saisine des successeurs légitimes), ou pour les héritiers présomptifs d'un absent. ⇒ Succession. || Envoi en possession provisoire, définitif. || Envoyer en possession (→ Homologuer, cit. 2).
4 Pour le seigneur, la possession valait titre (…)
Jaurès, Hist. socialiste…, t. III, p. 17.
♦ Par ext. (Surtout dans des expressions verbales). || Possession d'une terre, d'un territoire (par un peuple, une armée…). → 2. Germain, cit.; occupation, cit. 6. || Prendre possession d'une position stratégique, d'un territoire… ⇒ Conquérir, conquête, emparer (s'), occuper. || Pays qui tombe en la possession d'un conquérant, d'un envahisseur.
♦ ☑ Prendre possession de… (un lieu) : s'y installer comme chez soi. || Prendre possession d'une chambre. || Animaux qui prennent possession de leur habitat (→ Isard, cit.; logette, cit. 2). — Figuré :
5 Le silence reprit possession de son empire. Un vrai silence provincial que perçait, de loin venu, le cri d'une locomotive en transes.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, III, I.
♦ (XVIe). || Possession d'un titre, d'une fonction… || Mettre qqn en possession de sa charge. ⇒ Installation, installer, investir. — Par ext. (Vx). Privilège, droit. || En possession de… suivi de l'infinitif : en droit ou en mesure de…, capable de… (→ Fonder, cit. 27, La Bruyère).
2 (Abstractions). Le fait de posséder (2.) par l'esprit. || La possession des biens véritables (→ Assurer, cit. 7), du beau (→ Aisance, cit. 1), du « certain », de la vérité (→ Étonner, cit. 14). || Possession jalouse du bonheur (→ Famille, cit. 25). — L'humour (cit. 5) est la possession de l'objet par l'esprit. — Prendre possession d'une chose par l'imagination (→ Magique, cit. 5).
6 La possession de l'autre monde est faite du renoncement à celui-ci.
Gide, Journal, Feuillets (1928).
3 (XVIIe). Absolt. Jouissance d'un bien, d'un plaisir, opposé à désir, cit. 7; à espérance, cit. 5; à envie (→ Crainte, cit. 4). || La possession flétrit (cit. 10) toute chose.
4 (XVIe, Montaigne). Le fait de posséder (4.) l'amour, l'affection, le cœur de qqn (→ Assurer, cit. 82).
7 (…) j'excuse en elle un pareil mouvement; votre cœur doit lui être précieux, et, il n'est pas étrange que la possession d'un homme comme vous puisse inspirer quelques alarmes. — La possession de mon cœur est une chose qui vous est toute acquise.
Molière, le Bourgeois gentilhomme, V, 3.
♦ Le fait de posséder (4., b. ou c.) un partenaire amoureux (traditionnellement, une femme) → Abstraire, cit. 2; fureur, cit. 8; goût, cit. 39.
8 Celui qui disait : Je possède Laïs sans qu'elle me possède, disait un mot sans esprit. La possession qui n'est pas réciproque n'est rien : c'est tout au plus la possession du sexe, mais non pas de l'individu.
Rousseau, Émile, IV.
9 Elle a toujours cru que rien n'attachait tant un homme à une femme que la possession, et quoiqu'elle n'aimât ses amis que d'amitié, c'était d'une amitié si tendre, qu'elle employait tous les moyens qui dépendaient d'elle pour se les attacher plus fortement.
Rousseau, les Confessions, V.
10 Depuis six semaines, Marius, peu à peu, lentement, par degrés, prenait chaque jour possession de Cosette. Possession toute idéale, mais profonde.
Hugo, les Misérables, IV, VIII, VI.
11 Pourtant la possession d'une femme qui a de la beauté, de la jeunesse et de l'esprit, constitue ce que, dans tous les temps et dans tous les pays, on a appelé et appelle avoir une maîtresse, et je ne pense pas qu'il y ait une autre manière.
Th. Gautier, Mlle de Maupin, III.
♦ Absolt. || Le désir, l'espérance (cit. 22) et la possession (→ aussi Anticiper, cit. 4). || Avant-goût (cit. 3) de la possession. || Envies, fureur (cit. 13) de possession (→ Exercer, cit. 20). || Le dégoût qui suit ordinairement la possession (→ Blaser, cit. 6). — Possession physique (→ Désir, cit. 19; humain, cit. 6).
12 L'amour sensuel ne peut se passer de la possession, et s'éteint par elle.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, III, XVIII.
13 Un amour sans possession se soutient par l'exaspération même des désirs (…)
Balzac, le Lys dans la vallée, Pl., t. VIII, p. 961.
14 (…) notre amour (…) était surtout physique et sauvage. Seulement la possession, ordinairement si meurtrière, le vivifiait, l'accroissait, au lieu de l'anéantir. Il n'avait pas les langueurs rêveuses ni les contemplations muettes qui prennent les amants rassasiés (…)
Barbey d'Aurevilly, Une vieille maîtresse, I, VIII.
5 Domination morale sur qqn (⇒ Posséder, 5.; domination, cit. 5).
6 État d'une personne qui maîtrise ses facultés, ses sentiments (⇒ Posséder, 6.; et aussi se posséder). || Possession de soi. ⇒ Calme, maîtrise. || Prendre, reprendre possession de soi, de soi-même.
15 (…) le verrou tiré, il se crut imprenable; la chandelle éteinte il se sentit invisible. Alors il prit possession de lui-même; il posa ses coudes sur la table, appuya la tête sur sa main, et se mit à songer dans les ténèbres.
Hugo, les Misérables, I, VII, III.
16 Ses traits se remirent en place; les couleurs naturelles lui revinrent, il avait complètement repris possession de lui-même (…)
Th. Gautier, le Capitaine Fracasse, VIII.
♦ ☑ Loc. En possession, dans la possession de… || Être en possession de son intelligence, de sa personnalité, de toutes ses facultés, dans son état normal, ni fou ni gâteux. ⇒ Jouir (de). → Fraterniser, cit. 6; interprète, cit. 16. || En pleine, dans la pleine possession de son génie (→ Démarche, cit. 5; éthéré, cit. 4). ☑ Être en pleine possession de ses moyens, dans sa meilleure forme.
7 (Académie, 1694; utilisé depuis l'affaire des Ursulines de Loudun et le procès de Grandier [1632-1634]). Fait pour un être humain d'être habité, dirigé par un être surnaturel, en général maléfique (correspond à posséder, 7.). || Crime de magie, maléfice (cit. 2), possession.
17 (…) je subis le phénomène que les thaumaturges appelaient la possession. Deux esprits se sont emparés de moi. Y en a-t-il réellement un bon et un mauvais ?
G. Sand, Elle et Lui, XII, p. 272.
♦ Mod. Psychiatrie. Forme de délire dans lequel le malade se croit habité et dirigé par une force occulte, par un être surnaturel, et, spécialt, un démon (⇒ Démonomanie [vx], démonopathie) et qui comporte un sentiment de dédoublement de la personnalité, des hallucinations visuelles et psycho-motrices, des troubles cénesthésiques. || Délire de possession. — Syndromes de pseudo-possession dans la mélancolie. || La lycanthropie, délire de possession corporelle par un animal (⇒ Zoopathie).
8 (1732, D'Olivet). Gramm. Mode de relation exprimé par les possessifs (→ aussi Mon, cit. 12) ou les prépositions de et à (le bureau de mon père). On dit aussi appartenance.
18 La « possession », qu'il s'agisse d'une propriété réelle, ou seulement de quelque rapport d'appartenance, d'appropriation personnelle, peut être marquée par les prépositions à et de.
G. et R. Le Bidois, Syntaxe du franç. moderne, §330.
19 (…) ce qu'on appelle en grammaire la possession n'est pas ce que juridiquement on appellerait ainsi : c'est tout rapport, de quelque nature qu'il soit, que l'on établit spécialement entre la substance dite possédée et l'une des personnes grammaticales (…)
Damourette et Pichon, Essai de grammaire…, t. VI, p. 557, §2603 (→ aussi Bon, cit. 11).
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1 Chose possédée par qqn. ⇒ 2. Avoir (1.), 2. bien (I., 2.), chose (spécialt). || Une possession (→ Gloire, cit. 7), ou, plus souvent, des possessions. — Spécialt. Les terres. ⇒ Domaine (→ 1. Bourse, cit. 8).
♦ Les possessions nouvelles de Louis XIV (→ Incorporation, cit. 2).
2 Dr. publ. Dépendance coloniale d'un État. ⇒ Colonie, établissement (II., 2.), territoire.
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CONTR. Dépossession, privation.
Encyclopédie Universelle. 2012.