livrer [ livre ] v. <conjug. : 1>
• 980 « délivrer »; lat. liberare « libérer, dégager »
I ♦ V. tr.
1 ♦ (1080) Livrer à... : mettre (qqn, qqch.) à la discrétion, au pouvoir de (qqn, une entité). Livrer un coupable à la justice. ⇒ déférer, remettre; extrader. La guerre civile « livra le pays aux Romains » (Bainville).
♢ Par ext. (pass. et p. p.) Être livré à une influence, à qqn. Enfants livrés à eux-mêmes.
2 ♦ Littér. Soumettre à l'action destructrice de (qqch.), donner en proie à. Livrer qqn à la mort, au supplice. Livrer une ville au pillage. — Pays livré à l'anarchie.
3 ♦ (XVe) Remettre par une trahison entre les mains, au pouvoir de (qqn). ⇒ trahir. Il a livré son complice (à la police). ⇒ dénoncer, donner. « les patries sont toujours défendues par les gueux, livrées par les riches » (Péguy).
4 ♦ Abandonner, confier à qqn (une partie de soi, une chose à soi). ⇒ donner. Livrer un peu de soi-même par des confidences. ⇒ confier. — Spécialt Livrer un secret. ⇒ communiquer, confier, dévoiler, révéler. « comme un visage grimé livre ses secrets sous le feu d'un projecteur » (Colette).
5 ♦ Vieilli ou dr. Mettre (qqch.) en la possession, à la disposition de qqn. ⇒ donner, céder, fournir, procurer, remettre, vendre. — Cour. Remettre au destinataire (ce qui a été commandé, payé). ⇒ livraison. Livrer une commande, une marchandise. Faire livrer des fleurs à une femme. Sans compl. Livrer à domicile, en gare.
♢ Fam. Livrer qqn, lui apporter la marchandise commandée. Nous vous livrerons dans la journée. Être livré : recevoir une livraison. Vous serez livré demain.
6 ♦ Engager, commencer (un combat, une bataille). ⇒ donner, engager. Vx ou littér. Livrer des assauts, des combats. Mod. Livrer bataille, combat.
7 ♦ Loc. Livrer passage : laisser passer, permettre de passer.
II ♦ SE LIVRER v. pron.
1 ♦ (1636) Se livrer (à) : se mettre au pouvoir, entre les mains de qqn. ⇒ se rendre , se soumettre. Il a fini par se livrer à la police, à la justice. — Spécialt Se dénoncer, se constituer prisonnier. « les pères se livrèrent pour les fils, les fils pour les pères » (Chateaubriand).
2 ♦ (1672) Se remettre, se confier. « Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne » (Racine). — (1669) Se livrer à qqn, et absolt se livrer, parler de soi, de ce qu'on pense. ⇒ se confier, s'épancher, s'ouvrir. Elle ne se livre pas facilement. « Plus il [Stendhal] se livre, plus il me plaît » (A. Gide).
3 ♦ Littér. Faire don de soi-même. Cœur qui se livre. — Spécialt Accorder ses faveurs (en parlant d'une femme). ⇒ s'abandonner, se donner. « elles sont capables de se livrer au premier venu » (Loti).
♢ Se livrer à : se laisser aller à (un sentiment, une idée, une activité). ⇒ s'adonner. « il put se livrer à tout son malheur sans craindre d'être vu » (Stendhal). Se livrer à la colère, au désespoir. ⇒ s'abîmer, s'enfoncer, se plonger. Se livrer aux pires excès. ⇒ se porter.
4 ♦ Se livrer à : effectuer (un travail, une tâche), exercer (une activité). Se livrer à un travail, à l'étude. ⇒ s'appliquer, s'attacher, s'atteler, se consacrer, pratiquer. Se livrer à un exercice, à un sport. ⇒ s'exercer, pratiquer. Se livrer à ses occupations habituelles. ⇒ vaquer. Se livrer à une enquête approfondie. ⇒ procéder.
⊗ CONTR. Arracher, délivrer, enlever, sauver (se). Conserver, défendre, dérober, garder. Détenir. — Dérober (se), garder (se).
● livrer verbe transitif (latin liberare) Remettre quelqu'un aux autorités d'un pays : Livrer des terroristes au pays qui les réclame. Abandonner quelqu'un, un groupe, son pays, etc., à un pouvoir étranger, ennemi : Livrer son pays à l'ennemi. Dénoncer quelqu'un à la police ; le donner : Livrer son complice aux enquêteurs. Abandonner quelque chose aux effets de quelque chose : Livrer une voile au vent. Dévoiler, révéler ce qui était caché, inconnu : Livrer un secret. Remettre une marchandise à celui qui l'a commandée : On nous a livré le canapé et les fauteuils. Apporter à quelqu'un la marchandise qu'il a commandée : On vous livrera demain. ● livrer (expressions) verbe transitif (latin liberare) Livrer (un) combat, (une) bataille, engager et mener à son terme un combat. Livrer passage (à quelqu'un, à quelque chose), lui laisser la place pour passer. ● livrer (homonymes) verbe transitif (latin liberare) livrée nom féminin livret nom masculin ● livrer (synonymes) verbe transitif (latin liberare) Remettre quelqu'un aux autorités d'un pays
Synonymes :
- déférer
- remettre
Abandonner quelqu'un, un groupe, son pays, etc., à un pouvoir...
Contraires :
- défendre
Dénoncer quelqu'un à la police ; le donner
Synonymes :
- dénoncer
- donner
- donner (familier)
- vendre
Dévoiler, révéler ce qui était caché, inconnu
Synonymes :
- confier
- démasquer
- dévoiler
- trahir
livrer
v. tr.
rI./r
d1./d Mettre à la disposition, au pouvoir de. Livrer un coupable à la justice.
— (Avec une idée de trahison.) Livrer ses complices. Livrer des plans à l'ennemi. Syn. donner.
|| v. Pron. Son forfait accompli, il se livra à la police. Syn. remettre.
d2./d Abandonner, exposer à l'action de. Livrer une ville au pillage. épave qui dérive, livrée aux vents et aux courants.
|| v. Pron. S'abandonner, se laisser aller (à). Se livrer à des violences.
— S'adonner (à). Se livrer à l'étude avec ardeur.
d3./d Donner à connaître. Livrer ses pensées, un secret.
|| v. Pron. Se confier. C'est une personne réservée, qui ne se livre pas.
d4./d Livrer une bataille, un combat, l'engager.
d5./d Livrer passage: laisser passer.
rII./r Effectuer la livraison de (qqch). Livrer de la marchandise.
⇒LIVRER, verbe trans. et pronom.
A. — Emploi trans. Qqn/qqc. livre qqn/qqc. (à qqn/qqc.)
1. Mettre à la discrétion de, remettre au pouvoir de. Livrer à la justice, au bras séculier; livrer pieds et poings liés. Dès ce soir je vous livre les ministres morts ou vifs (SCRIBE, Bertrand, 1833, I, 5, p. 129). Cannibale qui engraisse ses captifs avant de les livrer au bourreau des cuisines (MILOSZ, Amour. initiation, 1910, p. 79).
— Emploi pronom. réfl. Se livrer à la police. Malades condamnés qui se livrent aux charlatans (BALZAC, Cous. Bette, 1846, p. 339). Au lieu de payer l'amende ou encore de te livrer pour faire la peine que tu avais méritée, monsieur fait l'orgueilleux et refuse de se livrer (GENEVOIX, Raboliot, 1925, p. 333).
— [P. anal. de l'obj.] VÉN. Livrer (un animal) aux chiens. Lancer les chiens sur lui. Livrer le cerf aux chiens (Ac.).
— En partic.
♦ Remettre, par trahison, au pouvoir de. Livrer un complice; livrer sa patrie, son pays. Déjà le duc de Bourgogne avait livré aux Anglais la Bastille, le Louvre, l'Hôtel de Nesle, Vincennes (BARANTE, Hist. ducs de Bourg., t. 4, 1821-24, p. 321). Tous ceux qui tantôt voulaient leur livrer la ville les outrageaient, de peur d'être dénoncés comme traîtres à la République (FRANCE, Pt Pierre, 1918, p. 149). V. comploter ex. 1 :
• 1. Chauvel était venu quelque temps avant au pays, avec Saint-Just et Lebas, pour faire empoigner les autorités civiles et militaires de Strasbourg, en train de livrer la place aux Allemands.
ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 246.
♦ Au fig., littér. ,,Je vous livre cet homme. Je vous réponds qu'il fera ce que vous voudrez, que vous en disposerez comme il vous plaira`` (Ac. 1935).
2. Abandonner à l'action de quelque chose.
a) [Le suj. désigne une pers.]
— [L'obj. désigne une pers.] Livrer au bûcher, à la mort, à la torture. Sauts en parachute transformés en rites d'initiation (celui qui ne peut sauter est livré aux moqueries et aux brimades de ses camarades) (Serv. milit. et réf. armée, 1963, p. 47).
— [L'obj. désigne un inanimé] Les brûlements d'archives sous la Révolution, où la plupart des titres féodaux furent livrés aux flammes (L'Hist. et ses méth., 1961, p. 736). Leur ville (...) bombardée de Montmartre et de la Bastille, puis livrée au pillage (LEFEBVRE, Révol. fr., 1963, p. 141).
♦ Littér. Livrer au vent. Exposer au vent. Elle livre aux vents des cheveux qui s'échappent d'une mitre orientale (MAISTRE, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 104). Molo observe l'ennemi, afin qu'il ne puisse livrer sa voile au vent sans combattre (CHATEAUBR., Mél. et poés., Duthona, 1828, p. 43).
b) [Le suj. désigne un inanimé] Votre précepte si vanté de tendre une joue après l'autre, n'est pas seulement contraire à tous les sentimens de l'homme (...) il livre le monde au désordre, à la tyrannie (VOLNEY, Ruines, 1791, p. 323).
3. Abandonner, confier (à quelqu'un).
a) [L'obj. désigne une pers.] Abandonner. Pour moi, livré de bonne heure à des mains étrangères, je fus élevé loin du toit paternel (CHATEAUBR., René, 1802, p. 16).
♦ Au passif. Être livré à soi-même. Ne dépendre que de soi, n'avoir de secours à attendre de personne. Quel changement dans la civilisation humaine (...) si les restaurateurs de l'ancienne beauté (...) avaient été livrés à eux-mêmes comme les anciens Grecs (TAINE, Voy. Ital., t. 2, 1866, p. 71). Il passa deux années de son adolescence dans une université d'Allemagne, livré à lui-même (FRANCE, Vie littér., 1888, p. 60).
b) [L'obj. désigne un inanimé concr.] Abandonner, confier. Je lui avais donné tout mon cœur, je lui avais livré toute ma vie; mais de sa vie à elle, jamais elle n'avait voulu rien me livrer (A. DAUDET, Pt Chose, 1868, p. 272) :
• 2. De la même manière je prête l'oreille ou je regarde dans l'attente d'une sensation, je livre une partie de mon corps, ou même mon corps tout entier à cette manière de vibrer et de remplir l'espace qu'est le bleu ou le rouge.
MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 245.
c) [L'obj. désigne un inanimé abstr.] Confier. Livrer ses impressions, un secret. Certains (...) rougissaient de livrer leur préférence (LACRETELLE, Silbermann, 1922, p. 89). Marthe (...) ne livre qu'une faible part de ce qu'elle pense (BOSCO, Mas Théot., 1945, p. 343).
4. Mettre en la possession de, à la disposition de.
a) [Le suj. désigne une pers.]
— COMM. Remettre ce qui a été commandé. Livrer à domicile, en gare, en mains propres. Les orfèvres s'engageaient à livrer le lit dans deux mois (ZOLA, Nana, 1880, p. 1440) :
• 3. ... les principaux détaillants (...) ont pris l'habitude d'affiner eux-mêmes les fromages, de façon à ne livrer aux consommateurs que des produits faits à point.
POURIAU, Laiterie, 1895, p. 549.
♦ Proverbe, vx. ,,Tel qui vend ne livre pas. On s'engage quelquefois à faire plus qu'on ne veut ou qu'on ne peut`` (Ac. 1835-78).
— En partic. Remettre un manuscrit à un éditeur, un imprimeur. Il y a bien six mois que j'ai livré le manuscrit (BLOY, Journal, 1894, p. 159). Comme Wagner, il exprimait le regret que l'artiste ne pût livrer ses œuvres à un magasin, qui, en échange, fournirait l'artiste de tout ce dont il aurait besoin (ROLLAND, Beethoven, t. 1, 1937, p. 45).
Rem. Dans la lang. usuelle on emploie souvent livrer qqn : remettre à quelqu'un ce qu'il a commandé et, au passif, être livré : recevoir ce que l'on a commandé.
b) JEUX, emploi abs. [Au billard] Laisser à l'adversaire un coup facile, la possibilité d'une série. Jouer de façon à ne pas trop livrer.
c) Littér. [le suj. désigne un inanimé]
— [concr.] En vérité cette nuit était belle, et cette lumière clémente qui lui livrait ainsi toutes les parcelles de son domaine (GENEVOIX, Raboliot, 1925, p. 70). Le phosphore et le soufre sont livrés à la plante par le sol (PLANTEFOL, Bot. et biol. végét., t. 1, 1931, p. 336).
— [abstr.] L'observation de la vie ne nous livre pas plus un milieu vide qu'elle ne nous présente des individus isolés (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 74).
d) Livrer (le) passage (à qqn/qqc.). Laisser la place pour passer (à). Synon. céder, laisser le passage.
— [Le suj. désigne une pers.] Ordres donnés aux commandants des places de livrer le passage aux troupes étrangères sur les frontières de France (MARAT, Pamphlets, C'en est fait de nous, 1790, p. 206).
♦ Emploi pronom. réciproque. Mouvement de droite et de gauche des deux personnages pour se livrer passage (FEYDEAU, Dame Maxim's, 1914, II, 8, p. 46).
— [Le suj. désigne un inanimé concr.] C'était comme une bouche d'égout à la bordure d'un trottoir. Cet orifice n'aurait donc pu livrer un passage facile (VERNE, Île myst., 1874, p. 163).
5. Engager et poursuivre (une lutte). Livrer un assaut, une bataille, un combat, une guerre.
— Emploi pronom.
♦ à sens passif. Des points qui méritent de passer dans l'histoire pour l'honneur des combats qui s'y sont livrés (BARRÈS, Cahiers, t. 11, 1918, p. 323).
♦ réciproque. Nos dragons ont été à leur rencontre, et c'est là, dans un fond, qu'ils se sont livré bataille entre eux (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 93).
— Loc. verb. vieillie. Livrer la guerre. Ceux que vous combattez, qui vous livrent la guerre (DELILLE, Homme des champs, 1800, p. 116).
— [P. anal. de l'obj.] C'est (...) une fort mauvaise partie qu'il [le Club de basket-ball Paris-bas] a livrée à la puissante formation des P.T.T. (L'Œuvre, 28 janv. 1941).
♦ Emploi pronom. à sens passif. Le lit où se livrait une bataille à la rigolade qui se terminait par des claques et des taloches (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 86).
— Au fig. Oseront-ils cependant affirmer qu'une génération consent à livrer une bataille de plusieurs années pour un drapeau qui n'est pas un symbole? (BAUDEL., Salon, 1846, p. 102).
B. — Emplois pronom. spécifiques. Qqn se livre (à qqn/qqc.)
1. Se remettre, se confier
a) à quelqu'un. Si vous daignez en croire les conseils de ma vieille expérience, le grand art est de ne se livrer à personne, de n'avoir que soi pour complice (SCRIBE, Bertrand, 1833, I, 6, p. 134).
— Absol. Je crois que j'en aurai tout ce que je voudrai de ce type-là... Il n'est pas malin, il se livre du premier coup (MIRBEAU, Journal femme ch., 1900, p. 32).
b) à quelque chose. Le sérieux ému d'un homme qui se livre à un destin nouveau (BENJAMIN, Gaspard, 1915, p. 56).
2. Faire don de soi-même. Se livrer sans réserve, tout entier. J'avais deviné, derrière la froideur voulue de la jeune fille, la palpitation d'un cœur qui ne veut pas se livrer (BOURGET, Disciple, 1889, p. 164). Comment pouvez-vous comparer notre aventure construite sur du faux (...) et celle d'un être jeune qui se livre corps et âme? (COCTEAU, Par. terr., 1938, II, 9, p. 255).
— En partic. [Le suj. désigne une femme] Accorder ses faveurs à quelqu'un. Synon. se donner. La dernière transaction que puisse faire une femme (...) cette vente inouïe dans laquelle elle se livre au premier venu, pour une robe et pour un morceau de pain (JANIN, Âne mort, 1829, p. 143).
♦ Absol. Albine se livra. Serge la posséda (ZOLA, Faute Abbé Mouret, 1875, p. 1409).
3. S'abandonner à (un sentiment, une idée); s'adonner à (une activité). Se livrer au désespoir, à la joie, à la rêverie; se livrer à un jeu dangereux; se livrer à ses instincts, aux pires excès. Ces deux femmes (...) viennent de divorcer pour se livrer entièrement au plaisir (FIÉVÉE, Dot Suzette, 1798, p. 138). La danse de l'amour, celle que l'on ne danse guère que ce soir-là, où il est toléré de se livrer à la débauche et au crime (MARAN, Batouala, 1921, p. 90) :
• 4. Il trouvait un bonheur singulier quand, laissé absolument seul et sans crainte d'être interrompu, il pouvait se livrer tout entier au souvenir des journées heureuses qu'il avait passées jadis à Verrières ou à Vergy.
STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 471.
— [P. anal. du suj.] Le taureau (...) se livre à une foule de cabrioles extravagantes dont on ne croirait pas capable une si lourde bête (GAUTIER, Tra los montes, 1843, p. 86).
4. Effectuer (un travail); exercer (une activité). Se livrer à une enquête, à une étude, à un examen approfondi, à ses occupations habituelles. Sous l'égide des autorités allemandes, Étienne se livrait là à tout un trafic (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 170).
— Emploi abs., SPORT. Déployer tous ses efforts, aller au bout de ses possibilités. Boxeur qui se livre à fond; le cheval n'a pas voulu se livrer.
Prononc. et Orth. : [], (il) livre []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Verbe trans. 1. fin Xe s. « délivrer » (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 387); 2. fin Xe s. « mettre (quelqu'un) à la disposition de quelqu'un » (ibid., 367); 3. ca 1100 « remettre quelqu'un ou quelque chose à la discrétion de » (Roland, éd. J. Bédier, 247, 498); 4. ca 1100 livrer bataille (ibid., 592); 5. [1281 « mettre entre les mains de quelqu'un une marchandise qu'il a commandée » (d'apr. FEW t. 5, p. 301a)]; ca 1340 « id. » (Dialogues fr.-flam., éd. H. Michelant, D 1b); 6. [ca 1500 « remettre quelqu'un ou quelque chose par trahison » (PH. DE COMMYNES d'apr. FEW t. 5, p. 301a)]; 1534 « id. » (RABELAIS, Gargantua, éd. M.A. Screech, chap. 48, 126). B. Verbe pronom. 1. a) XIIIe s. « accorder ses dernières faveurs (en parlant d'une femme) » (Du chevalier qui fist sa femme confesse, 129 ds Fabliaux, éd. A. de Montaiglon et G. Raynaud, t. 1, p. 182); b) 1612 « s'attacher exclusivement, s'enchaîner (en parlant d'une femme) » (RÉGNIER, Satyres XIII ds Œuvres, éd. G. Raibaud, p. 180, 164); 2. a) 1667 « se remettre à, se confier à » (RACINE, Andromaque, I, 1); b) 1721 « montrer sa pensée » (MONTESQUIEU, Lettres persanes, éd. P. Vernière, Introduction, p. 8); 3. 1680 « s'abandonner à un sentiment, à une émotion » (Mme DE SÉVIGNÉ, Lettres, éd. M. Monmerqué, t. 7, p. 101); 4. 1616 se livrer à « se consacrer à, se mettre à » (A. D'AUBIGNÉ, Tragiques, éd. E. Réaume et de Caussade, t. 4, p. 150). Du lat. liberare « rendre libre, affranchir » d'où en lat. pop. « laisser partir, remettre, fournir ». Fréq. abs. littér. : 8 544. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 15 640, b) 11 875; XXe s. : a) 10 628, b) 10 244.
livrer [livʀe] v. tr.
ÉTYM. V. 980, « délivrer » et au sens I, 1; du lat. liberare « délivrer » (→ Libérer), et, par ext., « laisser partir », puis « remettre, fournir ».
❖
1 Livrer qqn à… : mettre à la discrétion, au pouvoir de (qqn). || Livrer qqn au bourreau, aux mains d'un assassin (→ Agent, cit. 1; filoutage, cit. 2). || Livrer un coupable à la justice, le livrer au bras séculier. ⇒ Déférer, remettre. || Livrer une victime au sacrificateur, un martyr aux bêtes (⇒ vx Exposer). — (Sans compl. second en à). || Livrer qqn par extradition. ⇒ Extrader. || Livrer qqn pieds et poings liés.
1 Je ne condamne plus un courroux légitime,
Et l'on vous va, Seigneur, livrer votre victime.
Racine, Andromaque, II, 4.
2 L'oracle, consulté sur le moyen d'apaiser le courroux céleste, déclara qu'une fille de Troie devait être livrée tous les ans aux monstres marins, exposée nue sur un rocher.
Émile Henriot, Mythologie légère, p. 51.
♦ (Sujet n. de chose). || Événements qui livrent un pays aux étrangers (→ Abaissement, cit. 4). || Les dissensions des assiégés livrèrent la place à l'ennemi.
3 La guerre civile, le grand vice gaulois, livra le pays aux Romains.
J. Bainville, Hist. de France, I, p. 13.
♦ Par ext. Mettre sous la coupe, sous l'influence de qqn.
4 La vertu de Louis XVI éloigna les maîtresses (…) sa timidité le livra à sa femme.
Louis Barthou, Mirabeau, p. 221.
2 Soumettre à l'action de (qqch.), donner en proie à… — (V. 1265). || Livrer qqn à la mort, au supplice. || Livrer un condamné aux flammes, au bûcher.
5 Mais siérait-il, Abner, à des cœurs généreux
De livrer au supplice un enfant malheureux (…)
Racine, Athalie, V, 2.
♦ (1867). || Livrer une bête aux chiens, lancer les chiens à sa suite. — Livrer une ville à l'émeute, au pillage; un pays à l'anarchie (→ Établir, cit. 11).
6 Elle fit quelques pas légers, comme pour aérer sa blanche toilette, pour livrer au zéphyr ses ruches de tulle neigeuses, ses manches flottantes, ses rubans frais, sa pèlerine et les boucles fluides de sa coiffure à la Sévigné (…)
Balzac, le Lys dans la vallée, Pl., t. VIII, p. 916.
3 (Fin XVe). || Livrer (qqn, qqch.) à… Remettre par une trahison entre les mains, au pouvoir de (qqn). ⇒ Trahir; → Fouiller, cit. 31. || Judas livra Jésus. || Livrer son complice à la police. ⇒ Dénoncer, donner (I., C., 3.). — Livrer une place forte à l'ennemi. — (Sans compl. en à). || Livrer sa patrie, son pays.
7 (…) tandis qu'ils étaient à table (…) Jésus dit : « En vérité je vous le dis, l'un de vous me livrera, un qui mange avec moi (…) Oui, le Fils de l'Homme s'en va selon qu'il est écrit de lui (…) mais malheur à cet homme-là par qui le fils de l'homme est livré ! Mieux eût valu pour cet homme-là ne pas naître ! »
Bible (Jérusalem), Évangile selon saint Marc, XIV, 18, 21.
8 (…) les patries sont toujours défendues par les gueux, livrées par les riches (…)
Ch. Péguy, la République…, p. 92.
9 Condé et Coligny qui signèrent cette convention ont nié qu'ils eussent voulu trahir. Cependant ils livraient leur pays.
J. Bainville, Hist. de France, IX, p. 162.
4 (1080). Abandonner, confier à qqn (une partie de soi, une chose à soi). ⇒ Donner (→ ci-dessous Se livrer). || Livrer son âme (cit. 49), sa vie. || Livrer son âme au diable. ⇒ Vendre. — Femme qui livre son corps (→ Attiser, cit. 6).
10 Je sais que du mensonge implacable ennemie,
Josabeth livrerait même sa propre vie.
Racine, Athalie, III, 4.
11 Mais quelle réparation lui offrirez-vous si elle livre son honneur (…)
Balzac, Paméla Giraud, II, 8.
♦ Spécialt. ⇒ Confier, fier (1.). || Livrer un peu de soi-même, par des confidences (→ Grandiloquent, cit. 2). || Livrer ses idées à la postérité.
♦ Littér. (Sujet n. de chose). || Un charme qui livre les âmes à de douces impressions (cit. 13). || Des peurs qui livrent les esprits (cit. 82) à une hantise (Martin du Gard, les Thibault, t. VII, p. 11).
♦ (1669). Spécialt. || Livrer un secret. ⇒ Communiquer, confier, dévoiler (→ Infamie, cit. 9). — Par ext. || La nature, l'atome (cit. 18) livre peu à peu ses secrets.
12 La toile brilla de tous ses bleus, laissa voir tous les artifices du peintre, comme un visage grimé livre ses secrets sous le feu d'un projecteur (…)
Colette, la Naissance du jour, p. 117.
13 (…) pour convaincre Antoine qui, pressé, insistait, il se décida à livrer le secret suprême (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. III, p. 202.
5 a (1080). Vieilli ou dr. Mettre (qqch.) en la possession, à la disposition de quelqu'un. ⇒ Donner (I., A., 2.); céder (I., 2.), fournir (I., B., 2.), procurer, remettre, vendre (→ Fuite, cit. 14). || « Quand je vous livre mon poème… » (→ Demeurer, cit. 20, Sully Prudhomme). — Absolt. || Livrer les fruits de son travail.
14 (…) l'oignon de sa tulipe, qu'il ne livrerait pas pour mille écus (…)
La Bruyère, les Caractères, XIII, 2.
15 Prométhée pensa faire à l'humanité un don capital en leur livrant (aux hommes) le feu du ciel.
Émile Henriot, Mythologie légère, p. 114.
♦ Dr. || Obligation de livrer (la chose vendue, louée, donnée), obligation de transporter la chose en la puissance et possession du cocontractant. ⇒ Délivrance, livraison, tradition.
16 L'obligation de donner emporte celle de livrer la chose et de la conserver jusqu'à livraison, à peine de dommages et intérêts envers le créancier.
Code civil, art. 1136.
b (Fin XIIIe). Cour. Remettre à l'acheteur (ce qui a été commandé, payé). ⇒ Livraison. || Livrer une commande, une marchandise (au client). → Aunage, cit. 1; grossiste, cit. || Comptabilité en partie simple ne comportant que le compte des acheteurs à qui on livre. || Livrer exactement ce qui a été convenu (→ Comptant, cit. 2). — Passif. || La marchandise a été livrée.
17 Nous autres jeunes filles françaises, nous sommes livrées par nos familles comme des marchandises, à trois mois, quelquefois fin courant, comme mademoiselle Vilquin.
Balzac, Modeste Mignon, Pl., t. I, p. 491.
♦ Absolt. || Livrer à domicile, en gare. || Celui qui livre. ⇒ Commissionnaire, livreur, porteur.
♦ Par ext. et abusivt, avec un compl. direct de personne. || Servir (qqn) en lui livrant la marchandise commandée.
17.1 Beaucoup de commerçants déclarent à leurs clients : Je n'ai pas été livré, ou : Vous serez livré demain. C'est la marchandise qui n'a pas été livrée (…)
René Georgin, le Code du bon langage, p. 50.
6 (1080; livrer bataille). Engager, commencer (un combat, une bataille…, au propre ou au figuré). ⇒ Donner (7.), engager (II., 1.). — Vx ou littér. || Livrer des assauts (cit. 8), des combats (cit. 21), une bataille, la bataille (cit. 16). — Mod. (avec bataille, combat, sans article). || Livrer combat, livrer bataille (cit. 5). → Bénéficiaire, cit. 3; épique, cit. 7; glorieux, cit. 2; indicible, cit. 5. — Vx. || Livrer la guerre à… (→ Honneur, cit. 114). ⇒ Faire.
18 L'homme est en mer. Depuis l'enfance matelot,
Il livre au hasard sombre une rude bataille.
Hugo, la Légende des siècles, LII, II.
7 ☑ (1862). Livrer passage à (qqn, qqch.), laisser passer; permettre de passer.
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se livrer (à) v. pron.
1 (XIIe). Se mettre au pouvoir, entre les mains (de qqn). ⇒ Rendre (se), soumettre (se). || Se livrer à la police, à ses ennemis. || Se livrer aux mains de qqn (→ Aborder, cit. 1). — (Sans compl. en à). Spécialt. Se dénoncer, se constituer prisonnier. || Les coupables se sont tous livrés.
19 Alors les femmes marchèrent héroïquement au supplice (…) les pères se livrèrent pour les fils, les fils pour les pères.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. IV, p. 115.
20 Les Suisses étaient compromis de la manière la plus terrible. Bouillé (…) leur fit ordonner de sortir de Nancy (…) sortir, c'était se livrer, non à Bouillé seulement, mais à leurs chefs, à leurs juges, ou plutôt à leurs bourreaux (…)
Michelet, Hist. de la Révolution franç., IV, III.
2 (1672). Se remettre, se confier à… || « Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne » (cit. 14, Racine). || Se livrer aux chances, aux hasards de… (→ Fort, cit. 67). || Se livrer aux promesses, à la bonne foi de quelqu'un.
21 Roxane, se livrant tout entière à ma foi,
Du cœur de Bajazet se reposait sur moi.
Racine, Bajazet, I, 4.
♦ (1669). || Se livrer à quelqu'un, et, absolt, se livrer : parler de soi, de ce qu'on pense. ⇒ Confier (se), découvrir (ses secrets, etc.). || Se livrer facilement (⇒ Communicatif). || Facilité à se livrer (→ Impudeur, cit. 3). || Se livrer tout entier, sans réserves.
22 Une pudeur, une prudence empêchaient Gurau de se livrer.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XXV, p. 237.
23 Ce qu'il raconte dans La Chartreuse ou dans Le Rouge et le Noir m'intéresse moins que sa façon de le raconter, que lui-même. Plus il se livre, plus il me plaît.
Gide, Attendu que…, p. 81.
3 (Av. 1613). Vx. (Sans compl. en à). Faire don de soi-même. ⇒ Dévouer (cit. 4), donner (se). → Inutile, cit. 10. || Cœur qui se livre (→ 1. Gens, cit. 24).
24 Son cœur, pour se livrer, à peine devant moi
S'est-il donné le temps d'en recevoir la loi.
Molière, les Femmes savantes, IV, 1.
25 (…) il fallait qu'elle ne le désirât vraiment guère, pour ne point défaillir et se livrer, lorsqu'elle tombait entre ses bras, derrière une haie (…)
Zola, la Terre, IV, II.
26 Toujours oisives, dévorées d'ennui, physiquement obsédées de la solitude des harems, elles sont capables de se livrer au premier venu, — au domestique qui leur tombe sous la patte, ou au batelier qui les promène, s'il est beau et s'il leur plaît.
Loti, Aziyadé, III, XLIII.
4 (1680). || Se livrer à… : s'abandonner à… (un sentiment, une idée, une activité). ⇒ Abandonner (cit. 25, 26 et 27), adonner (s'), laisser (se laisser aller à). || Se livrer à un sentiment, à son humeur, à son caractère (→ Force, cit. 13; gaieté, cit. 12). || Se livrer à l'avarice, à la cupidité (cit. 2). || Se livrer à la colère, à la fureur : se mettre en colère, entrer en fureur. || Se livrer à une rêverie, à l'espoir (cit. 11), à l'essor (cit. 11) de l'imagination, à de folles espérances. || Se livrer au désespoir, à sa douleur, à sa peine. ⇒ Abîmer (s'), enfoncer (s'), plonger (se). → Arracher, cit. 50; cruel, cit. 20. || Se livrer à des conjectures, à des réflexions… (→ Inconvénient, cit. 6). || Se livrer aux délices (cit. 6), à l'extase (cit. 4), à l'exubérance (cit. 3), au plaisir d'exister (cit. 16), au bonheur d'aimer. || Se livrer à des folies (cit. 30), à des distractions futiles (cit. 2), à la débauche. || Se livrer aux pires excès. ⇒ Porter (se).
27 Que je vous plains de vous livrer aussi cruellement que vous faites à vos inquiétudes !
Mme de Sévigné, 860, 9 oct. 1680.
28 Il ne faut qu'aimer le plaisir pour se livrer à des sensations si douces.
Rousseau, Rêveries…, VIIe promenade.
29 (…) on se livre d'autant plus vivement aux plaisirs qu'on se sent près de les perdre.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t.IV, p. 293.
30 La nuit était sombre, il put se livrer à tout son malheur sans craindre d'être vu.
Stendhal, le Rouge et le Noir, II, XIX.
31 Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons.
Baudelaire, les Fleurs du mal, « Spleen et Idéal », LXV.
32 Il y pénétrait (dans son magasin) par la porte dérobée, l'air furtif de quelqu'un qui vient non d'accomplir un noble devoir, mais de se livrer à quelque passion secrète.
G. Duhamel, Salavin, VI, IX.
5 (Fin XVIe). || Se livrer à… : effectuer (un travail, une tâche), exercer (une activité). || Se livrer à un travail, à une besogne, à une étude. ⇒ Appliquer (s'), attacher (s'), atteler (s'), consacrer (se), pratiquer. || Se livrer à son art. ⇒ Adonner (s'). → Innocence, cit. 4. || Se livrer à un exercice, à une gymnastique (cit. 11), à un sport. ⇒ Exercer (s'), pratiquer (→ Faire, cit. 194; imitation, cit. 18). || Se livrer à une danse frénétique. ⇒ Exécuter. || Se livrer à ses occupations habituelles. ⇒ Vaquer. || Se livrer à la contrebande. || Se livrer à des calculs (→ But, cit. 18), à une critique (2. Critique, cit. 19), à une enquête, à un examen approfondi. ⇒ Faire (II., A., 2.).
33 En se livrant à l'étude du droit, il se sentit d'abord poussé bien moins vers les lois civiles que vers les lois politiques (…)
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 8 avr. 1850.
34 L'examen auquel je me suis livré est parfaitement objectif. Pas de complaisance, bien sûr.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, I, Introduction.
♦ Absolt. || Se livrer : se donner. || Se livrer à fond. || Sportif qui se livre à fond.
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livré, ée p. p. adj.
1 Remis au pouvoir de (qqn). || Criminel livré au bourreau. || Agneau livré aux loups (→ Faible, cit. 8). — Fig. || Livré à soi-même (→ Alléché, cit. 2).
35 Il se voyait déjà attaché par les quatre membres, livré à la dent des chiens (…)
L. Pergaud, De Goupil à Margot, p. 28.
2 Soumis à l'action de (qqch.). || Maison livrée au vent, à la bise (→ Inhabitable, cit. 1). || Institution livrée aux médiocrités (→ Académie, cit. 6). — Livré aux sentiments, aux réflexions.
36 (…) il donnait ses leçons avec une exactitude qu'on n'eût pas attendue d'un homme livré comme lui à tous les caprices d'une vie errante (…)
France, la Rôtisserie de la reine Pédauque, IV, Œ., t. VIII, p. 27.
3 Absolt (littér.). Plein d'abandon dans sa confiance, dans sa facilité à se livrer.
37 Je n'eusse pas été si méprisé si je n'avais été si livré, si ouvert, si nu.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, XVIII.
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CONTR. Arracher, délivrer, enlever, sauver (se). — Conserver, défendre, dérober, garder. — Détenir. — Dérober (se), garder (se).
DÉR. Livrable, livraison, livrée, livreur.
HOM. Livrée.
Encyclopédie Universelle. 2012.