1. souvenir [ suv(ə)nir ] v. <conjug. : 22>
• suvenir 1080; lat. subvenire « se présenter à l'esprit »
I ♦ V. intr. (Impers.) Littér. Revenir à la mémoire, à l'esprit. « Te souvient-il de notre extase ancienne ? » (Verlaine). Il ne me souvient pas de les avoir rencontrés. « Faut-il qu'il m'en souvienne ? » (Apollinaire).
II ♦ SE SOUVENIR v. pron. (XIIIe, rare jusqu'au XVIe)
1 ♦ Avoir de nouveau présent à l'esprit (qqch. qui appartient à une expérience passée). ⇒ se rappeler, se remémorer, revoir. Se souvenir de qqch. « Je me souviens Des jours anciens Et je pleure » (Verlaine). Je m'en souviens. Elle s'est souvenue de la scène. — « Nous nous souvînmes de n'avoir regardé qu'imparfaitement » ( Baudelaire). « Je me souvins l'avoir regardé de la véranda » (Green). — Se souvenir que... « Il se souvenait qu'il avait posé le paquet à cette place » (Zola). Je ne me souviens pas qu'il l'ait dit. — Je ne me souviens pas quand, si... Faire souvenir : rappeler. « Tu me fais souvenir que j'ai tout oublié » (Hugo). « Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi » (Saint-Exupéry). — Se souvenir de qqn, l'avoir encore présent à l'esprit, l'évoquer. « Qui se souvient d'Alexandrine, morte il y a vingt ans ? » (Stendhal). « Il s'est peut-être souvenu de vous comme militant » (Romains).
♢ Spécialt (avec reconnaissance ou rancune) Se souvenir d'un bienfait. Je m'en souviendrai ! (menace).
2 ♦ (XIIe) (À l'impér.) Ne pas manquer de considérer, ne pas oublier, penser à... « Souviens-toi de ton nom » (P. Corneille). Souvenez-vous-en.
⊗ CONTR. Oublier.
souvenir 2. souvenir [ suv(ə)nir ] n. m.
• fin XIIIe sens 2; de 1. souvenir
1 ♦ (1359) Mémoire. « Serai-je assez heureux pour être encore logé dans un coin de votre souvenir ? » (Baudelaire). Rappelez-moi à son bon souvenir : rappelez-lui mon amitié, ma sympathie.
2 ♦ Le fait de se souvenir. « Oh ! le souvenir [...] miroir horrible qui fait souffrir toutes les tortures ! » (Maupassant). Avoir souvenir de... (⇒ souvenance) . « Je n'ai pas souvenir d'avoir vu sa pareille » (Baudelaire). Conserver, perdre le souvenir d'un événement.
3 ♦ Ce qui revient ou peut revenir à l'esprit des expériences passées; image que garde et fournit la mémoire. ⇒ réminiscence. « J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans » (Baudelaire). « Les souvenirs sont les armes secrètes que l'homme garde sur lui lorsqu'il est dépouillé, la dernière franchise qui oblige la franchise en retour » (Koltès). Souvenir fidèle, vague. Éveiller des souvenirs. Faire appel à ses souvenirs. — Un souvenir d'enfance, de collège. Des souvenirs de lecture. « J'en garde un mauvais souvenir » (France). Pays, séjour qui laisse de bons souvenirs. Évoquer le souvenir de qqn. « Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir » (Baudelaire). Ce n'est plus qu'un mauvais souvenir : cet événement désagréable, pénible, appartient maintenant au passé. — (Dans les formules de politesse) Mon bon souvenir à votre frère. Affectueux, meilleurs souvenirs.
♢ (av. 1729) Au plur. Mémoires. Noter, écrire ses souvenirs. Souvenirs, titre de mémoires. « Souvenirs d'enfance et de jeunesse », de Renan.
4 ♦ (1823) EN SOUVENIR DE : pour garder le souvenir de (qqn, qqch.). En souvenir de notre rencontre. Gardez ceci en souvenir de moi; absolt, en souvenir.
5 ♦ (1676) (Objets concrets) Ce qui fait souvenir, ce qui reste comme un témoignage (de qqch. qui appartient au passé). Souvenirs de famille. « des gravures d'Audran, souvenirs d'un temps meilleur » (Flaubert). Appos. Photo-souvenir.
♢ Objet, cadeau qui rappelle la mémoire de qqn, qui fait qu'on pense à lui. « Si pauvre qu'il fût, il trouvait moyen d'apporter un souvenir à chacun » (R. Rolland). — Spécialt Bibelot qu'on vend aux touristes. Sa famille « gérait un magasin de souvenirs. Des colliers de patelles rosées, de vernis luisants, des coffrets de carton décorés de coquillages [...] , des boules où tourbillonnait la neige autour d'un phare » (M. Rouanet). Marchand de souvenirs. Souvenirs de Paris.
⊗ CONTR. Oubli.
● souvenir verbe impersonnel (latin subvenire) Littéraire. Il me souvient, telle personne, telle chose me revient à l'esprit : Il me souvient d'un fait troublant. ● souvenir (expressions) verbe impersonnel (latin subvenire) Littéraire. Il me souvient, telle personne, telle chose me revient à l'esprit : Il me souvient d'un fait troublant. ● souvenir nom masculin (de souvenir) Survivance, dans la mémoire, d'une sensation, d'une impression, d'une idée, d'un événement passés : Un souvenir agréable. Faculté de se rappeler : Se rappeler au souvenir de quelqu'un. Objet qui rappelle la mémoire de quelqu'un ou d'un événement : Acceptez ce bijou comme souvenir. Petit objet vendu aux touristes sur les lieux particulièrement visités : Un souvenir du Mont-Saint-Michel. En apposition, indique que l'objet rappelle la mémoire de quelqu'un, d'un événement : Photo-souvenir. ● souvenir (citations) nom masculin (de souvenir) Marcel Achard Sainte-Foy-lès-Lyon 1899-Paris 1974 Académie française, 1959 On se donne des souvenirs quand on se quitte. Jean de la Lune, III, Clotaire Gallimard Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Les grands hommes sont plus grands que nature dans le souvenir. Ce que nous voyons en eux, c'est à la fois le meilleur d'eux et le meilleur de nous. Préliminaires à la mythologie Flammarion Henri Alban Fournier, dit Alain-Fournier La Chapelle-d'Angillon, Cher, 1886-bois de Saint-Rémy, Hauts de Meuse, 1914 Ce qui me plaît en vous, ce sont mes souvenirs. Le Grand Meaulnes Émile-Paul Guillaume Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire Rome 1880-Paris 1918 Passons passons puisque tout passe Je me retournerai souvent Les souvenirs sont cors de chasse Dont meurt le bruit parmi le vent. Alcools, Cors de chasse Gallimard Théodore Agrippa d'Aubigné près de Pons, Saintonge, 1552-Genève 1630 Combien des maux passés douce est la souvenance. Stances Claude Aveline Paris 1901-Paris 1992 Fais que chaque heure de ta vie soit belle. Le moindre geste est un souvenir futur. Avec toi-même, etc. Mercure de France Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans. Les Fleurs du Mal, Spleen Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes, L'univers est égal à son vaste appétit. Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ! Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! Les Fleurs du Mal, le Voyage Gérard Bauër Le Vésinet 1888-Paris 1967 Nous avons les souvenirs que nous méritons. Chroniques, I Gallimard François René, vicomte de Chateaubriand Saint-Malo 1768-Paris 1848 J'ai souvent mené en main, avec une bride d'or, de vieilles rosses de souvenirs qui ne pouvaient se tenir debout, et que je prenais pour de jeunes et fringantes espérances. Mémoires d'outre-tombe Marceline Desbordes-Valmore Douai 1786-Paris 1859 J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ; Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes Que les nœuds trop serrés n'ont pu les contenir […] Respires-en sur moi l'odorant souvenir. Poésies posthumes Gustave Flaubert Rouen 1821-Croisset, près de Rouen, 1880 Académie française, 1880 Le souvenir est l'espérance renversée. On regarde le fond du puits comme on a regardé le sommet de la tour. Carnets Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 Ô souvenirs ! printemps ! aurore ! Les Contemplations, Aux arbres, IV, 9 Alphonse Karr Paris 1808-Saint-Raphaël 1890 On n'invente qu'avec le souvenir. Les Guêpes Alphonse de Prât de Lamartine Mâcon 1790-Paris 1869 Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure ! Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir ! Premières Méditations poétiques, le Lac Valery Larbaud Vichy 1881-Vichy 1957 J'ai des souvenirs de villes comme on a des souvenirs d'amours. A. O. Barnabooth, les Poésies de A. O. Barnabooth Gallimard Pierre Dumarchais, dit Pierre Mac Orlan Péronne 1882-Saint-Cyr-sur-Morin 1970 Depuis que j'écris, je compose mes souvenirs. La Petite Cloche de Sorbonne Gallimard Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval Paris 1808-Paris 1855 Un souvenir, mon ami. Nous ne vivons qu'en avant ou en arrière. Fragments, Un souvenir Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Certains souvenirs sont comme des amis communs, ils savent faire des réconciliations […]. À la recherche du temps perdu, le Côté de Guermantes Gallimard Georges Schéhadé Alexandrie 1907-Paris 1989 Méfie-toi des souvenirs comme d'une montre arrêtée. Monsieur Bob'le Gallimard Jules Supervielle Montevideo, Uruguay, 1884-Paris 1960 Les souvenirs sont du vent, ils inventent les nuages. Le Corps tragique Gallimard Paul Verlaine Metz 1844-Paris 1896 Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne Faisait voler la grive à travers l'air atone […]. Poèmes saturniens, Nevermore Messein Virgile, en latin Publius Vergilius Maro Andes, aujourd'hui Pietole, près de Mantoue, 70 avant J.-C.-Brindes 19 avant J.-C. Peut-être un jour même ces souvenirs auront pour nous des charmes. Forsan et haec olim meminisse juvabit. L'Énéide, I, 203 George Gordon, lord Byron Londres 1788-Missolonghi 1824 Le souvenir du bonheur n'est plus du bonheur ; le souvenir de la douleur est de la douleur encore. Joy's recollection is no longer joy, While sorrow's memory is a sorrow still. Marino Faliero, II, 1 ● souvenir (expressions) nom masculin (de souvenir) Au bon souvenir de quelqu'un, formule de politesse par laquelle on prie son interlocuteur de transmettre à quelqu'un l'expression de sa sympathie. ● souvenir (synonymes) nom masculin (de souvenir) Survivance, dans la mémoire, d'une sensation, d'une impression, d'une idée...
Synonymes :
- évocation
- pensée
- rappel
- réminiscence (littéraire)
- ressouvenance (littéraire)
- ressouvenir (littéraire)
- souvenance (littéraire)
Faculté de se rappeler
Synonymes :
- mémoire
Objet qui rappelle la mémoire de quelqu'un ou d'un événement
Synonymes :
- relique
- témoin
souvenir (se)
v. Pron.
d1./d Avoir de nouveau à l'esprit (qqch appartenant au passé). Se souvenir de son enfance. Se souvenir qu'on a un rendez-vous.
d2./d Garder à la mémoire (avec rancune ou avec reconnaissance). Je m'en souviendrai!
d3./d (Employé avec l'impératif.) Ne pas perdre de vue. Souvenez-vous de mon affaire.
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souvenir
n. m.
d1./d Mémoire. Cela s'était effacé de son souvenir.
d2./d Fait de se souvenir. Conserver, perdre le souvenir de qqch.
d3./d Image, idée, représentation que la mémoire conserve. évoquer de vieux souvenirs communs.
|| (Plur.) Livre de souvenirs. écrire ses souvenirs.
d4./d (Dans les formules de politesse.) Mon meilleur, mon affectueux souvenir à vos parents.
d5./d En souvenir de: pour conserver le souvenir de. J'ai gardé cela en souvenir de lui.
— Absol. Il me l'a donné en souvenir.
d6./d (Objets concrets.) Ce qui rappelle la mémoire (de qqn, de qqch). Cette photo est un souvenir de lui.
|| Spécial. Bibelot vendu aux touristes comme souvenir. Marchand de souvenirs.
I.
I. — Empl. impers., vieilli ou littér. Il me/te/vous souvient de/que. Rester en mémoire; revenir à la mémoire, à l'esprit.
A. — [Le compl. d'obj. est un subst.] — Te souvient-il de notre extase ancienne? — Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne? (VERLAINE, Œuvres poét. compl., Fêtes gal., Paris, Gallimard, 1962 [1869], p. 121). Te souvient-il de l'aubade que les gondoliers te donnèrent l'an passé sous les fenêtres de ta belle? (MILOSZ, Amour. init., 1910, p. 207).
B. — [Le compl. d'obj. est une complét. introd. par que] Honoré fut saisi d'anxiété, il lui souvenait que les soupçons du facteur s'étaient portés d'abord sur Tintin Maloret (AYMÉ, Jument, 1933, p. 135):
• 1. Faire entendre que l'art classique est un art qui s'oriente vers l'idéal du jeu, tant il est conscient de soi-même, et tant il préserve à la fois la rigueur et la liberté, c'est sans doute choquer; mais ce n'est, je l'espère, que choquer un instant, le temps même qu'il vous souvienne que la perfection chez les hommes ne consiste et ne peut consister qu'à remplir exactement une certaine attente que nous nous sommes définie.
VALÉRY, Variété IV, 1938, p. 46.
C. — 1. [Le compl. d'obj. est un pron.; souvent en incise] Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure (APOLL., Alcools, 1913, p. 45):
• 2. ... Corinne se leva: elle portait une cravate rouge et un gilet broché. Il m'en souvient encore: elle était assise auprès de Madame Paturot. Sans s'inquiéter de l'auditoire choisi qui l'entourait, elle tira un briquet de sa poche, une pipe d'écume de mer et une bourse à tabac.
REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 210.
2. En partic.
a) [Avec une valeur affective; exprime l'amertume, le ressentiment] Je ne vous dis rien de la Nouvelle Atala. Je l'ai avalée, il m'en souviendra! J'en ai eu le choléra-morbus pendant trois jours (SAND, Corresp., t. 1, 1831, p. 172).
b) [À titre de précaution oratoire] L'usage des représentations gratis ne remonte pas très-haut: la première (autant qu'il m'en souvient) se donna en 1660, à l'occasion de la paix des Pyrénées (JOUY, Hermite, t. 4, 1813, p. 327). Pour autant qu'il m'en souvienne le récit de Pascuali tendait à prouver que les maléfices de Monsignore et de son fils avaient perverti à jamais l'âme de la population du faubourg (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 153).
D. — [Le compl. d'obj. est un inf. passé] Ai-je aimé, ai-je haï? Il me souvient d'avoir ri et pleuré; jamais, cependant, je n'ai senti palpiter sous ma main le cœur meurtri ou joyeux de la réalité. Je n'ai vécu, en quelque sorte, que pour avoir à quoi survivre (MILOSZ, Amour. init., p. 8). Rien de plus pauvre que cette âme qui a perdu son corps. (...) Elle a tout dépouillé: pouvoir, vouloir, savoir, peut-être? Je ne sais même pas s'il lui peut souvenir d'avoir été, dans le temps et quelque part, la forme et l'acte de son corps? (VALÉRY, Variété [I], 1924, p. 197).
E. — Empl. subst. de la formule. Alors commença entre nous la série de ces vous-souvient-il qui font renaître toute une vie (CHATEAUBR., Mém., t. 2, 1848, p. 462).
II. — Empl. pronom.
A. — Qqn/qqc. se souvient de qqc./qqn/que. Avoir, garder, se remettre en mémoire. Synon. se rappeler (v. ce mot III), se ressouvenir. Se souvenir trèsort bien; se souvenir clairement, exactement, parfaitement; se souvenir confusément; se souvenir avec précision; se souvenir sans effort, sans peine; se souvenir avec bonheur , gratitude; se souvenir avec angoisse, avec déplaisir, avec honte, avec mélancolie de qqc./qqn.
1. [Le compl. prép. est un subst.]
a) Se souvenir de qqc. Se souvenir d'une époque, d'une étape, d'un pays; se souvenir d'un déjeuner, d'un incident, d'une promenade; se souvenir d'une angoisse, d'une colère, d'une émotion, d'une impression; se souvenir d'un regard; se souvenir d'une date, d'une histoire, d'un jeu; se souvenir d'une lettre, d'un mot, d'une phrase, d'un passage; se souvenir d'une décision, d'une promesse.
) Avoir présent à l'esprit, avoir en mémoire quelque chose; avoir gardé le souvenir de quelque chose. Anton. oublier. Madame... Madame... Bon... je ne me souviens plus du nom de la propriétaire de ce château. — Beauchamp, fit le maire. Mme Beauchamp (BERNANOS, Crime, 1935, p. 766).
— [Le compl. prép. désigne une époque ou un fait du passé] Je me souviens de cette aventure comme si elle était d'hier (MIRBEAU, Journal femme ch., 1900, p. 14). Oh! Je voudrais tant que tu te souviennes des jours heureux où nous étions amis. En ce temps-là la vie était plus belle et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui Les feuilles mortes se ramassent à la pelle... Tu vois je n'ai pas oublié Les feuilles mortes se ramassent à la pelle les souvenirs et les regrets aussi (PRÉVERT, Soleil de nuit, Les Feuilles mortes, Paris, Gallimard, 1980 [1947], p. 58). V. oublieux1 ex. 1.
♦ [Constr. avec un compl. d'obj. dir. p. anal. avec se rappeler qqc.] Hector Martin, dont on se souvient la course magnifique de 1925 (...) mérite amplement sa qualification (La Pédale, 7 sept. 1927, p. 16, col. 2).
♦ [Le compl. prép. désigne une œuvre littér.] Te rappelles-tu quand nous lisions Hernani tous les deux?... Je répondis:Et si vos échafauds sont petits, changez-les!... — Comment!... fit l'abbé Duplessis étonné — tu te souviens de ça!... Tu l'as relu?... Non... je ne crois pas (GYP, Souv. pte fille, 1928, p. 138). Relu David Copperfield (dont, du reste, je me souvenais à merveille), mais qui n'est pas le roman de Dickens que je préfère (GIDE, Journal, 1943, p. 256).
— P. métaph. L'air immobile, le courant alangui se souviennent de la chaleur du jour. Chaque reflet d'astre allume sur l'eau calme une perle oblongue et nacrée (GENEVOIX, Routes avent., 1958, p. 220). P. plaisant. Un brave homme berçait sur ses genoux quelques poissons de rivière (...) qui se souvenaient trop de leurs vases natales (COLETTE, Pays. et portr., 1954, p. 187).
) Se remettre en mémoire; faire ressurgir, retrouver le souvenir de quelque chose. Synon. se remémorer.
— [Le compl. prép. désigne une époque, un moment, un fait du passé] Bernard tout à coup se souvint de leur conversation de la veille, et en particulier de certains mots d'Olivier, qu'il avait à peine écoutés mais qu'il réentendait à présent d'une manière distincte (GIDE, Faux-monn., 1925, p. 1180):
• 3. Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure...
VERLAINE, Poèmes saturn., 1866, p. 73.
♦ Se souvenir du bon temps. Moi qui suis l'homme des songeries, avec quelle reconnaissance je me souviens du bon temps où j'allais passer aux Andelys les vacances de Pâques (FLAUB., Corresp., 1861, p. 426).
) Évoquer ce que l'on avait gardé en mémoire. Djala, accroupie près du mur, se souvint des chants d'amour de l'Inde: « Chrysis... » Elle chantait d'une voix monotone. Chrysis, tes cheveux sont comme un essaim d'abeilles suspendu le long d'un arbre (, Aphrodite, 1896, p. 21).
b) Se souvenir de qqn. On était sept comme à présent, dont le grand Chamoson, vous vous souvenez de lui? Non, vous ne pouvez pas vous souvenir de lui, vous êtes trop jeunes (RAMUZ, Gde peur mont., 1926, p. 68). Gisors, roulant toujours sa cigarette entre ses genoux, la bouche entrouverte, s'efforçait de se souvenir de l'adolescent d'alors. Comment le séparer, l'isoler de celui qu'il était devenu? (MALRAUX, Cond. hum., 1933, p. 226).
— Synon. de penser à (v. penser1 IV A 2 a). Allez donc sans moi, camarades bien-aimés, et souvenez-vous quelquefois de votre pauvre frère Michel, qui se souviendra toujours de vous (NODIER, Fée Miettes, 1831, p. 95). Je me sens plus oublié que jamais. (...) Je suis entre deux villes, l'une m'ignore, l'autre ne me connaît plus. Qui se souvient de moi? Peut-être une lourde jeune femme, à Londres... et encore, est-ce bien à moi qu'elle pense? (SARTRE, Nausée, 1938, p. 212).
c) [Avec attribut du compl. prép.] Se souvenir de qqc. comme. Je me souviens d'octobre et novembre 1943 comme des mois les plus sombres, pour la situation morale, de notre séjour polonais (AMBIÈRE, Gdes vac., 1946, p. 314). De cette nuit, je me souviens comme d'un cauchemar (SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 181).
2. a) [Suivi d'une complét. introd. par que] Je n'oublierai jamais dans quelle circonstance vous m'êtes venu en aide et (...) je me souviendrai toujours que je vous dois la vie ou à peu près (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 553). V. mémoire1 I A ex. de Barante:
• 4. Te souviens-tu, disait un capitaine au vétéran qui mendiait son pain,
Te souviens-tu qu'autrefois dans la plaine
Tu détournas un sabre de mon sein?
(...)
Je m'en souviens, car je te dois la vie; mais toi, soldat, dis-moi,
T'en souviens-tu?
ADAM, Enf. Aust., 1902, p. 256.
Je crois me souvenir que. Il entre dans mes plans (...) de recevoir beaucoup de monde, et je crois me souvenir que vous aimez une vie douce et tranquille (BALZAC, E. Grandet, 1834, p. 240). Le bruit courut qu'un festin avait eu lieu de nuit chez l'un d'eux (...). Renvoi à leur famille de trois nouveaux dont je crois me souvenir que deux furent repris dans un autre séminaire (BILLY, Introïbo, 1939, p. 32).
♦ [À la forme nég.; pour exprimer une certitude] Je ne me souviens pas que... jamais. Mon père avait, lui aussi, ce même rire, et parfois Mlle Shackleton et lui entraient dans des accès d'enfantine gaîté, auxquels je ne me souviens pas que s'associât jamais ma mère (GIDE, Si le grain, 1924, p. 365).
b) En partic. Prendre subitement conscience d'un fait connu mais provisoirement occulté. Tout en pensant à ses folies et à son malheur, il regardait les lieux de façon à ne jamais les oublier. Il se souvint alors seulement qu'il n'avait point entendu le marquis dire au laquais le nom de la rue (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 375). — « Qu'est-ce que tu fais donc, toute la journée? » demanda-t-elle. — « Moi? rien. Je me terre, pour ne pas voir ces gens qui viennent. » Alors elle se souvint que M. Thibault était mort, et pensa au deuil de Jacques (MARTIN DU G., Thib., Mort père, 1929, p. 1316).
En incise. Ximénès boitant toujours (Puig se souvint que ses hommes l'appelaient le vieux canard) marchait de nouveau vers l'hôtel, seul parmi les balles au milieu du square immense (MALRAUX, Espoir, 1937, p. 456).
♦ S'aller souvenir que (vx). Même sens. J'étais gai ce matin, dans mon lit, en me réveillant. Je me suis allé souvenir que c'était dimanche (STENDHAL, Journal, 1806, p. 269).
c) [La complét. désigne une prescription pour l'avenir] Guérin m'écrit qu'on commence à songer à la réimpression. Voudrez-vous vous souvenir que la dédicace doit être en deux alinéas, le premier alinéa finissant au mot poëte (HUGO, Corresp., 1864, p. 471).
3. [Suivi d'une prop. interr. indir.]
♦ Se souvenir combien. Je me souviens combien me frappait naguère le mot profond que me disait à son sujet [au sujet de Tolstoï] Berenson (DU BOS, Journal, 1924, p. 59).
♦ Se souvenir comme. Je voudrais apporter ici chaque matin nos œufs, notre crème et notre lait fumant. Tu te souviens, Stamply, comme madame la marquise l'aimait, notre crème! (SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p. 13). La lagune est claire, on est au printemps. Je me souviens comme l'eau du lac de Côme tremblait en avril, les petites vagues respiraient (JOUVE, Paulina, 1925, p. 168).
♦ Se souvenir comment. Il la rencontrait souvent rue de Belleville. Il ne se souvenait plus très bien comment ils avaient fait connaissance (DABIT, Hôtel Nord, 1929, p. 79).
♦ Se souvenir si. Lorsque l'ange lui dit: « Viens », il se leva docilement et le suivit (...). Il chercha plus tard à se souvenir si l'ange l'avait pris par la main; mais en réalité ils ne se touchèrent point et même gardaient entre eux un peu de distance (GIDE, Faux-monn., 1925, p. 1208). Je ne me souviens pas si je lui parlai le premier, dit le grand initié, ou si ce fut lui qui m'interrogea; mais j'ai la mémoire toute fraîche, comme si je l'écoutais encore (FULCANELLI, Demeures philosophales, t. 1, 1929, p. 114).
4. [Suivi d'une expr. adv. superl.] Je vais à présent parler de ce que j'ai vu. Le plus loin dont je me souvienne, c'est qu'étant à Angers, ma mère nous mena, ma sœur et moi, à la promenade (RESTIF DE LA BRET., M. Nicolas, 1796, p. 105). Ah! que la Vie est quotidienne... Et, du plus vrai qu'on se souvienne, Comme on fut piètre et sans génie (LAFORGUE, Poés., 1887, p. 134).
5. [Suivi d'un pron.] Un beau jour, je m'en souviendrai toute ma vie, Charlot et Henriette s'en allèrent pour ne plus revenir (JANIN, Âne mort, 1829, p. 96). Ce que furent les dix jours de remontée de ce fleuve, je m'en souviendrai longtemps (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 204).
6. [Suivi d'un inf.]
a) Se souvenir de + inf. passé. Je me souviens (...) d'avoir été témoin d'un fait fort étonnant et difficile à croire: mais je l'ai vu, voici l'histoire (FLORIAN, Fables, 1792, p. 61). Si la crainte seule de mal prier peut empêcher de prier, que penser de ceux qui ne savent pas prier, qui se souviennent à peine d'avoir prié, qui ne croient pas même à l'efficacité de la prière? (J. DE MAISTRE, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 436).
♦ [À la forme nég.; pour exprimer une certitude] Madame Vigneron:— Asseyez-vous, madame, et dites-moi d'abord comment vous allez. Madame de Saint-Genis:— Bien. Tout à fait bien. Je ne me souviens pas de m'être mieux portée (BECQUE, Corbeaux, 1882, I, 4 , p. 72).
Ne pas se souvenir d'avoir (jamais) vu. Quoiqu'il fût grand apôtre de charité, et que ses parents lui eussent laissé un beau revenu, je ne me souviens pas de l'avoir vu donner un sou à un pauvre (ABOUT, Roi mont., 1857, p. 14). Il regardait avec une surprise grandissante les deux yeux fixés sur lui, où brillaient les dernières larmes (...). Le juge ne se souvenait pas d'en avoir jamais vu de pareils, ni qui l'eussent ému si profondément (BERNANOS, Crime, 1935, p. 807).
— Se souvenir + inf. passé. [P. anal. avec se rappeler + inf. passé] Quand, la salle une fois vidée, le gardien fut venu l'inviter à sortir à son tour, il se souvient avoir marché devant lui très vite et très loin (BOURGET, Disciple, 1889, p. 238). Adressant (...) une homélie à des étudiants, je me souviens avoir emprunté mon texte au prophète Isaïe, XXVI, I 8 (MARROU, Connaiss. hist., 1954, p. 14).
b) Se souvenir de + inf. prés. Je me souvenais bien d'avoir quelque chose à te dire mais ne me souvenais plus de quoi (GIDE, Corresp. [avec Valéry], 1896, p. 280).
B. — Absol. L'absence unit et désunit, elle rapproche aussi bien qu'elle divise, elle fait se souvenir, elle fait oublier (FROMENTIN, Dominique, 1863, p. 16):
• 5. Il y a une différence entre « se souvenir » et « ne pas oublier »; le souvenir n'est pas l'exact opposé de l'oubli. Il en résulte qu'on peut ne pas avoir oublié et pourtant ne pas se souvenir: c'est resté enfoui quelque part. Mais aussi l'inverse est vrai: on peut avoir oublié et pourtant se souvenir. C'est cette deuxième possibilité que le rituel actualise. On se souvient de quelque chose qui en fait a été oublié.
H. ATLAN, Mém. et hist., Colloque des intellectuels juifs, 1986, p. 29.
♦ Se souvenir à haute voix. Évoquer ses souvenirs au fur et à mesure qu'ils ressurgissent, les énoncer à haute voix. Durant toute la soirée, le marquis parla, parla. Il goûtait cette consolation, la seule possible dans certaines crises, de se souvenir à haute voix (BOURGET, Disciple, 1889, p. 231).
♦ [Dans un dialogue] Il demanda: Comment t'appelles-tu? — Georges. — C'est vrai. Je me souviens. Christophe-Olivier-Georges (ROLLAND, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1496). Alain, rappelle-toi: quand nous étions petits, nous nous amusions déjà à nous faire peur en ouvrant ce tiroir, tu te souviens? (Alain fait signe que non.) Non? voyons, c'est impossible que tu aies oublié! (MAURIAC, Mal Aimés, 1945, II, 8, p. 209).
— P. métaph. Le Rhin est un fleuve qui se souvient. Pour ses riverains il y a un passé qui ne saurait mourir tout à fait, qui devient légendaire et poétique (BARRÈS, Génie Rhin, 1921, p. 23).
C. — En partic. [Pour préciser, démontrer, argumenter]
1. [Dans un dialogue] Voici le plus beau: Rose apprend la maladie de Nana (...). Tu te souviens comment elles se détestaient; deux vraies furies! eh bien, ma chère, Rose a fait transporter Nana au Grand-Hôtel, pour qu'elle mourût au moins dans un endroit chic (ZOLA, Nana, 1880, p. 1472). De nouveau je cède à la rage. Elle me ramène au point où je m'étais interrompu: il faut remonter à la source de cette fureur, me rappeler cette nuit fatale... Mais d'abord, souviens-toi de notre première rencontre. J'étais à Luchon, avec ma mère, en août 83 (MAURIAC, Nœud vip., 1932, p. 41).
2. [Dans le cours d'un récit, d'un exposé] Le lecteur se souvient peut-être de l'amour que Fabrice portait à un marronnier planté par sa mère vingt-trois ans auparavant (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 161). Que nos lecteurs veuillent se souvenir de ce que nous disions, dans notre précédent entretien, à propos de la création organique et des animaux vertébrés (VIOLLET-LE-DUC, Archit., 1863, p. 458).
♦ [Avec suj. indéterm.] On se souvient que Cosette était utile aux Thénardier de deux manières, ils se faisaient payer par la mère et ils se faisaient servir par l'enfant (HUGO, Misér., t. 1, 1862, p. 453). Quand on se souvient que, sous l'équateur, se tromper de 4 minutes de temps dans la longitude entraîne un écart de 111 kilomètres, on se doute du niveau auquel devaient atteindre les erreurs de navigation (P. ROUSSEAU, Hist. transp., 1961, p. 142).
En incise. Il craignait que le comte et les siens ne se fussent mis à la fenêtre pour assister à son agonie. Mais, on s'en souvient, le comte et Baccarat avaient détourné la tête (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 3, 1859, p. 482).
♦ [À l'inf., en guise d'injonction] Se souvenir que: par temps froid, il y a intérêt à faire tourner le moteur à la manivelle (...) pendant quelque temps, cette opération se nomme « dégommage du moteur » (CHAPELAIN, Techn. automob., 1956, p. 324).
— [En incise, à titre de précaution oratoire] Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient (RIMBAUD, Saison enfer, 1873, p. 211). Mon premier contact avec Zarathoustra, dans la traduction il est vrai, eut lieu si je me souviens bien en janvier 1900 (DU BOS, Journal, 1924, p. 13).
— [À la forme interr., à titre d'argument] Au fond, j'aime mieux cent absurdités atroces qu'un seul pendu. Qui se souvient d'une absurdité deux ans après le numéro du journal officiel? (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 119). Troisième constatation: Molière à part, les plus grands succès de comédie ne correspondent pas forcément à la plus grande célébrité posthume de l'auteur. Qui se souvient aujourd'hui de Dancourt et surtout d'Hauteroche? (Arts et litt., 1935, p. 76-11).
1. [Le suj. désigne une pers.] Faire revenir à l'esprit, remettre en mémoire par ses propos. Synon. rappeler (v. ce mot I C 1 a). Il venait, après une étape fabuleuse, de retrouver l'atmosphère déconcertante de Paul et d'Élisabeth. Élisabeth l'avait réveillé, l'avait fait se souvenir que la faiblesse de son frère se compliquait de caprices cruels (COCTEAU, Enfants, 1929, p. 33).
— [L'obj. de l'action désigne une action à faire dans l'avenir] Faire souvenir à qqn de + inf. Synon. Faire penser à. Je ne vous ai pas dit que tous les jours à cinq heures et demie, il faut vous habiller. Julien le regardait sans comprendre. — Je veux dire mettre des bas. Arsène vous en fera souvenir (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 242).
2. [Le suj. désigne une chose ou une pers.] Faire (re)venir à l'esprit par une association mentale. Synon. rappeler (v. ce mot I C 2).
a) [Le suj. et l'obj. de l'action sont liés dans l'expérience du locuteur] Remettre en mémoire. J'oubliais tout près de vous... Un homme vint, et me fit souvenir de tout... Il vous offrit un rang, un nom dans le monde... Et me rappela, à moi, que je n'avais ni rang ni nom à offrir à celle à qui j'aurais offert mon sang (DUMAS père, Antony, 1831, II, 5, p. 186). Face à face Au fumet des ragoûts, ce soir, nous prendrons place; Et le cidre, le vin, le lard, les venaisons Nous feront souvenir des anciennes chansons (BRIZEUX, Marie, 1840, p. 58).
b) [Le suj. et l'obj. de l'action sont liés par une anal.] Suggérer, faire penser à. Petit, trapu, mal bâti et laid de visage, il joint à ces désavantages celui d'avoir une voix rauque et gutturale qui me faisait souvenir parfois des cris horribles que font les cochers anglais pour exciter leurs chevaux (DELÉCLUZE, Journal, 1828, p. 490). Ces hautes montagnes lointaines, nues et arides, dominant sur de riches plaines, les encadrent d'une manière sévère et font souvenir de la charpente colossale dont la main divine soutient ces paysages riants (MICHELET, Journal, 1830, p. 68).
E. — P. méton. Manifester qu'on n'a pas oublié.
1. [Se souvenir dans une intention partic.] Qqn se souvient de qqc./qqn.
a) Se souvenir d'un rôle. Être capable de réciter les répliques d'un personnage de théâtre, de refaire les gestes de son rôle. Il avait devant lui le même « trou » que le comédien qui ne se souvient plus de son rôle (MONTHERL., Bestiaires, 1926, p. 535).
b) Se souvenir d'une thèse, d'une théorie. Retenir, prendre en compte une thèse, une théorie; la faire sienne. C'est (...) la fragilité de ce raisonnement qui explique comment la pensée de Rousseau s'est finalement dissociée en deux courants et comment, de ceux qui l'ont lu, les uns se sont surtout souvenus de l'affirmation relative à la liberté et aux droits individuels, alors que les autres ont surtout retenu la toute puissance de l'État (VEDEL, Dr. constit., 1949, p. 23).
c) Se souvenir d'une étape antérieure de sa vie. Retrouver les sentiments, le comportement de celui que l'on a été. Mademoiselle de Quinconas fut sur le point de s'allonger sur le sol pour mettre l'œil à la chatière. M. l'abbé Puce ne le souffrit pas. « — Permettez, mademoiselle! » dit-il; « permettez!... » Voilà M. le curé à quatre pattes, fermant un œil, ouvrant l'autre, se souvenant d'avoir été gamin (BOYLESVE, Leçon d'amour, 1902, p. 234):
• 6. La porte se referma et notre intimité sembla soudain meilleure, la chaleur plus douce (...). Rares instants où l'on se souvient d'avoir été un homme, d'avoir été un maître, le plus puissant de tous: son maître. Un feu qui flambe, une table, une lampe, voici le passé qui revient...
DORGELÈS, Croix de bois, 1919, p. 242.
d) Se souvenir de son Créateur. Savoir que l'on a un Créateur, obéir à ses prescriptions. Les hommes de guerre combattent et meurent sans presque se souvenir de Dieu (VIGNY, Serv. et grand. milit., 1835, p. 215). Il faut se souvenir de son créateur dès la jeunesse et ne pas attendre, pour le faire, les jours mauvais, avant que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné (Théol. cath. t. 4, 1 1920, p. 1011).
e) Se souvenir d'un fait du passé. Tenir compte d'un fait du passé, en tirer les conséquences. Et Votre Majesté croit pouvoir compter sur les soixante mille Autrichiens, Prussiens et Espagnols qui marchent dans l'armée? (...) Votre Majesté ne craint pas qu'ils ne se souviennent de Wagram, d'Iéna et de Saragosse! (DUMAS père, Napoléon, 1831, III, 5e tabl., 1, p. 52).
♦ [Pour exprimer une menace] Je m'en souviendrai! Manuel: Oh! tu peux faire le malin: tu seras peut-être bien content, un jour ou l'autre, de venir me chercher, toi! Jimmy: Oui, oh! bien pour ce qu'on te trouve quand on vient te chercher... Manuel: Bon! très bien! Je me souviendrai de ça! (BOURDET, Sexe faible, 1931, I, p. 252).
f) Se souvenir de sa condition. Se comporter avec la dignité attachée à sa condition, avec le respect dû à celle de son interlocuteur. Luisa! (...) Souviens-toi que tu es la fille de Strozzi! (DUMAS père, Lorenzino, 1842, IV, 3, p. 264):
• 7. JIMMY: — C'est une vieille chipie: elle a toujours quelque chose de désagréable à vous dire! ISABELLE: — Avec ça que vous êtes tellement gentils pour elle, toi et tes frères! (...) Vous pourriez bien vous souvenir que c'est votre belle-mère, après tout!
BOURDET, Sexe faible, 1931, p. 260.
♦ [P. allus. à Eccl., III, 20] Ô homme! disoit le prêtre, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière (CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 318).
2. [Le souvenir s'exprime dans une réalisation concr.]
a) Qqn se souvient de qqn/qqc. Reproduire dans une œuvre, dans un objet des traits empruntés à un autre créateur, à un autre objet. Charmante aussi la partition de Javotte (Lyon, 1896), où le compositeur s'est souvenu de Delibes (DUMESNIL, Hist. théâtre lyr., 1953, p. 154). Froment-Meurice a créé le berceau du prince impérial, fils de Napoléon III (...); il s'était souvenu du berceau de vermeil et de nacre ayant appartenu au roi de Rome (GRANDJEAN, Orfèvr. XIXe s., 1962, p. 55).
b) Qqc. se souvient de qqc./qqn. Reproduire des traits empruntés à une autre œuvre ou à l'auteur ou au créateur de celle-ci. Mon grand-père et ma mère avaient dû garder le souvenir de ce genre de chalets; certains détails, à Valbois, dans les choses construites par eux, se souviennent de ces maisons savoisiennes, comme aussi des chalets suisses (LARBAUD, Journal, 1931, p. 244). Le roman de la classe riche a été tenté sans indulgence par Paul Hervieu, dans Peints par eux-mêmes, roman par lettres qui se souvient de Laclos (THIBAUDET, Hist. litt. fr., 1936, p. 438).
REM. Souvenant, -ante, part. prés. en empl. adj., rare. Qui garde le souvenir matériel de l'impression faite par quelque chose. De la porter [Judith], contre moi, eh bien, j'en ai les bras plus fatigués, plus souvenants que pour l'échelle, pour mon attelage (LA VARENDE, Nez-de-cuir, 1936, p. 107).
Prononc. et Orth.:[], (il se) souvient []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1100 impers. suvenir a (qqn de qqc) « avoir en mémoire quelque chose » (Roland, éd. J. Bédier, 3488: De grant dulor li poüst suvenir); ca 1140 sovenir (Voyage de Charlemagne, éd. G. Favati, 625: unc ne lur en sovint); 2. a) ca 1265 mode personnel, le sujet est un inanimé (BRUNET LATIN, Trésor, éd. F. J. Carmody, p. 30: Mais de la beatitude ne se sovient ele [la mémoire] par ymagination, mais par lui meisme); b) ca 1265 le sujet est une personne (ID., ibid., p. 321), d'abord rare, l'empl. pronom. se répand au XVIe s. B. 1. Ca 1130-40 avec valeur d'acte volontaire « évoquer, rappeler à sa mémoire » (WACE, Sainte Marguerite, éd. E. A. Francis, A, 650: Qui en jugement mis sera Et de mon non li souvenra, Par mon non li fai ensement Que mal n'ait par faus jugement); 2. a) 1176-81 impér. « graver dans sa mémoire » (CHRÉTIEN DE TROYES, Chevalier lion, éd. M. Roques, 1335: soiez por vos an cusançon, et de mon consoil vos soveigne); b) ca 1500 avec valeur de menace (COMMYNES, Mémoires, éd. J. Calmette, t. 3, p. 190: Souviengne vous de Guynegate!). C. Ca 1250 faire souvenir (qqn de qqc.) (ROBERT DE BLOIS, Œuvres, III, 122, 1292 ds T.-L.). Du lat. subvenire (de sub « sous » et venire « venir ») « survenir, se présenter à l'esprit (en parlant d'idées) » (v. OLD), ext. du sens originel « survenir, venir subrepticement », qui a donné par ailleurs le sens de « venir en aide, secourir » (v. subvenir); le passage du mode impers. au mode pers. s'est effectué aux XIIe et XIIIe s. pour la plupart des verbes qui en a. et m. fr. rendaient compte du concept de « se souvenir », s'amembrer de qqc. (ca 1165, v. K. BRADEMANN, Die Bezeichnungen für den Begriff des « Erinnerns » im Alt-und Mittelfranzösischen, p. 123), se membrer de (1160-74, ibid., p. 66), puis se remembrer de, se ramembrer de, se racorder (XIIIe s., ibid., pp. 83, 107, 134), mots qui ont disparu aux XVIe-XVIIe s. au profit de souvenir et rappeler (v. aussi K. BALDINGER, Vers une sém. mod., pp. 136-167). Bbg. BALDINGER (K.) Sém. et struct. conceptuelle. Cah. Lexicol. 1966, t. 8, pp. 3-46; Se rappeler, se souvenir. Mél. Grévisse (M.). Gembloux, 1966, pp. 21-37. — CHOCHEYRAS (J.). Il me souvient et je me souviens... In: Autour de l'impersonnel. Grenoble, 1985, pp. 35-50.
II.
⇒SOUVENIR2, subst. masc.
I. — Au sing. [Avec l'art. déf.]
A. — 1. Fait, action de se souvenir; résultat de l'action.
a) ) Absol. Le parallèle [entre Charles et Léon] recommença dans la netteté d'une sensation presque immédiate et avec cet allongement de perspective que le souvenir donne aux objets (FLAUB., Mme Bovary, t. 1, 1857, p. 117):
• 1. [Nerval] avait parlé dans son introduction des ombres qui flottent au loin dans l'espace, protégées contre le néant par la puissance du souvenir. Le souvenir qui est son essence, son besoin, son obligation, lui apparaîtra certainement aussi comme un devoir et cela même qui peut donner au rêve la force d'atteindre ce qui fut.
DURRY, Nerval, 1956, p. 36.
♦ [P. oppos. à oubli] Il y a moins d'indifférence à médire qu'à oublier. L'oubli! Comment ce mot est-il si doux! Il faut compenser l'absence par le souvenir (JOUBERT, Pensées, t. 1, 1824, p. 188). Buveurs mélancoliques, buveurs joyeux, vous tous (...) cherchez dans le vin le souvenir ou l'oubli (BAUDEL., Paradis artif., 1860, p. 324).
) [Souvenir en position de compl. déterminatif] Du/de souvenir. V. présent2 I A 2 ex. de Vogüé.
— [Le déterminé désigne une fraction de la durée] Où l'on se souvient; où il est prescrit de se souvenir. C'est la saison du souvenir qui précède celle des regrets (CARCO, Nostalgie Paris, 1941, p. 23). 1er et 2 Tichri[premier mois du calendrier juif], fête du Nouvel An, anniversaire de la Création du monde (...). Jour du Souvenir, où Dieu (...) se souvient des mérites d'Israël et quitte le trône de Justice pour celui de Miséricorde. Jour du souvenir aussi pour les humains invités (...) à faire acte de pénitence (E. GUGENHEIM, Le Judaïsme dans la vie quotidienne, 1961, p. 93).
♦ Synon. de commémoratif. Le deuil, la commémoration quotidienne, les fêtes funéraires du souvenir que provoque et nourrit sans cesse le contact des objets familiers (ARNOUX, Roy. ombres, 1954, p. 159).
— [Le déterminé désigne une chose concr.] Qui est destiné à rappeler quelque chose ou quelqu'un. Son album, c'est le livre dans lequel, selon les bienveillants usages de l'Allemagne, chacun se fait donner une marque de souvenir par ses amis (STAËL, Allemagne, t. 3, 1810, p. 94). Les menhirs sont des blocs énormes, sortes d'obélisques grossiers (...); ils paraissent représenter des pierres de souvenir, marquant une limite, l'emplacement d'une bataille, etc. (BOULE, Conf. géol., 1907, p. 209).
— [Le déterminé désigne un fait de civilisation] Qui reste inscrit dans les mémoires. Le totémisme était jadis lié à une vision mythique du monde qui se limite maintenant au champ: la culture reste un culte, mais ses deux périodes mâle et femelle, les tabous sexuels, alimentaires, les classifications correspondantes ne sont qu'objets de souvenir, tout au plus de pratiques individuelles (Philos., Relig., 1957, p. 48-5).
) Loc. adv., vieilli
♦ De souvenir. Peut-être nos tableaux feront-ils battre de souvenir quelques-uns de ces braves et nobles cœurs (VIDAL, DELMART, Caserne, 1833, p. VI). Le regard fin du recteur (...) lui faisait monter, rien que de souvenir, des chaleurs, des rougeurs subites (A. DAUDET, Jack, t. 1, 1876, p. 25).
♦ Par souvenir. Ces sommets, toujours couverts de neige (...) donnent comme une sorte de fraîcheur par souvenir au milieu de ces campagnes brûlantes (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 93). L'infection secondaire récidivante réveillera une toux qui n'est plus spécifique que par souvenir (LONDE ds Nouv. Traité Méd. fasc. 2 1928, p. 570).
b) [Avec déterm. désignant l'agent du procès] Tu peux compter que je ne quitterai pas ce canton sans te revoir encore, et te laisser quelques marques durables de mon souvenir (CRÈVECŒUR, Voyage, t. 2, 1801, p. 110). Le nom d'un philosophe est encore plus digne du souvenir des hommes que celui d'un roi ou d'un dieu de la fable (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p. 361).
— [Dans une formule de politesse (v. infra A 2)] Veuillez agréer, cher Monsieur, l'expression de mon respectueux souvenir. « Firmin Sancerre » (BILLY, Introïbo, 1939, p. 12).
c) ) [Avec déterm. désignant l'objet du procès] Il (...) était éperdument amoureux. Il trouvait un bonheur singulier quand (...) il pouvait se livrer tout entier au souvenir des journées heureuses qu'il avait passées jadis à Verrières ou à Vergy (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 471). [L'individu] vit dans le souvenir d'une fête et dans l'attente d'une autre, car la fête figure pour lui, pour sa mémoire et pour son désir, le temps des émotions intenses (Philos., Relig., 1957, p. 32-9). V. fidèle I A 1 a ex. de Béguin.
) Loc. prép.
— Au souvenir de. Lorsque l'on se souvient, en se souvenant de. Je ne me rappelais plus comment j'avais vécu avant la veille. Tout mon être s'exaltait en joie au souvenir des mots échangés pendant cette première nuit (DUMAS fils, Dame Cam., 1848, p. 129). Pleines d'amertume au souvenir des épreuves qui avaient assombri leur enfance, les générations qui grandissaient se sentaient plus enclines que d'ordinaire à prendre le contre-pied de leurs aînés (LEFEBVRE, Révol. fr., 1963, p. 609).
— En souvenir de
♦ Pour rappeler quelqu'un ou quelque chose à quelqu'un. Monsieur le colonel, acceptez ceci en souvenir d'un vieil homme auquel vous avez fait aujourd'hui beaucoup d'honneur. C'est un verre à vin d'Ismidt... Vous savez? Le vin d'Ismidt que le Prophète nous a permis (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p. 205). Dans les yeux de Gilberte il y avait le bon regard franc de son père; c'est celui qu'elle avait eu quand elle m'avait donné la bille d'agate et m'avait dit: « Gardez-la en souvenir de notre amitié » (PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p. 565).
P. ell. Ces arondes de jade, et l'or qui les emmanche Dans mes cheveux — qu'un soir ton amour délia, Je te les donne en souvenir (TOULET, Contrerimes, 1920, p. 136).
♦ En partic. Pour perpétuer le souvenir de quelque chose ou de quelqu'un. Ces vieux huguenots gardaient ainsi la tête couverte en souvenir des cultes en plein air (...) du temps que le service de Dieu selon leur foi présentait, s'il était surpris, un inconvénient capital (GIDE, Si le grain, 1924, p. 375). Au cycle de 7 ou 8 ans, appelé cycle Juglar en souvenir du premier auteur ayant étudié les crises (1857), s'ajoute le cycle de 3, 5 ans (cycle Kitchin — du nom de son inventeur) (Univers écon. et soc., 1960, p. 32-13).
♦ Parce que l'on se souvient; pour montrer que l'on se souvient de. Ma mère vous recevrait avec grand plaisir en souvenir du bon vieux temps (FLAUB., Corresp., 1871, p. 278). Oui, dit M. de Coantré, je vous serais très, très reconnaissant si vous pouviez parler de moi à quelques personnes. Faites-le en souvenir de maman, ajouta-t-il, bien convaincu que M. de Coëtquidan ne le ferait pas pour lui (MONTHERL., Célibataires, 1934, p. 776).
— Par souvenir de. Parce que l'on se souvient de, par référence à ce qui est inscrit dans la mémoire. À première vue, [l'étymologie populaire] ne se distingue guère de l'analogie. Quand un sujet parlant, oubliant l'existence de surdité, crée analogiquement le mot sourdité, le résultat est le même que si, comprenant mal surdité, il l'avait déformé par souvenir de l'adjectif sourd (SAUSS. 1916, p. 238).
2. P. méton. Manifestation de cette action. Synon. pensée (v. pensée1 III A). En ce tableau [Hommage à Manet, par Fantin-Latour] précisément est représenté le jeune peintre Bazille (...) auquel un souvenir est dû (MAUCLAIR, Maîtres impressionn., 1923, p. 160).
— [Dans une formule de politesse] Envoyer ses bons souvenirs à qqn; transmettre les souvenirs de qqn à qqn; affectueux, amical souvenir à. J'ai reçu les lettres renvoyées ici. Mes souvenirs à vos campagnons, et croyez, je vous prie, à l'inaltérable affection de votre tout dévoué (FLAUB., Corresp., 1871, p. 215). Présente mes meilleurs et respectueux souvenirs à ta mère. Je suis ton ami André G. (GIDE, Corresp. [avec Valéry], 1895, p. 247).
B. — 1. Faculté de se souvenir; fonction d'enregistrement, de conservation et de restitution du passé. Synon. mémoire1 (v. ce mot I). Pour me faire oublier ce son, cette parole, je sais bien, s'il le veut, qu'il peut me rendre folle, m'ôter le souvenir (DUMAS père, Charles VII, 1831, IV, 6, p. 217):
• 2. L'événement subsiste pour les temps à venir à condition qu'il suscite dans le témoin non pas tant un discours critique qu'un discours d'art où le souvenir et la subjectivité, la mémoire et le désir s'entrelacent. Il n'y a pas de mémoire du théâtre sans cette distorsion.
G. BANU, Mém. du théâtre, Arles, Actes Sud, 1987, p. 14.
— Loc. adv. De souvenir. Synon. vieilli de de mémoire (v. mémoire1). [Le Comte de Saxe] écrit de souvenir, un peu au hasard, et laisse galoper sa plume (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 11, 1867, p. 40). [Les figures, par Courbet] ont été faites à l'atelier et placées en des paysages exécutés de souvenir (HOURTICQ, Hist. art, Fr., 1914, p. 399).
2. a) Réceptacle des souvenirs; champ mental dans lequel s'inscrit la fonction ci-dessus. Que peut-il me rester si je survis à la guerre? De mon plus lointain passé à la minute présente, tant d'années dont je fais le compte tiennent dans mon souvenir comme un peu d'eau dans le creux de la main (BORDEAUX, Fort de Vaux, 1916, p. 112). J'aime parler d'une ville quand je l'ai déjà quittée (...), la peindre (...) telle qu'elle se reflète dans le miroir déformant du souvenir (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 52). V. mémoire1 II B 2 ex. de Ampère.
SYNT. Conserver, graver, retenir qqc. dans son souvenir; chasser qqc. de son souvenir; chercher, fouiller dans son souvenir; retrouver, revoir qqc./qqn dans son souvenir; demeurer, rester, s'inscrire, s'incruster, être idéalisé, être magnifié dans le souvenir de qqn; tenir une place dans le souvenir de qqn; rester cher au souvenir de qqn; hanter le souvenir de qqn; s'effacer du souvenir de qqn.
b) [Dans une formule de politesse] Se rappeler, se recommander/rappeler qqn au souvenir de qqn. Présenter ses hommages ou ses respects ou transmettre ceux d'un tiers à quelqu'un. Adieu, Monsieur, Mme de Gobineau se recommande au souvenir de Mme de Tocqueville et au vôtre (GOBINEAU, Corresp. [avec Tocqueville], 1855, p. 241). À propos de militaires, j'ai été bien content de l'éloge que Changarnier a fait de monsieur votre frère. Quand vous lui écrirez, voudrez-vous me rappeler à son souvenir? J'ai une grande envie de lui serrer la main (FLAUB., Corresp., 1871, p. 253).
II. — P. méton. Un/des souvenir(s).
A. — 1. a) Ce qui est inscrit dans la mémoire; ce dont on se souvient; ce qui, du passé, fortuitement ou par l'effet d'un rappel volontaire, revient à l'esprit, est reconnu par la conscience comme passé et généralement rattaché par le sujet à un moment précis du passé (d'apr. MORF. Philos. 1980). Les souvenirs sont comme les échos des passions; et les sons qu'ils répètent prennent par l'éloignement quelque chose de vague et de mélancolique qui les rend plus séduisants que l'accent des passions mêmes (CHATEAUBR., Mél. littér., 1826, pp. 38-39):
• 3. ... le subconscient, réservoir des souvenirs et des images collectionnés au cours de chaque vie, devient un simple aspect de la mémoire; en même temps qu'il affirme sa pérennité, il implique ses limitations, puisque le terme de subconscient se rapporte au fait que les souvenirs, bien que conservés, ne sont pas toujours disponibles.
LÉVI-STRAUSS, Anthropol. struct., 1958, p. 224.
[P. oppos. à pressentiment] Le mythe est l'affirmation de la pérennité, et le rêve, dans lequel pressentiment et souvenir ne font plus qu'un, le lieu où cette pérennité de l'âme se révèle (DURRY, Nerval, 1956, p. 135):
• 4. [Le grand siècle florentin] chercha en vain, entre le sens nouveau qu'il prenait de la vie et la raison vacillante qu'avait libérée en lui la mort de l'esprit médiéval, un accord qui ne s'ébaucha que chez quelques hommes pour aboutir pleinement plus tard, hors de lui-même et des lieux qui l'avaient vu lutter et se débattre entre ses souvenirs et ses pressentiments.
FAURE, Hist. art, 1914, p. 367.
♦ En appos. Cette conception de l'idée souvenir restée comme empreinte latente dans le cerveau pouvant se revivifier, me paraît difficile à soutenir (BERNHEIM, 1917 ds WARCOLLIER, Télépathie, 1921, p. 34).
— P. méton.
♦ Évocation des souvenirs. Quand nous serons ensemble, au hasard des conversations et des souvenirs, peut-être pourrai-je te dire sa beauté (ALAIN-FOURNIER, Corresp. [avec Rivière], 1907, p. 29).
♦ Ce qui fait l'objet du souvenir, le passé. Culte du souvenir. Il revoyait Lausanne, la ruelle des escaliers, la pension Cammerzinn, Sophia, les amis. Tout se confondait: présent et souvenirs, la neige de Paris et les hivers de là-bas (MARTIN DU G., Thib., Mort père, 1929, p. 1279):
• 5. ... la rêverie s'approfondit au point qu'un domaine immémorial s'ouvre pour le rêveur du foyer au delà de la plus ancienne mémoire. La maison, comme le feu, comme l'eau, nous permettra d'évoquer, dans la suite de notre ouvrage, des lueurs de rêverie qui éclairent la synthèse de l'immémorial et du souvenir. Dans cette région lointaine, mémoire et imagination ne se laissent pas dissocier.
BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 25.
b) Spécialement
) PHILOS. [Chez Bergson] Souvenir pur. ,,Représentation concrète d'un moment du passé jugé tel qu'il a été effectivement vécu, par opposition aux habitudes motrices (par exemple à la faculté de réciter un texte appris par cœur)`` (LAL. 1968):
• 6. Savoir un mot ou une langue, ce n'est pas (...) garder du mot quelque « souvenir pur », quelque perception affaiblie. L'alternative bergsonienne de la mémoire-habitude et du souvenir pur ne rend pas compte de la présence prochaine des mots que je sais: ils sont derrière moi, comme les objets derrière mon dos ou comme l'horizon de ma ville autour de ma maison, je compte avec eux ou je compte sur eux, mais je n'ai aucune « image verbale ».
MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 210.
) PSYCHOL., en compos. Souvenir-écran. ,,Souvenir infantile se caractérisant à la fois par sa netteté particulière et l'apparente insignifiance de son contenu. Son analyse conduit à des expériences infantiles marquantes et à des fantasmes inconscients. Comme le symptôme, le souvenir-écran est une formation de compromis entre des éléments refoulés et la défense`` (LAPL.-PONT. 1967). C'est dans l'actuel qu'on trouve le reflet de l'infantile et non pas dans le souvenir-écran déformé (CHOISY, Psychanal., 1950, p. 177).
c) P. anal., MÉD. La localisation des douleurs en tel ou tel point pourrait (...) s'expliquer par les reliquats ou le simple souvenir d'une atteinte rhumatismale antérieure qui servirait de point de fixation (RAVAULT, VIGNON, Rhumatol., 1956, p. 588). Bien que proches parentes, l'anaphylaxie, l'allergie et l'immunité ne sont cependant pas nécessairement liées entre elles: elles constituent trois expressions différentes du « souvenir biologique » que laisse à l'organisme la première intervention d'un antigène donné (BARIÉTY, COURY, Hist. méd., 1963, p. 731).
2. Constr. syntagm.
a) ) Souvenir(s) + adj. Je me gardais bien de l'entretenir de Marguerite, craignant toujours que ce nom ne réveillât un triste souvenir endormi sous le calme apparent du malade (DUMAS fils, Dame Cam., 1848, p. 60). À compter de ce jour une période commença qui m'a laissé un souvenir indéfinissable, un souvenir plein de douceur et de honte (DUHAMEL, Confess. min., 1920, p. 77). V. impression II A 4 a ex. de Bergson.
SYNT. Souvenir exact, fidèle; souvenir confus, embrouillé, fragmentaire, imprécis; souvenir durable, frappant, impérissable, ineffaçable, inoubliable, marquant, vivace, vivant; faible, léger, pâle, vague souvenir; souvenir agréable, attendrissant, brûlant, enivrant, heureux, passionné; beau, bon, charmant, doux, émouvant, excellent, joyeux, lumineux, tendre souvenir; souvenir affreux, atroce, cruel, cuisant, déchirant, désagréable, douloureux, écrasant, envahissant, funeste, gênant, honteux, horrible, humiliant, inexorable, nostalgique, obsédant, pénible; fâcheux, mauvais souvenir; souvenir glorieux, héroïque; souvenir prestigieux; grand souvenir; souvenir réel; souvenir imaginaire, rêvé.
♦ P. méton. Allusion à un souvenir, rappel de souvenirs. Nous avons cherché à éloigner [de cet aperçu] tout souvenir irritant ou amer (QUINET, All. et Ital., 1836, p. 129).
— [L'adj. situe dans le temps le souvenir et son objet] Souvenir lointain, passé, récent; les plus anciens souvenirs. Les plus vieux souvenirs de Bouvard le reportaient sur les bords de la Loire, dans une cour de ferme (FLAUB., Bouvard, t. 1, 1880, p. 8). Chez bien des romanciers, j'en suis sûr, c'est l'accumulation des souvenirs immémoriaux qui fait qu'ils écrivent. Ils parlent pour des centaines de morts, leurs morts; ils expriment enfin tout ce que leurs ancêtres ont gardé au fond d'eux-mêmes, par prudence ou par pudeur (GREEN, Journal, 1933, p. 137). V. penser1 ex. 23.
— [L'adj. précise le domaine concerné] Souvenirs bibliques, littéraires, mythologiques; souvenirs architecturaux, civiques, judiciaires; souvenirs mondains. Le premier souvenir politique de l'équipe remontait à mil neuf cent vingt-quatre. C'était une année qui avait commencé (...) par la disparition des symboles ou des acteurs les plus considérables des premières années de la paix: Lénine était mort en janvier, Wilson en février, Hugo Stinnes en avril (NIZAN, Conspir., 1938, p. 35):
• 7. Dans le vocabulaire musical du XXe siècle, on a désormais adopté l'expression « école de Vienne » — malgré les autres souvenirs historiques qui y sont attachés — pour signifier que l'on réunit sous la même bannière Arnold Schoenberg et ses deux disciples les plus illustres: Alban Berg et Anton Webern.
SAMUEL, Art mus. contemp., 1962, p. 203.
— [L'adj. précise la nature du souvenir] Souvenirs auditifs. La destruction du centre de la vision n'entraîne pas celle des souvenirs visuels (...). D'autre part, on peut perdre ses souvenirs visuels sans cesser de voir (WARCOLLIER, Télépathie, 1921, p. 42). Dans la démarche du traitement (...) [le psychanalyste] joue le rôle d'un écran blanc sur lequel le névrosé projettera, comme des images cinématographiques, ses propres souvenirs affectifs, ses tendances infantiles, ses passions secrètes (CHOISY, Psychanal., 1950, p. 24).
— [L'adj. précise l'état du souvenir dans la conscience du sujet] Ces souvenirs enfouis, qui jamais ne remontent à la conscience, sinon parfois dans le rêve, viennent influencer imperceptiblement le cours de notre vie diurne (BÉGUIN, Âme romant., 1939, p. 41). Outre l'amnésie qui frappe tout ce qui est rejeté dans l'inconscient, il y a une grande différence énergétique entre un souvenir refoulé et un souvenir ordinaire qui dort dans la conscience (CHOISY, Psychanal., 1950, p. 142).
— [L'adj. qualifie l'agent du procès] L'historien, en travaillant sur les documents, n'a pas à son service des souvenirs personnels; mais il se fait des images sur le modèle de ses souvenirs (LANGLOIS, SEIGNOBOS, Introd. ét. hist., 1898, p. 189). Un même phénomène peut être étudié (...) soit du dehors, soit du dedans, c'est-à-dire dans la trame des relations inter-individuelles et inter-groupales, ou dans la trame des souvenirs collectifs (Traité sociol., 1968, p. 326).
) Souvenir(s) + compl. de n.
— [Le compl. désigne l'obj. du procès] Souvenir des choses disparues. J'adore les environs de Paris, j'ai des souvenirs de fritures qui sont les meilleurs de mon existence (MAUPASS., Bel-Ami, 1885, p. 211). Des souvenirs d'offenses et d'humiliations (FREUD, Introd. psychanal., trad. par S. Jankélévitch, 1959 [1922], p. 89). V. fixation B ex. de Bachelard, immémorial A ex. de Malraux, mémoire1 I B 3 ex. de Bergson, présent1 II A 2 a ex. de Poincaré.
♦ P. métaph. On mit en vente une mignonne chasuble Louis XV (...). Quand je l'eus achetée, je m'aperçus qu'elle était (...) comme habitée encore par ces si légères et si douces senteurs d'autrefois qui semblent des souvenirs de parfums (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Lit, 1882, p. 633).
En appos. Les images sont plus nettes, ce sont encore des impressions anciennes, plus faibles en général que les récentes et, bien entendu, que les présentes. Par exemple des images souvenirs de paysages vus il y a dix ou vingt ans (WARCOLLIER, Télépathie, 1921, p. 49).
— [Le compl. désigne une période de la vie d'un individu ou de l'histoire de l'humanité] L'esprit humain (...) s'est surtout dirigé d'après les souvenirs imparfaits d'un passé très reculé (COMTE, Philos. posit., t. 4, 1893 [1839], p. 58). Les souvenirs de la jeunesse embellissent tout (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 209). Leurs communs souvenirs d'adolescence rapprochèrent tout naturellement les deux médecins (MARTIN DU G., Thib., Épil., 1940, p. 761).
♦ En partic. Souvenir(s) d'enfance/de l'enfance. V. fixation B ex. de Choisy, inséparable B 1 ex. de Bernanos, mémoire1 I A 2 b ex. de Balzac.
— [Le compl. désigne l'agent du procès à une certaine époque de sa vie] Quand elle dut s'approcher de Jacques pour lui emplir sa tasse, la cafetière se mit à trembler si fort que Jacques voulut la lui prendre des mains. La vue de ces doigts décharnés, jaunis et auxquels tant de souvenirs d'enfant restaient attachés, lui gonfla soudain le cœur (MARTIN DU G., Thib., Mort père, 1929, p. 1275).
— [Le compl. désigne l'époque à laquelle sont rattachés les souvenirs] Si je jette un coup d'œil sur mes souvenirs de cette fin de l'année 1914, j'y retrouve les impressions qui dominaient dans mon esprit à ce moment (JOFFRE, Mém., t. 1, 1931, p. 481).
— [Le compl. désigne les circonstances auxquelles sont rattachés les souvenirs] Souvenirs de collège, d'école, de lycée; souvenirs de montagne, de voyage; souvenirs de caserne; souvenirs du front. D'éternels souvenirs de guerre planent sur ces frontières entre Lorraine, Bourgogne et Champagne (VIDAL DE LA BL., Tabl. géogr. Fr., 1908, p. 212). Le prince-président sut jouer habilement des souvenirs de l'empire et se présenter comme le sauveur de l'ordre aux yeux des conservateurs, comme l'héritier des traditions de 89 aux yeux de la gauche (VEDEL, Dr. constit., 1949, p. 81).
♦ [Dans un titre de tableau] [Corot] fait ses débuts d'aquafortiste (...) en 1845 avec Souvenir de Toscane (DACIER 1944, p. 113).
— [Le compl. précise la nature des souvenirs] Souvenirs d'amour. Deux grandes voiles latines, poussées par une forte brise, semblaient courir sur les flots. Je regardais cela, émerveillé. C'était une de ces choses si douces, si rares, si délicieuses à voir qu'elles entrent en vous, inoubliables comme des souvenirs de bonheur (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Mme Parisse, 1886, p. 729):
• 8. Tout autour de la table, les langues s'étaient déliées, et tout en lampant le vin rouge ils remuaient des souvenirs d'horreur: à Saint-Roch, les Allemands avaient enfermé hommes et femmes dans l'église, et puis après avoir mis le feu, ils avaient permis aux femmes de sortir; il y en avait deux qui n'étaient pas sorties.
BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 229.
) Verbe + souvenir(s). Adoucir, rafraîchir, ranimer, raviver un/des souvenirs. Sylvie souriante se laissa embrasser cette fois plus tendrement que l'autre. Je compris que j'effaçais ainsi le souvenir d'un autre temps (NERVAL, Filles feu, Sylvie, 1854, p. 601). C'est le souvenir de cette légende que la fête perpétuait (FULCANELLI, Demeures philos., t. 2, 1929, p. 250). Le cours de ses pensées était triste. Ce séjour à Maisons remuait trop de souvenirs (MARTIN DU G., Thib., Épil., 1940, p. 864). V. décrire ex. 6.
♦ Conserver un/des souvenirs/le souvenir de. La religieuse baisait follement la main pendante de la morte (...). De l'autre côté du corps étendu, l'autre main semblait tenir encore le drap froissé (...) et le linge en avait conservé (...) comme un souvenir de ces derniers mouvements qui précèdent l'éternelle immobilité (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Veillée, 1882, p. 796). L'enfance conserve le souvenir d'un événement grave à cause d'un détail saugrenu (COCTEAU, Enfants, 1929, p. 59).
♦ Garder un/des souvenirs/le souvenir de. Seuls les pins gardent, dans leur attitude tourmentée, le souvenir des assauts qu'ils soutinrent, à d'autres époques, contre la mer démente (MAURIAC, Journal 2, 1937, p. 111). J'avais gardé de cette entrevue fugace le souvenir d'un adolescent svelte aux yeux brillants d'intelligence (L. FEBVRE, Bloch et Strasbourg, [1939-45] ds Combats, 1953, p. 392).
Garder souvenir de. Nous gardons quelquefois souvenir de ce que nous n'avons pas perçu consciemment (WARCOLLIER, Télépathie, 1921, p. 39).
♦ Laisser un/des souvenirs/le souvenir de. Mon triomphe allait être complet, et le tartare devait y figurer en vaincu. Aussi n'épargnâmes-nous rien pour que cette fête laissât des souvenirs dans la mémoire des convives (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 362). Tout à coup, je tombai amoureux, oui, positivement amoureux, d'un garçonnet un peu plus âgé que moi, qui devait me laisser un souvenir ébloui de sa sveltesse, de sa grâce et de sa volubilité (GIDE, Si le grain, 1924, p. 406).
♦ Rappeler un/des souvenirs/le souvenir de. Des inscriptions coptes rappelant le souvenir des anachorètes qui s'y étaient retirés (...), donnaient seuls, semblait-il, à cette nécropole un peu d'intérêt (Philos., Relig., 1957, p. 42-5). En choisissant le nom d'un navire de commerce, on a souvent le souci (...) de rappeler le souvenir d'une famille d'armateurs ou celui des dirigeants d'une compagnie de navigation (M. BENOIST, PETTIER, Transp. mar., 1961, p. 13).
— [L'agent du procès est une pers.] Il marchait, s'arrêtait, repartait plus vite comme quelqu'un qui, dans sa tête, recherche ou repasse des souvenirs, les confronte, les compare, calcule, et soudain pense avoir trouvé; puis de nouveau lâche le fil et recommence à chercher (ALAIN-FOURNIER, Meaulnes, 1913, p. 50). Les mains dans ses poches, tête basse, il sifflait entre ses dents, cherchant à rassembler ses souvenirs (BERNANOS, Crime, 1935, p. 747). V. localiser ex. 3, mémoire1 I A ex. de Green.
SYNT. Accumuler, amasser, commémorer, échanger des souvenirs; raconter, rapporter, repousser un/des souvenirs; emporter avec soi, perdre, retrouver le souvenir de; classer, consulter, interroger ses souvenirs; chasser ses souvenirs; mettre de l'ordre, puiser dans ses souvenirs; se débarrasser, se décharger de ses souvenirs.
[L'agent du procès est l'instrument de l'action] Ici nous nous trouvons pour la première fois en présence d'un principe qui (...) se révélera plus tard comme jouant un rôle prépondérant dans la détermination de symptômes névrotiques: il s'agit notamment du refus de la mémoire d'évoquer des souvenirs associés à des sensations pénibles (FREUD, Introd. psychanal., trad. par S. Jankélévitch, 1959 [1922], p. 87).
— En partic. Avoir (le) souvenir de. Se souvenir de.
Souvenir de + subst. Après une demi-heure d'efforts, il coula (...). Depuis ce moment jusqu'au moment où il venait de se retrouver dans les bras de ses amis, il n'avait plus souvenir de rien (VERNE, Île myst., 1874, p. 68). Mes parents se doutaient-ils que j'avais surpris leur conversation? Je ne sais; toutefois j'ai le souvenir d'une certaine gêne chez eux (LACRETELLE, Silbermann, 1922, p. 173).
Souvenir de + inf. passé. J'ai le souvenir très net d'avoir été moins chérie de mes bêtes, quand je souffrais d'une trahison amoureuse (COLETTE, Naiss. jour, 1928, p. 12). Nul ne l'ignore: les actes notariés les plus régulièrement établis fourmillent d'inexactitudes volontaires, et j'ai souvenir d'avoir naguère antidaté, par ordre, ma signature au bas d'un procès-verbal commandé par une des grandes administrations de l'État (M. BLOCH, Apol. pour hist., 1944, p. 42).
♦ [À la forme nég.; pour exprimer une certitude] Durant tout cet hiver, je n'ai pas souvenir d'avoir ouvert un livre, écrit une lettre, appris une leçon (GIDE, Si le grain, 1924, p. 436).
) Souvenir(s) + verbe. Les souvenirs vieillissent et s'effacent comme les espérances (CHATEAUBR., Mém., t. 1, 1848, p. 470). L'homme n'a pas oublié les luttes qu'avait dû soutenir l'aïeul contre les forces brutales d'un univers qui le repoussait. Ce souvenir s'inscrit dans les sculptures qui montraient, sur le fronton du Parthénon de Pisistrate, Zeus luttant contre Typhon ou Héraclès terrassant Échidna (FAURE, Hist. art, 1909, p. 81).
SYNT. Souvenirs qui se réveillent, qui affluent, qui reviennent; souvenirs qui défilent; souvenir qui demeure, qui persiste; souvenir qui traverse les siècles; souvenir qui pèse, qui traîne; souvenir qui disparaît, qui s'estompe, qui s'éteint, qui se perd; souvenir qui retrace, qui représente (un fait du passé); souvenir qui amuse, qui attendrit, qui éclaire (sur la conduite à tenir); souvenir qui accable, qui agace, qui agite, qui assaille, qui empoisonne, qui envahit, qui hante, qui obsède, qui poursuit, qui ronge, qui trouble, qui ulcère.
— En partic. Souvenir qui s'attache, se rattache, qui est associé, attaché, lié à qqc. La cour! Que de souvenirs se rattachent à ce mot! (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 223). La beauté des monuments tient pour beaucoup aux souvenirs qui leur sont associés (HOURTICQ, Hist. art, Fr., 1914, p. 387). Il ne lui restait plus beaucoup d'argent. Il se hâta de s'en délivrer, de s'en débarrasser, comme si à cet or était resté attaché, lié, le souvenir de son crime (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 184).
) [Souvenir en position de compl. déterminatif]
— [Le déterminé est un subst.] Une remontée de souvenirs; un cortège, une foule de souvenirs; la chaîne des souvenirs. Elles se comprenaient à demi-mot; un clin d'œil, une allusion évoquaient mille conversations, tout un monde de souvenirs; il avait l'impression d'être en face de complices qui disposaient d'un langage secret (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p. 137). Nous avons en nous (...) tout un stock d'images et de souvenirs que nous ne confions pas volontiers (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 20).
[Le déterminé désigne un lieu] À partir de Moutiers avec ses hauts toits et ses grands arbres, j'ai le sentiment de revenir au vrai pays de mes souvenirs (LARBAUD, Journal, 1934, p. 313).
[Le déterminé désigne une caractéristique] Le poids, le tumulte des souvenirs. Actualité et netteté merveilleuses du souvenir quand le temps l'a décanté (ARNOUX, Zulma, 1960, p. 138).
♦ PSYCHOL. Reconnaissance des souvenirs. La perception et la conservation des souvenirs peuvent être représentées comme une installation électrique: une dynamo et des accumulateurs (WARCOLLIER, Télépathie, 1921, p. 43). La cristallisation de mes souvenirs autour d'un fantasme peut avoir faussé le sentiment que j'ai du déroulement chronologique des événements de mon enfance napolitaine mais non pas me tromper sur la réalité de ces événements (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 240). V. remémoration ex. de Virel, représentation IV B 1 a ex. de Sartre.
— [Le déterminé est un adj.] L'Adélaïde le regardait à la dérobée, déjà irritée d'un silence qui semblait lourd de souvenirs (AYMÉ, Jument, 1933, p. 302). Un mot qui tient sa signification de notre bonne volonté nous paraissait naturellement plus riche de souvenirs et d'allusions qu'un mot qui tire le sien des dictionnaires (PAULHAN, Fleurs Tarbes, 1941, p. 98).
b) En partic. [L'obj. du procès est une pers.] Glorifier, profaner le souvenir de qqn; s'entretenir, divorcer avec le souvenir de qqn; un lieu habité par le souvenir de qqn. Quant au souvenir de Rodople, elle l'avait descendu tout au fond de son cœur; et il restait là, plus solennel et plus immobile qu'une momie de roi dans un souterrain (FLAUB., Mme Bovary, t. 1, 1857, p. 56). On ne parvenait à me faire sortir de ma prostration qu'en m'affirmant que je ne la verrais plus si je tombais malade. Jusqu'à la visite suivante, je restais avec son souvenir et avec son parfum (G. LEROUX, Parfum, 1908, p. 16). V. ostensoir ex. de Baudelaire.
♦ Le souvenir d'un défunt, d'un disparu. La pièce restait fermée à clef (...). C'était, dans l'esprit de ma mère, une sorte de sanctuaire où respirait le cher souvenir du défunt (GIDE, Si le grain, 1924, p. 487). Le souvenir du cher disparu plana un instant dans la salle à manger (AYMÉ, Nain, 1934, p. 174).
P. ell. Dans le silence du vieux et mélancolique logis, De salle en salle et d'heure en heure, Erre, sourit et pleure Le Souvenir avec sa face de jadis (RÉGNIER, Poèmes, Tel qu'en songe, 1892, p. 213).
♦ Être fidèle, infidèle au souvenir de qqn. Le monde (...) ressuscitera de vieilles légendes; ses méchants propos me peindront à vos yeux indigne de votre choix, infidèle à votre souvenir, que sais-je encore? Vous ne les écouterez pas, Daria (VOGÜÉ, Morts, 1899, p. 236):
• 9. ... toute idée de caprice sensuel et passage étant écartée, en tant que j'étais encore fidèle au souvenir d'Albertine, j'étais plus heureux d'avoir auprès de moi Andrée que je ne l'aurais été d'avoir Albertine miraculeusement retrouvée. Car Andrée pouvait me dire plus de choses sur Albertine que ne m'en avait dit Albertine elle-même.
PROUST, Fugit., 1922, p. 599.
♦ Boire au souvenir de qqn. [François d'Assise] laissa dans la piété des multitudes et l'imagination des forts une trace si resplendissante qu'elle illumina l'Italie jusqu'à la fin de son soir (...). Le plus grand poète, le plus grand peintre du Moyen âge vinrent boire à son souvenir (FAURE, Hist. art, 1912, p. 332).
♦ Vivre dans le souvenir de qqn. L'infirmière reste dans la maison comme institutrice de la plus jeune fille, Edmonde, qui vit dans le souvenir de sa mère (Le Monde, 19 janv. 1952, p. 7, col. 1).
♦ Jurer sur le souvenir de qqn. Oh! c'est parfaitement vrai que j'ai une immense amitié pour lui, mais c'est quelque chose de très innocent, de très pur, je pourrais le jurer sur le souvenir de mes parents (PROUST, Fugit., 1922, p. 612).
— [À propos d'un fait, d'une réalisation, d'un événement] Être, rester attaché/lié au souvenir de qqn. C'était le jour de la Saint-Barthélemy, — singulièrement lié au souvenir des Médicis (...). Ce souvenir est une obsession peut-être! (NERVAL, Filles feu, Sylvie, 1854, p. 609). « Boum-Boum » ce sera toujours le grand clown Médrano, père de Jérôme Médrano, directeur du cirque de ce nom, tandis que « sans blââgue » et « pourquoâââ » restent attachés au souvenir de Grock (Hist. spect., 1965, p. 1540).
3. Expr. et loc. diverses
♦ Tout est pareil à/comme dans mon (mes) souvenir(s). C'est une chance que d'attendre la mort dans l'unique lieu du monde où tout demeure pareil à mes souvenirs (MAURIAC, Nœud vip., 1932, p. 20). Je ne me suis pas trompé, pour ta chambre. Pas une fois. Tout est comme dans mon souvenir. (Un temps.) Seulement quand j'étais en taule, je me disais: c'est un souvenir. La vraie chambre est là-bas, de l'autre côté du mur. Je suis entré, j'ai regardé ta chambre et elle n'avait pas l'air plus vraie que mon souvenir (SARTRE, Mains sales, 1948, 1er tabl., 4, p. 31).
♦ D'après mes/tes/ses souvenirs. On a pu dire avec justesse qu'il [Proust] était un esprit scientifique; que n'était-il pas? Resterait un point capital, mais si délicat que j'hésite à le traiter ici d'après mes souvenirs personnels (BLANCHE, Modèles, 1928, p. 139). Je voudrais bien le voir leur album, dit l'Anaïs. Zèphe (...) interrogeait sa fille, essayait d'imaginer les groupes d'après ses souvenirs, commentait (AYMÉ, Jument, 1933, p. 250).
♦ (Rester) seul avec ses souvenirs. Son passé qu'on traîne pourtant et seul avec ses souvenirs et ses regrets (LEMAITRE, Contemp., 1885, p. 55).
♦ Ne pas avoir de souvenirs. Le silence règne dans ces hôtels neufs, qui n'ont ni souvenirs ni passé et qui font songer à ces palais enchantés, déserts et taciturnes, entretenus par un génie invisible (VIOLLET-LE-DUC, Archit., 1872, p. 257).
♦ N'être plus qu'un souvenir. Appartenir au passé. Si les cultivateurs le veulent, l'affection charbonneuse ne sera bientôt plus qu'un souvenir (PASTEUR ds Travaux, 1880, p. 245). Le sentiment de haine qu'il avait éprouvé en face de Lonjunier était déjà lointain, et le personnage lui-même n'était plus qu'un souvenir incertain (AYMÉ, Mais. basse, 1934, p. 33).
[À propos d'une pers.] Devenir un souvenir. Perdre la place que l'on occupait dans la vie de quelqu'un. « Si je deviens un souvenir dans son cœur, il pensera à moi avec cette tendresse », pensais-je. Mais je ne voulais pas devenir un souvenir (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 452).
♦ Devoir qqc. au souvenir de; être sous le souvenir de; vivre sur le souvenir de. Giselle doit (...) au souvenir de Carlotta Grisi, qui la créa — d'avoir conservé plus d'un siècle un attrait qui ne lui vient point de la musique d'Adolphe Adam (DUMESNIL, Hist. théâtre lyr., 1953, p. 130). L'Espagne, encore sous le souvenir de l'occupation napoléonienne et sous le coup de la guerre contre les États-Unis, ne demandait à sa stratégie que le maintien de son intégrité territoriale, à l'abri des Pyrénées (BILLOTTE, Consid. strat., 1957, p. 40-07):
• 10. On est bien loin encore, ici, des théâtres, héritiers de la tradition chorégraphique indienne, vivant sur le souvenir d'un répertoire riche de tous les détails des poses des mains, des pieds, du cou, de la tête, et de leurs combinaisons, des jeux précis des sourcils, des yeux et des lèvres...
CUISINIER, Danse sacrée, 1951, p. 36.
— Loc. adv. En souvenir. Synon. en pensée (v. pensée1 I B 2 c ).
♦ Conserver, restituer qqc. en souvenir. Il m'a semblé que tout ce que je conserve en souvenir dans ma mémoire depuis trente-six ans m'apparaissait réellement à cet instant (DELÉCLUZE, Journal, 1826, p. 341). Il sentait que son cerveau n'était qu'un outil, une machine à happer la réalité, la triturer et l'emmagasiner pour la restituer en souvenirs (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 283).
♦ Revivre qqc. en souvenir. Lorsque je revis en souvenir les premiers temps de mon séjour dans les Syrtes, c'est toujours avec une vivacité intense que revient à moi l'impression anormalement forte de dépaysement que je ressentis dès mon arrivée (GRACQ, Syrtes, 1951, p. 18).
♦ Se représenter qqn/qqc. en souvenir:
• 11. Quand Charlotte passait devant moi, sans plus me regarder qu'un objet oublié là par quelque domestique, je la contemplais (...) et je me la représentais en souvenir, ses cheveux défaits, ses pieds nus, sa bouche sur ma bouche, dans cet abandon virginal de toute sa personne qu'elle ne pourrait plus jamais, jamais, avoir pour aucun autre.
BOURGET, Disciple, 1889, p. 202.
B. — Au plur. Relation, parfois œuvre littéraire, que fait une personne à partir d'événements historiques ou privés vécus. Noter, transcrire ses souvenirs; lire des souvenirs; cahier, livre de souvenirs. Il daigna me demander un jour ce que j'écrivais dans le moment. J'eus le malheur de lui répondre que c'était des souvenirs (A. FRANCE, Vie littér., 1888, p. 318). La perte de la foi par Renan est pour lui la conclusion d'un long débat. Lorsqu'il eut constaté son incompatibilité avec l'exégèse (ses Souvenirs et sa Correspondance l'exposent longuement) il lui fallut choisir (Philos., Relig., 1957, p. 34-2).
— P. anal. Trois petites pièces pour chant et piano que j'intitulais Souvenirs de mon enfance (STRAVINSKY, Chron. vie, 1931, p. 110). Au sing. [Mozart] improvisa (...) une sorte de fantaisie ou de souvenir sur des airs que tout le monde fredonnait (BOSCHOT, Mus. et vie, 1931, p. 134).
C. — 1. Réalité concrète ou abstraite qui subsiste d'une époque révolue ou d'un fait du passé et qui en constitue le rappel. Le costume rituel du pèlerinage, de simplicité antique, est uniquement souvenir du passé (G.-H. BOUSQUET, Prat. rit. Islâm, 1949, p. 122). Les meubles de styles classiques (...) continuent à faire la joie de leurs possesseurs ou de leurs vendeurs, alors que le meuble 1900 n'est qu'un souvenir non coté à l'hôtel Drouot (Industr. fr. bois, 1955, p. 35).
— [À propos d'une pers.] Je ne suis plus rien en politique, et on me traite de vieux souvenir (CHATEAUBR., Corresp., t. 1, 1817, p. 317). Émile de Girardin, fils naturel (...) du comte Alexandre de Girardin, officier de cavalerie, et de la jolie Mme Juliette Dupuy (...), fut élevé à la diable. Abandonné par ses parents qui se souciaient fort peu d'un souvenir aussi compromettant, le jeune Émile se lança dans la littérature (COSTON, A.B.C. journ., 1952, p. 17). [À propos des attributs fém.] De beaux souvenirs. Synon. de de beaux restes. Madame Perotte, la femme de charge, 50 ans, mais belle et avec de beaux souvenirs tendres dans tout son corps (GIONO, Femme boulanger, 1943, II, 1, p. 242).
— En partic. [Dans la tournure: qqc., souvenir de qqc.] Le bonnet phrygien, souvenir de l'époque révolutionnaire. L'amour devenant réellement et sans partage la loi de l'homme, la justice ne sera plus qu'un vain nom, souvenir importun d'une période de violence et de larmes (PROUDHON, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 344). En Chine, beaucoup de cités sont des échiquiers bien régulièrement dessinés: souvenir d'un très ancien système agraire (P. LAVEDAN, Urban., 1926, p. 47).
2. Reproduction dans une œuvre des traits empruntés à une autre; ces traits eux-mêmes. Quelques auteurs ont vu même dans les dispositions données aux monastères un souvenir des portiques et des logements des lévites qui environnaient le temple de Salomon (LENOIR, Archit. monast., 1852, p. 47). Des souvenirs du fauvisme traînent (...) fréquemment, dans l'œuvre de Van Dongen (DORIVAL, Peintres XXe s., 1957, p. 63).
— Être habillé dans un souvenir d'une époque. Être habillé d'un vêtement qui date d'une certaine époque du passé. Le vieillard était habillé dans un souvenir glorieux du temps de Grévy: une jaquette, dont l'étoffe était craquée en tant d'endroits (...) qu'on avait renoncé à la rafistoler avec des épingles de sûreté (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 250).
D. — Objet.
1. a) Gén. au plur. Objet qui date d'un passé proche ou lointain et qui en suscite le souvenir. Parmi les décombres circulaient des groupes d'anciens habitants du quartier détruit, venant quêter des souvenirs sur les lieux où ils avaient vécu (AYMÉ, Uranus, 1948, p. 125).
— [Avec déterm.]
♦ [Le déterm. précise le domaine concerné] Il y avait aussi une armoire qui, réservée aux souvenirs historiques, renfermait des pierres de la prison du Tasse, de la maison natale de Shakespeare (A. FRANCE, Jocaste, 1879, p. 64). Sur cette bande littorale (...) aucun nom, aucun souvenir archéologique ne se rapporte à l'occupation romaine (LAPPARENT, Abr. géol., 1886, p. 101).
♦ [Le déterm. précise l'orig.] [Les collections militaires du musée de l'Armée] contiennent des souvenirs napoléoniens. Parmi ceux-ci se trouvent, en particulier, le si sobre nécessaire de toilette du roi de Rome, en acajou et en argent viennois (GRANDJEAN, Orfèvr. XIXe s., 1962, p. 111).
♦ [Le déterm. désigne le possesseur] Ce salon au décor si français, plein de souvenirs de famille (BLANCHE, Modèles, 1928, p. 110). L'ordre a été reçu (...) de détruire, avant de quitter les lieux, tout ce dont les nouveaux occupants pourraient profiter; ainsi que les papiers et souvenirs personnels (GIDE, Journal, 1943, p. 237).
b) ) Objet destiné à rappeler à son destinataire une personne ou un épisode de sa vie. Mademoiselle, lui dis-je, je crois que j'ai à vous remercier d'un présent que vous m'avez envoyé quand j'étais en prison. J'ai mangé le pain, la lime me servira pour affiler ma lance, et je la garde comme souvenir de vous (MÉRIMÉE, Carmen, 1845, p. 41). Comme chaussures, on lui laissa à titre de souvenir ses brodequins des tranchées tout racornis de boue (DORGELÈS, Croix de bois, 1919, p. 310). V. pensée1 IV B ex. de Zola.
) En partic. Cadeau de remerciement ou d'adieu. La Balbi entrait dans toutes les affaires, et l'état ne faisait pas un marché de mille francs, sans qu'il y eût un souvenir pour la marquise (c'était le mot honnête à Parme) (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 109). La lettre était joviale, trop joviale; et il y avait aussi le souvenir d'usage, mais assez gros pour consoler le plus solide désespoir de veuve (TOULET, Nane, 1905, p. 58).
c) ) Objet ramené d'un lieu et qui en suscite le rappel en raison de ses particularités. Les améliorations qui restent à réaliser portent sur des points qui apparaissent très secondaires dans le cadre du marché commun, par exemple l'unification des tolérances douanières en matière d'équipement personnel et de souvenirs de voyage (JOCARD, Tour. et action État, 1966, p. 223).
— [Avec déterm. qui en précise le lieu d'orig.] Dans des petits meubles de Boule se voient le pli éclatant d'étoffes superbes ou les rangées de boutons d'or, avec une perle, de costumes magnifiques: un petit musée de souvenirs d'Orient (GONCOURT, Journal, 1865, p. 163). Tous ces appartements pareils dans la pauvreté architecturale (...) se ressemblent plus encore par les nostalgies qu'ils renferment, les sabres et les sagaies, les kimonos aux murs, les souvenirs d'Algérie et de Chine (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 189).
) Absol. Objet de qualité souvent médiocre proposé au touriste. Magasin, marchand de souvenirs. Tous les motifs du décor polychrome de goût chinois inventés dans la capitale normande furent alors traités d'une façon assez inférieure; cette médiocrité s'est accentuée avec le succès populaire de la faïence à usage de « souvenir » pour le touriste peu exigeant (G. FONTAINE, Céram. fr., 1965, p. 75). Les dépendances se garnissent de comptoirs de souvenirs à grand débit où les visiteurs peuvent apaiser leurs fringales esthétiques (JOCARD, Tour. et action État, 1966, p. 180).
2. Vieilli. ,,Calepin ou tablettes, sur lesquels on écrit ce dont on veut se souvenir`` (HAVARD 1890). Elle tira un petit souvenir en maroquin avec les coins en or (JANIN, Âne mort, 1829, p. 62).
REM. -souvenir, élém. de compos., entrant dans la constr. de subst. a) [Corresp. à supra I A 1 a ]: ) Banquet-souvenir, subst. masc. M. Young emporta aux États-Unis (...) le tapis vert sur lequel s'étaient appuyés tant de coudes illustres. Sur ce même tapis, devenu relique, un banquet-souvenir fut servi en Amérique, en 1930 (FARGUE, Piéton Paris, 1939, p. 215). ) Programme-souvenir, subst. masc. Dans le programme-souvenir qui fut publié à l'occasion du gala Antoine, Sacha Guitry affirme que le grand directeur (...) a toujours « détesté le vaudeville » (L'Œuvre, 25 mai 1941). ) Reportage-souvenir, subst. masc. [Guy Vidal et Alain Bignon Une Éducation algérienne] Pas de bons ni de méchants, pas de héros. Juste une vision lucide et sensible de quelqu'un qui essaie d'être honnête. (...) Un excellent reportage-souvenir (20 ans, oct. 1982, p. 13, col. 1). ) Roman-souvenir, subst. masc. Au départ [de la pièce de P. Jardin « Comme avant »], une pièce anglaise de John Mortimer. Il suffit pourtant d'avoir lu le roman-souvenir de Pascal Jardin pour comprendre qu'il a plaqué sur un texte existant ses propres phantasmes (Le Nouvel Observateur, 27 sept. 1976, p. 17, col. 1). b) [Corresp. à supra II A 1] ) Demi-souvenir, subst. masc. De quel jour avait-il parlé?... Était-ce du 17? Un voyage? La mémoire ne répondait plus (...). Et ce fut cette vague espérance, ce demi-souvenir qui empêchèrent Gilbert de tourner par le chemin qui rejoint la route du tramway (R. BAZIN, Blé, 1907, p. 312). ) Pré-souvenir, subst. masc. Nerval veut retrouver le temps, en joignant par le souvenir son présent et son passé. Mais il veut de plus joindre son présent et son passé à ce qui semble émerger en lui d'un pré-souvenir et qui s'accorde avec les notions immémoriales encloses dans les mythes (DURRY, Nerval, 1956, p. 76). ) Intuition-souvenir, subst. fém. Il serait ridicule de dire que l'inventeur de la bicyclette a été guidé (...) par l'intuition-souvenir d'un Type idéal, contrôlant ses efforts comme son radar contrôle un canon de DCA à pointage automatique (RUYER, Cybern., 1954, p. 220). V. image-souvenir supra II A 1 b . c) [Corresp. à supra II A 3] Monde-souvenir, subst. masc. Monde qui n'est plus qu'un souvenir, qui n'a plus de réalité. Un monde-souvenir, un passé révolu redeviennent le présent de deux vivants assez affranchis du corps pour avoir force recréatrice et arracher la vie à la mort (DURRY, Nerval, 1956, p. 119). d) [Corresp. à supra II D] ) Image-souvenir, subst. fém. L'après-midi, le séminaire sera clos à tous les visiteurs laïcs (...). Les parents ne pourront voir leurs petits abbés que le dimanche suivant. Pour leur faire prendre patience, nous leur enverrons, comme des premiers communiants, des images-souvenirs (BILLY, Introïbo, 1939, p. 37). ) Photo-souvenir, subst. fém. (Ds ROB. 1985).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Fin XIIIe s. « fait de se souvenir, impression qui demeure en la mémoire (ici: allégorie) » (NICOLE DE MAUGIVAL, Dit de la Panthère d'Amours, éd. M. A. Todd, 794); b) ca 1485 avoir souvenir de (qqn) (Mystère Vieil Testament, éd. J. de Rothschild, 25089); c) 1690 « idée de quelque chose » (FUR.: le souvenir de la mort doit être sans cesse devant nos yeux); 2. a) 1349 « faculté de conserver en mémoire » (GUILLAUME DE MACHAUT, Alérion, éd. H. Hoepffner, 1524, t. 2, p. 292: oster de mon souvenir); b) 1637 (PATIN, Lettres, t. 1, p. 122: bien obligé à vous de votre bon souvenir); 3. 1676 se dit de ce qui rappelle qqc. à qqn (Mme DE SÉVIGNÉ, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 2, p. 323); 4. av. 1729 [publié en 1770] « récit, narration de souvenirs » (Mme DE CAYLUS, Souvenirs [titre]); 5. 1823 en souvenir de (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t. 2, p. 645); 6. a) 1905 psychanal. souvenirs de substitution (E. CLAPARÈDE, c.r.: FREUD, in Arch. de psychol., t. 5, p. 181 ds QUEM. DDL t. 29); b) 1927 souvenir-écran (I. J. RONJAT, Le Cas de Jeannette, in R. fr. de psychanal., 2, p. 238, ibid.). Subst. de souvenir1; en psychanal. souvenirs de substitution trad. l'all. Deckerinnerungen empl. par Freud (Über Deckerinnerungen, 1899 d'apr. LAPL.-PONT., s.v. souvenir-écran) terme pour lequel la commission ling. du 31 mai 1927 a adopté la trad. souvenir écran (cf. QUEM. DDL t. 29).
STAT. — Souvenir1 et 2. Fréq. abs. littér.:24 340. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 34 113, b) 32 935; XXe s.: a) 31 494, b) 37 814.
1. souvenir [suvniʀ] v. intr. et pron.
ÉTYM. Déb. XIIIe; suvenir, 1080; du lat. subvenire « se présenter à l'esprit », attesté en lat. impérial; de sub, et venire « venir ».
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I V. intr. (Seulement en phrase impersonnelle). Littér. Revenir à la mémoire, à l'esprit. — Il me souvient d'un temps… (→ Inquiéter, cit. 17; et aussi livre, cit. 7; plaisance, cit. 1)… || Une des plus atroces angoisses dont il me souvienne (→ Piaffer, cit. 1). || D'aussi loin (cit. 44) qu'il m'en souvienne. || Du plus loin qu'il me souvienne. || Autant qu'il m'en souvienne. ⇒ Souvenance. || Te souvient-il de… (→ Lent, cit. 1; orangerie, cit. 1; rang, cit. 6). || « Qu'il vous souvienne des Vikings ! » (→ Réveiller, cit. 14). || « Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence » (→ Cadence, cit. 6). || « C'était, il m'en souvient, par (cit. 19) une nuit d'automne. » || Il ne me souvient pas de l'avoir entendu (→ Inouï, cit. 1).
1 (…) alors il me souvient
Que je vis, et je sens mon âme qui revient !
Hugo, Hernani, I, 2.
2 — Te souvient-il de notre extase ancienne ?
— Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?
Verlaine, Fêtes galantes, « Colloque sentimental ».
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1 Avoir de nouveau présent à l'esprit (qqch. qui appartient à une expérience passée). ⇒ Rappeler (se), remémorer (se), ressouvenir (se), retenir, revoir (I., 4.). REM. Le verbe se souvenir marque plutôt un phénomène passif, se rappeler une opération active; mais les deux verbes sont très proches, et la construction de se souvenir a influé sur celle de se rappeler (⇒ Rappeler, infra cit. 21). — Se souvenir d'une chose (→ Connaître, cit. 22; enrichir, cit. 7; image, cit. 51). || Je m'en souviens comme si c'était hier, mieux que d'hier (cit. 8). ⇒ Représenter (se). || Ne pas, ne plus se souvenir d'une chose (→ Convenir, cit. 4; déterrer, cit. 4). || Se souvenir de…, suivi d'un infinitif passé (→ Effacer, cit. 4; gouffre, cit. 2; moi, cit. 64; rappeler, cit. 16). || Se souvenir…, suivi de l'infinitif sans de (Daudet, Bourget, Duhamel, etc., in Grévisse). || Se souvenir que…, suivi de l'indicatif (→ Ennuyeux, cit. 8; expiatoire, cit. 3; instinct, cit. 37; préciser, cit. 3). — Se souvenir de ce que… (→ ci-dessous, cit. 6, Proust, et 7, Mauriac). — (Avec le subjonctif, en phrase négative). || « Je ne me souviens point que vous soyez venue » (La Fontaine, Fables, III, 15). — On se souvient que…, formule par laquelle on rappelle qqch. à un lecteur, un auditeur (→ 2. Mi, cit. 3; plume, cit. 6). || Je ne me souviens pas comment…, avec qui…, pourquoi… (→ Innocence, cit. 2). — Absolt. (→ Immoraliste, cit. 2). || Souviens-toi ! (→ Effrayant, cit. 2). || Je me souviens, devise du Québec.
3 Oubliée par qui, je vous prie ? Par ceux-là qui, ne sentant rien, ne peuvent se souvenir de rien.
Baudelaire, l'Art romantique, XXII, III.
4 Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure.
Verlaine, Poèmes saturniens, « Paysages tristes », V.
5 (…) percevoir finit par n'être plus qu'une occasion de se souvenir (…)
H. Bergson, Matière et Mémoire, p. 68.
6 Me souvenant de ce qu'elle (Albertine) était sur mon lit (…)
Proust, la Fugitive, Pl., t. III, p. 528.
7 Je me souvins de ce qu'une amie la pressait depuis longtemps de venir la rejoindre (…)
F. Mauriac, le Nœud de vipères, I, IX.
8 J'ai fini par ne plus m'ennuyer du tout à partir de l'instant où j'ai appris à me souvenir. Je me mettais quelquefois à penser à ma chambre (…) je partais d'un coin pour y revenir en dénombrant mentalement tout ce qui se trouvait sur mon chemin.
Camus, l'Étranger, p. 112.
♦ Se souvenir de qqn : penser à lui, l'évoquer (→ Ingrat, cit. 3; instant, cit. 7; intensité, cit. 5; passionnément, cit. 1; piquette, cit.). || Je ne me souvenais pas de lui. ⇒ Reconnaître, remettre. — Spécialt (avec une nuance d'affection ou d'intérêt). || « Souvenez-vous d'un fils qui n'espère (cit. 30) qu'en vous ». || Vous êtes bon de vous souvenir ainsi de moi (→ Fortifiant, cit. 2).
9 S'il vous avait refusé son visa, même présenté par moi vous n'entriez pas. Il s'est peut-être souvenu de vous comme militant. En tout cas, pas comme mouchard.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, XVI, p. 170.
♦ (Avec ellipse du pronom). || Faire souvenir : rappeler. || Faire souvenir qqn de qqch. (→ Menu, cit. 5). || Cela me fait souvenir de ma faiblesse (cit. 18).
10 Tu me fais souvenir que j'ai tout oublié !
Hugo, Hernani, V, 3.
♦ Spécialt (avec une nuance affective, reconnaissance ou rancune). || Se souvenir d'un bienfait. || J'ai convenu (cit. 12) de mon tort de trop bonne grâce, pour que vous deviez vous en souvenir. || Je m'en souviendrai !, se dit pour marquer son ressentiment et par forme de menace. || Il s'en souviendra longtemps ! ⇒ Repentir (se). — ☑ Allus. hist. Souviens-toi du vase de Soissons !
♦ Fam. || Se souvenir de… (et adverbe).
11 Si je m'en souviens de votre maman ? En voilà une question ! C'est comme si vous me demandiez si je me souviens de comment je m'appelle.
Gide, les Faux-monnayeurs, in Romans, Pl., p. 965.
2 (Mil. XVIe). (En tour impér.). Ne pas oublier, penser à… || Souviens-toi de la fragilité (cit. 5) des choses humaines. || Souviens-toi de m'écrire ces mots (→ Lettre, cit. 6; et aussi air, cit. 17; noir, cit. 29). ⇒ Occuper (s'), soin (avoir). || Se souvenir que… (→ Âge, cit. 34; animer, cit. 12; ignorance, cit. 13; image, cit. 43; maison, cit. 14; plateau, cit. 5). || Souviens-toi de qui tu es fils (→ Forligner, cit. 2). ⇒ Considérer.
12 (…) je les prie de se souvenir que ce n'est pas à moi de changer les règles (…)
Racine, Andromaque, 1re préface.
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CONTR. Oublier.
DÉR. Souvenance, 2. souvenir.
COMP. Ressouvenir (se).
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2. souvenir [suvniʀ] n. m.
ÉTYM. XIIIe; infinitif substantivé du précédent.
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A (Contenu de conscience).
1 (Av. 1648). Mémoire (cit. 1). || Rester, vivre dans le souvenir (→ Année, cit. 6). || Tout se représente (cit. 25) à mon souvenir. ⇒ Pensée. || Graver (cit. 11) ces images dans mon souvenir. || Éteint (cit. 60) dans le souvenir. || Lointain dans son souvenir (→ Auréoler, cit. 1). || Chercher en son souvenir (→ Globuleux, cit. 2). || L'absence l'avait idéalisé (cit. 3) dans son souvenir. || « Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! » (→ Grand, cit. 16). — De souvenir : de mémoire (→ Quoi, cit. 6). || Rappeler au souvenir (→ Origine, cit. 13). — (XXe). || Ayez la bonté de me rappeler (cit. 10) à son souvenir, à son bon souvenir, de lui rappeler mon amitié, ma sympathie.
1 — Serais-je assez heureux, madame, pour être encore logé dans un coin de votre souvenir ?
Baudelaire, la Fanfarlo.
2 (XIIIe). Fait de se souvenir. ⇒ Souvenance; ressouvenance (→ Conscient, cit. 2; fusion, cit. 4; prise, cit. 7; rappel, cit. 6). || L'oubli (cit. 4) et le souvenir. || « Le souvenir est voisin du remords » (cit. 8). || Le thème du souvenir dans la poésie lyrique. — Le souvenir de… || Avoir, n'avoir pas souvenir de… (→ 1. Fou, cit. 25; ramasseur, cit. 3). || Garder souvenir de… (→ Afféterie, cit. 4), le souvenir de… (→ Incendie, cit. 2; marteler, cit. 7; pecque, cit. 3). || « Gardez de cette nuit, gardez (cit. 56), belle nature, Au moins le souvenir ! ». || Conserver le souvenir de… (→ Célébrer, cit. 3; observer, cit. 25). ⇒ Commémoration, commémorer. || Perdre le souvenir des bienfaits (cit. 4). — Souvenir qui subsiste (→ Peur, cit. 5). || Un mensonge dont le souvenir m'a troublé toute ma vie (→ Contrister, cit. 1; et aussi rancunier, cit. 1). || Aviver (cit. 12) le souvenir de qqch., un souvenir. || Le temps en balayera (cit. 14) jusqu'au souvenir. || La peur (cit. 3), une sensation atroce dont le souvenir seul donne des frissons d'angoisse. || Au souvenir de… : en se souvenant de (→ Émouvoir, cit. 24; nuage, cit. 11; roadster, cit. 1).
2 Oh ! le souvenir, le souvenir ! miroir douloureux, miroir brûlant, miroir vivant, miroir horrible qui fait souffrir toutes les tortures !
Maupassant, la Femme de Paul, « La Morte ».
2.1 Car y a-t-il rien qui vous élève
Comme d'avoir aimé un mort ou une morte
On devient si pur qu'on en arrive
Dans les glaciers de la mémoire
À se confondre avec le souvenir
On est fortifié pour la vie
Et l'on n'a plus besoin de personne.
Apollinaire, Alcools, p. 52.
3 La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté (…) les formes (…) avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.
Proust, Du côté de chez Swann, Pl., t. I, p. 47.
3 (XIIIe). (Un, des souvenirs). Ce qui revient ou peut revenir à l'esprit, spontanément ou non, des expériences passées; image que garde et fournit la mémoire. ⇒ Réminiscence, ressouvenir. Psychol. || Reproduction, reconnaissance, localisation des souvenirs (Bergson : Accumuler, cit. 12; apparition, cit. 13; appel, cit. 14; caractériser, cit. 5; choisir, cit. 7; figurer, cit. 6; reconnaître, cit. 4). || Les souvenirs remontent à fleur (cit. 39 et 40) de mémoire (→ aussi Affleurer, cit. 2). || Les souvenirs renaissent (→ Décliner, cit. 9), s'éveillent (cit. 27), remontent à la surface de l'âme (→ 1. Frais, cit. 13), de la claire conscience (→ Fond, cit. 28). || Ses souvenirs s'effaçaient (→ Banalité, cit. 3). || Mémoire encombrée (cit. 10) de souvenirs. || « J'ai plus (cit. 56) de souvenirs que si j'avais mille ans ». || Chercher (cit. 13), rechercher (cit. 3), remuer (→ Fébrile, cit. 1), rassembler (cit. 6) des souvenirs. || Chercher dans ses souvenirs (→ Particulier, cit. 21). || Ils échangeaient, se communiquaient (cit. 3) leurs souvenirs (→ Mémoire, cit. 9). || Chose qui éveille (cit. 18), réveille (→ Échapper, cit. 43), évoque (→ Exposé, cit. 2) des souvenirs. || Souvenirs obsédants (→ Analyser, cit. 3), lancinants (→ Assaillir, cit. 11), douloureux, terrifiants (→ Naufrage, cit. 3). || Agréables, tendres, doux, charmants… souvenirs (→ Flux, cit. 3; irriter, cit. 18; 1. que, cit. 74). || « Un souvenir heureux (cit. 53) est peut-être sur terre Plus vrai que le bonheur ». || Souvenir confus, vague, précis, durable… — Ce n'est plus qu'un souvenir, se dit de ce qui appartient au passé, n'existe plus (→ Déniaiser, cit. 4; royauté, cit. 1).
4 Un souvenir subit lui entra dans l'esprit. Il se rappela l'inspecteur de la rue de Pontoise, et les deux pistolets qu'il lui avait remis et dont il s'était servi, lui Marius, dans cette barricade même; et non seulement il se rappela la figure, mais il se rappela le nom. Ce souvenir pourtant était brumeux et trouble comme toutes ses idées.
Hugo, les Misérables, V, I, XIX.
4.1 Cet œil, cette voix, ce visage, je les connaissais. Mais d'où, de quand ? Certes, j'avais rencontré ce garçon-là, je lui avais parlé, je lui avais serré la main. Cela datait de loin, de très loin, c'était perdu dans cette brume où l'esprit semble chercher à tâtons les souvenirs et les poursuit, comme des fantômes fuyants, sans les saisir.
Maupassant, l'Infirme, Pl., t. II, p. 1046.
♦ Les souvenirs de l'enfance, d'enfants, d'enfant (→ Cadre, cit. 9; délectable, cit. 1; gonfler, cit. 26; palimpseste, cit. 2). || Souvenirs du passé (→ Pousser, cit. 54), d'autrefois (→ Ressusciter, cit. 9). || Les souvenirs de ses songes, de ses tristesses (→ Enténébrer, cit. 5; réserve, cit. 10). || Souvenirs d'une journée (→ Imprimer, cit. 7). || Souvenirs de lecture (→ Indéfectible, cit. 3), littéraires (→ Fabriquer, cit. 16). || Souvenirs de guerre (→ Ribote, cit. 2). || Ses souvenirs d'infirmière, du temps où elle était infirmière (→ Inaction, cit. 5). || Garder, emporter (cit. 4) d'une chose un bon, un mauvais souvenir (→ Entreprendre, cit. 22; limpide, cit. 6). ⇒ Arrière-goût. || Pays, ville qui laisse de bons, de mauvais souvenirs (→ Exil, cit. 5; me, cit. 16). — Évoquer le souvenir de qqn, l'image qu'on garde de lui. ⇒ Ombre (→ Évanouir, cit. 5). || Le, les souvenirs de qqn, que l'on a de qqn. || Peu à peu son souvenir s'évanouissait (cit. 14), le souvenir que j'avais d'elle. || « Ton souvenir en moi luit (cit. 12) comme un ostensoir ». || J'en ai gardé le meilleur souvenir. || Des gens capables de laisser un bon souvenir (→ Indigène, cit. 7). — (Dans les formules de politesse). || Croyez à mon bon, mon fidèle, mon affectueux… souvenir. || Mes souvenirs à votre frère. || Affectueux, meilleurs souvenirs.
5 (…) il arrive que des souvenirs d'âges divers se superposent dans la mémoire, se fondent et composent un tableau.
France, le Petit Pierre, XVI.
6 (…) mais il en était à ce point de l'habitude où les souvenirs qu'on a d'une femme, qui viennent du temps où l'on l'aimait se détachent d'elle, ressemblent aux souvenirs usés qu'on aurait d'une femme morte.
P. Nizan, le Cheval de Troie, I, II.
♦ Psychan. || Refoulement de souvenirs d'enfance. — Souvenirs refoulés. ⇒ Refoulé, n. m. || Souvenir-écran : souvenir ou pseudo-souvenir d'enfance qui fait écran à un autre souvenir investi d'angoisse.
4 Souvenirs, n. m. pl. Récit, narration des souvenirs. ⇒ Mémoires. || Noter, écrire ses souvenirs (→ Esquisse, cit. 3; être, cit. 44; là, cit. 39). || J'ai barbouillé (cit. 9) déjà beaucoup de papier avec mes souvenirs d'enfance. || Souvenirs, titre de nombreux mémoires (2. Mémoire). → Faussaire, cit. 7; note, cit. 14. || Souvenirs d'égotisme, de Stendhal. || Souvenirs d'enfance et de jeunesse, de Renan. || Souvenirs de la maison des morts, de Dostoïevski, etc.
7 — Un joli titre pour des souvenirs publiés de son vivant : souvenirs de ma vie morte.
Ed. et J. de Goncourt, Journal, 28 mai 1857, t. I, p. 147.
5 (XIXe). || En souvenir de : pour garder le souvenir de (qqn, qqch.). || En souvenir de notre rencontre. || Gardez ce livre en souvenir de moi; absolt, en souvenir.
B (Objets concrets).
1 (1690). || Souvenir de… : ce qui fait souvenir de…, ce qui reste comme un témoignage du passé (→ Ornement, cit. 1). ⇒ Monument. || Des tableaux, souvenirs d'un luxe évanoui (→ Disparaître, cit. 4). || Le nom de magot (cit. 1) est un souvenir des traditions médiévales. || Souvenirs d'une victoire. ⇒ Trophée.
2 Objet qui rappelle la mémoire de qqn, qui fait qu'on pense à lui (→ Employer, cit. 9). || Il me les a offertes comme un souvenir de lui (→ Encre, cit. 4). ⇒ Cadeau. || Léguer comme souvenir de qqn (→ Roi, cit. 7). || Désirant un souvenir de son ami (→ Pousser, cit. 26). Absolt. || Photos, souvenirs, reliques… (cit. 7; et → Home, cit. 2).
8 Si pauvre qu'il fût, il trouvait moyen d'apporter un souvenir à chacun; et il n'oubliait la fête d'aucun de la famille. On le voyait arriver ponctuellement aux dates solennelles; et il tirait de sa poche quelque gentil cadeau, choisi avec cœur.
R. Rolland, Jean-Christophe, L'aube, III, p. 89.
3 Bibelot qu'on vend aux touristes. || Magasin de souvenirs. || Souvenirs de Dieppe, de Nice. || Acheter, ramener quelques souvenirs (d'un voyage).
9 J'irai jusqu'à dire que dans aucune langue il n'y a mieux pour la fabrication des « véritables morceaux d'anthologie » (…) bibelots d'étagère, sujets de pendule, souvenirs de Dieppe, tabatières à musique, dessous de lampe, cartes transparentes et œufs en bois (…)
Claudel, Positions et Propositions, I, p. 89.
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CONTR. Oubli.
COMP. Ressouvenir.
Encyclopédie Universelle. 2012.