étouffer [ etufe ] v. <conjug. : 1>
• estofer 1230; altér. du lat. pop. °stuffare « garnir d'étoupe, boucher », de stuffa → étoupe (cf. a. fr. estoper « boucher »), d'apr. a. fr. estoffer → étoffer
I ♦ V. tr.
A ♦ Priver d'air.
1 ♦ (1536) Faire mourir en rendant la respiration impossible.
♢ Didact. Asphyxier. Étouffer par submersion. ⇒ 1. noyer. — Cour. Asphyxier (qqn) en pesant sur la poitrine, en appliquant qqch. sur le nez, la bouche, qui empêche de respirer. Les enfants d'Édouard furent étouffés dans leur lit. Étouffer qqn avec un oreiller. Allus. littér. « J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer » (Racine).
♢ Vx La peste l'étouffe ! la peste m'étouffe ! juron, malédiction.
2 ♦ Par ext. Gêner (qqn) en rendant la respiration difficile. ⇒ oppresser, suffoquer. La chaleur m'étouffe. ⇒ étouffant. Les larmes l'étouffaient. « il lui semblait que les quelques bouchées qu'elle s'était contrainte d'avaler lui restaient au fond de la gorge et l'étouffaient » (Green).
♢ Fam. et iron. Les scrupules, la bonne foi ne l'étouffent pas : il n'a aucun scrupule, aucune bonne foi. Ce n'est pas l'honnêteté qui l'étouffe (⇒ gêner) . « Vous ne pouvez pas rectifier la position ? Et ça vous étoufferait de me dire : mon lieutenant » (Sartre).
♢ Fig. Donner une impression de gêne à. ⇒ oppresser, peser. « cette vie de petite ville lui pesait, l'étouffait. Le grand homme de Tarascon s'ennuyait à Tarascon » ( A. Daudet).
3 ♦ (1230) Priver (une plante) de l'oxygène nécessaire à sa respiration. Par ext. Gêner la végétation, la croissance de (une plante). « ce bosquet, où le toit spacieux des chênes étouffait toute autre verdure » (Toulet).
4 ♦ Priver de l'oxygène nécessaire à la combustion. ⇒ éteindre. Étouffer un incendie, un foyer d'incendie, le feu.
B ♦ Fig.
1 ♦ (1636) Empêcher (un son) de se faire entendre, de se propager. ⇒ amortir, assourdir; couvrir. Des tentures étouffaient les bruits; des tapis étouffaient les pas. « Une mélodie énergique [...] enveloppe, étouffe, éteint, dissimule le tapage criard » (Baudelaire). « elle avait l'impression que le silence essayait d'étouffer le bruit de ses paroles, car sa voix était sourde, presque indistincte » (Green). — Fig. Faire taire. Étouffer l'opposition, l'opinion publique.
♢ Étouffer un soupir, un sanglot, ses larmes. ⇒ contenir, réprimer, retenir. « Elle étouffa un cri de joie » (Martin du Gard).
2 ♦ (1564) Supprimer ou affaiblir (un sentiment, une opinion); empêcher de se développer en soi. ⇒ détruire, juguler, refouler, supprimer. Étouffer ses émotions. L'ambition étouffe en lui tout sentiment. « Je sens naître malgré moi des scrupules. — Il faut les étouffer » (Lesage).
3 ♦ (XVIIe) Empêcher d'éclater, de se développer. ⇒ arrêter, 2. enrayer, juguler. « Vous n'allez pas laisser ce flic étouffer l'affaire ? » (Manchette). Étouffer un scandale. ⇒ 1. cacher, dissimuler; black-out. Étouffer une révolte, un complot. Étouffer une affaire dans l'œuf.
II ♦ S'ÉTOUFFERv. pron.
1 ♦ Perdre la respiration. S'étouffer en mangeant, en avalant de travers. — Plaisant On ne va pas s'étouffer avec ces petites portions.
♢ Mourir par asphyxie. Le bébé s'est étouffé sous les couvertures.
♢ Manquer de l'oxygène nécessaire au bon fonctionnement. Le moteur s'étouffe.
2 ♦ (Récipr.) « Ils s'étouffent, Attale, en voulant s'embrasser » (Racine).
♢ Par ext. Être serré dans la foule. ⇒ s'écraser, se presser. On s'étouffait à cette réception.
III ♦ V. intr. (1559)
1 ♦ Respirer avec peine, difficulté; ne plus pouvoir respirer. ⇒ suffoquer. Étouffer dans une pièce fermée, confinée. Étouffer de chaleur. « Le souffle saccadé et court [...] le concierge étouffait sous une pesée invisible » (Camus). La baleine « ne respire que hors de l'eau, et si elle y reste, elle étouffe » (Michelet). — Absolt Avoir très chaud. On étouffe ici. « malgré la nuit on étouffait » (Fromentin).
♢ Étouffer de rire. ⇒ s'étrangler. « Tous les dos se courbent; ils étranglent de rire, ils étouffent, ils n'en peuvent plus » (Dorgelès).
2 ♦ Fig. Être mal à l'aise, ressentir une impression d'oppression, d'ennui, etc. Dans sa famille, il étouffait. « On étouffe un peu dans nos belles villes closes » (Sartre).
⊗ CONTR. Allumer. Exalter, exciter. Respirer.
● étouffer verbe transitif (ancien français estoper, obstruer, croisé avec estofer, rembourrer, du latin populaire stuffare, boucher avec l'étoupe) Faire mourir quelqu'un, un animal en l'empêchant de respirer, l'asphyxier. Empêcher un végétal de croître normalement en le privant d'air, de lumière, d'espace : Orties qui étouffent les fleurs. Gêner la respiration de quelqu'un : La chaleur de cette pièce m'étouffe. Amortir un bruit, un son, le rendre moins sonore ou le couvrir : La moquette étouffe le bruit des pas. Arrêter la combustion d'un feu en posant quelque chose dessus : Étouffer un début d'incendie avec une couverture. En parlant d'un sentiment violent, empêcher quelqu'un de parler : La colère l'étouffait. Réprimer un cri, un sanglot, un soupir ou l'émettre en se retenant : Il étouffa un cri de joie à l'annonce de ce succès. Empêcher quelqu'un d'affirmer sa personnalité, l'empêcher d'exister : Sa famille l'étouffait par son caractère traditionnel. Faire qu'un sentiment n'existe plus chez quelqu'un, qu'il ne puisse plus se manifester : L'ambition étouffait chez lui toute générosité. Faire qu'on ne parle plus d'une affaire, d'un scandale, etc. ; cacher, dissimuler : Le gouvernement étouffa l'affaire. Ne pas laisser une révolte se produire, se manifester librement, la faire cesser ; réprimer, juguler : Étouffer dans l'œuf un complot. Empêcher la presse, l'opinion publique de s'exprimer librement ; faire taire. Populaire. S'emparer de quelque chose, le voler : Il s'est fait étouffer son portefeuille. ● étouffer (citations) verbe transitif (ancien français estoper, obstruer, croisé avec estofer, rembourrer, du latin populaire stuffare, boucher avec l'étoupe) Jean Racine La Ferté-Milon 1639-Paris 1699 J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer. Britannicus, IV, 3, Néron ● étouffer (expressions) verbe transitif (ancien français estoper, obstruer, croisé avec estofer, rembourrer, du latin populaire stuffare, boucher avec l'étoupe) Familier. Ne pas étouffer quelqu'un, en parlant d'un sentiment, d'une qualité, ne pas le gêner dans son action parce qu'il ne l'éprouve pas, ne la possède pas : La modestie ne t'étouffe pas. Étouffer une voile, étouffer la toile, serrer avec les bras et les mains une voile contre sa vergue ou son mât, pour l'empêcher de prendre le vent quand on amène la voilure. ● étouffer (synonymes) verbe transitif (ancien français estoper, obstruer, croisé avec estofer, rembourrer, du latin populaire stuffare, boucher avec l'étoupe) Faire mourir quelqu'un, un animal en l'empêchant de respirer, l'asphyxier.
Synonymes :
- étrangler
Gêner la respiration de quelqu'un
Synonymes :
Amortir un bruit, un son, le rendre moins sonore ou...
Synonymes :
- amortir
- couvrir
- feutrer
Contraires :
- grossir
Arrêter la combustion d'un feu en posant quelque chose dessus
Synonymes :
- éteindre
Contraires :
- allumer
- attiser
Réprimer un cri, un sanglot, un soupir ou l'émettre en...
Synonymes :
- dominer
- noyer
Faire qu'un sentiment n'existe plus chez quelqu'un, qu'il ne puisse...
Synonymes :
- écraser
Contraires :
- exalter
- fouetter
- stimuler
Faire qu'on ne parle plus d'une affaire, d'un scandale, etc. ;...
Synonymes :
- briser
- endiguer
- enrayer
- enterrer (familier)
- juguler
- mater
- museler
- réprimer
- stopper
Contraires :
- déchaîner
- exciter
- fomenter
● étouffer
verbe intransitif
Ressentir une impression de gêne due à une trop forte chaleur ou à un manque d'espace ; suffoquer : On étouffe à Téhéran au mois d'août.
Se sentir mal à l'aise psychologiquement, ou ne pas pouvoir manifester librement sa personnalité : Un milieu étriqué dans lequel j'étouffais.
● étouffer
verbe intransitif
s'étouffer
verbe pronominal
S'asphyxier, ne plus pouvoir respirer : Il a avalé de travers et il étouffe.
Éprouver si fortement un sentiment qu'on en a le souffle coupé ; s'étrangler : S'étouffer de rage.
● étouffer (synonymes)
verbe intransitif
Ressentir une impression de gêne due à une trop forte...
Synonymes :
étouffer
v.
rI./r v. tr.
d1./d Faire mourir en privant d'air.
d2./d Par ext. Gêner la respiration de (qqn). La chaleur m'étouffe.
|| Fam., iron. Gêner.
— La politesse ne l'étouffe pas: il n'a aucune politesse.
d3./d Priver (une plante) de l'air nécessaire à la vie. Les mauvaises herbes étouffent le mil.
d4./d éteindre en privant d'air. étouffer un incendie.
d5./d Fig. Amortir (les sons). Tapis qui étouffe les bruits de pas.
d6./d Réprimer, retenir. étouffer des cris.
d7./d Arrêter dans son développement. étouffer un complot.
rII./r v. intr.
d1./d Avoir du mal à respirer. étouffer à force de tousser.
d2./d étouffer de rire, de colère: perdre la respiration en riant, en se mettant en colère.
d3./d Fig. Se sentir oppressé, être mal à l'aise; s'ennuyer. Il étouffe dans ce coin perdu.
rIII/r v. Pron.
d1./d Perdre la respiration.
d2./d Se presser les uns contre les autres dans une foule trop dense. Aux heures de pointe, on s'étouffe dans les cars.
⇒ÉTOUFFER, verbe.
I.— Emploi trans.
A.— 1. Faire mourir en empêchant la respiration, soit par une forte compression du cou, soit en appliquant quelque chose sur le nez et la bouche.
a) [Le suj. désigne une pers.] Un jeune naturaliste, qui en étouffa un [un oiseau] pour l'empailler, m'a dit qu'il resta malade de cette lutte acharnée, et plein de remords; il lui semblait qu'il eût fait un assassinat (MICHELET, Oiseau, 1856, p. 191). Il [l'Espagnol] décida de le tuer [le vieux seigneur] quand il dormirait après son dîner et de l'étouffer avec son oreiller (BARRÈS, Cahiers, t. 4, 1905, p. 84) :
• 1. Fatima eut un horrible battement de cœur. Elle croyait maintenant à la trahison de don José comme à la lumière du soleil, et elle fut tentée de passer ses bras autour du cou de l'infâme pour l'étouffer.
PONSON DU TERR., Rocambole, t. 4, 1859, p. 190.
♦ Expr. Que la peste, le diable l'étouffe. Juron invoquant la malédiction. Que le diable étouffe le procureur de la nation d'Allemagne! (HUGO, N.-D. Paris, 1832, p. 25).
— Spéc., SÉRICICULTURE. Tuer les vers à soie en les asphyxiant dans un four. Et que suis-je, moi, que le paysan qui étouffe les vers dans son four, avant qu'ils ne percent et ne gâtent le cocon? (CLAUDEL, Repos 7e jour, 1901, III, p. 853).
b) [Le suj. désigne une chose concr. ou abstr.] Elle [maman] avait peine à respirer et demandait sans cesse qu'on la relevât sur ses oreillers; l'enflure semblait l'étouffer (MICHELET, Mémorial, 1822, p. 216) :
• 2. Zampa monta sur l'échafaud d'un pas assez ferme; mais lorsqu'il eut aperçu le collier de fer destiné à l'étouffer et la chaise sur laquelle on l'allait faire asseoir, la peur de la mort le prit et il se mit à trembler de tous ses membres.
PONSON DU TERR., Rocambole, t. 4, 1859 p. 192.
2. Rendre la respiration difficile, gêner quelqu'un dans ses fonctions respiratoires.
a) [Le suj. désigne une pers.] Ces gens à sentiments qui vous étouffent pour vous embrasser (BALZAC, Corresp., 1821, p. 102). Il [Lafcadio] (...) tendit l'argent à la pauvre mère qui maintenant étouffait ses fils de baisers (GIDE, Caves, 1914, p. 725) :
• 3. Le premier gouverneur dont j'aie conservé un souvenir un peu distinct fut un Allemand nommé Stroelin, qui me rouait de coups, puis m'étouffait de caresses pour que je ne me plaignisse pas à mon père.
CONSTANT, Cahier rouge , 1830, p. 1.
b) [Le suj. désigne une chose concr.] Villefort déboutonna violemment sa redingote qui l'étouffait, passa une main livide sur son front et rentra dans son cabinet (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 653). « Pour recommencer quand nous serons plus forts? », ne pouvait s'empêcher de dire Alexis, que les pommes de terre étouffaient, surtout qu'il n'y avait pas de vin (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 219) :
• 4. Elle [Hélène de Rieu] luttait âprement contre l'âge qui l'engraissait et la ridait; frottée d'onguents et d'huiles de toilette, sanglée dans des corsets qui l'étouffaient, elle s'imaginait rajeunir.
ZOLA, M. Férat, 1868, p. 116.
c) [Le suj. désigne une chose abstr.] Ma foi je n'en puis plus; la chaleur m'étouffe (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 184). On apporta le pain du goûter; je ne pus manger; une invincible émotion m'étouffait, ma bouche était desséchée, mes mains tremblaient (DU CAMP, Mém. suic., 1853, p. 92). J'ai peine à écrire en cet instant, et le souvenir de ce triple passé sans lendemain m'oppresse et m'étouffe! (SAND, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 380) :
• 5. Toute la journée, Dantès alla et vint dans son cachot, le cœur bondissant de joie. De temps en temps cette joie l'étouffait.
DUMAS père, Monte-Cristo, t. 2, 1846 p. 182.
— Fam. Ce n'est pas la religion / l'admiration qui l'étouffe. La religion/l'admiration ne risque pas de le gêner (parce qu'il n'en a pas, ne s'en soucie pas). L'amour filial ne l'étouffait pas (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 112) :
• 6. Un matin, Monsieur entra dans le cabinet de toilette au moment où Madame essayait devant moi un corset de satin mauve avec des fleurettes jaunes et des lacets de soie jaune. Le goût, ce n'est pas ce qui étouffait Madame.
MIRBEAU, Journal femme, 1900, p. 349.
3. P. anal. [Le suj. et le compl. d'obj. désignent tous deux une plante] Gêner la croissance, le développement d'une plante en la privant de l'oxygène qui lui est nécessaire. Le chêne-liège est un gros vilain arbre en été. Son feuillage est rude et terne; son ombre épaisse étouffe toute végétation autour de lui (SAND, Hist. vie, t. 4, 1855 p. 35). Je m'écarte du sentier pour observer de près le drame végétal d'un arbre énorme que s'apprête à étouffer lentement un ficus (GIDE, Retour Tchad, 1928, p. 998). Cf. cornichon ex. 1.
B.— P. ext. et au fig.
1. Éteindre un feu, un incendie par privation d'air. Il [Rougon] ne quitta pas la cheminée tout de suite. Il demeura par terre, tenant la pelle, sous laquelle il étouffait la flamme, de peur d'incendie (ZOLA, E. Rougon, 1876, p. 47) :
• 7. Je cherchai, en tâtonnant, cette feuille inutile, je la trouvai, je la tordis, et, la présentant à la flamme mourante, je l'allumai. Mais, sous mes doigts, comme par magie, à mesure que le feu montait, je vis des caractères jaunâtres sortir du papier blanc et apparaître sur la feuille; alors la terreur me prit : je serrai dans mes mains le papier, j'étouffai le feu...
DUMAS père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 229.
2. [Le compl. d'obj. désigne un bruit, un son]
a) Empêcher un son de se propager, de se faire entendre. Étouffer un bâillement, une plainte, un sanglot, un soupir :
• 8. Satou, fit-elle [Tahoser] en frappant l'une contre l'autre ses mains délicates pour imposer silence à la musicienne, qui étouffa aussitôt avec sa paume les vibrations de la harpe, ton chant m'énerve, m'alanguit...
GAUTIER, Rom. momie, 1858, p. 200.
— P. métaph. Étouffer la voix de l'innocence et de la vérité (ROBESP., Discours, Sur la guerre, t. 8, 1792, p. 197). On voulait étouffer le bruit de ma détention, et quelques heures suffirent pour élever un gibet et trouver un bourreau (JANIN, Âne mort, 1829, p. 102).
b) [Le suj. désigne un bruit, un son] Couvrir, dominer un autre son. La guerre était debout dans le lycée, le tambour étouffait à mes oreilles la voix des maîtres (VIGNY, Serv. et grand. milit., 1835, p. 13). Tout à coup, une mélodie énergique et suave, capricieuse et une à la fois, enveloppe, étouffe, éteint, dissimule le tapage criard (BAUDEL., Paradis artif., 1860, p. 332).
c) [Le suj. désigne une chose] Assourdir un son. Un épais tapis aux tons riches et sombres étouffait le bruit de mes pas (GIDE, Si le grain, 1924, p. 353) :
• 9. Dans le monde hors de la maison, la neige efface les pas, brouille les chemins, étouffe les bruits, masque les couleurs.
BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 53.
3. a) [Le compl. d'obj. désigne une chose abstr.] Supprimer quelque chose, l'empêcher de se développer, de se manifester. Étouffer un sentiment, la vérité; étouffer une conspiration, l'insurrection, la révolution. C'est le propre de l'éducation de développer les facultés, le propre de l'esclavage c'est de les étouffer (LACLOS, Éduc. femmes, 1803, p. 429). Le despotisme étouffe la liberté de la presse (CONSTANT, Esprit conquête, 1813, p. 196) :
• 10. ... il a insulté son supérieur. Celui-ci, généreusement, a cherché à étouffer l'affaire. Il a nié ce que chacun savait, mais, comme le scandale était immense, M. Tonski a été envoyé, simple soldat, à la frontière persane.
GOBINEAU, Pléiades, 1874, p. 99.
SYNT. Étouffer l'amour, une ardeur, la compassion, un désir, une émulation, une passion, une pensée, un regret, un remords, un ressentiment, la sensibilité.
♦ Étouffer qqc. dans l'œuf. L'arrêter avant tout développement :
• 11. ... les plus nobles familles ne pensent point déchoir en déléguant auprès d'eux [les cadres militaires] leurs jeunes hommes dans des fonctions qui touchent de fort près aux pratiques de l'espionnage, et dont l'effet a été longtemps d'étouffer dans l'œuf toute tentative de conspiration armée.
GRACQ, Syrtes, 1951, p. 9.
b) [Le compl. d'obj. désigne une pers.]
— Empêcher de se développer, de s'épanouir. Enfin parut le notaire, un panama sur la tête, un lorgnon dans l'œil, car l'officier ministériel n'étouffait pas en lui l'homme du monde (FLAUB., Bouvard, t. 1, 1880, p. 48) :
• 12. Les révolutionnaires de son temps étaient devenus des bourgeois; les surhommes, des hommes à la mode. Les indépendants d'autrefois essayaient d'étouffer les indépendants d'aujourd'hui.
ROLLAND, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1470.
— Donner une impression de gêne, oppresser. Mon oncle comprit sans doute les pensées qui m'étouffaient (ZOLA, Contes Ninon, 1864, p. 243) :
• 13. Cette fois, Autheman avait pris la résolution d'en finir, de dire ce qui l'étouffait depuis trois ans; et il attendait, allant et venant sur les dalles...
A. DAUDET, Évangéliste, 1883, p. 114.
♦ Emploi abs. Ce sentiment-là étouffe quand on ne l'exprime pas (STAËL, Lettres L. de Narbonne, 1792, p. 18). Tant mieux pour toi que l'officiel soit enfin parti. Il y a des gens dont la présence étouffe. Je suis aise pour toi de ce débarras (FLAUB., Corresp., 1847, p. 41). Cf. asphyxier ex. 4.
C.— Emplois spéc.
1. ART CULIN. Synon. rare de étuver. Étouffer, étuver : c'est faire cuire dans un vaisseau bien clos, pour empêcher l'évaporation (AUDOT, Cuisin. campagne et ville, 1896, p. 113).
2. MAR. Étouffer une voile. La serrer avec ses bras, ses mains, contre le mât afin de l'empêcher de prendre le vent. En halant sur le halebas, le foc s'abat sur son bout dehors; on étouffe la toile et il n'y a plus qu'à la serrer (GALOPIN, Lang. mar., 1925, p. 73).
3. Arg. et lang. fam.
a) Cacher, dissimuler. Moi qui ai pourtant quelque mille francs, que j'étouffe (MALLARMÉ, Corresp., 1862, p. 31). Où qu'ils m'ont étouffé ma voiture? (FRANCE, Crainquebille, 1904, p. 21).
♦ En partic. [Au jeu] Dissimuler son gain. Croupier, étouffe des deux mains. Étouffe d'affût pour tézigue (LARCH. Nouv. Suppl. 1889, p. 97).
— P. ext. Subtiliser, escamoter. Déjà quatre hommes et un boucher se disputaient certaines tripes à venir. — C'est toi eh vendu! qui l'as étouffé hier l'aloyau (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 28). En faisant tout seul, au garage, son plein d'essence, il étouffait régulièrement un bidon (SIMONIN, BAZIN, Voilà taxi! 1935, p. 173).
b) Boire d'un trait. Synon. asphyxier (cf. ce mot I) :
• 14. Il [Auguste] devait de l'argent à ce copain. Celui-ci, le matin, tout en étouffant son pierrot de vin blanc, avait tiré de sa poche huit ou neuf bouchons et il s'était dit : nom d'un bonhomme, on a rien bidonné, depuis hier au soir!
HUYSMANS, Sœurs Vatard, 1879, p. 174.
♦ Étouffer une bouteille. ,,La boire, la faire disparaître jusqu'à la dernière goutte, — dans l'argot du peuple`` (DELVAU 1866, p. 138).
II.— Emploi pronom.
A.— Emploi pronom. réfl.
1. [Le suj. désigne une pers.]
a) Mourir par asphyxie. Au cours de pertes de connaissance brutales, le malade (...) peut s'étouffer en dormant et en mangeant (QUILLET Méd. 1965, p. 334) :
• 15. J'ai connu un habile médecin qui était tellement de mon avis qu'il faillit s'étouffer en expérimentant sur lui-même combien de temps on pouvait rester dans un four...
VIGNY, Journ. poète, 1835, p. 1032.
♦ P. métaph. On peut craindre qu'avec des ressources infinies de courage (...) la France ne s'étouffe comme un feu mal disposé (RENAN, Réf. intellect., 1871, p. 49) :
• 16. L'amour, peu à peu, s'éteignit par l'absence, le regret s'étouffa sous l'habitude; et cette lueur d'incendie qui empourprait son ciel pâle se couvrit de plus d'ombre et s'effaça par degrés.
FLAUBERT, Mme Bovary, t. 1, 1857, p. 142.
b) Perdre momentanément la respiration. S'étouffer de chaleur, de poussière. Tous deux [Gustave et Flory] s'étouffèrent de rire (ZOLA, Argent, 1891, p. 88).
2. [Le suj. désigne une chose concr.] S'arrêter par manque d'air. Le moteur partait très bien, mais cent mètres plus loin, il ne donnait plus sa force, il s'étouffait, quoi! Le silencieux était bouché (BERNANOS, Joie, 1929, p. 584).
3. Au fig. [Le suj. désigne un bruit, un son] Cesser d'être perceptible, se perdre. Pendant que les clameurs retombées s'étouffaient lourdement sous l'indestructible silence, monta un cri de chien qui hurle à la mort (MALRAUX, Cond. hum., 1933, p. 244) :
• 17. ... dans le brouillard épais, le clairon Gaude sonna la diane, de tout son souffle. Mais l'air était si noyé d'eau, que la sonnerie joyeuse s'étouffait.
ZOLA, Débâcle, 1892, p. 227.
B.— Emploi pronom. réciproque. [Le suj. désigne une pers.] S'empêcher mutuellement de respirer. Tels se pressent les deux guerriers, tels ils s'étouffent dans leurs bras serrés par les nœuds de la colère (CHATEAUBR., Natchez, 1826, p. 163).
— Au fig. [Le suj. désigne une chose abstr.] S'empêcher mutuellement d'exister :
• 18. J'aurais voulu pouvoir mêler les jouissances épurées de l'esprit aux jouissances fiévreuses du corps; mais d'où vient qu'elles semblent s'exclure ou qu'elles s'étouffent mutuellement?
SAND, Lélia, 1833, p. 171.
— P. ext. [Le suj. désigne une pers.] Se presser, se serrer les uns contre les autres :
• 19. Il [Gamelin] regarde la foule quitter à grands pas la place de Grève. Et, quand il tourne la tête, ses yeux voient que la salle, où les conseillers s'étouffaient tout à l'heure, est presque vide.
FRANCE, Dieux ont soif, 1912, p. 295.
III.— Emploi intrans.
A.— 1. [Le suj. désigne une pers., un animal ou une plante] Mourir par manque d'oxygène :
• 20. ... Pascal eut une nouvelle crise d'angine de poitrine. Elle dura près de cinq minutes, il crut qu'il étoufferait, sans avoir eu la force d'appeler sa servante.
ZOLA, D. Pascal, 1893, p. 284.
2. [Le suj. désigne une pers.] Respirer avec difficulté, suffoquer. Dès que les larmes me viennent aux yeux, les sanglots me prennent à la gorge, j'étouffe, ma respiration s'exhale en cris ou en gémissements (SAND, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 70) :
• 21. Folcoche se tord toujours, inconsciente, les deux mains sur le foie. Sa respiration siffle. Dois-je le dire, mais nous respirons mieux depuis qu'elle étouffe.
H. BAZIN, Vipère, 1948, p. 84.
— Spéc. Avoir trop chaud. Est-ce un grand bonheur d'habiter une chambre, Où l'on étouffe en juin, où l'on gèle en décembre? (PONSARD, Honn. et argent, 1853, IV, 5, p. 99) :
• 22. Dans cet hémisphère opposé, bien qu'au mois de janvier, nous nous trouvions dans cet instant sous les ardeurs brûlantes de l'été; nous étouffions.
LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t. 2, 1823, p. 498.
— Étouffer de qqc. Être oppressé par quelque chose, perdre momentanément la respiration. Étouffer de colère, de fumée, de rage, de rire. La cour était pleine; à peine un espace restait-il au milieu pour la danse. On étouffait de poussière et de chaleur (GIDE, Feuilles, 1896, p. 84).
B.— P. métaph. ou au fig.
1. [Le suj. désigne une pers.] Éprouver une impression d'ennui, de malaise. Dans les écrits de Marx, j'étouffe. Il y manque quelque chose, je ne sais quel ozone, indispensable à la respiration de mon esprit (GIDE, Feuillets, 1937, p. 1288) :
• 23. Il y a des moments dans la vie où l'on éprouve l'irrésistible besoin de changer d'air; on ne peut y tenir, on étouffe. J'étouffais à Marseille. Je ne fais pas allusion à la température. Ce serait une mauvaise plaisanterie au mois de mars et tu te souviens de m'avoir vu y demeurer en plein été (...). Non, je suis parti parce que, moralement, j'en avais par-dessus la tête.
MIOMANDRE, Écrit sur eau, 1908, p. 235.
2. [Le suj. désigne une chose concr., en partic. une ville] Se trouver dans un espace limité, trop restreint. Une petite ville [Carcassonne] achève de mourir, après avoir, pendant des siècles, étouffé en sécurité (HOURTICQ, Hist. art, Fr., 1914, p. 94).
Rem. On rencontre ds la docum. étouffe-chrétien, subst. masc. Mets d'une consistance épaisse. Tu pourrais encore, Tomazover, nous fabriquer de ces « étouffe-chrétiens » dont à Kobjercyn nous marquions les jours fastes (AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p. 159).
Prononc. et Orth. :[etufe], (j')étouffe [etuf]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1230 estofer « asphyxier (un animé) » (Gaidon, 202 ds T.-L.); 2. 1285 « empêcher (des plantes) de se développer » (Parabole du Semeur, ms. Bibl. Metz d'apr. FEW t. 12, p. 318a); 3. 1564 au fig. « empêcher (un sentiment, une opinion, etc.) de s'exprimer » (Indice de la Bible, Marc, 4b 19 : estouffent la parole); av. 1664 étouffer les semences d'une guerre civile (N. Perrot d'Ablancourt ds Trév. 1704); 4. 1575-1615 estouffer « rendre (un son) moins perceptible » (D'AUBIGNÉ, Tragiques, éd. Ch. Read, I, p. 40); 5. 1767 cuis. (Dict. port. de cuis., XI ds QUEM. DDL t. 2). Altération de l'a. fr. estoper « obstruer » (étouper) sous l'infl. de l'a. fr. estofer « rembourrer » (étoffer). Fréq. abs. littér. :3 185. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 3 971, b) 5 167; XXe s. : a) 6 000, b) 3 777.
DÉR. 1. Étouffage, subst. masc. Action d'étouffer quelqu'un. V. aceinturage ex. Spéc. a) Sériciculture. ,,Opération par laquelle on étouffe les chrysalides dans leur cocon pour les empêcher de le percer au moment de l'éclosion`` (FÉN. 1970). Les cocons destinés à fournir la soie. Ces derniers sont soumis à l'étouffage; on les maintient à une température de 70o pendant un quart d'heure. Cette opération se fait généralement dans une étuve. La chrysalide est tuée avant la formation du papillon (BLANQUET, Technol. mét. habill., 1948, p. 24). La plupart des dict. gén. enregistrent le sens en apic. Action d'étouffer les abeilles. b) Arg. et lang. fam. [Correspond à étouffer I C 3 a] Au jeu, ,,soustraction par un grec de la mise d'un ponte sur le tapis`` (FRANCE, 1907, p. 84). Dans les cercles, nombre de croupiers se livrent à l'étouffage (FRANCE, 1907, p. 84). — []. — 1res attest. 1845 sériciculture (BESCH.) 1881 arg. (RIGAUD, Dict. arg mod., p. 157); du rad. de étouffer, suff. -age. — Fréq. abs. littér. : 1. 2. Étouffeur, euse, subst. Celui, celle qui provoque, qui produit l'étouffement. P. métaph. Le vaste étouffeur des plaintes et des râles, L'océan, échouait dans les nuages pâles D'affreux sacs noirs faisant des gestes effrayants (HUGO, Légende, t. 2, 1859, p. 460). Ce magistrat qui avait déjà jugé de façon fort sévère la conduite des étouffeurs de vérité dans l'affaire Zola (CLEMENCEAU, Iniquité, 1899, p. 321). La plupart des dict. gén. enregistrent le sens en zool. ,,Nom vulgaire des grands serpents, du boa particulièrement`` (LITTRÉ). — [], fém. [-ø:z]. — 1res attest. 1722 adj. région. « qui étouffe [en parlant du temps] » (I. GIRARD, Journ. inédits de J. Desnoyers et d'I. Girard, 90 ds QUEM. DDL t. 15); 1775 subst. « boa constrictor » (VALM., s.v. giboya) — 1901, Nouv. Lar. ill. 1801, 23 sept. id. « personne qui étouffe » (Mercure de France ds BRUNOT t. 10, p. 762, note 1 : l'Étouffeur Laharpe); du rad. de étouffer, suff. -eur2. — Fréq. abs. littér. : 3.
BBG. — ARVEILLER (R.). R. Ling. rom. 1965, t. 29, p. 377.
étouffer [etufe] v.
ÉTYM. 1230, estofer; altér. du lat. pop. stuffare « garnir d'étoupe, boucher », de stuffa; → Étoupe (cf. anc. franç. estoper « boucher »); d'après l'anc. franç. estoffer. → Étoffer.
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I V. tr.
A Priver d'air.
1 (1536). Sujet n. de personne ou d'animal. Faire mourir en rendant la respiration impossible. ⇒ Asphyxier, étrangler. || Étouffer qqn par pendaison, par strangulation. || Étouffer par submersion. ⇒ Noyer. || Étouffer un poisson en le sortant de l'eau. || « La diphtérie peut étouffer les enfants » (Académie). || Hercule étouffa le géant Antée. — Plus cour. Asphyxier (un être vivant) en pesant sur la poitrine, en appliquant qqch. (sur le nez, la bouche) qui empêche de respirer. || Étouffer quelqu'un avec un oreiller.
1 Car tu lui tiens la tête mise
Si longtemps au fond du ruisseau,
Que tu l'étouffes dessous l'eau.
Ronsard, Pièces retranchées « La grenouille ».
2 Quand vous seriez tombés dans une nouvelle anarchie, pourriez-vous réveiller sur son rocher l'Hercule qui fut seul capable d'étouffer le monstre ? Dans quelque mille ans, votre postérité pourra voir un autre Napoléon. Quant à vous, ne l'attendez pas.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. V, p. 266.
3 Tu sais fort bien que notre jeune seigneur est d'une vigueur telle qu'il étouffe les loups, d'une seule étreinte à la gorge, sans daigner tirer son couteau de chasse.
Villiers de l'Isle-Adam, Axel, II, 2.
4 Je t'ai prise contre ma poitrine comme une colombe qu'une petite fille étouffe sans le savoir.
Apollinaire, Ombre de mon amour, XLVII.
5 Le lieutenant Luis d'Ortega est mort, dit-il. Le sang lui est ressorti par la bouche et l'a étouffé.
P. Mac Orlan, la Bandera, XVII.
♦ Spécialt. || Étouffer les cocons des vers à soie : tuer par étouffement la chrysalide, pour éviter que le cocon ne soit percé. ⇒ Étouffage.
♦ ☑ Vx. (Sujet n. de chose ou d'entité). La peste (le diable) l'étouffe ! La peste (le diable) m'étouffe !, juron, malédiction.
6 — Il n'est pas vrai que vous soyez médecin ?
— Non, la peste m'étouffe !
Molière, le Médecin malgré lui, I, 5.
♦ Fig et vieilli. || Étouffer son ennemi, son rival. ⇒ Perdre, tuer. — Allusion littéraire :
7 — J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer.
— Quoi, Seigneur ? — C'en est trop : il faut que sa ruine (de Britannicus)
Me délivre à jamais des fureurs d'Agrippine.
Racine, Britannicus, IV, 3.
2 (Sujet n. de chose ou de personne). Gêner (qqn) en rendant la respiration difficile. ⇒ Oppresser, suffoquer. || La chaleur m'étouffe. || Cette atmosphère étouffe. ⇒ Étouffant. || Étouffer qqn en le serrant dans ses bras (cit. 10). || On l'étouffait de caresses (cit. 16), d'étreintes (→ Embrasser, cit. 7).
8 Les pleurs recommencèrent et on pensa étouffer l'enfant à force de le baiser.
Scarron, le Roman comique, I, XIII.
9 (Elle) se jette entre mes bras, colle sa bouche contre la mienne, et me serre à m'étouffer.
Rousseau, les Confessions, VII.
10 (…) il lui semblait que les quelques bouchées qu'elle s'était contrainte d'avaler lui restaient au fond de la gorge et l'étouffaient.
J. Green, Adrienne Mesurat, p. 179.
♦ Les larmes, les sanglots l'étouffaient. || L'angoisse (cit. 3), l'émotion (→ Buste, cit. 5), la colère l'étouffait.
11 Pour un rien, maintenant, les larmes l'étouffaient.
Martin du Gard, les Thibault, t. III, p. 163
♦ Fam. et iron. || Les scrupules, la bonne foi ne l'étouffent pas : il n'a aucun scrupule, aucune bonne foi. || Ce n'est pas l'honnêteté qui l'étouffe (⇒ Gêner).
11.1 (…) un corset neuf, un affreux corset de satin mauve avec des fleurettes jaunes et des lacets de soie jaune. Le goût, ce n'est pas ce qui étouffait Madame.
O. Mirbeau, le Journal d'une femme de chambre, p. 378.
12 Vous me direz que l'amour filial ne l'étouffait pas. Mais de là à penser que son père était un salaud.
Aragon, les Beaux Quartiers, p. 112.
13 Qu'est-ce que c'est que ces manières de parler à un supérieur ? Vous ne pouvez pas rectifier la position ? Et ça vous étoufferait de me dire : mon lieutenant.
Sartre, la Mort dans l'âme, p. 146.
♦ Donner une impression de gêne, d'étouffement à (qqn). || Cette vie d'inaction l'étouffait. ⇒ Oppresser, peser.
14 Le monstrueux édifice (l'Escurial) pèse sur vous de tout son poids; il vous entoure, il vous enlace et vous étouffe; vous vous sentez pris comme dans les tentacules d'un gigantesque polype de granit.
Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 94.
15 (…) cette vie de petite ville lui pesait, l'étouffait. Le grand homme de Tarascon s'ennuyait à Tarascon.
Alphonse Daudet, Tartarin de Tarascon, I, IV.
3 (1235). Priver (une plante) de l'oxygène nécessaire à sa respiration. Par ext. Gêner la végétation, la croissance d'une plante.
16 (…) ce bosquet, où le toit spacieux des chênes étouffait toute autre verdure comme aussi l'éclat du soleil, et les bruits même d'alentour (…)
P.-J. Toulet, la Jeune Fille verte, p. 149.
17 Des sortes de lichens longs et fins, comme des toiles d'araignées, enveloppaient de leurs résilles les branches de sapins rouges, les ligotaient des pieds à la tête, passaient d'un arbre à l'autre, étouffaient la forêt.
R. Rolland, Jean-Christophe, Le buisson ardent, II, p. 1418.
4 (V. 1360, Froissart). Priver (une matière en combustion, le feu) de l'oxygène nécessaire à la combustion. ⇒ Éteindre. || Étouffer la braise dans un étouffoir. || Étouffer un incendie, un foyer d'incendie. || Étouffer le feu sous la cendre.
18 (…) un flambeau sans réflecteur dans un de ces souterrains où les ténèbres (…) ne font que reculer plus épaisses, à trois pas de l'insuffisante lumière qu'elles menacent d'étouffer.
Léon Bloy, le Désespéré, p. 131.
5 (1767). Cuis. Rare. Faire cuire à l'étouffée.
6 (1838). Mar. || Étouffer une voile, la toile : serrer une voile avec les bras, les mains contre le mât ou la vergue pour l'empêcher de prendre le vent.
18.1 (…) des voiliers où les hommes, à trente mètres de haut, avec 90° de ballant, s'accrochaient d'une main à l'étrier, pendant que l'autre étouffait la toile (…)
Roger Vercel, Remorques, p. 60.
B Fig.
1 (1636). Empêcher (un son) de se faire entendre, de se propager. ⇒ Amortir, assourdir; couvrir. || Étouffer un son, un bruit. || Des tentures étouffaient les bruits; des tapis étouffaient les pas. || Étouffer un cri, une plainte dans le brouhaha. ⇒ Noyer. || Les clameurs étouffaient la voix de l'orateur.
19 (…) ils m'ôtent la parole et m'étouffent la voix.
Racine, Phèdre, IV, 2.
20 (…) il faut crier d'autant plus haut qu'on est censuré plus injustement, et qu'on veut étouffer la parole plus violemment (…)
Pascal, Pensées, XIV, 920.
21 Tout à coup une mélodie énergique (…) enveloppe, étouffe, éteint, dissimule le tapage criard. La guitare chante si haut, que le violon ne s'entend plus.
Baudelaire, Du vin et du haschisch, II.
22 Du haut des tribunes, ils étouffent par la force de leurs poumons les réclamations de la droite : tel décret, par exemple l'abolition des titres de noblesse, est emporté non par des cris, mais par d'horribles hurlements.
Taine, les Origines de la France contemporaine, III, t. I, p. 201.
23 Dans cette petite pièce calfeutrée elle avait l'impression que le silence essayait d'étouffer le bruit de ses paroles, car sa voix était sourde, presque indistincte.
J. Green, Léviathan, p. 231.
♦ (1564). || Étouffer un soupir, un sanglot, un cri. ⇒ Contenir, réprimer, retenir.
24 (…) la grande joie où je suis étouffe toutes mes paroles.
Molière, l'Amour médecin, III, 6.
25 Je me redisais en étouffant mes sanglots les mots où Gilberte avait laissé éclater sa joie (…)
Proust, À la recherche du temps perdu, t. II, p. 256.
26 Elle étouffa un cri de joie et se glissa comme une souris dans l'intérieur.
Martin du Gard, les Thibault, t. I, p. 255.
♦ Faire taire. || Étouffer les protestations de l'opposition. || Étouffer l'opinion publique. || Étouffer la presse. ⇒ Étrangler.
27 Le jour même de l'ouverture des États, la cour essaya d'étouffer la presse; un arrêt du Conseil supprima, condamna le journal des États généraux, que Mirabeau publiait; un autre arrêt défendit qu'aucun écrit périodique parût sans permission.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., t. I, p. 109.
2 (1564). Supprimer ou affaiblir (un sentiment, une opinion…); empêcher de se développer en soi. ⇒ Anéantir, assoupir, cesser (faire), détruire, empêcher, juguler, refouler, supprimer, tuer. || Étouffer ses sentiments, ses émotions : se durcir le cœur (→ Bruit. cit. 4; durcir, cit. 2). || Étouffer en soi toute haine, tout orgueil. ⇒ Surmonter. || Étouffer ses doutes, ses hésitations, ses scrupules. ⇒ Vaincre. || Étouffer ses remords. || L'ambition étouffe en lui tout sentiment. Par ext. || Le pamphlétaire a étouffé en lui le romancier.
28 (…) j'étouffe en mon cœur la raison qui m'éclaire (…)
Racine, Andromaque, V, 5.
29 Voilà comme je crus étouffer ma tendresse.
Racine, Andromaque, I, 1.
30 (…) il faut donc étouffer tous les sentiments de la nature (…)
Mme de Sévigné, 798, 6 avr. 1680.
31 — Je sens naître malgré moi des scrupules.
— Il faut les étouffer.
A. R. Lesage, Turcaret, IV, 8.
32 (…) étouffer un amour ridicule qui ne peut produire que du malheur.
B. Constant, Journal intime, p. 322.
33 Eh bien ! tel qu'il est, incomplet et condamné à une éternelle enfance, il est encore plus beau que celui chez qui la science a étouffé le sentiment.
G. Sand, la Mare au diable, II.
34 (…) l'aspiration naïve de l'homme du peuple vers la lumière; la révolte refoulée et l'action inutile que l'officier étouffait en lui (…)
R. Roland, Jean-Christophe, Dans la maison, I, p. 977.
♦ Étouffer l'esprit, l'intelligence de qqn en encombrant sa mémoire, en l'abrutissant de travail. || Étouffer la pensée. ⇒ Opprimer.
35 (…) on étouffe l'esprit des enfants sous un amas de connaissances inutiles (…)
Voltaire, Jeannot et Colin.
36 La pensée échappe toujours à qui tente de l'étouffer. Elle se fait insaisissable à la compression (…)
Hugo, les Châtiments, Préface de 1853.
37 Malheureusement, les talents qui sortaient de là (les écoles allemandes d'enfants pauvres) étaient étouffés par la misère.
R. Rolland, Voyage musical au pays du passé, p. 242.
3 (XVIIe). Empêcher d'éclater, de se développer. ⇒ Arrêter, enrayer, juguler. || Étouffer une affaire, un scandale. ⇒ Cacher, dissimuler. || Étouffer la révolte dans l'œuf. ⇒ Briser, mater, tuer (dans l'œuf).
38 Vous êtes pris; ne vous montrez donc pas :
C'est le moyen d'étouffer cette affaire.
La Fontaine, Contes, « Les Rémois ».
39 (…) employez seulement votre autorité à étouffer ces disputes dès leur naissance.
Fénelon, Télémaque, XVII.
40 (…) du reste, l'affaire ne fera aucun tapage. Si je ne l'étouffais dans l'œuf (…) vous me prendriez pour un daim.
Courteline, Messieurs les ronds-de-cuir, 6e tableau, II.
4 Fam. Faire disparaître (⇒ Cacher, dissimuler, escamoter, subtiliser), s'emparer subrepticement de (qqch.). ⇒ Dérober, voler.
41 Quand on le pouvait on étouffait le pèze des filles d'Aphrodite.
P. Mac Orlan, Quai des brumes, IV.
♦ Argot. Boire. — ☑ Loc. (vieilli). Étouffer une bouteille, une négresse : boire une bouteille en entier.
———
II V. intr. (1559).
1 Respirer avec peine, difficulté : ne plus pouvoir respirer. ⇒ Suffoquer. || Étouffer dans une pièce fermée, confinée. || Étouffer de chaleur : avoir très chaud, être incommodé par la chaleur. ⇒ Cuire (fam.). || Étouffer dans une atmosphère (cit. 8) raréfiée.
♦ Absolt. Avoir très chaud. || On étouffe, ici.
42 (…) malgré la nuit on étouffait (…)
E. Fromentin, Un été dans le Sahara, p. 174.
42.1 Il fait terriblement chaud, humide, orageux. On étouffe. La salle à manger est heureusement très aérée.
Gide, Voyage au Congo, in Souvenirs, Pl. p. 707.
43 Verdâtre, les lèvres cireuses, les paupières plombées, le souffle saccadé et court (…) le concierge étouffait sous une pesée invisible (…)
— N'y a-t-il donc plus d'espoir, docteur ? — Il est mort, dit Rieux.
Camus, La peste, p. 33.
44 Les musiciens étouffaient de rire; les auditeurs ouvraient de grands yeux, et auraient bien voulu fermer les oreilles; mais il n'y avait pas moyen.
Rousseau, les Confessions, IV.
45 Tous les dos se courbent; ils étranglent de rire, ils étouffent, ils n'en peuvent plus.
R. Dorgelès, les Croix de bois, IV.
2 Être mal à l'aise, ressentir une impression d'oppression, d'ennui. || C'est un campagnard, il étouffe à la ville (→ Durer, cit. 21).
46 On étouffe un peu dans nos belles villes closes, pleines comme des œufs.
Sartre, Situations III, p. 109.
——————
s'étouffer v. pron.
1 (Réfl.). Perdre la respiration. ⇒ Asphyxier (s'). — Perdre passagèrement la respiration. || S'étouffer en mangeant, en avalant de travers. || S'étouffer à force de crier. || S'étouffer de rire. || Asthmatique qui s'étouffe.
47 (…) cette femme s'étouffait de rire (…)
Mme de Sévigné, 188, 26 juil. 1671.
48 (…) il s'est étouffé de crier après les chiens qui étaient en défaut (…)
La Bruyère, les Caractères, VII, 10.
♦ Fig. || Bruit, son qui s'étouffe. ⇒ Mourir, perdre (se). || « Les murmures s'étouffèrent parmi les acclamations » (Littré).
49 (…) la steppe orientale où les sonorités s'étouffent dans l'illimité des distances et le feutrage de la neige.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XII, p. 224.
2 (Récipr.). || S'étouffer mutuellement, se battre en essayant de s'étouffer.
50 Ils s'étouffent, Attale, en voulant s'embrasser.
Racine, la Thébaïde, III, 6.
51 Car, quelle sorte de plaisir pouvait-on prendre à voir des troupeaux d'hommes avilis par la misère s'entasser, s'étouffer, s'estropier brutalement, pour s'arracher avidement quelques morceaux de pains d'épice foulés aux pieds et couverts de boue ?
Rousseau, Rêveries…, 9e promenade.
♦ Se serrer les uns les autres dans la foule. ⇒ Écraser (s'), presser (se). || On s'étouffait à cette réception.
52 Il y avait bien des places de vides, tout le monde ayant cru qu'on s'y étoufferait.
Mme de Maintenon, Lettre à M. d'Aubigné, 5 oct. 1682.
——————
étouffé, ée p. p. adj.
1 Asphyxié par étouffement. || Il est mort étouffé. || Étouffé par pendaison, strangulation. — Par exagér. || Étouffé de caresses, d'embrassements.
53 (…) je me trouve étouffée ici, j'ai besoin d'air et de marcher.
Mme de Sévigné, 559, 22 juil. 1676.
54 Il partit donc aux acclamations de tout le canton, étouffé d'embrassements (…)
Voltaire, l'Ingénu, VII.
2 Vx. || Endroit étouffé, où il n'y a pas d'air, où l'atmosphère est étouffante. || « Chambre étouffée » (Littré).
55 (…) vous allez dans une petite ville étouffée, où peut-être il y aura des maladies et du mauvais air (…)
Mme de Sévigné, 203, 16 sept. 1671.
3 Éteint. || Feu étouffé. || Feu à demi étouffé qui couve sous la cendre.
56 Quel feu mal étouffé dans mon cœur se réveille ?
Racine, Phèdre, IV, 5.
♦ Par analogie :
57 Madame Foullepointe, jolie brune, la vraie Parisienne (…) au regard brillant étouffé par de longs cils (…)
Balzac, Petites misères de la vie conjugale, Pl., t. X, p. 966.
4 (Bruit, son). ⇒ Assourdi, faible, sourd. || Accords (cit. 21) étouffés. || Détonations étouffées (→ Chuchotement, cit. 1). || Rire, sanglot vite étouffé, réprimé (⇒ Contenu).
58 Les oiseaux font entendre des cris étouffés au lieu des joyeuses fanfares de l'été.
G. Sand, François le Champi, Avant-propos.
59 Pigeons. Leur vol fit le bruit d'un rire étouffé de jeunes filles, de nonnes au couvent.
J. Renard, Journal, 1er oct. 1898.
60 (…) elle eut un rire désagréable et vite étouffé.
Sartre, l'Âge de raison, p. 219.
5 Fig. || Sentiments étouffés. || Tendances étouffées, refoulées. || Talents étouffés (→ Avorter, cit. 5). || Révolte étouffée à grand'peine. ⇒ Réprimé.
61 Que peut faire une amitié sous cet amas d'épines ? Où en sont les douceurs ? Elle est écrasée, elle est étouffée.
Mme de Sévigné, 250, 19 févr. 1672
62 Des desseins étouffés aussitôt que naissants (…)
Racine, Britannicus, IV, 2.
63 Et, foulant à vos pieds leurs fureurs étouffées (…)
Voltaire, Tancrède, V, 1.
6 Littér. Resserré, sans étendue. || Quartier étouffé.
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CONTR. Ranimer, sauver. — Allumer; alimenter, attiser. — Ébruiter, éclater (faire), entendre (faire). — Exalter, exciter; épanouir (faire). — Respirer.
DÉR. Étouffade, étouffage, étouffant, étouffée, étouffement, étouffeur, étouffoir.
COMP. Étouffe-chrétien.
HOM. Étouffée.
Encyclopédie Universelle. 2012.