MONTAGNE
Les montagnes sont un élément important du relief terrestre. Il serait faux d’identifier la notion de montagne à la seule notion d’altitude. Personne ne contestera qu’à moins de 1 000 m d’altitude les vigoureux reliefs du Pays basque soient des montagnes, alors qu’au Nouveau-Mexique les vastes surfaces du Llano Estacado situées au-dessus de cette altitude ne sont absolument pas incorporées aux montagnes Rocheuses. Inversement, un grand nombre d’unités topographiques très basses, vallées ou bassins, font partie intégrante des montagnes; le sillon alpin est à 213 m d’altitude à Grenoble et il appartient incontestablement au domaine montagnard. Tout autant que l’altitude absolue, c’est la vigueur de la pente et l’importance des dénivellations qui frappent l’imagination. Tous les hauts sommets présentent de gigantesques abrupts. Les grandes «pyramides» de l’Himalaya, qui dépassent 8 000 m, offrent au-dessus des glaciers des dénivellations de l’ordre de 5 000 m, et les pentes verglacées y sont souvent supérieures à 600. Dans les Andes, la face orientale de l’Aconcagua (7 010 m) se développe en courts gradins sur 3 000 m de dénivellation. Les grandes faces nord des Alpes, même sur de moins grandes hauteurs, sont tout aussi impressionnantes lorsque quelque indication structurale vient en augmenter la raideur. Les calcaires de l’Eiger donnent une muraille subverticale sur 1 600 m. Dans les massifs cristallins, l’exploitation des plans de fracture donne des parois impressionnantes, comme les Grandes Jorasses au-dessus des névés de la mer de Glace. C’est la pente, plus que l’altitude, qui constitue l’obstacle majeur pour l’homme; pour la franchir, il déploie des efforts, parfois héroïques, comme ceux des alpinistes, ou met en œuvre des techniques remarquables, comme c’est le cas pour les ingénieurs.
Moins peuplées en général que les régions plus basses, de relief moins tourmenté, les montagnes sont souvent considérées comme des régions hostiles à l’homme ou, en tout cas, des régions rudes devant lesquelles refluent les formes modernes de la vie humaine. Du moins fut-ce longtemps vrai aux latitudes tempérées, où l’altitude introduit des conditions de milieu beaucoup plus sévères que dans les plaines. Cette façon de juger la montagne ressort en partie d’un égocentrisme européen. En bien d’autres régions du globe, tropicales ou équatoriales, la montagne est un milieu plus favorable que les basses terres environnantes; elle a pu parfois, en Amérique du Sud et en Afrique par exemple, devenir le siège des peuplements les plus denses et des civilisations les plus évoluées. De même, il faudra considérer sous deux angles très différents le rôle politique des montagnes; unités de peuplement, de genres de vie et de techniques dans les civilisations traditionnelles, elles sont souvent devenues dans les États policés, si l’on excepte la Suisse, des frontières politiques de part et d’autre desquelles les contrastes humains se sont accusés.
Mais le temps modifie ce point de vue; vaincue par l’homme seul, domptée par le technicien, la nature montagnarde est aussi devenue un élément attractif de première importance, ce qui la voue parfois à l’invasion des foules. Les «abymes affreux» qui faisaient frissonner les romantiques n’effraient plus les touristes. Ils affluent, hiver comme été, vers les stations de montagnes, vers ces biens de nature mis à la disposition de l’homme au point qu’on puisse craindre qu’ils deviennent rares ou qu’ils soient menacés de destruction.
1. Typologie des reliefs montagnards
La morphologie montagnarde dépend des types structuraux ainsi que de la nature et de la vigueur de l’érosion.
Les types tectoniques élémentaires
Les structures plissées sont à l’origine des dessins les plus nets. L’érosion différentielle y met en valeur des formes d’origine structurale. Les monts anticlinaux du Jura, de l’Atlas saharien, du Zagros, de la sierra Madre orientale mexicaine soulignent fidèlement les caractéristiques des plis: faisceaux arqués, dispositifs en coulisses, virgations parfois brutales. Les structures charriées créent souvent des dispositions isoclinales, aux grands crêts tournés dans le sens du charriage: crête des Aravis dans la zone intra-alpine, grandes parois himalayennes tournant au sud leurs multiples corniches. Les montagnes appalachiennes réincorporent à des structures rajeunies des plissements anciens; elles possèdent les alignements parallèles les plus rigoureux, où chaque unité de relief correspond à une bande de roche résistante.
Les structures massives donnent aux cassures le premier rôle. Les chaînes liminaires des socles anciens leur doivent leur dissymétrie. Les Gates occidentales, les montagnes orientales de Madagascar, l’As 稜r saoudien et l’abrupt yéménite opposent vigoureusement le versant faillé, disséqué en serres, aux reliefs mûrs des surfaces d’érosion soulevées. Les montagnes hercyniennes sont des jeux de blocs faillés et inégalement soulevés, présentant les mêmes contrastes. En France, Forez, Livradois, Margeride, mont Lozère, Bougès, Espinouse et Montagne Noire résultent de la fragmentation du Massif central par un réseau de failles orthogonales. Les basins and ranges du Nevada traduisent fidèlement dans le relief les données d’un faisceau de failles méridiennes. À une tout autre échelle, l’organisation des grandes chaînes à terrains paléozoïques d’Asie centrale: Kunlun, Nanshan, Tianshan, entre autres, peut être mise au compte presque exclusif de grandes cassures longitudinales.
Les structures volcaniques peuvent donner naissance à des massifs entiers : montagnes d’Éthiopie, du Kenya, de la sierra Madre occidentale mexicaine. Les formes lourdes des vastes épandages basaltiques s’y opposent aux reliefs élancés liés aux bouches d’éruption. Les grands cônes récents, Ras Dachan, Kilimandjaro, mont Kenya, Popocatepetl, donnent les plus hauts sommets. Les fortes pentes, la friabilité des cendres exacerbent le ravinement, et les massifs volcaniques évolués présentent un assemblage extraordinaire de pitons résiduels et d’entailles profondes, comme, dans des genres différents, au mont Dore et au Hoggar. Les îles montagneuses sont souvent d’origine volcanique. Selon son âge, l’appareil est presque intact, comme aux Hawaii, ou largement démantelé, comme à la Réunion. Les types chronologiquement et morphologiquement plus variés sont associés aux guirlandes insulaires, des alignements de cônes de cendres de Java aux édifices complexes de type martiniquais ou guadeloupéen.
Composition structurale des édifices montagneux
L’évolution morphologique doit s’adapter à certaines règles de composition structurale. Dans chaque unité longitudinale à structure homogène, les enchaînements de modelés sont liés à l’intensité de l’effort tectonique. Dans les chaînes de type subalpin, si les roches tendres s’y prêtent, l’élévation structurale entraîne l’inversion de relief, avec les grands défoncements du Diois et les synclinaux perchés de la Chartreuse. Dans le Haut Atlas marocain, d’est en ouest, les «monts» de l’Ayachi font place aux synclinaux perchés du M’goun et du Tignousti, puis aux reliefs de socle disloqué du Toubkal. Sur une coupe transversale, la juxtaposition d’unités différentes tient aussi à l’intensité variable des efforts, combinée à la migration de l’onde tectonique.
Dans les systèmes à zone axiale, de type caucasien ou pyrénéen, de hauts massifs centraux paléozoïques sont encadrés de chaînes plissées d’âge sensiblement différent. Les Alpes et l’Himalaya, où les charriages jouent un grand rôle, sont en partie une brutale exagération de ce dispositif.
Les systèmes à plateaux incorporés peuvent être illustrés par les montagnes de l’Ouest américain. Le rameau interne correspond à un plissement de revêtement assez ancien (phase laramienne) qui incorpore des amygdales de paléozoïque, comme les Big Horn Mounts. Le plateau du Colorado et le Grand Bassin sont des éléments de socle incorporés à la chaîne par des soulèvements tardifs. Le rameau externe, sierra Nevada, Cascades, Coast Ranges, se singularise par ses caractères récents: «jeunes granites» injectés dans les diverses structures, grandes cassures à sismo-tectonique redoutable. Un important volcanisme récent superpose aux autres éléments des cônes puissants (mont Rainier, mont McKinley) et répand sur les plateaux intermédiaires les immenses coulées basaltiques de la Columbia et de la Snake River. Mutatis mutandis , des associations de formes comparables existent au Mexique, au Maghreb, en Turquie et en Iran. Parfois, comme dans les Andes, le faisceau externe joue le rôle fondamental.
2. Le milieu montagnard
La péjoration des températures
La température de l’air diminue avec l’altitude selon un gradient moyen de 0,55 0C par 100 m, ce qui, aux latitudes tempérées, situe l’isotherme 0 0C entre 2 700 et 3 000 m. C’est la cause essentielle de l’étagement morphologique et biogéographique. En hiver, le milieu montagnard des latitudes moyennes est franchement défavorable, du moins pour la vie traditionnelle. À Chamonix, à 1 000 m d’altitude, la moyenne des températures d’hiver est de 漣 4 0C et celle de janvier descend à 漣 5,8 0C; le nombre moyen des jours de gelée est de 187 et il est arrivé que le thermomètre descende à 漣 28 0C. Les sommets sont résolument hostiles; au Sonnblick, en Autriche (3 326 m), les moyennes mensuelles ne sont positives qu’en juillet-août et s’abaissent à 漣 13,5 0C en février. Si les contrastes journaliers sont forts, l’amplitude annuelle est, en revanche, plus faible en montagne qu’en plaine. En pays subtropical et intertropical, le rôle de la montagne favorise les activités humaines; déjà, la fraîcheur des montagnes méditerranéennes est un facteur important de la transhumance. Les montagnes moyennes tropicales ont permis aux Européens d’éviter la fournaise des basses terres en créant des stations d’altitude, telles Dalat au Vietnam, Darjeeling en Inde, etc.
La vigueur du relief modifie localement la répartition des températures. Dans les vallées profondes et les bassins, l’inversion de température est courante par temps calme, par subsidence de l’air froid. L’exposition, surtout, crée des contrastes brutaux entre les versants. Ceux qui regardent vers les pôles reçoivent les rayons solaires très obliquement; frais et ombreux, ils sont dénommés, selon les régions, ubac, paco, ombrée, envers, et l’homme s’en éloigne; les versants opposés, directement insolés, présentent un bilan thermique favorable et sont appelés adret, endroit, soulane. Ces contrastes sont fondamentaux pour la biogéographie et l’occupation humaine.
L’abondance des précipitations et de l’enneigement
Les masses d’air qui abordent les chaînes subissent une ascendance qui entraîne un double refroidissement, par détente et par contact avec l’air froid et les parois froides d’altitude. En exagérant la pente des fronts et la turbulence, la montagne en renforce les effets. L’accroissement des précipitations peut alors se manifester sur une bande de plusieurs dizaines de kilomètres; cette ombre pluviométrique de la montagne projette, par exemple au nord des Pyrénées, l’isohyète de 1 200 mm jusqu’à Dax et Pau. Sur les hauts massifs, les ascendances liées aux brises de vallée font apparaître en été, par temps non perturbé, des cumulus où naissent les forts orages d’après-midi. Les averses montagnardes peuvent être d’une extrême brutalité. Valleraugue, dans les Cévennes, a reçu, le 28 septembre 1910, 950 mm en vingt-quatre heures; Molitg, dans les Pyrénées orientales, 313 mm en une heure et demie, le 20 mars 1968.
Les totaux annuels peuvent être considérables. Dans les Alpes et les Dinarides, les précipitations dépassent souvent 2 mètres et atteignent parfois 4 mètres. Face aux grands vents d’ouest, les Alpes néozélandaises, les chaînes alaskiennes, la Patagonie chilienne reçoivent 4 à 6 mètres. La notion d’optimum pluviométrique situé à altitude moyenne semble très discutable aux latitudes tempérées. Beaucoup plus important est le rôle de barrière climatique des chaînes, surtout lorsqu’elles s’opposent de front aux perturbations. Sur la façade occidentale de l’Alaska, Yakutat reçoit 4 318 mm alors qu’à 175 km de là, sur le piémont nord-est, Kluane ne reçoit que 380 mm. Ces contrastes sont accusés par des vents descendants secs et chauds comme le chinook des Rocheuses septentrionales; ils ont abandonné leur humidité sur le versant au vent, mais ont récupéré la chaleur de condensation. Des effets comparables créent le fœhn alpestre et le vent d’Espagne des Pyrénées; sur les versants nord, ils retardent les précipitations à l’avant des perturbations et réchauffent les vallées. Le cierzo aragonais comme la bora dinarique, venus du nord, sont froids, mais encore desséchants. Localement, le phénomène d’abri marque la plupart des bassins intra-montagnards; en arrière du Pelvoux, Briançon reçoit moins de 600 mm.
Dans la zone intertropicale humide, les montagnes exacerbent les effets de la mousson et des alizés. Les 13 m de précipitations annuelles de Tcherrapoundji sont liés à l’ascendance de la mousson sur les contreforts de l’Assam. De même, face à l’alizé, le versant occidental de la Guadeloupe reçoit 8 m d’eau à 800 m d’altitude, au lieu de 1 200 mm au niveau de la mer. Dans ces milieux montagnards équatoriaux éclate l’opposition entre versant au vent et versant sous le vent; aux îles Hawaii, le contraste irait de 12 m au nord-est à 500 mm au sud-ouest. En même temps, l’inversion de température de l’alizé est responsable de nombreux cas de décroissance de la pluviosité, par exemple sur le versant oriental des Andes boliviennes au-dessus de 2 000 m ou sur les flancs du Kilimandjaro: après un maximum de 1 800 mm à 3 000 m, la pluviosité s’annule presque vers le sommet.
Les précipitations neigeuses croissent considérablement avec l’altitude. Dans les Alpes du Nord, le nombre de jours de neige est quatre à dix fois plus grand à moyenne altitude que dans les basses vallées. La hauteur des chutes cumulées peut être estimée à 10 m de neige fraîche, total qui serait porté à 30 ou 50 m sur les sommets. Le coefficient nivométrique, rapport entre la lame d’eau que fournirait la fusion de la neige et les précipitations totales, s’accroît rapidement avec l’altitude; il est supérieur à 0,85 au mont Blanc. Dans l’Oberland bernois, vers 3 500 m, presque toutes les précipitations tombent sous forme solide, atteignant des valeurs cumulées de 35 m de neige fraîche, correspondant à 3 m de précipitations liquides.
Torrentialité montagnarde
Les fortes pentes et les précipitations abondantes donnent aux écoulements montagnards un caractère torrentiel. Les débits spécifiques peuvent atteindre des valeurs impressionnantes dans les petits bassins supérieurs où les fortes pluies arrivent très rapidement aux talwegs. Après les averses mémorables du 8 au 14 septembre 1899, la Saalach, affluent de l’Inn, écoula 851 l/s/km2 pour un bassin de 940 km2; pour les 12 000 km2 du bassin de l’Inn à Wasserburg, le débit spécifique était encore de 230 l/s/km2. Les torrents des climats méditerranéens sont particulièrement redoutables. En 1890, l’Ardèche a écoulé à Aubenas plus de 6 m3/s/km2; en 1935, l’Orba, dans l’Apennin ligure, 16 m3/s/km2! Des chiffres comparables peuvent être obtenus dans les montagnes de Californie du Nord et sur les torrents himalayens. Même sur des bassins montagnards de 10 000 à 20 000 km2, les débits spécifiques de crue restent très élevés: 750 l pour la Willamette à Salem le 4 décembre 1861, 580 pour le Jucar (Espagne) en novembre 1864.
L’évacuation très rapide donne aux rivières montagnardes de très forts coefficients d’écoulement; déjà supérieurs à 35 p. 100 dans les montagnes hercyniennes, ils dépassent 50 p. 100 pour l’Inn à Innsbruck.
L’irrégularité brutale liée aux crues se superpose à une forte irrégularité saisonnière, conséquence de la rétention nivale et glaciaire. La courbe représentative du régime glaciaire marque une très forte pointe d’été, assise sur un socle très bas, avec maximum d’août; 85 p. 100 du débit annuel de l’Arve à Chamonix s’écoule en quatre mois; son débit spécifique d’août est de 261 l/s/km2 face à un débit d’hiver de 10 l/s/km2. L’onde saisonnière est d’ailleurs perturbée dans le détail par de brusques crues de fusion accélérée. Glaciers et névés peuvent perdre en vingt-quatre heures jusqu’à 70 mm d’eau de fusion: la Massa, émissaire du glacier d’Aletsch, écoule parfois plus de 800 l/s/km2. Dans le régime nival de montagne, le maximum est moins prononcé et décalé vers la fin du printemps, généralement en juin. L’Inn supérieur, la Romanche, la Lena supérieure, le Fraser en sont de bons exemples, dans des situations variées. Les nombreuses nuances nées de l’altitude et de l’exposition peuvent s’exprimer par le coefficient de nivosité, proportion des débits annuels dus aux neiges fondues; pour le vrai régime nival, il est compris entre 40 et 50 p. 100 (Isère à Tignes, 47 p. 100), alors qu’il dépasse 50 p. 100 dans le régime glaciaire (Rhône à Gletsch, 62 p. 100).
Les étages biogéographiques en montagne
L’étagement des paysages montagnards correspond à la zonation climatique altitudinale, comme le montre, par exemple, la montagne alpine. L’homme a installé les cultures dans les vallées et sur les premières pentes (étage collinéen); il a défriché une forêt de feuillus, assez voisine de celle des plaines, mais où les espèces mieux adaptées aux fortes précipitations comme divers chênes l’emportent. L’étage montagnard est le domaine du hêtre, bien adapté aux fortes nébulosités et mêlé de quelques sapins; il se développe entre 500-900 m et 1 500-1 700 m, sur des sols bruns forestiers. L’étage subalpin correspond à de fortes précipitations en milieu déjà froid. Les basses températures, l’écoulement rapide de l’eau ralentissent la formation des sols; peu épais, ils n’en ont pas moins des caractères de podzol; c’est le domaine des conifères, épicéa d’abord, puis mélèze ou pin cembrot, dont la frange pionnière monte jusqu’à 2 000-2 300 m. Sur les adrets, ces limites sont généralement plus hautes de 200 à 300 m, et l’on note la présence d’espèces adaptées au fort ensoleillement et à la sécheresse. L’étage alpin, jusqu’à la limite des neiges persistantes (2 800 m), connaît déjà de fortes actions mécaniques; les sols y ont le profil très élémentaire des rankers alpins, où abondent les fragments anguleux de roche en place. Dans le cadre général de la pelouse alpine à la riche floraison, les plantes manifestent une adaptation morphologique très poussée aux rigueurs du climat d’altitude: nanisme des arbres qui réduit les effets du vent et leur permet d’être protégés du grand froid par la neige; xéromorphie des plantes en coussinets (saxifrage), des buissons bas à feuilles coriaces (rhododendrons), des feuilles rares et en aiguilles (genêt épineux). L’abondance des plantes vivaces à bulbes ou rhizomes, comme l’iris et la gentiane, montre leur excellente adaptation. La rigueur climatique contribue à la réduction du nombre des espèces; mais en même temps on note la forte proportion d’espèces endémiques, parfois strictement localisées à une seule chaîne comme la Ramondia pyrenaica des pelouses pyrénéennes. En haute montagne, les plantes vasculaires se raréfient et seuls les lichens s’attaquent à la roche.
Au sein de régions plus sèches, les montagnes se signalent par les peuplements arborés beaucoup mieux développés que dans le bas pays, en liaison avec l’accroissement des précipitations. Au-dessus des déserts et des savanes, l’altitude introduit, d’abord, la forêt sèche sclérophylle, ou le chaparral riche en épineux et en cactacées de grande taille, comme les cierges d’Amérique centrale. Ils sont surmontés par des forêts semi-humides, riches en conifères caractéristiques de chaque région et souvent répartis en sous-étages. Dans la sierra Nevada californienne règnent jusqu’à 1 250 m le pin et le séquoia; au-dessus, le sapin et le tsuga; du Maroc au Moyen-Orient, le cèdre tient la même place, remplacé plus haut par le thuya ou le genévrier thurifère. Vers les sommets, les sols humiques alpins portent des pelouses subalpines, plus ou moins denses selon le degré de sécheresse. En milieu équatorial, où existent des étagements comparables, la plus grande originalité est réservée à l’étage supérieur. Le bilan thermique, encore favorable, la faible amplitude et parfois la forte nébulosité y sont la cause du gigantisme de plantes non arbustives: séneçons géants du Kilimandjaro, Puya Raimondii de la Cordillera Blanca péruvienne, lobélies du Zaïre; le rhododendron, ordinairement un buisson, est un arbre dans l’Himalaya.
La faune s’adapte pour résister au froid: développement des fourrures chez l’ours, la vigogne et le chinchilla, hibernation chez la marmotte. Les amphibiens et les reptiles n’ont leur pérennité assurée que par de profondes modifications des conditions de gestation. Les invertébrés, très actifs en saison chaude, subissent une longue diapause hivernale. L’endémisme très marqué se combine souvent avec le caractère de refuge pour des espèces que leur physiologie n’écarterait pas systématiquement des régions basses.
Outre les effets du froid, l’organisme humain subit en montagne ceux de la faible humidité relative et de l’abaissement de la pression atmosphérique; vers 5 500 m, celle-ci n’est plus que de 500 millibars et, en même temps, la tension d’oxygène a diminué de moitié. Les populations autochtones des hautes montagnes, comme les Indiens des Andes, présentent des adaptations physiologiques; la plus notable concerne le sang, où la proportion de globules rouges est relativement forte et qui est porteur de variétés d’hémoglobine à forte affinité pour l’oxygène. L’homme des plaines ressent durement les efforts à haute altitude, qui peuvent déclencher le mal des montagnes; les grandes ascensions, même chez des athlètes remarquables, ont révélé le coût extraordinaire de l’effort en altitude, au prix d’une accélération très forte des rythmes cardiaque et respiratoire; finalement, sauf pour l’ascension de l’Annapurna, seuls les inhalateurs d’oxygène ont permis de vaincre les grands sommets. L’organisme s’adapte dans un premier temps en formant de nouveaux globules rouges (jusqu’à sept à huit millions par millimètre cube), puis peut s’acclimater en conservant une ventilation pulmonaire intense, mais un rythme cardiaque normal; on observe même certaines adaptations tissulaires. L’homme acclimaté peut travailler jusqu’au voisinage de 6 000 m. Très vite est venue l’idée d’utiliser le climat de montagne à des fins thérapeutiques. D’une manière générale, le climat de montagne est stimulant; il est bénéfique dans le rachitisme et les anémies, et la richesse en rayons ultraviolets qui active la production physiologique de vitamines est un élément favorable. Si les résultats en sont parfois discutés, les cures de montagne pour les maladies pulmonaires sont devenues classiques et, dans de nombreux cas, efficaces. À l’opposé, les contre-indications cardiopathiques sont bien connues; mais, d’une manière générale, les enfants, les convalescents, les surmenés de la civilisation urbaine peuvent tirer grand profit d’un séjour en montagne.
3. La vie humaine en montagne
La vie rurale et le peuplement des montagnes
En pays tempéré, l’étagement des terroirs correspond à celui des milieux naturels et entraîne la dissociation de leurs éléments. À l’étage inférieur, le terroir arable autour du village est exigu: quelques hectares par exploitant. Il était à l’origine réservé aux céréales, seigle ou orge, mais avec l’ouverture de l’économie il est souvent retourné aux herbages. L’étage intermédiaire est partagé entre une forêt exploitée, souvent communale, et des défrichements voués aux prairies de fauche, dont le foin permet aux animaux de passer le rude hiver. Là se dispersent les montagnettes et mayens alpestres, les bordes pyrénéennes, greniers à foin et habitat temporaire. Au-dessus s’étendent les alpages collectifs ou communautaires, pâturages naturels où les troupeaux passent l’été autour des cabanes de bergers. L’utilisation successive des divers niveaux donne lieu à des mouvements complexes des gens et des bêtes, simple estivage ou nombreuses remues. À la recherche d’un complément de ressources hivernales, une transhumance inverse conduit les troupeaux dans le bas pays: les vaches de l’Ossau allaient naguère sur le piémont palois et les moutons dépassaient Bordeaux.
Dans les montagnes à caractère méditerranéen, le secteur cultivé a pu faire l’objet d’aménagements acharnés; terrasses et murettes combattent l’érosion sur les pentes fortes et facilitent l’irrigation. L’arboriculture tient une grande place, de la châtaigneraie corse ou cévenole aux noisetiers catalans et aux olivettes, figueraies ou noyeraies du Maghreb. Les remues font place à la transhumance directe, concurrençant jusqu’à la dominer la transhumance inverse. D’énormes troupeaux accompagnés des seuls bergers fuient, en été, les plaines surchauffées de la Castille et de l’Aragon pour les hauteurs verdoyantes de la chaîne Cantabrique et des Pyrénées, le bas Languedoc pour les Cévennes, la Provence pour la zone intra-alpine. Des voies réservées, cañadas , cabañeras , drailhes , assurent leur cheminement vers les crêtes. On multiplierait les exemples dans tout l’Ancien Monde et dans les pays qu’il a colonisés, des Andes au Drakensberg et à la Cordillère australienne. À partir des marges steppiques, un mouvement comparable entraîne les grands nomades vers les pâturages d’altitude, depuis le Sud-Ouest marocain jusqu’à l’Afghanistan.
L’effacement des contrastes saisonniers dans le domaine tropical y réduit beaucoup ces rythmes. L’agriculture traditionnelle est itinérante, à base de défrichement par le feu, ray des montagnes indochinoises ou milpa du Mexique. Exceptionnellement pratiquée en montagne, la riziculture irriguée y crée des paysages étonnants d’aménagement intégral des pentes par de vertigineux escaliers de terrasses, aux Philippines et en Chine du Sud. La complémentarité des étages de culture est rare, mais fait place, surtout dans les secteurs de plantations européennes, à une répartition selon l’altitude des cultures spéculatives; le thé joue à Ceylan et dans le Sud-Est asiatique un rôle remarquable de culture d’altitude.
Les contrastes de peuplement sont souvent extrêmes dans le monde tropical entre les plaines surpeuplées et des montagnes à très faible densité et, à l’inverse, entre de fortes densités sur les hautes terres et des plaines qui sont désertes. Ainsi, en Amérique latine, la sierra péruvienne couvre 27 p. 100 du territoire et renferme 62 p. 100 de la population; 85 p. 100 des Équatoriens vivent dans les Andes, qui portent en Bolivie la plus haute capitale du monde: La Paz (3 700 m), et la ville minière la plus élevée: Potosi (4 109 m). L’Afrique offre également plusieurs exemples de montagnes dont la population est plus dense que celle des bas pays environnants. En général, la salubrité augmente avec l’altitude. Sur les hauteurs du Rwanda-Burundi, la bilharziose et la maladie du sommeil disparaissent; en même temps, la forte pluviosité favorise l’agriculture et permet deux récoltes par an. Les densités sont fortes, jusqu’à 200 et 400 hab./km2 dans le pays kigezi. De même, certains cantons du Choa abyssin, à climat tempéré et salubre vers 2 800 m d’altitude, ont, grâce à des aménagements considérables, des densités de l’ordre de 70 hab./km2, avec des «pointes» de 450 hab./km2 cultivé. Le Fouta-Djalon, dominant les savanes guinéennes, fut conquis au XVIIIe siècle par les Peuls qui en appréciaient le climat relativement frais et salubre pour les bovins. Fortement organisés, razziant des esclaves dans les basses terres, ils ont constitué en montagne un noyau relativement dense (jusqu’à 70 hab./km2). La montagne joue parfois un rôle de refuge surpeuplé. Les monts du Mandara (Cameroun) ont accueilli les populations pourchassées par les musulmans des plaines, et les Birom de Nigeria ont fui vers le plateau de Jos devant les Fulani.
La dynamique du peuplement montagnard est très variée, mais révèle presque toujours des caractères de surpeuplement. Celui-ci peut s’étendre parfois à l’ensemble d’un État et les royaumes himalayens en sont de bons exemples. Au Népal, les vallées irriguées concentrent la population jusqu’à des densités régionales de 200 à 240 hab./km2. Montagnes comprises, sur 140 000 km2, la densité brute est de 75: la densité au kilomètre carré cultivé est de 184. L’émigration vers les villes indiennes a relâché un peu la pression démographique. En Europe, jusqu’à une époque récente, le surpeuplement montagnard régional était compensé par l’émigration temporaire pour les travaux agricoles dans les plaines ou pour les métiers ambulants dans les villes. Éventuellement, l’émigration définitive maintenait un équilibre qui est actuellement définitivement rompu. De 1851 à 1936, les Pyrénées ariégeoises et garonnaises ont perdu, dans tous les cantons, plus de 50 p. 100 de leur population, et l’Ariège perdit encore 4 p. 100 de sa population de 1936 à 1954. Même si l’émigration se ralentit, comme elle atteint surtout les jeunes, le vieillissement de la population ne permet pas de rétablir la situation. L’économie pastorale décline et se simplifie par disparition de la transhumance inverse. Les alpages peuvent parfois être abandonnés à la transhumance ascendante. Tout n’est d’ailleurs pas dramatique dans ce déclin démographique des montagnes alpines et méditerranéennes; le surpeuplement avait ses dangers: défrichements abusifs et surpâturage qui entraînent l’érosion des sols, une torrentialité accrue, etc. Certaines actions radicales peuvent être entreprises. Le reboisement fut actif en France dès la fin du XIXe siècle, par exemple dans les Alpes du Sud dépeuplées, favorisant les conifères de bonne valeur économique par rapport aux feuillus. Mais c’est sans doute en Espagne que les actions les plus spectaculaires sont en cours; les services de repoblación forestal favorisent l’émigration des secteurs dépressifs, en rachetant des communes entières pour les reboiser en pins, en liaison avec un aménagement hydraulique complet.
Malgré une forte émigration, la pression démographique reste considérable dans les montagnes refuges du monde arabe. En Kabylie, l’arrondissement de Tizi-Ouzou avait encore 173 hab./km2 en 1954, et l’on trouverait des exemples comparables en pays chleuh et dans le Rif, au Liban et dans le djebel Druze, où des groupes restent repliés en montagne, pour des raisons ethnologiques ou religieuses. Dans le domaine proche-oriental et centre-asiatique, on note même un nouveau développement de la vie montagnarde à mettre sur le compte aussi bien de cultivateurs-éleveurs d’Anatolie qu’à l’actif de Cachemiriens ou de Népalais issus des bassins surpeuplés et qui se convertissent à une vie de type alpestre.
L’équipement moderne des montagnes
La période moderne a d’abord réduit le caractère d’obstacle des montagnes. Les vieux passages alpestres ont été dotés, au cours du XIXe siècle, de véritables routes, d’intérêt souvent stratégique. Dans certains cas, la voie ferrée put aussi passer à l’air libre, dès 1867 au Brenner (1 370 m). Mais, pour les cols plus difficiles, la technique du grand tunnel ferroviaire permettant le franchissement hivernal fut employée aux extrémités de la chaîne, dès 1854 au Semmering, en 1871 au mont Cenis (Fréjus). Puis furent réalisés, avant 1914, les grands tunnels transverses centraux, du Loetschberg et du Simplon (19 803 m), du Saint-Gothard, des Tauern, et ceux de liaison longitudinale comme l’Arlberg, travaux considérables améliorés ensuite par l’électrification des lignes. Il faut y ajouter le réseau régional et local des chemins de fer suisses et français utilisant souvent la crémaillère pour vaincre les rampes trop fortes. Le développement de la circulation automobile fit d’abord réaménager les grands passages à l’air libre, les «routes du soleil» vers l’Italie comme le Saint-Gothard et le mont Genèvre, ou la multitude des cols touristiques estivaux reliant les diverses vallées: Lautaret, Galibier, etc. Le trafic touristique et de camionnage moderne a imposé la création des tunnels routiers de pied-de-col: Grand-Saint-Bernard (5 826 m) ouvert en 1963, tunnel du Mont-Blanc (11 600 m) ouvert en 1965, qui permettent toute l’année l’accès routier à Turin et à Milan. Ailleurs dans le monde, les ouvrages impressionnants ne manquent pas, du transandin, qui s’élève à près de 3 200 m, aux six lignes qui franchissent les Rocheuses pour gagner la côte pacifique, et à la route de Birmanie, qui servit à débloquer la Chine durant le second conflit mondial.
L’abondance des débits et la vigueur des pentes faisaient de la montagne un réservoir d’énergie. Mais ces dons étaient modérés par l’étroitesse des bassins d’altitude et les régimes glaciaire ou nival trop contrastés, qui ont imposé des solutions techniques originales. La première installation hydro-électrique sur conduite forcée fut créée à Lancey (Grésivaudan) en 1869, sous une chute de 200 m. On tendit ensuite à un aménagement intégral; la solution élémentaire consistait à établir dans une vallée un escalier d’usines de haute chute; l’eau turbinée dans chaque usine est reprise par une galerie sub-horizontale qui la mène en tête de la conduite forcée de l’usine suivante; les irrégularités du profil glaciaire, verrous et gradins de confluence, sont utilisées pour implanter au mieux les hautes chutes. Telles sont les vallées d’Aspe et d’Ossau dans les Pyrénées, la Romanche, la Maurienne et la Tarentaise dans les Alpes du Nord, le Tessin et l’Adda supérieurs sur le versant sud des Alpes. On cherchait en même temps à créer les plus hautes chutes possibles, sources de puissance; on les trouvait soit à l’amont, à la sortie des cirques, comme la haute chute du Portillon (1 400 m) en Luchonnais, soit à l’aval, en bordure des très grandes auges, par exemple l’usine de Nandaz (1 084 m), en bordure du Valais, à l’issue des aménagements de la Grande Dixence. Il fallait aussi corriger l’irrégularité des débits montagnards, et ce fut le rôle des grands barrages implantés à l’amont de larges vallées, le Sautet sur le Drac, le Chambon sur la Romanche, Tignes sur l’Isère.
Mais on devait encore compenser l’exiguïté des bassins glaciaires qui ne fournissent pas des modules suffisants pour une production massive. La concentration des débits, dans des barrages d’altitude, se fait par des galeries convergentes, groupant les eaux de bassins voisins; au sud du Valais, 100 km de galeries conduisent à 2 365 m d’altitude, dans le barrage de la Grande Dixence, quatre cents millions de mètres cubes venus de la Viège et du Val d’Hérens. En Colombie britannique, la transfusion des eaux du versant est par galeries vers la centrale de Kemano permet d’installer une puissance de 1,5 gigawatt. Si les possibilités de stockage restent trop faibles, on utilise une partie de l’énergie produite en été pour remonter de l’eau par pompage dans le réservoir supérieur. Dans le système pyrénéen de Pragnères, le barrage de Capdelong (67 Mm3) concentre non seulement les eaux de la haute vallée d’Aure par apport direct, mais encore grâce à des stations de pompage, celles du haut Bastan et celles du versant rive gauche du gave de Pau qui franchissent la vallée en siphon. Ainsi se manifeste le souci de neutraliser les étiages d’hiver, pour produire, grâce aux hautes chutes, de l’électricité «de pointe», vendue aux saisons et aux heures de forte consommation. Les deux centrales de la Grande Dixence produisent deux milliards de kilowatts-heures en hiver, contre 350 millions en été.
Dans certaines montagnes, le barrage de vallée devient l’élément fondamental de l’équipement et du paysage. La morphologie à profonds cañons de l’État de Washington a imposé cette solution sur le réseau de la Columbia et de la Snake où vingt-huit barrages de plusieurs dizaines de kilomètres de long ont permis d’installer des usines de moyenne chute dont la puissance totale est de 10 gigawatts. Dans les moyennes montagnes, comme les Appalaches, c’est aussi la technique inévitable, avec les quarante-sept barrages échelonnés sur le réseau de la Tennessee; à échelle plus modeste, la formule d’ensemble est la même dans le Massif central français, où dominent les usines de pied de barrage. Dans les montagnes sèches, le grand barrage s’implante généralement dans les larges vallés, près de leur sortie de la montagne, c’est-à-dire lorsque les débits ont déjà quelque importance, à l’endroit où la réserve d’eau peut servir à la fois à la production d’énergie et à l’irrigation. Serre-Ponçon, sur la moyenne Durance, emmagasine 1,2 milliard de mètres cubes et permet l’aménagement hydro-électrique et agricole de toute la vallée. On citera également, en Espagne, les barrages intramontagnards des Nogueras, ceux de Yesa sur l’Aragon, d’Alarcon sur le Jucar, de la mar de Castilla sur le haut Tage, tous à double vocation; de même, aux États-Unis, l’énorme Boulder Dam sur le Colorado et le barrage Roosevelt sur le Gila.
L’industrie montagnarde
L’isolement montagnard avait provoqué la naissance de petites industries du bois, du fer et des textiles, destinées à satisfaire les besoins immédiats; comme la main-d’œuvre était abondante, il se greffa souvent sur les formes artisanales des activités industrielles plus importantes et plus durables: bois sculpté de Suisse et des Dolomites, horlogerie du Jura, textile des Vosges. Le développement de la production d’électricité a vivifié certaines de ces activités, parfois par mutation très bénéfique; le passage de l’horlogerie au décolletage dans la région de Cluses en est un exemple frappant. Mais au total, dans les vraies montagnes, l’industrie nécessitant de la main-d’œuvre n’a pas beaucoup mieux résisté au dépeuplement que l’agriculture. Même les ressources naturelles, minières en particulier, ont vu leur mise en valeur interrompue par la lourdeur des frais d’exploitation en milieu hostile. Il faut des qualités exceptionnelles de gisement pour qu’on exploite encore les mines d’argent péruviennes du Cerro de Pasco à plus de 4 300 m, le talc de Trimouns en Ariège ou le fer de l’Erzberg en Autriche.
La relation moderne fondamentale s’établit entre l’hydro-électricité et les industries grosses consommatrices: électrochimie et électrométallurgie. Les usines de vallée se situent près des centrales électriques et sont d’importantes unités à main-d’œuvre relativement peu nombreuse. L’exemple pyrénéen est typique: nitrates et phosphates à Pierrefitte (gave de Pau), abrasifs à Sarrancolin (Aure), alliages divers à Marignac (Garonne), aluminium à Sabart et à Auzat (Ariège), chaque vallée a son usine. Les vallées alpines, plus riches en énergie, sont parfois des rues bordées d’usines, comme la Maurienne, qui, à côté de la plus grande usine alpestre d’aluminium (Saint-Jean-de-Maurienne), compte aussi une aciérie électrique, plusieurs usines chimiques, des papeteries, au total une douzaine d’usines. La Tarentaise et l’Inn supérieur sont du même type. En Amérique du Nord, les cinq grandes usines d’aluminium du Puget Sound sont directement liées à l’hydro-électricité de la Columbia, comme celle de Kitimat est liée à la centrale de Kemano, et comme la première usine atomique d’Oak Ridge et l’usine d’aluminium d’Alcoa furent associées à l’aménagement du Tennessee. Dans de rares cas, le développement urbain intramontagnard peut s’associer au développement industriel. Grenoble en est sans doute le meilleur exemple.
Les loisirs en montagne
La période romantique avait brusquement mis en honneur les paysages montagnards, dont la bourgeoisie prit conscience à partir des stations thermales. Aix-les-Bains, Uriage, Évian, Saint-Moritz dans les Alpes, Cauterets, Barèges, Bagnères-de-Bigorre, Luchon, Ax-les-Thermes dans les Pyrénées eurent un rôle essentiel d’initiation. Le tourisme estival apparut en montagne dès la fin du XIXe siècle; les premières stations de luxe se créent soit sur les villes thermales mêmes, soit dans des sites aux paysages séduisants, proches des grands sommets, des glaciers et des lacs d’altitude. Le premier pôle d’attraction était toujours un «grand hôtel», parfois un palace. Apparaissent alors les premiers équipements propres à la montagne de loisir: funiculaires et crémaillères pour gagner les stations, téléphériques pour se rendre sans fatigue aux «points de vue». En même temps progresse l’alpinisme, pour lequel on construit en montagne de nombreux refuges. Mais l’impulsion principale viendra du développement des sports d’hiver, timide après 1930, explosif depuis 1950. Le ski de week-end, de Noël et de Pâques attire dans les stations françaises plus de deux millions de pratiquants chaque année.
Les nouvelles stations recherchent le meilleur enneigement; créées à des dates différentes, elles sont souvent techniquement associées. Au-dessus des grandes vallées, à altitude encore modeste, d’anciens villages comme Megève, Val-d’Isère et Huez se transforment en stations bivalentes, hivernales et estivales. C’est la règle pour la majeure partie des stations du Valais. Au Tyrol, les facilités d’accès jointes à la renommée précoce de l’enseignement du ski ont fait la fortune des stations où l’hébergement se fait presque entièrement chez l’habitant. Kitzbühel, Saalbach et Zell am See offrent au touriste une des plus fortes possibilités d’accueil hôtelier de toutes les Alpes, bien que 50 p. 100 des nuits passées dans ces localités le soient chez l’habitant; rare exemple où le développement du tourisme n’a pas fait décliner l’activité agro-pastorale. Chaque station est dotée de nombreuses remontées mécaniques, téléphériques, télébennes, télésièges qui répartissent les skieurs sur les diverses pistes balisées et aménagées.
L’afflux est tel qu’il a fallu créer de nouvelles stations de toutes pièces. Celles-ci gagnent en altitude à la recherche d’un enneigement plus long et plus sûr, et se distinguent par la conception architecturale, adaptée à la démocratisation relative de ce sport. Le développement spontané a fait place à l’intervention des promoteurs immobiliers, Caisse des dépôts ou groupes financiers. En même temps, le domaine géographique du loisir hivernal s’élargit. La rentabilisation de ces équipements semble imposer l’architecture collective. Au pied d’un domaine skiable de 16 000 ha, La Plagne offre 4 500 lits répartis dans de longs immeubles et des tours ayant jusqu’à dix-neuf étages; l’ensemble est doté de galeries marchandes, de parkings, et organisé en un «front de neige», comme les stations balnéaires ont un front de mer. Les projets d’extension portent sur plus de vingt mille lits de tourisme-standing et sur dix mille lits dans les V.V.F. (villages de vacances familiaux).
Devant les eaux piégées par les hydro-électriciens, les pentes dégradées par les aménagements des stations, certains pensent à protéger la montagne, sa flore et sa faune, biens de nature exceptionnels. Les parcs nationaux des États-Unis et du Canada, installés dans les montagnes de l’Ouest depuis la fin du siècle, obéissent à un principe de conservation très poussé, repris sous des formes atténuées par certains pays européens, l’Espagne par exemple pour le parc national d’Ordesa (Pyrénées aragonaises). En France, la politique beaucoup plus timide des réserves naturelles, dans le massif du Néouvielle par exemple, cède maintenant le pas à celle des parcs nationaux, dont deux en montagne. Celui de la Vanoise a été créé en 1963 sur 52 800 ha avec une zone périphérique de 143 000 ha. Les belles pentes enneigées excitaient la convoitise des promoteurs, ce qui alimenta jusqu’en 1971 une rude polémique. Le parc des Pyrénées occidentales, créé en 1967 sur 45 000 ha, est en principe protégé dans toute la haute montagne des atteintes mercantiles; elles s’exerceront sous contrôle dans la zone périphérique de 200 000 ha intéressant quatre-vingt-huit villages. On pense que l’attrait des parcs et les aménagements concertés pourront y soutenir l’économie montagnarde défaillante. Le succès même de la montagne a posé le problème de sa conservation.
montagne [ mɔ̃taɲ ] n. f.
• 1080; lat. pop. °montanea, fém. subst. de °montaneus, class. montanus, de mons → mont
1 ♦ Importante élévation de terrain. ⇒ éminence, hauteur, mont; djebel, puy, 1. rocher, volcan. Sommet aigu (⇒ aiguille, cime, dent, 4. pic, piton, pointe) , arrondi (⇒ 2. ballon, croupe, mamelon) d'une montagne. ⇒aussi crête, faîte. Flancs, pente, versant d'une montagne (⇒ escarpement) . Base, pied d'une montagne. Altitude d'une montagne. — Chaîne, massif de montagnes (⇒ contrefort) . Cirque de montagnes. Montagne figurée sur un blason. ⇒ terrasse.
♢ Loc. C'est la montagne qui accouche d'une souris, se dit par raillerie des résultats décevants, dérisoires d'une entreprise, d'un ambitieux projet. — Loc. Gros, (grand) comme une montagne : très gros, très volumineux. — (Se) faire une montagne de qqch., s'en exagérer les difficultés, l'importance. « Je n'en fis pas des montagnes » (Beauvoir). — Soulever des montagnes : se jouer de grandes difficultés. Enthousiasme, foi qui déplace, soulève les montagnes. Faire battre des montagnes : être un germe de discorde. — PROV. Il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas.
2 ♦ LES MONTAGNES, LA MONTAGNE :ensemble de montagnes (chaîne, massif); zone, région de forte altitude (opposé à plaine). Pays de montagne. ⇒ montagneux. Torrent de montagne. Lacets d'une route de montagne. Flore, faune des montagnes. ⇒ monticole. — Habiter la montagne. ⇒ montagnard. Chalet de montagne. Passer ses vacances à la montagne. Excursion en montagne. Sports de montagne. ⇒ alpinisme, ascension, ski (cf. Sports d'hiver). Chaussures de montagne. — Loc. La haute, la moyenne montagne. La montagne à vaches : zones d'alpages peu élevées, où paissent les troupeaux (péj. dans la bouche des alpinistes).
♢ Géogr. (⇒ relief; orogénie, orographie ) Montagnes jeunes, formées par des plissements, par volcanisme. Montagnes anciennes : massifs rajeunis par l'érosion ou les mouvements du sol.
3 ♦ Fig. MONTAGNE DE... : amas, amoncellement. ⇒ monceau, tas. Les « tombereaux, avec leurs montagnes de choux » (Zola). Montagne de lettres, de paquets. « une montagne de bouteilles de bière » (Le Clézio).
4 ♦ Hist. LA M ONTAGNE : les bancs les plus élevés de la Convention où siégeaient les députés de gauche, conduits par Robespierre et Danton.
5 ♦ (1848) MONTAGNES RUSSES : attraction foraine constituée d'une suite de montées et de descentes parcourues à grande vitesse par un véhicule sur rails (cf. Grand huit). — Fig. Suite de montées et de descentes. « Le bateau s'enfonça, c'était les montagnes russes » (Sartre).
● montagne nom féminin (latin populaire montanea, féminin du bas latin montaneus, du latin classique montanus, montagneux) Élévation du sol, naturelle et très importante. Région de forte altitude, et en particulier lieu de séjour en altitude, pour le repos, les vacances ou le sport : Passer ses vacances à la montagne. Amas, quantité importante de choses : Des montagnes de livres. Élevage Pâturage de haute altitude. Histoire Les députés montagnards (avec une majuscule). ● montagne (citations) nom féminin (latin populaire montanea, féminin du bas latin montaneus, du latin classique montanus, montagneux) Charles Victor Prévost, vicomte d'Arlincourt près de Versailles 1789-Paris 1856 J'habite la montagne et j'aime à la vallée. Le Siège de Paris Commentaire Du burlesque involontaire de ce vers on rapprochera les deux citations suivantes du même auteur. André Gide Paris 1869-Paris 1951 La foi soulève des montagnes, oui : des montagnes d'absurdité. Journal Gallimard Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 Les montagnes toujours ont fait la guerre aux plaines. Les Burgraves, 2e partie, 6, Job Sénèque, en latin Lucius Annaeus Seneca, dit Sénèque le Philosophe Cordoue vers 4 avant J.-C.-65 après J.-C. Un nain est toujours petit, eût-il une montagne pour piédestal. Magnus non est pumilio, licet in monte constiterit. Lettres à Lucilius, LXXVI Bible Car je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : « Déplace-toi d'ici à là », et elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible. Évangile selon saint Matthieu, XVII, 20 ● montagne (expressions) nom féminin (latin populaire montanea, féminin du bas latin montaneus, du latin classique montanus, montagneux) Faire de la montagne, pratiquer l'alpinisme. Gros, grand comme une montagne, énorme. Haute, moyenne montagne, montagne de haute, de moyenne altitude vue, en particulier, sous l'angle d'activités sportives, de séjours de vacances ou de convalescence. Montagne à vache(s), montagne où les troupeaux paissent jusqu'au sommet, où l'on pratique la marche à pied. Se faire une montagne de quelque chose, s'en exagérer l'importance, les difficultés. Soulever, déplacer des montagnes, ne se laisser arrêter par aucun obstacle, vaincre toutes les difficultés. Fromage de montagne, fromage fabriqué en été dans les alpages, selon une technique artisanale. Montagnes russes, attraction foraine constituée de plans montants et descendants sur lesquels roulent très rapidement de petits véhicules. Mal des montagnes, malaise particulier qu'on éprouve au cours des ascensions en montagne et qui est dû à l'appauvrissement de l'air en oxygène. (Il se manifeste par les signes de l'anoxie : vertiges, troubles visuels et auditifs, mauvais rendement musculaire, fatigue démesurée.) Chien de montagne, chien utilisé pour la recherche des personnes et pour la garde des troupeaux en montagne. ● montagne (synonymes) nom féminin (latin populaire montanea, féminin du bas latin montaneus, du latin classique montanus, montagneux) Amas, quantité importante de choses
Synonymes :
- fatras
- fouillis
- masse
- monceau
- pile
- tas
Élevage. Pâturage de haute altitude.
Synonymes :
- alpage
Agroalimentaire. Fromage de montagne
Synonymes :
montagne
(la) pendant la Révolution française, groupe de députés qui siégeaient sur les bancs les plus élevés. Extrémistes révolutionnaires, les Montagnards gouvernèrent du 2 juin 1793 (chute des Girondins) au 27 juillet 1794 (9 thermidor an II). Principaux chefs: Danton, Marat, Robespierre.
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montagne
n. f.
d1./d Relief important du sol s'élevant à une grande hauteur. Le pied d'une montagne. Chaîne de montagnes.
|| Loc fig., Fam. Se faire une montagne de qqch, s'en exagérer les difficultés.
|| (Afr. subsah.) élévation de terrain, quelle que soit sa hauteur.
d2./d Région montagneuse (par oppos. à plaine). Habiter en montagne.
d3./d Fig. Grande quantité de choses amoncelées. Une montagne de paperasses.
d4./d Montagnes russes: jeu forain, suite de pentes et de contre-pentes qu'un véhicule sur rails parcourt à grande vitesse.
⇒MONTAGNE, subst. fém.
I. — Forme de relief consistant en élévations importantes de terrains, résultant d'un soulèvement du sol et caractérisée par une forte dénivellation entre sommets et fonds de vallées. Belle, grande, haute, petite montagne; montagne alpine, aride, dégagée, élevée, granitique, lointaine, moyenne, neigeuse, voisine; cirque, crête, groupe, ligne, massif, sommet, système de montagnes; en haut, en bas, au milieu, au pied de la montagne; sur la montagne. Le tout résulte de mouvements latéraux de refoulement (...) dont les effets déterminent les traits principaux du relief terrestre, en premier lieu les montagnes (LAPPARENT, Abr. géol., 1886, p.398). De hautes montagnes, dont le géologue décèle les racines indubitables, ont été littéralement arasées. Leurs débris devenus sédiments ont, plus tard, surgi des eaux pour former d'autres montagnes, qui seront à leur tour nivelées (COMBALUZIER, Introd. géol., 1961, p.78):
• 1. Laissant de côté les «horst», volcans et autres montagnes du profane qui, malgré parfois deux ou trois milliers de mètres d'altitude, ne présentent pas grand intérêt tectonique, étudions sommairement les chaînes plissées qui sont les vraies montagnes de géologues.
COMBALUZIER, Introd. géol., 1961 p.134.
— Montagne à vache(s). Montagne où les troupeaux paissent jusqu'au sommet. (Dict. XIXe et XXe s.). ,,À vache. Qualificatif utilisé par les alpinistes et qui, associé à montagne ou à voie, a la même valeur que le mot facile. Tellement facile que les vaches pourraient, dit-on, y accéder. Considérant que cet animal est le contraire même de l'agilité, on comprend aisément l'utilisation de ce vocable`` (GAUTRAT 1970, p.44).
— P. métaph. Les montagnes humides — Les vagues (CHATEAUBR., Mél. et poés., Gaul, 1828, p.74). Elle me rappelait toute la beauté joyeuse des montagnes bleues de la mer (PROUST, Fugit., 1922, p.453):
• 2. J'en ai étudié un [cheval] de très près (...) Le cheval du fermier qui pâturait dans le pré. Cette mouvante montagne, un mois durant, a empoisonné mes jours...
COLETTE, Dialog. bêtes, 1905, p.82.
A. — 1. P. allus. littér., HIST. Montagne sacrée. Le Capitole. Montagne Sainte-Geneviève. Colline du Panthéon à Paris.
2. P. allus. relig. (prob. à cause de son altitude et du mystère dont elle s'entoure, puisque la montagne est considérée comme le point où le ciel rencontre la terre, constituant un lieu privilégié pour le culte). Montagne de Mahomet; la Montagne du calvaire (Golgotha); le sermon sur la Montagne; la Montagne sainte. Ces images de soleil, de feux, de montagnes, si souvent employées dans la Bible (CHATEAUBR., Génie, t.1, 1803, p.545). Pascal exalte le «médiateur» [Jésus-Christ], mais il cache, il exile Dieu. Ainsi les Hébreux, au pied de la Montagne sainte. Ils ne veulent avoir affaire qu'à Moïse (BREMOND, Hist. sent. relig., t.4, 1920, p.390). Pendant le reste de la messe, relu dans l'évangile selon saint Matthieu tout le sermon sur la montagne en serrant contre moi le verset: «Mais vous autres soyez parfaits comme votre père dans les cieux est parfait» (DU BOS, Journal, 1927, p.171).
Rem. 1. Quand montagne est joint à un nom de lieu on met le plus souvent la prép. de, p. oppos. à mont qui ne la prend guère (Montagne de Judée, du Liban, de Sion); mais il peut y avoir des exceptions (la Montagne Sainte-Victoire, la Montagne Sainte-Geneviève): D'une amitié passionnée Vous me parlez encor, Azur, aérien décor, Montagne Pyrénée (TOULET, Contrerimes, 1920, p.44). 2. À part les Alpes, les Pyrénées, les Cordillères, les Vosges qui sont au fém., les noms des massifs montagneux sont le plus souvent au masc. (ex. le Jura).
B. —Spécialement
1. GÉOLOGIE
♦Montagnes anciennes. Massif montagneux plus ou moins rajeuni soit par l'érosion, soit par des mouvements du sol. (Dict. XIXe et XXe s.).
♦Montagnes jeunes. Montagnes formées soit par des plissements, soit par le volcanisme (Dict. XIXe et XXe s.).
♦Montagnes de transition. Montagnes composées de roches fort anciennes et dans lesquelles on trouve quelques restes de corps organisés (Dict. XIXe et XXe s.).
♦Montagnes secondaires. Montagnes dues aux révolutions que la terre a éprouvées et qu'elle éprouve journellement (Dict. XIXe et XXe s.).
♦Montagnes tertiaires. Montagnes contenant des dépôts de coquillages abandonnés par une mer qui, autrefois, couvrait notre continent (Dict. XIXe et XXe s.).
2. SPORTS, JEUX. Montagnes russes. ,,Montagnes réelles ou artificielles où l'on pratique un chemin uni que parcourt un traîneau qu'on laisse glisser du haut en bas`` (LITTRÉ).
— P. anal.
♦ATTRACTION, JEUX FORAINS. À la barrière des Ternes, en 1816, un spéculateur avait construit des montagnes russes. Ce genre d'amusement consistait à descendre sur un plan incliné dans un char à roulettes (AVENEL, Calicots, 1866, p.14). Elle l'emmenait prendre une glace chez Latinville, et de là l'entraînait aux Montagnes Russes, qui faisaient atrocement mal au coeur (GONCOURT, Journal, 1888, p.816).
♦Route présentant des descentes et des montées successives. Le chemin s'en allait devant lui tantôt en zigzag, tantôt en montagnes russes (SAND, Péché de M. Antoine, t.1, 1845, p.267).
— Au fig. Les vieux ressorts de Sardou fonctionnent à coup sûr. Mlle Arletty, après les montagnes russes du rire et des larmes, n'a aucune peine à devenir épique (COCTEAU, Foyer artistes, 1947, p.132).
C. —P. anal.
1. Montagne de glace. Amas considérable de glaces flottantes que l'on rencontre principalement dans les mers polaires. Synon. iceberg.
2. Spécialement
♦ASTRON. Montagne de la table. ,,Constellation méridionale`` (LITTRÉ).
♦BLAS. ,,Meuble de l'écu représentant le sommet d'une montagne`` (Lar. 20e; ds Lar. encyclop.).
♦HYDROL. Montagne d'eau. ,,Espèce de rocher artificiel d'où sortent plusieurs jets, bouillons et nappes d'eau`` (JOSSIER 1881; ds GUÉRIN 1892, Lar. 19e).
♦MÉTÉOR. Montagne d'argent, d'encre. ,,Cumulonimbus dans les campagnes`` (CHASS. 1970).
3. Emploi abs., HIST. Durant la Convention, parti siégeant dans le haut de la salle de réunion de l'assemblée, p. méton., l'emplacement lui-même. Il n'y a qu'à rire de vos efforts (...) contre la montagne, tant que vous nous attaquerez par le marais et le côté droit (DESMOULINS ds Vx Cord., 1793-94, p.55). Baudin monta plusieurs fois à la tribune (...). Il siégeait à la crête de la montagne (HUGO, Hist. crime, 1877, p.183).
— P. ext. [Souvent avec une majuscule] Parti situé à gauche ou à l'extrême gauche des tendances politiques. C'est la «tendance qu'ont l'Iskra et la Zaria à pronostiquer la rupture entre la Montagne et la Gironde de la social-démocratie internationale» (LÉNINE, Que faire? 1933, p.418).
D. — P. anal. Amoncellement d'éléments de tous ordres, matériels ou non, que l'on compare par exagération à une montagne. Montagne de bagages, de billets, de documents, d'immondices, de lettres, de mots, de nourriture, de paquets; montagnes d'angoisses, de souffrances, de souvenirs. Je reçois des montagnes de livres et des avalanches de lettres. Il y a là-dedans bien des choses que nous eussions lues au dessert, tu sais (HUGO, Corresp., 1864, p.462). Il y a des gens (...) qui, obligés de lutter avec une montagne d'absurdités, éprouvent au centre de leur coeur une colère incalculable (BERLIOZ, Grotesques mus., 1869, p.46):
• 3. [Beyle] avait connu de très près, noté, percé, raillé les sottises et les vertus des hommes en place; observé quelquefois leur vénalité, toujours leur soif de l'avancement, (...) leur goût des phrases et de l'importance, les embarras qu'ils se faisaient et qu'ils faisaient; leur courage incroyable devant ces montagnes de dossiers, ces colonnes de nombres qui écrasent l'âme, sans enrichir l'intellect...
VALÉRY, Variété II, 1929, p.81.
♦Au fig. Grande difficulté, lourde tâche à surmonter, grosse affaire aussi importante qu'une montagne est imposante. Saint Putois: Eh bien, monsieur! c'est impossible! Criqueville: Comment! Saint Putois: Il y a des obstacles! des montagnes! (LABICHE, Chasse corb., 1853, IV, 5, p.366):
• 4. Tout ce qu'on n'a pas dit (encore, et tout ce qu'on ne dira jamais) fait devant vous des montagnes infranchissables. Des montagnes et des montagnes.
PÉGUY, V.-M., comte Hugo, 1910, p.698.
P. ext. Masse physique et morale. Malheureusement, ceci ne sert de rien hors du monde intellectuel, et la fatalité des bosses fait que la montagne de l'imagination, dominant toujours par son antériorité d'occupation les petites collines que le raisonnement essaye d'élever alentour, je risque fort de n'acquérir de bon sens pratique que la dose nécessaire pour voir que je n'ai pas le sens commun (SAND, Corresp., t.2, 1838, p.106). Vous m'ôtez une montagne de dessus la poitrine, dit la Porporina, et un voile noir de dessus la tête (SAND, Ctesse de Rudolstadt, t.1, 1844, p.128).
Rem. 1. Le symbolisme de la montagne est multiple: il tient de la hauteur et du centre; la montagne participe donc du symbolisme de la transcendance et de celui de la manifestation mais, parallèlement à la notion de hauteur, la montagne exprime aussi celle de stabilité (d'apr. Symboles 1969). Quand Bernardin de Saint-Pierre publiait la Chaumière indienne, en 91, il était au haut de la montagne de la vie et de la gloire (SAINTE-BEUVE, Portr. littér., 1844-64, 135). Elle [la pyramide] était là, montagne humaine; et sa stature Monstrueuse, donnait du trouble à la nature (HUGO, Légende, t.1, 1859, p.530). [Les âmes au Purgatoire] vont souffrir, il va falloir gravir la montagne de la purification, mais elles sont sauvées, elles sont bienheureuses. Comme tout cela [la Divine Comédie] est plus vrai que les manuels de théologie et leurs sombres raisonnements (GREEN, Journal, 1954, p.324). 2. Au fig. comme au sens propre ,,montagne est proprement opposée à plaine`` (GUIZOT 1864). Puis pourquoi m'entortillerais-je dans les petitesses? Tout me porte à ce qui est grand. J'étouffe dans les plaines, je vis sur les montagnes! (BALZAC, Lettres Étr., t.1, 1834, p.202).
Pop. ,,Homme fort et courageux`` (CAR. Arg. 1977). Arg. Montagne de géant. Potence, dans l'ancien argot (RIGAUD, Dict. jargon paris., 1878, p.227).
— Locutions
1. Loc. proverbiales constituant une phrase complète
♦La montagne accouche d'une souris. Les résultats d'un projet ambitieux sont dérisoires (image popularisée au XVIIe s. par La Fontaine ds Fable LV, X: La Montagne qui accouche). P. allus. plais. Pensé hier en regardant autour de moi, dans les rues de cette ville: il y avait une fois une souris qui s'appelait la Suisse. Elle accoucha d'une montagne qui s'appelait l'Amérique (GREEN, Journal, 1954, p.272).
♦Il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas. Le hasard peut provoquer des rencontres inattendues. Moi, je m'appelle Robert, et mon frangin c'était bien le chanteur. Alors vous l'avez connu? C'est drôle la vie tout de même, il y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas, alors comme ça vous l'avez connu? (QUENEAU, Pierrot, 1942, p.40).
♦Il n'y a pas de montagnes sans vallées. Il faut considérer les choses sous leurs différents aspects (d'apr. REY-CHANTR. Expr. 1979).
2. Loc. verb.
♦Être gros (grand, haut) comme une montagne. Être particulièrement volumineux et important. Glaces polaires, dont ils [les courants marins] entraînent des fragments entiers, hauts comme des montagnes, et grands comme des îles, au sein des zones tempérées (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p.352).
♦Aller à la montagne (p. allus. à la phrase attribuée à Mahomet: Eh! bien, montagne, puisque tu ne veux pas venir à Mahomet, Mahomet ira à toi). Faire le premier pas, prendre l'initiative d'une démarche.
♦Faire battre des montagnes. Semer la zizanie entre des gens naturellement peu querelleurs. Jamais on ne se serait fâché [les Boche et les Lorilleux] sans cette Banban, qui aurait fait battre des montagnes (ZOLA, Assommoir, 1877, p.964).
♦Faire une montagne de qqc. Donner une importance exagérée à quelque chose. Votre reconnaissance, Belle et Bonne, est un véritable microscope qui fait une montagne d'un grain de sable (J. DE MAISTRE, Corresp., t.1, 1805, p.365):
• 5. Les affections qui doivent nous être exclusivement bonnes et tendres, ne jamais nous juger, ne pas faire d'un rien une montagne et d'une montagne un rien, celles-là nous tourmentent de leurs exigences fantasques; elles nous portent des coups d'épingle à propos de niaiseries...
BALZAC, Lettres Étr., t.1, 1836, p.355.
♦Soulever, transporter des montagnes. Accomplir des choses extrêmement difficiles. Ah! pour me trouver près de toi le jour de ma fête et de ma naissance, libre de soucis, je vais soulever des montagnes! (BALZAC, Lettres Étr.,, t.3, 1845, p.55). La foi de notre père n'était pas de celles qui soulèvent les montagnes. Mais elle était lourde et encombrante comme le Mont-Blanc (H. BAZIN, Vipère, 1948, p.61):
• 6. ... arrivé à la buanderie, une chaudière, quoique petite, bien encastrée dans son fourneau, s'offrit à mes yeux; j'en jugeai de suite l'application; et me tournant vers ma suite: «Soyez sans inquiétude, m'écriai-je avec cette foi qui transporte les montagnes, le turbot cuira entier...»
BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p.337.
♦Avoir une foi qui déplace les montagnes. Avoir une force morale susceptible de changer le cours des choses (p. allus. à l'Évangile de Matthieu 17, 19: Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne: transporte-toi d'ici là, et elle s'y transporterait, et rien ne nous serait impossible). Ce pauvre Lazare était pourtant un solide compagnon. Il avait la foi qui déplace les montagnes (AYMÉ, Vogue, 1944, p.153).
II. — Ensemble d'élévations importantes constituant une région de forte altitude; p. méton., lieu de séjour et de vacances. Chalet, climat, fleur, fromage, gibier, lacet, orage, pays, plante, région, torrent, rivière, station de montagne; escalader, gravir, habiter la montagne; marcher en montagne; monter sur la montagne; passer des vacances à la montagne; séjourner à la montagne; aller à la montagne (fam.). Ils partaient seuls sur les sentiers de la montagne (GIONO, Colline, 1929, p.127). Parmi les conditions qui lui [le nerveux] sont favorables, on compte encore l'élément boisé, l'air des montagnes, les changements assez fréquents d'horizon (MOUNIER, Traité caract., 1946, p.187).
A. — Spécialement
— ART MILIT. Bataillon de montagne. Mais en bas, l'estafette, à cheval sous la lanterne, me montra l'ordre écrit, et je lus: «Michel Bastien, volontaire au premier bataillon de la montagne» (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t.2, 1870, p.18).
— ARTILLERIE
♦Obusier de montagne. ,,Canon destiné à la guerre en pays de montagne`` (LITTRÉ Suppl. 1877). Nos six petites pièces de quatre suivaient avec deux petits obusiers de montagne (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t.2, 1870, p.172).
♦Batterie de montagne. ,,Batterie armée et disposée pour la guerre de montagne`` (LITTRÉ Suppl. 1877). Il a livré à des puissances étrangères des batteries de campagne et de montagne du même type que les canons de campagne et de montagne français (LEDIEU, CADIAT, Nouv. matér. nav., 1899, p.169).
— CH. DE FER. Ligne de montagne. Sur les lignes de montagne, (...) la traction est d'autant plus coûteuse que les déclivités sont plus fortes (BRICKA, Cours ch. de fer, t.2, 1894, p.490).
— PATHOL. Mal de/des montagnes. Malaise que l'on éprouve parfois à une certaine altitude. Mais il est possible cependant d'individualiser un syndrome, dit «mal des montagnes», qui se manifeste dès que l'organisme a atteint une certaine altitude (LANGLOIS, BINET ds Nouv. Traité Méd. fasc. 7 1924, p.156):
• 7. Le Matterhorn? Mais il n'avait jamais tué personne. Des imprudents y étaient tombés. Des déficients, et dont le coeur ne tenait pas. Le guide épuisé? Simple compression des plexus nerveux par la paroi. Et le mal de montagne, banale indigestion pour un petit déjeûner à une heure insolite.
PEYRÉ, Matterhorn, 1939, p.102.
— SPORTS. Faire de la montagne, de la haute montagne. Pratiquer l'alpinisme. (Dict. XIXe et XXe s.).
Rem. Dans ce champ sém. on trouve tous les syntagmes ayant trait à cette pratique. Ascension de montagne; chaussures de montagne; école de montagne. Le fort, sur son plateau, joue le rôle de ces refuges de montagne où les caravanes perdues viennent s'abriter contre la tempête (BORDEAUX, Fort de Vaux, 1916, p.60). Oui, le métier de guide de montagne était fini, et les Mathias pouvaient crever, avec leurs rhumatismes, et l'emphysème (PEYRÉ, Matterhorn, 1939, p.19).
B. — Régional
1. [Savoie et Suisse] ,,Alpage; domaine de montagne avec une métairie et un chalet`` (PIERREH. 1926). Outre la maison qu'il avait bâtie (...) J. Steiner possédait une ferme, ou, comme on disait alors, une montagne (PIERREH. 1926).
2. [Cantal] Pâturage d'altitude de plusieurs dizaines d'hectares, susceptible de nourrir pendant l'été un troupeau de vaches, à raison de deux à trois bêtes par hectare; on distingue les montagnes à lait pour les vaches laitières et les montagnes à viande pour les bêtes vieillies (d'apr. FÉN. 1970).
REM. 1. Montagnais, subst. masc. a) Membre d'une tribu indienne des montagnes du Québec. En emploi adj. apposé. Toute cette journée-là et le lendemain ensuite, aidés par le matelot Joachim qui était un Indien montagnais, ils dépecèrent le poisson (Y. THÉRIAULT, La Passe au crachin, 1972, p.9 ds Richesses Québec 1982, p.1585). b) Langue indienne. L'vieux Dominique chantait la messe, tous les dimanches là-dedans en montagnais (P. PERRAULT, L'Anse aux huards, 1958, p.31, ibid, p.1586). 2. Montagnère, montanière, subst. fém., région. (Provence). ,,Vent analogue à la tramontane mais plus localisé, plus variable et moins vif`` (CHASS. 1970). Outre ces vents bien connus de tous, on peut citer dans le Midi la montagnère, brise nocturne qui vient du continent (Vie lang. 1961, n°108, p.118). 3. Montagnon, subst. masc., région. Montagnard du Jura français et suisse. Au haut de la montagne, le conducteur admonesté par l'avoyer prussien. La jeune dame, gâtée, enceinte, femme d'un horloger de La Chaux-de-fonds; ces montagnons vont dépenser à Paris (MICHELET, Journal, 1838, p.252). ,,Se dit particulièrement aujourd'hui comme nom fam. des habitants du haut Jura neuchâtelois`` (PIERREH. 1926). Pris adj. [En parlant des gens des Franches-Montagnes ou Montagnes des Bois et de la race de chevaux qu'ils élèvent] Qui est de cette région. À vendre ou à échanger un bon poulain de 9 mois, race montagnon (F. d'av. N. 7 janv. 1907, ibid.).
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 «importante élévation de terrain» (Roland, éd. J.Bédier, 6); 2. Ca 1100 les, la montagne(s) «zone, région de forte altitude» (ibid., 2040); 3. 1644 fig. «amas, amoncellement» (CORNEILLE, Pompée, I, 1); 4. 1761 montagne «(dans les Alpes) pâturage de haute altitude, appartenant à une collectivité ou à un particulier» (Mém. de la Société oeconomique, 388 ds PIERREH.); 5. 1792 la Montagne «les bancs les plus élevés de l'assemblée conventionnelle, où siégeaient les députés de gauche» (BRUNOT t.9, p.631, note 3); 6. a) 1816 Montagnes russes «élévation naturelle ou artificielle du haut de laquelle on se laisse glisser en traîneau sur un chemin uni» (MAINE DE BIRAN, Journal, p.237); b) 1945 «suite de montées et de descentes» (SARTRE, Sursis, p.120). Du b. lat. montanea, fém. subst. de l'adj. b. lat. montaneus, lat. class. montanus «relatif à la montagne». Fréq. abs. littér.: 9798. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 21278, b) 15503; XXes.: a) 8439, b) 10129. Bbg. DAUZAT Ling. fr. 1946, p.14. — DUB. Pol. 1962, p.348. — QUEM. DDL t.2, 10, 11, 13, 18.
montagne [mɔ̃taɲ] n. f.
ÉTYM. 1080, Chanson de Roland, montaigne; lat. pop. montanea, fém. subst. d'un adj. de basse époque montaneus, lat. class. montanus, de mons. → Mont.
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1 Importante élévation de terrain. ⇒ Mont (vx); accident (de terrain), colline, élévation (de terrain), éminence, haut (II., 4.), lieu (cit. 8; haut lieu); djebel, puy, rocher, volcan… || Sommet aigu (⇒ Aiguille, cime [cit. 1], dent, pic, piton, pointe), arrondi (⇒ Ballon, calotte, croupe, mamelon) d'une montagne. ⇒ Crête, faîte, front (poét.; cit. 24), sommet, sommité. || Ligne de crête, arête (cit. 4) d'une montagne. || Flancs escarpés (⇒ Berge), penchant, pente, contre-pente d'une montagne. || Versants d'une montagne. ⇒ Escarpement (cit. 1), versant; adret, ubac. || Assises (⇒ Gradin), base, pied d'une montagne. || Hauteur (cit. 2) d'une montagne. ⇒ Altitude. || Haute montagne. || Petite montagne. ⇒ Monticule. || Montagne qui domine ses voisines. ⇒ Culminant, culminer. || Forme d'une montagne : montagne arrondie, à formes douces, abrupte, escarpée (→ Cascade, cit. 2), à pic (→ Île, cit. 3). || Montagne qui s'élève par degrés, de terrasse en terrasse. — Chaîne de montagnes. ⇒ Chaîne (cit. 26), chaînon, contrefort, éperon, sierra. || Massif de montagnes. || Cirque de montagnes. || Vallée entre deux montagnes. || Brèche, coupure, trouée dans une chaîne de montagnes. ⇒ Cluse, col (II.), combe, défilé, gorge, grau, passe, seuil. || Passage d'une montagne. — Masse de neige, de rochers qui se détache, dévale d'une montagne. ⇒ Avalanche, éboulement, éboulis, écroulement. || Montagne érodée, ravinée, usée. ⇒ Érosion, ravinement, ruissellement. || Cavernes, crevasses creusées dans la montagne, aux flancs d'une montagne… (⇒ Gouffre, précipice, ravin…). — Montagnes qui s'élèvent à l'horizon. || Montagne environnée de nuages, de brume. || Montagnes bleues, dans le lointain. — Gravir (cit. 4), escalader une montagne. || Ascension, escalade d'une montagne. || En haut, au sommet d'une montagne (→ Ermite, cit. 1). || Sur les hautes montagnes (→ Éthéré, cit. 2). — Montagne figurée sur un blason. ⇒ Terrasse.
1 On conte que Hegel, devant les montagnes, dit seulement : « C'est ainsi » (…) Le spectacle des montagnes donne quelque idée du fait accompli, par cette masse qu'il faut contourner.
Alain, Propos, 12 juin 1926, L'existence.
♦ Allus. littér. || « Souvent sur la montagne, à l'ombre d'un vieux chêne » (cit. 6). || « Il est sur ma montagne une épaisse (cit. 20) bruyère ». || « Ô montagnes d'azur ! » (→ Gave, cit.).
2 Quelle vérité que ces montaignes (montagnes) bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au delà ?
Montaigne, Essais, II, XII.
3 Dans la lettre De l'injustice peut venir la plaisanterie des aînés qui ont tout. « Mon ami, vous êtes né de ce côté de la montagne; il est donc juste que votre aîné ait tout. »
Pascal, Pensées, V, 291.
♦ Allus. évang. || Le sermon sur la montagne.
♦ La montagne sacrée : le Capitole (cit. 2). || La montagne du Calvaire : le Golgotha. || La montagne Sainte-Geneviève : la colline où se trouve le Panthéon, à Paris (→ Grouillement, cit.).
♦ Par métaphore (→ Haut, cit. 126) :
4 Il vous reste beaucoup à gravir de la montagne de la vie, et de longtemps vous ne parviendrez à la zone où se trouve la neige.
Th. Gautier, Mlle de Maupin, VI.
♦ ☑ Loc. div. (1765). C'est la montagne qui accouche (cit. 2) d'une souris (⇒ Enfanter, cit. 6), se dit par raillerie des résultats décevants, dérisoires d'une entreprise, d'un ambitieux projet. — ☑ Grand comme une montagne : très grand (→ Assemblage, cit. 17). — ☑ Gros comme une montagne : énorme (au fig. → Comme une maison). — ☑ (1874). Se faire une montagne de qqch., s'en exagérer les difficultés, l'importance… (⇒ Difficile). || Faire une montagne d'une taupinière. — ☑ La foi, l'enthousiasme déplacent, transportent, soulèvent les montagnes (→ Féconder, cit. 5; foi, cit. 28). — ☑ Il ferait battre des montagnes, se dit de celui qui sème partout la discorde. — ☑ Prov. Il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas. — ☑ Pas de montagne sans vallée : on a les défauts de ses qualités. — ☑ Loc. prov. Aller à la montagne : faire le premier pas (par allus. à la phrase attribuée à Mahomet : « Puisque la montagne ne vient pas à nous, allons à la montagne »).
5 (…) vous vous faites une montagne de ce qui, pour une fille de mon âge, n'offre rien de répréhensible. Vous croyez que l'amour c'est le mal (…)
F. Mauriac, la Fin de la nuit, II.
5.1 — Oh toi, dit le type, je te connais. Tu ferais se battre des montagnes.
R. Queneau, Zazie dans le métro, Folio, p. 113.
2 Les montagnes, la montagne : ensemble de montagnes (chaîne, massif); zone, région de forte altitude (opposé à plaine; → Côte, cit. 12). || Pays de montagne. ⇒ Montagneux, montueux… || Vallée qu'enserre (cit. 6) la montagne. || Dans ces montagnes… (→ Âpreté, cit. 4). || L'air, le froid (cit. 4) des montagnes (→ Griser, cit. 4). || Neiges, glaciers (cit. 3) des montagnes, de montagne. || Rivière, torrent de montagne. || Orage de montagne (→ Grondement, cit. 4). || Flore (cit. 1), faune des montagnes (⇒ Monticole). || Les chamois (cit. 1) de nos montagnes. || Ânes, mulets, chiens de montagne. || Emmener les troupeaux dans la montagne. ⇒ Alpage, 2. estiver, transhumer (cf. l'emploi dialectal de montagne pour « pâturage de montagne » : montagne à lait, pour l'engraissement des vaches à lait). — Chemin, chemin de fer (⇒ Funiculaire) de montagne. || Aérodrome de montagne. ⇒ Altiport. — Lacets, tournants, pentes d'une route de montagne. || Courir la montagne. || Course de montagne (→ Escarpement, cit. 2) [absolt, une course : faire une course en montagne]. — Milit. || Artillerie, batterie de montagne. — Myth. || Divinité, nymphe des montagnes. ⇒ Oréade. Hist. || Le vieux de la montagne (→ Assassin, cit. 2).
6 (…) sur les hautes montagnes (…) Il semble qu'en s'élevant au-dessus du séjour des hommes, on y laisse tous les sentiments bas et terrestres, et qu'à mesure qu'on approche des régions éthérées, l'âme contracte quelque chose de leur inaltérable pureté. On y est grave sans mélancolie, paisible sans indolence, content d'être et de penser (…) Je doute qu'aucune agitation violente (…) pût tenir contre un pareil séjour prolongé, et je suis surpris que des bains de l'air salutaire et bienfaisant des montagnes ne soient pas un des grands remèdes de la médecine et de la morale.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, I, XXIII.
7 En hiver, les montagnes nous présentent l'image des zones polaires; en automne (…) elles ressemblent à des lithographies grises, noires, bistrées : la tempête aussi leur va bien, de même que les vapeurs (…) qui roulent à leurs pieds ou se suspendent à leurs flancs. Mais les montagnes ne sont-elles pas favorables aux méditations, à l'indépendance, à la poésie ?… Je reconnais tout cela; mais entendons-nous bien : ce ne sont pas les montagnes qui existent telles qu'on les croit voir alors; ce sont les montagnes comme les passions, le talent et la muse en ont tracé les lignes, colorié les ciels, les neiges, les pitons, les déclivités (…)
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. V, p. 394.
8 Il est bien plus difficile de pénétrer en soi-même (…) c'est le but du sage antique dans son séjour sur la montagne. Là il peut (…) planer de soi sur soi (…) Aucune des fausses grandeurs ne se soutient devant les Alpes. Aucune autorité mondaine n'y garde son faux prestige. Une seule subsiste ici : raison, vérité, conscience… Pour la seconde fois (en juillet 1867), cette idée, vive et nette de la montagne, me revenait à l'esprit : « Elle est une initiation ».
Michelet, la Montagne, II, XIII.
♦ Habiter la montagne. ⇒ Montagnard. || Maison, chalet de montagne. — Jambon, saucisson de montagne, fabriqué artisanalement à la montagne. || Sa montagne natale (→ Bêlement, cit. 1). || Regretter ses montagnes (→ Incident, cit 3). — Passer ses vacances à la montagne (par oppos. à la mer, à la campagne). || Le médecin lui a conseillé la montagne (→ Entêtement, cit. 5). || Promenade, excursion en montagne. || Stations de montagne. || Sports de montagne. ⇒ Alpinisme, ascension, ski. || Bâton (⇒ Piolet), chaussures de montagne. — Cyclisme. || Épreuve de montagne, qui se déroule sur des routes de montagne, sinueuses et pentues. — Mal des montagnes (ou mal d'altitude). ⇒ Puna.
9 Bientôt une affreuse défaillance le saisit, ce mal des montagnes qui produit les mêmes effets que le mal de mer. Éreinté, la tête vide, les jambes molles, il manquait les pas et ses guides durent l'empoigner (…)
Alphonse Daudet, Tartarin sur les Alpes, X.
10 (…) j'éprouve pour la montagne un attrait extraordinaire. Pas pour la montagne à grand spectacle : cimes neigeuses en zigzag, glaciers roses, alpinisme. Non, pour la vie des gens dans la montagne. Pour les secrets, les intimités, les renforcements séculaires de la vie en montagne.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, IV, p. 53.
♦ ☑ Loc. La haute, la moyenne montagne. || Refuge de haute montagne. || École de haute montagne. — ☑ La montagne à vaches : les zones d'alpages, où paissent les troupeaux; spécialt (alpin.) zones faciles, pour la promenade.
11 (…) leur père les avait emmenés, les deux frères, dans la haute montagne, et pour la première fois il avait vu de près des glaciers.
Aragon, les Beaux Quartiers, I, X.
♦ Géol., géogr. (⇒ Relief; orogénie, orographie). || Montagnes jeunes, récentes, formées par des plissements (accompagnés ou non de grandes fractures et de soulèvements en blocs) ou par volcanisme. || Montagnes anciennes : massifs plus ou moins rajeunis par l'érosion ou les mouvements du sol. || Roches constitutives des montagnes. — Vx. || Beurre de montagne. ⇒ Beurre, 4.
12 Les montagnes offrent toujours de fortes oppositions de relief (…) Le plus souvent, elles sont découpées par des dépressions profondes (…)
REM. En français d'Afrique, le mot colline étant inusité, montagne désigne toute élévation de terrain, même faible.
3 Fig. || Montagne de… : grande quantité amoncelée de… ⇒ Amas, amoncellement. || Des montagnes de livres (→ Bibliothèque, cit. 7), de briques (→ Évidement, cit. 2), de charpie (cit. 2), de laine (cit. 5)... — Spécialt. || Montagne d'or, grande quantité (→ Alchimiste, cit. 2).
13 (…) les neuf autres tombereaux, avec leurs montagnes de choux, leurs montagnes de pois, leurs entassements d'artichauts, de salades (…) semblaient (…) vouloir l'ensevelir (…) sous un éboulement de mangeaille.
Zola, le Ventre de Paris, t. I, I, p. 12.
♦ Montagne de glace (vx) : iceberg.
4 Hist. || La montagne : les bancs les plus élevés de l'assemblée conventionnelle où siégeaient les députés de gauche, conduits par Robespierre et Danton (→ Fédéraliste, cit.).
5 (XIXe; Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, IV, 3). || Montagnes russes : attraction foraine constituée par une suite de pentes et de contrepentes parcourues à grande vitesse par un véhicule sur rails. — (On emploie quelquefois, pour désigner cette attraction, l'anglicisme scenic railway).
14 Les montagnes russes ont fait fureur à Paris au commencement de la Restauration.
Th. Gautier, Voyage en Russie, VIII.
♦ Fig. Suite de montées et de descentes, de mouvements successifs vers le haut, puis vers le bas.
15 Le bateau s'enfonça, c'était les montagnes russes … Ça montait doucement, doucement, à la dérobée et ça descendait de même (…)
Sartre, le Sursis, p. 120.
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DÉR. Montagnard, montagnette, montagneux.
COMP. Passe-montagne, tranche-montagne.
Encyclopédie Universelle. 2012.