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eh bien

⇒EH BIEN, mot inv.
I.— [Eh bien est employé pour relier l'accomplissement ou l'expression langagière d'un acte à la situation qui rend possible ou qui motive cet acte]
A.— [Eh bien est employé pour relier l'accomplissement d'un acte de parole à une situation de dialogue le rendant possible]
1. [L'acte de parole consiste à apporter une information; eh bien introduit l'élément d'information que veut communiquer le locuteur] « Tenez!... Là-bas!... cette brousse, eh bien, il y a-t-un lièvre qui tous les matins passe par ce pertuis-là... » (CHÂTEAUBRIANT, Lourdines, 1911, p. 45). « Voulez-vous, Mademoiselle, que je vous dise une chose? (...) Eh bien, j'ai appris, tout seul, à prononcer le latin à peu de chose près comme les anciens Romains le prononçaient... » (LARBAUD, Marquez, 1911, p. 127). Tu as bien connu Camps, disait l'un. (...). — Oui, bien sûr. — Eh bien, il est mort (CAMUS, Peste, 1947, p. 1234).
Rem. En employant eh bien, le locuteur marque qu'il assume que l'interlocuteur connaît suffisamment l'objet sur lequel portera l'information ou qu'il accepte les termes de la relation de communication.
2. [L'acte de parole consiste à demander une information; eh bien introduit une question] — Salut, mon capitaine, dit-il [Colar] en portant militairement la main à sa casquette. (...) Williams alluma un nouveau cigare, puis il regarda Colar. — Eh bien, dit-il, où en sommes-nous? (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 1, 1859, p. 143). Constant. — Salut! Gabrielle. — Enfin, te voilà! Eh bien as-tu peint ou joué au golf? Constant. — Ni l'un, ni l'autre (BERNSTEIN, Secret, 1913, II, 7, p. 23).
♦ [Eh bien, employé seul] (Quasi-)synon. alors. — Tu sais? notre pauvre vieux Jules Renard... — Oui. Eh! bien? — Eh! bien, il est mort (RENARD, Journal, 1900, p. 597). Ma mère devait attendre (...). Elle dit à voix basse : — Eh bien? — On ne connaît personne de ce nom-là, fis-je. La concierge l'a bien répété : personne. — C'est bon, fit ma mère (DUHAMEL, Jard. bêtes sauv., 1934, p. 81).
Rem. En employant eh bien, le locuteur marque qu'il assume que l'interlocuteur est susceptible de lui apporter un élément d'information ou qu'il est dans une situation où il doit répondre.
En partic. [Eh bien est employé pour instaurer une situation de dialogue] — Eh bien, mon enfant, vos élèves vous donnent-elles satisfaction? Trop fin, le vieil abbé, pour aborder la conversation autrement que par un terrain de tout repos (DANIEL-ROPS, Mort, 1934, p. 117).
3. [L'acte de parole consiste à donner un ordre; eh bien introduit, gén., un impér.] Il acheta (...) la grande araire de Mathieu de Dombasle, mais le charretier la dénigra. — « Apprends à t'en servir! — Eh bien! Montrez-moi » (FLAUB., Bouvard, t. 1, 1880, p. 35). — Tu sais où il est? L'enfant fit oui. — Eh bien! Cours le chercher (CHÂTEAUBRIANT, Lourdines, 1911, p. 254).
Rem. En employant eh bien, le locuteur marque qu'il assume que l'interlocuteur peut ou qu'il doit accomplir l'ordre qu'il va donner.
B.— [Eh bien est employé pour relier l'accomplissement d'un acte de parole à la situation de dialogue obligeant à accomplir cet acte]
1. [L'acte de parole consiste à apporter une information; eh bien introduit l'élément d'information demandé par l'interlocuteur] Qu'est devenue la religieuse? dis-je tout à coup. — Ah! Vous êtes terrible avec votre religieuse... Eh bien!... Eh bien! Cela a mal tourné (NERVAL, Filles feu, Sylvie, 1854, p. 618). Je le regarde dans les yeux : — Alors?... — Eh bien voilà, mon lieutenant (VERCEL, Cap. Conan, 1934, p. 74). — « Dire que j'ai eu un vrai béguin pour cet imbécile », continua Anne. « Et peut-être justement à cause de ça... » — « À cause de quoi? » — « Eh bien, de sa bêtise... » (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p. 217).
Rem. En employant eh bien, le locuteur marque qu'il accepte de répondre à la demande de son interlocuteur.
2. [L'acte de parole consiste à donner un ordre; eh bien introduit, gén., un impér.] Robert. (...) Apprends que je ne perdrai la liberté qu'avec la vie. Maurice. Eh bien, gardes, obéissez (LA MARTELIÈRE, Robert, 1793, III, 7, p. 37). Nicole. — Je voudrais m'en aller, Jimmy! Jimmy. — Bon, eh bien, pars, puisque tu ne veux rien comprendre! (BOURDET, Sexe faible, 1931, II, p. 346).
Rem. En employant eh bien, le locuteur marque qu'il est contraint de donner cet ordre par le comportement ou les propos de son interlocuteur.
C.— [Eh bien est employé dans un discours suivi adressé à un interlocuteur pour relier l'accomplissement ou l'expression langagière d'un acte aux circonstances qui sont, pour le locuteur, des motifs pour l'accomplissement de cet acte]
1. [L'acte accompli est un acte de parole effectué par une expression ou un verbe à valeur performative] Son compagnon ayant dit qu'il rentrait se coucher, il ajouta, sans même tendre la main : — Eh bien, adieu (ZOLA, Germinal, 1885, p. 1527). « Nous savons que cet argent, c'est pour nous que tu voulais le garder. Eh bien! Nous y renonçons... » (DUHAMEL, Jard. bêtes sauv., 1934, p. 168) :
1. ... tenez, Madame, c'est encore comme le chef du protocole qui est bossu, c'est réglé, il n'est pas depuis cinq minutes chez moi que je vais toucher sa bosse. Mon mari dit que je le ferai révoquer. Eh bien! Zut pour le ministère! Oui, zut pour le ministère!
PROUST, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 599.
2. [L'acte non linguistique est exprimé par une phrase au fut. ou avec une valeur de fut.] La noblesse de naissance a passé du côté des conquérants. Eh bien! il faut la faire repasser de l'autre côté (SIEYÈS, Tiers état, 1789, p. 33). Ils se chérissent depuis l'enfance, et moi, je suis une étrangère dans cette amitié. Eh bien, je la casserai, leur amitié! (BERNSTEIN, Secret, 1913, III, 3, p. 35). La médecine de notre époque, c'est dans le domaine psychique qu'elle fera son pas décisif... Eh bien, je veux en être, tu comprends? (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p. 122).
Rem. La phrase introduite par eh bien exprime, gén., une prise de résolution.
D.— [Eh bien est employé pour relier, dans le cadre d'un discours suivi, et plus rarement d'un dialogue, l'acte d'assertion d'un contenu propositionnel à l'exposé explicite ou à la prise en considération implicite de ce que croit, pense, pourrait penser l'interlocuteur sur le même objet de discours]
1. [L'assertion du locuteur contredit, corrige les croyances de l'interlocuteur et/ou s'y oppose]
a) [La croyance de l'interlocuteur est rapportée dans la proposition complétive d'un verbe d'opinion ou sous forme d'une interr. oratoire] Vous ne me croyez pas la plus timide personne du monde? Eh bien, je n'ai pas osé voir M. Fox (STAËL, Lettres div., 1793, p. 424). Romain Rolland a l'orgueil d'être au-dessus des conflits, eh bien! non, il est au-dessous (BARRÈS, Cahiers, t. 11, 1914-17, p. 206). Elle vous dira peut-être qu'elle a 35 ans. Eh bien, mon cher, elle en a 43. Quarante-trois ans (JOUVE, Scène cap., 1935, p. 222).
b) [L'assertion du locuteur s'oppose à ce que l'interlocuteur pourrait conclure de la situation décrite par le locuteur] J'ai fait la guerre, moi, Monsieur; je suis un homme dur; eh bien, j'ai pleuré (LARBAUD, Marquez, 1911, p. 211). Maman (...) est instruite, bien sûr, mais pas comme nous. Elle ne sait rien du latin, par exemple. Eh bien! elle est extraordinairement intelligente (DUHAMEL, Jard. bêtes sauv., 1934, p. 33). Je pousse la porte : tous à la fois mes personnages tournent la tête et me regardent. Eh bien! non, ils ne me feraient pas peur (MAURIAC, Journal 2, 1937, p. 163).
c) [L'assertion du locuteur s'oppose à un état antérieur de sa propre croyance] Je me disais, pour me calmer : « dans quinze jours j'aurai quelqu'un à qui parler ». Eh bien, non, il faudra me contenter de R. (RIVIÈRE, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1905, p. 160). Il me semblait que ça devait terriblement se voir, cette année de plus qui vient de sonner à mon cadran. Eh bien! non, ça ne se voit pas trop (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p. 17).
2. Eh bien oui. [L'assertion du locuteur reprend le discours de son interlocuteur et/ou l'accepte] Tu vas croire que je suis égoïste, que j'ai peur de toi. Eh bien oui! J'en suis épouvanté de ton amour (FLAUB., Corresp., 1846, p. 237). Laissons mon cœur, laissons ton cœur! Soyons nous!... Eh bien, oui, c'est vrai, quand on se voit, On n'est plus très troublé (GÉRALDY, Toi et Moi, 1913, p. 23).
Rem. L'emploi de oui, est ici obligatoire; alors que l'emploi de la négation polémique non dans 1 (supra) est optionnel.
E.— Emploi dérivé en discours
1. [Eh bien est employé comme élément organisateur de discours par un locuteur pour marquer qu'il revient à l'objet principal du discours après une digression, une compar. ou une anal.] Là-haut, dans la pourpre du couchant, se dresse, nourri d'une terre vigoureuse, un beau pommier. (...); mais c'est qu'il est ivre, le pommier, ivre de l'odeur de toutes ses pommes, (...) Eh bien! Le grand corps surmené d'Anthime faisait songer à ce pommier (CHÂTEAUBRIANT, Lourdines, 1911, p. 174) :
2. ... un naturaliste, qui n'aurait jamais étudié l'éléphant qu'au microscope, croirait-il connaître suffisamment cet animal? Eh bien! en mathématiques, il y a quelque chose d'analogue. Le logicien décompose pour ainsi dire chaque démonstration en un très grand nombre d'opérations élémentaires; ...
POINCARÉ, La Valeur de la sc., 1905, p. 26.
2. [Eh bien est employé pour introduire un élément d'information que le locuteur veut mettre en valeur après une interr. oratoire ou une interr. indir.] Philosophique! Qu'est-ce que ça veut dire? Ça veut dire qu'il faut exprimer des idées. Mais quelles? Ah! dame, toutes. Mais encore? Eh! bien, que l'éternité n'est pas le temps, qu'il faut vivre dans l'éternité, etc. (RIVIÈRE, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1906, p. 234). Cela lui donnait l'impression que, pour le moment, la famille était servie. Mais, dira-t-on, à l'égard de son neveu, qu'attend-il? Eh bien, il attend qu'il soit trop tard (MONTHERL., Célibataires, 1934, p. 863).
3. [Eh bien introduit dans un récit (donné comme objectif) un passage au style indir. libre, ou un passage assumé par l'aut. du discours ou un personnage mis en scène par l'aut.] :
3. Il avait l'habitude, chaque soir avant de s'endormir, de se remémorer ses paroles et ses actions de la journée écoulée, et de les juger. Il les examinait froidement et ne leur cherchait pas d'excuse. Eh bien, ce soir-là, il s'aperçut qu'il avait, au fond, moins de sujets de contentement qu'il n'avait cru d'abord.
LARBAUD, Fermina Marquez, 1911, pp. 84-85.
4. Les traditions diplomatiques (...) avaient fini par faire vivre son pays et le nôtre dans une atmosphère de renfermé qui n'était plus respirable. Eh bien! une des manières de renouveler l'air, évidemment une de celles qu'on ne peut pas recommander, mais que le roi Théodose pouvait se permettre, c'est de casser les vitres.
PROUST, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 460.
Rem. Dans cet emploi, eh bien forme système avec alors qui marque le passage inverse (du style indir. au récit objectif).
II.— [Eh bien est employé pour relier l'expression d'un trouble psychol. ou d'une réaction d'ordre affectif à la situation qui les cause] Madame de Céran. — Une enfant naturelle! La Duchesse. — Naturelle! Eh bien, quoi? Naturelle! Est-ce que tous les enfants ne sont pas naturels?... (PAILLERON, Monde où l'on s'ennuie, 1869, I, 7, p. 28). « Comment? Vous admirez cela? Eh bien! C'est du joli!... » (PROUST, Swann, 1913, p. 26). Je me tourne vers lui et je lui souris. Eh bien? Qu'est-ce qu'il a? Pourquoi est-ce qu'il se recroqueville sur sa chaise? (SARTRE, Nausée, 1938, p. 157).
Spécialement
Eh bien, eh bien (suivi d'un appellatif).
[Le locuteur interpelle son interlocuteur pour lui notifier qu'il est étonné par son comportement] Regardez-les, Monsieur le maire : les charmantes petites figures, les charmants petits dos... Le Maire. — Eh bien, eh bien, mon cher droguiste! (GIRAUDOUX, Intermezzo, 1933, I, 3, p. 20). Dans les familles qui méritent ce nom il est de fort bon ton d'avoir au moins deux enfants dévorés par les lions. — Eh bien, eh bien, je vous y prends, petits saltimbanques, à rire de notre sainte religion (PRÉVERT, Paroles, 1946, p. 36).
Rem. La suite eh bien, eh bien + appellatif, s'accompagne, gén. d'un effet de sens de « rappel à l'ordre bon enfant ».
Eh bien (suivi d'un appellatif, gén. dépréciatif ou iron.).
[Le locuteur interpelle son interlocuteur pour lui notifier son étonnement ou son indignation] Ils t'ont soigné les agricoles!... Ah c'est le bouquet!... Maintenant tu déconnes! Eh bien mon colon!... (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 696).
Rem. On rencontre, ds la docum., pour tous les emplois de eh bien, des ex. des déformations de bien en ben ou bé : eh ben, eh bé.
Prononc. :[]. Étymol. et Hist. Cf. eh2.

Encyclopédie Universelle. 2012.