LUXE
Gustave Flaubert, dans le Dictionnaire des idées reçues , définit le luxe comme ce qui «perd les États». Le luxe corrupteur des civilisations vertueuses; après l’âge de fer et l’âge d’airain, les sociétés verraient tôt ou tard la douceur de vivre amollir les individus qui les composent. La notion de luxe se rapprocherait donc de celle de décadence. Le goût pour le raffinement serait opposé à la naïveté originelle, à la fonctionnalité première des objets de l’environnement quotidien, à la simplicité et à l’univocité des gestes et des discours. D’emblée, le luxe est considéré comme le péché de raffinement, entre le cossu et l’emprunté, entre le grossier et le voyant, entre l’ordinaire et le m’as-tu-vu. Mais l’appartenance du luxe au domaine de la décadence n’est pas suffisante pour en préciser la définition socialement reconnue et acceptée. En effet, le luxe est souvent mis en relation avec la manifestation du pouvoir, avec la différence sociale, avec l’arbitraire culturel. Le pouvoir politique et administratif utilise les différents aménagements urbains afin de blasonner l’espace, de le marquer monumentalement: le luxe monumental, celui du «devoir embellir», est présent à la fois comme insigne et comme enseigne, comme présentation d’un marquage et donc d’une appropriation et comme représentation du pouvoir politique ou économique. La présentation et la représentation, par le luxe, de la décoration et de l’aménagement de l’espace urbain ou palatin marquent ainsi l’obligation de la distinction. Distinguer, c’est évidemment classer des objets, des parures, des monuments et des goûts qui doivent nécessairement faire partie d’une catégorie arbitraire et socialement admise qui découpe l’univers des valeurs selon les rituels manichéens du vulgaire et du luxueux. Le luxe est ainsi la somme complexe d’activités sociales classant à la fois l’antérieur vertueux et le futur décadent, la représentation d’un pouvoir – fût-il politique ou économique –, la distinction entre la vulgarité du rien, d’une part, et, d’autre part, la valeur esthétique et son incarnation dans une série d’objets, de comportements, de produits sociaux sur lesquels, à un moment historique donné, des individus apposeraient une sorte de label intrinsèque.
De l’arbitraire au don
Tout objet, tout comportement, toute aventure du cœur et du corps, toute lumière de candélabres, tout alezan à l’amble souple, tout corsage en peau d’ange, tout livre relié de basane bleue, tout vin de Sauternes ou de Hongrie peuvent être estampillés comme luxueux. Il s’agit d’une métamorphose essentialisant des configurations, des matériaux et des modes d’expression. Une fraction de la population, négligeable démographiquement, préside à l’ordination des objets et des cultes luxueux; elle dispose du pouvoir d’en régler les cérémonies, les avènements, les rites de passage et de métamorphoses. Il ne s’agit pas ici de mode – univers des rotations rapides, valorisantes et dévalorisantes –, mais d’un establishment des objets, d’une configuration de leurs présences simultanées dans un espace et dans un temps donnés. Le catalogue en est infini puisqu’il change arbitrairement d’une société à l’autre, d’un temps à l’autre. Ainsi, pour Sei-sh 拏nagon, au Japon, à la cour de l’impératrice, le luxe apparaît dans la concision de la phrase; le vulgaire a toujours une syllabe de trop: «Langage des gens vulgaires: leurs mots ne manquent pas d’avoir une syllabe de trop.» Sei-sh 拏nagon donne dans ses notes de chevet la clef de l’arbitraire d’une classification des objets luxueux – choses qui ont une grâce raffinée – qui va se métamorphoser (grâce au pouvoir que confère une classification légitime) en code social de l’appréhension des objets et des comportements excluant la possibilité qu’une chose laide puisse être acceptée dans le domaine du luxe, excluant ainsi que le jugement esthétique classant antithétiquement le vulgaire et le luxe puisse être mis en doute. L’essentialité de la définition, la taxinomie des lieux, objets et comportements prétendent renvoyer à des valeurs éternelles; elles masquent l’arbitraire de la catégorisation sous l’insolence de la définition et permettent ainsi d’obtenir un consensus, enthousiaste pour les uns (ils «en sont» et sont ravis d’«en être»), résigné pour les autres.
Valery Larbaud, dans le Journal intime de A. O. Barnabooth , décrit cette réglementation taxinomique des objets. À Florence, le 12 avril, Barnabooth fait de nombreux achats alors qu’il habite au Carlton dans une suite de dix pièces donnant sur l’Arno: «Passé l’après-midi et la soirée à défaire ces paquets, me ruant, ciseaux en main, sur les ficelles, dispersant les papiers à la volée sur les tapis, m’enivrant de l’odeur du neuf de toutes ces choses bien faites [...]. Je crois que jamais je ne me lasserai d’acheter des objets de luxe – c’est chez moi fort comme une vocation [...]. Dans quelques jours, je distribuerai tout cela au personnel de l’hôtel.» Le luxe n’est ainsi que le plaisir et le don, une pratique intéressée du désintéressement, la délégation magique d’objets qui se dévaluent en passant de la main qui donne à la main qui reçoit. Il s’agit d’une tactique avouée du désenchantement des objets «luxueux», magiquement empreints d’une illusion: celle de la définition comme tels qui leur est provisoirement donnée. Mimant le comportement de la classe seigneuriale féodale décrit par Max Weber, A. O. Barnabooth, ultime avatar du jeune milliardaire dandy, refuse d’orienter rationnellement sa consommation, le luxe n’étant nullement pour lui le superflu. À l’essentialisation de l’arbitraire, à la production du goût luxueux et à sa construction en style de vie s’ajoute obligatoirement le paradoxe de l’ostentation et de la dévaluation symbolique des objets et des comportements luxueux. Donner – et T. Veblen l’indique bien dans la Théorie de la classe de loisir –, c’est, dans une société inégalitaire, pour la classe élevée, marquer son prestige par l’acquisition, la destruction ou le don ostentatoire d’articles dispendieux prouvant la richesse de celui qui donne, de l’«homme de loisir». Les objets achetés, montrés, délaissés servent à marquer la position statutaire, à se situer dans la hiérarchie des classes d’une société inégalitaire, à s’assurer, par des pratiques symboliques adéquates, l’«écart substitutif» existant dès que l’observateur explore «la dimension symbolique des pratiques sociales», qu’il s’agisse de paroles, de comportements ou bien d’objets.
Acheter est donc un acte de classement des objets; présenter est un acte de mise en scène valorisant ce classement; donner est une affirmation du classement des objets luxueux grâce au comportement intéressé du désintéressement luxueux.
La distinction de l’arbitraire
Le texte de Valery Larbaud précédemment cité peut servir ici de fil conducteur. Les pratiques de distinctions luxueuses, les goûts de luxe ne sont pas seulement ceux du fétichisme des objets (sacs de cuir, parfums rares et discrets) ni de certaines situations (wagon-salon des grands express européens): des jugements les manifestent aussi qui, à chaque instant, fabriquent de la différence, classent les acteurs sociaux, diversifient l’ici et le même, l’autre et l’ailleurs dans un jeu où les règles et les enjeux sont – faussement – à la disposition de celui qui, en jugeant, déjuge autrui sans procès. «J’ai fait, nous dit Barnabooth, la dernière partie du voyage, de Bologne jusqu’ici, dans un wagon de troisième, plein de jeunes Pfaffen prussiens. Je n’oublierai jamais ces gargouilles penchées à la portière, dégorgeant toute la bêtise d’un grand peuple sur les paysages trop savants pour eux et trop simples de l’Italie. Les villages les plus lointains étaient éclaboussés. L’art et la religion, naturellement: «Sensualité déréglée [...] pratiques superstitieuses [...]» Tout le rouleau du phonographe. Et la lumière italienne, surtout cela, la douce, l’indulgente, l’intelligente lumière toscane, légère et un peu attristée.» À force d’apposer des collections de phrases, de jugements de valeur, non point seulement sur les manières de table, la fréquentation des musées de province, le choix des robes et des dentelles, mais aussi sur la totalité de l’environnement physique métamorphosé en un grand œuvre alchimique de distinction, l’homme luxueux, comme l’«homme universel» de Balthasar Gracián, ne cesse en somme de juger, par regards, paroles, comportements, phrases à l’emporte-pièce, promulgations péremptoires et finesse d’esprit. L’évocation par Barnabooth de la Toscane dessine un espace chargé de blasons comme le «strip» de Las Vegas donne son poids d’enseignes commerciales, imaginaires et pourtant bien réelles, aux palais de jeux de cette ville égarée en plein désert. La seule différence, mais elle marque la distance infranchissable entre les deux sites, a trait à la position de l’interprète: d’une part, la richesse ascétique du jugement péremptoire sur les barrières infrangibles du goût vulgaire et du goût de luxe, d’autre part, l’attrait du clinquant et de la séduction aux multiples possibilités.
Les individus qui accordent une importance extrême au jugement discriminant utilisent le catalogue des préceptes de savoir-vivre, afin qu’à chaque moment de la journée la mise en scène et l’intériorisation privée du rituel public puissent s’harmoniser de «droit culturel» – comme l’on dit «de droit divin». «Pour rentrer à Londres en tilbury, gants de castor... pour aller dîner: gants jaunes en peau de chien», disait le comte d’Orsay en 1839; pastichant le catalogue des gants, Barnabooth pourrait ajouter, trois quarts de siècle plus tard: pour la Toscane, lumière un peu attristée; pour la Campanie et la Cité parténopéenne, les cris matinaux des coqs en pleine ville, et, pour l’Ombrie, la tendresse du vert... L’utilisation de la distinction comme pratique de distinction est alors la source du luxe comme production culturelle. Cette utilisation a deux conséquences immédiatement sensibles: l’une est celle de la disqualification, c’est-à-dire du rejet dans le pandémonium culturel de ce qui n’est pas naturellement luxueux, le peuple étant spontanément «en position de porteur éponyme du non-style comme du non-goût» (J.C. Passeron); l’autre est celle de l’affinement perpétuel du jeu des variations alexandrines de la classification de ce qui est ou peut devenir luxueux. Le jugement luxueux passe du je-ne-sais-quoi de la différence au presque-rien de la ressemblance par l’austérité discrète de la mesure et du moindre éclat ou bien par les feux d’artifices du prestige. Il s’agit ici de deux formes d’accumulations symboliques auxquelles se rattachent deux styles de vie que sépare la frontière du goût et de l’absence de goût. Le luxe devient alors marotte de clubs aux recrutements socialement contrôlés. L’intériorisation des règles du savoir-dire, du savoir-faire et du savoir-vivre donne à certains individus une maîtrise parfaite du code des conduites mondaines ainsi que l’intelligence immédiate des situations sociales. Elle leur permet d’assigner une signification précise à la manipulation de certains objets. La prescription énoncée par Maurice Sachs, dans La Chasse à courre : «À l’âge ou l’on s’aperçoit qu’il n’y a pas de fées, il faut se faire fée ou bon génie, et provoquer l’incroyable», ne doit pas, à cet égard, être interprétée comme un appel à la «surconsommation» des objets. Boire des alcools rares car littérairement connotés, acheter des gardénias, fumer un havane Rafael Gonzales, s’habiller avec des jerseys de soie de chez Léonard ou bien avec un tailleur Chanel, voilà qui est considéré par la plupart de ceux qui s’adonnent à ces pratiques comme autant de consommations naturelles de la culture, des consommations qui ne sont définies comme «incroyables» que par les sauvages du luxe qui, à chaque acte social, en se trompant de mesure, se distinguent comme déclassés. Il en va évidemment de même pour les sentiments et les passions.
La cérémonie des pouvoirs
«Les réactions à l’inégalité vont, selon Paul Veyne, de l’indifférence entre passants inégalement fortunés qui se croisent dans la rue à l’humilité du paysan qui admire la richesse du radjah et à la comparaison, laquelle oscille entre la haine et le sentiment de participation.» La délégation de la valeur que la culture savante donne à des objets cités comme luxueux s’exprime aussi dans l’espace urbain et l’espace palatin: il s’agit, certes, d’embellir, mais aussi de construire des lieux publics où le luxe d’un pouvoir peut se donner en spectacle. La participation d’autrui ne peut ici exister que sur le mode de l’illusion, comme leurre de distinction. Montrer le luxe d’un régime au pouvoir, c’est démontrer sa puissance en marquant l’espace de son empreinte, en blasonnant les villes de ses décisions; c’est donc, comme l’écrit Molière dans les Fâcheux :
DIR
\
Régler et ses états et ses propres désirs
Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaisirs./DIR
La gloire du pouvoir se manifeste par les fastes qui se déroulent dans des structures architecturales rigides conçues comme l’enracinement de l’éphémère et de la fête. L’ordonnance des façades, la mise en scène des ouvertures, le jeu de la modénature sont autant de procédures de marquage qui ont pour fonctions de revendiquer légitimement un espace urbain. La stratégie de l’embellissement monumental et de l’espace du faste a pour but d’exposer l’acquisition d’un excédent de richesse. Le luxe est alors, grâce à l’ostentation monumentale, l’investissement le plus rentable, qui permet d’estimer – dans tous les sens du terme – et d’être estimé par autrui. Le luxe est ainsi nécessaire à l’acceptation et à la stabilisation de l’univers des jugements de valeur et des normes du goût: «Le rang règle l’habit, l’architecture et les parures et en retour la dépense en somptuosité désigne le rang» (Dudot et al.). Un jeu s’instaure entre la force symbolique des bâtiments de gloire et la puissance du pouvoir politique, entre la simplicité prônée par J. F. Blondel, par exemple, et la surcharge de décorations qui sur-représente l’embellissement fastueux: «Des propriétaires, écrit ce dernier, qui veulent construire des édifices d’une certaine importance [...] obligent l’architecte à surcharger d’ornements fastueux des bâtiments dont la destination exigerait la plus grande simplicité.»
Cette politique somptuaire n’est pas seulement celle de l’Ancien Régime; elle n’est pas uniquement mise en œuvre par le pouvoir qui veut conforter sa légitimité par l’ostentation de sa légitimité. Le luxe est aussi une ostentation privée par laquelle tout agent social signe l’espace en composant la grammaire stylistique de la décoration qu’il présentera au cercle de ses amis et de ses relations. César Daly, dès 1840, a consacré plusieurs articles, dans La Revue générale d’architecture et des travaux publics , au déplacement spatial des «propriétaires» fortunés de Paris. Ce déplacement s’effectue de la rive gauche vers les nouveaux quartiers de la rive droite et du nord-ouest de la capitale: «On fuit les lieux insalubres, incommodes, malpropres en faveur de la lumière, de l’air, de la propreté et de l’élégance [...] (et) pour la commodité et le luxe des habitations des nouveaux quartiers de la rive droite.» Daly ajoute: «Le luxe lui-même commence à devenir un besoin véritable [...]. On ne se contente plus du nécessaire proprement dit [...]. Le confortable, le luxe intérieur ont marché de pair avec le progrès du style extérieur.» Les observations contenues dans ces quelques citations attestent le passage du luxe public au luxe privé. Le premier capte les regards de la multitude; le second ne peut être interprété,jugé et décodé que par le cercle restreint des connaissances, c’est-à-dire par une catégorie d’acteurs sociaux déjà classés puisqu’ils peuvent être invités à la contemplation du luxe privé. Les espaces montrés, les espaces habités sont des modèles culturels prégnants qui, par les signes équivoques qu’ils adressent au regard, deviennent des modèles comportementaux de l’assimilation et de la distinction. L’espace est alors la matrice du regard classificateur qui, plaçant ses repères et classant les acteurs, s’autorise d’une définition taxinomique du luxe, c’est-à-dire de ce qui est digne d’être remarqué et déchiffré.
Pavane de la distinction et du pouvoir, manipulation non dénuée de plaisir des espaces considérés comme des scènes de l’ostentation, de la séduction et de la captation, la production du luxe, et c’est là un truisme, n’existe que dans les sociétés inégalitaires, mais en existe-t-il d’autres? Elle règle l’univers des conduites et des interprétations, affinant le je-ne-sais-quoi et le presque-rien de la séparation d’avec la «foule»; elle réglemente aussi le plaisir littéraire en redoublant l’artifice poétique, comme en témoigne l’évocation par Saint-John Perse du «luxe trouble des haras, des grands haras de brique fauve sous les feuilles, comme des roseraies de roses rouges sous les roucoulements d’orage [...]».
luxe [ lyks ] n. m.
• 1606; lat. luxus « excès », d'où « splendeur, faste »
1 ♦ Mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées à l'acquisition de biens superflus, par goût de l'ostentation et du plus grand bien-être. ⇒ 1. faste, magnificence. « Le luxe d'un maître fastueux » (Voltaire). « On les voyait étaler un luxe insolent » (Flaubert). Aimer le luxe, vivre dans le luxe. Avoir des goûts de luxe, le goût du luxe. Lois somptuaires contre le luxe. — Fam. C'est du luxe, ce n'est pas du luxe, se dit de ce qui entraîne une dépense déraisonnable ou au contraire utile. Il s'est acheté un costume, ce n'était pas du luxe ! c'était nécessaire.
2 ♦ Caractère coûteux, somptueux (d'un bien ou d'un service). ⇒ somptuosité. Le luxe d'une chambre à coucher. « Un costume d'une élégance et d'un luxe extrêmes » (Gautier). — DE LUXE : coûteux. Produits, articles de luxe, de grand luxe. ⇒ prix (de prix). Taxe de luxe, sur ces produits. Édition de luxe. Hôtel de grand luxe : palace. Fam. Poule de luxe. — Par ext. « Si la science, l'art n'étaient qu'un ornement de luxe » (Renan), inutile, superflu.
3 ♦ Un luxe : bien ou plaisir coûteux qu'on s'offre sans nécessité. « De tous les luxes, la femme est celui qui coûte le plus cher » (Maupassant). « Prenez des cigarettes. C'est mon seul luxe » (Chardonne). — Fig. Se donner, s'offrir, se payer le luxe de dire, de faire : se permettre un acte inhabituel et particulièrement agréable.
4 ♦ UN LUXE DE : une grande ou une trop grande quantité de... ⇒ abondance, profusion. Avec un grand luxe de détails. « Ajoute à ce luxe de visions, le tumulte » (Fromentin).
⊗ CONTR. Pauvreté, simplicité.
⊗ HOM. Lux.
● luxe nom masculin (latin luxus) Caractère de ce qui est coûteux, raffiné, somptueux : Le luxe de la table. Environnement constitué par des objets coûteux ; manière de vivre coûteuse et raffinée. Plaisir relativement coûteux qu'on s'offre sans vraie nécessité : Son seul luxe est sa collection de disques. Ce que l'on se permet d'une manière exceptionnelle ou ce que l'on se permet de dire, de faire en plus, pour se faire plaisir : Il ne peut pas se payer le luxe de lui dire ce qu'il pense de lui. Grande abondance de quelque chose : Un luxe de détails. ● luxe (citations) nom masculin (latin luxus) Isaac Félix, dit André Suarès Marseille 1868-Saint-Maur-des-Fossés 1948 Le luxe est le pain de ceux qui vivent de brioche. Voici l'homme Albin Michel ● luxe (expressions) nom masculin (latin luxus) Familier. Ce n'est pas du luxe, cela fait partie du nécessaire, c'est même indispensable. De luxe, se dit d'objets, de produits, de services qui correspondent à des goûts recherchés et coûteux ; se dit d'activités qui font commerce de ces produits ou de ces services ; se dit d'impôts frappant certaines dépenses somptuaires ou certains biens (bijoux, fourrures, par exemple). ● luxe (homonymes) nom masculin (latin luxus) lux nom masculin invariable luxe forme conjuguée du verbe luxer luxent forme conjuguée du verbe luxer luxes forme conjuguée du verbe luxer ● luxe (synonymes) nom masculin (latin luxus) Caractère de ce qui est coÛteux, raffiné, somptueux
Synonymes :
- faste
- richesse
- somptuosité
Contraires :
- dépouillement
- modestie
- simplicité
Environnement constitué par des objets coÛteux ; manière de vivre coÛteuse...
Synonymes :
- apparat
- pompe
- tralala (familier)
Contraires :
- besoin
- dénuement
- gêne
- misère
- pauvreté
Plaisir relativement coÛteux qu'on s'offre sans vraie nécessité
Synonymes :
- superflu
Grande abondance de quelque chose
Synonymes :
- débauche
- déluge
- excès
- orgie
- prodigalité
Contraires :
- absence
- carence
- disette
- manque
- pénurie
luxe
n. m.
d1./d Magnificence, éclat déployé dans les biens, la parure, le mode de vie dispendieux; abondance de choses somptueuses. Vivre dans le luxe.
d2./d Qualité de ce qui est recherché, somptueux. Vêtements, produits de luxe.
d3./d Bien, plaisir coûteux et superflu. Elle va de temps en temps au théâtre, c'est son seul luxe.
— Fig. Pour des miséreux, de tels scrupules sont un luxe.
— Ce n'est pas un luxe: c'est vraiment utile, nécessaire.
— Se payer, s'offrir le luxe de (+ inf.): se permettre de (faire qqch de difficile, d'agréable, de remarquable, etc.).
d4./d Un luxe, un grand luxe de: une grande quantité, une profusion de. Décrire avec un luxe de précisions.
⇒LUXE, subst. masc.
A. — 1. Pratique sociale caractérisée par des dépenses somptuaires, la recherche de commodités coûteuses ou de biens raffinés et superflus, souvent par goût du faste ou désir d'ostentation. Le luxe amollit, corrompt l'âme, les personnes; le luxe appauvrit, enrichit la société. Ce ne serait pas une haine intelligente que la haine du luxe. Cette haine impliquerait la haine des arts. Cependant, chez les gens d'église, en dehors de la représentation et des cérémonies, le luxe est un tort (HUGO, Misér., t. 1, 1862, p. 62). Le luxe ne désigne pas une qualité de l'objet possédé, mais une qualité de la possession (SARTRE, Être et Néant, 1943, p. 666):
• 1. Il se sentait reprendre goût au luxe, et se le permettait. À quoi bon s'imposer un sacrifice inutile? Et puis, le luxe est une nécessité. Il faut paraître, tenir son rang. Il faut des domestiques, des hommes qui vous libèrent des besognes matérielles...
VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 471.
— ÉCON., vieilli. Consommation improductive, somptuaire de biens coûteux, raffinés, superflus. Le luxe consiste essentiellement dans les dépenses non productives, quelle que soit d'ailleurs la nature de ces dépenses (DESTUTT DE TR., Comment. Esprit des lois, 1807, p. 79). La consommation propriétaire a été nommée luxe par opposition à la consommation utile (PROUDHON, Propriété, 1840, p. 287).
— P. méton. Goût pour le luxe. Un ministre (...) pour satisfaire son luxe effréné dilapidait les trésors de l'Etat en prodiguant aux courtisans la substance des peuples opprimés (LA MARTELIÈRE, Robert, 1793, IV, 9, p. 50). Même en France, même au XIIIe siècle, il se dépensait beaucoup par luxe, à la cour royale et aux alentours (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 180).
2. P. méton.
a) Collectif. Ensemble des biens coûteux ou parfois raffinés qui sont consommés ou dont on fait étalage par goût du luxe. Synon. raffinement, richesse. Le grand luxe; se vêtir, meubler un appartement avec luxe, sans luxe. Jour du dîner de Véron (...). Son luxe est surprenant: des pièces tendues en soie magnifique, le plafond compris. Argenterie somptueuse, musique pendant le dîner (DELACROIX, Journal, 1849, p. 280). Dîner chez Feydeau, où sous le faux et le gros luxe, se perçoivent des embarras, des préoccupations d'argent (GONCOURT, Journal, 1863, p. 1367):
• 2. Daigremont le reçut avec son amabilité ordinaire, dans son hôtel princier, au milieu de ses tableaux de prix, de tout ce luxe éclatant, que payaient, chaque quinzaine les différences de Bourse...
ZOLA, Argent, 1891, p. 344.
— Dans le domaine écon. Produits d'une très grande qualité, d'un très grand raffinement répondant parfois à des besoins superflus. Magasins de luxe. Les industries de luxe périclitent, et les portions de la fortune publique qui servaient à les entretenir sont absorbées par les industries d'alimentation ou d'objets de première nécessité (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p. 254). Ils ont un commerce de luxe et proposent à la convoitise féminine les éléments du costume les plus riches (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 197).
♦Taxe de luxe. Taxe sur les produits de luxe. Jusqu'en 1948 il y eut une «taxe de luxe» frappant certaines marchandises non indispensables (ROMEUF 1958).
— (Un) luxe de qqc.
♦[Avec un compl. générique] Luxe de linge, de parure. Une argenterie merveilleuse de façon (...) séduisit les regards autant qu'un luxe de table qui parut inouï (BALZAC, Rech. absolu, 1834, p. 316).
♦[Avec un compl. au plur. ou une énumération] Elle embellit sa terre de Liancourt (...) avec une grande magnificence et un luxe presque royal de jardins et de jets d'eau (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 439). Les lustres, les appliques de cristal allumaient là un luxe de glaces et de meubles précieux (ZOLA, Nana, 1880, p. 1419).
— [Emploi partitif] Il lui faut carrosse et chaise de poste. Il lui faut du luxe (HUGO, Misér., t. 1, 1862, p. 14). Pour avoir du luxe à Versailles, les trois quarts de la France tirent la langue depuis cent ans! (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 1, 1870, p. 214).
♦[Dans un cont. iron.] C'est du luxe, ce n'est pas du luxe. C'est, ce n'est pas d'un grand raffinement. Vous trouverez une chambre qui a strictement les quatre murs; quelquefois un plancher: c'est du luxe; quelquefois une natte; c'est du raffinement (ABOUT, Grèce, 1854, p. 407). À Falicon, je sais un endroit où ils donnent à manger. Oh! naturellement ce n'est pas du luxe (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1939, p. 85).
Fam. Ce n'est pas du luxe. Ce n'est pas une dépense inutile, superflue. On l'aura la femme de ménage! (...) sans compter que j'en ai bien besoin! ça sera pas du luxe! (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 363).
b) Gén. au plur. Bien coûteux ou parfois raffiné. On voit jusqu'à trente ans Léonard mener grand train à Florence; il avait chevaux, domestiques, beaux habits, tous les luxes du temps (GAUTIER, Guide Louvre, 1872, p. 203). Le guerrier qui avait visité les pays lointains y avait découvert toutes les ressources, toutes les curiosités, tous les luxes offerts par les climats et les arts divers de l'étranger (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 56). V. excellent ex. 1 et ceinture ex. 12.
— [Qualifie un bien, un service relativement superflu ou coûteux dans une situation de rareté ou compte tenu des habitudes d'une pers.] Je t'envie les bains de mer, devenus à présent un luxe impossible (VALÉRY, Corresp. [avec Gide], 1942, p. 528). Il y avait de l'eau chaude, luxe insolite à Paris, en ce mois d'avril 1944 (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p. 259):
• 3. L'ouvrier va manger (...)
Chez le traiteur fumeux où l'on sert l'ordinaire.
Mais l'apprenti n'a pas de ces luxes. Avec
Une saucisse plate et deux sous de pain sec
Il déjeune...
CROS, Coffret santal, 1873, p. 118.
♦[Dans une constr. qualificative antéposée] Les Grecs, à de très-rares exceptions près, ne fument hors de chez eux que la cigarette (...). Les étrangers se permettent seuls le luxe du cigare (ABOUT, Grèce, 1854, p. 392). Ma mère, fâchée de s'être laissé forcer la main, me refusa le luxe d'une mise en plis (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 238).
Se donner, s'offrir, se payer le luxe de (faire) qqc. Andrea sonna son unique valet de chambre, qui (...) soignait le cheval anglais dont le capitaine s'était donné le luxe (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 1, 1859, p. 147).
3. De luxe, loc. adj. Qui est d'une très grande qualité, raffiné et coûteux. Synon. partiel luxueux. Article, objet, produit de luxe, de grand luxe, de demi-luxe; train de luxe, animal de luxe. Ces éditions de luxe aux exemplaires rares et numérotés (MALLARMÉ, Corresp., 1876, p. 121). Il s'est même produit un fait curieux: les fins morceaux, les aliments de luxe ont eu tendance à baisser de prix (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1938, p. 247).
— En partic. Qui ne répond pas à un besoin de première nécessité. Il [un empire qui a vieilli] perfectionne les arts de luxe, et il néglige les arts utiles (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p. 294). La consommation incompressible ne se détermine pas par un tri plus ou moins arbitraire des consommations de base et des consommations de luxe (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 322).
— [Avec une valeur iron.; en parlant d'une pers.; p. méton. d'un trait physique ou psychol.] Une station de taxis bien rangés au coin de la via Santa-Lucia, et quelques passants «de luxe» (LARBAUD, Journal, 1932, p. 266). Mathieu entrevit sous son visage de luxe une face rude et avertie de femme de peine (SARTRE, Sursis, 1945, p. 297).
♦Fam., péj. Poule, poupée de luxe. Femme (entretenue) très élégante et raffinée. À nous les poules de luxe et les stars des capitalistes (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 195). Fourrures, parfum, hauts talons, ongles rouges, sous les torsades de ses cheveux ambrés c'était une poupée de luxe parmi d'autres (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 269).
Rem. Dans le lang. du commerce et de la publicité, (de) luxe peut être appliqué à un produit ou à un service qui ne présente pas de raffinement particulier et dont le prix n'est pas très élevé. Voiture de luxe; modèle luxe.
4. a) Qualité de ce qui dénote la richesse et le raffinement. Synon. somptuosité, richesse. Le luxe éclate dans qqc.; qqc. respire le luxe. Le guéridon couvert d'une dentelle au crochet, les chaises protégées par des carrés de guipure, mettaient là un luxe bourgeois net et solide (ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 656). Un luxe administratif rouge sombre et grenat régnait dans la belle pièce grave (MALÈGUE, Augustin, t. 1, 1933, p. 158).
♦[Dans un groupe déterminatif] Elles étaient d'une splendeur royale (...) Rien de si éblouissant d'or, et du luxe le plus rare (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p. 96). Ils avaient aménagé une garçonnière d'un luxe sordide, avec brûle-parfums, draperies de peluche, lampe d'albâtre (MORAND, New-York, 1930, p. 237).
♦Emploi attribut. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté (BAUDEL., Fl. du Mal, 1857, p. 86). Dans les coulisses même tout était luxe, aisance, cuisses, lumières, savons, sandwichs (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 439).
b) Caractère luxueux de quelque chose. Il revint doucement (...) un peu grisé du luxe abondant des équipages (BARRÈS, Barbares, 1888, p. 251). On cache un bijou dont le luxe vous paraît d'abord inutile (MIOMANDRE, Écrit sur eau, 1908, p. 28):
• 4. ... tous les meubles étaient du temps de Louis XV. Le lit, en forme de corbillard avec de grands panaches aux quatre coins, avait de doubles rideaux et une quantité de lambrequins découpés, d'oreillers et de garnitures dont le luxe et la finesse m'étonnèrent.
SAND, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 219.
SYNT. a) Luxe éblouissant, oriental, raffiné, royal, somptueux, vulgaire; luxe effréné, insolent, ostentatoire, provocant, tapageur; luxe de riche, de roi. b) Appétit, besoin, goût, habitude, vie de luxe. c) Étaler luxe et plaisirs; luxe et misère.
B. — P. ext.
1. Vieilli. Action, fait de manifester avec excès et souvent gratuitement (une énergie, des ressources intellectuelles). Synon. débauche, dépense, excès, prodigalité. Luxe de l'esprit, de l'imagination. Il y a dans cette vigueur [du style de M. Guizot] une sorte de luxe; c'est une force qui triomphe de se déployer (TAINE, Essais crit. et hist., 1858, p. 146). [Il savait] avec quel luxe on pleurait dans cette maison (BLOY, Désesp., 1886, p. 165):
• 5. Elle ne put obtenir de Napoléon, lorsqu'elle était mourante, la permission de retourner une dernière fois à Paris (...). D'où venait ce luxe en fait de méchanceté, si ce n'est d'une sorte de haine contre tous les êtres indépendants?
STAËL, Consid. Révol. fr., t. 2, 1817, p. 63.
2. P. méton.
a) Collectif
) Ensemble des richesses, des ressources (de quelqu'un, quelque chose). C'est la région abritée et moussue (...) où l'avril a caché tout son luxe fraîchement superbe (LOTI, Ramuntcho, 1897, p. 151). À la sobriété orchestrale de la symphonie classique, il [Liszt] oppose tout le luxe de l'orchestre moderne (SAINT-SAËNS, Portr. et souv., 1909, pp. 32-33):
• 6. ... supprimez les commentaires infinis, les explications forcées, le luxe typographique et tout l'étalage au moyen duquel ces sortes d'ouvrages se vendent plus cher et valent moins.
COURIER, Lettres Fr. et Ital., 1808, p. 778.
) Luxe de qqc.
— Vieilli. Ce qui est en excédent. J'ai besoin d'un coeur dans lequel je déverse ce luxe de sensibilité, sorte de chaleur qui finira par me consumer (BALZAC, Corresp., 1822, p. 168). Buonaparte a levé (...) treize cent trente mille hommes, ce qui est plus de cent mille hommes par mois, et on a osé lui dire qu'il n'avoit dépensé que le luxe de la population (CHATEAUBR., Mél. pol., 1816-24, p. 22).
— Très grande quantité de (ce qui est considéré comme inutile, superflu), quantité (considérée comme excessive) de quelque chose. Synon. excès, débauche, profusion, surabondance.
♦[Avec un compl. au sing.] Je pourrais, je devrais même dans cette leçon (...) aller de jugemens en jugemens (...) mais ce luxe de méthode m'entraînerait trop loin (COUSIN, Hist. philos. XVIIIe s., t. 2, 1829, p. 439). La providence et la société avaient été également injustes, un tel luxe de malheur et de torture n'était pas nécessaire pour briser une si frêle créature (HUGO, N.-D. Paris, 1832, p. 369). Un directeur de nombreux casinos (...) avait fait construire non loin de là, avec un luxe de mauvais goût (...) un établissement (PROUST, Sodome, 1922, p. 785).
♦[Avec un compl. au plur. ou une énumération] Un luxe de détails. Je l'ai fait spontanément et avec un luxe d'affirmations solennelles, dont le souvenir me gêne un peu (BERNSTEIN, Secret, 1913, I, 12, p. 15). Edmond (...) se récurait la mâchoire avec un luxe impatientant de petits gestes (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 372):
• 7. ... savez-vous l'effet le plus sûr de ce luxe intelligent d'explications et de commentaires? On lit l'introduction, on parcourt les notes, on effleure les notices (...). Et puis... on oublie de lire les Oraisons funèbres...
LEMAITRE, Contemp., 1885, p. 186.
b) [Gén. au sing. et en emploi attribut ou dans une constr. qualificative antéposée]
) [Sans nuance péj.]
♦[Qualifie une chose, un comportement précieux par la jouissance qu'il procure] Il aimait extrêmement le chant d'église (...). Quand il n'allait pas à sa paroisse pour vêpres, il les chantait lui-même dans sa chapelle domestique: c'était son luxe et sa fête (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 533). La brosse à dents me joue encore des tours et aussi le tube de pâte dentifrice qui éclate toujours par la culasse. Il faut sacrifier ces petits luxes à ce grand luxe qu'est le temps (MORAND, Homme pressé, 1941, p. 69):
• 8. ... le samedi soir il me semble toujours que je suis moi-même affranchi de quelque joug de labeur, que j'ai moi-même un salaire à recevoir, et que je vais pouvoir jouir du luxe du repos.
BAUDEL., Paradis artif., 1860, p. 414.
♦[Qualifie une chose, un comportement précieux par sa rareté et parfois par le fait qu'il est dépourvu de fonction utilitaire] Les nouvelles formes de société qui s'ébauchent aujourd'hui ne font pas de l'existence du luxe intellectuel une de leurs conditions essentielles. L'inutile ne peut ni ne doit, sans doute, les intéresser (VALÉRY, Regards sur monde act., 1931, p. 208):
• 9. La constitution de l'Etat démocratique fait sa place à tout, sauf aux réalités. Elle fait sa place à l'individu, ce fétu broyé entre les meules du monde moderne; à la conscience. (...) à la liberté, luxe dont l'homme se montre tous les matins plus embarrassé...
J.-R. BLOCH, Dest. du S., 1931, p. 120.
♦Se donner, se payer, s'offrir le luxe de + subst., + verbe. Se permettre le plaisir exceptionnel, gratuit, audacieux de quelque chose ou de faire quelque chose. Hier au soir pour la première fois depuis notre retour ici en novembre, Z. et moi nous sommes offerts le luxe d'une belle et paisible soirée (DU BOS, Journal, 1923, p. 218). N'oubliez pas que je suis vieux, Ferdinand, je pourrais me payer le luxe de m'en foutre moi de l'avenir! Cela me serait permis! Mais à vous! (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 518):
• 10. Aussi haute que soit cette âme, Dieu la pourrait abattre d'un signe; mais il s'offre ce luxe de la ruse; il jette une proie à ce puissant fauve femelle, et se dissimule.
MAURIAC, Vie Racine, 1928, p. 201.
) [Avec une nuance péj.; qualifie une chose, un comportement superflu, inutile] Au point où j'en suis venue, les scrupules me semblent un luxe ridicule (COLETTE, Cl. s'en va, 1903, p. 250). Il ne s'agit pas du tout de vivre confortablement et d'ajouter à cette vie agréable le luxe des aspirations mystiques (GREEN, Journal, 1945, p. 200). L'honneur est un luxe réservé à ceux qui ont des calèches (CAMUS, Justes, 1950, II, p. 340):
• 11. ... on ne voit pas pourquoi, ayant boulevard (boulevert), qui est le même mot que bowling-green, nous nous sommes donnés boulingrin. Il est surprenant qu'un personnage grave comme le dictionnaire ait de ces luxes inutiles.
HUGO, Homme qui rit, t. 2, 1869, p. 111.
c) Emploi partitif. C'est du luxe. C'est superflu, inutile. J'ai toujours vécu de mes rentes. Si j'ai lutté, c'était contre moi-même, c'était du luxe (MONTHERL., Pitié femmes, 1936, p. 1175). V.fouet ex. 9.
♦Par litote, fam. Ce n'est pas du luxe. C'est très utile, indispensable. Je voudrais bien voir votre maître; il me semble que ce ne serait pas du luxe de le réveiller à cette heure-ci (FEYDEAU, Dame Maxim's, 1914, I, 1, p. 4).
3. De luxe, loc. adj.
a) Synon. de précieux. Il est des jours de luxe et de saison choisie Qui sont comme les fleurs précoces de la vie (LAMART., Jocelyn, 1836, p. 636).
b) Synon. de superflu. Voici la seule occurrence où la nature nous procure un plaisir gratuit, (...) une satisfaction qui n'orne pas un piège de la nécessité. L'odorat est l'unique sens de luxe qu'elle nous ait octroyé (MAETERL., Intellig. fleurs, 1907, p. 111).
4. Littér., vieilli. Caractère de ce qui est riche, luxuriant. Synon. éclat, luxuriance, profusion. Avec ces trois autres, Bernardin, Chateaubriand et Lamartine, par le luxe et l'excès des couleurs, elle [la langue française] est décidément en Asie (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 6, 1851-62, p. 441). Ils [les cheveux] étaient dans leur entier et tombaient sur ses épaules dans tout leur luxe (SAND, Indiana, 1832, p. 172):
• 12. Les arbres qui nous couvraient, aussi beaux que les platanes d'Athènes, se faisaient remarquer par la vigueur et le luxe extraordinaire de leur végétation.
CHÊNEDOLLÉ, Journal, 1822, p. 113.
— Emploi attribut. Il me semble, à cette forme où tout est luxe et grâce, Que cet être céleste est né d'une autre race (LAMART., Jocelyn, 1836, p. 630).
Prononc. et Orth.:[lyks]. Att. ds Ac. dep. 1694. Homon. lux. Étymol. et Hist. 1. 1607 «mode de vie caractérisé par de grandes dépenses pour faire montre d'élégance et de raffinement» (CRESPIN, Thresor des trois lang. françoise, italienne et espagnole, Cologny); 2. 1661 «caractère de ce qui est coûteux, raffiné» vêtements de luxe (MOLIÈRE, École des maris, II, 6); 3. 1797 «objet, plaisir coûteux et superflu» (Voy. La Pérouse, t. 2, p. 192: c'est leur plus grand luxe et il est peut-être réservé aux chefs de famille); 4. 1801 «quantité excessive» un luxe de végétation (CRÈVECOEUR, Voyage, t. 1, p. 186); 5. 1802 «ce qui est superflu, inutile» (BONALD, Législ. primit., t. 1, p. 14: la philosophie des Grecs, vain luxe de l'esprit). Empr. au lat. luxus «excès, débauche, splendeur, faste». Fréq. abs. littér.: 2 937. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 4 998, b) 4 326; XXe s.: a) 3 774, b) 3 637. Bbg. DUCH. Beauté. 1960, pp. 116-118, 128-129. — GALL. 1955, p.49; pp.87-88.
luxe [lyks] n. m.
ÉTYM. 1606; lat. luxus « excès », d'où « splendeur, faste ».
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1 Mode de vie caractérisé (à la différence du confort) par une grande dépense de richesses consommées pour la satisfaction de besoins superflus, inspirés soit par le goût du plaisir, soit par celui du faste, l'esprit d'ostentation; déploiement des biens destinés à cette satisfaction. || Le luxe d'un roi fastueux (cit. 3) et de sa cour. ⇒ Apparat, faste, magnificence, pompe. || Le luxe que les grands seigneurs déployaient (→ Folie, cit. 27). || Le luxe effréné des nouveaux riches, des parvenus (→ Agioteur, cit. 3). || Un luxe opulent (cit. 2). || Vivre dans le luxe. → Mener grand train, vivre sur un grand pied, comme un seigneur, un prince, un roi. || Luxe extraordinaire, royal, princier. || Étaler (cit. 31) un luxe insolent, ostentatoire (cit.), tapageur. ⇒ Briller, éclabousser. || Faire étalage de luxe. ⇒ Richesse. || Luxe qui s'étale (→ Haut, cit. 34). || Luxe de mauvais goût. || Jouir (cit. 7) du luxe. || Aimer (cit. 47) le luxe. || Avoir des goûts de luxe (→ Fastueux, cit. 5), le goût du luxe et des dépenses. || Besoin de luxe (→ Courtisane, cit. 3). || Jeunesse déréglée (cit. 8), corrompue par le luxe. || Le luxe, fléau social (→ Cancer, cit. 3). || Lois contre le luxe. ⇒ Somptuaire.
1 La République a bien affaire
De gens qui ne dépensent rien !
Je ne sais d'homme nécessaire
Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.
Nous en usons, Dieu sait ! notre plaisir occupe
L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe,
Et celle qui la porte (…)
La Fontaine, Fables, VIII, 19.
2 Le luxe est toujours en proportion avec l'inégalité des fortunes. Si dans un État les richesses sont également partagées, il n'y aura point de luxe : car il n'est fondé que sur les commodités qu'on se donne par le travail des autres.
Montesquieu, l'Esprit des lois, VII, I, Du luxe.
3 Si l'on entend par luxe tout ce qui est au-delà du nécessaire, le luxe est une suite naturelle des progrès de l'espèce humaine (…) aussi ne donne-t-on en général le nom de luxe qu'aux superfluités dont un petit nombre d'individus seulement peuvent jouir. Dans ce sens, le luxe est une suite nécessaire de la propriété, sans laquelle aucune société ne peut subsister, et d'une grande inégalité entre les fortunes (…)
Voltaire, Dict. philosophique, Luxe (note).
4 (…) dès qu'ils (les hommes) s'en font un mérite (de leurs richesses), ils doivent faire des efforts pour paraître riches; il doit donc s'introduire dans toutes les conditions une dépense excessive pour la fortune de chaque particulier, et un luxe qu'on appelle de bienséance; sans un immense superflu, chaque condition se croit misérable.
5 Le salon où on la fit attendre étalait ce luxe fin et délicat, si différent de la magnificence grossière, et que l'on ne trouve à Paris que dans les meilleures maisons.
Stendhal, le Rouge et le Noir, II, XXXVIII.
6 luxe. Perd les États.
Flaubert, Dict. des idées reçues.
7 Le luxe, le bien-être, la vie large et magnifique sont des conditions très favorables au développement de la sensibilité naturelle de l'enfant.
Baudelaire, les Paradis artificiels, Un mangeur d'opium, VII.
8 Le luxe, au fond, est une chose absolument impossible à définir, car il n'y a pas un objet qui n'ait commencé par être une rareté, et, par conséquent, un luxe.
9 Il ne connaîtra pas le luxe, et tant mieux. Mais il ne pâtira pas non plus des restrictions stérilisantes de la pauvreté.
Martin du Gard, les Thibault, t. IX, p. 150.
♦ ☑ Par ext. et fam. C'est du luxe ! : c'est une folle dépense. || Il s'est enfin décidé à faire repeindre sa maison; ce n'est pas du luxe !, c'était nécessaire.
2 Un luxe : un bien ou un plaisir coûteux qu'on s'offre sans nécessité. || Voyager est son seul luxe. || Le luxe suprême pour lui c'est… (→ Chapeau, cit. 9). || C'est un luxe, une fantaisie que son budget ne lui permet pas.
10 Vous fumez, je pense. Moi aussi. Prenez des cigarettes. C'est mon seul luxe (…)
J. Chardonne, les Destinées sentimentales, p. 461.
11 Voyez, Monsieur, je suis en loques, mais j'ai les plus beaux souliers du monde. C'est mon luxe.
M. Jouhandeau, Chaminadour, Propos…, Le jeune homme.
♦ ☑ Fig. Se donner, s'offrir, se payer le luxe de (subst. ou inf.) : se permettre, comme une chose inhabituelle et particulièrement agréable, de dire, de faire (→ Argousin, cit. 2; fumer, cit. 26).
12 (…) il avait espéré que le conseil municipal finirait par se donner le luxe d'une paroisse.
Zola, la Terre, III, VI.
13 Voilà, j'ai fini. Je voulais me payer une fois dans ma vie le luxe de me dire ce que je pensais d'Isabelle, de me le dire tout haut !
Giraudoux, Intermezzo, III, 3.
3 Caractère coûteux et somptueux (d'un bien, d'un service). || Le luxe d'une maison, d'une chambre à coucher. ⇒ Somptuosité. || Costume brodé d'argent, d'une élégance (cit. 4) et d'un luxe extrêmes. ⇒ Éclat. || Cet ouvrage est imprimé avec un grand luxe typographique (Académie).
14 (…) béni soit cet édit
Par qui des vêtements le luxe est interdit !
Molière, l'École des maris, II, 6.
♦ De luxe, qui présente ce caractère. || Biens de première nécessité, biens de confort et produits de luxe. || Article, objet de luxe, de grand luxe, de demi-luxe. || Vêtement, voiture, jouet, chien de luxe. ⇒ Prix (de prix). || Livre de luxe (→ Illustration, cit. 10); édition (cit. 5) de luxe (→ Librairie, cit. 6). || Hôtel (cit. 8) de grand luxe. || Cabine de luxe sur un paquebot (→ Exigence, cit. 9). || Dépense pour les objets de luxe (⇒ Somptuaire, voluptuaire). — Par ext. || Industrie, commerce, magasin de luxe. || Taxe de luxe, sur les produits de luxe.
15 Jusqu'en 1948 il y eut une « taxe de luxe » frappant certaines marchandises non indispensables. De même dans les échanges extérieurs on dit que la France a une vocation pour exporter les produits de luxe. Sont ainsi visés les dentelles, parfums, vins fins, fourrures, objets d'art.
J. Romeuf, Dict. des sciences économiques, art. Luxe.
♦ ☑ Loc. fam. Poule de luxe. — Rare. || Un homme de luxe (→ Fuseler, cit. 3).
16 (…) ils étaient des plus beaux qui se pussent voir, créatures de luxe (deux jeunes noirs).
Gide, Ainsi soit-il, p. 146.
17 (…) elles (les étudiantes moldo-valaques) considèrent le Normalien comme une proie de luxe.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, I, p. 9.
4 Vieilli. Goût du luxe (au sens 1). || Extirper (cit. 3) le luxe du fond des cœurs. || « Les prédicateurs ne peuvent corriger le luxe des femmes » (Furetière).
5 Un luxe de… : une grande ou une trop grande quantité de… ⇒ Abondance, excès, profusion. || Un luxe de détails, de commentaires (→ Éclairer, cit. 12). || Un luxe de couleurs. ⇒ Débauche (→ Fantasia, cit. 1). || Il a agi avec un grand luxe de précautions.
18 La reine avait déployé, pour tromper l'opinion, un luxe de duplicité qui devait ajouter beaucoup à l'irritation.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., V, I.
6 Caractère de ce qui est superflu, inutile. ⇒ Superfluité. || Un luxe futile pour les amateurs de querelles byzantines (cit. 3). — De luxe. ⇒ Superflu. || Ornement de luxe, fantaisie d'amateur (cit. 6). — Ling. || Emprunt (cit. 9) nécessaire et emprunt de luxe.
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CONTR. Dénuement, indigence, parcimonie, pauvreté, simplicité. — Nécessaire (le), nécessité.
DÉR. Luxueux.
HOM. Lux.
Encyclopédie Universelle. 2012.