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ÉDITION
ÉDITION

Quand il s’agit d’exprimer l’idée d’édition, les langues hésitent entre deux racines qui sont représentées en français respectivement par le verbe «publier» et le verbe «éditer». L’un vient du latin publicare , qui signifie «mettre à la disposition d’un public anonyme», l’autre du latin edere , qui signifie «mettre au monde». Le français parle d’éditeur, et l’anglais de publisher , réservant editor au rédacteur en chef des journaux. L’allemand emploie Ausgabe pour l’édition d’un livre, mais Verlag pour l’entreprise d’édition que le russe désigne par izdatelstva , du verbe izdat , calque d’edere .

Ces hésitations traduisent la nature ambiguë de l’acte d’édition: l’éditeur est-il accoucheur ou marchand d’esclaves? L’un et l’autre vraisemblablement. Est-il paré de la dignité professionnelle ou marqué de l’infamie mercantile? Il est difficile pour la plupart des éditeurs d’assumer l’une et l’autre et cela pour deux raisons: d’abord parce que leur fonction est apparue récemment dans l’histoire, ensuite parce qu’elle ne cesse de se modifier.

1. Histoire

Le «publieur» antique

Depuis la plus haute antiquité, il a toujours existé des systèmes de diffusion de la parole, et d’abord de la parole orale. Des conteurs populaires aux images parlantes relayées par satellite en passant par les places publiques des cités grecques, les auditoria de Rome, les cours d’amour, les veillées des chaumières, les salons, les cafés littéraires, les théâtres, les cinémas et les «transistors», la communication de bouche à oreille n’a jamais fait défaut à la production intellectuelle.

Elle a pourtant une faiblesse. Plus que toute autre forme de communication, elle a la maîtrise de l’espace, mais il lui manque la maîtrise du temps. Elle ne reste pas, elle ne dure pas, elle ne revient pas en arrière et, à moins d’une pédagogie de la mémoire qui n’est pas à portée de tout le monde, elle ne permet pas la stratification intellectuelle, l’accumulation des expériences. Seule la communication écrite possède la maîtrise du temps et quand, grâce à l’invention du livre, il y a quelque trente siècles, elle a aussi conquis la maîtrise de l’espace, la mobilité, l’ubiquité, elle est devenue la forme privilégiée de la communication culturelle.

Dès lors se sont posés des problèmes de fabrication et de distribution. Le livre n’a de sens que s’il est reproduit en un nombre appréciable d’exemplaires et mis à la disposition des lecteurs en un nombre appréciable de points. Dans les cités antiques, le premier problème était plus difficile à résoudre que le second car le seul procédé de reproduction connu – la copie manuelle – ne permettait pas de grands «tirages». Il existait pourtant de véritables entreprises, ateliers de bibliopoles d’Athènes ou scriptoria de Rome, qui pouvaient publier des éditions de plusieurs centaines d’exemplaires. Sorti des mains du copiste, le volumen , rouleau de papyrus collé, pouvait trouver sa place dans un pot sur les rayons d’une librairie de la ville ou bien être envoyé le long des routes commerciales vers quelque centre intellectuel comme Athènes, Alexandrie, Rome, Lyon ou Byzance.

L’entrepreneur antique était donc plus un «publieur» qu’un «éditeur». La fonction d’édition proprement dite, c’est-à-dire la responsabilité du choix et de la préparation d’un texte à «mettre au monde», incombait à de beaux esprits ou à des érudits. C’est encore en ce sens que de nos jours on appelle «éditeur» le savant qui établit un texte, le corrige et l’annote.

L’éditeur

Lorsque la copie industrielle reparut dans le monde occidental vers la fin du XIIIe siècle, il en était tout autrement. Il s’agissait d’alimenter les étalages des librarii et stationarii rassemblés autour des universités. Le livre devint rapidement l’arme principale de cette tentative de révolution culturelle qu’on appelle la Renaissance. Au XIVe siècle, il dut répondre au nouveau besoin de lecture né dans des couches sociales jusque-là incultes, comme l’aristocratie, ou absorbées par d’autres préoccupations, comme la grande bourgeoisie marchande. C’est précisément dans les villes commerciales où cette bourgeoisie prospérait que l’économie du livre rencontra ses premiers problèmes, modestes encore il est vrai, de distribution de masse. Elle y réagit en adoptant une technique de reproduction plus rapide et moins coûteuse que la copie à la main. L’imprimerie européenne est née à Mayence. Elle aurait pu naître à Gênes, à Venise où l’on utilisait depuis longtemps le papier, à Francfort, à Amsterdam, à Anvers ou dans quelque autre ville hanséatique.

Mais cette fois il n’était plus question de fabriquer et de vendre des livres sans avoir une politique du livre, sans agir sur le contenu du livre. L’imprimerie à sa naissance se caractérise par l’alliance des humanistes et des hommes d’affaires. Les imprimeurs du XVe siècle ne sont plus simplement des «publieurs», mais des éditeurs au sens plein du mot.

Les choix qu’ont faits Gutenberg à Mayence, Caxton à Londres, Koburger à Nuremberg, Manuzio à Venise, et plus tard les Estienne à Paris, Plantin à Anvers, les Elzévir à Leyde ont façonné pour plusieurs siècles le visage de la culture européenne. On parle souvent du rôle des Bibles imprimées dans le mouvement des esprits de la Renaissance et de la Réforme. Mais il n’y a pas que des Bibles parmi les incunables. On y trouve de grandes œuvres littéraires du Moyen Âge sauvées de l’anonymat et rendues à la vie. On y trouve des romans de chevalerie, des ouvrages d’héraldique ou de comptabilité, des manuels d’échecs et toutes sortes de lectures utiles ou agréables qui faisaient froncer les sourcils des clercs latinisants attachés aux traditions. Car, et cela est essentiel pour l’histoire de l’édition, la nouvelle dimension du livre apportée par l’imprimerie lui ouvre un nouveau public, lui donne un nouveau contenu et une place nouvelle dans la société.

Très vite la fonction de l’éditeur se précise. Avec Wynkyn de Worde, successeur de Caxton, la librairie de détail apparaît à Londres. À la fin du XVIe siècle, elle est entièrement spécialisée et l’éditeur lui délègue la diffusion. L’imprimeur se spécialise moins vite, mais de plus en plus souvent il travaille à la demande d’un commanditaire et sous sa responsabilité. Imprimeurs et libraires se partagent et quelquefois se disputent l’initiative de l’édition.

L’industrie du livre

Il faut attendre le XVIIIe siècle et les débuts de l’entreprise capitaliste pour voir apparaître l’éditeur qui n’est qu’éditeur. En Angleterre, Richardson était imprimeur, mais le groupe financier qu’il forma avec quelques-uns de ses collègues pour l’édition de divers livres – et notamment des siens – était déjà une entreprise d’édition. Diderot fut en France sinon le premier, du moins le plus célèbre parmi les premiers éditeurs à l’état pur. Ce sont déjà tous les problèmes de la profession – certains sont encore très actuels – qu’il expose en 1767 dans sa Lettre sur le commerce de la librairie .

Diderot parle de libraires et de librairie. Le terme d’éditeur devait apparaître quelque temps plus tard et c’est probablement à Napoléon qu’on le doit lorsqu’une loi exigea que toute publication eût un «éditeur responsable». L’idée est un peu policière, mais elle a certainement contribué à la prise de conscience de l’éditeur en tant que tel, car c’est effectivement la responsabilité de l’éditeur qui le distingue de l’imprimeur et du libraire.

Dans l’Europe du XIXe siècle, il s’est parfois agi d’une responsabilité pénale, mais, avec la naissance de la grande entreprise capitaliste, c’est la responsabilité financière qui domine. La révolution industrielle a gagné l’imprimerie dans les premières années du siècle, permettant des tirages jusque-là inconnus, aussi bien pour les livres que pour les journaux. Cela correspond à un changement d’échelle du public auquel s’adresse l’édition et qui désormais sera dominé par la petite bourgeoisie et même une partie du prolétariat. L’éditeur devient un industriel du livre. De grandes dynasties se fondent. La plus typique est celle des Murray à Londres, dont le fondateur, John Murray Ier, venu d’Écosse, s’était installé à la fin du XVIIIe siècle comme petit libraire-éditeur. Son fils, John Murray II, a publié à partir de 1810 les premiers auteurs à grand tirage connus dans l’histoire de l’édition: Walter Scott et Byron. Alors qu’aucun livre jusqu’à cette époque n’avait été vendu à plus de quelques milliers d’exemplaires – à l’exception de rares pamphlets politiques –, ces auteurs passent d’un coup le cap des cent mille.

Désormais, le problème majeur de l’édition est celui de l’investissement et du risque financier. Le mouvement était en marche depuis le XVIIIe siècle, et l’édition s’était déjà débarrassée d’une partie des structures corporatives qui limitaient notamment le rendement de l’imprimerie. La recherche de la rentabilité est un des soucis principaux d’un homme comme Diderot. En France, les arrêts du Conseil de 1777 avaient établi les bases d’une législation réglementant d’une manière cohérente les rapports économiques entre auteurs et libraires, mais l’avaient assortie d’un contrôle administratif rigoureux. C’est la loi des 19 et 24 juillet 1793 qui devait donner à l’édition des règlements modernes et efficaces. Elle resta en vigueur avec quelques amendements jusqu’à la loi du 11 mars 1957, qui régit actuellement en France les rapports des auteurs et des éditeurs. En même temps s’élaborait une législation internationale. Les premiers grands accords internationaux pour la protection de la propriété littéraire sont ceux que la France a passés en 1851 avec la Grande-Bretagne et le Portugal. C’est seulement en 1886 que la convention de Berne a jeté les bases d’un système multinational pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. Révisée et amendée plusieurs fois, cette convention, signée dès 1886 par 46 pays, est encore en vigueur. Une nouvelle convention a été conclue à Genève en 1952 grâce aux efforts de l’U.N.E.S.C.O. C’est également l’U.N.E.S.C.O. qui a présidé à un certain nombre d’autres accords techniques concernant les tarifs postaux, les taxes douanières et l’aide aux pays en voie de développement dans le domaine du livre.

L’édition s’est développée comme une grande industrie classique jusqu’au milieu du XXe siècle. C’est alors que sont apparus les grands «empires» héréditaires de l’édition. À Londres, John Murray VII règne sur les mêmes bureaux où John Murray II, il y a cent cinquante ans, recevait Byron et Walter Scott. Certaines de ces dynasties sont issues de l’imprimerie comme Tauchnitz en Allemagne, ou de la librairie, comme Hachette en France.

Déléguant la fabrication matérielle du livre à l’imprimeur et la vente de détail au libraire, l’éditeur en vient même à se décharger sur une maison spécialisée de la distribution de gros. Il a de plus en plus le rôle du maître d’œuvre dans l’élaboration du fait littéraire. Il a une influence directe et responsable sur la vie culturelle de son pays. Hetzel, par exemple, qui fut l’éditeur de Balzac et de Jules Verne, fut associé avec Jean Macé au développement des bibliothèques publiques et au grand mouvement de culture populaire lancé par la Ligue de l’enseignement. Un inspirateur placé à la tête d’une grande maison d’édition a parfois donné le ton à la vie du milieu littéraire pendant plusieurs générations. Ce fut le cas notamment de Jean Paulhan à la tête de la Nouvelle revue française (N.R.F.) entre les deux guerres.

L’époque contemporaine

Le grand fait de la seconde moitié du XXe siècle est l’apparition du paperback (littéralement, livre broché, par opposition aux éditions normales, généralement cartonnées dans les pays anglo-saxons) qu’on appelle aussi «livre de poche». Dès la fin du XVIIIe siècle, des tentatives avaient été faites en Angleterre pour fournir au lecteur populaire, au lieu des grossières éditions de colportage, des livres à bon marché. Ce sont les progrès techniques de l’édition qui ont permis aux éditions Penguin d’offrir à partir de 1935 des livres d’un nouveau type: présentation agréable, texte de qualité, prix très bas. La formule fut perfectionnée pendant la Seconde Guerre mondiale par les éditeurs des États-Unis afin de fournir des lectures aux millions de soldats américains dispersés dans le monde. Ainsi commença à partir de 1950 une sorte de «révolution du livre» qui devait changer les structures et les dimensions de l’édition. Il en sera question plus loin. L’édition traditionnelle a continué à se développer, bien que la pénurie croissante de papier dans la plupart des pays du monde, ait considérablement augmenté le prix des livres. Cependant, la généralisation de nouvelles techniques d’imprimerie comme l’offset, la photocomposition, la composition par ordinateur ainsi que l’amélioration des procédés de reproduction de couleurs, ont favorisé la généralisation des publications légères. Bien qu’encore insuffisante et timide, il existe maintenant une production appréciable de livres dans les pays en voie de développement.

2. L’édition aujourd’hui

Si treize maisons d’édition réalisent près de la moitié du chiffre d’affaires, huit cent cinquante maisons exercent en France une activité régulière. Or une récente enquête du Monde révèle que seuls 8 p. 100 d’acheteurs de livres peuvent citer les noms de plus de six éditeurs. Ainsi les best-sellers, fugitifs ou de longue durée, les ouvrages promus par les médias et le bouche à oreille émanent d’éditeurs inconnus d’une immense majorité de lecteurs.

L’édition entre conservatisme et création

Ce nombre élevé des firmes d’édition, la masse des 16 500 nouveaux ouvrages édités chaque année et le capital des 230 000 titres disponibles dans tous les catalogues réunis ne suffisent pas à expliquer cette méconnaissance des éditeurs, de leurs spécificités. En réalité, le public et les éditeurs subissent une même loi qui veut que chaque nouveau livre représente une aventure singulière, un pari. Dans les cas de succès, c’est une étrange équation qui combine la notoriété subite ou reconnue de l’auteur, la prescience d’un thème novateur ou judicieusement ressuscité, ou encore une rencontre avec l’actualité et ses hasards. Ce peut être aussi une «formule» de présentation qui séduit par une approche neuve, une consultation plus aisée ou une vision plus attrayante. Mais, quels que soient ces composants, il est avéré que l’image de marque d’une maison d’édition, aussi valorisante soit-elle, ne suffit pas à favoriser le lancement ou le succès d’un livre.

En édition, toute innovation est susceptible d’adaptation, de démarquage, parfois habile, sa forme extrême étant le piratage, encore fort répandu et dont la forme la plus maléfique reste la reprographie (environ 400 millions de photocopies d’œuvres protégées chaque jour dans le monde). De plus, un auteur peut, à tout moment, être repris par un éditeur concurrent, dans un marché de haute compétitivité: si certains auteurs restent fidèles à celui qui les a découverts ou lancés, le danger d’une rupture subsiste toujours.

Enfin, comme pour toute activité commerciale, un prix de vente plus abordable peut être déterminant, a fortiori pour des œuvres «à l’identique», à savoir celles du domaine public que toute maison peut librement rééditer, sans contrat et sans régler de droits (aujourd’hui, cinquante ans après le décès de l’auteur). Mais songeons également à une multitude de titres voisins, quasi interchangeables sur des thèmes sans cesse repris que proposent les séries populaires, les livres pratiques et les livres de poche.

L’édition vit sous le signe d’une incessante dualité: ou bien elle accueille, elle suscite une recherche, une traduction immédiate de notre sensibilité, de notre savoir, de notre environnement visuel (sans échapper au système de la mode, propre à chaque génération); ou bien elle multiplie des ouvrages répétitifs et standardisés: un mal qui n’est pas nouveau, puisque Montaigne stigmatisait déjà les livres fabriqués comme des briques. Et l’histoire de l’édition, pendant cinq siècles, révèle ces cycles, ces vagues de reprises et d’oublis.

Un mal pernicieux atteint aussi le livre: l’échec. Tout produit industriel subit cette menace au niveau de la recherche, du lancement, voire de sa durée. Mais rares sont les domaines de production qui aboutissent à ces taux d’insuccès prévisibles que l’éditeur doit prendre en compte. Les ventes d’ouvrages en solde compensent faiblement ces pertes, car des millions de livres invendus, en retour et défraîchis, sont voués à la destruction, au pilon. Autodafé permanent, contre lequel s’insurgent les écrivains et un public averti, en proposant le don aux bibliothèques, aux institutions françaises et étrangères. Nul pourtant n’a résolu l’éventuel financement de ce circuit parallèle, que la Commission du livre et de la lecture suggéra en 1981. Des auteurs, des titres qui n’ont trouvé nul écho auprès des lecteurs perceraient-ils de cette façon l’indifférence qui les condamna à un prompt oubli?

Certes, il reste à écrire une histoire des œuvres importantes, voire primordiales, qui n’ont rencontré que désintérêt et qui ont été redécouvertes après plusieurs décennies ou même des siècles. Ces exceptions ne peuvent masquer une autre réalité, déjà dénoncée par Diderot: sur dix livres édités, deux ouvrages au mieux financent ceux qui couvrent tout juste leurs frais et, plus gravement, ceux qui grèvent le bilan de l’éditeur. En vérité, l’équilibre d’une maison requiert une vigilance, un professionnalisme à toute épreuve, car un seul maillon défaillant de la chaîne éditoriale peut condamner la vie ou l’indépendance de l’entreprise.

Les cinq rôles clés de l’éditeur

Au sein de sa maison, et selon son importance, l’éditeur assume (ou délègue) cinq fonctions distinctes, qu’il coordonne.

1. L’éditeur choisit, perpétue ou diversifie un fonds d’édition qui relève d’une ou de plusieurs disciplines. Certains éditeurs se limitent à une spécialisation (littérature, droit, médecine, etc.). Plus nombreux sont ceux qui associent plusieurs domaines complémentaires (scolaire-jeunesse, littérature-histoire-sciences humaines, etc.). Seules d’importantes maisons – et a fortiori les groupes d’édition, à travers leurs multiples départements et filiales qui représentent autant d’unités spécialisées – offrent un large spectre d’activités, sans jamais combler toutes les cases de l’échiquier éditorial. Et cela même si leur volonté d’expansion s’étend au-delà de l’édition (industries papetières et graphiques, presse, informatique, cinéma, télévision, publicité, etc.).

Pour un éditeur, la notion de choix recouvre des approches différentes: par exemple, un éditeur de littérature, qui reçoit plusieurs milliers de manuscrits spontanés par an, n’en édite que trois ou quatre, souvent après avoir incité l’auteur à retravailler son texte. Son rôle essentiel relève davantage d’une prospection méthodique: auprès d’intellectuels, de journalistes qui publient leurs premiers textes, voire un roman qui ne traduit pas toutes les promesses d’un talent. L’éditeur de littérature a un double réseau d’influence, le sien et celui de son comité de lecture. Autant d’antennes auprès d’écrivains reconnus, de critiques, auteurs eux-mêmes qui, par un effet rétroactif, tendent à refléter dans leurs comptes rendus une image favorable de leur maison d’édition, tout en participant à des jurys influents. Tel est l’univers des «intellocrates».

Mais ne perdons pas de vue que près de huit livres sur dix sont des œuvres de commande, qui, dans une immense majorité, sont proposées à un auteur par l’éditeur. Et nous distinguerons deux cas de figure. Tout d’abord l’édition programmée, au sens strict, qui répond à des instructions officielles (par exemple, les livres scolaires, les manuels, les codes). Et, par ailleurs, sur une échelle cinq à six fois supérieure, plusieurs milliers de titres s’inscrivant dans des collections imaginées par les éditeurs, selon des formules et des modules précis.

En ce cas, l’éditeur définit les objectifs, les caractéristiques des ouvrages, leur niveau d’accessibilité; cette volonté s’étend à de très nombreuses collections, d’une durée de vie infiniment variable. Quand le succès est affirmé, maints auteurs proposent leur collaboration et suggèrent, au gré de leurs affinités, de l’actualité et des thèmes porteurs, de nouveaux titres ou des séries dérivées. Le rôle principal de l’éditeur, ou de son directeur de collection, reste d’arbitrer ce foisonnement d’offres, d’accélérer ou de freiner le rythme de publication, de rectifier certains écarts. Cette forme d’édition nécessite un important travail de vérification, de mise au point des manuscrits, car nombre de spécialistes reconnus n’ont aucune formation dans le domaine éditorial. Contrairement à une idée reçue, l’université n’enseigne pas une science de la communication. En revanche, depuis 1969, la formation à l’édition – après le long règne de la cooptation, de l’expérience acquise «sur le tas» – a été assumée par Paris-VIII et, aujourd’hui, par Paris-XIII l’Asfored et l’École supérieure de commerce de Paris.

Si l’œuvre est illustrée, les cartes, schémas, diagrammes, reproductions, photographies originales, suggérés par les auteurs et plus souvent par le responsable éditorial ou le directeur artistique, sont commandés selon les caractéristiques et le budget du livre. Seule une intime correspondance entre l’illustration, les choix typographiques, la mise en pages et la couverture permet d’aboutir à une œuvre exemplaire. L’esthétique du livre est une forme d’architecture.

2. L’éditeur assure et finance la fabrication de ses ouvrages. Il possède de plus en plus rarement sa propre imprimerie: celle-ci peut être rentable pour d’importantes chaînes de production standardisées, tels les livres de poche, encore que nombre d’éditeurs de ces séries procèdent, comme l’ensemble de leurs confrères, par appels d’offres auprès des papetiers, ateliers de composition, imprimeries, entreprises de brochage et de reliure. La diversité des formules et des choix techniques, l’ampleur des marchés et les possibles économies que la concurrence suscite exigent une formation avancée des responsables, parfois à l’échelle internationale, de nombreux ouvrages étant imprimés à l’étranger, notamment, on le verra, les coproductions et les coéditions en langues étrangères.

3. L’éditeur diffuse ou sous-traite la diffusion de son fonds et de ses nouveautés. Cette fonction commerciale (qui ne doit pas être confondue avec la distribution) est confiée à un ou plusieurs réseaux de représentants, selon l’importance du chiffre d’affaires. Maintes structures existent: tel réseau visite les grandes librairies, les hypermarchés (de 200 à 1 000 selon les estimations variables des éditeurs); une deuxième équipe démarche les librairies-papeteries (de 1 500 à 2 000); une troisième sollicite les points de vente non spécialisés qui, par leur multiplicité (jusqu’à 20 000), représentent un chiffre non négligeable, notamment pour les livres de poche et les séries populaires. Hachette, par exemple, compte plus de dix réseaux de représentants pour ses départements et filiales, tout en assurant la diffusion et la distribution d’éditeurs indépendants.

Des maisons d’édition n’ayant qu’un fonds limité peuvent s’associer pour créer leur société de diffusion: elles évitent ainsi de confier ce rôle à une firme puissante où leurs ouvrages risqueraient de se fondre dans une masse pléthorique de titres. Cette formule présente des dangers: l’insuccès d’un ou de deux éditeurs peut compromettre la survie d’une telle association. Mais de la qualité de la diffusion, de son efficacité dépendent l’existence, la liberté de l’éditeur, car si le best-seller se fraye une voie aisée, le succès moyen et les ouvrages de vente lente sollicitent une vigilance réelle. Et maîtriser les relations avec 3 000 à 20 000 clients, souvent pour des chiffres d’affaires faibles, au-delà des 1 500 à 2 000 premiers points de vente, représente une lourde organisation et une gestion rigoureuse.

On s’étonne qu’à l’heure de l’informatique et de la télécopie subsistent tant de pesanteurs. Depuis 1988, le Syndicat national de l’édition, avec Électre, électronique de renseignements bibliographiques, rationalise une information continuellement à jour et gère sur Minitel les transmissions des commandes. La Direction du livre a subventionné cette initiative, qui s’est heurtée à plusieurs résistances: le refus de Hachette d’y adhérer (en créant son propre système sur Minitel) et le coût élevé de l’équipement informatique pour le libraire, rédhibitoire pour les points de vente moyens.

4. L’éditeur assume ou sous-traite la distribution de ses livres. Les groupes et maisons d’édition importantes possèdent leur propre centre de distribution, également opérationnel pour d’autres éditeurs sous contrat: Hachette joue un rôle de leader avec plus du quart des envois.

La distribution reste un point noir. Si l’expédition des nouveautés ne pose pas de problème majeur, le réassort des titres (commandés par les points de vente) souffre d’un système devant répondre, souvent à l’unité, à plus de 230 000 titres différents, parfois en rupture de stock ou en incertaine réimpression. Dès 1960, les éditeurs ont tenté de pallier ces carences en créant le Dépôt central du livre qui achemine, de Paris vers la province et par envois groupés, les colis de réassort (les petites commandes pesant lourdement sur la trésorerie de l’éditeur et du libraire). Cette rationalisation se heurte aux irrégularités du flux, à de successifs acheminements vers des villes mal desservies. Un quart de la distribution transite par cette voie. Les groupes éditoriaux et quelques maisons d’édition possèdent leurs propres centres régionaux ou des dépôts constituant autant de relais de prompte livraison.

Ajoutons, enfin, que près de deux cents diffuseurs-distributeurs indépendants – chiffre excessif pour garantir une réelle efficacité – couvrent la France, en incluant les grossistes qui à plusieurs reprises ont connu de graves faillites. En dépit de cette infrastructure, on estime que près de 10 p. 100 du chiffre d’affaires des éditeurs français (13,3 milliards de francs) sombrent dans les aléas et les délais d’expédition: combien de clients, de libraires renoncent à passer des commandes irrégulièrement livrées? Si l’Allemagne est souvent citée comme un modèle (des grossistes indépendants achètent ferme les ouvrages), dans la plupart des pays industrialisés ce problème demeure mal résolu. Précisons, enfin, que Hachette possède le monopole des bibliothèques de gares et d’aéroports, et domine les maisons de la presse, unique lieu de présence du livre dans les villes de moyenne importance.

La plupart des libraires négocient avec les éditeurs une «grille d’office», envoi automatique et facturé des nouveautés, en quantités prédéterminées, et parfois dépassées pour forcer le succès, ce qui amplifie les retours.

Le libraire, qui surveille l’état de ses stocks et sa trésorerie, a la faculté après trois mois (et souvent moins) de retourner les invendus et d’être crédité. Ces invendus atteignent de nos jours des taux alarmants qui vont de 15 à 50 p. 100, voire plus. Que l’on mesure le coût de ces réexpéditions, de leur reconnaissance par l’éditeur qui les réinsère dans ses stocks ou les pilonne. Sans oublier nombre d’ouvrages défraîchis que le marché des soldes n’absorbe qu’en faible part. Le rapport de Patrice Cahart estime en 1988 que près de 50 millions de livres sont détruits chaque année. Tel est le prix payé par toute la chaîne du livre pour tenter de donner leur chance aux 16 500 nouveautés. Si les libraires bénéficient du système, ils en accusent les dangers et la charge. Même les éditeurs qui pratiquent la vente ferme (et des offices exceptionnels) sont contraints d’accepter certains retours traités avec la direction commerciale qui risquerait, en cas de refus, de voir se tarir les commandes de nouveautés.

La remise aux points de vente (de 25 à 40 p. 100) est négociée entre l’éditeur et son diffuseur-distributeur. Sujette à des critères qualitatifs et quantitatifs, elle pourrait être l’objet d’accords interprofessionnels placés sous l’égide des pouvoirs publics. Mais l’édition observe un tenace individualisme.

5. L’éditeur dispose de moyens multiples pour promouvoir ses ouvrages. L’information auprès des libraires, le service de presse aux journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, aux prescripteurs et membres des jurys, aux organismes et institutions représentent une charge extrêmement variable. Certains leaders d’opinion, notamment à travers la télévision, peuvent soudain cristalliser un succès, surtout si l’auteur possède un charisme médiatique, mais d’autres best-sellers naissent à l’abri de ces rumeurs. Rien n’est joué d’avance, et le prix Goncourt en témoigne, avec des écarts de vente qui peuvent aller de un à cinq. Aucune orchestration, aussi bien conduite soit-elle, ne supprime l’imprévisibilité d’un succès.

La publicité anticipe le lancement (notamment à la radio) ou l’appuie. Trop souvent, l’éditeur fait état de chiffres sujets à caution, et confond sciemment chiffres de tirage et de vente, avant les vagues de retours. Il est pourtant avéré que les budgets de publicité ont progressé, passant d’environ 5 à 8, voire 10 p. 100 du chiffre d’affaires. Relativisons ce dernier taux qui concerne des opérations spéciales pour des ouvrages ou des séries de grande diffusion (notamment en publicité sur le lieu de vente), car bien peu d’éditeurs assurent à l’ensemble de leurs auteurs cette prime de notoriété. La force de frappe de la publicité peut atteindre ou dépasser 10 millions de francs pour des publications conçues, calibrées selon des formules déjà expérimentées à l’étranger (Le Livre des records , la collection Harlequin, etc.). Ou bien une cellule de marketing éditorial commande «sur mesure», après des études de marché précises, des livres conçus à la chaîne par des «écrivants» que l’anonymat recouvre. Une politique d’auteurs fait place à une stratégie de produits et modifie la structure même des maisons. Mais tout livre est aussi un produit comme les autres, puisqu’il nécessite un investissement de recherche, de conception, de fabrication et de lancement.

L’économie du livre

L’économie du livre découle de deux paramètres distincts: les frais fixes (ou coûts de premier établissement) et les frais variables (papier, impression, brochage, cartonnage-reliure).

Les frais fixes varient selon la formule du livre. On ne comparera pas le faible coût de composition, de corrections et de mise en pages simple pour un roman, et les sommes engagées pour réaliser un livre d’art ou une encyclopédie, qui impliquent: recherche d’une formule, cartes, dessins, prises de vue, droits dus sur les reproductions, photogravure des films en noir et en couleurs, mise en pages élaborée chez l’éditeur et l’imprimeur, reports des plaques offset en atelier et calages de machines quatre couleurs. Entre un roman de deux cents pages et un livre en couleurs, en grand format, l’écart peut varier de un à dix, et infiniment plus pour un dictionnaire ou une encyclopédie.

Tout ouvrage fait l’objet d’un devis et de comptes d’exploitation prévisionnels afin de définir la formule optimale correspondant au prix du marché, surtout si le livre ou la série apparaît en concurrence directe avec des ouvrages similaires (tabl. 1 et 2). La définition du tirage, pour la première édition, représente un choix difficile, la réimpression restant aléatoire. Car un tirage trop bas charge la nouveauté de frais incompressibles. Mais une réimpression hâtive, en cas de frémissement des ventes, peut être ruineuse. L’éditeur a pour objectif (si l’on excepte les ouvrages lourds qui seront rentabilisés sur plusieurs éditions) de viser quelques mois ou une année de vente. À condition d’avoir appliqué au prix de revient du livre un coefficient multiplicateur qui prend en compte les droits, les frais financiers, les frais généraux (13 ou 14 p. 100) et les coûts de la diffusion-distribution (qui incluent la remise du libraire), soit environ 55 à 60 p. 100.

Les droits d’auteur relèvent aussi des frais proportionnels. Ils varient selon les catégories de livres: d’environ 4 à 15 p. 100 sur le prix de vente, hors T.V.A. Quelques auteurs de forte notoriété atteignent 20 p. 100. Seule l’œuvre collective, où la contribution de chaque auteur se fond indistinctement dans un ensemble, fait l’objet de règlements forfaitaires. Généralement, l’auteur reçoit une avance sur droits, objet d’une libre entente. Aux droits d’auteur peuvent s’ajouter des droits annexes et dérivés pour les éditions club, de poche, les traductions, les cassettes, la loi du 5 juillet 1985 prévoyant un contrat distinct pour l’œuvre audiovisuelle (vidéocassettes, films).

La vie d’une maison est ainsi liée à une succession de défis pour chaque titre: les uns sont largement déficitaires, d’autres atteignent un point d’équilibre (souvent 60 à 70 p. 100 du premier tirage). Certaines maisons fondent leur existence sur la seule émergence de quelques best-sellers, mais à une année exceptionnelle peut succéder une phase dépressive. Tout dirigeant se doit de veiller à ces cycles quasi imprévisibles, plus encore en un temps où la plupart des fonds s’érodent, au bénéfice incertain des nouveautés. Pour une ou deux années de disgrâce, des éditeurs de premier plan ont été ainsi absorbés; le lecteur ignore presque toujours leur disparition, car leur nom, s’il s’est imposé, survit sur les couvertures. L’édition est aussi un monde d’apparences.

Nouvelles évolutions: macro- et mini-structures

Les années 1960-1980 ont été marquées par de nombreux mouvements de concentration, principalement autour de Hachette, des Presses de la Cité, de la Compagnie européenne de publication (C.E.P.) qui réalisaient en 1987 80 p. 100 du chiffre de l’édition française. Et, dans une moindre mesure, autour de Gallimard et de Flammarion. Notons que, dès les années soixante, on avait observé aux États-Unis de semblables opérations, fortement liées au développement des livres de poche, et surtout des chaînes de télévision dont elles paraissaient une extension naturelle. Nombre de ces accords se sont déliés, car les synergies se révélèrent moins fructueuses qu’on ne les avait espérées.

En 1981, le soudain «ramassage» boursier de Hachette par Jean-Luc Lagardère et Matra fait passer, pour la première fois, une maison d’édition française sous le contrôle d’une firme industrielle. Leader, Hachette revendiquera une dimension multimédias et internationale avec le rachat en 1988 des Américains Curtis, éditeur de magazines, et de Grolier, spécialisé dans les encyclopédies populaires. Un marché national en stagnation incite Hachette à acquérir d’autres firmes anglophones et hispanophones (les Éditions Salvat): leurs aires linguistiques n’ont pas l’étroitesse de la francophonie.

Deuxième groupe d’édition (en juillet 1987), les Presses de la Cité sont détenues en majorité par la C.G.E. (Compagnie générale d’électricité) et regroupent, outre les Presses de la Cité proprement dites, Bordas et le premier club du livre, France Loisirs (en association à 50 p. 100 avec le leader européen Bertelsmann). Plus de 4 millions d’adhérents français représentent une considérable source de profits.

Troisième grand, la C.E.P., premier groupe de presse économique, professionnelle et technique, organisateur de salons spécialisés, a manifesté ses visées sur l’édition en achetant Nathan (1979), puis Larousse (1984). Trois ans plus tard, elle est associée à Laffont pour créer une société de vente par correspondance. L’implantation de Larousse et de Nathan à l’étranger consolide de futures associations hors de l’Hexagone.

Sur la scène internationale, l’année 1987 est spectaculairement marquée par des O.P.A. (offres publiques d’achat) qui touchent les États-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la R.F.A.: certaines des maisons acquises, parfois par des entreprises étrangères, sont quelques mois plus tard reprises et renforcent la puissance d’autres groupes. Cette fièvre de rachats connaît la même année un nouveau rebondissement en France avec la fusion des Presses de la Cité et de la C.E.P. qui forment un contre-pouvoir face à Hachette: le Groupe de la Cité qui consolide sa présence à l’étranger (Grande-Bretagne et Espagne). Ainsi, le paysage éditorial français s’est complètement modifié en un court laps de temps, et de futurs regroupements s’esquissent sans trêve.

Pourtant nombre de maisons de moyenne importance traversent cette crise et affirment encore leur indépendance: Gallimard, Flammarion, Albin Michel (qui conservent leur structure familiale), Le Seuil, Masson, les P.U.F., auxquels il convient d’ajouter d’excellents éditeurs de littérature ou spécialisés – l’essor de la province est significatif (par exemple Rivages, Actes sud) – qui contribuent à la créativité, à l’ouverture vers d’autres ambitions. On se doit d’évoquer aussi de jeunes maisons sans cesse naissantes: des éditeurs transfuges de grandes firmes, parfois au gré de restructurations qui les aliènent dans leurs aspirations, fondent une structure légère, avec quelques collaborateurs. De premiers succès les confortent, mais les aléas de ce métier les exposent à maints périls et les conduisent souvent à disparaître ou à s’associer à de plus puissantes maisons pour tenter de sauver leur relative indépendance. Pareillement, une nouvelle race d’éditeurs qui ne financent pas eux-mêmes la fabrication ni la diffusion-distribution de leurs ouvrages et qui travaillent sur mesure pour des maisons traditionnelles voit le jour: ce sont les packagers . Ces cellules légères (une innovation anglo-américaine) ont un avenir certain, car de nombreuses maisons allègent leurs charges de structure et sous-traitent ainsi une partie de leur programme éditorial.

Ces concentrations en vagues déferlantes ont modifié les centres de pouvoir: les cabinets d’audit extérieurs ont émis plusieurs verdicts sans appel et renforcé les contrôles de gestion internes. S’appuyant sur les services commerciaux et les cellules de marketing, ils tendent à programmer l’avenir de la maison. Après de longues périodes où l’empirisme de l’éditeur a seul prévalu, les lieux de décision se sont déplacés, souvent au nom d’une rentabilité à court terme, et au détriment des œuvres ambitieuses que freine la baisse constante des tirages moyens.

La bataille autour des livres de poche a été l’un des premiers signes de cette mutation: il était vital pour un groupe de posséder un maximum de titres transférables en poche, et les acquisitions successives de firmes par Hachette, les Presses de la Cité et Gallimard ont favorisé leur expansion. Fer de lance d’une démocratisation de la culture, le livre de poche a été aussi l’enjeu d’une guerre économique: l’étendue des catalogues (28,7 p. 100 de la production des titres en 1990), la puissance grandissante des groupes, l’importance opérationnelle de la diffusion-distribution nécessitant des investissements massifs (y compris de publicité) ont conforté ces groupes et des maisons fondant leur succès sur cette forme d’édition. Il en est de même pour les séries populaires (livres pratiques, romans policiers, d’espionnage, littérature romanesque) de très grande diffusion; Harlequin a représenté à cet égard un modèle de taylorisation éditoriale, avec 30 millions de volumes vendus chaque année.

La lutte sévère autour des clubs du livre incarne aussi les enjeux en présence: Bertelsmann avait proposé à Hachette (vers 1970) de s’associer à part égale pour créer, à l’image de sa filiale en Allemagne, France Loisirs. Le groupe français a décliné cette offre, reprise par les Presses de la Cité. Tardivement, Hachette a tenté de corriger son erreur en créant le Club pour vous, qui s’est soldé par un retentissant échec. Aujourd’hui France Loisirs domine (25 millions de livres par an) et précède très largement les autres spécialistes de la vente par correspondance, tels le Grand Livre du mois, Sélection du Reader’s Digest ou Time-Life. En 1987, Hachette a vainement renouvelé son offensive avec l’opération «Succès du livre», dans les librairies et hypermarchés, en proposant une remise de 20 p. 100 qui contournait la loi sur le prix imposé du livre.

Cette loi de 1981, adoptée par la plupart des pays européens, avait pour objectif de protéger le réseau des librairies, de plus en plus concurrencé par les grandes surfaces. Ces dernières pratiquaient remises ou ventes à prix coûtant pour les best-sellers, privant ainsi le réseau traditionnel d’un chiffre d’affaires essentiel pour répondre à sa vocation: la vente d’un choix de titres diversifié. Le contre-choc d’une brutale augmentation du prix du livre n’est pas survenu, les transgressions des hypermarchés ont entraîné maints procès, les associations de consommateurs ont protesté, les éditeurs ont (officiellement) soutenu les libraires dont la stabilité reste toute relative, car le commerce moderne ne cesse de progresser. D’où la nécessité, pour les éditeurs, d’y encourager le «prévendu», les œuvres banalisées et celles qui sont portées par les médias et la publicité. Certes, les listes des «meilleures ventes» publiées par les magazines y donnent droit de cité à des œuvres exemplaires. Mais si l’édition traditionnelle et la librairie n’ont jamais préservé du médiocre, force est de constater que ces nouveaux lieux de vente nivellent la demande. Et nombre d’éditeurs refusent de laisser à leurs concurrents près de 20 p. 100 du marché.

Champ de contrastes semblables, la vente à domicile (ou courtage) propose des encyclopédies, des dictionnaires, des œuvres complètes et, aussi, des publications de basse catégorie. Cette édition lourde, d’un prix de vente élevé, accorde de larges facilités de crédit et représente 10 p. 100 du chiffre d’affaires de l’édition, les clubs et la vente par correspondance totalisant 19 p. 100.

L’édition sans frontières

Le flux des importations et des exportations de livres en France (près de 3 milliards de francs en 1990) s’équilibre. Notons qu’il est faux de penser qu’un nombre très élevé d’ouvrages illustrés est imprimé à l’étranger. Notre balance commerciale est quasi équilibrée.

En 1990, les premiers importateurs de livres français sont dans l’ordre: la Belgique, la Suisse, le Canada (soit un total de 34 p. 100), suivis par l’Arabie Saoudite, l’Allemagne, le Royaume-Uni. Certes, si l’on compare notre taux d’exportation avec celui de la Grande-Bretagne (37 p. 100), on peut parler de carence, mais est-il réaliste d’établir un parallèle entre deux aires linguistiques qui se situent dans un rapport de 1 à 7? De même, la domination de l’anglais apparaît clairement dans l’importation de livres traduits de cette langue puisqu’elle représente 60 p. 100... En vérité, même si la langue française régresse, d’importants marchés restent ouverts (notamment dans les pays en développement ou à l’Est). Mais leurs importations de première nécessité, leur manque de devises, notamment pour le papier, les crises politiques, économiques et les fluctuations monétaires y freinent notre expansion. Pourtant, d’immenses besoins restent insatisfaits: l’intérêt porté à notre production, en Afrique ou à l’Est, par exemple, en témoigne.

Les pesanteurs dénoncées à propos de la distribution du livre en France se trouvent amplifiées à l’échelle des exportations: si la C.E.E. a institué une zone de libre-échange pour le livre, ailleurs la complexité des réglementations, les difficultés de paiement à travers des réseaux bancaires inadaptés, la précarité des services postaux et leurs tarifs excessifs contrarient la circulation du livre.

De ce point de vue, les mouvements de traduction sont tout aussi révélateurs. En 1990, sur 1 500 traductions en langue française, 818 émanent de l’anglais, 168 de l’allemand, 140 de l’italien. Une trentaine d’autres langues se répartissent le solde. À l’opposé, les œuvres traduites du français révèlent, en ordre décroissant, les dix langues leaders suivantes: l’espagnol, l’italien, l’allemand, le japonais, le portugais, l’anglais suivi de l’américain, du néerlandais, du grec et du serbo-croate.

Le ministère de la Culture français et le Centre national des lettres, en liaison avec les professionnels, subventionnent environ 5 p. 100 de ces traductions. Mais parmi les vingt-cinq auteurs les plus traduits à travers le monde (16 d’entre eux sont des classiques!), l’Index translationum ne mentionne que Jules Verne (172 traductions), René Goscinny (101) et Simenon (82). À l’heure de l’information en direct et des satellites, l’édition témoigne ainsi d’un étonnant conservatisme: la crise de la création atteint la plupart des pays riches, qui ne marquent qu’un très relatif intérêt pour les autres cultures et les mentalités différentes.

Les efforts entrepris par l’U.N.E.S.C.O. pour favoriser la naissance et le développement d’une édition nationale dans les pays en développement sont méritoires. Leur essor se heurte aux difficultés économiques, à d’autres priorités vitales, aux innombrables dialectes qui fragmentent les éditions dans ces pays. Mais faciliter la naissance d’une firme, animer un programme d’édition réellement adapté à la demande locale (l’U.N.E.S.C.O. envoie des spécialistes, finance la création d’imprimeries) ne supprime pas le handicap de la diffusion et de la distribution dans ces contrées où les réseaux de librairies et de bibliothèques restent précaires. Nombre de pays industrialisés, aux premiers rangs desquels figurent les pays anglo-saxons et la France, ont signé des accords de coopération et ont implanté des filiales aptes à répondre aux besoins immenses en livres d’enseignement et de formation ainsi qu’à l’essor des littératures authentiques. Mais ce néo-colonialisme peut perpétuer une dépendance, compromettre la survie d’une édition locale et s’avérer une politique à courte vue, car il est évident que la «faim de lire», une fois satisfaite, appellerait de fructueux échanges culturels. En dépit de la volonté des gouvernements nationaux, des campagnes d’alphabétisation, des subventions accordées par les pays nantis, de la formation des cadres dans les groupes d’édition européens, la pénurie de livres affecte encore les deux tiers de l’humanité.

Les coéditions et les coproductions représentent la troisième dimension de l’édition sans frontières. Francfort, la plus importante foire du livre, fut à l’origine de leur essor dans les années 1950-1960. La coédition est un accord pour la traduction-adaptation d’ouvrages (généralement illustrés) par un éditeur, détenteur du copyright, qui en cède à un ou plusieurs éditeurs étrangers les droits d’édition. Le pivot de cet accord réside dans une répartition des frais fixes de conception, d’iconographie, de photogravure, de mise sous presse. Si l’on excepte les publications relevant d’un intérêt strictement national, nombre d’albums, d’atlas, d’encyclopédies, de livres d’art, de référence et de jeunesse peuvent bénéficier de cet allégement des investissements qui favorisent la création et le lancement d’œuvres (le meilleur et le médiocre se côtoient) à des prix plus accessibles.

Autre forme d’accord, la coproduction est une association d’éditeurs désireux de concevoir, financer et réaliser, en diverses langues étrangères, des ouvrages dont ils détiennent ensemble les droits. Moins fréquente, elle sera favorisée par les filiales des multinationales, par les accords privilégiés entre éditeurs qui, comme pour la coédition, se répartiront les frais fixes de création. Les pays en développement gagneraient à bénéficier de ces associations qui leur permettraient de promouvoir des livres et des manuels à des prix très compétitifs: l’U.N.E.S.C.O. et la Banque mondiale ont soutenu de tels programmes, mais le manque de capitaux, la faiblesse des infrastructures locales, déjà évoqués, les freinent. L’avenir du livre, sur les cinq continents, reste lié à cette volonté d’échanges qui permettrait d’engager des programmes ambitieux et de démocratiser l’imprimé (tabl. 3).

Quel avenir pour le livre?

Les sombres prédictions de McLuhan annonçant la lente disparition du livre face à l’électronique ne se sont pas confirmées. La création, dans le cinéma, a été infiniment plus atteinte, mais les éditeurs, à travers le monde, doivent veiller à l’érosion de leurs parts de marché, trouver des solutions pour compenser la baisse des tirages, être plus attentifs à la qualité de leurs programmes qui sont trop souvent marqués par une politique inflationniste à courte vue.

L’audiovisuel incarne une redoutable concurrence: la multiplication des chaînes de télévision, que la formation des grands groupes multimédias favorise, abolit les frontières politiques et économiques. Hachette, en acquérant La Cinq, a illustré une fascination qui faillit ruiner le groupe Mondadori, avec Rete Quatro . La communication, dont le livre n’incarne qu’une faible part, intéresse désormais les groupes financiers et devient l’enjeu d’opérations qui bouleversent sans cesse l’échiquier des médias. Aucune société n’est à l’abri d’une O.P.A. L’édition mue dans un paysage aux contrastes saisissants: multinationales à un extrême et firmes encore artisanales à l’autre. Les maisons intermédiaires, qui n’ont pas la puissance des capitaux, ni l’accès à de possibles fructueuses fusions, rencontreront peut-être de graves difficultés. À l’opposé, l’avenir appartient aussi à des structures légères capables de s’adapter à des micromarchés qui seront parfois ceux de l’avenir. De nos jours, l’indépendance passe par une rigueur professionnelle accrue, par la capacité de financements qui ne sont plus à l’abri des dérégulations, à l’image des autres secteurs de l’économie. L’édition n’est plus une chasse gardée.

De plus, l’Europe de 1992 entraînera des modifications dans le paysage éditorial. Deux éléments doivent toutefois être pris en compte: la libre circulation du livre, à l’intérieur de la C.E.E., est de longue date une réalité et, facteur tout aussi important, les éditeurs européens ont établi entre eux des liens si étroits qu’ils privilégient déjà leurs actions communes. Il y aura, simultanément, des O.P.A. et des opérations financières qui feront peu de cas des relations personnelles, mais aussi d’autres fusions qui seront liées aux affinités entre éditeurs.

La pratique généralisée de plusieurs langues, une nécessité culturelle et économique même pour les pays disposant d’une vaste aire linguistique, fera évoluer le marché du livre européen: déjà des éditeurs publient leur propre fonds en version originale et en traduction (le phénomène n’est pas nouveau: l’éditeur allemand Tauschnitz, entre les deux guerres, édita en langue française un catalogue important). Cette politique de copublication entraîne la création de nouvelles filiales à l’étranger.

La distribution du livre peut également devenir un nouveau champ d’expansion pour d’importants groupes qui ont prouvé leur efficacité en ce domaine. Les pesanteurs administratives, bancaires et douanières, qui devraient être abolies en 1992, favoriseront de telles ambitions.

Au nombre des mesures corporatistes, mentionnons la T.V.A. pour le livre, qui sera uniformisée (elle varie de 0 à 22 p. 100!). Le Royaume-Uni craint cette mesure; c’est pour lui un handicap mineur en regard de la mondialisation de ses marchés. La France, elle, a réduit sa T.V.A. de 7 à 5,5 p. 100 en 1989. Mais la bataille pour assurer le prix unique du livre restera l’objectif des éditeurs européens, tout comme la lutte contre la piraterie qui affecte gravement l’édition anglaise et américaine à travers le monde, et l’édition allemande à l’intérieur de ses propres frontières. L’entente européenne parviendra-t-elle à endiguer la photocopie illicite, sa pratique organisée à travers les institutions, entreprises et universités? Les éditeurs et le Centre français du copyright tentent d’organiser un contre-feu, mais les auteurs, ne l’oublions pas, sont spoliés.

Depuis 1957, les auteurs français bénéficient d’une législation sur la propriété littéraire et artistique, qui les protège davantage que dans d’autres pays. L’Europe des créateurs mérite aussi la sollicitude des hommes politiques et des économistes. Si des facteurs linguistiques, financiers et juridiques tendent à une européanisation de l’édition, il reste difficile de prévoir leur importance relative et leurs priorités.

édition [ edisjɔ̃ ] n. f.
edicion XVIe; lat. editio, de editum éditer
1Action d'éditer (un texte qu'on présente, annote, etc.); texte ainsi édité. Édition critique. Procurer une édition. Édition variorum. Les « Pensées » de Pascal, édition Havet, édition Brunschvicg.
2Cour. Reproduction et diffusion d'une œuvre intellectuelle ou artistique par un éditeur. impression, publication, tirage. Techniques de l'édition ( 2. éditorial; microédition) . Maison, société d'édition. Contrat d'édition. Procéder à une nouvelle édition d'un texte. réédition, réimpression. Édition à compte d'auteur. Édition de partitions musicales, de gravures, de disques. Les éditions X : nom de maisons d'édition.
Fig. « Il a donné une nouvelle édition de toutes les niaiseries monarchiques » (Stendhal), il les a reprises, répétées. Troisième édition ! pour signifier que l'interlocuteur répète ce qu'il dit pour la troisième fois.
3Ensemble des exemplaires d'un ouvrage publié; série des exemplaires édités en une fois. Édition de luxe, à tirage restreint, illustrée. Édition reliée, brochée. Édition de poche. Édition originale, princeps. Édition collective. Les « Contes et Nouvelles » de La Fontaine, édition des Fermiers généraux. Édition revue et corrigée. Édition définitive, ne varietur. « L'édition originale, imprimée à Francfort, avec l'allemand en regard » (Nerval). 1. original.
Exemplaire (de telle ou telle édition). 1. livre. Il achète des éditions rares. Édition numérotée. « Il s'était interrompu de découper des maximes dans une édition populaire d'Épictète » (F. Mauriac).
Spécialt Ensemble des exemplaires d'un journal imprimés en une fois. Édition de Paris, de province. Édition de midi. Dernière édition. Édition spéciale.
Inform. Impression de résultats.
4Métier, activité de l'éditeur; commerce de l'édition. Travailler dans l'édition. Syndicat national de l'édition.

édition nom féminin (bas latin editio, -onis) Reproduction, publication et diffusion commerciale de tout ouvrage imprimé, de toute espèce d'œuvre artistique (disque, estampe, monnaie, etc.). Ensemble des exemplaires fournis en un seul tirage d'un même ouvrage ou de la même œuvre artistique. Exemplaire faisant partie d'un même tirage : J'ai chez moi une édition de 1865. Collection de livres caractérisée par un type de format, la nature de l'œuvre, etc. : Édition de poche. Industrie et commerce du livre en général : Maison d'édition. Ensemble des exemplaires rigoureusement identiques produits par chacun des tirages successifs d'un journal ou d'un numéro de périodique. Chacune des émissions d'un journal télévisé ou radiodiffusé : L'édition de 20 heures du journal télévisé. Action d'éditer le texte d'un auteur, d'en faire la critique verbale. Matérialisation de résultats de traitements dans un ordinateur, le plus souvent sous forme de texte imprimé. ● édition (citations) nom féminin (bas latin editio, -onis) Robert Pons de Verdun 1749-1844 C'est elle… Dieux, que je suis aise ! Oui… c'est… la bonne édition ; Voilà bien, pages neuf et seize, Les deux fautes d'impression Qui ne sont pas dans la mauvaise. Le Bibliomane édition (expressions) nom féminin (bas latin editio, -onis) Familier. C'est la deuxième, la troisième édition, c'est la deuxième, la troisième fois qu'on dit la même chose, que la même chose se produit. Contrat d'édition, contrat par lequel l'auteur d'une œuvre de l'esprit ou ses ayants droit confèrent à un éditeur le droit d'exploiter cette œuvre. Édition électronique, synonyme de microédition. Programme d'édition, synonyme de éditeur de résultats. ● édition (homonymes) nom féminin (bas latin editio, -onis) éditions forme conjuguée du verbe éditerédition (synonymes) nom féminin (bas latin editio, -onis) Édition électronique
Synonymes :
- microédition
Programme d'édition
Synonymes :
- éditeur de résultats

édition
n. f.
d1./d Publication et diffusion d'une oeuvre écrite. Maison d'édition. édition à compte d'auteur, pour laquelle l'auteur paie lui-même les frais d'impression.
Par anal. édition d'une gravure, d'une carte.
Par ext. édition d'un disque, d'un film.
d2./d Ensemble des livres ou des journaux publiés en une seule fois. édition revue et corrigée. édition originale. édition spéciale.
d3./d Action d'établir (un texte); texte ainsi édité. édition critique d'un film.
d4./d Industrie et commerce du livre. Travailler dans l'édition.
d5./d INFORM Mise en forme des résultats avant impression.

⇒ÉDITION, subst. fém.
A.— [Correspond à éditer A]
1. [En parlant d'œuvre écrite] Reproduction, publication et diffusion commerciale par un éditeur d'une œuvre sous forme d'un objet imprimé. Édition originale, princeps, posthume d'une œuvre; édition et réédition d'un ouvrage; maison d'édition. Il irait (...) surveiller, l'édition de son « Dictionnaire de musique » (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1952, p. 176) :
1. La Kelly's directories LTD, société au capital de 1 150 000 livres sterling, fait partie du trust de journaux de la famille Berry. Nous trouvons des concentrations analogues en Allemagne, où les maisons Scherl et Mosse pratiquent l'édition d'annuaires à côté de celle de journaux.
La Civilisation écrite, 1939, p. 2413.
P. méton.
a) [Désigne ce qui est édité]
) Ensemble des exemplaires d'une œuvre, imprimés en un seul tirage, ou en plusieurs si le texte ou la composition typographique n'ont pas été modifiés. L'édition de Sensdes Romances sans paroles »] était d'ailleurs complètement épuisée (VERLAINE, Corresp., t. 1, 1887, p. 206). Il fut convenu qu'il enverrait la moitié de l'édition, soit deux mille exemplaires (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1952 p. 63).
En partic. Ensemble des exemplaires d'un journal, imprimés en une seule fois. Première, seconde édition. Le gouvernement exercera des poursuites contre ce canard effronté [Paris-Midi]. Pour l'instant la police a saisi tout ce qui restait de l'édition (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p. 469). Édition spéciale! Émeutes à Bombay! Deux cents morts! Édition spéciale! (DRUON, Gdes fam., t. 2, 1948, p. 113) :
2. L'Humanité a plusieurs éditions quotidiennes, 5, parfois 6 ou 7, dont 2 pour la province et une pour le Nord. Leur diffusion normale est assurée par la coopérative des porteurs de journaux pour Paris et par les messageries Hachette pour la banlieue et la province.
La Civilisation écrite, 1939, p. 3804.
Au fig., vieilli. Répétition d'un acte, d'un fait; version d'un fait. M. Leuwen fit beaucoup de questions à Coffe. Mme Leuwen fut enchantée d'avoir une troisième édition des prouesses de son fils (STENDHAL, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 212). Brumaire était la première édition de Décembre (PÉGUY, Notre jeun., 1910, p. 33).
) Exemplaire d'une œuvre faisant partie d'une édition. J'ai dans ma bibliothèque une édition de Ronsard, une édition rare reliée en peau de truie (LORRAIN, Phocas, 1901, p. 16). Dégoût instinctif et invincible qui devrait évidemment faire balayer de la salle de la Bibliothèque Nationale les trois casiers d'éditions Teubner (THIBAUDET, Réflexions litt., 1936, p. 230) :
3. Il est mort d'une crise foudroyante d'urémie, un soir d'été, dans un fauteuil, tenant serrée sur sa poitrine une précieuse édition des Fables de La Fontaine, un exemplaire unique qu'il tenait du marquis de Charnacé, ...
BERNANOS, Mauv. rêve, 1948, p. 902.
) [Suivi d'un groupe déterminatif précisant le type de présentation et/ou de diffusion du support imprimé de l'œuvre édité] Édition de poche, de luxe, illustrée; édition in quarto, in octavo; édition bilingue. Reçu les épreuves d'une édition à bon marché de « Mont-Cinère » (GREEN, Journal, 1931, p. 56). Jean-Louis (...) tira de sa poche le « Discours sur la méthode » dans une édition scolaire (MAURIAC, Myst. Frontenac, 1933, p. 55) :
4. Ils [les tirages restreints] sont (...) rémunérateurs, dans les cas des éditions de luxe à tirage restreint pour bibliophiles, collectionneurs de raretés.
Arts et litt., 1935, p. 6411.
b) Activité de l'éditeur. Paulais faisait vaguement de l'édition, achetait de temps en temps un tableau de maître (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 188).
P. ext., dans le domaine de l'écon. Industrie et commerce du livre :
5. Les premières années qui la suivirent [la guerre] marquèrent une suractivité de l'édition : intense appétit de lecture, de connaissance, après un sevrage brutal, comme au lendemain de la Révolution. Tout se vend.
La Civilisation écrite, 1939, p. 2801.
c) Au plur. [Suivi d'un nom propre] Établissement, service commercial dont l'activité est la publication de livres. Les Éditions du CNRS. L'album par lequel débute la collection « Couleurs des maîtres », aux éditions Braun et Cie, est consacré à Matisse (LHOTE, Peint. d'abord, 1942, p. 75).
2. [En parlant d'œuvre non écrite ou d'œuvre écrite sur un support non imprimé] Éditions microfilmées (L'Hist. et ses méth., 1961, p. 1158).
Reproduction et diffusion commerciale d'œuvres à caractère artistique :
6. Les modalités particulières d'application des règles (...) en ce qui concerne l'édition de librairie, l'édition musicale, l'édition phonographique, l'édition cinématographique et l'édition en matière d'arts plastiques graphiques et des arts appliqués, seront, (...) déterminées par des accords interprofessionnels ...
La Civilisation écrite, 1939, p. 1612.
B.— [Correspond à éditer B] Préparation du texte d'une œuvre en vue de sa publication. La correspondance de Rousseau dans la belle édition établie par Théophile Dufour (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1948, p. 7).
[Suivi d'un groupe déterminatif précisant le type de préparation]
Édition critique. Édition qui donne les variantes d'un texte et qui est pourvu d'un apparat critique. C'est en 1862 que cet éditeur plein d'amour donna sa première édition critique des poésies d'André Chénier (FRANCE, Vie littér., t. 1, 1888, p. 305). Les annotations et améliorations dont les éditions critiques surchargent le texte des évangiles (CLAUDEL, Poète regarde Croix, 1938, p. 49).
Édition savante. Édition accompagnée de notes et de commentaires grammaticaux, historiques, littéraires :
7. Le danger, dans certaines éditions savantes, à plus forte raison dans les éditions scolaires, est que l'érudition, indispensable à l'intelligence du texte, des sources, du milieu, de l'époque, des circonstances, par un excès de scrupule et un abus de notes quelquefois vaines, la harcèlent ou la dispersent au lieu de la guider.
La Civilisation écrite, 1939, p. 2805.
Édition diplomatique (cf. diplomatique1 B).
Édition définitive, ne varietur. Il faut faire avant tout l'« édition ut varietur », pour me reposer des « Cahiers » (GIDE, Journal, 1890, p. 16).
Édition expurgée. Il faut avoir lu Shakespeare, mais je t'en donnerai un jour une édition expurgée (GREEN, Moïra, 1950, p. 95).
Rem. Les dict. spéc. récents enregistrent un emploi en informat. : ,,Sortie matérialisée d'une information après traitement [par l'ordinateur]`` (Bureau 1972).
C.— [P. méton. de A et B]
1. Texte d'une œuvre tel qu'il a été fixé par un éditeur. Les « Pensées » et « Opuscules » de Pascal dans l'édition de Brunschvicg (GIDE, Journal, 1905, p. 176).
2. Texte d'une œuvre tel qu'il a été publié dans une édition. Dans la nouvelle édition Dentu-Charpentier de mes œuvres complètes, « Robert Helmont » se trouve à la fin du second volume de « Jack » (A. DAUDET, R. Helmont, 1874, p. 12).
Prononc et Orth :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 2e tiers XVIe s. translaté de l'edicion Theodoce (Bibl. hist. Maz. 312, f° 253d ds GDF. Compl.); 1679 « impression » (RICH. : Prémiére, ou seconde édition d'un livre). Empr. au lat. impérial editio « production; édition ». Fréq. abs. littér. : 1 630. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 2 347, b) 2 849; XXe s. : a) 2 134, b) 2 118.

édition [edisjɔ̃] n. f.
ÉTYM. XVIe, edicion; lat. impérial editio, du lat. class. editum. → Éditer.
1 Didact. Action d'éditer (1.), d'établir et de faire paraître (un texte, qu'on peut présenter, annoter, etc.). || Ce chartiste prépare l'édition d'un manuscrit grec, arabe… || Le philologue, le spécialiste qui fournit l'édition de ce manuscrit. || L'édition de ce texte lui a coûté de nombreuses recherches. || Édition avec préface et notes de X… || Appareil critique d'une édition (→ Discrimination, cit. 2). || Édition variorum : édition d'un texte publié avec les notes de plusieurs commentateurs. || Les Pensées de Pascal, édition Havet, édition Brunschwicg.
Le texte ainsi édité. || Une édition correcte, fautive de Montaigne. || Édition expurgée, complète. || Comparaison d'une édition ancienne avec le manuscrit. Recension. || Édition critique. || Donner, procurer une édition avec la collation (cit. 2) des manuscrits. || Édition savante. || Édition définitive.
1 (…) c'est à leurs travaux (des littérateurs du XVIe et du XVIIe siècles) que nous devons les dictionnaires, les éditions correctes, les commentaires des chefs-d'œuvre de l'antiquité.
Voltaire, Dict. philosophique, Gens de lettres.
2 (Mil. XVIIe). Cour. Le fait d'éditer (2.), de reproduire et de diffuser (une œuvre écrite). Publication. || C'est un libraire, c'est l'auteur même, c'est une société ( Éditeur, 2.) qui s'est chargée de l'édition de cet ouvrage. || Procéder à la première édition, à une nouvelle édition ( Réédition) d'un livre. || Souscrire à l'édition d'un livre d'art, d'un dictionnaire. || Contrat d'édition. || Édition à compte d'auteur d'un recueil de poèmes.
Par anal. || Édition de partitions musicales, de cartes géographiques, de jeux. || Édition de gravures, de cartes postales.Par ext. || L'édition d'un film, d'un disque.
Loc. fig. Une, la nouvelle édition de… : la reprise, la répétition de…
2 Avec ses chambellans, sa pompe et ses réceptions aux Tuileries, il (l'empereur Napoléon) a donné une nouvelle édition de toutes les niaiseries monarchiques. Elle était corrigée, elle eût pu passer encore un siècle ou deux.
Stendhal, le Rouge et le Noir, II, I.
Absolt. || L'édition : l'ensemble des activités économiques par lesquelles les textes et les graphismes sont reproduits et distribués le plus souvent sous la forme de livres.REM. Le mot édition, stricto sensu, exclut la fabrication des objets imprimés (composition, impression, façonnage, etc.), comme il peut exclure la diffusion, la commercialisation et la vente au public (→ Diffusion, librairie); cependant, en cas d'intégration de ces diverses activités, c'est le concept d'édition qui est le plus large. aussi Livre.Les métiers de l'édition. || Travailler dans l'édition. || L'édition française, allemande, japonaise, soviétique. || Syndicats de l'édition. || Convention collective de l'édition.
3 Ensemble des exemplaires d'un ouvrage publié; série des exemplaires édités en une fois. || Édition à 5 000, à 100 000 exemplaires. Tirage. || Édition de luxe, hors commerce, à tirage restreint, limité. || Édition illustrée. || Édition courante, ordinaire, populaire, à bon marché. || Édition reliée, brochée. || Édition de poche. || Édition originale, en partie originale, édition princeps, première édition. || Édition collective. || Édition particulière. || Édition posthume. || Les Pensées de Pascal, édition de Port-Royal (1670). || Les Contes et Nouvelles de La Fontaine, édition des Fermiers Généraux. || Les bibliophiles recherchent les éditions originales, les éditions rares. || Nouvelle édition. || Édition revue et corrigée, augmentée par l'auteur ( Augmentation, 3.; → Addition, cit. 2). || Édition définitive, ne varietur. || Édition épuisée.
3 Oui, c'est la bonne édition;
Voilà bien, page douze et seize,
Les deux fautes d'impression
Qui n'étaient pas dans la mauvaise.
Pons de Verdun, Contes et poésies, p. 9.
4 (…) les renseignements qu'on m'avait adressés des pays du Nord indiquaient seulement des traductions hollandaises du livre, sans donner aucune indication sur l'édition originale, imprimée à Francfort, avec l'allemand en regard.
Nerval, les Filles du feu, « Angélique », XII.
5 (Il) va publier un livre (…) édition de luxe, vignettes, culs-de-lampe et fesses de quinquet, portrait de l'auteur, vers latins en tête à sa louange, éloge critique et papier blanc ?
Flaubert, Correspondance, 36, À É. Chevalier, 20 oct. 1839.
(Une, des éditions). Exemplaire (de telle ou telle édition). Exemplaire, livre. || Avoir Racine dans une édition du XVIIe siècle; du XVIIIe siècle; dans une édition romantique, moderne (cf. Un Racine du XVIIIe siècle, etc.). || Acheter l'édition originale de Madame Bovary. || Il achète des éditions rares. || Édition numérotée. || Je l'ai lu dans mon édition de la Bible… (→ Authenticité, cit. 7).
6 Il s'était interrompu de découper avec les ciseaux maternels des maximes dans une édition populaire d'Épictète.
F. Mauriac, Génitrix, II, p. 16.
4 Spécialt. || Édition d'un journal : ensemble des exemplaires imprimés en une fois. (Une, des éditions). || Édition de Paris, édition de province. || Édition de midi, édition du soir (aussi en expression exclamative, pour vendre). || Première, cinquième, sixième et dernière édition. || Édition spéciale (→ Camelot, cit. 2).
5 Inform. (Anglic.). Matérialisation des informations traitées.
DÉR. Éditionner.
COMP. Coédition, réédition.

Encyclopédie Universelle. 2012.