sentir [ sɑ̃tir ] v. tr. <conjug. : 16>
• 1080; lat. sentire
I ♦
1 ♦ Avoir la sensation ou la perception de (un objet, un fait, une qualité). ⇒ percevoir. REM. Ne s'emploie pas pour les sensations auditives. « Pour sentir sur leurs paumes la fraîcheur vivante de l'eau » (Genevoix). « Elle sentit cette main qui lui effleurait la joue » (Montherlant). « Une saveur âcre qu'elle sentait dans sa bouche » (Flaubert). « Comme un blessé qui, d'abord, n'a pas senti le coup » (Martin du Gard). Ne rien sentir : ne pas éprouver de douleur. Loc. fam. Le, la sentir passer. — Absolt « Nous sentons malgré nous » (Voltaire).
♢ Fam. Je ne sens plus mes jambes : je suis fatigué d'avoir trop marché.
♢ Spécialt Avoir la sensation de (une odeur). « Des seringas dont je sens encore le parfum très fort » (Maurois ). ⇒ flairer, humer, renifler. Cheval qui sent l'écurie. — Loc. fam. Ne pas pouvoir sentir qqn : ne pas pouvoir le souffrir; le détester. ⇒pop. blairer, pifer.
2 ♦ Avoir ou prendre conscience plus ou moins nettement de... Sentir le danger. Il ne sent pas sa force (cf. Se rendre compte de). « Ils sentent alors leur néant sans le connaître » (Pascal). « C'est dans ces moments [...] qu'on sent bien sa faiblesse » (Sainte-Beuve). — « Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine » (La Fontaine). « Il sentait une sourde agitation le gagner » (Martin du Gard). Sentir que..., combien..., pourquoi...
3 ♦ Connaître ou reconnaître par l'intuition. ⇒ deviner, discerner. Ce sont des choses qu'on sent. « Ce que notre instinct sentait, sans l'expliquer, c'est à notre raison de le prouver » (R. Rolland). ⇒ pressentir. — Spécialt « C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison » (Pascal ). — Fam. « J'annule cette mission : je ne la sens pas » (San-Antonio). Fais comme tu (le) sens.
4 ♦ Avoir un sentiment esthétique de (qqch.). ⇒ apprécier, 1. goûter. Sentir la beauté d'une œuvre d'art.
5 ♦ Être affecté agréablement ou désagréablement par (qqch.). ⇒ éprouver, ressentir. « Cet élan que je sentirais pour mon pays s'il était menacé » (Loti). — Absolt Sa « façon de sentir et de penser » (Léautaud).
6 ♦ Faire sentir... : faire qu'on sente, qu'on se rende compte de... « Je voudrais essayer ici de faire sentir ce défaut » (Sainte-Beuve). « Il me faisait sentir que je n'étais pas né comme lui » (A. Gide). — (Choses) Se faire sentir : devenir sensible. ⇒ s'exercer, se manifester. « Aujourd'hui les véritables effets se font sentir » (Zola).
II ♦ (déb. XIVe)
1 ♦ Dégager, répandre une odeur de. ⇒ fleurer. Cette fleur ne sent rien. « Cette première pièce [...] sent le renfermé, le moisi » (Balzac). Ce rôti « qui sentait si bon » (Rousseau). ⇒ embaumer. Ça sent mauvais, ici ! ⇒ empester, puer; fam. chlinguer, cogner, fouetter.
♢ Absolt, fam. Sentir mauvais. « C'est un garçon qui ne se lave pas [...] Il doit sentir des pieds » (Romains).
♢ Par métaph. Sentir le fagot, le roussi, le sapin... PROV. La caque sent toujours le hareng.
2 ♦ Fig. Donner une impression de, évoquer à l'esprit l'idée de. ⇒ indiquer, révéler. Manières qui sentent le parvenu. Ça sent l'hiver. Un ton « assez leste, et qui sent même la garnison » (Sainte-Beuve).
III ♦ V. pron.
1 ♦ (Pass.) Être senti. « Le vrai bonheur ne se décrit pas, il se sent » (Rousseau). Mais voyons, ça se sent ! c'est une chose qu'on sent, qui n'a pas besoin de démonstration.
2 ♦ (Réfl.) Vx Être maître de soi. — Mod. Ne pas se sentir de : être hors de soi, transporté de... « À ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie » (La Fontaine). Fam. Depuis sa promotion, il ne se sent plus (cf. Avoir la grosse tête).
♢ (Avec un inf.) Avoir l'impression, le sentiment de. « Laurent se sentait renaître » (Zola). Vulg. Il se sent plus pisser : il ne se sent plus (de prétention). — (Avec un attribut, un compl. d'état) Avoir l'impression, le sentiment d'être. Se sentir tout drôle, bizarre. « Se sentir inutile est pire encore que de se sentir coupable » (Ramuz). Se sentir bien, mal dans sa peau. « Il se sentait mieux, moins impatient » (Maupassant). Elle « s'éloigna, triste — se sentant si peu de chose » (F. Mauriac).
3 ♦ (Réfl. ind.) Sentir comme étant en soi ou à soi. « Elle se sentait un cœur toujours jeune » (Maupassant). Se sentir la force, le courage de (et l'inf.) :avoir. Il ne se sentit pas la force d'achever. Je ne m'en sens pas le courage. — (Avec un attribut) « Il se sentait le cœur plus libre » (A. Daudet).
4 ♦ (Récipr.) Ils ne peuvent pas se sentir : ils se détestent.
● sentir verbe transitif (latin sentire) Percevoir quelque chose par l'odorat : On sent l'odeur des bois. Humer l'air ambiant pour en percevoir l'odeur : Avez-vous senti ce bouquet ? Percevoir une impression physique par les organes de la sensibilité (autres que la vue et l'ouïe) : Sentir subitement la fraîcheur de l'air. Percevoir et connaître quelque chose plus ou moins confusément et de manière intuitive : Il sent que son cheval veut tourner à gauche. Éprouver dans son corps les manifestations, les effets de quelque chose : Elle ne sent jamais la fatigue. Avoir conscience d'une partie de son corps, parce qu'on y prête particulièrement attention, ou parce qu'elle est particulièrement sensible ou douloureuse : Sentir son genou quand on marche. Connaître quelque chose, le goûter, l'éprouver par la sensibilité : Sentir la beauté d'un texte. ● sentir verbe intransitif Répandre telle odeur, avoir telle saveur : Des fleurs qui sentent bon. Dégager une mauvaise odeur : Le poisson commence à sentir. Avoir l'apparence de, être marqué par tel caractère : Un garçon qui sent la province. ● sentir (homonymes) verbe intransitif ● sentir (citations) verbe transitif (latin sentire) Gustave Flaubert Rouen 1821-Croisset, près de Rouen, 1880 Académie française, 1880 La manière la plus profonde de sentir quelque chose est d'en souffrir. Carnets Alphonse de Prât de Lamartine Mâcon 1790-Paris 1869 Pour tout peindre, il faut tout sentir. Premières Méditations poétiques, l'Enthousiasme Jean-Paul Sartre Paris 1905-Paris 1980 Il faut affirmer si nous voulons comprendre, et nous donner si nous voulons sentir. Situations II Gallimard ● sentir (difficultés) verbe transitif (latin sentire) Conjugaison Je sens, tu sens (sans le t du radical), comme mentir. Accord Accord du participe passé. 1. J'ai senti passer la balle : le complément d'objet direct est placé après le verbe, le participe passé ne s'accorde pas. 2. La balle que j'ai sentie passer : le complément d'objet direct est placé avant le verbe, le participe passé s'accorde avec le complément d'objet. Elle s'est sentie fatiguée, il l'a sentie fatiguée : le complément d'objet direct (s', l') est placé avant le verbe, le participe passé et l'adjectif qui le suit s'accordent avec le complément d'objet. 3. Elle s'est sentie lâcher prise : le sujet de se sentir est le même que celui de l'infinitif lâcher, le participe passé s'accorde avec le sujet. 4. Elle s'est senti mordre par le chien : le sujet de se sentir n'est pas le même que celui de l'infinitif, le participe ne s'accorde pas. Remarque On pourrait remplacer cette phrase par une autre équivalente, elle s'est sentie mordue par le chien, dans laquelle le participe passé s'accorderait (v. ci-dessus, 2). Construction Sentir bon, mauvais, fort, etc. Dans cet emploi intransitif de sentir, les adjectifs bon, mauvais, fort, etc. sont employés comme adverbes et restent invariables : ces fleurs sentent bon ; ces parfums sentent fort. Registre Ne pas sentir qqn, ne pas pouvoir sentir qqn (= ne pouvoir le supporter, le détester). Registre familier. ● sentir (expressions) verbe transitif (latin sentire) Faire sentir quelque chose, faire éprouver quelque chose à quelqu'un, le lui faire comprendre : Je leur ai fait sentir que je n'étais pas d'accord. Familier. Ne pas pouvoir sentir quelqu'un, quelque chose, éprouver une profonde antipathie à leur égard, les détester. Se faire sentir, se manifester, être sensible. ● sentir (homonymes) verbe transitif (latin sentire) ● sentir (synonymes) verbe transitif (latin sentire) Percevoir quelque chose par l'odorat
Synonymes :
Humer l'air ambiant pour en percevoir l'odeur
Synonymes :
- flairer
- humer
- renifler
Percevoir une impression physique par les organes de la sensibilité...
Synonymes :
Percevoir et connaître quelque chose plus ou moins confusément et de...
Synonymes :
- découvrir
- deviner
- se rendre compte
- soupçonner
Connaître quelque chose, le goÛter, l'éprouver par la sensibilité
Synonymes :
- goûter
- savourer
sentir
v.
aA./a v. tr.
rI./r
d1./d Percevoir par le moyen des sens (ne se dit pas pour la vue, ni pour l'ouïe; s'emploie spécial. pour le toucher et l'odorat). Sentir une douleur. En tâtant ici, vous sentirez une bosse. On sentait l'odeur des foins.
|| Fig., Fam. Ne pas pouvoir sentir qqn, ressentir de l'aversion à son égard.
d2./d Respirer volontairement l'odeur de. Sentez cette rose!
d3./d Exhaler, répandre une odeur de. Cela sent le brûlé.
|| v. intr. Cela sent bon.
— Absol. Sentir mauvais. Qu'est-ce qui sent comme ça?
— Fig., Fam. Cela sent mauvais: se dit d'une affaire qui prend mauvaise tournure.
d4./d Fig. Révéler, trahir. Ces pages sentent l'effort.
rII./r Fig.
d1./d être conscient de, se rendre compte de. Sentir le ridicule d'une situation.
|| Faire sentir qqch à qqn, lui en faire prendre conscience.
— (Choses) Se faire sentir: se manifester.
d2./d être sensible (du point de vue esthétique) à (qqch). Sentir les beautés d'un poème.
d3./d Percevoir intuitivement. Je sens que tu te trompes à son égard.
d4./d être affecté par (qqch ou qqn); éprouver, ressentir. Elle a senti son absence ce soir-là.
aB./a v. Pron.
d1./d (Suivi d'un attribut.) Avoir conscience d'être. Se sentir soulagé. Je ne me sens pas bien.
— (Suivi d'un inf.) Elle se sentit défaillir.
— Ne pas se sentir de joie: être envahi par une joie extrême.
d2./d Se rendre compte qu'on a (telle disposition intérieure). Vous sentez-vous le courage de continuer?
d3./d (Choses) être senti, perçu. Sa bonté se sent.
aC./a v. intr. (Québec) Fam. Syn. de écornifler (sens 2).
⇒SENTIR, verbe trans.
I. — [Le suj. désigne un être vivant doué de sensibilité] Percevoir, éprouver une sensation, une impression.
A. — [Par l'intermédiaire des sens (excepté la vue et l'ouïe)]
1. Percevoir, éprouver une sensation physique qui renseigne sur l'état de l'organisme ou sur le milieu extérieur. Une saveur âcre qu'elle sentait dans sa bouche la réveilla (FLAUB., Mme Bovary, t. 2, 1857, p. 170). Je sentais la caresse légère de ses doigts sur mon cou (GRACQ, Syrtes, 1951, p. 154).
SYNT. Sentir la faim, la fatigue, la soif; sentir une démangeaison, une douleur; sentir la sueur sur son front, les battements de son cœur, des larmes prêtes à jaillir; sentir la chaleur du sable, du soleil; sentir le froid de l'eau glacée, de la bise; sentir une main qui agrippe; sentir un objet dans sa poche; sentir un goût d'ail, d'oignon dans un plat.
♦ [Suivi d'une inf.] Sentir ses forces faiblir, ses genoux fléchir, sa voix trembler, le froid tomber. Cela commença par le bruit aigre d'une croisée qui roulait lentement sur ses gonds, et à travers laquelle je sentis poindre l'air pénétrant des brumes humides de septembre (NODIER, Fée Miettes, 1831, p. 121). Il (...) sentit grincer le sable sous ses semelles (BERNANOS, Joie, 1929, p. 717).
♦ [Suivi d'une complét.] Elle sentit qu'elle avait très froid (MAUPASS., Une Vie, 1883, p. 249). Je sentis que je rougissais (GYP, Souv. pte fille, 1928, p. 41).
♦ Absol. Quand tu dis (...): « Je me brûle », tu ne fais (...) que sentir. Sentir, cette chose que tout le monde connaît par expérience, et que personne, jusqu'à cette année 1805, n'a pu décrire (STENDHAL, Corresp., t. 1, 1805, p. 139).
♦ Empl. pronom., littér. Nuit de juin! Dix-sept ans! — On se laisse griser. La sève est du champagne et vous monte à la tête... On divague; on se sent aux lèvres un baiser Qui palpite là, comme une petite bête (RIMBAUD, Poés., 1871, p. 71).
♦ Empl. subst. masc. Le sentir. La faculté de sentir. On a fini par croire que tout se réduisait à la sensation; qu'il suffisait de transformer la sensation produite par un corps en une autre sensation pour avoir l'explication des facultés intellectuelles. Néanmoins le sentir n'explique pas tout: il n'explique pas (...) les sentiments moraux. (...) la preuve, c'est qu'on trouve ce phénomène chez tous les êtres qui sont du domaine de la zoologie (BROUSSAIS, Phrénol., 1836, p. 69).
— Empl. factitif. Se faire sentir. Se manifester, devenir sensible. La douleur, la faim, la soif se fait sentir; action, nécessité qui se fait sentir. Le découragement commençait à se faire sentir dans toutes les sphères de l'armée et même au grand quartier général (JOFFRE, Mém., t. 1, 1931, p. 319).
♦ En partic. [Le suj. désigne un agent atmosphérique] Le froid se fait sentir. La bonne chaleur du soleil (...) avait commencé à se faire sentir dès le mois de mars (RAMUZ, Gde peur mont., 1926, p. 14). Malgré l'approche du mauvais temps dont les premiers effets se faisaient déjà violemment sentir au débouquer, matelots et marchands faisaient cercle autour de l'unique mât (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 11).
— Locutions
♦ Ne pas/ne plus sentir ses bras, ses jambes, ses pieds. Ne pas ne plus les percevoir, comme s'ils étaient devenus insensibles (à cause d'une grande fatigue, d'un grand froid). J'arrête Luce au passage et la force à s'asseoir une minute: — Tu n'en es pas fatiguée, de ce métier-là? — Tais-toi! Je danserais pendant huit jours! Je ne sens pas mes jambes (COLETTE, Cl. école, 1900, p. 315).
Plus rarement, à la forme affirm. Sentir ses bras, ses jambes. Y percevoir des douleurs ou des courbatures provoquées par un excès de fatigue. D'un balancement de sa fourche, elle prenait l'herbe, la jetait dans le vent (...). — Ah! ma petite, dit Palmyre, de sa voix dolente, on voit bien que tu es jeune... Demain, tu sentiras tes bras (ZOLA, Terre, 1887, p. 134).
♦ Sentir la main qui vous démange. V. démanger B.
♦ Ne pas sentir sa force.
— P. anal.
♦ Sentir son cheval. Percevoir les mouvements et réactions de son cheval et savoir en tirer habilement parti. Le cavalier doit être plus qu'un technicien: le compagnon de sa monture. Il doit la sentir, la comprendre, se comporter en psychologue (Jeux et sports, 1967, p. 1604).
♦ MAR. [Le suj. désigne un navire]
Sentir sa barre. Obéir instantanément à l'action du gouvernail (d'apr. GRUSS 1978).
Sentir le fond. Manœuvrer avec peu d'eau sous la quille et abattre d'un bord ou de l'autre de façon imprévisible (d'apr. MERRIEN 1958).
2. En partic.
a) Percevoir par l'odorat. Sentir un parfum de fleur, l'odeur d'un mets, une odeur désagréable; ne rien sentir (parce que l'on est enrhumé). Carmen, en chemise, se glissait à côté de lui. Il sentit le parfum fort de ses épaules rondes (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 359). Je connais toutes les pierres du chemin et je me dirigerais, s'il le fallait, aux odeurs, comme mon père sait le faire, depuis qu'il est aveugle. Tenez, en longeant ce mur, nous allons sentir les lilas. C'est une senteur délicieuse (DUHAMEL, Suzanne, 1941, p. 100).
♦ Absol. En émoussant peu à peu ces impressions qui retiennent d'abord toute l'attention de l'enfant, l'habitude lui permet de saisir les attributs particuliers des corps; elle lui apprend ainsi insensiblement à voir, à entendre, à sentir, à goûter, à toucher, en le faisant successivement descendre, dans chaque sensation, des notions confuses de l'ensemble aux idées précises des détails (BICHAT, Rech. physiol. vie et mort, 1822, p. 65).
♦ Empl. pronom. à sens passif. La camériste faisait remarquer à M. le Conseiller Vénérable l'affreuse odeur qui se sentait dans tout l'étage (JOUVE, Scène capit., 1935, p. 150).
— Loc. fig., fam. Ne pas pouvoir sentir (qqc., qqn). Éprouver (pour quelque chose, quelqu'un) une grande aversion, une grande antipathie. Synon. détester, haïr, ne pas pouvoir supporter (qqc., qqn) (v. supporter1), ne pas pouvoir souffrir (qqn) (fam.). Je demande: C'est-y des tableaux vivants?... Parlez donc français — dit Madame Garabis agacée — allons! Reprenez (...) Elle peut pas sentir ma façon de parler. Docilement je reprends: Est-ce des tableaux vivants? (GYP, Souv. pte fille, 1928, p. 167). — (...) quand elle va revenir des toilettes, offrez-lui un verre pendant que nous allons voir les figures de cire. — Ah! non pas moi! dit Lewis. — Mais il lui faut un homme pour s'occuper d'elle. Elle ne connaît pas Bert et elle ne peut pas sentir Willie. — Mais moi je ne peux pas sentir Évelyne, dit Lewis (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 521).
♦ Empl. pronom. réciproque. Ne pas pouvoir se sentir. [Maman] avait été la belle-mère de mon oncle et ils ne pouvaient pas se sentir. Je ne sais pas s'ils étaient formellement brouillés, ou s'ils évitaient simplement de se rencontrer (GYP, Souv. pte fille, 1928, p. 236). Il est des peuples que tout désigne pour une guerre, leur peau, leur langue et leur odeur, ils se jalousent, ils se haïssent, ils ne peuvent pas se sentir (GIRAUDOUX, Guerre Troie, 1935, II, 13, p. 185).
— P. anal. [Le suj. désigne un animal et plus partic. un chien] Percevoir une piste grâce au flair. On ne conçoit pas, mais on voit, on ne peut qu'admirer comment le chien sent souvent après plusieurs heures l'empreinte légère du pied d'un lièvre (LA HÊTRAIE, Chasse, vén., fauconn., 1945, p. 149). Absol. Dès qu'il pleut trop ou qu'il fait trop sec, que mon chien ne sent plus, que je tire mal, et que les perdrix deviennent inabordables, je me crois en état de légitime défense (RENARD, Hist. nat., 1896, p. 264).
♦ [Le suj. désigne un cheval] Sentir l'écurie.
b) Chercher à percevoir l'odeur de quelque chose. Synon. flairer, humer, renifler (fam.), respirer. Sentir un flacon de parfum, un bouquet de fleurs; sentir le bouquet d'un vin. Un moment, elle a tiré l'œillet de sa poitrine, l'a longuement senti de ses narines ouvertes, puis me l'a passé presque comme une chose qu'elle aurait laissée et m'a dit: « Sentez, j'adore cette odeur (...) » (GONCOURT, Journal, 1864, p. 70). Pense que chaque soir, il y a une femme qui pense à toi, une femme qui voudrait s'étendre contre toi, sentir l'odeur de tes cheveux et s'endormir dans ta chaleur (PAGNOL, Fanny, 1932, III, 10, p. 207).
B. — [Par l'intermédiaire de l'intellect]
1. Avoir, prendre conscience de. Je fus d'abord très touché de cette vue, et ce fut un remords qu'il me donna de n'avoir pas assez senti ce que vaut un père (VIGNY, Serv. et grand. milit., 1835, p. 178). Il s'était mis, pour ne plus sentir la misère de son existence, à travailler éperdument (LARBAUD, F. Marquez, 1911, p. 47).
— [Suivi d'une inf.] Tâchez d'atteindre à cette idée sublime, que le véritable bonheur de l'homme ne se trouve que dans le bonheur de ses semblables; dites en vous-mêmes, et dans le secret d'un cœur calme et pur:Je sens avoir besoin du bonheur des autres (SAINT-MARTIN, Homme désir, 1790, p. 95).
— [Suivi d'une interr. indir.] J'ai été bien content de t'avoir vue hier; je sens combien ta société a de charmes pour moi (NAPOLÉON Ier, Lettres Joséph., 1810, p. 196).
— Constr. factitive. Faire sentir (qqc.) à (qqn). Faire comprendre (quelque chose) à (quelqu'un) de manière plus ou moins directe. Aussitôt rentrés, Amélie trouva le moyen de me faire sentir qu'elle désapprouvait l'emploi de ma journée (GIDE, Symph. pastor., 1919, p. 897). Chaque fois que vous citiez les Offices, le Prado, les Thermes, j'étais sûr que ce n'était qu'une occasion de me faire sentir que j'ignorais les voyages, Florence, Madrid, Rome (NIZAN, Conspir., 1938, p. 228).
♦ En partic. Faire comprendre à quelqu'un les points importants d'un exposé, d'un ouvrage en les lui expliquant bien. M. d'Arlincourt (...) venait demander à Michaud d'en parler [de son dernier ouvrage] de manière à faire sentir au public tout ce qu'il y avait de profond, de délicat dans cette conception (DELACROIX, Journal, 1854, p. 190). On sait le rôle important que jouent dans les astres ces « pressions de Maxwell-Bartoli ». J'espère avoir pu faire sentir au lecteur, par cette brève analyse, l'intuition profonde et l'extrême souplesse d'esprit de Maxwell (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 240).
— Loc. Sentir la moutarde lui monter au nez. V. moutarde ex. 2.
2. Percevoir par l'intuition. Synon. deviner, pressentir, subodorer.
a) [Le compl. désigne un fait, une impression, un sentiment] Sentir une trahison. Cette confiance insensée, on la sentait chez tous les hommes (...) elle était dans l'air (...). Était-ce le canon qui sonnait sans relâche (...), qui enfonçait en nous cette certitude de vaincre? (DORGELÈS, Croix de bois, 1919, p. 181). C'est bien la femme qu'il te faut. Elle te rendra heureux. Tu sais, entre elles, les femmes sentent ça (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1938, p. 251).
— [Suivi d'une complét.] Mon exil était plus sérieux et plus lointain qu'il n'avait d'abord paru; chacun sentait que la vie pour moi s'apprêtait à vraiment changer (GRACQ, Syrtes, 1951, p. 11).
— Locutions
♦ Sentir bien (qqc.). En éprouver la certitude. Pluvinage est peut-être le seul d'entre eux qui adhère pleinement à son action, mais c'est une adhésion qui ne peut que mal finir, parce qu'il ne se soucie au fond que de vengeance et croit à son destin sans retour d'ironie sur lui-même. Tout cela est terriblement provisoire, et ils le sentent bien (NIZAN, Conspir., 1938, p. 24.
[Suivi d'une complét.] Comment ai-je pu lui résister, se disait-il; si elle allait ne plus m'aimer! (...) Le soir, il sentit bien qu'il fallait absolument paraître aux Bouffes dans la loge de Mme de Fervaques (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 422).
♦ Sentir la mort (pop.). La veuve Dentu se trouva là juste à point, venue soudain ainsi que le prêtre, comme s'ils avaient « senti la mort », selon le mot des domestiques (MAUPASS., Une Vie, 1883, p. 164).
♦ Sentir venir qqc. (de mauvais). Félix ne le sait que trop bien, et sent le châtiment venir (CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p. 192):
• 1. L'Intransigeant, qui fut longtemps (...) le seul grand journal du soir de Paris, avait été détrôné par Paris-Soir dès 1933. Sentant venir le danger, son directeur Léon Bailby avait organisé le journal de Rochefort, modernisé son imprimerie, agrandi ses bureaux.
COSTON, A.B.C. journ., 1952, p. 47.
♦ Sentir le vent tourner, que le vent va tourner. Pressentir, deviner un changement de situation. Il sut s'arrêter dès qu'il sentit que le vent allait tourner, et que mieux valait demeurer l'auteur du Barbier et de Guillaume Tell qu'ajouter au catalogue de ses œuvres quelques numéros qui l'auraient alourdi sans augmenter sa gloire (DUMESNIL, Hist. théâtre lyr., 1953, p. 123).
b) [Le compl. désigne une pers.] — Madame, est-il vrai que vous passiez l'hiver ici, comme l'été? Vous devez vous y trouver terriblement seule! Ses yeux bruns m'examinent deux secondes. Elle a vite fait de sentir un allié. — Oui, seule (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p. 111). Je pensai moi aussi à m'éloigner, mais je sentais les deux jeunes gens si gênés, si anxieux, l'un en face de l'autre, que je jugeai prudent de ne pas le faire (ALAIN-FOURNIER, Meaulnes, 1913, p. 266).
— [Suivi d'une inf.] Au fond cette petite guerre sourde et venimeuse l'affligeait beaucoup; il sentait Tarascon lui glisser dans la main (A. DAUDET, Tartarin de T., 1872, p. 40).
— En partic. [Le compl. désigne un artiste, un écrivain] Le comprendre en profondeur, être sensible à son art, à sa manière d'écrire. Sur d'autres sujets voisins de Racine, il [La Harpe] est incomplet; il sent peu Molière (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 5, 1851, p. 119). Je me suis élevé contre leur ami R... qui n'aime pas Cimarosa, qui ne le sent pas, à ce qu'il dit avec une certaine satisfaction de lui-même (DELACROIX, Journal, 1853, p. 72).
c) [Le compl. désigne Dieu] Percevoir par la foi, l'intuition mystique. L'âme ne peut se mouvoir, s'éveiller, ouvrir les yeux, sans sentir Dieu. On sent Dieu avec l'âme, comme on sent l'air avec le corps. Oserai-je le dire? On connaît Dieu facilement, pourvu qu'on ne se contraigne pas à le définir (JOUBERT, Pensées, t. 1, 1824, p. 98).
— Empl. pronom. à sens passif. L'abbé Renaud la rassurait. — Dieu se sent, lui disait-il, et ne se prouve pas. Laissons ce cœur s'ouvrir (FEUILLET, Sibylle, 1863, p. 339).
3. Éprouver, par la voie de la sensibilité artistique, une émotion, un sentiment d'ordre esthétique. Synon. apprécier, goûter1. Sentir la beauté d'un paysage, d'un tableau, d'une poésie, d'une œuvre musicale; sentir la poésie des vieilles pierres. Le soir, dans le trio de Mozart, pour alto, piano et clarinette, j'ai senti délicieusement quelques passages, et le reste m'a paru monotone (DELACROIX, Journal, 1853, p. 24):
• 2. Il faut avouer que l'Esthétique est une grande et même une irrésistible tentation. Presque tous les êtres qui sentent vivement les arts font un peu plus que de les sentir; ils ne peuvent échapper au besoin d'approfondir leur jouissance.
VALÉRY, Variété III, 1936, p. 139.
♦ Absol. D'autres artistes sentent vivement mais n'ont point de raisonnement abstrait, et comme les précédents, leur communion avec le monde est peu profonde (GILLES DE LA TOURETTE, L. de Vinci, 1932, p. 120).
C. — [Par l'intermédiaire de l'affectivité]
1. Littér. Ressentir, éprouver un sentiment, un besoin. Sentir de l'allégresse, de l'inquiétude, de la peine, du plaisir, une grande détresse. Cette femme parut charmée de ce que je lui disais; encouragé par là, je sentis de la joie, de l'amour, de la tendresse (RESTIF DE LA BRET., M. Nicolas, 1796, p. 228). Il reconnut qu'il avait peur. Il entra deux fois dans des cafés pleins de monde. Lui aussi, comme Cottard, sentait un besoin de chaleur humaine (CAMUS, Peste, 1947, p. 1262).
— Sentir + [subst. désignant un sentiment] pour qqn. Sentir de l'amour pour qqn. Oui, je sentis pour cette fille une tendresse inexprimable (RESTIF DE LA BRET., M. Nicolas, 1796, p. 60). Harbert sentait pour l'ingénieur une vive et respectueuse amitié (VERNE, Île myst., 1874, p. 175).
♦ Ne rien sentir pour qqn. Ne ressentir aucun sentiment pour quelqu'un, ne pas l'aimer. Ils étaient restés seuls; la conversation languissait évidemment. Non! Julien ne sent rien pour moi, se disait Mathilde vraiment malheureuse (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 320).
2. Vieilli. Ressentir, éprouver les suites, le contrecoup d'un événement. Le général Meunier, commandant la place de Cassel, fut blessé d'un éclat d'obus, dont il mourut quelques jours après. Toute la garnison sentit ce coup (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 112).
II. — [Le suj. désigne qqn ou qqc.]
A. — Exhaler, répandre (une odeur).
1. a) [Le compl. est un subst.] Sentir l'ail, le crottin, la cuisine, le jasmin, le poisson, la poussière, la rose. Je suis descendu, plié en deux, dans notre guitoune, petite cave basse, sentant le moisi et l'humidité (BARBUSSE, Feu, 1916, p. 18). Je trouvai ma mère très calme: — Tu sens l'eau-de-vie, me dit-elle. D'où viens-tu? (FRANCE, Vie fleur, 1922, p. 306).
— P. iron., fam. Ça ne sent pas la rose! (Ds Lar. Lang. fr.)Ça sent mauvais. (Ds Lar. Lang. fr.).
— P. métaph. Quand on lit à l'ombre d'un chêne les poèmes de Ronsard qui sentent le buis et le laurier, il semble que des apparitions furtives de hanches et de seins nus animent le lit des eaux paisibles (FAURE, Hist. art, 1914, p. 496).
b) [Suivi d'un adj. empl. adverbialement] Ces fleurs sentent bon; ce fromage sent fort. Il m'annonça qu'il ne se lavait plus, et que c'était pour cela que ça sentait si mauvais dans la pièce (GIDE, Si le grain, 1924, p. 476). Tante Aline les retournait [les souliers] dans tous les sens, en les astiquant avec une crème qui sentait très fort (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 47).
— Au fig., pop., fam. Sentir mauvais, ne pas sentir bon. Prendre une mauvaise tournure. Synon. tourner mal, se gâter. Je ne sais quel mic-mac il y a chez eux, dit la vieille fille, mais ça ne sent pas bon (...) Ce Florent (...) qu'est-ce que vous en pensez, vous autres? (ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 677). Au commencement, c'était varié, amusant, pittoresque, cette bataille insoluble entre mon règlement et les passagers. Mais ça commence à sentir mauvais. Ça dure. Ça s'éternise (AUDIBERTI, Quoat, 1946, 2e tabl., p. 79).
— Fam. [Suivi d'un compl. redoublé par l'adj.] Ça sent bon la rose, les fleurs. — Patron, je vous apporte mon lapin sauté. — Oh! oh! ça sent bon l'ail, dit Lecouvreur (DABIT, Hôtel Nord, 1929, p. 147).
♦ P. métaph. Si maladroites soient-elles [des peintures], le charme de leurs formules c'est d'être spontanées, variées, sincères, de sentir bon la vie (DORIVAL, Peintres XXe s., 1957, p. 19).
c) Absol. Cette viande, ce poisson commence à sentir. Ce qu'elle doit avoir chaud! Il caressa un peu la fourrure et un parfum tiède et lourd s'en dégagea. C'est donc ça qui sentait, tout à l'heure. Il caressait la fourrure à rebrousse-poil et il était content (SARTRE, Sursis, 1945, p. 193).
— En partic. [Le suj. désigne un cadavre] Lorsqu'il s'approcha, il reconnut que vraiment Forestier commençait à sentir; et il éloigna son fauteuil, car il n'aurait pu supporter longtemps cette odeur de pourriture (MAUPASS., Bel-Ami, 1885, p. 194).
— Sentir de + compl. désignant une partie du corps. Sentir des pieds, de la bouche. Depuis quèq' temps je r'marque (...) que tu sens fort des pieds! (COURTELINE, Train 8 h 47, 1888, p. 94).
2. Loc. fig. et fam.
♦ Sentir le brûlé, l'encre, le fagot, l'huile, la lampe, le roussi, le sapin.
— Vieilli
♦ Sentir la corde, l'échelle, le gibet, la lime, la mort, la potence. Être suspect, mériter la mort. (Dict. XIXe et XXe s.).
♦ Sentir son fruit. Répandre une odeur sui generis. Dans l'air chaud, une puanteur fade montait de tout ce linge sale remué. — Oh! là là, ça gazouille! dit Clémence, en se bouchant le nez. — Pardi! si c'était propre, on ne nous le donnerait pas, expliqua tranquillement Gervaise. Ça sent son fruit, quoi! (ZOLA, Assommoir, 1877, p. 505).
— Proverbe. La caque sent toujours le hareng.
B. — Révéler par l'odeur, le goût, la saveur de. Plat qui sent le brûlé; poisson qui sent la vase; vin qui sent le bouchon, l'aigre. J'accepte, pour plaire à Claudine, des bribes de chocolat grillé, qui sent un peu la fumée, beaucoup la praline (COLETTE, Cl. s'en va, 1903, p. 40). Là, peut-être, quelque vieille femme, à l'angle d'une rue noire, serrait-elle encore contre sa poitrine un pot fumant de ces châtaignes bouillies qui sentent l'anis (MAURIAC, Nœud vip., 1932, p. 286).
C. — Au fig. Présenter, révéler les caractères de.
1. [Le compl. désigne un inanimé concr. ou abstr.] Sentir le blasphème, la manigance, la ruse. Elle s'écrie: « On ne sait pas ce qu'on a dit sur moi, sur ma maison. On a dit que ça sentait la Cour d'Assises! » (GONCOURT, Journal, 1865, p. 187). Vêtu en traditionnel Gugusse d'hippodrome, tout, en Jarry, sentait l'apprêt (GIDE, Faux-monn., 1925, p. 1170). Sentir le terroir.
— En partic. [Le suj. et le compl. désignent un facteur climatique ou saisonnier] Dans les petites rues solitaires (...), des digitales roses que personne n'avait semées égayaient les murs gris; il y avait du vrai soleil, et tout sentait le printemps (LOTI, Mon frère Yves, 1883, p. 53). Un petit vent sec les saisit. Un de ces vents froids d'été, qui sentent déjà l'automne (MAUPASS., Une Vie, 1883, p. 59).
2. [Le compl. désigne une pers.] Sentir l'espion. Son visage respirait une certaine audace, un je ne sais quoi de belliqueux qui sentait bien plus le gentilhomme que le dévot (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 3, 1859, p. 373). Une délicatesse rusée, qui sentait l'homme de loi (BENJAMIN, Gaspard, 1915, p. 98).
— Vieilli. [Le compl. est précédé d'un poss.] Sentir son pédant. Monsieur de l'Estorade (...) n'a pas un nom assez européen pour qu'on s'intéressât au chevalier de l'Estorade, dont le nom sentait singulièrement son aventurier (BALZAC, Mém. jeunes mariées, 1842, p. 176). Démétrius voulait éblouir ses hôtes (...) son luxe barbare, ses chasses héroïques sentent fort son parvenu (MÉRIMÉE, Faux Démétrius, 1853, p. 237).
III. — Empl. pronom.
A. — [Le suj. désigne un être vivant doué de sensibilité]
1. Empl. pronom. réfl. dir.
a) Vieilli, absol. Avoir conscience de soi, de ses forces, de ses capacités. Ça me flatte, vois-tu, que tu aies reconnu sur ma figure que je n'étais pas une femme à laisser un enfant sur le pavé. On n'est pas riche, mais on se sent (MALOT, R. Kalbris, 1869, p. 199). Un jour, — je chaussais alors des culottes fendues au derrière, par prudence, — mon père me dit: — Si tu te sentais, nous irions jusqu'à notre vigne des Oulettes? (ARÈNE, Veine argile, 1896, p. 257).
— Se sentir de + inf. Se sentir la force, le courage de. — Hep, fait Maurras doucement. Ils s'arrêtent. Le pas clair de Gagou sonne devant eux. — Il va là-haut. — Ça semble. — Tu te sens d'y aller, la nuit? — À deux, oui; seul, j'aimerais mieux retourner (GIONO, Colline, 1929, p. 92).
— [Le suj. désigne un/une adolescent(e)] Commencer à se sentir. ,,Commencer à éprouver les premières impressions de la puberté`` (Ac. 1835, 1878).
— À la forme nég.
♦ Ne plus se sentir. Ne plus avoir conscience de son corps. On a craint pour moi une fièvre cérébrale (...) Mon corps était bien au lit sous l'apparence du sommeil, mais mon âme galopait dans je ne sais quelle planète. Pour parler tout simplement, je n'y étais plus et je ne me sentais plus (SAND, Corresp., t. 1, 1830, p. 107).
♦ Ne pas se sentir de/ne plus se sentir de + subst. Perdre le contrôle de soi sous l'effet d'une émotion forte. Le père Landriani (...) ne se sent pas de joie de voir sous ses ordres un del Dongo (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 175). Quand Kobus entendait la petite Sûzel soupirer tout bas: — Oh! que c'est beau! Cela lui donnait une ardeur [pour jouer du clavecin], mais une ardeur vraiment incroyable; il ne se sentait plus de bonheur (ERCKM.-CHATR., Ami Fritz, 1864, p. 96).
♦ Fam., mod. Ne plus se sentir. Perdre la tête, être fou, perdre le contrôle de soi.
b) Avoir conscience de l'état physique ou moral dans lequel on se trouve.
— [Suivi d'un adj. attribut] Se sentir complexé, coupable, fier, fiévreux, gai, heureux, impuissant, joyeux, libre, moite, triste; se sentir capable de. Mon vieux, je me sens réellement malade (BERNANOS, Crime, 1935, p. 821):
• 3. La culture, c'est pouvoir comprendre beaucoup de choses dans tous les domaines, dans le travail, dans la politique. La culture permet de ne pas se sentir inférieur; c'est se mettre en valeur pour tout ce que l'on sait.
B. SCHWARTZ, Pour éduc. perman., 1969, p. 75.
♦ Se sentir bien, se sentir mieux, ne pas se sentir bien, se sentir mal. Avoir conscience de se trouver dans de bonnes ou mauvaises conditions physiques ou morales. César: Bonjour, petite... Tu te sens mieux? Fanny: Mais oui, je me sens très bien (PAGNOL, Fanny, 1932, I, 1er tabl., 4, p. 18).
— [Suivi d'un compl.] Se sentir à l'aise, à bout de forces; se sentir maître de soi, en sécurité, dans son droit, dans l'obligation de; se sentir en faute, sans défense. Lorsqu'il se trouvait assis devant la cheminée en compagnie de femme et enfant, il se sentait un homme content et plein de bons sentiments (BEER 1939, p. 80).
— [Suivi d'une inf.] Se sentir étouffer, mourir, revivre, rougir. Qu'allait-il répondre à son père? Il se sentit défaillir (MARTIN DU G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 665).
♦ Loc. pop. Ne plus se sentir pisser. P. ell. Je pouvais plus te tenir, plus t'approcher, tu ne te sentais plus. Tu étais devenu d'une suffisance insupportable (Le Monde, 22 juin 1988, p. 48, col. 5).
2. Empl. pronom. réfl. indir. Reconnaître, percevoir en soi une disposition, une inclination d'ordre physique, intellectuel, moral. Se sentir du dégoût, de la volonté, du zèle; se sentir le courage de, le désir de; se sentir une faim de loup. Mon père... Ah!... je me sens une angoisse! (CHÂTEAUBRIANT, Lourdines, 1911, p. 146). L'eau du lavoir continue de ruisseler sur les visages, les cous et les mains. Elle efface le souvenir de l'effort et de la peine. Et ces hommes qui se croyaient épuisés en arrivant se sentent une force nouvelle (BORDEAUX, Fort de Vaux, 1916, p. 109).
— Loc. Ne pas se sentir le cœur à, de. Ne pas avoir le désir, le courage à, de. Je ne me sens pas le cœur d'épouser quelque douairière, contemporaine du roi Charlemagne (BANVILLE, Gringoire, 1866, 5, p. 40).
3. Empl. pronom. réciproque, pop. Se sentir les coudes. S'appuyer mutuellement, se soutenir. Synon. se serrer les coudes (v. coude). Une seconde d'hésitation devant la terre bouleversée, la plaine nue: on attendait de voir sortir quelques copains pour se sentir les coudes, puis un dernier regard derrière soi... Et sans un cri, tragique, silencieuse, la compagnie disloquée s'élança (DORGELÈS, Croix de bois, 1919, p. 285).
B. — [Le suj. désigne un inanimé concr. ou abstr.] Empl. pronom. à sens passif
1. Être perceptible. On entend communément par intermittence une suspension subite et momentanée du pouls, pendant laquelle l'artère affaissée ne se sent plus sous le doigt (LAENNEC, Auscult., t. 2, 1819, p. 233). Le bonheur se sent en soi ainsi qu'un fruit qui est plein de sa saveur (SAINT-EXUP., Citad., 1944, p. 593).
2. Loc. Cela/ça se sent
a) Cela se devine, cela n'a pas besoin d'être démontré, prouvé. Il n'avait pas l'occasion, aux Sables, de voir souvent de pareils spectacles et il en restait chaviré. Cela se sentait à sa façon de dire là-bas (SIMENON, Vac. Maigret, 1948, p. 89). Nous poussions rarement plus avant nos commentaires; il détestait s'appesantir. Souvent, si je lui demandais un éclaircissement, il souriait et me citait Cocteau: « C'est comme les accidents de chemin de fer: ça se sent, ça ne s'explique pas » (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 201).
b) Fam. Cela est perceptible, appréciable. Une couverture en plus, ça se sent en hiver. — En mars, reprit-il, c'est étonnant, de pouvoir ainsi rester dehors, comme en été. — Oh! dit-elle, dès que le soleil monte ça se sent bien (ZOLA, Bête hum., 1890, p. 109).
C. — Vieilli, littér. Se sentir de
1. [Le suj. désigne une pers.]
a) Continuer à éprouver les effets d'un mal physique. Synon. ressentir (v. ce mot II A). Il a eu une fièvre quarte dont il se sent encore (Ac. 1835, 1878). Il se sentira longtemps de cette blessure (Ac. 1835, 1878).
b) Éprouver l'influence de, subir les suites, le contrecoup de. Synon. ressentir (v. ce mot II A). Il a fait une grande perte au jeu, il s'en sentira longtemps (Ac. 1835, 1878). Un cœur noble se sent de sa noble origine (DELILLE, Énéide, t. 2, 1804, p. 3).
2. [Le suj. désigne un inanimé concr. ou abstr.] Subir les conséquences de. Mon travail de ce soir se sentira de ma mélancolie (DESMOULINS ds Vx Cordelier, 1793-94, p. 147). Les pauvres dieux de marbre (...) se sentent de leur long séjour dans la terre humide (TAINE, Voy. Ital., t. 1, 1866, p. 133).
Prononc. et Orth.:[], (il) sent []. Att. ds Ac. de p. 1694. Étymol. et Hist. I. Trans. et intrans. A. 1. Ca 1100 « percevoir, saisir quelque chose par intuition » (Roland, éd. J. Bédier, 1952: Oliviers sent que a mort est feruz); 2. a) déb. XIIe s. « connaître, saisir, comprendre en faisant usage de la raison, du jugement » (St Brendan, éd. I. Short et B. Merrilees, 72); b) 1774-76 « penser, juger, être d'avis » (GUERNES DE PONT-STE-MAXENCE, St Thomas, 846 ds T.-L.); ca 1470 faire sentir « faire connaître, faire comprendre » (CHASTELLAIN ds DOCHEZ d'apr. FEW t. 12, p. 471a); cf. 1580 je lui ferai sentir que c'est temerité (R. GARNIER, Antigone, IV, 2302 ds Les Tragédies, éd. W. Foerster, t. III, p. 80); 3. 1555 « prendre conscience de quelque chose d'une façon plus ou moins claire ou explicite » (RONSARD, Odes, XVIII, 9 ds Œuvres compl., éd. P. Laumonier, t. 7, p. 102); 1690 se faire sentir « se manifester de façon sensible, apparente » (FUR.); 4. a) 1694 « avoir l'appréciation de ce qui est beau dans une œuvre » (SÉVIGNÉ, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 3, p. 1068); b) 1769 senti part. passé adj. « rendu, exprimé avec vérité » raccourci mal senti (DIDEROT, Salon de 1769 ds Œuvres compl., éd. J. Assézat, t. 11, p. 391). B. 1. a) 1121-34 « percevoir par l'odorat » (PHILIPPE DE THAON, Bestiaire, éd. E. Walberg, 406); 1530 « humer » (PALSGR., p. 722); d'où 1671 fig. sentir qqn de loin (Th. CORN., Comt. d'Orgueil, IV, 8 ds LITTRÉ); 1788 ne pas pouvoir sentir qqn (FÉR.); 1819 ils ne peuvent pas se sentir (BOISTE); b) ca 1135 « recevoir une impression par le moyen des sens » (Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, rédaction AB, 1670); 2. a) 1135 « subir quelque chose, en supporter les effets » (WACE, Vie Ste Marguerite, 338 ds T.-L.); b) ca 1220 faire sentir « faire éprouver » fist ... sentir son pooir et sa force (JEAN RENART, Lai Ombre, éd. F. Lecoy, 122-123). C. 1. a) 1160 « éprouver un sentiment, ressentir » (Enéas, 1828 ds T.-L.); 1662 absol. « réagir de manière affective » (PASCAL, Pensées, éd. L. Lafuma, n ° 44, p. 504); b) 1672 ne rien sentir pour qqn (Th. CORN., Ariane, I, 1 ds LITTRÉ); 2. fin XIIe-déb. XIIIe s. « ressentir un fait qui touche ou heurte la sensibilité » (CHASTELAIN DE COUCI, Chansons, éd. A. Lerond, XI, 12); 1689 sentir de + inf. « éprouver du déplaisir, de la peine de » (SÉVIGNÉ, op. cit., p. 582). II. Trans. et intrans. A. 1225-50 « exhaler, répandre l'odeur de » (Venus, 186c ds T.-L.); 1530 sentir bon (PALSGR., p. 722); 1656 fig. sentir le bâton (MOLIÈRE, Dépit amoureux, III, 3); 1594 sentir le fagot (Satyre Menippée, 87 [Charpentier] ds QUEM. DDL t. 15, s.v. fagot). B. 1. 1450 sentir ... son lieu sauvaige « avoir le caractère du lieu d'où l'on vient » (Mist. vieux Testament, éd. J. de Rothschild, 11660); 2. 1635 « avoir le goût, la saveur de » (MONET). C. 1527 « avoir le caractère, les manières, l'air de quelqu'un, de quelque chose » (d'apr. FEW t. 12, p. 469a); 1558 avec un poss. (B. DES PÉRIERS, Nouv. récréations et joyeux devis, éd. K. Kasprzyk, p. 165). III. Pronom. A. 1. Ca 1100 « avoir conscience de son propre état » quant se sent abatut (Roland, 2083); 2. 1580 « percevoir en soi la présence d'une inclination, d'un état physique, affectif ou moral » se sentant encore quelque reste de vie (MONTAIGNE, Essais, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, II, III, p. 356); 3. 1662 « avoir conscience de soi, de son existence, de ses possibilités » (MOLIÈRE, École des femmes, V, 4, 1504); 1668 ne pas se sentir de (LA FONTAINE, Fables, I, 2, 10 ds Œuvres, éd. H. Régnier, t. 1, p. 63). B. Déb. XIIe s. « se ressentir de quelque chose » del freid ... me sente (St Brendan, 1396). C. 1. 1637 « (d'une chose) être éprouvé, perçu par les sens » (DESCARTES, Météores, Discours premier ds Œuvres philos., éd. F. Alquié, t. 1, p. 723); 2. 1662 « être perçu par l'esprit ou appréhendé par la sensibilité, l'intuition » (PASCAL, op. cit., n ° 110, p. 512). Du lat. class. « percevoir par les sens (les sons, les sensations de plaisir, de douleur, etc.) et par l'intelligence », sens largement maintenu dans toute la Romania: ital. sentire, esp.-cat.-port. sentir (v. FEW t. 11, p. 472a); le sens de « sentir », qui ne semble pas att. en lat. mais bien celui de « goûter, savourer » qui lui est très proche, est très bien représenté en gallo-rom. et se présente aussi bien sous la forme active au sens de « percevoir une odeur » que passive, au sens de « exhaler une odeur », se comportant en cela comme son concurrent fragrare, v. flairer; au sens de « exhaler une odeur » sentir a éliminé l'a. fr. oloir, ca 1165 (BENOÎT DE STE-MAURE, Troie, 12894 ds T.-L.) du lat. olere « id. », d'où aussi l'esp. oler. Fréq. abs. littér.:34 192. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 39 547, b) 46 003; XXe s.: a) 51 144, b) 56 263. Bbg. DANELL (K. J.). Rem. sur la constr. dite causative: faire (laisser, voir, entendre, sentir) + inf. Stockholm, 1979, 123 p. — GOHIN 1903, p. 339. — KLEIN (F.-J.). Lexematische Untersuchungen zum frz. Verbalwort-schatz... Genève, 1981, pp. 186-190. — LERCH (E.). Sentir... Archivum Romanicum. 1941, t. 25, pp. 303-346. — ORR (J.). Words and sounds. Oxford, 1953, pp. 209-214. — PETREI (A.). Zu frz. sentir v. und sensation n. fr. Klagenfurt, 1983, 88 p. — QUEM. DDL t. 13, 15, 19, 23, 27, 34.
sentir [sɑ̃tiʀ] v. tr. [CONJUG. partir.]
ÉTYM. 1080, Chanson de Roland; du lat. sentire.
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I V. tr. (En parlant d'un être sensible, I.).
1 Être informé, par la voie sensorielle ou la voie de la sensibilité (superficielle ou profonde), quant à (une qualité, un fait, un objet sensible); avoir la sensation ou la perception de… ⇒ Percevoir. || Sentir la chaleur (→ 1. Marron, cit. 2), le froid, la fraîcheur (→ 1. Mousse cit. 3). || Sentir une pression (→ Durcir, cit. 1), une étreinte (cit. 5). || Sentir sous sa main un battement (→ 1. Noyer, cit. 16), un mouvement (→ Phlegmon, cit.), une résistance (cit. 1). || Une saveur âcre (cit. 1) qu'elle sentait dans sa bouche. || Sentir une douleur, un frisson (→ Fatal, cit. 8; fourreau, cit. 1), une contraction à l'épigastre (cit.). || Anesthésique (cit. 1) grâce auquel on ne sent rien. || Malade qui ne sent pas son mal (→ Optimisme, cit. 1). || Je ne sens jamais la fatigue (→ Merci, cit. 20). || Elle ne sentait plus sa faim (cit. 5). || Sentir un plaisir, le plaisir (→ Immatériel, cit. 2; inciter, cit. 3; naître, cit. 9). — Sentir un souffle (→ Gonfler, cit. 3). || Ces pluies (cit. 3) si fines qu'on ne sent pas les gouttes. || « Ne sentant ni pluie ni frimas » (→ Démon, cit. 11, Chateaubriand). || Sous sa paume il sentit le drap (cit. 2) rêche de la tunique. || Sentir par tous les sens l'objet qu'on aime (cit. 37). — Absolt. || Exercer (cit. 3) les sens, c'est apprendre à sentir. || Nous sentons malgré nous (→ Frapper, cit. 34). || La main (cit. 15) sent et agit. — Fam. || Sentir ses bras, ses jambes, y sentir des douleurs, des courbatures (→ ci-dessous cit. 3). || Ne plus sentir ses jambes, ses pieds, les avoir presque insensibles du fait d'un excès de fatigue.
1 (…) il fallait un terme particulier pour exprimer cette sorte d'affectivité. On a choisi le terme sensibilité organique au lieu d'irritabilité, comme plus propre à signifier cette propriété générale, en vertu de laquelle chaque partie de l'organisation vivante est dite sentir les impressions qu'elle reçoit immédiatement.
Maine de Biran, Du physique et du moral de l'homme, I, §V.
2 Tels des enfants, s'ils ont pris un oiseau des cieux,
S'appellent en riant et s'étonnent, joyeux,
De sentir dans leur main la douceur de ses plumes.
Hugo, les Contemplations, V, X.
3 — Ah ! ma petite, dit Palmyre de sa voix dolente, on voit bien que tu es jeune … Demain, tu sentiras tes bras. Mais elles n'étaient point seules, tout Rognes fauchait et fanait dans les prés, autour d'elles.
Zola, la Terre, II, IV.
4 Apaisement factice, qui ne dura qu'un instant. Comme un blessé qui, d'abord, n'a pas senti le coup, mais dont la plaie s'ouvre soudain et saigne, une douleur aiguë le pénétra (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. VII, p. 246.
♦ Avoir la sensation de (une odeur, une chose odorante). ⇒ Flairer, renifler. || Sentir une odeur (→ Farine, cit. 2; léger, cit. 12; nez, cit. 1), un parfum (→ Fort, cit. 23), des émanations (→ Oiseau, cit. 7), une haleine (→ Halener). || Sentir une mauvaise odeur. ⇒ Prise (prendre une). || L'ogre sentait la chair fraîche (1. Frais, cit. 23). || Sentir une plante, une fleur (→ Jasmin, cit. 2). ☑ Cheval qui sent l'écurie (fig. ⇒ Écurie). || Sentir qqch. de loin. ⇒ Subodorer (au propre et au fig.). — Par ext. Appliquer son odorat à… ⇒ Humer, respirer. || Sentir un flacon de sels. || Sentez-moi ce foie gras !
5 (Les chevaux) marquent au contraire beaucoup d'empressement pour revenir au gîte (…) après avoir été excédés de fatigue, le lieu du repos est un lieu de délices, ils le sentent de loin, ils savent le reconnaître au milieu des plus grandes villes (…)
Buffon, Hist. nat. des animaux, Le cheval.
6 Et grave, il dit : Je sens une odeur de panthère,
Comme si je passais dans les monts de Tunis.
Hugo, la Légende des siècles, XV, II, VI.
♦ ☑ Loc. fam. Ne pas pouvoir sentir qqn, avoir pour lui la plus vive aversion, comme si son odeur était insupportable. ⇒ Détester, haïr; et aussi souffrir (ne pouvoir).
6.1 Un Garçon aussi raisonnable, aussi rangé, qui n'a aucun des défauts de nos jeunes Parisiens : car, vrai, Monsieur Edmond, je ne les saurais sentir.
Restif de La Bretonne, la Vie de mon père, p. 86.
2 Avoir ou prendre conscience de…, d'une façon plus ou moins nette. ⇒ Sentiment (II., 1.). || Ils sentent leur supériorité (→ Abuser, cit. 17). || Je sens ma faute (→ Excuser, cit. 17), mon malheur (→ Dessiller, cit. 2), mon insuffisance (cit. 2), ma faiblesse (→ Moment, cit. 14). || Ne pas sentir sa force. || Sentir en soi une présence (→ Fureur, cit. 3), un dieu (→ Indicible, cit. 5). || « Que de vie je sens au fond de mon âme ! » (→ Langage, cit. 29, Chateaubriand). || « Ils sentent alors leur néant sans le connaître » (→ Ennui, cit. 23, Pascal). || Je ne sens pas trop mon âge (→ Jouvence, cit. 3). || Sentir amèrement (cit. 2) le vide de son existence. || Sentir un besoin (→ Heureux, cit. 36; marge, cit. 5).
7 Le plus grand de nos besoins, le seul auquel nous pouvons pourvoir, est celui de sentir nos besoins; et le premier pas pour sortir de notre misère est de la connaître.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, VI, VI.
8 La meilleure santé, c'est de ne pas sentir sa santé.
J. Renard, Journal, 14 juil. 1896.
3 Connaître ou reconnaître par l'intuition (⇒ Instinct). || Sentir en qqn un caractère, une qualité (→ Assujettir, cit. 20; frénésie, cit. 5; incliner, cit. 22; magnétiser, cit. 2). ⇒ Deviner, discerner, pénétrer. || J'ai senti sous le laconisme (cit. 3) de vos lettres un peu d'affection. || Je ne sens point entre eux et leur œuvre de relation (cit. 3) secrète. || Sentir le prix (cit. 14), la force (→ Ensorcellement, cit. 2), la faiblesse (cit. 21), l'avantage (→ 1. Gens, cit. 15), l'inanité (cit. 4) de… (qqch., qqn). ⇒ Découvrir. || Sentir par avance (cit. 10), d'avance (→ Hélas, cit. 9), à l'avance (→ Approche, cit. 23)… ⇒ Pressentir, prévoir. || « Ce mais ! (cit. 31, Rostand) Sentez-vous tout ce que ce mais veut dire ? » (→ aussi 2. Idéal, cit. 15; naturel, cit. 30). ⇒ Comprendre. || Expression dont le sens n'est plus senti (→ 1. Devoir, cit. 30), qui est sentie comme… (→ Reprendre, cit. 10). || Avec son flair (cit. 4) inquiet, elle le sentait. Absolt. || Raisonner là où il faut sentir est le propre des âmes sans portée (→ Mesquin, cit. 4). — (Compl. n. de personne). || Par une seconde vue, il connut, sentit les héros (cit. 13; → aussi Donneur, cit. 5). — Spécialt (par une intuition mystique). || « C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison » (→ Foi, cit. 31, Pascal; et aussi âme, cit. 16).
9 Ce que notre instinct sentait, sans l'expliquer, c'est à notre raison de le prouver aujourd'hui.
R. Rolland, Vie de Tolstoï, p. 5.
10 Ils éprouvaient aussi un remords, ou mieux une vexation, d'amour-propre, de ne pas avoir senti plus tôt ce qu'il y avait chez Laulerque, sous la pétulance, de réflexions étendues, de conviction raisonnée, et aussi de sang-froid presque effrayant.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, X, p. 107.
4 Avoir un sentiment (II., 2.) esthétique de (qqch.). ⇒ Apprécier, goûter; et → Goût, cit. 15. || Sentir le beau (→ Prédiction, cit. 2), le mérite d'un livre (→ Faveur, cit. 26), les délicatesses (cit. 7) d'un art… (→ aussi Attique, cit. 7). || La musique déroute (cit. 2) ceux qui ne la sentent pas. || L'homme de goût sent ce qui échappe aux hommes moins exercés (cit. 47).
11 En France, l'esprit étouffe le sentiment. De ce vice national procèdent tous les malheurs que les arts y éprouvent. Nous comprenons à merveille l'art en lui-même, nous ne manquons pas d'une certaine habileté pour en apprécier les œuvres, mais nous ne les sentons pas.
Balzac, Des artistes, I, in Œ. diverses, t. I, p. 351.
12 Notre certitude, c'était notre émotion et notre sensation de la beauté; et quand nous nous retrouvions, le dimanche, aux concerts Lamoureux (…) une atmosphère extraordinaire se composait. Nous sortions du cirque en fanatiques (…) de l'art (…) Nous avions senti; et ce que nous avions senti nous donnait la force de résister à toutes les occasions de dispersion (…) de la vie (…)
Valéry, Variété, Théorie poétique et esthétique, Œ., t. I, Pl., p. 1381.
12.1 Et j'ai décidé de reprendre le haut, je trouve la lumière trop jolie. Mais je crois que la toile ne vient pas mal. Je la sens. Je l'ai dans les doigts.
M. Aymé, le Vin de Paris, « La bonne peinture », p. 173.
5 (Dans le domaine affectif). Être affecté agréablement ou désagréablement par (qqch.). ⇒ Éprouver (cit. 23); ressentir; et aussi émotion; sentiment (III.). || Sentir de l'amour (→ Amitié, cit. 11; cacher, cit. 13; feindre, cit. 3). || « Son cœur de ce qu'il sent n'est pas bien sûr lui-même » (→ Croire, cit. 39, Molière). || Sentir un désappointement (cit. 3), une sorte d'effroi (cit. 2), la colère (→ Emporter, cit. 49), la peur (→ 2. Froid, cit. 20), une pitié profonde (→ Grandeur, cit. 27), de l'admiration (→ Monument, cit. 5), le remords (cit. 6)… || « Je sens des extases, des ravissements inexprimables… » (→ Nature, cit. 51, Rousseau). || « Que personne avant nous n'a senti la douleur » (cit. 15, Musset). || Les gens qui ne sentent rien. ⇒ Insensible (→ Étourdir, cit. 15). || Moins on sent une chose, plus on est apte (cit. 2) à l'exprimer. || « Le cœur sent rarement ce que la bouche (cit. 16) exprime ». || Sentir les impressions qu'on doit rendre (cit. 46).
13 Je veux croire que vous sentez ce que vous dites, et je ne doute point que vos paroles ne soient sincères (…)
Molière, les Fourberies de Scapin, I, 3.
14 Hippolyte est sensible, et ne sent rien pour moi !
Racine, Phèdre, IV, 5.
15 (…) qui ne sent que l'amour ne sent pas ce qu'il y a de plus doux dans la vie.
Rousseau, les Confessions, III.
16 C'est une chose belle et entraînante que la lutte d'un peuple qui ne veut pas mourir, et je sens pour la Turquie un peu de cet élan que je sentirais pour mon pays, s'il était menacé comme elle, et en danger de mort.
Loti, Aziyadé, III, XXXVIII.
♦ Absolt. || Façon de sentir et façon de penser (→ Emprunter, cit. 17; fuseau, cit. 5; intelligent, cit. 6). || Une manière (cit. 4) de sentir vive et forte (→ aussi Lyrique, cit. 5). || « Bien écrire (cit. 50), c'est tout à la fois bien penser, bien sentir et bien rendre » (Buffon). || Sentir vivement, profondément (→ Entrailles, cit. 12; indulgent, cit. 5). || « J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie » (→ Oublier, cit. 7, Lamartine). || Sentir par sentiments « tout faits » (→ Faire, cit. 270, Péguy). — REM. Dans cet emploi absolu, sentir n'a pas une valeur strictement affective et peut recouvrir certains des sens précédemment étudiés.
17 On dirait que mon cœur et mon esprit n'appartiennent pas au même individu. Le sentiment plus prompt que l'éclair vient de remplir mon âme, mais au lieu de m'éclairer il me brûle et m'éblouit. Je sens tout et je ne vois rien. Je suis emporté mais stupide; il faut que je sois de sang-froid pour penser (…) Cette lenteur de penser jointe à cette vivacité de sentir (…) je l'ai même seul et quand je travaille.
Rousseau, les Confessions, III.
18 Je sens, est le seul mot de l'homme qui ne veut que des vérités. Et ce qui fait la certitude de mon être, en est aussi le supplice. Je sens, j'existe pour me consumer en désirs indomptables, pour m'abreuver de la séduction d'un monde phantastique (sic), pour rester atterré de sa voluptueuse erreur.
É. de Senancour, Oberman, LXIII.
19 Il a seulement senti durant toute sa vie; et, à cet égard, sa sensibilité est montée à un degré qui passe tout ce que j'ai vu jusqu'ici; mais elle lui donne un sentiment plus aigu de peine que de plaisir.
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 29 avr. 1850.
♦ N. m. || Le sentir : le fait de sentir.
6 Sentir, employé comme verbe de perception avec d'autres compléments que le complément d'objet direct, et dans un des sens ci-dessus (surtout les sens 1. à 3.).
a (Suivi d'une infinitive). || Il sentait une sourde agitation (cit. 15) le gagner. || « J'ai cru sentir le temps s'arrêter (cit. 61) dans mon cœur » (Musset). || Sentant passer la mort (→ Attarder, cit. 6), augmenter (cit. 19) son inquiétude. || Il sentit battre le pouls (cit. 4).
b (Suivi d'une complétive). || « Je sens que je suis en train de devenir dieu » (→ Apothéose, cit. 2). || Même quand l'oiseau marche, on sent qu'il a des ailes (→ Même, III., rem. 1.). || Il sentait que cette aventure lui ferait tort (→ Empêtrer, cit. 8). || Tout le monde sent bien, sent aisément que… (→ Assembler, cit. 7; fonction, cit. 13). ⇒ Apparaître (il apparaît), constater, savoir. || Je sais et je sens que… (→ 1. Goûter, cit. 5). || « Ou (cit. 37) plutôt je sentis que je l'aimais toujours » (Racine).
c (Suivi d'une interrogative indirecte). || Sentir combien il est difficile (→ Impérieux, cit. 9), en quoi il se différencie (→ Minauderie, cit. 4), quelle farce… (→ Ni, cit. 3), à quel point… (→ Retrouver, cit. 21).
d (Suivi d'un attribut du compl). || « Et que je te sens froide en te touchant, ô mort… » (→ Noir, cit. 31, Hugo). || « Un riche laboureur (cit. 3), sentant sa mort prochaine » (La Fontaine).
e (Suivi d'un compl. déterminé par une relative). || Il sentit quelqu'un qui lui tapait sur l'épaule (→ Ficher, cit. 4). || Je sentis une main qui prenait hardiment (cit. 1) la mienne. || Je sentais comme une fontaine de miséricorde qui s'épanchait (cit. 14) du haut du ciel. — REM. Ce tour, qui équivaut à une infinitive ou à une complétive, a quelque chose de plus vif et de plus direct : « le terme qui sert d'antécédent se dégage avec plus de relief » (Le Bidois).
20 (…) ayant été appelée pour aider un jeune Arabe, blessé aux jambes, à marcher depuis la salle jusqu'à l'auto qui devait l'emporter, elle le sentit appuyé totalement contre elle, elle sentit ce bras serré autour de son cou dans un enlacement où était la force des muscles, elle sentit cette main veloutée qui lui effleurait la joue (…)
Montherlant, le Songe, II, XVI.
7 Faire sentir (qqch.) à (qqn) : faire que qqn sente… (aux sens 2 à 5). || Il lui fit sentir l'imprudence de son équipée (cit. 4). || Une chose dont il faut faire sentir l'extravagance (cit. 3) à ceux qui… || Faire sentir à qqn que… (→ Dieu, cit. 35; hôte, cit. 10; protection, cit. 7). — (Avec ellipse du compl. indirect). || Je voudrais essayer ici de faire sentir ce défaut (→ Doigt, cit. 13). || La Providence fait sentir sa main (cit. 60) de temps en temps. || Faire sentir le rythme (⇒ Marquer), une lettre (⇒ Prononcer).
21 (…) il faut, avec une seule teinte noire, rendre la couleur générale du maître, faire sentir s'il est clair ou ténébreux, chaud ou froid, blond ou bleuâtre, clair comme Paul Véronèse ou ténébreux comme Caravage, chaud comme Rubens ou froid comme Holbein (…)
Th. Gautier, Souvenirs de théâtre…, « Noces de Cana ».
21.1 (…) on ne peut même pas dire que le beau-père lui « fit sentir » (…) qu'il avait quelque chose à faire pour mériter sa bonne fortune, pour faire ses preuves.
F. Mallet-Joris, le Jeu du souterrain, p. 70.
♦ Se faire sentir : devenir sensible (II.). ⇒ Apparaître, exercer (s'), manifester (se). || Douleur qui se fait sentir (→ Inflammation, cit. 3). || Les passions se font plus tôt sentir dans ces climats (→ Majeur, cit. 5). || Le besoin ne s'en fait pas sentir (→ Pronunciamiento, cit. 2). || Contrecoup, effet, phénomène, action… qui se fait sentir (→ Bosse, cit. 4; hellénisation, cit. 2; palpitation, cit. 4; planète, cit. 2; protection, cit. 6).
———
II (Déb. XIVe; avec un compl. qui n'exprime pas l'objet de l'action, mais une qualité du sujet).
1 Dégager, répandre une odeur de… ⇒ Fleurer, odorer. || Cellier (cit. 2) qui sent le bois. || Le marché (cit. 26) maure sentait le suint. || La pièce sent le renfermé, le moisi (cit. 6). || Son manteau sent le mouillé (cit. 14). || Cela sent l'huile, l'ail… (→ Odeur, cit. 3). — ☑ Loc. Sentir son fruit (vieilli) : répandre une odeur désagréable, sui generis. — Des fleurs qui ne sentent rien (→ Académie, cit. 5). — (Suivi d'un adj. employé adv.). || Les lilas qui sentent si bon, qui répandent une si bonne odeur. ⇒ Embaumer (→ 1. Flétrir, cit. 2). || Ce poisson sent mauvais. || Pipe qui sent fort. || « Une femme en toilette fine, charmante et sentant frais » (→ Parfumer, cit. 2, Flaubert). — Avec le compl. redoublé par l'adj. || Ça sent bon la rose.
22 (…) une puanteur fade montait de tout ce linge sale remué. — Oh ! la, la, ça gazouille ! dit Clémence, en se bouchant le nez. — Pardi ! si c'était propre, on ne nous le donnerait pas (…) Ça sent son fruit, quoi !
Zola, l'Assommoir, V, t. I, p. 178.
23 L'été aussi tout sentait fort. Il n'y avait plus d'air dans la cour, rien que des odeurs.
Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 245.
♦ Absolt. Sentir mauvais. ⇒ Puer. || Cette viande commence à sentir. || « C'est, dit-il, un cadavre (cit. 1), ôtons-nous, car il sent » (La Fontaine). — Exhaler une odeur. || C'est donc ça qui sentait (→ Fourrure, cit. 3).
24 C'est un garçon qui ne se lave pas, je vous l'affirme. Il doit sentir des pieds, et d'ailleurs.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. VIII, VIII, p. 80.
♦ Par métaphore. ☑ Sentir le fagot, le brûlé, le roussi. ☑ Sentir le sapin. ☑ Sentir la hart, la corde, le gibet, l'échelle. ☑ Ouvrage qui sent l'huile, la lampe, la lime. || Style livresque (cit. 2) qui sent l'encre. ☑ Prov. La caque sent toujours le hareng. — ☑ Ça sent mauvais, ça commence à sentir mauvais : les choses tournent mal, prennent une fâcheuse tournure.
25 — Ça sent mauvais, dit Charlot.
— Ça sent le roussi.
— Non, je dis : s'ils brûlent les archives, ça sent mauvais.
— Eh bien oui : ça sent mauvais, ça sent le roussi. C'est ce que je dis.
Ils rirent.
Sartre, la Mort dans l'âme, p. 65.
2 Vieilli. Avoir un goût, une saveur de… || Cette carpe sent la vase (Académie). || Vin qui sent le terroir; par métaphore. ⇒ Terroir.
3 Fig. Donner une impression de…, évoquer à l'esprit l'idée que… ⇒ Indiquer, révéler. || Plaisanteries, ton qui sent le corps de garde, la garnison (→ Fredaine, cit. 3), la barrière (→ Gras, cit. 34). ☑ Sentir l'école. || Muscadin (cit. 2) dont les manières sentent la bonne compagnie. || Ces vers sentent un peu le mirliton (cit. 2). || Rien en lui ne sent le métier (→ Honnête, cit. 19). || La littérature sentait le factice (cit. 9). || Sentir l'hérésie. — Vieilli (avec un possessif devant le compl.). || « Certain enfant qui sentait son collège… » (→ Gâter, cit. 25, La Fontaine). — REM. Dans cet emploi figuré, le sens propre est parfois rappelé par une expression comme à plein nez, d'une lieue (cit. 5), de loin, etc.
26 Tout cela sent un peu sa comédie (…)
Molière, le Bourgeois gentilhomme, III, 13.
27 Mme de Vercellis ne m'a jamais dit un mot qui sentît l'affection, la pitié, la bienveillance.
Rousseau, les Confessions, II.
28 Ces gentilshommes de province, qui sentaient encore à plein nez leur monarchie (…)
Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques, « Le bonheur dans le crime », p. 139.
29 (…) Justin fléchit le genou, en un geste charmant qui sentait un peu son théâtre, et il demanda la permission de lui baiser le bout des doigts.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, II, XX.
♦ Ce langage sent un peu trop le poète (→ Humainement, cit. 3). || Cela sent le pédant (cit. 6), le magister (cit. 2). || Cette phrase qui sent l'étranger (→ Ignorant, cit. 8). — (Avec un possessif devant le compl.). || « Votre conseil sent son homme qui a envie de se défaire de sa marchandise » (cit. 1, Molière). || « Ils sentent leurs bourgeois qui ont pignon (1. Pignon, cit. 5) sur rue » (Pascal).
30 Ne voix-tu rien en moi qui sente l'écolier ?
Corneille, le Menteur, I, 1.
31 Tu as une vie moins canaille que la mienne et qui sent plus son gentilhomme !
Flaubert, Correspondance, 71, déc. 1842.
——————
se sentir v. pron.
1 (Passif). Être senti. || « La maladie se sent, la santé peu ou point » (→ Oindre, cit. 3, Montaigne). || « Le vrai bonheur ne se décrit (cit. 7) pas, il se sent » (Rousseau). || L'approche de l'ennemi se sentait à… (certains signes). → 2. Garde, cit. 13. || « Les principes se sentent, les propositions se concluent » (cit. 19, Pascal). || Mais voyons, ça se sent !, c'est une chose qu'on sent, qui n'a pas besoin de démonstration.
2 (Réfléchi direct). || Se sentir (vx) : se posséder avoir conscience de soi, de ses forces; être maître de soi. — ☑ (De nos jours, sous la forme négative). « À ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie » (cit. 15, La Fontaine), est hors de soi par excès de joie. ⇒ Transporté. — Fam. || Tu ne te sens plus ? : tu perds la tête ? tu n'es pas un peu fou ?
32 Je suis dans une colère, que je ne me sens pas.
Molière, le Mariage forcé, 4.
33 Ah ! que vous m'obligez ! Je ne me sens pas d'aise.
Racine, les Plaideurs, I. 7.
♦ (Suivi d'une infinitive). Avoir l'impression de. || Ces heures où l'on en arrive à ne plus se sentir vivre, à ne plus sentir qu'on vit (→ Accablant, cit. 5; et aussi archet, cit. 2). || Il se sentait renaître (cit. 6). || Il se sentit rougir (→ Gauchement, cit. 2). — (Inf. à valeur de passif). || « De mille doux frissons (cit. 16) vous vous sentez saisir » (Molière), vous sentez que vous êtes saisi (→ aussi Jamais, cit. 26). || Il se sentit mordre au gras de la jambe (→ Pelu, cit. 1).
34 « De ses bras innocents je me sentis presser » (Rac., Ath., 254). Que la proposition infinitive s'unisse à son complément par de ou par, sa supériorité sur le participe passé passif tient à ce qu'elle énonce l'action d'une manière vive et frappante, et qu'elle ne l'énonce pas comme faite, mais comme se faisant au moment qu'indique la phrase.
G. et R. Le Bidois, Syntaxe du franç. moderne, §1254.
♦ ☑ Loc. fam. Il (ne) se sent plus pisser : il se laisse aller à la prétention.
♦ (Suivi d'un attribut, ou d'un adv., d'un compl. d'état, de lieu, etc.). Avoir l'impression, le sentiment d'être… ⇒ Trouver (se). || Se sentir joyeux ou triste (→ Âme, cit. 57). || Se sentir apte (cit. 6) à…, capable (cit. 14) de… || Se sentir libre (→ Liberté, cit. 34)… — Se sentir dépaysé (cit. 6), fini (cit. 32), intimidé (cit. 7). || « Je me sentis connue encor (cit. 17) plus que blessée » (Valéry). — Se sentir sans courage pour affronter (cit. 4)…, en état de… (→ Escrime, cit. 2), d'humeur à… (→ Mener, cit. 23), dans son tort (→ Aggraver, cit. 5). || Se sentir bien, se sentir mal… — Se sentir l'obligé (cit. 21) d'un autre, le seul dépositaire (cit. 4) du vrai…
35 Sur l'esplanade du Kremlin, le panorama de Moscou développé devant soi, on se sent vraiment ailleurs (…)
Th. Gautier, Voyage en Russie, I, XVII.
36 Il se sentait mieux, moins impatient, moins mécontent (…)
Maupassant, Pierre et Jean, III.
37 (…) Vous vous sentez bien ? — Ça va, mon Capitaine.
Saint-Exupéry, Pilote de guerre, V.
38 Elle comprit et s'éloigna, triste — se sentant si peu de chose aux yeux du bien-aimé, dès qu'un ami ou même un simple camarade était là.
F. Mauriac, l'Enfant chargé de chaînes, V.
♦ (Vieilli). || Se sentir de… : se ressentir de… || Enfants malsains (cit. 1) qui se sentent de la langueur de leur père. || « Le vers se sent toujours des bassesses (cit. 12) du cœur » (Boileau).
39 M. de Nemours y vint peu de temps après habillé magnifiquement et comme un homme qui ne se sentait pas de l'accident qui lui était arrivé. Il paraissait même plus gai que de coutume (…)
Mme de La Fayette, la Princesse de Clèves, II.
40 Les affections domestiques exerçant un grand empire sur le cœur des Anglais, leur poésie se sent de la délicatesse et de la fixité de ces affections (…)
Mme de Staël, De l'Allemagne, II, II.
♦ (1830). Fam., vx. || Ne pas se sentir de froid : avoir très froid (cf. H. Monnier, Scènes populaires, I, p. 60, 1835).
40.1 Madeleine, je veux te dire, si tu te sens de m'attendre, attends-moi.
— C'est pas possible autrement, Olivier. Les autres, c'est rien pour moi.
J. Giono, le Grand Troupeau, II; Pl., t. I, p. 591.
3 (Réfl. ind.). Sentir comme étant en soi ou à soi. || « Je me sens un cœur à (cit. 49) aimer toute la terre » (→ Appétit, cit. 23). || Se sentir une vocation (→ Destiner, cit. 9), une responsabilité (→ 1. Lancer, cit. 22). || Il se sentait pour lui des tendresses fugitives (cit. 15). || Je ne me suis jamais senti grand goût pour… (→ Glorieux, cit. 8). || Je ne m'en sens pas le courage (→ Caisson, cit. 2). — Cette espèce d'oppression (cit. 5) qu'elle se sentait dans la poitrine. || Se sentir au cœur, dans le cœur une envie, un vide… (→ Fringant, cit. 7; idolâtrer, cit. 3). — (Avec un attribut). Sentir en soi comme étant… || Il se sentait le cœur plus libre (→ Accuser, cit. 22), la tête un peu légère (→ Faiblesse, cit. 10), le visage en feu (1. Feu, cit. 68)…
41 C'est à moi de savoir si vos menaces m'impressionnent. Mais quant à me sentir, vis-à-vis de vous, la moindre obligation de discrétion, ou de quoi que ce soit, vous plaisantez.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. II, XI, p. 116.
4 Récipr. (Direct). || Ils ne peuvent pas se sentir (au sens 1, spécialt) : ils se détestent. — (Indirect). ☑ Se sentir les coudes.
——————
senti, ie p. p. adj.
♦ Spécialt (art). Qui est empreint de sensibilité et de sincérité. || Cela est senti. || Des œuvres où il n'y a rien de senti (→ Phraséologie, cit. 4). — Bien senti : exprimé avec force et conviction. || Discours, reproches bien sentis. || Quelques coups de gueule bien sentis (→ Prune, cit. 3).
42 (…) elle a pris la lettre et la lui a présentée en disant les plus belles choses du monde et les mieux senties, je ne sais pas où elle les a prises, Dieu les lui dictait (…)
Balzac, le Père Goriot, Pl., t. II, p. 887.
43 Profitez-en pour placer quelques mots bien sentis. C'est le moment.
J. Romains, Volpone, I, 3.
♦ N. m. ⇒ Senti.
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DÉR. et COMP. Ressentir, sentant, sent-bon, senteur, senti, sentiment. — V. Consentir, dissentiment, pressentir.
Encyclopédie Universelle. 2012.