ANTIGONE
ANTIGONE
Issue de l’union maudite, parce qu’incestueuse, d’Œdipe et de Jocaste, elle porte bien son nom (du grec Antigonê ), celle que sa piété familiale condamnera à une mort atroce sans époux ni descendance, au terme d’une courte vie toute de malheur, d’errance et de déréliction. Être intermédiaire, déraciné, abandonné de tous, être mort-vivant, c’est-à-dire aussi bien ni mort ni vivant, telle se présente Antigone, et d’abord au cours de son existence même: c’est elle, en effet, qui accompagne son père à Colone lorsque celui-ci, ayant découvert sa faute, se bannit lui-même de Thèbes après s’être crevé les yeux et décide de mendier son pain au hasard des chemins (Sophocle, Œdipe à Colone ). Puis, après la mort d’Œdipe, elle regagne Thèbes, où elle vit avec sa sœur Ismène, mais c’est pour affronter de plus terribles malheurs encore. Dans la guerre des Sept Chefs, ses deux frères, Étéocle et Polynice, se trouvent le premier dans le camp thébain, le second dans l’armée adverse. Tous deux en viennent à s’affronter lors des combats livrés devant la ville et meurent de la main l’un de l’autre. Créon, le roi de Thèbes, ordonne des funérailles solennelles pour Étéocle mais interdit qu’on ensevelisse son autre neveu. Antigone refuse de se soumettre. Ce refus constitue le thème de la tragédie qui porte son nom. Pour sa désobéissance, Antigone est condamnée par Créon, et enfermée vivante dans le tombeau des Labdacides, dont elle descendait, symbole de son être profond:
Oui, c’est vous / Qui devrez témoigner comment, privée des pleurs / Des miens, selon quelle justice / Je dois descendre dans ce cachot creusé / Dans ce tombeau inouï / Io! rejetée infortunée / Par les vivants et par les morts / Ni vivante ni cadavre (Sophocle, Antigone , V, 842 sqq).
Nulle tragédie n’a suscité plus de commentaires que celle d’Antigone. Depuis Hegel (notamment dans Esthétique , t. II, 2e sect., chap. I), on a voulu voir en elle la tragédie des oppositions: d’un côté le sang, le culte, l’amour sororal, l’impératif divin, la jeunesse, le dévouement poussé jusqu’au sacrifice; de l’autre la volonté du souverain, la maxime d’État, la morale de la cité, la petitesse, la rigidité, l’étroitesse du cœur, l’aveuglement de l’âge, l’affirmation de soi au nom du droit poussée jusqu’à la transgression de l’ordre du dieu. Ces oppositions sont réduites à un conflit unique de deux principes en eux-mêmes légitimes. Il se pourrait cependant que toutes ces catégories soient inadéquates parce que rétrospectives et, en ce sens, anachroniques. «En fait, affirme Karl Reinhardt (Sophocle , trad. franç., 1971), les deux sphères qui se dressent face à face dans ce drame, en la personne d’Antigone et en celle de Créon, ne sont pas à proprement parler en conflit, chacune n’est point en elle-même en butte aux attaques de l’autre, aucune ne s’efforce de détourner dans son propre sens l’autre légalité [...]. Dans son concept, la tragédie d’Antigone n’a rien d’un conflit de normes, c’est la tragédie de deux déclins humains, séparés essentiellement, liés démoniaquement, dont l’un fait suite à l’autre comme son image renversée.» Il faut alors lire qu’Antigone, loin de représenter la loi divine, transgresse les lois statutaires de Zeus et de Dikê, leur opposant un savoir immédiat de lois en elles-mêmes plus divines et plus saintes, celles qui, traduit Jean Baufret, «de toujours ont vigueur, sans que nul ne sache d’où rayonne leur lumière» (préface à Hölderlin: Remarques sur Œdipe et Antigone , 1965). L’hérétique Antigone agit dans le même sens que Dieu, mais en quelque sorte contre Dieu, réalisant ainsi en elle, autant qu’il est possible à l’homme, cette figure de l’Antithéos qui lui sera fatale.
Antigone
dans la myth. gr., fille de Jocaste et d'OEdipe. Créon la condamna à être enterrée vivante pour avoir donné une sépulture à son frère Polynice, tué devant Thèbes, sa patrie, qu'il voulait prendre. Son fiancé, Hémon, fils de Créon, se poignarda.
|| LITT Tragédie de Sophocle (441 av. J.-C.), opposant le respect des lois divines (Antigone) et la raison d'état (Créon).
⇒ANTIGONE, subst. fém.
Femme qui par son caractère rappelle Antigone, fille d'Œdipe, modèle de piété filiale :
• 1. ... je me trouvai subitement épris de cette jeune Antigone. Du reste, ma passion était d'une qualité si pure, si distinguée, que je ne songeai seulement pas à me demander si ce n'était point là une de ces Calypso dont M. Ratin m'avait tant parlé.
TŒPFFER, Nouvelles genevoises, 1839, p. 105.
• 2. ... il y a de l'incompréhensible dans les plus touchantes de ces femmes de Tourguéniev, dans ses Antigones, car, lui aussi, comme le poète Shelley, il a aimé cette divine image de la pitié, du courage, de la pureté. C'est une Antigone que la Marianne de Terres vierges qui suit Nedjanof si simplement, si noblement. C'en est une que Lise, dans la Nichée de gentilshommes.
BOURGET, Nouv. essais de psychol. contemp., 1885, p. 247.
Rem. Il existe de ce mot plusieurs homon. désignant des arbrisseaux, des coquilles, des papillons. Le plus récent est un subst. masc. désignant un stérilet (élément suff. -gone, du grec « procréation », préf. anti-; cf. Méd. Biol. t. 1 1970).
PRONONC. ET ORTH. :[]. BESCH. 1845 a antigonon.
ÉTYMOL. ET HIST. — 1776 nom propre (Encyclop. Suppl.) d'où fig. 1839 par synecdoque, supra.
Empr. au gr. (BAILLY).
BBG. — LAVEDAN 1964. — Méd. Biol. t. 1 1970.
antigone [ɑ̃tigɔn] n. f.
ÉTYM. 1839; du n. propre grec Antigonê.
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♦ Littér., rare. Femme qui évoque le personnage d'Antigone, fille d'Œdipe, modèle de piété filiale et de résistance à la tyrannie.
Encyclopédie Universelle. 2012.