VEDA
Les plus anciens documents que l’on possède sur les religions de l’Inde sont un ensemble de textes rédigés en sanskrit archaïque auxquels la tradition hindoue donne le nom de Veda, c’est-à-dire «le Savoir», «la Science (par excellence)». Jouant un rôle analogue à celui de la Bible pour le judaïsme et le christianisme, le Veda fonctionne en principe comme un ouvrage de référence, qui a valeur normative dans tous les domaines intéressant la vie religieuse (rites, croyances) et sociale (organisation idéale de la société, éthique politique). Anciennement (du XVIe au VIe s. av. J.-C.) les règles védiques ne concernaient en réalité que les couches supérieures de la société et, depuis deux millénaires (Ve s. à nos jours), l’hindouisme s’est donné d’autres textes religieux: la Bhagavad G 稜t , les Pur ユa , les Tantra , etc. Pourtant, le Veda reste honoré, vénéré; les jeunes brahmanes en apprennent par cœur de longues séquences, et certains mantras (formules, prières) sont encore utilisés à l’occasion de rites domestiques (mariage, initiation, funérailles). Mais cela n’est que peu de chose en comparaison de ce qu’était la liturgie ancienne, riche, complexe et concernant toutes les activités humaines.
Plus profondément, c’est la religion elle-même qui a changé au cours des siècles: à une époque où pratiques et croyances étaient exclusivement védiques succéda un temps où le Veda ne fut plus qu’une référence lointaine et sans efficacité. Ce passage du védisme à l’hindouisme se situe approximativement aux VIIe et VIe siècles avant notre ère, moment où apparaît également le bouddhisme qui, pour sa part, se définit par un rejet absolu des enseignements du Veda. Néanmoins, les brahmanes ont su conserver, jusqu’à nos jours, au moins la lettre du Veda, sinon son esprit. Mais, nécessairement, ce qu’ils gardaient ainsi de la religion ancienne ne pouvait relever que du formalisme le plus étroit: les brahmanes soi-disant «védiques» professent un ritualisme desséchant qui n’a que peu de rapport avec ce que les textes eux-mêmes nous font connaître des croyances et des attitudes des fidèles du IIe millénaire avant notre ère.
Enfin, s’il est vrai que védisme et hindouisme sont l’un et l’autre des religions polythéistes où les rites obligatoires tiennent une large place, il reste que la perspective générale est profondément différente: là où l’hindouisme insiste sur la nécessité pour le fidèle d’avoir un rapport direct et personnel avec sa divinité d’élection (c’est ce que l’on appelle bhakti , «dévotion»), le védisme propose la recherche du salut collectif (familial, ou «national») par l’intermédiaire du pater familias ou du roi. De plus, les grâces à obtenir des dieux sont volontiers décrites dans le Veda en termes de satisfactions matérielles (des chevaux, des esclaves, du butin), cependant que la Bhagavad G 稜t , par exemple, met l’accent sur le destin eschatologique de l’individu – cohabitation post mortem avec Vi ルユu, ou libération définitive du monde phénoménal. Cette opposition ne doit cependant pas être trop systématisée, car le Veda connaissait aussi le salut personnel («on offre les sacrifices parce que l’on désire gagner le Ciel», dit un texte rituel), de même que les prières hindoues à intentions «matérielles» se rencontrent assez fréquemment.
D’autres aspects du védisme font également contraste avec les éléments correspondants de l’hindouisme classique: le Veda, par exemple, ne connaît ni le système des castes (la société védique est divisée en «fonctions» très larges correspondant à peu près aux trois «états» de notre Ancien Régime), ni la doctrine de la transmigration; le yoga lui est également inconnu, sauf dans les Upani ルad qui marquent justement la fin du védisme; enfin, えiva et Vi ルユu n’apparaissent dans les textes védiques que de façon furtive et sans jouer de rôle important dans le panthéon, alors qu’ils sont, on le sait, les dieux majeurs de l’hindouisme.
De nos jours, le Veda se présente surtout comme un témoignage quasi unique sur une civilisation disparue, mais dont l’influence continue de se faire sentir de quelque façon sur la mentalité de plus de quatre cents millions d’hommes. À ce seul titre, il mériterait de retenir l’attention, mais il convient d’y ajouter le fait que maints passages des textes qui le composent ne sont pas dépourvus d’une valeur littéraire appréciable pour nous, malgré le double obstacle de la traduction et de l’éloignement dans le temps et l’espace.
1. La littérature védique
La rédaction du Veda a dû se faire, de façon continue, pendant plus d’un millénaire, entre le XVIIIe et le VIIIe siècle avant l’ère chrétienne. Ces dates restent approximatives pour deux ordres de raisons: d’une part, parce que les textes védiques ne comportent aucune référence à des événements historiques connus par ailleurs, ni même à des civilisations étrangères; d’autre part, parce que le début et la fin de cette rédaction sont également difficiles à apprécier: maintes strophes du ブgveda ont pu être composées avant le IIe millénaire, cependant que certaines Upani ルad l’ont été bien après le VIIIe siècle. Pourtant, il est certain que la majeure partie du canon védique a été élaborée et mise en forme dans la limite des dates indiquées plus haut, au fur et à mesure de la pénétration des clans indo-européens (que le Veda nomme rya , «aryens») dans l’Inde du Nord-Ouest. La lente progression des tribus aryennes dans un aussi vaste territoire devrait pouvoir fournir des points de repère pour aider à la datation, au moins relative, des textes védiques. Il n’en est malheureusement rien, car, dans ce domaine encore, les références sont imprécises, très allusives; lorsque, par exemple, tel hymne du ブgveda fait mention d’une «bataille des dix rois», on serait bien en peine (et les commentateurs indiens anciens l’étaient autant que nous) de la situer, de la dater, voire de décider s’il s’agit d’un événement historique ou mythique. À cela s’ajoute enfin l’habitude qu’ont les colons, en Inde comme ailleurs, de donner aux régions dont ils s’emparent des noms empruntés à leur pays d’origine: il serait hardi (d’aucuns l’ont fait) de décider, suivant l’homonymie, que les flots du D nu dont parle tel poète védique sont bien ceux du Danube (ou du Don?).
Mais la gêne principale en ce domaine vient de ce que l’archéologie védique est inexistante; cela pour deux raisons principales, l’une tenant aux conditions présentes de la recherche, l’autre au caractère propre de la civilisation «védique». Nomades en voie de sédentarisation, les aryens n’utilisaient que des matériaux périssables: l’argile, le bois. Le cuivre, le fer, l’or et l’argent étaient certes connus, mais servaient surtout à la confection d’armes et de bijoux. Si donc l’on a peu de chances de trouver des sites archéologiques comparables à ceux de la civilisation de l’Indus (Mohenjo-Daro, Harappa), on doit par contre espérer fouiller un jour des tombes de chefs qui fourniront l’équipement guerrier et un mobilier funéraire d’objets familiers. Malheureusement, les régions à scruter sont parmi les plus disputées de l’Asie: ce sont celles (Cachemire, Penj b, Afghanistan, Turkestan russe et Turkestan chinois) où se croisent les frontières des anciennes républiques soviétiques et de la Chine, de l’Inde et du Pakistan; autant dire que la recherche archéologique systématique par les moyens modernes (photographie aérienne) n’est pas près d’y être entreprise! Aussi sommes-nous privés des secours dont disposent les savants qui étudient Homère ou la Bible. Cela donne une physionomie particulière aux études védiques, qui restent fondées, par la force des choses, sur la seule philologie. Le dommage n’est cependant pas aussi grand qu’il paraît, car le Veda a un caractère encyclopédique, voulu par ceux qui l’ont composé (d’où son nom: «le Savoir», c’est-à-dire «la Somme des connaissances essentielles»); à la faveur de prescriptions rituelles, de récits mythiques ou de panégyriques, apparaissent des détails significatifs qui permettent de reconstruire pour l’essentiel l’univers familier des Indiens védiques, tant en ce qui concerne la vie quotidienne que l’idéologie. Mieux même, la richesse des réflexions que l’on trouve dans le Veda à propos de cette dernière en font une pièce maîtresse de la comparaison entre les civilisations du même type (grecque, latine, scandinave, celtique, germanique): les démonstrations de Georges Dumézil (par exemple dans L’Idéologie tripartite des Indo-Européens , Bruxelles, 1958) l’utilisent massivement. On voit donc que le Veda possède une valeur documentaire considérable et qu’il est possible de l’utiliser pour restituer une image très approchée du monde dans lequel il fut lui-même élaboré et resta pleinement vivant pendant plus d’un millénaire. Cependant, avant de s’intéresser à la civilisation et à la religion védiques, il convient de prendre une vue d’ensemble de ce qu’est, matériellement, cette masse de documents, c’est-à-dire de décrire la forme des textes védiques avant d’en analyser le contenu.
Les textes
Le canon védique
Ces textes n’ont pris leur forme définitive, canonique, que lorsque la religion védique s’est vue battue en brèche par de nouveaux courants de pensée, antibrahmaniques dans leur principe même. Le bouddhisme apparaît au VIIe siècle avant J.-C. et se pose d’emblée en ennemi des croyances et des pratiques religieuses du temps, telles que le Veda les définissait; le jaïnisme (jinisme), plus ancien d’un siècle environ, entend lui aussi modifier les conduites et imposer une doctrine nouvelle. Mais, et c’est peut-être le plus important, les communautés qui croient rester fidèles à la tradition en rejettent en réalité l’essentiel: l’hindouisme succède au védisme; on ne place plus Indra ou Varu ユa à la tête du panthéon, mais えiva, K リルユa, K l 稜, etc., que le Veda ignorait; les sacrifices sanglants, élément essentiel du vieux rituel, sont abandonnés au profit d’une liturgie plus simple, fondée sur l’offrande de céréales, de fruits, de fleurs et d’encens (p j ); l’accent est mis sur la relation personnelle (bhakti ) du fidèle avec sa divinité d’adoption, alors que les cérémonies védiques étaient pour la plupart ordonnées au bénéfice du clan ou de la «nation» tout entière. Pour faire face à cette crise, et alors que le brahmanisme «moderne» se donnait d’autres textes sacrés (la Bhagavad G 稜t , les Pur ユa , le Mah bh rata , le R m ya ユa , etc.), les traditionalistes s’efforcèrent de préserver le «trésor» de la révélation védique.
Dans de multiples cercles cléricaux disséminés dans toute l’Inde, des groupes de liturgistes se constituèrent pour donner une forme définitive aux Saintes Écritures. Le Veda, qui jusque-là n’avait été qu’un ensemble de traditions orales, devint, par le travail de ces diascévastes, un corpus structuré dans lequel la matière littéraire se vit distribuée par catégories. Les hindous donnent le nom de Vy sa à celui qui se serait chargé de diriger le travail des compilateurs, mais il est évident que le personnage est purement «mythique», en ce sens que l’œuvre de constitution du canon s’est poursuivie durant plusieurs siècles au Cachemire et en diverses régions de l’Inde (dans la vallée du Gange, dans le Dekkan). L’arrangement finalement obtenu n’est d’ailleurs pas sans défaut, car de nombreux chapitres se retrouvent, textuellement répétés, en diverses occasions. D’autres fois, ce sont des chapitres annoncés qui manquent, des pratiques rituelles qui restent simplement objet d’allusion, ou, à l’inverse, des fragments de liturgie qui semblent ne pouvoir se rattacher à rien de ce que nous connaissons. Il faut cependant insister sur le fait que ces ombres au tableau sont rares et ne concernent que des secteurs très marginaux de l’édifice védique, qui est au contraire remarquable par sa cohésion interne et par la minutie avec laquelle sont décrits et «justifiés» (par référence à une mythologie très élaborée) les rites individuels, familiaux ou nationaux pratiqués au moment où la compilation fut entreprise. Et, compte tenu du caractère fondamentalement conservateur de la mentalité brahmanique, on est assuré de pouvoir remonter en fait bien au-delà de la période de constitution du canon (à partir du VIIIe s. av. J.-C.) et de saisir, par la lecture du Veda, l’essentiel de la religion des tribus aryennes venues s’installer dans le nord-ouest de l’Inde durant le IIe millénaire avant l’ère chrétienne.
Enfin, un garant de l’authenticité textuelle du Veda que nous connaissons actuellement nous est fourni par les brahmanes contemporains, qui, s’ils appartiennent à des familles traditionalistes (c’est le cas pour la majorité d’entre eux), sont capables de réciter par cœur cette énorme littérature (des milliers de pages imprimées!). Ils l’ont apprise dans leur enfance (à partir de l’âge de sept ans), non par la lecture, mais par la répétition, syllabe par syllabe, à l’école d’un maître qui n’a d’autre fonction que de leur transmettre ce savoir (c’est le sens du mot veda ) tenu pour initiatique. N’oublions pas que ces enfants parlent des langues modernes de l’Inde et ignorent le sanskrit au moment où ils apprennent le texte sacré: il n’importe guère, car ce sont des sons qu’il s’agit de retenir, non des mots chargés de signification. L’intelligence du texte ne vient que beaucoup plus tard et la très grande majorité des jeunes brahmanes n’y accède jamais, préférant s’orienter vers des études «modernes». Or c’est dans la mesure même où le Veda est transmis oralement sous la forme d’un enchaînement de sons vides de sens qu’il est sans variante: le récitant ne risque d’altérer le contenu d’un texte, par exemple en remplaçant un mot par un autre, que s’il utilise son intelligence pour restituer la leçon apprise; au contraire, enchaîner mécaniquement des éléments abstraits n’est qu’une prouesse mentale accessible à tout esprit convenablement entraîné: une sorte de sport. Les syllabes sont d’ailleurs soigneusement comptées et groupées en unités numériques introduites par des incipit (en sanskrit: prat 稜ka ), tous différents, qui permettent au maître de vérifier facilement les progrès des élèves. Ceux-ci sont capables aussi de réciter le texte à l’envers, ou en ne donnant qu’une syllabe sur deux, etc. Si l’on sait aussi que la phonétique (prononciation, valeur prosodique, accent) est scrupuleusement fixée par des traités datant de l’époque même de la compilation des textes, on comprendra pourquoi nous sommes assurés d’avoir en main le Veda véritable, c’est-à-dire le texte canonique tel qu’il était connu des Indiens du VIIIe siècle avant J.-C.
Genres littéraires
Il va sans dire que des Écritures sacrées de ce type ne peuvent être tenues pour l’œuvre d’auteurs humains: le Veda, aux yeux de la tradition hindoue, est a-pauru ルeya (non humain) et, puisqu’il relève du monde divin, il est, par là même, éternel (sanatana ). L’«énergie faite de son» ( ごabda-brahman ) qui le constitue se perpétue de cycle cosmique en cycle cosmique sans interruption ni altération. Immuable, parfait, le Veda est en somme le Verbe créateur «incarné» en langage accessible aux hommes. Et, bien entendu, ce dernier ne peut être que le sanskrit, la langue «parfaite» (c’est là le sens du mot sa face="EU Updot" 拉sk リtam ) dont usent les dieux lorsqu’ils conversent entre eux. Des noms d’auteurs sont cependant mentionnés dans les textes eux-mêmes, mais il est entendu que ces «prophètes» (kavi ou, plus souvent: rishi [ リルi ]) sont seulement des médiateurs, des instruments de la Révélation, chargés d’en communiquer la teneur à l’humanité au tout début du cycle (dans l’«âge d’or» qui l’inaugure). Le Veda étant essentiellement de nature verbale, le mot même qui désigne cette Révélation est ごruti (audition) et, si l’on dit aussi que les prophètes «ont vu» telle section des Écritures dont ils sont responsables, il faut comprendre qu’ils en ont eu une connaissance intuitive, l’œil étant dans la symbolique indienne le signe distinctif de cette connaissance en même temps que son organe. Les rishi ( リルi ) sont d’ailleurs plutôt des demi-dieux que des hommes: non seulement leur apparition sur la terre s’opère dans des circonstances exceptionnelles, mais les légendes qui les concernent font mention de pouvoirs surnaturels; à leur mort, ils rejoignent le panthéon ou deviennent des étoiles (la Grande Ourse, par exemple, est formée de sept リルi). Parmi les plus célèbres de ces personnages, citons le groupe des A face="EU Updot" 臘giras: Bh リgu, Atri, Ka ユva, Vasi ルレha, Vi ごv mitra, Gotama, Bharadvaja. Du point de vue de la critique moderne, ce ne sont là que des noms mythiques qu’il est impossible de rattacher à quoi que ce soit d’historique ou de concret. Il est parfois possible de distinguer le style littéraire de tel ou tel リルi, mais il s’agit en fait plutôt du «tour de main» de groupes de liturgistes, car le plus souvent les textes ainsi examinés sont attribués, par la tradition elle-même, non à un seul personnage, Ka ユva par exemple, mais à diverses individualités «de la famille du リルi Ka ユva». Et c’est bien en ce sens qu’il faut parler d’auteurs védiques: les textes qui forment le Veda ont été conçus, réalisés, remaniés dans les clans aryens qui, ensemble, constituaient les tribus et la nation porteuses de la religion des リルi. Ainsi parle-t-on de «familles» et d’«écoles» védiques responsables des divers arrangements du fond commun dont il va être question ci-après.
La matière constitutive du Veda est, en effet, variée et les brahmanes se sont efforcés de la trier selon plusieurs critères différents; par exemple: selon le genre littéraire, selon l’usage liturgique, selon les écoles de diascévastes. Ces multiples possibilités, toutes orthodoxes et utilisées au gré des théologiens selon les points de vue qui sont les leurs, ne facilitent évidemment pas l’approche du Veda. On ne peut cependant les négliger car, outre qu’elles permettent de se reconnaître dans le labyrinthe des textes védiques, elles constituent en elles-mêmes une réflexion sur le contenu de la Révélation.
La première façon de trier la matière védique, et la plus simple, consiste à distinguer la prose des vers. Ces derniers, que l’on nomme chandas (chant, poésie), sont tenus pour la partie la plus sainte, la plus pure, la plus efficace (sur le plan du progrès spirituel) du Veda, alors que le reste (injonctions rituelles, récits mythiques, enseignements théologiques) paraît en quelque sorte se greffer sur le chandas , comme si celui-ci constituait la matière première de la liturgie et des spéculations métaphysiques. Et, de fait, il est exact que tout acte rituel védique consiste essentiellement en un geste (par exemple: faire une libation) accompagné de la récitation d’une formule liturgique: théologiquement, le geste est justifié par référence à un mythe et l’on peut enfin tirer un enseignement philosophique de la combinaison du geste, de la formule et du mythe. En nuançant donc la position quelque peu abrupte adoptée précédemment, on obtient une division tripartite de la matière védique: formules liturgiques (mantra ), prescriptions rituelles (vidhi ), commentaires théologiques (arthavada ). C’est sur ce tri que se fondent les discussions portant sur la valeur respective des divers constituants de l’attitude religieuse. La période classique de la philosophie hindoue (jusqu’au XIIe s. environ) sera dominée par ce type de réflexion: les uns, mettant l’accent sur le geste, fonderont une métaphysique de l’acte (karma-m 稜m face="EU Updot" 拉s ), affirmant que l’on fait son salut par la célébration du culte (yajña ); d’autres affirmeront que le geste rituel n’est rien sans la parole qui l’accompagne; si donc le mantra apparaît comme le fondement de l’efficacité salutaire, on peut s’en tenir à lui et négliger tant les rites que la mythologie; d’autres encore, soutenant que les gestes et les paroles ne sont crédibles que dans la mesure où ils ont été institués par les dieux eux-mêmes, en déduisent que ceux-ci sont l’ultime recours du fidèle. Ainsi, l’analyse des catégories littéraires du Veda suffit à alimenter la querelle des trois grands courants de la théologie brahmanique: métaphysique de l’acte, ontologie du Verbe, dévotion à un ou à des dieux personnels. De nos jours encore, ces trois attitudes s’observent aisément dans l’hindouisme contemporain: on peut dire que Gandhi croyait aux actes, Aurobindo à la connaissance, R makrishna à la dévotion; et tous trois étaient persuadés d’être, par là même, et chacun pour sa part, fidèles au Veda.
Les mantras
Les mantras sont en très large majorité des strophes de trois ou quatre vers (ou plus, mais rarement moins), bâties selon des règles prosodiques strictes; on peut citer, parmi les plus courantes, la g yatr 稜 (qui comporte trois vers de huit syllabes), la tri ルレubh (avec quatre vers de onze syllabes), l’anu ルレubh (quatre vers de huit syllabes), la jagat 稜 enfin (quatre vers de douze syllabes). Le Veda doit en compter quelque vingt-cinq mille, qui représentent une masse énorme de quatre-vingt mille vers, ou davantage. Ces strophes (leur nom technique est リc ) chantent pour la plupart la louange de telle ou telle divinité du panthéon védique, formulent des prières ou annoncent l’intention du fidèle de célébrer tel type de cérémonie. À titre d’exemple, voici d’abord une g yatr 稜 dédiée à Agni, dieu du Feu:
DIR
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Agni, l’Oblateur, le Prophète puissant,le Véridique au renom très brillant,le Dieu! qu’il vienne à nous avec les Dieux!(face="EU Dodot" ブgveda , 1.1.5) /DIR
Ici une pa ユ kti (cinq vers de huit syllabes) où le fidèle annonce qu’il va offrir un sacrifice à Indra (le culte est souvent assimilé à un char grâce auquel les dieux viennent assister à la cérémonie en apportant leurs grâces en cadeau):
DIR
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Écoute favorablement nos chants, ne nous dis pas non, Libéral! Si grâce à toi nous sommes gens heureux, c’est que tu nous permets de te prier. J’attelle ici tes alezans.(Ibid. , 1.82.1) /DIR
Enfin, un exemple de mantra incantatoire, prononcé en l’occurrence par une femme qui veut détourner son mari d’une rivale (le rite est accompli au moyen d’une herbe magique supposée la plus efficace de toutes):
DIR
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Sur toi, mon époux, j’ai placé l’Herbe qui sur toutes l’emporte:comme le veau court vers sa mère, comme l’eau court, cours après moi!(Atharvaveda , 3.18.6) /DIR
Certains mantras, en très faible minorité, ne sont pas des strophes poétiques, mais des formules en prose rythmée à valeur exclusivement rituelle. On les appelle yajus («formule rituelle») et leur usage est fréquent dans la liturgie. Dans la plupart des cas, il s’agit d’affirmations péremptoires qui, accompagnées d’un geste rituel, sont censées transformer en quelque chose d’autre l’objet (ou la personne) sur laquelle elles sont prononcées. Par exemple, au moment de la consécration royale, le prêtre s’adresse au souverain en affirmant:
DIR
\
Tu es le Brahman! Tu es Varu ユa dont la force est vérité!(face="EU Acute" えatapatha Br hma ユa , 5.4.4.10) et le texte rituel qui accompagne ce yajus nous explique que «par ce moyen, le prêtre confère la vigueur au roi et fait que le dieu Varu ユa lui donne la Force-de-Vérité»./DIR
Souvent les yajus se réduisent même à de simples monosyllabes sans signification «profane» (dans le genre de: «Hu face="EU Updot" 拉! Pha レ! Gh リユ! »); la plus célèbre de ces exclamations liturgiques est évidemment: «O face="EU Updot" 拉 ! » qui introduit et clôt obligatoirement toute récitation d’un texte védique. Les théologiens brahmaniques se sont attachés, dès l’origine, à affirmer la valeur de ces cris mystérieux, jusqu’à dire que tout l’efficace des mantras se condense en eux. À la limite, on professe que le Veda se résume dans le monosyllabe O face="EU Updot" 拉 , qui n’est autre que «l’Absolu sous la forme d’un son»: c’est le Verbe créateur qui résonne éternellement et soutient l’existence du monde.
Textes en prose
Face à de telles spéculations, on peut craindre que les parties du Veda qui ne sont pas en vers jouissent d’un prestige moindre; pourtant, prescriptions rituelles et commentaires exégétiques font partie intégrante de la parole védique et, à ce titre, ne sont pas moins sacrés, révélés, que les mantras; simplement, l’usage qui en est fait reste, par la force des choses, étroitement technique, donc limité. La situation n’est pas sans rappeler, par exemple, celle du Deutéronome biblique par rapport aux Psaumes. À titre d’exemple, citons ce fragment du rituel du mariage:
DIR
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Le fiancé se rend au foyer familial et la jeune fille l’y rejoint. Se tenant derrière lui, elle pose sa main sur son épaule et il verse trois libations dans le foyer sacrificiel en prononçant à chaque fois l’une de ces trois grandes exclamations liturgiques: «Bh r! Buva ム! Svar! ». Il verse ensuite une quatrième oblation en les prononçant toutes les trois ensemble [...] Son père, ou son frère, pointant une épée sur sa tête, verse avec la cuiller sacrificielle une oblation sur la jeune fille qui reste assise regardant vers l’Est [...] Ceci s’accomplit en récitant le mantra que voici:Règne sur ton beau-père! et sur ta belle-mère! et sur ta belle-sœur! et sur tous tes beaux-frères!(face="EU Acute" え face="EU Updot" 臘kh ya ユa G リhyas tra , 1.12) /DIR
On aura remarqué la minutie des indications rituelles (quel geste accomplir, avec quel instrument, en se plaçant dans quelle position, etc.) et l’usage qui est fait de yajus (les exclamations: Bh r , etc.) et de strophes (celle qui est citée ici est extraite du ブgveda , 10.85.46). On peut encore insister sur le fait qu’aux yeux de la tradition ces prescriptions sont, elles aussi, non humaines et éternelles. La liturgie ne peut donc être changée et, on l’a vu, nombreux sont les théologiens qui soutiennent que le Veda tout entier n’existe que par rapport au rituel: le mantra, disent-ils, n’a de valeur que dans la mesure où il est intégré dans un acte rituel.
Quant aux autres types de textes en prose, ils consistent, comme on l’a dit plus haut, en commentaires exégétiques portant à la fois sur les prescriptions rituelles et sur les mantras eux-mêmes tels qu’ils sont utilisés dans la liturgie. Par exemple, lorsqu’on veut utiliser de l’eau pour une aspersion purificatrice, il convient d’abord de la purifier elle-même; le texte védique explique:
DIR
\
Pendant le filtrage, on doit réciter la strophe suivante:Incité par Savitar, je vous purifie! Grâce à ce filtre sans coupure, grâce aux rayons de ce Soleil!Or Savitar est Celui des Dieux qui incite à agir: c’est donc bien sous l’incitation de Savitar que l’on purifie les eaux d’aspersion; «grâce à ce filtre sans coupure» dit le mantra: et, de fait, Celui qui souffle ici-bas est un Purificateur que l’on ne peut couper; «grâce aux rayons de ce Soleil», ajoute-t-on; et, de fait, les rayons du soleil sont bien des agents de purification. C’est pour cela que l’on dit «grâce aux rayons de ce Soleil».(face="EU Acute" えatapatha Br hma ユa , 1.1.3.6) /DIR
L’exégèse, on le voit, joue des correspondances établies entre le geste de l’officiant (qui filtre l’eau d’aspersion) et l’action du dieu incitateur (c’est le sens du nom divin Savitar). Or il se trouve que Savitar est aussi un nom du Soleil; on est donc en droit de dire que la purification est en dernière analyse l’œuvre du Soleil lui-même, aidé par le dieu du Vent, V yu, non explicitement nommé dans le mantra mais que les théologiens reconnaissent en jouant sur le double sens du verbe sanskrit pavate , qui signifie à la fois «il souffle» et «il purifie».
D’autres textes, trop longs pour être cités ici, justifient tel ou tel rite en contant le mythe qui le fonde, selon le principe que la liturgie reproduit de façon symbolique (mais réelle, donc efficace) les actes accomplis par les dieux ou les リルi au commencement du cycle. Cela est si vrai que l’on peut affirmer que les rites dépassent en fait les conditions humaines, triviales, qui président à leur accomplissement sur cette terre pour acquérir une dimension cosmique:
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Lorsque l’on offre l’oblation le matin, avant que le soleil soit levé, on engendre le soleil qui, alors, se fait lumière et, resplendissant, se lève. Mais il ne se lèverait pas si l’on omettait d’offrir cette oblation; c’est pour cela que l’on doit obligatoirement offrir l’oblation du matin. De même qu’un serpent se libère de sa peau au moment de la mue, de même le soleil, au matin, se libère de la nuit, c’est-à-dire du Mal. Et, certes, de même qu’un serpent se libère de sa peau au moment de la mue, il se libère de tout Mal celui qui, en connaissance de cause, offre l’oblation du matin, au moment prescrit.(Ibid. , 2.3.1.5) /DIR
Ici c’est le principe d’analogie qui fonde la démarche intellectuelle: puisque «ce qui est en bas est comme ce qui est en haut», puisque le microcosme est à l’image du macrocosme, on peut dire que c’est le sacrifice du matin (agnihotra ) qui fait se lever le soleil; et puisque le soleil en se levant se libère du mal ténébreux, l’officiant qui l’a fait se lever se libère lui-même, grâce au rite, des forces obscures de son péché. On saisit là, sur le vif, le type de raisonnement que l’on retrouvera partout dans les parties «spéculatives» du Veda et, après lui, dans la philosophie brahmanique jusqu’à えa face="EU Updot" 臘kara. Pour s’en faire idée, on peut lire le passage suivant, extrait de l’une des plus célèbres leçons théologiques du Veda; le リルi Uddalaka Aru ユi enseigne à son fils えvetaketu que son âme ( tman ) est identique à l’absolu (brahman , ou tad , «cela»).
DIR
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Les abeilles, mon cher えvetaketu, préparent le miel en recueillant les sucs de plantes diverses qu’elles réduisent à un suc unique: le miel. Mais, de même que ces divers sucs sont incapables, après avoir été réduits à l’unité, de se souvenir qu’ils appartenaient les uns à telles plantes, les autres à telles autres, de même, mon cher, toutes les créatures ici-bas, lorsqu’elles entrent dans l’Être, ignorent qu’elles y entrent: tigre ou lion, loup ou sanglier, ver ou papillon, mouche ou moustique, quelles que soient leurs conditions ici-bas, elles sont toutes identiques à cet Être qu’est l’essence subtile. Oui, l’univers tout entier s’identifie à cette essence subtile, qui n’est autre que l’Âme! Et toi aussi tu es Cela, えvetaketu!(Ch ndogya Upani ルad , 6.9.1) /DIR
Les pages de cette nature sont infiniment moins nombreuses dans le corps du Veda que celles qui recueillent mantras, règles rituelles et commentaires exégétiques, mais on devine que ce sont elles qui sont le plus souvent lues et expliquées depuis la fin de la période védique: quand les hindous «modernes» prétendent fonder leur enseignement «sur le Veda», ils se réfèrent en fait à des textes comme celui-ci, car les mantras qu’ils utilisent (par exemple en conférant l’initiation à leurs disciples) sont presque toujours «modernes».
L’organisation du canon
Les quatre Vedas
Les compilateurs du canon védique ont tenté de séparer, matériellement, les textes ressortissant à tel ou tel genre littéraire; ils l’ont fait en divisant le corpus des Écritures en quatre grands corps auxquels ils ont donné les noms de Sa face="EU Updot" 拉hit («collections»), Br hmana («textes concernant le brahman»), Kalpas tra («prescriptions rituelles») et Upani ルad («enseignements spéculatifs»). Par les exemples précédemment cités, on voit que ces distinctions sont en fait bien théoriques, puisque les mantras, en principe recueillis dans les Sa face="EU Updot" 拉hit , se retrouvent un peu partout et que nombreux sont les enseignements spéculatifs présents dans d’autres textes que les Upani ルad. Cependant, ce type de division reste valable pour l’essentiel: c’est celui qui est le plus communément employé. Une autre façon de trier la matière védique, elle aussi fréquemment utilisée (et le plus souvent en combinaison avec la précédente), prend pour base les écoles liturgiques où furent élaborés les textes et les clans familiaux qui composaient chacune d’elles. Ainsi, se référant aux quatre principales fonctions sacerdotales mises en œuvre par le cérémonial védique, parle-t-on de quatre Vedas (entendez: quatre types de compilation d’une matière qui reste commune, par-delà tout système de répartition); à savoir: Rigveda ( ブgveda ), à l’usage du prêtre hot リ («oblateur»); le Yajurveda (Yajurveda ), à l’usage de l’adhvaryu («acolyte»); le S maveda (S maveda ), à l’usage de l’udgat リ («chantre»); enfin, l’Atharvaveda (Atharvaveda ), à l’usage du chapelain royal (purohita ou brahman ). Ces noms se veulent significatifs: le ブgveda est centré autour des strophes ( リc , d’où son nom), dont la récitation est effectivement surtout le fait du hot リ ; l’adhvaryu , pour sa part, prononce les yajus (d’où: Yajurveda); l’udg t リ chante les s man («mélodies, chants») du S maveda. L’Atharvaveda se distingue des trois autres puisqu’on lui donne le nom du リルi qui le révéla: Atharvan A face="EU Updot" 臘girasa. En principe, chacun de ces Vedas devrait être complet, c’est-à-dire réunir toute la matière commune et la répartir selon les genres littéraires dans les catégories prévues à cet effet: Sa face="EU Updot" 拉hit , Br hmana, etc. En réalité, aucun ne correspond à ce modèle idéal et, lorsque les brahmanes orthodoxes parlent du Veda unique, ils font mentalement la somme de ce que contiennent les quatre compilations. D’autant que, comme on l’a dit plus haut, chacune de ces dernières nous est parvenue sous la forme de plusieurs recensions portant le nom des clans familiaux qui en assurèrent la transmission. Citons parmi les plus importantes: les familles Taittir 稜ya (Yajurveda), Jaimin 稜ya (S maveda), face="EU Acute" えaunaka (Atharvaveda), Aitareya (face="EU Dodot" ブgveda). On prétend qu’il y en eut des milliers, mais seules quelques-unes restent encore vivantes aujourd’hui et sont donc capables de nous fournir le texte de leur Veda. C’est là surtout qu’apparaît le caractère fragmentaire de la tradition: les え face="EU Updot" 臘kh ya ユa (du ブgveda) ont leur S tra mais pas de Br hmana ni d’Upani ルad, les Jaimin 稜ya sont dépourvus de S tra, les えaunaka ne fournissent que la seule Sa ュhit . Bien des noms de clans n’ont été sauvés de l’oubli que par une Upani ルad, seul vestige d’une lignée de liturgistes depuis longtemps éteinte.
Les Sa face="EU Updot" size=4拉hit size=4
Les recueils de mantra (Sa face="EU Updot" 拉hit ) diffèrent grandement selon les écoles. Les Yajurveda et S maveda, d’inspiration très ritualiste, se contentent de donner en une chaîne continue les formules nécessaires à la célébration de la liturgie et dans l’ordre du déroulement des cérémonies sans aucun égard au contenu des strophes ou des yajus. Ces ensembles sont donc illisibles, car ils ne se comprennent que par référence à un rituel qu’il faut consulter dans d’autres parties du corpus, là où sont les S tra afférents et les Br hmana qui les commentent. Les compilateurs ont simplement voulu donner à l’adhvaryu et à l’udg tr un moyen commode de retrouver rapidement les mantras dont ils pouvaient avoir besoin, sans qu’aucun souci littéraire n’intervienne pour les arranger autrement que selon les séquences rituelles. Le cas de l’Atharvaveda et celui, surtout, du ブgveda sont tout différents. Ici et là, les strophes (ces deux Sa face="EU Updot" 拉hit ne comportent pas de yajus) ne sont pas présentées selon l’usage qui en est fait dans la liturgie, mais sous la forme de poèmes autonomes, chacun de ceux-ci se suffisant à lui-même sans qu’il soit besoin pour le comprendre de faire référence à quoi que ce soit d’autre dans le reste du corpus. La Sa face="EU Updot" 拉hit du ブgveda réunit ainsi un millier d’hymnes (ou cantiques) qui totalisent ensemble plus de dix mille strophes; celle de l’Atharvaveda, quoique plus courte, est construite sur le même modèle. Les hymnes de l’une et de l’autre sont groupés en «Livres» (dix dans le ブgveda, vingt dans l’Atharvaveda), de longueur inégale, réunissant en principe les poèmes dus à telle ou telle famille de liturgistes issue d’un rishi mythique (il y a un «livre de Ka ユva et ses descendants», un autre de Gotama, un autre d’Atri, etc.).
Pour se faire une idée de ce que sont ces cantiques, on peut lire d’abord celui-ci, attribué à Yajata Atreya (donc à un poète du clan d’Atri); composé en strophes g yatr 稜 , il est dédié aux dieux Mitra et Varu ユa, maîtres de l’Ordre cosmique (d’où les allusions au Ciel, à la Terre, aux Eaux, etc.) et rituel (allusion au beurre, offrande privilégiée du sacrifice védique):
DIR
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Allons, chantez pour Mitra, Varu ユa,chantez en inspirés,chantez, seigneurs, l’Ordre puissant.Les deux rois, Mitra, Varu ユa,ont pour séjour le beurre rituel,ces Dieux que l’on célèbre avec les Dieux!
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Aidez-nous, Mitra, Varu ユa,à gagner les bienfaits de la Terre et du Ciel,car chez les Dieux vous êtes souverains!Servant l’Ordre du monde avec l’Ordre lui-même,ils ont gagné, ces Dieux, la force créatrice:Ils se renfoncent pour nous libérer du Mal!Ils font pleuvoir le Ciel, ils font couler les Eaux.Oui, Mitra, Varu ユa, qui détiennent les donsont accédé à la puissance souveraine!(face="EU Dodot" ブgveda , 5.68) /DIR
De l’Atharvaveda, on peut citer ce charme d’amour attribué à Atharvan A face="EU Updot" 臘girasa et composé en anu ルレubh . Il s’agit d’un envoûtement pratiqué par une femme à l’aide de pointes métalliques rougies au feu et plantées dans une statuette figurant l’homme qu’il s’agit de conquérir. Les Apsaras sont des «filles du Ciel» analogues aux Walkyries de la mythologie germanique:
DIR
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La folie d’amour vient des Apsaras aux chars toujours victorieux:lancez-la sur cet homme, ô Dieux! qu’il brûle pour moi! Qu’il me désire! Oui, qu’il me désire, cet homme qui m’est cher! Lancez sur lui la folie d’amour, ô Dieux, qu’il brûle pour moi! Qu’il soit fou de moi, et non moi de lui! Lancez sur lui la folie d’amour, ô Dieux! qu’il brûle pour moi! Enivrez-le d’amour, ô Marut! Enivre-le, Atmosphère! Enivre-le, Agni! Qu’il brûle pour moi, cet homme qui m’est cher!(Atharvaveda , 6.130) /DIR
Il serait intéressant de savoir si les hymnes ont précédé l’usage qui est fait de strophes isolées dans la liturgie (comme les versets bibliques le sont dans les liturgies chrétiennes) ou si, au contraire, ces poèmes ont été composés à partir de cette matière première. En ce qui concerne l’Atharvaveda, il est certain que des textes comme celui que l’on vient de lire sont étroitement liés au rite et l’on peut penser qu’ils ont été composés à seule fin d’accompagner les gestes de l’officiant. Pourtant, près de la moitié de la Sa face="EU Updot" 拉hit ne se rattache à aucun rituel et consiste en hymnes spéculatifs qui n’ont de valeur qu’en eux-mêmes et ressemblent en somme à des Upani ルad versifiées. Le ブgveda contient aussi quelques poèmes de ce type (des cosmogonies, par exemple), mais l’étonnant est surtout de constater que l’énorme majorité des hymnes ne sont jamais utilisés dans le cérémonial, pourtant compliqué et de durée considérable (des journées entières), du sacrifice védique. Cela n’empêche pas la tradition d’affirmer que les hymnes sont la partie la plus sainte du Veda, la plus vénérable, parce que la plus efficace sur le plan spirituel. Il n’est donc pas question de tenir ces textes pour de la littérature au sens profane du terme (à la manière des poèmes d’inspiration religieuse de nos auteurs classiques); force est de supposer que ces textes sont tout ce qui reste d’un état en quelque sorte «préhistorique» de la religion védique. Maints autres aspects de ces textes invitent également à cette hypothèse: un style tout à fait différent de celui que l’on connaît par ailleurs dans le corpus des Écritures; une langue très archaïque (avec des singularités morphologiques propres aux seuls hymnes); enfin, et surtout, l’idéologie qui s’exprime dans ces textes s’oppose à celle du reste du canon védique: le ritualisme en est absent (alors qu’il est caractéristique des Br hmana, par exemple) et les sentiments des rishis vis-à-vis de leurs divinités d’élection préfigurent la bhakti de l’hindouisme classique. Quoi qu’il en soit de ce problème, il reste que les hymnes du ブgveda et de l’Atharvaveda manifestent souvent une force d’inspiration et un bonheur d’expression qui sont susceptibles de nous toucher malgré l’éloignement dans le temps et l’obstacle des traductions.
Les textes rituels
Br hmana et Kalpas tra sont, on l’a vu, étroitement solidaires, les seconds décrivant avec minutie un cérémonial que les premiers commentent. Considérablement nombreux, ces ouvrages sont énormes; ainsi, la traduction française (par Caland et Henry) du rituel d’un seul type de sacrifice, l’Agni ルレoma («Cantate du feu»), occupe cinq cents pages; la traduction anglaise du seul えatapatha Br hma ユa (par J. Eggeling) forme cinq volumes d’un total de deux mille pages. L’ampleur de ces textes résulte évidemment de la finesse de l’analyse rituelle et du souci qu’ont les auteurs de ne rien laisser dans l’ombre, car le moindre détail possède, à leurs yeux, une importance telle que tout le cérémonial peut être ruiné par une seule faute passée inaperçue. Il existe d’ailleurs un prêtre dont la seule fonction est de surveiller l’ordonnance des rites et de redresser sur le champ toute erreur commise (on l’appelle pour cela le «médecin du sacrifice»). Cet officiant est assimilé au brahman , c’est-à-dire à l’absolu métaphysique, principe de toutes choses. Et si les commentaires exégétiques portent le nom de Br hmana, c’est, bien entendu, parce qu’ils s’attachent à montrer comment les rites «mettent en œuvre» ce même brahman: si le soleil se lève chaque matin, disait le texte cité plus haut, c’est parce que l’oblation matutinale a été faite selon les règles. Et cela, de toute évidence, ne peut s’admettre que si l’on croit effectivement qu’un geste humain, si trivial puisse-t-il paraître (en l’occurrence: verser un peu de lait dans le feu), a un effet cosmique dans la mesure où il est exactement rituel. Les premiers hommes (les rishis de l’âge d’or) ont eu la révélation de ce qu’il fallait faire pour permettre à l’ordre des choses de se perpétuer: les officiants védiques, dépositaires de cette révélation (transmise par voie initiatique à l’intérieur de chaque clan), agissent donc pour la conservation de l’univers et doivent continuer d’agir de la sorte, faute de quoi le soleil cesserait de se lever, le monde d’exister. C’est là toute la philosophie des Br hmana, incessamment répétée à longueur de pages (ce qui ne va pas sans quelque monotonie).
On peut signaler encore que les Kalpas tra se divisent en ごrautas tra (traités du rituel solennel) et g リhyas tra (traités du rituel domestique): ces derniers décrivent les sacrements (sa face="EU Updot" 拉skara ) que l’individu reçoit tout au long de sa vie (don du nom, initiation, mariage, funérailles, etc.). Quant aux Br hmana, ils se prolongent en ra ユyaka («Livres de la forêt»): il s’agit de textes relativement courts, d’inspiration identique, mais concernant des rites particuliers qui doivent être accomplis à l’écart («dans la forêt», comme on dirait: «au désert»).
Les Upani size=4ルad
Le caractère déjà très spéculatif des Br hmana et des Aranyaka annonce en quelque sorte les Upani ルad, comme l’annonçaient aussi, on l’a vu, les poèmes «philosophiques» de l’Atharvaveda (et, occasionnellement, du ブgveda). Aussi bien ces textes sont-ils soit en vers à la manière des hymnes des deux grandes Sa face="EU Updot" 拉hit (c’est le cas, par exemple, de l’ 壟 ご Upani ルad ) soit en prose «brahmanique» (comme la Ch ndogya Upani ルad , entre autres). Mais, dans l’un et l’autre cas, il s’agit exclusivement de faire de la métaphysique et non plus de réfléchir sur la signification du rituel. Tout se passe, en somme, comme si les リルi (car les Upani ルad aussi sont leur œuvre, puisqu’elles font partie de la Révélation) couronnaient leur enseignement par la communication du «secret des secrets» (l’expression revient souvent dans ces textes), lequel consiste en ceci que le brahman est présent en l’homme comme il l’est dans le rite. On le désigne alors sous le nom d’ tman («âme»), mais il ne saurait y avoir d’équivoque: l’ tman, c’est le brahman (et vice versa, naturellement). Il reste évidemment à établir comment l’absolu peut «habiter» dans une enveloppe charnelle, comment les actes (karman ) accomplis par l’individu peuvent influer sur son destin post mortem , comment une connaissance vraie de l’ tman-brahman est réalisable en cette vie.
Il s’en faut de beaucoup que les réponses données à ces questions soient les mêmes dans toutes les Upani ルad: les unes, par exemple, font du brahman un dieu «personnel» et développent donc toute une théologie de la dévotion (bhakti): le Seigneur (Vi ルユu ou えiva) est présent à l’intime de chacun de nous (on dit qu’il réside dans la «caverne du cœur») et se révèle à sa créature par un effet de sa grâce; d’autres tiennent que le brahman ne peut être décrit d’aucune façon: mieux vaut le désigner par un simple démonstratif neutre («Cela»); la connaissance que certains individus peuvent en avoir est une expérience incommunicable obtenue grâce à une initiation particulière et à des exercices spirituels qui préfigurent le yoga classique. On est là aux racines du ved nta dont on sait l’importance dans le développement de la philosophie hindoue. Ainsi tous les grands courants de pensée postvédiques (bhakti, yoga, ved nta) peuvent se recommander des Upani ルad, et d’autant plus facilement que ces textes sont souvent fort ésotériques et susceptibles de diverses interprétations. Le passage de la Ch ndogya Upani ルad cité plus haut paraît annoncer le ved nta par l’usage qu’il fait du pronom «Cela» pour désigner l’ tman-brahman; mais tous les maîtres spirituels ont commenté la Ch ndogya Upani ルad , même les tenants de la bhakti, car, si le brahman est dieu, «Cela» c’est «le Seigneur», Vi ルユu, えiva ou même la déesse (comme le professent les tenants du tantrisme)! Inversement, les adeptes du ved nta ne sont pas embarrassés par les louanges que telle Upani ルad fait de telle divinité, car les dieux ne sont que des manifestations du brahman! L’intéressant est de voir que toutes les écoles s’accrochent aux Upani ルad et ne semblent pas pouvoir se passer de la garantie «védique» qu’elles fournissent. C’est qu’il s’agit de textes révélés faisant partie intégrante de la Révélation ( ごruti , veda ) et que la philosophie brahmanique ne veut pas être un jeu de l’esprit mais une méditation des Écritures.
Ces textes sont en nombre indéfini (les plus récents recueils imprimés en Inde donnent le texte de 220 Upani ルad); cependant, les plus nombreux (et de loin!) sont d’époque postvédique: il existe, par exemple, une Allah Upani ルad évidemment postérieure à l’entrée des musulmans en Inde! En se fondant sur des critères philologiques, on peut donner une liste d’une quinzaine d’Upani ルad à coup sûr védiques: Ish , Kena, Ch ndogya, Brihad-Aranyaka, Taittir 稜ya, Mundaka, Mah -N r yana, Shvet shvatara, Maitr 稜, M nd kya, Aitareya, Pra ごna, Katha, Ch galeya, Bashkakamantra; on pourrait, en fait, en citer bien d’autres, car la notion de «védisme» dépend beaucoup des opinions personnelles de celui qui la professe: face="EU Acute" えankara, par exemple, commenta la Nrisimha-T pan 稜ya Upani ルad, ce qui était lui reconnaître un caractère védique que les philologues occidentaux nient dans leur grande majorité; on ne peut en décider dans un sens ou dans l’autre qu’à titre d’hypothèse.
2. La religion védique
La connaissance que nous pouvons avoir de la religion védique dépend, on l’a vu, de la seule analyse des textes qui constituent le Veda. C’est dire, compte tenu de la nature exclusivement liturgique et spéculative de ces textes, que l’environnement socio-culturel des milieux où se forma cette religion nous échappe absolument: de la musique, des danses, des spectacles, nous ne pouvons rien dire sinon qu’ils existaient, puisque la langue sanskrite archaïque a des mots pour les désigner. Il y a, par exemple, dans le ブgveda, un hymne célèbre qui décrit la déchéance du joueur invétéré: ce sont les dés qui perdent l’homme, dit le poète; mais quel type de dés? quelle sorte de jeu? mystère. Et encore: le えatapatha Br hma ユa commente longuement les rites de la consécration royale, mais sans qu’on puisse décider par là si la monarchie était héréditaire ou élective, si le titre de roi était donné de façon définitive à un individu ou seulement pour le temps d’une expédition militaire. Les spécialistes du Veda (même indiens) ont tant débattu de ces problèmes – et de beaucoup d’autres – sans parvenir à se mettre d’accord!
Cependant, les progrès réalisés depuis le début du XXe siècle dans le domaine des sciences humaines ont permis de mieux éclairer les problèmes, sinon de tous les résoudre. Des savants comme Mauss (Essai sur le sacrifice , 1899; Essai sur le don , 1923), Benveniste (Vocabulaire des institutions indo-européennes , 1969), Mircea Eliade (Le Sacré et le profane , 1965), Lévi-Strauss (Anthropologie structurale , 1965) et surtout, pour le domaine qui nous occupe, Georges Dumézil (avec en dernier lieu Mythe et épopée ) ont ouvert des voies nouvelles à l’interprétation du Veda qui, trop longtemps, resta du seul ressort des philologues. Bien entendu, le travail de ces derniers est primordial, puisque les documents à étudier sont des textes et l’on sait que la science du Veda est dominée par des noms comme ceux de R. Roth, H. Grassmann, W. Whitney, A. Macdonell, A. Keith, H. Oldenberg, A. Bergaigne, S. Lévi, H. Lüders, L. Renou, pour ne citer que quelques-uns des maîtres disparus, mais il est évident que le secours apporté par la sociologie, l’anthropologie, l’histoire des religions conduit à rouvrir les dossiers que l’on tenait pour clos à jamais: c’est la comparaison avec les autres secteurs du domaine indo-européen qui a donné à Dumézil le moyen de déterminer les rapports entre les dieux «souverains» Mitra, Varu ユa et le «roi des dieux» Indra; et il est frappant de constater que la controverse sur le soma a été déclenchée par l’ouvrage d’un ethnologue (R. G. Wasson, Soma , 1966) soutenu par Lévi-Strauss (dans la revue L’Homme , 1970). Nul doute que la conception que l’on se fait de la religion védique s’en est trouvée renouvelée, comme l’ont montré les ouvrages qui sont parus par la suite.
Le rituel
Rites domestiques
Il est important d’indiquer d’abord que le védisme est une religion sociale et non pas individuelle. Il a certes pu exister des personnalités capables de sortir du cadre normal des attitudes culturelles requises pour avoir des relations directes et solitaires avec leur divinité d’élection (préfiguration de la bhakti hindouiste), mais ce ne pouvait être que des exceptions confirmant la règle: l’aryen védique était voué, par sa naissance au sein de tel clan patrilinéaire, à des attitudes et à des croyances transmises par voie initiatique, de père en fils, depuis leur révélation première à l’ancêtre mythique, le rishi dont le patronyme (parfois totémique: «clan de la perdrix», «clan de la grenouille», etc.) était conservé comme une sorte de talisman social.
Nulle place n’est donc laissée aux initiatives personnelles, au moins en théorie. Dans son plus jeune âge, le garçon restait au gynécée et vivait avec sa mère, ses tantes, ses sœurs. Le père, qui l’avait seulement «reconnu» à sa venue au monde, n’avait pas de contact avec lui avant que vienne le moment de l’initiation (sacrement de l’upanaya ユa conféré vers l’âge de sept ans). À partir de ce jour, le garçon avait à apprendre ses devoirs religieux: son père (ou tel maître à qui le père déléguait ses pouvoirs) lui enseignait les rites en lui faisant répéter inlassablement les formules qui les accompagnaient et lui contait les mythes qui les fondaient. Vers l’âge de dix-sept ans, lorsqu’il était pleinement en possession de la science religieuse (Veda ) familiale, le jeune homme se mariait (hors du clan) «afin d’engendrer les enfants mâles» qui perpétueraient la tradition. Les filles, exclues de l’initiation, n’apprenaient pas le Veda: étant vouées en effet à changer de clan, que leur aurait servi de connaître une tradition qu’elles seraient amenées à répudier? Mariées, elles s’associaient aux pratiques religieuses de leur époux, qu’elles assistaient auprès de l’autel domestique. Le mariage était d’ailleurs pour elles un équivalent de l’upanayana et comportait une «présentation» de l’épouse au foyer sacrificiel.
L’agnihotra
Outre la distribution des sacrements (rites de la naissance, upanayana, mariage, funérailles), la religion domestique (ou mieux: clanique) comporte un certain nombre de rites obligatoires, dont le plus important est l’agnihotra («oblation dans le feu»). Ce sacrifice quotidien consiste en une libation de lait fraîchement trait, accomplie le matin «juste avant que le soleil se lève» et répétée le soir. Les Br hmana, les traités rituels, les Upani ルad s’accordent à voir dans cette cérémonie le point central de la religion védique, le geste qui la résume toute, le seul qui soit absolument obligatoire.
L’agnihotra symbolise parfaitement, en effet, la relation fondamentale entre l’homme (le clan), les dieux (à qui l’oblation est dédiée) et l’univers. La vache qui, soir et matin, donne librement son lait est le signe vivant de la grâce divine, don total (car la vache ne garde rien pour elle) que l’homme se doit de rendre sous la forme d’une libation (sacrifice: Dieu premier servi) et d’un hommage (le geste rituel s’accompagne de paroles de louange, de remerciements et de prières); or cet échange, dans la mesure où il est parfait et rituellement accompli, met en œuvre une force invisible mais formidable qui n’est autre que le brahman, principe de toutes choses. Ainsi l’univers est maintenu en place; il peut vivre suivant l’Ordre ( リta ; ce mot signifie à la fois: ordre cosmique, rite, vérité, bien suprême); le soleil se lève puis se couche au moment voulu, et les textes védiques s’accordent tous pour dire que l’agnihotra seul fait se lever (et se coucher) le soleil; lorsque l’ultime fidèle aura versé l’ultime oblation de lait, le monde sera à sa fin.
En un sens, tous les autres sacrifices sont comme une répétition amplifiée de l’agnihotra. On quitte cette fois le domaine du clan pour passer à celui de la tribu organisée en «royaume», puisque les clans s’y fédèrent sous l’autorité d’un roi (r jan ). Ce dernier, bien entendu, célèbre lui aussi l’agnihotra (ou le fait célébrer par un chapelain qui prend sa place), mais il le fait pour le bien de la «nation» tout entière, comme si celle-ci était devenue sa famille après qu’il eut reçu la consécration. Chaque fois que le souverain doit agir en engageant le destin de la collectivité, il ne manque pas de présenter aux dieux de fastueux sacrifices de propitiation (toujours selon le principe: «nous donnons beaucoup, vous ne pouvez manquer de nous rendre davantage»).
Des victimes animales (humaines parfois, assurent les textes védiques) sont mises à mort et leur chair, cuite selon les règles, est consommée par les fidèles; conjointement on offre des substances végétales, surtout des céréales préparées en bouillies, en gâteaux, ou simplement grillées. Les offrandes crues sont rares (le lait ne compte pas ici, car, d’une part, il est d’origine animale et, d’autre part, il est tenu pour «vivant», qu’il s’agisse du liquide que l’on vient de traire ou du beurre qui en représente l’essence savoureuse). Bien entendu, ces grandes cérémonies, compliquées, coûteuses, exagérément longues (le sacrifice du cheval dure une année entière!) supposent un personnel considérable de spécialistes; aussi, à mesure que le temps passe et que les rois aryens en faisant la conquête de l’Inde gagnent des richesses fabuleuses (on sait combien Alexandre fut impressionné par le faste des princes indiens), se crée une puissante caste sacerdotale, celle des brahmanes, qui, par la connaissance qu’elle possède de la liturgie solennelle, tend à occuper une place prépondérante dans la société au détriment même de la noblesse, pourtant détentrice légitime du pouvoir temporel. Les Upani ルad et les grandes épopées (le Mah bh rata , le R m ya ユa ) gardent le souvenir de cette rivalité et c’est un fait historique que les clans de k ルatriya ont disparu de la société hindoue, alors que les brahmanes s’y sont maintenus.
Le soma
Un autre groupe de rites était centré autour de la consommation d’un breuvage sacré, appelé soma («jus»). Il est maintenant à peu près certain qu’il s’agissait d’une drogue hallucinogène, vraisemblablement obtenue à partir d’un champignon (l’amanite «tue-mouche», ou «fausse oronge») dont le jus était extrait, filtré à diverses reprises, puis mélangé à du lait et du miel «pour en adoucir l’amertume». S’il a fallu attendre une date très récente pour comprendre ce qu’était le soma, c’est d’une part que l’usage s’en était perdu en Inde vers la fin de l’époque védique, d’autre part que le Veda ne donnait pas de renseignements précis sur la plante utilisée. Il s’agissait, en effet, de cérémonies secrètes, ou du moins réservées à une élite: les trois classes supérieures de la société, qui ne représentaient certainement qu’une faible proportion de la population (comme les citoyens dans la cité grecque). Les dieux mêmes n’ont pas tous accès au soma: les Br hmana content comment tel ou tel a usé de ruse pour être admis à le consommer, ou encore a dû acheter (ou conquérir) ce droit, etc. Tout se passe comme si les rites somiques ouvraient l’accès à une société supérieure, celle de «ceux qui savent», c’est-à-dire de ceux qui ont eu la vision des mondes de joie et de bonheur où vont après leur mort les initiés. Plusieurs poèmes du ブgveda évoquent l’extase des buveurs de soma; et les Br hmana expliquent que, si le jus sacré a de tels pouvoirs, c’est qu’il n’est autre que l’ambroisie, l’elixir de vie éternelle, en sanskrit am リta («non-mort», c’est-à-dire «vie sans retour»). Les dieux sont immortels parce que, les premiers, ils ont bu le soma céleste que l’aigle Garu ボa est allé quérir pour eux. Et, si l’ambroisie confère l’immortalité, c’est qu’elle est l’essence (rasa ), le suc de l’ordre cosmique, autant dire: le brahman. Le cheminement de la pensée est le même que celui qui conduisait à voir dans l’agnihotra la force qui soutenait le monde.
Bien entendu, il est facile de reconnaître dans le soma l’équivalent védique des breuvages d’immortalité connus de tous les autres peuples indo-européens: ambroisie des Grecs, haoma des Iraniens, etc. Mais le Veda permet d’atteindre directement une réalité qui partout ailleurs était morte au moment où sont élaborés les documents la concernant. Au temps où Homère écrivait, l’ambroisie n’était plus consommée en Grèce et le haoma que buvaient les Iraniens à la même époque n’était déjà plus qu’un substitut anodin de la drogue ancienne. En Inde également, le soma est remplacé durant le Ier millénaire avant l’ère chrétienne par une substance insignifiante. Ce sont ces faits qui conduisirent les spécialistes modernes du Veda à nier la toxicité du breuvage (et les visions décrites ne sont plus alors qu’une façon «poétique» d’évoquer des extases «mystiques»). C’est oublier que les hymnes védiques datent du IIe millénaire, certains même de la fin du IIIe: la comparaison avec des peuples d’un niveau de civilisation identique montre que la prise d’hallucinogènes est pratique courante dans les cercles d’initiés. On saisit là comment la recherche anthropologique récente a pu aider les philologues et les historiens des religions à résoudre un problème qui resta longtemps irritant. Ajoutons, pour en finir avec la question du soma, qu’il est fort possible que la consommation en ait été interdite à une certaine époque: en Iran, par exemple, il est certain que Zarathushtra (Zoroastre), réformant la religion avestique (étroitement homologue de la religion védique), proscrivit à la fois les sacrifices sanglants et la préparation du haoma ; des réformes similaires mirent un terme à des pratiques semblables chez les Celtes, les Germains. On peut penser qu’il en fut de même dans d’autres secteurs de l’aire indo-européenne et notamment en Inde. Mais le Veda n’a pas gardé le souvenir de cette révolution (qui peut-être n’eut lieu que dans certaines tribus); la consommation du soma s’y est probablement perpétuée, mais dans des cercles de plus en plus restreints, jusqu’à une date relativement récente. Le tantrisme, par exemple, connaît l’usage de drogues diverses, y compris l’alcool.
Les dieux
Cependant, qu’ils soient «somiques» ou non, les sacrifices restent toujours bâtis sur le principe de l’échange: l’homme donne afin que les dieux rendent. La religion védique étant polythéiste, c’est à bon droit que le mot «dieu» s’y trouve au pluriel. La doctrine du brahman pourrait paraître fonder un monothéisme (d’autant que certaines Upanishads appellent le brahman «Seigneur»); mais c’est oublier que la structure est à trois éléments: l’homme, les dieux, le cosmos. Si la force mystérieuse que l’on nomme brahman joue un rôle dans cet ensemble, c’est au niveau cosmique (par elle le soleil se lève): en stricte théologie, il faut dire qu’elle sous-tend la structure tout entière; elle est ce par quoi la structure existe, diraient les Br hmana et les Upani ルad. Mais cela n’empêche nullement les dieux de jouer leur partie.
Les trois fonctions
À la question: «Combien de dieux?» un rishi répondit: «Trente-trois mille trois cent trente-trois!» Il enseignait par ce chiffre symbolique à la fois l’importance numérique de la population divine et son organisation. Les dieux ne sont pas une foule, mais une société, évidemment analogue à celle des hommes. Georges Dumézil s’est employé à montrer que cette structure ternaire se retrouve dans tout le domaine indo-européen et fonde l’idéologie des peuples qui le composent. Il s’agit en fait d’une division toute naturelle à ce niveau de civilisation: la vie de la tribu n’est possible que si l’on y trouve des sacerdotes (car rien ne peut se faire sans rites), des guerriers et des producteurs , qui correspondent, en somme, au clergé, à la noblesse et au tiers état de l’Ancien Régime. Chacune de ces fonctions (sociales, cosmiques) est nécessaire aux deux autres et ne peut exister que par et pour les deux autres; aussi doivent-elles être égales, et elles le sont effectivement dans le monde divin comme le montre l’usage que font les textes védiques du nombre trois. La réalité humaine est, on l’imagine, quelque peu différente: les deux premières fonctions ont tendance à ravaler la troisième à un rang inférieur et luttent entre elles pour la préséance. À la fin de la période védique, une véritable hiérarchie est établie qui donne le pas aux brahmanes sur les nobles (k ルatriya ) et les producteurs (vai ルya ). Le panthéon lui-même n’est pas exempt de rivalités de ce genre, puisque les Br hmana content volontiers les déboires de dieux de la troisième fonction ayant la plus grande peine à se faire admettre aux sacrifices (d’autres fois, c’est Indra, dieu de la deuxième fonction, que l’on «oublie» au moment où le soma est préparé). Cependant, par-delà ces anecdotes, l’image reste celle d’un ensemble parfaitement structuré où chacun a sa place (en sanskrit: dh man , mot qui signifie à la fois «place», «statut» et «fonction»).
Mitra et Varu size=4ユa
En premier lieu, il faut considérer la fonction de souveraineté (au sens d’autorité spirituelle) qui s’exerce dans le domaine de ce que l’on pourrait appeler la «morale» et qui dans le Veda correspond à la garde de l’ordre cosmico-rituel ( リta par lequel le monde existe et se maintient). Les dieux Mitra et Varu ユa en assument la charge, assistés d’Aryaman et de Bhaga, personnages plus effacés mais non négligeables (Aryaman veille sur les communautés aryennes, d’où son nom; Bhaga préside à la distribution des grâces: son nom signifie «partage»). L’intéressant est que Mitra et Varu ユa représentent les deux aspects de la fonction souveraine: l’un symbolise l’alliance (c’est le sens premier du mot mitra ) conclue entre l’homme et les dieux, l’autre (Varu ユa) le châtiment que méritent ceux qui la rompent (son nom signifie «enveloppement», «ligature», car le pécheur est, disent les hymnes, saisi dans les rets de Varu ユa). Par voie de conséquence, Mitra est l’«ami» (autre sens du mot mitra ) des hommes et, de façon plus générale, de toute la création: «Ne suis-je pas Mitra, l’Ami de tous», s’écrie le dieu dans un mythe conté par le えatapatha Br hma ユa (4.1.4.2.); s’il causait le moindre dommage à qui que ce soit, il deviendrait a-mitra («non-ami») et perdrait son statut. À l’inverse, Varu ユa se doit de punir: c’est son rôle d’être terrible, d’inspirer l’effroi, la crainte religieuse; à lui tout ce qui brise, coupe, déchire – pour le bon ordre, évidemment. Ainsi l’offrande végétale qu’on lui dédie sera tirée de la récolte de céréales, car le soc de la charrue aura d’abord déchiré la terre pour la produire; l’offrande homologue à Mitra sera cueillie dans les terrains en friche qu’aucun instrument contondant n’a encore touché. Dans l’ordre cosmique, Varu ユa préside à la nuit (à la fois parce que les ténèbres sont angoissantes et parce que les étoiles, «les mille yeux de Varu ユa», symbolisent la vigilance du dieu); Mitra garde la lumière, veille sur la bonne marche du soleil. On sait comment, en Iran, Mithra en est venu à représenter le soleil lui-même et comment les mystères de ce dieu répandirent dans le monde romain le mythe de la Lux perpetua .
Indra
Au niveau de la fonction guerrière (le pouvoir temporel) règne Indra, le dieu-roi, le combattant infatigable, dont le rôle est d’abord de maintenir l’ordre cosmique, non plus en portant un jugement «moral» sur les actes des hommes et en punissant les infractions, mais en éliminant par la violence portée à son extrême (l’anéantissement de l’adversaire) les ennemis du リta . Hymnes et Br hmana content à l’envi la mise à mort du dragon V リtra, personnification de l’Adversaire par excellence. V リtra retenait les eaux du ciel et, de ce fait, empêchait l’univers de naître; Indra, élu champion des dieux, le tue en le perçant de son arme et libère ainsi les eaux qui entraînent avec elles les forces de vie: le feu (Agni), la vie (Soma); c’est alors seulement que tout est mis en place: le Ciel, la Terre, le monde intermédiaire, et que prolifèrent les êtres vivants.
Divers dieux aident Indra dans sa tâche et relèvent donc de la deuxième fonction. Ce sont d’abord les Marut (le Mars latin), troupes de jeunes guerriers aux armes étincelantes qui chevauchent les vents; ce sont aussi V yu (le vent personnifié) et Vi ルユu, qui restera dans l’hindouisme classique le dieu qui s’incarne pour sauver l’ordre cosmique lorsqu’il est menacé (doctrine des avat ra ).
La troisième fonction
Au troisième niveau, celui de la production des richesses et de la prospérité sous toutes ses formes, on trouve d’abord deux dieux jumeaux, les A ごvins, cavaliers du ciel (c’est le sens du mot a ごvin ) qui paraissent à l’aurore, comme les Dioscures grecs dont ils sont les homologues. Leur rôle est essentiellement d’apporter la lumière bienfaisante, dont le rayonnement suscite la germination des plantes et symbolise l’activité laborieuse, pacifique. Avec eux sont célébrés les dieux et déesses qui président à la production de la lumière: l’Aurore, jeune fille d’une grande beauté qui ne refuse pas ses faveurs à ceux qui peuvent l’approcher, le Ciel lumineux, le Jour, et surtout le Soleil (S rya, «le Lumineux»; ou Savitar, «l’Incitateur»). La nuit même est chantée dans quelques hymnes comme une déesse «lumineuse» dans la mesure où elle est étoilée, brillante, sereine. L’astre des nuits est tenu pour un dieu masculin (Lunus et non Luna); durant la nuit de Néoménie, il descend sur la terre et féconde les eaux et les plantes pour qu’elles portent du fruit et donnent naissance aux êtres. On dit même que Candramas («le Brillant Mesureur», c’est-à-dire le dieu-Lune) intervient lors de la défloration de la jeune mariée: c’est lui, non l’époux, qui la féconde.
D’une façon générale, les dieux de troisième fonction sont très en retrait dans le Veda. Rares sont les hymnes qui les célèbrent, peu nombreuses les oblations qu’on leur dédie dans les sacrifices. C’est que le Veda est surtout l’affaire des clercs et des nobles, dont il est dit que les deux forces conjointes (ubhe vir 稜ye ) soutiennent le monde. Ainsi s’explique la partialité des textes: à maints signes, on devine que le culte des dieux de troisième fonction avait une ampleur considérable, sans mesure avec la place que lui accordent nos documents. Cela vient notamment de ce que les divinités féminines quasi absentes du Veda et relevant de droit de la troisième fonction (prospérité, fécondité, beauté, plaisir) jouaient un grand rôle dans la religion dite «populaire». Les fêtes des saisons, les rites de fécondité (comment obtenir des enfants mâles), la magie amoureuse (envoûtements) apparaissent furtivement dans certaines parties du Veda, par exemple dans quelques hymnes de l’Atharvaveda et dans les prescriptions rituelles qui les accompagnent, mais la place chichement mesurée qui leur est ainsi faite ne correspond sûrement pas à la réalité; cela fait songer au tantrisme qui, lui aussi, coexistera avec l’hindouisme «orthodoxe», mais sans que les Écritures sacrées lui en reconnaissent pleinement le droit.
Problèmes
Ce serait une erreur de croire que la division du panthéon en trois fonctions suffit à tout expliquer de la mythologie védique. Maints problèmes subsistent. On peut citer, parmi les plus importants, celui de la rivalité entre deux classes de dieux: les Deva («dieux», au sens de célestes, brillants) et les Asura («forces» ou «souffles» de vie), division correspondant à celle des dieux germaniques en dieux-Ases et dieux-Vanes. Au niveau des Br hmana, les Asura deviennent des Titans que leur orgueil condamne à perdre le pouvoir au profit des Deva. Pourtant, les hymnes font la louange des Asura et notamment du plus grand d’entre eux, Varu ユa. Inversement, lorsque les Br hmana content les défaites des Asura, ils ne mentionnent jamais Varu ユa parmi les vaincus. Peut-être faut-il admettre qu’il y a eu évolution: les hymnes du ブgveda sont philologiquement plus archaïques que les textes en prose des Br hmana et gardent le souvenir d’un état plus ancien de la religion? Peut-être aussi y a-t-il, derrière ces légendes, le mythe de l’usurpation du pouvoir par Indra: l’Asura Varu ユa est constamment appelé «le Père», et Indra, dont les enfances sont connues, est, par définition, un fils. A-t-il pris la place de son père en le mutilant? Plusieurs textes semblent faire allusion à ce drame, mais en termes voilés; la question reste ouverte (il faut dire aussi que V リtra «enveloppeur» est visiblement un autre nom de Varu ユa: or Indra tue V リtra!).
Un autre problème est celui de la place qu’il faut accorder à deux divinités majeures: Agni (le feu) et Soma (l’ambroisie). Toutes deux semblent participer des trois fonctions à la fois: Agni, par exemple, est tenu pour un prêtre (il est le chapelain des dieux); mais il est aussi un guerrier qui assiste Indra dans son combat contre V リtra (un hymne passablement mystérieux indique qu’Agni a quitté le service de Varu ユa pour se rallier à l’ordre nouveau instauré par Indra); enfin, en tant que force de vie, Agni assure la prospérité du clan. Dieu familier, veillant en permanence au foyer de chaque aryen, il est l’objet d’un culte à caractère dévotionnel; sans lui, d’ailleurs, pas de sacrifice possible, puisque Agni a pour tâche d’aller quérir les dieux au panthéon lorsque l’officiant prononce en début de cérémonie les formules d’invitation; les offrandes versées ou jetées dans le feu sont dévorées par lui au nom des dieux dédicataires; à sa mort, l’aryen déposé dans le feu est conduit par lui dans l’au-delà.
On en dirait autant de Soma qui, lui aussi, mérite le titre de «roi» parce qu’il couvre tout le domaine des trois fonctions: guerrier farouche, il est cependant le sacrificateur par excellence et le «taureau» qui féconde tous les êtres (à ce titre, certains textes l’identifient à Candramas, le dieu-Lune). En fait, Agni et Soma restent en marge de la division tripartite parce qu’ils sont moins des «personnes», comme Mitra, Varu ユa, Indra, les A ごvins, que des puissances cosmiques, des éléments vitaux à partir desquels l’univers est construit. On l’a vu, le sacrifice n’existe que par Agni, mais c’est une façon de dire que le feu est l’instrument privilégié de la relation rituelle entre les hommes et les dieux; Soma, de même est la substance par laquelle la vie se perpétue: non seulement la vie éternelle obtenue par la consommation de l’ambroisie, mais aussi l’essence vitale présente dans les eaux, les plantes, les êtres vivants (les textes l’assimilent au miel, au lait, aux sucs végétaux, au sperme). On en dirait autant de la Lumière, qui participe à la fois d’Agni et de Soma (car la Lumière est feu, soleil, éclair, mais aussi or, lait, sperme).
Les Upani ルad s’attachent, on le sait, à expliciter ces correspondances et bâtissent leur métaphysique sur un système de corrélations qui fait, en quelque sorte, la synthèse de la religion védique. L’or est la lumière minérale, il est donc Agni dans la terre et Soma cristallisé: on peut alors dire qu’il est la quintessence de tous les métaux, «le brahman rendu sensible aux yeux» dans l’ordre matériel. Ce type de raisonnement permet d’intégrer la réalité sensible à la structure fondamentale de l’univers, de voir en elle le signe de celle-ci. Ainsi la religion védique assure-t-elle son unité par-delà une diversité foisonnante où se manifestent tant de courants divers (ritualisme, dévotion, ésotérisme, etc.). D’autre part, la beauté et la richesse des textes qui la font connaître assurent sa survie malgré sa disparition formelle vers le VIIIe siècle avant l’ère chrétienne, quand elle doit céder la place au jaïnisme, au bouddhisme, à l’hindouisme du yoga et de la Bhagavad G 稜t . Moment important de la sensibilité religieuse indienne, elle continue de mériter l’attention.
véda [ veda ] n. m.
• 1765; Veidam 1756; sanskr. veda- « savoir »
♦ Didact. Ensemble de textes religieux et poétiques qui forment les premiers documents littéraires de l'Inde, écrits en sanskrit archaïque. Les trois Védas (des strophes, des formules cérémoniales, des mélodies).
Veda ou Védas
(mot sanskrit signif. "savoir") désigne à la fois les quatre collections des livres sacrés de l'hindouisme et l'ensemble des textes du brahmanisme. Ils ont été rédigés en sanskrit depuis une époque que les indianistes situent vers 1800 av. J.-C. pour la partie la plus anc.; des adjonctions ont été opérées jusqu'au IVe s. av. J.-C. Les quatre collections de textes sont: le rig-veda, le yajur-veda, le sâma-veda et l' atharva-veda. Chacune est un vaste ensemble (samhitâ) d'hymnes et de formules (mantras) incantatoires. (V. Vedânta et upanishad.)
⇒VEDA, (VEDA, VÉDA)subst. masc.
RELIG. DE L'INDE. Ensemble de textes sacrés écrits en sanscrit archaïque et représentant le premier monument littéraire de l'Inde. L'ensemble de la Révélation (...) est renfermée dans les Quatre Veda qui portent respectivement les noms de Rgveda, le Veda des strophes; de Yajurveda, le Veda des formules; de Sâmaveda, le Veda des mélodies et d'Atharvaveda, le Veda de la magie (P. MARTIN-DUBOST, Çankara et le Vedanta, 1973, p. 48).
Prononc. et Orth.:[veda]. Ac. dep. 1835: véda, les védas. Lar. Lang. fr.: ve-. Étymol. et Hist. [1666 Bet (THEVENOT, Voyages, t. 3, p. 192 d'apr. DALG.)] 1670 Vedam (Th. DE LA GRUE, trad. A. ROGER, Le Théâtre de l'idolatrie, ou la Porte ouverte, Amsterdam, p. 3); 1740 Vedam, Bed (Lettre du P. Pons au P. Du Halde ds Lettres édifiantes et curieuses t. 26, 1743, p. 233: les quatre Vedam ou Bed); 1765 Veda (Encyclop. t. 9, p. 922b). Empr. au skr. veda « connaissance, science », en partic. « science sacrée, textes sacrés, Saintes Écritures, Veda », dér. de la racine vid « savoir, connaître, comprendre, apprendre », apparentée au lat. videre « voir », à l'all. wissen « savoir », etc. La forme Bet représente un empr. à une lang. mod. de l'Inde (cf. ourdou bed, hindi ved, issus du skr. veda, v. NED). Fréq. abs. littér.:19.
DÉR. Védisme, subst. masc., relig. Brahmanisme primitif. Les périodes anciennes du Brahmanisme, qui prendraient alors le nom de Védisme, parce qu'elles recouvrent les siècles où s'élabora l'ensemble des textes sacrés inaugurés par les Védas originels (Philos., Relig., 1957, p. 52-7). — []. — 1re attest. 1859 (M. NICOLAS, Le Parsisme ds R. germ. t. 7, p. 244: sa comparaison [du parsisme] avec le védisme); de Véda, suff. -isme.
véda [veda] n. m.
ÉTYM. 1765; Veidam, 1756, Voltaire (Beth, d'après l'ourdou, 1759, Moreri); sanscrit veda- « savoir, connaissance », de vid- « savoir » (apparenté à voir).
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♦ Didact. Ensemble de textes religieux et poétiques formant les premiers documents littéraires de l'Inde, écrits en sanscrit archaïque (→ Brahman, cit. 1); chacun des recueils (samhitâs) qui le composent. || Les trois Védas : le Rig-Veda ou « Véda des strophes », recueil d'hymnes aux divinités; le Yajur-Veda (Véda des formules sacrificielles); le Sâma-Veda (Véda des mélodies), qui contient la plus ancienne musique liturgique connue (d'après L. Renou, les Littératures de l'Inde, p. 5-11). || Un quatrième Véda (Atharva-Veda) a été admis plus tard. || Les Védas forment avec les Brâhmanas, les Âranyakas (« Livres forestiers ») et les Upanishads (→ Vedânta) la littérature révélée brahmanique. — On rencontre aussi la graphie Veda (invar.).
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DÉR. Védique, védisant, védisme.
Encyclopédie Universelle. 2012.