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BHAKTI
BHAKTI

Dérivé de la racine bhaj , partager, bhakti désigne en Inde la sorte de dévotion qui fait participer le fidèle à la personne et à l’essence de la divinité qu’il adore.

Une amitié caractérise, dans cette atmosphère, les rapports du dieu et de ses dévots. Les cultes populaires ont dû, de tous temps, connaître cette attitude religieuse; assimilant leur divinité familière à l’un des grands dieux de l’hindouisme, ces petits groupes ont transféré à celui-ci le même sentiment d’intimité.

Parce que la bhakti s’exprime par des rites simples, offrandes de fleurs, de parfums, d’un peu d’eau, elle est accessible à tous, contrairement aux sacrifices anciens compliqués et dispendieux. Ceux-ci, de plus, prônaient le sacrifice d’animaux, réprouvé par la doctrine de la non-nuisance (ahi ュs ) dont l’importance croissait. « Si quelqu’un m’offre avec dévotion une feuille, une fleur, un fruit ou de l’eau, j’apprécie ce présent, fait avec dévotion, du fidèle à l’âme pieuse » (Bhagavad G 稜t , IX, 26).

Par ailleurs, les groupes de bhakti s’écartent de l’attitude traditionnelle en abaissant, souvent même en supprimant, les barrières de la caste – du moins au plan religieux; en face de la divinité, l’amour des fidèles les rend tous égaux. « Ceux qui prennent en Moi leur refuge, fussent-ils nés dans une condition mauvaise, femme, vai ごya , ou ご dra , ceux-là aussi vont au but suprême » (Bhagavad G 稜t , IX, 32).

Les origines

Quoique cet aspect du culte soit sans doute fort ancien, le terme lui-même n’est attesté qu’à l’époque de l’Épopée (Mah bh rata ); le célèbre épisode de la Bhagavad G 稜t l’inclut dans son énumération des trois voies d’accès à la libération: le bhaktim rga , chemin de la dévotion, y est déclaré supérieur aux deux autres (celui du rite et celui de la gnose). Probablement contemporaine des passages de la G 稜t qui exaltent la bhakti, la えvet ごvatara , l’une des plus récentes parmi les Upani ルad anciennes, proclame l’excellence de ce comportement dévotieux.

À l’origine, la bhakti était essentiellement le culte rendu à Bhagavant, c’est-à-dire au Seigneur Bienveillant dont le nom se retrouve dans le titre de la Bhagavad G 稜t . Cette épithète s’applique parfois à différents dieux, mais désigne de façon plus spécifique Vi ルユu. Quant au développement de la bhakti, il se confond avec celui des cultes dits « sectaires », terme désignant des groupes qui, à l’intérieur du patrimoine commun, établissaient un choix: choix de textes particulièrement révérés, choix de la divinité même à qui s’adressent les adorations, en tant qu’Absolu personnel, Dieu suprême. Cette divinité d’élection peut être l’une des deux grandes figures dominant le panthéon hindouiste, Vi ルユu ou えiva, après le passage au second plan de Brahm , personnification du Brahman neutre des Upani ルad.

Ainsi la bhakti, d’abord vichnouite selon toutes probabilités, s’adressera par la suite également à えiva. On pourra même, dans le Mah yana, à propos du culte des Bodhisattva , parler d’une bhakti bouddhique; toutefois les exemples les plus typiques demeurent ceux qu’offrent les sectes d’obédience vichnouite. Dans les premiers siècles avant notre ère, des inscriptions sur pierre ou sur piliers attestent dans l’Inde du Nord-Ouest l’existence de ces cultes.

L’épanouissement de la bhakti

Au sud de l’Inde, la bhakti s’exprimera d’une manière caractéristique, entre le VIe et le IXe siècle, dans les hymnes des ヤv r , poètes de langue tamoule, qui célèbrent tout particulièrement l’avat ra K リルユa. Cependant, vers la même époque – et déjà antérieurement – d’autres poètes tamouls, dévots de えiva, ont célébré leur dieu dans des hymnes eux aussi brûlants d’un ardent amour.

Dans l’un des Pur ユa les plus récents, le Bh gavata – qui ne remonte sans doute pas plus haut que le Xe siècle – on retrouve la dévotion exclusive à K リルユa, mais cette fois exprimée en sanskrit. La bhakti se manifeste dans un contexte non plus simplement poétique, mais métaphysique dans les écrits du grand réformateur ved ntin, R m nuja (XIe siècle), qui a composé entre autres un commentaire de la Bhagavad G 稜t .

Chez lui se maintient l’équilibre entre l’amour du fidèle et la bienveillance divine qui caractérisait la forme ancienne de cette dévotion; après lui s’esquissera un mouvement dans le sens d’une reddition encore plus complète de l’homme à la divinité. Dans certaines sectes, on préférera au terme de bhakti celui de prapatti , abandon, ou de preman , amour à coloration passionnée; mais même dans ces cas extrêmes, c’est l’expression générique de bhakti qui recouvre tout le mouvement religieux affectif en Inde.

Les assauts répétés de l’islam contre l’hindouisme en avaient dans le Nord freiné, et par endroits aboli, les manifestations. Cependant, la tradition avait gardé toute sa vigueur dans le Sud, que son éloignement tenait à l’abri des influences massives de l’islam. Les cultes de dévotion y prospéraient et c’est de là que, vers le XIVe siècle, partira en direction du Nord la reconquête religieuse qui cheminera le long des côtes, tant orientales qu’occidentales.

Un Mah tmya (exaltation), joint vers le XVIe siècle au Bh gavata Pur ユa , nous retrace un processus qui a chance d’évoquer, non la première apparition de la bhakti sur le sol indien, mais sa reviviscence depuis les sectes vichnouites du Sud: « Née dans le pays dravidien, j’ai atteint l’âge adulte dans le Kar ユ taka; vivant çà et là dans le Mah r ルレra et le Gujr t, je suis parvenue à la vieillesse, mutilée par les hérétiques (l’Islam), sans force ainsi que mes deux fils Savoir et Détachement, j’ai été presque anéantie. Revenue dans le V リユボ vana (région de Mathur , d’où est originaire la légende de K リルユa), neuve et comme régénérée, bien constituée, me voilà maintenant ressuscitée » (Bh gavata Pur ユa Mah tmya , I, 47-49).

Nimb rka, d’origine telugu (XIIe-XIIIe s.), philosophe autant que mystique, s’inscrit dans la lignée de R m nuja, mais accentue l’aspect de complet abandon à Dieu. R m ユanda, d’un bon siècle son cadet, appartient à la même tradition, tout en adressant plus particulièrement ses adorations à l’avat ra R ma.

Alors que, même dans la plus révérencieuse dévotion, l’immanence et la transcendance divines sont inséparables dans l’ensemble de la pensée indienne, Madhva (XIIIe-XIVe s.) se présente comme une exception en proclamant le dieu auquel il se voue absolument distinct des âmes et du monde matériel.

Au cours de la remontée de la bhakti vers les rives de la Yamun , on peut noter quelques noms de mystiques éminents: par exemple, à l’est, celui de Vallabha (fin du XVe s.) qui, quoique telugu, vécut à Bénarès. Son contemporain, Caitanya, qui y était né, alla s’établir et mourir en Oris ; il transposa la bhakti dans le registre de preman, l’amour passionné, et instaura en l’honneur de K リルユa des processions accompagnées de chants (sa ュk 稜rtana ).

Sur la côte ouest, la bhakti s’épanouit chez les sant , les « saints » marâthes qui, à la façon des lv r, rédigèrent en langue vulgaire leurs louanges au Seigneur. Les noms les plus célèbres de ce groupe sont ceux de Namdev (XIVe-XVe s.) et de Tukar m (XVIIe s.), tous deux d’humble extraction.

Dans la tradition de la bhakti, la statue à laquelle on rendait hommage était censée contenir une parcelle de la divinité; c’est pourquoi, tout en se posant comme adversaires de l’idolâtrie, les saints marâthes ont conservé le culte des images.

Une fois passée l’ère des persécutions, une sorte d’osmose s’était établie entre les cultes de bhakti et la tradition mystique musulmane. Quelques grandes figures s’imposent, chez qui se mêlent intimement la dévotion hindoue et la mystique soufie. Les plus frappantes sont celle de Kab 稜r (XVe-XVIe s.), un tisserand dont les hymnes ont profondément marqué la pensée religieuse de l’Inde, et celle de Tulsi D s (XVIe-XVIIe s.), brahman des bords de la Yamun . Vivace, le courant de bhakti a persisté jusqu’à nos jours.

bhakti nom féminin (mot sanskrit) Dans la spiritualité hindoue, l'« amour », le « dévouement » partagé et vécu par l'individu dans sa relation avec Bhagavat. (C'est l'un des principaux chemins de libération.)

bhakti [bakti] n. f.
ÉTYM. Déb. XXe; mot sanskrit bhakti- « dévotion, ferveur; foi ou culte qui repose sur l'amour; doctrine qui préconise pareille foi », d'abord « division, partition », de bhaj- « partager » (→ cit. 1).
Dans l'hindouisme, Attitude religieuse privilégiant l'affectivité, dans laquelle le fidèle exprime sa dévotion à l'Absolu (personnel) par un culte intime et simple à la divinité d'élection (le plus souvent Vishnu ou l'un de ses avatars) qui le figure pour lui; tradition religieuse adoptant cette attitude dévotionnelle. || La bhakti est l'une des voies d'accès à la libération selon la Bhagavad Gîtâ. || Poètes de la bhakti.
1 De même que la pratique du yoga met celui qui s'y entraîne dans l'état de yukta (joint), la pratique de bhakti fait le bhakta. Par « participation » on devient « participant ». Ajoutons que l'entité qui se laisse posséder par participation est bhagavant : celui qui se donne en partage, qui se communique en participation.
Paul Masson-Oursel, le Yoga, p. 40.
2 C'est à l'époque qui correspond à peu près à notre Moyen Age, et c'est au Bengale en particulier que s'est (…) développée autour du mythe de Krishna cette bhakti, cette mystique dévotion à l'ineffable Amour, point si différente, mutatis mutandis, de certaines formes de la sensibilité chrétienne récurrente au cours des siècles.
M. Yourcenar, Sur quelques thèmes érotiques et mystiques de la Gita-Govinda, p. 21.
COMP. V. Bhakti-yoga.

Encyclopédie Universelle. 2012.