ATTENTION
Chacun sait quand utiliser les verbes: regarder ou écouter plutôt que voir ou entendre; chacun identifie sans peine les nuances qui différencient des expressions comme: faire attention, surveiller du coin de l’œil, ne pas prêter attention, attirer l’attention ou être distrait; chacun reconnaît comme familières l’obligation dans laquelle se trouve un conducteur d’interrompre une conversation avec son passager lors d’une manœuvre délicate, ou la difficulté de mener un dialogue dans l’animation d’une réception; chacun, en un mot, comprend immédiatement ce que signifie être attentif ou inattentif. Avant d’être un concept clé des sciences du comportement, l’attention est un mot du vocabulaire le plus banal, qui renvoie à des impressions subjectives associées à des situations identiquement et universellement vécues.
Recouvrant certainement des phénomènes psychologiques multiples, l’attention n’a jamais reçu de définition univoque. L’accent a tantôt été mis sur le sentiment vécu de focalisation, de concentration de la conscience sur un seul objet, sur le rôle de l’attention dans le traitement sélectif des informations, ou sur l’amélioration de l’activité sensorimotrice et intellectuelle qui caractérise le comportement attentif. L’important courant des recherches consacrées aux processus attentionnels depuis une vingtaine d’années est dû, d’une part, au développement, dans le domaine de la psychologie cognitive, de méthodes d’analyse inspirées de la formalisation informatique, visant à décomposer l’activité psychologique en opérations mentales élémentaires; d’autre part, à la mise au point, dans le domaine des neurosciences, de techniques puissantes d’investigation permettant l’étude des mécanismes neurophysiologiques qui sous-tendent les aspects les plus sophistiqués de la vie mentale.
Abandonnant définitivement une conception unitaire au profit d’une conception multidimensionnelle de l’attention, les travaux psychophysiologiques les plus récents s’organisent autour de quelques axes de recherche principaux. L’attention est tout d’abord une instance de sélection parmi le flux continu d’informations provenant du monde extérieur et au sein du répertoire de réponses dont nous disposons pour y réagir, évitant ainsi la surcharge de traitement sensoriel et l’incohérence, voire la paralysie des effecteurs; l’attention est, de plus, une instance de distribution d’un ensemble limité de potentialités de traitement, qui gère des priorités lorsque plusieurs activités concurrentes doivent être menées simultanément. L’attention est aussi une instance de régulation des aspects intensifs du comportement, qui adapte le régime de fonctionnement de l’organisme aux sollicitations, transitoires ou à long terme, auxquelles nous devons faire face. L’attention est enfin une instance de contrôle du comportement, qui hiérarchise les modalités du traitement affecté à nos activités, différenciant celles, privilégiées, qui bénéficient d’un accès à la conscience et celles, les plus nombreuses, qui se déroulent automatiquement.
1. La notion d’attention
Le concept d’attention n’a sans doute acquis un statut scientifique qu’au cours du XVIIIe siècle, quand Leibnitz, par exemple, notait que seules quelques-unes des nombreuses stimulations excitant nos organes des sens donnent lieu à une perception consciente. On le retrouve utilisé tout au long du XIXe siècle dans les travaux que les philosophes, s’appuyant sur les seules données de l’introspection, ont consacrés à la vie psychologique, le plus souvent étroitement associé aux problèmes posés par la prise de conscience. C’est seulement au début de ce siècle que la naissance d’une psychologie scientifique faisait entrer, pour une brève période, l’étude de la vie mentale – et donc de l’attention – au laboratoire; une telle étude apparaissait possible en inférant les caractéristiques des processus attentionnels à partir d’indices comportementaux recueillis dans des situations expérimentales bien contrôlées. Le recours à cette méthode inférentielle explique le déclin, entre les deux guerres, des études sur l’attention, qui disparaissaient des manuels de psychologie pendant l’ère du behaviorisme, dont le credo interdisait de considérer comme objet d’une étude scientifique des processus mentaux inobservables. À partir des années cinquante, l’introduction de la théorie de l’information dans les sciences du comportement, l’apparition d’une demande spécifique dans les domaines militaire, industriel et pédagogique, ainsi que l’essor des méthodes d’investigation psychophysiologiques vont conduire à une réhabilitation spectaculaire du concept d’attention, accompagnée d’un développement explosif des recherches consacrées aux processus attentionnels et aux mécanismes physiologiques qui les sous-tendent.
Les recherches contemporaines ont mis initialement l’accent sur le rôle des processus attentionnels dans la sélection des entrées sensorielles et la modulation de l’activité perceptive, omettant souvent d’étendre les fonctions de sélection et de modulation attentives à l’activité de planification qui précède l’exécution de nos actes. Non seulement cette conception négligeait les arguments d’évidence de la psychologie populaire, où les recommandations du genre «soyez attentifs à ce que vous faites» sont tout autant utilisées que celles du type «soyez attentif à ce que je dis», mais encore rompait avec la tradition des psychologues du début du siècle, qui concevaient l’intervention des processus attentifs d’une manière très symétrique sur les plans sensoriel et moteur.
Les raisons du divorce entre attention et motricité sont multiples. La plus évidente tient aux liens historiquement étroits entre les concepts de conscience et d’attention. Dès lors, en effet, qu’on identifie celle-ci aux processus qui permettent, selon la formule de W. James, de «s’emparer sous une forme claire et vivante des événements du monde extérieur», une asymétrie apparemment évidente est introduite entre les mécanismes supposés faire accéder à la conscience les événements qui se déroulent autour de nous et ceux que nous produisons. Tandis que la conscience de nos perceptions apparaît évidente, celle de nos mouvements reste l’objet d’un débat. La seconde origine de cette occultation prolongée des modulations attentionnelles de l’activité motrice est liée à l’influence profonde de la théorie de l’information, issue de la physique, dans le développement de la psychologie expérimentale moderne. Formalisant les transformations que subit un «signal» aux étapes successives d’un «canal» de transmission de l’information, cette modélisation, appliquée au fonctionnement psychophysiologique du cerveau considéré comme un système de traitement de l’information, a conduit à une assimilation abusive de la notion de stimulus , évidemment liée à celle d’entrée sensorielle, et de la notion de signal , qui concerne aussi bien l’entrée que la sortie d’un système physique.
L’évolution rapide et convergente des travaux menés par les psychologues expérimentaux et des études neurophysiologiques a conduit non seulement à faire progressivement disparaître l’antinomie entre attention et motricité, mais encore à introduire l’idée d’une connexion privilégiée entre ces deux domaines de recherche (cf. Coquery, 1987). Ainsi, le mécanisme susceptible d’expliquer le rôle de l’attention dans la sélection des informations pertinentes de l’environnement, d’abord conçu comme un système de filtre intervenant dès la réception sensorielle périphérique, a été ensuite situé de plus en plus tardivement dans les processus de traitement qui conduisent à l’exécution de la réponse appropriée au stimulus «sélectionné»; enfin l’hypothèse d’un processus cible unique a été finalement délaissée au profit d’une conception où l’attention devient un système de contrôle multipotentiel , susceptible d’intervenir aussi bien dans la prise d’information sensorielle que dans la planification de la réponse comportementale qui lui est associée. Au-delà de cette évolution des idées concernant les mécanismes de la sélection attentionnelle, c’est le traditionnel cloisonnement entre les domaines d’étude consacrés à la perception et à la motricité qui est mis en cause.
Les données les plus récentes de la neurophysiologie, acquises avec les méthodes permettant d’enregistrer grâce à des microélectrodes introduites dans les structures nerveuses l’activité électrique d’un seul neurone chez des animaux soumis à des épreuves comportementales proches de celles utilisées chez l’homme, ont spectaculairement confirmé l’impossibilité de confiner les processus attentionnels au seul versant perceptif du comportement. Ainsi, Wurtz, Goldberg et Robinson (1982) ont, par exemple, observé dans deux régions du cerveau impliquées dans la transmission des informations visuelles et dans l’organisation des mouvements des yeux – le colliculus supérieur et le champ oculaire frontal (fig. 1) – des populations de neurones dont l’activité est déclenchée par un stimulus présenté dans le champ visuel périphérique, sous réserve que ce stimulus soit la cible d’un mouvement oculaire conduisant l’animal à fixer ce stimulus. Un tel phénomène apparaît donc comme la conséquence de la préparation du mouvement des yeux qui permettra à l’animal de «saisir» visuellement un stimulus pertinent, puisque de cette saisie dépendra l’obtention du renforcement alimentaire à la suite du conditionnement auquel l’animal a été soumis. Cette interprétation n’est pas exclusive des processus attentionnels qui se déroulent dans les systèmes visuel et oculomoteur, mais peut être étendue à des phénomènes similaires observés dans les régions associatives du cerveau, comme le cortex pariétal postérieur (fig. 1), où s’intègrent les informations provenant de diverses modalités sensorielles; le physiologiste américain Mountcastle et ses collègues ont mis en évidence des neurones dont l’activité est déclenchée, dans les mêmes conditions expérimentales, par un objet stimulus qui, cette fois, n’est plus la cible d’un mouvement des yeux mais d’un mouvement d’un membre permettant d’atteindre, de saisir ou de manipuler cet objet: la modulation attentionnelle de l’activité neuronale n’est plus ici spécifique d’un mouvement particulier, comme l’est la fixation visuelle du stimulus dans le cas des phénomènes décrits dans les structures visuomotrices; elle reste cependant tributaire de l’état de préparation de l’animal à une action dont la finalité est l’appropriation ou la consommation de l’objet stimulus dont la présentation a déclenché le processus attentionnel.
Le lecteur aura remarqué qu’a été progressivement introduite la notion de préparation pour décrire ou interpréter des phénomènes attentionnels dont la manifestation apparaît inséparable de l’engagement de l’animal dans une activité motrice. La nécessité de recourir à cette notion clé, dont la valeur explicative s’est imposée dans une approche aussi bien psychologique que physiologique du comportement (cf. Requin, 1980), souligne la similarité des processus qui assurent l’indispensable sélection des informations traitées par les systèmes perceptif puis moteur. Les concepts d’attention et de préparation sont dans une large mesure interchangeables: être attentif à un discours, c’est se préparer à le percevoir et à le comprendre; se préparer à faire un geste, c’est être attentif aux moyens qu’il faudra mettre en œuvre pour l’accomplir. La tradition a longtemps été de traiter respectivement ces deux questions sous les rubriques «attention» et «préparation»; nous ne respecterons pas ici cette dichotomie, que l’accumulation des faits et des idées infirme.
2. Pluralité des fonctions attentives
Issu du vocabulaire psychologique courant avant d’accéder à un statut scientifique, le concept d’attention n’a jamais reçu de définition univoque. Les tentatives pour cerner à la fois les aspects subjectifs de l’attention, les mécanismes psychophysiologiques qui l’accompagnent et ses effets objectifs sur le comportement sont restées impuissantes à intégrer ces différentes dimensions dans une même formulation. Ainsi a-t-on opposé une composante intensive de l’attention – celle à laquelle se réfère un professeur quand il estime un élève «éveillé» ou «endormi» – à une composante sélective de l’attention – celle qui est mise en jeu lors de l’écoute d’un instrument particulier de l’orchestre –, une composante passive ou involontaire de l’attention – celle qui est sollicitée quand survient un bruit insolite – à une composante active ou volontaire de l’attention – celle à laquelle a recours le lecteur d’un texte difficile –, une composante transitoire de l’attention – celle qui précède un appel téléphonique attendu – à une composante soutenue de l’attention – celle à laquelle fait appel un contrôleur aérien surveillant en permanence l’écran de son radar –, enfin une composante automatique de l’attention – celle qui permet de continuer à tricoter tout en conversant – à une composante contrôlée de l’attention – celle qui contraint l’automobiliste à s’interrompre lors d’une manœuvre délicate.
La combinaison de ces oppositions conceptuelles dichotomiques ne conduit malheureusement pas à une synthèse cohérente des phénomènes attentionnels. C’est le mérite de la théorie de l’information d’avoir permis une modélisation des processus comportementaux, qui fournit un cadre de référence dans lequel les principaux problèmes que pose l’attention peuvent être précisés et ordonnés. Dans cette formalisation, un comportement adapté, par exemple le fait d’immobiliser son véhicule lorsqu’un feu de signalisation devient rouge, implique une série d’opérations de traitement qui peuvent être ainsi décomposées: un changement intervenant dans la réalité physique est d’abord codé par les récepteurs sensoriels en un message nerveux, sur la base duquel un stimulus est détecté («quelque chose s’est produit dans l’environnement»); cette étape de détection est suivie d’une étape d’identification du stimulus, impliquant de comparer celui-ci à sa représentation mémorisée («il s’agit d’un feu rouge»); une fois le stimulus reconnu, la réponse associée à sa signification comportementale est sélectionnée («je dois immobiliser mon véhicule»), puis programmée («il faut appuyer sur la pédale de frein») et, enfin, exécutée en activant les muscles appropriés.
Le fonctionnement efficace d’un tel système de traitement impose de le prémunir contre les risques d’interférence, entre les multiples sources de stimulation à son entrée et entre les réponses possibles à sa sortie, de telle façon qu’un stimulus pertinent dans un contexte comportemental particulier conduise à la réponse adaptée. Le rôle de l’attention est d’assurer, au niveau d’une ou de plusieurs étapes de traitement, la sélection des informations qui seront traitées exclusivement ou en priorité: c’est la fonction sélective de l’attention. Un fonctionnement efficace du traitement informationnel suppose aussi que celui-ci dispose des ressources énergétiques adéquates, dans une certaine mesure analogues à celles qui permettent le fonctionnement optimal d’une machine physique. Indifférente à la nature des opérations effectuées, cette régulation intervient simultanément à toutes les étapes du traitement de l’information: c’est la fonction activatrice de l’attention. Un fonctionnement efficace du système de traitement suppose, enfin, que celui-ci puisse assurer le traitement parallèle de plusieurs types d’informations, permettant la conduite simultanée d’activités différentes. Éviter l’interférence impose alors de différencier les modes de traitement des informations concurrentes, l’un continuant de faire appel aux ressources énergétiques mises à la disposition du système, l’autre, dit «automatique», n’en bénéficiant plus; c’est la fonction de contrôle de l’attention.
3. La fonction de sélection: l’attention focalisée
On entend par «attention focalisée» le processus par lequel l’organisme sélectionne certains signaux, ou certains de leurs aspects, de préférence à d’autres. À l’extrême, il peut s’agir d’éliminer totalement les stimuli non pertinents. Un des exemples d’attention focalisée les plus cités fait référence à la situation dans laquelle nous sommes confrontés à plusieurs messages simultanés: il est courant pendant une réunion de participer à une conversation particulière sans nous laisser distraire par celles qui se déroulent autour de nous au même moment. Transposée au laboratoire, cette situation, dite d’écoute dichotique , consiste à demander à des sujets, qui reçoivent simultanément deux séquences de stimuli adressés à des canaux sensoriels différents, par exemple les deux oreilles, de signaler la présence de stimuli cibles aléatoirement distribués parmi des stimuli standards formant l’une des séquences et d’ignorer ces mêmes stimuli cibles dans l’autre séquence. L’objectif des investigations menées dans ces conditions consiste à localiser, dans la séquence des opérations successives au cours desquelles l’information est transformée, celle dont le rythme de traitement est ralenti et qui serait donc responsable du processus de sélection.
Depuis les premiers travaux entrepris par Broadbent (1958), le débat se poursuit sur le site précis de ce processus (cf. Possamaï, 1986). Dans le cadre d’une conception fondée sur l’hypothèse d’une sélection précoce, celle-ci interviendrait dès l’analyse des caractéristiques physiques du stimulus. Initialement, cette théorie introduisait l’idée d’un filtre ayant pour fonction de rejeter l’information non désirée après une analyse préliminaire assez grossière du stimulus, empêchant ainsi toute surcharge dès l’entrée du système perceptif. La confirmation expérimentale la plus éclatante de ce modèle repose sur l’impossibilité de réaliser cette opération de sélection lorsque les messages parvenant aux deux oreilles sont constitués par des stimuli physiquement proches, comme c’est le cas, par exemple, s’il s’agit d’une voix de même hauteur tonale. En revanche, cette tâche devient facile si l’on présente une voix de femme à une oreille et une voix d’homme à l’autre. Parallèlement à ces données aisément vérifiables dans la vie courante, les expériences dans lesquelles on demande au sujet de répéter le message auquel il prête attention avant de rapporter le contenu du message ignoré montrent que l’information extraite de ce dernier est extrêmement pauvre; les sujets ne sont plus capables, par exemple, d’identifier une langue étrangère. Les tenants d’une sélection tardive se sont, bien entendu, attachés à montrer que le traitement simultané est possible et que le tri s’opère ultérieurement au stade perceptif, après le traitement sémantique. Le fait que nous soyons capables d’identifier notre propre nom lorsqu’il est inséré dans le message ignoré est un argument favorable à la thèse qui situe la sélection à la sortie du système, c’est-à-dire au moment où s’opère le choix de la réponse.
Sur le plan des mécanismes physiologiques, l’analyse des changements du potentiel cortical évoqué (d’où le nom de «potentiels évoqués») par la présentation d’un stimulus sensoriel a été importante dans notre connaissance des mécanismes qui rendent compte de la dimension sélective de l’attention, étudiée dans les diverses variantes de la situation d’écoute dichotique. Les caractéristiques de deux composants successifs, N 100 et P 300, des potentiels évoqués sont altérées par l’attention sélective (fig. 2), le plus souvent de manière inverse selon que les stimuli cibles sont inclus dans la séquence surveillée ou dans la séquence ignorée. Ces données confirment que la sélectivité attentionnelle s’exerce à deux étapes successives du traitement des informations sensorielles et s’effectue à la fois par une facilitation de ce traitement lorsqu’il s’agit des stimuli attendus et par une inhibition lorsqu’il s’agit des stimuli non attendus. Sélection précoce et sélection tardive relèveraient de processus pris en charge par des régions distinctes du cerveau, dans la mesure où N 100 et P 300 ont une distribution topographique différente.
Par ailleurs, les délais après lesquels ces modifications des potentiels évoqués sont observées semblaient exclure la possibilité d’une modulation des entrées sensorielles avant leur réception au niveau des aires corticales sensorielles primaires, infirmant ainsi l’hypothèse d’un contrôle exercé par les structures corticales sur la transmission des informations au niveau des relais périphériques et thalamiques (fig. 1) des voies sensorielles. Cette hypothèse a été confirmée avec la mise en évidence d’altérations des composantes précoces des potentiels évoqués sous l’effet de la focalisation attentive. De même, les données acquises avec les méthodes d’enregistrement de l’activité neuronale chez l’animal, si elles confirment bien la multiplicité des régions du cerveau dont l’activité est modifiée par l’attention sélective, conduisent à des conclusions plus nuancées sur la possiblité d’une modulation des afférences sensorielles avant leur réception au niveau cortical. Dans les modalités visuelle, auditive et somesthésique, l’activité neuronale des aires associatives est, en règle générale, plus profondément altérée que celle des aires de réception primaire, mais il serait prématuré d’exclure pour autant que cette altération n’est pas parfois secondaire à des changements d’activité déjà présents dans les relais thalamiques. Enfin, les données recueillies chez l’homme en analysant les changements de réactivité de certains circuits réflexes, comme ceux qui sont responsables du clignement palpébral, montrent la vraisemblance d’une intervention très précoce de la sélection attentionnelle.
Les étapes de traitement au cours desquelles s’organise l’activité motrice font l’objet, tout comme celles pendant lesquelles s’élabore la perception sensorielle, de processus de sélection préparatoire dont la nature a été précisée grâce aux méthodes qui reposent sur l’analyse des variations de la durée du traitement sensori-moteur, estimée par le temps de réaction, en fonction de l’information dont dispose le sujet sur les caractéristiques de l’action qu’il se propose de mener. Ainsi a-t-on pu montrer que, si un mouvement est d’autant plus rapidement exécuté qu’il est plus probable, c’est parce que le mécanisme qui conduit, dès lors que le stimulus déclenchant intervient, à rechercher et retrouver en mémoire la réponse appropriée est sélectivement accéléré, au prix parfois d’ailleurs d’une augmentation du risque d’effectuer une réponse erronée. De même la connaissance préalable des caractéristiques spatiales ou dynamiques de l’activité motrice permet-elle une présélection de tout ou partie du programme d’action, facilitatrice de son exécution ultérieure.
L’analyse, chez l’animal, de l’activité neuronale des différentes structures nerveuses responsables de la motricité volontaire (fig. 1) a confirmé qu’un grand nombre d’éléments cellulaires avaient moins pour fonction de déclencher la commande neuromusculaire que de préparer et de planifier l’activité motrice. Les structures prenant en charge l’opération de traitement précoce qui préside à la sélection de la réponse – définie en termes d’objectif assigné à l’action – comportent vraisemblablement les aires corticales associatives, en particulier pariétales, dans lesquelles l’activité de nombreux neurones est spécifiquement évoquée ou modulée lorsque se noue la relation entre un stimulus comportementalement significatif et la réponse qui lui est associée. Sans doute est-ce à ce niveau que se situent les mécanismes complexes qui permettent à la fois l’acquisition, le maintien, mais aussi la versatilité de nouvelles associations entre stimuli et réponses indispensables à la plasticité du comportement au cours du développement et pendant l’apprentissage. L’opération de traitement ultérieure, au cours de laquelle sont sélectionnés les éléments du programme qui vont déterminer les paramètres biomécaniques du mouvement, est assurée par les structures corticales prémotrice et motrice primaire. On a découvert, en effet, à leur niveau (fig. 3) des populations de cellules, sans doute étroitement connectées aux neurones moteurs impliqués dans la commande corticospinale des effecteurs musculaires, qui ont la particularité d’être activées lorsqu’une information est fournie à l’animal sur l’une des caractéristiques du geste qu’il se prépare à accomplir, par exemple la direction d’un mouvement vers une cible visuelle (cf. Requin, 1985).
Les données expérimentales, sur le plan comportemental comme sur le plan physiologique, concernant les processus qui permettent la sélection des informations au niveau des entrées sensorielles comme des sorties motrices, convergent ainsi pour mettre l’accent sur la souplesse des mécanismes responsables de la focalisation attentive. Celle-ci est susceptible d’intervenir à toutes les étapes du traitement de l’information, conception qui relègue au second plan l’intérêt d’une approche centrée sur la recherche d’un mécanisme unique et structuralement localisable de la sélection attentive, et privilégie les théories plus récentes dans lesquelles l’attention est conçue comme une fonction de distribution entre différentes activités.
4. La fonction de sélection: l’attention partagée
La vie quotidienne est riche en situations dans lesquelles plusieurs activités doivent être menées de front. Cela ne va pas sans difficulté, confirmant que les capacités attentionnelles sont limitées; chacun sait, par exemple, combien il est difficile de suivre deux conversations qui se déroulent simultanément. La solution qui consiste à prêter attention de manière intermittente à l’une puis à l’autre conduit généralement à perdre le fil des deux conversations. Celle qui consiste à diviser également son attention entre les deux discours est le plus souvent inefficace, l’attention portée à chacun se révélant insuffisante pour permettre de saisir les propos tenus. Seul un partage inégal de l’attention entre les deux sources d’information constitue une solution relativement satisfaisante, en protégeant la conversation jugée prioritaire, au détriment, bien sûr, de l’autre. La gestion des priorités joue ainsi un rôle crucial dans les situations où l’attention doit être divisée, comme c’est le cas, par exemple, dans la conduite automobile, où elle est une condition nécessaire au succès du partage: l’automobiliste ne peut conduire en conversant que si le dosage de l’attention entre ces deux activités reste conforme aux impératifs de la situation; il suffit que la conduite devienne plus difficile ou la conversation plus captivante pour que l’une ou l’autre doive être reléguée au second plan afin que l’activité prioritaire échappe à toute interférence.
C’est en s’inspirant des modèles proposés par les économistes que les psychologues ont fait appel à la notion de «ressource» attentionnelle. La modélisation des mécanismes de l’attention partagée repose sur l’idée que nous disposons d’un stock de ressources limité et que nous pouvons mener de front plusieurs activités, sous réserve que la demande totale en ressources n’excède pas le stock disponible. Ces théories répondent en particulier aux préoccupations ergonomiques qui visent à mesurer la charge mentale requise par un poste de travail. Il est possible de mesurer la charge qu’impose une tâche principale en demandant à l’opérateur humain une activité supplémentaire: les expériences de laboratoire ont montré que plus la tâche principale est difficile, plus le niveau de performance atteint dans la tâche annexe se détériore (cf. Bonnel, Possamaï et Schmitt, 1987). Selon une telle conception, les ressources sont considérées comme susceptibles d’être distribuées de manière graduée entre les diverses activités en cours, soulignant l’analogie entre l’homme et l’ordinateur à cet égard. Les ressources peuvent être allouées à n’importe quelle activité, partage qui est géré par un programme d’exécution de niveau supérieur. La métaphore est soit celle d’un «réservoir» unique contenant des ressources indifférenciées, soit celle de plusieurs «réservoirs» spécialisés.
L’argument le plus fort en faveur de la théorie unitaire repose sur l’interférence observée entre deux activités n’ayant à première vue rien de commun; par exemple la difficulté de contrôler la force exercée dans une épreuve physique lorsqu’une activité mentale est simultanément menée laisse supposer que la réalisation et la coordination de ces activités mettent en jeu des ressources communes. À l’opposé, on trouve des exemples tout aussi frappants de partage parfaitement réussi, qui mettent en échec l’hypothèse unitaire. C’est le cas, en particulier, d’une expérience fameuse réalisée en Angleterre, démontrant que des pianistes entraînés sont parfaitement capables de déchiffrer une partition musicale tout en répétant à voix haute un message verbal, sans qu’aucune de ces activités n’en soit affectée. Pour les partisans d’un modèle fondé sur la notion de ressources spécifiques, le fait que deux activités puissent être simultanément réalisées sans interférence prouve que celles-ci font appel à des stocks de ressources distincts; se trouve alors posé le problème de leur spécificité fonctionnelle.
Une métrique tridimensionnelle a été proposée sur ce point. Une première dimension, définie par le stade de traitement, oppose les processus situés à l’entrée du système, qui correspondent au traitement perceptif (encodage) et ceux qui, à la sortie, sous-tendent l’élaboration de la réponse. Les données indiquant qu’une variation de la difficulté de la réponse n’affecte pas la performance réalisée dans une tâche concurrente de nature plus cognitive (ou vice versa) vont à l’appui de ce modèle. De nombreuses autres expériences montrent que les effets mis en jeu à l’entrée sont indépendants de ceux qui sont observés à la sortie, suggérant ainsi que ces étapes font intervenir des ressources attentionnelles de nature distincte. Une deuxième dimension, définie par le type de traitement, oppose les processus verbaux, pris en charge par l’hémisphère gauche, aux processus spatiaux pris en charge par l’hémisphère droit, chaque hémisphère étant censé disposer de ressources distinctes. Cette notion, d’ailleurs contestée, a été invoquée pour interpréter les résultats obtenus dans des expériences qui consistent à coupler une tâche verbale et une tâche sensori-motrice, comme maintenir en équilibre une baguette posée verticalement sur le bout du doigt; l’interférence entre les performances respectives est plus prononcée lorsque la tâche sensori-motrice est réalisée avec la main droite, contrôlée par l’hémisphère gauche responsable du traitement verbal. Une troisième dimension, définie en termes de différenciation des canaux d’entrée ou des canaux de sortie, correspond à l’intuition qu’on peut diviser son attention plus efficacement entre un œil et une oreille qu’entre les deux yeux ou les deux oreilles, intuition confirmée par l’expérimentation. De même, sur le plan moteur, le temps partagé est mieux réalisé lorsque les réponses à fournir ne sont pas de même nature, manuelle ou vocale, par exemple.
La théorie des ressources attentionnelles ne fait pas, cependant, l’unanimité. On notera, en particulier, que l’absence d’interférence entre deux activités apparaît souvent moins due à une séparabilité des ressources auxquelles elles font respectivement appel qu’aux effets d’un entraînement prolongé. De même, la possibilité, démontrée, d’apprendre à mener simultanément deux tâches, l’une de lecture et l’autre de dictée, censées toutes deux solliciter les ressources verbales de l’hémisphère gauche, met l’accent sur le rôle de l’apprentissage ; au cours de celui-ci, les sujets deviendraient progressivement capables de décanter et de trier les informations sensorielles et les programmes moteurs spécifiques des deux activités. Le mécanisme attentionnel devient ici un «savoir-faire», assurant l’isolation de tâches initialement concurrentes, qui participe de la fonction de contrôle jouée par l’attention dans les processus de traitement de l’information.
5. La fonction d’activation
L’observation courante indique que la quantité d’attention n’est pas constante. Nous avons l’impression d’être parfois profondément et durablement engagés dans une activité, parfois, au contraire, incapables d’une attention soutenue et facilement distraits. De même nous savons que l’efficacité de nos réactions à un événement important dépend du temps dont nous disposons pour nous y préparer. Dans ces deux types de situation, l’organisme semble ne pas fonctionner toujours avec la même «intensité».
Sous cet aspect intensif, l’attention apparaît comme une notion équivalente à celle d’éveil ou de vigilance , utilisée pour décrire diverses fluctuations. Certaines, à long terme, ou «toniques», sont liées au cycle nycthéméral, au moment de la journée, aux conditions ambiantes ou à l’ingestion de drogues, psychostimulantes ou tranquillisantes. D’autres fluctuations, à court terme, ou «phasiques», précèdent l’occurrence imminente d’un signal d’alerte exigeant une réponse urgente. À ce clivage dans la dynamique des processus attentionnels correspondent d’ailleurs des domaines d’activités et donc de recherches différents; il s’agit, dans le premier cas, des situations «naturelles», tirées de la vie professionnelle, où l’attention doit être longuement maintenue, comme c’est le cas pour les tâches de surveillance, contrôle d’un écran radar ou tri de pièces défectueuses dans une chaîne de fabrication; il s’agit, dans le second cas, de situations «artificielles», de type temps de réaction, dans lesquelles sont étudiés au laboratoire les processus préparatoires à l’exécution d’une activité sensori-motrice transitoirement déclenchés par un signal.
Modulations à long terme
Les études consacrées aux modulations attentionnelles à long terme ont été dominées par les problèmes que posent les relations entre niveau d’éveil et niveau de performance; elles ont été abordées en faisant appel à une notion proche de celles de ressources indifférenciées. Dans sa version initiale, la théorie du niveau d’activation, qui a connu un grand succès dans les années cinquante, repose, en effet, sur le concept d’une dimension intensive et non spécifique du comportement dont dépendraient au même titre toutes les activités sensori-motrices et cognitives. Appliquée, par exemple, à l’étude du stress, cette approche suppose que les effets de tous les agents perturbateurs se traduisent par une chute du volume général des ressources, idée naïve qui se trouve contredite par les faits. En effet, les données indiquent que différents facteurs de stress peuvent avoir des effets opposés sur la performance, ou même se combiner de manière antagoniste. Ainsi les perturbations dues à la privation de sommeil sont compensées par la présence d’un bruit intense dans l’environnement, facteur qui détériore, par ailleurs, les performances de sujets ayant dormi normalement. Devant la complexité de tels effets, les chercheurs ont été amenés à proposer l’hypothèse selon laquelle la relation entre niveau d’activation et niveau de performance n’est pas monotone mais présente un optimum. Cette fonction curvilinéaire explique pourquoi le niveau de performance peut être altéré par deux excès contraires: la privation de sommeil peut avoir les mêmes effets détériorants que la présence d’un bruit intense sur l’efficience, par hypoactivation dans le premier cas et par hyperactivation dans le second.
Après avoir longtemps utilisé le concept d’activation en termes de régulation indifférenciée du volume des ressources énergétiques, les psychologues expérimentaux ont cherché à en donner une définition plus précise, tenant compte en particulier de l’aspect sélectif du contrôle attentionnel. Ainsi a-t-on évoqué l’hypothèse selon laquelle le champ attentionnel se rétrécit lorsque le niveau d’activation s’élève. Cette focalisation progressive entraînerait, dans un premier temps, une amélioration de la performance, due à une élimination plus efficace des informations non pertinentes, jusqu’à un niveau optimal au-delà duquel l’effet s’inverserait lorsque le processus d’élimination commence à affecter les informations pertinentes.
L’abandon d’une conception exclusivement intensive de l’attention a permis de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents à cette loi de l’optimum. On doit à Kahneman (1973) l’introduction du concept d’effort , qui conduit à envisager un mécanisme dual, reflétant, d’une part, la composante intensive équivalente à l’effort investi, et, d’autre part, la composante sélective, assimilable au degré de focalisation. Le faible niveau d’efficience observé pour les niveaux d’activation les plus bas serait dû à un investissement insuffisant dans l’action en cours et la baisse d’efficience observée pour des niveaux d’activation élevée à une difficulté de concentration sur la tâche à accomplir. Toujours en vigueur, la théorie de l’effort a pour intérêt de modéliser la relation complexe entre niveau d’activation et efficience à travers un concept dynamique qui fait intervenir la nature de la tâche.
Ainsi, l’efficacité du comportement serait modulée par l’effort investi, qui n’est autre que la régulation, par le sujet, de son propre niveau d’activation en fonction des exigences de la situation.
Cette mobilisation active des ressources se traduit d’ailleurs au niveau des indices d’activité du système nerveux sympathique et, en particulier, du diamètre pupillaire, qui varie proportionnellement à la charge mentale. D’autres manifestations physiologiques, telles que les changements du rythme respiratoire ou de la fréquence cardiaque, sont considérées comme reflétant l’effort mental, qui se traduit également au niveau de la fonction endocrine. Ainsi s’est trouvée progressivement écartée l’idée d’une régulation indifférenciée, au profit d’une conceptualisation permettant d’inclure une variété de processus, plus ou moins spécifiques, expliquant que l’efficacité de notre action dépend non seulement du volume des ressources investies, mais encore de notre faculté de les concentrer sans déperdition.
Modulations à court terme
Les études consacrées aux modulations attentionnelles à court terme se sont focalisées sur l’efficacité d’une alerte mobilisant les processus préparatoires en fonction des contraintes liées à l’urgence de la situation. Un signal d’alarme trop tardif ne laisse pas un temps suffisant pour intervenir tandis que ses effets se dissipent si aucun événement se produit. Le sprinter placé dans ses starting-blocks vit intensément cette caractéristique éphémère de l’attente active: il redoute à la fois le coup de pistolet trop précoce qui le surprendra et l’attente prolongée qui verra s’affaiblir l’intensité de sa préparation à réagir. Cette dimension temporelle des processus préparatoires – non spécifique en ce sens qu’elle ne dépend pas de la nature de ce qui est attendu – a fait l’objet de nombreux travaux expérimentaux (cf. Requin, 1978) dans lesquels le rôle joué par l’«urgence de la situation» a été étudié en analysant les effets d’une manipulation du temps séparant signal avertisseur et signal impératif sur le temps de réaction. Une durée incompressible d’environ 150 ms est nécessaire pour qu’un niveau de préparation maximal soit atteint; celui-ci ne peut être maintenu qu’environ 250 ms, et au moins 750 ms sont ensuite indispensables pour que se déroule un nouvel épisode préparatoire.
Stratégies adaptatives attentionnelles
Inertie dans son installation, impossibilité de son maintien, délai dans son renouvellement, l’activité préparatoire implique des processus énergétiquement coûteux, expliquant qu’on ne peut en permanence être prêt. Cette notion de coût suggère que les processus de préparation à court terme, tout comme les processus attentionnels à long terme, peuvent être conçus comme des ressources, qui, disponibles en quantité limitée, seraient l’objet de stratégies de répartition probabiliste dès lors que le sujet est placé dans une situation d’incertitude temporelle. Ainsi, par exemple, si l’événement auquel il faut réagir peut intervenir à des dates différentes, mais trop proches les unes des autres pour envisager des préparations successives efficaces, le sujet est conduit à distribuer d’abord ces ressources préparatoires entre les différentes dates auxquelles il peut devoir être prêt, puis, éventuellement, à corriger cette distribution à mesure que ces dates surviennent sans que l’événement attendu se produise. Cette distribution de l’énergie préparatoire, modulable en fonction de l’information qu’apporte l’écoulement du temps, apparaît ainsi comme le résultat d’un mécanisme efficace d’adaptation à l’incertitude . Les recherches psychophysiologiques, menées chez l’homme comme chez l’animal, ont montré que le changement négatif du potentiel cérébral (appelé parfois «onde d’expectative»), qui se développe entre deux événements successifs lorsque le premier annonce l’imminence du second, pourrait être le témoin d’un tel mécanisme adaptatif. Le décours temporel de cette activation de l’ensemble des structures corticales s’est en effet révélé à la fois sensible aux variations des conditions d’incertitude temporelle dans lesquelles est placé le sujet et prédictif du niveau de performance atteint lorsque l’événement attendu exige l’exécution d’une tâche sensori-motrice ou cognitive. Il est apparu, cependant, que le caractère non spécifique de cette régulation temporelle de la préparation à court terme était contestable, dans la mesure, notamment, où sa dynamique n’est pas identiquement retrouvée dans des situations où le signal d’alerte oriente sélectivement l’attention du sujet vers les activités différant par le degré de motivation qu’elles suscitent, ou par leur probabilité d’occurrence, en un mot par leur signification comportementale.
Cette difficulté de maintenir la notion d’une stricte indépendance entre les mécanismes attentionnels mis en jeu lors d’un investissement actif sous-tendu par une dimension motivationnelle et les mécanismes attentionnels indifférenciés, liés à une activation obtenue passivement sous l’effet d’une sollicitation externe, se retrouve dans les travaux physiologiques. Ceux-ci, en effet, ont d’abord mis l’accent sur le rôle joué par les formations réticulaires activatrices du tronc cérébral (fig. 1) dans la régulation du niveau d’activation. L’organisation anatomique et les propriétés fonctionnelles de cette région du cerveau, dont l’activité est alimentée par l’ensemble des afférences sensorielles et qui exerce son influence sur les structures nerveuses corticales, concordent bien avec une conception unitaire de la fonction activatrice de l’attention. Les données contradictoires obtenues en utilisant différents indicateurs physiologiques, censés refléter identiquement cette fonction activatrice, ont entraîné ensuite une mise en question des bases anatomofonctionnelles de la théorie de l’activation et conduit au déclin puis à l’abandon de cette conception systématiquement unitaire et non spécifique. Parmi les nombreuses situations dans lesquelles de telles dissociations entre indices physiologiques ont été constatées, on retrouve, par exemple, la situation d’alerte; l’attente d’un signal imminent provoque bien une augmentation de l’activation si l’on se réfère aux données électro-encéphalographiques, mais la décélération cardiaque concomitante suggère l’effet inverse. Cela explique que certaines formalisations récentes reproduisent, sur le plan anatomofonctionnel, les distinctions proposées sur le plan comportemental, en différenciant, par exemple, les rôles joués par trois ensembles neuronaux. Le premier contrôlerait l’activation de type phasique en réponse aux stimuli de l’environnement. Le deuxième serait responsable de la régulation de l’activation de type tonique sous-tendant la préparation physiologique de la réponse. Le troisième refléterait l’effort investi, au sens où il intégrerait et coordonnerait l’activité des deux précédents.
6. La fonction de contrôle
Toutes nos activités ne sont pas médiatisées par un contrôle attentionnel coûteux. Chacun sait combien ce contrôle est indispensable lorsqu’une activité ne nous est pas familière. Ainsi la composition d’un nouveau numéro de téléphone ne peut être effectuée sans une concentration suffisante, ce qui exclut toute activité concurrente. En revanche, il nous est parfaitement possible de poursuivre une conversation tout en composant un numéro familier; cette familiarité modifie fondamentalement la nature des processus mis en jeu dans la réalisation d’une activité donnée. On oppose ainsi les processus attentionnels contrôlés, qui opèrent en série et avec une certaine lenteur, et les processus attentionnels automatiques rapides, qui opèrent en parallèle ; les uns sont des processus coûteux mais souples, et les autres des mécanismes plus économiques mais rigides, irrépressibles, involontaires et n’accédant généralement pas à la conscience (cf. Shiffrin et Schneider, 1977).
Les recherches sur l’attention, après avoir mis l’accent sur la sélectivité, se sont centrées sur la nature des mécanismes qui sous-tendent les processus attentionnels contrôlés et automatiques. L’intérêt s’est porté en particulier sur le caractère impératif de ces derniers, par opposition à la nature optionnelle des processus contrôlés. L’orientation involontaire et irrépressible de l’attention déclenchée par un événement nouveau, intense, ou surprenant est un exemple de perception automatique sous la dépendance totale des informations environnantes. On notera, toutefois, que la distraction ne traduit pas toujours un processus défectueux, comme l’indiquent les études consacrées à l’apprentissage. L’expérience courante atteste d’ailleurs que toute activité ayant atteint un niveau d’automatisation satisfaisant ne peut être que perturbée par un investissement attentionnel important. La production musicale exige d’un instrumentiste qu’il ne consacre qu’un minimum d’attention aux mouvements de ses doigts. C’est vrai également de la marche, pratiquée dans les conditions habituelles. Après apprentissage, elle se déroule «en boucle ouverte», sous le seul contrôle d’un programme moteur, sans faire appel aux régulations sensorielles externes, en particulier visuelles; s’il nous fallait contrôler consciemment l’activité de chacun des effecteurs musculaires intervenant dans l’exécution du mouvement, nous serions probablement dans l’incapacité de faire un pas. En revanche, pour peu que cette activité s’exerce dans des conditions inhabituelles, le processus s’inverse, et chacun de nos gestes doit être contrôlé rétroactivement à partir d’informations extérieures, «en boucle fermée», comme c’est le cas, par exemple, lors de la descente d’un escalier un peu raide.
Cet exemple simple indique que la même action peut être réalisée grâce à des niveaux de contrôle différents. Cette idée est au cœur des théories actuelles, qui, s’inspirant du fonctionnement de l’ordinateur, conçoivent les mécanismes de contrôle comme des éléments d’un système hiérarchisé comprenant, aux niveaux inférieurs, des processus relativement spécifiques et automatiques et, au sommet, un processeur central, d’utilisation beaucoup plus souple. En dehors de ses fonctions propres, cette unité centrale assurerait l’assistance des processus de niveau inférieur. Dans cette perspective, l’entraînement a pour fonction de délester l’unité centrale en permettant à une action d’être réalisée sous le contrôle des unités inférieures. Cela, nous l’avons vu, ne va pas sans risques, et le fonctionnement autonome des sous-systèmes peut avoir des conséquences fâcheuses pour peu que l’unité centrale, engagée dans un autre processus de contrôle, ne puisse venir assister l’action en cours. C’est ce qui se produit lorsque l’action est détournée de son objectif par des éclipses de la fonction de contrôle.
Sur le plan physiologique, on a évoqué depuis longtemps l’hypothèse selon laquelle les activités ne requérant pas l’intervention des mécanismes de l’attention seraient prises en charge par des structures sous-corticales. La pathologie humaine apporte, notamment, quelques arguments dans ce sens: certains patients atteints de maladies dégénératives impliquant ces structures se montrent, en effet, incapables de réaliser des réajustements posturaux en réponse à des stimulations qui, chez le sujet normal, entraînent automatiquement cette réorganisation posturale; les patients, au contraire, restent capables de réaliser volontairement les mêmes mouvements. Cette fonction de contrôle attentionnel de l’activité semble, elle, dévolue aux structures corticales préfrontales; leur rôle dans les processus attentionnels est attesté par des investigations reposant sur la mesure des variations locales du débit sanguin cérébral: dès lors qu’une tâche demande de l’attention, l’irrigation augmente non seulement dans les aires sensorielles primaires correspondant aux modalités sensorielles mises en jeu, mais aussi, quelle que soit la tâche, dans les régions frontales du cerveau. Par ailleurs, les déficits de l’attention sont omniprésents dans le syndrome préfrontal, dont les symptômes majeurs sont la distractibilité, l’incapacité de se concentrer sur une tâche faisant appel à l’attention. Le protocole expérimental impose au sujet d’inhiber la réponse habituellement associée au stimulus, c’est-à-dire la lecture du mot; une telle tâche implique un contrôle de l’attention, difficile pour un sujet normal, impossible pour un sujet atteint de lésions préfrontales.
7. Applications
L’enjeu des recherches sur les mécanismes attentionnels n’est pas seulement d’ordre théorique; l’importance des retombées pratiques est, en particulier, évidente dans les domaines industriel, militaire, pédagogique, sportif et médical. Les avancées technologiques permettant de confier à des équipes restreintes le contrôle de processus ou d’installations complexes, comme la régulation du trafic aérien ou la surveillance de centrales nucléaires, mettent lourdement à contribution les capacités attentionnelles de l’homme. Le souci d’augmenter le potentiel de traitement et de réduire les risques de défaillance humaine dans des activités professionnelles qui mettent au premier plan la fonction distributive de l’attention conduit les ergonomes à exploiter, notamment, la notion de ressources spécifiques afin d’améliorer, grâce à un choix judicieux des entrées sensorielles, des sorties motrices, des codes sensori-moteurs et des cycles d’activité, l’interaction homme-machine et l’organisation spatio-temporelle de tâches simultanées. À cet égard, les progrès réalisés en matière de synthèse de la parole ouvrent des perspectives prometteuses pour présenter l’information sous forme visuelle ou verbale et interchanger des réponses manuelles ou vocales. Les différentes fonctions remplies par les processus attentionnels sont, par ailleurs, fondamentales dans la vie scolaire; c’est évident pour la fonction d’activation, cela ne l’est pas moins pour la fonction de sélection impliquée dans toutes les tâches de résolution de problèmes dont la réussite dépend du choix d’indices pertinents. De même, les retards dans l’apprentissage de la lecture sont parfois dus à des difficultés d’orientation de l’attention dans le champ visuel et, plus généralement, certains retards scolaires seraient associés à un développement trop lent de la fonction sélective de l’attention. L’amélioration des outils pédagogiques apparaît étroitement liée à l’approfondissement de nos connaissances des mécanismes attentionnels et de leur développement ontogénétique. Il en va de même dans les activités sportives où l’on conçoit que les problèmes de sélection attentive, sur le plan de la motricité en particulier, sont essentiels pour atteindre la perfection du geste du champion. On soulignera, enfin, l’interaction étroite entre l’approche fondamentale menée en laboratoire et les préoccupations des spécialistes de la santé; citons, pour seul exemple, le syndrome d’«héminégligence», ou d’oubli d’une région de l’espace, que présentent certains malades atteints de lésions de l’hémisphère droit. Ne se rasant que la moitié du visage ou ne dessinant que la moitié d’une fleur, ces patients ont un comportement pathologique qui témoignerait d’un déficit sélectif de l’orientation automatique de l’attention vers l’hémichamp spatial gauche; la rééducation consiste alors à faire prendre conscience au malade que, ne pouvant plus s’appuyer sur les mécanismes, défaillants, de cette orientation automatique, il doit y suppléer, grâce à un entraînement approprié, par une orientation volontaire de l’attention.
attention [ atɑ̃sjɔ̃ ] n. f.
• 1487; h. 1360; lat. attentio, de attendere
1 ♦ Action de fixer son esprit sur qqch.; concentration de l'activité mentale sur un objet déterminé (⇒ attentif). Attention spontanée, volontaire. Faire un effort d'attention. Grande attention, attention suivie, soutenue, persévérante. ⇒ application, concentration. Attention fatigante, pénible. ⇒ 1. contention, tension. — Regarder, examiner, observer qqn ou qqch. avec attention. ⇒ 2. épier, fixer, guetter, surveiller; vigilance. Écouter avec attention (cf. Dresser l'oreille; prêter une oreille attentive; être tout yeux, tout oreilles). « elle m'observa avec plus d'attention que par le passé » (France). Attirer, éveiller l'attention de qqn. J'attire, j'appelle votre attention sur ce détail : je vous signale ce détail. Anglic. Votre attention s'il vous plaît : veuillez écouter. Cette requête mérite toute votre attention. « Il est capable de fixer son attention pendant huit ou dix heures de suite » (Duhamel). Détourner l'attention de qqn (⇒ distraire) . Relâcher son attention. Prêter attention à... Ne donner (prêter) aucune attention à, s'en moquer, n'en tenir aucun compte.
♢ À l'attention de, mention utilisée en tête d'une lettre, pour préciser son destinataire.
♢ FAIRE ATTENTION À (qqch., qqn),l'observer, s'en occuper, et par ext. en avoir conscience (⇒ s'apercevoir, s'aviser, noter, remarquer) . Je viens seulement d'y faire attention. Il « ne fait pas plus attention à moi qu'à une muraille ou qu'à une borne » (Duhamel). Fam. Fais bien attention à toi : sois prudent. Faire (très) attention : se méfier, prendre garde. Fais attention ! (cf. fam. Fais gaffe). — FAIRE ATTENTION QUE, À CE QUE (et subj.) :prendre garde, veiller que, à ce que. Faites attention que personne ne vous voie. « Elle ne faisait pas toujours attention à ce qu'il n'y eût personne dans la chambre voisine » (Proust).
♢ Interj. ATTENTION ! prenez garde ! ⇒ 2. gare. Attention à la voiture ! Eh ! attention, vous ! faites attention ! Attention, les flics ! (cf. fam. Vingt-deux !). — Fam. Attention les yeux ! Attention les vélos ! pour appeler l'attention sur un fait important.
2 ♦ Psychan. Attention flottante : technique d'écoute préconisée par Freud dans une psychanalyse, requérant de l'analyste la suspension des motivations qui orientent habituellement son attention.
3 ♦ Disposition à la prévenance, aux soins attentifs envers qqn. ⇒ amabilité, empressement, obligeance, prévenance, sollicitude, zèle. Être plein d'attention pour qqn. ⇒ attentionné. Donner à qqn des témoignages d'attention. « j'étais d'une assiduité, d'une attention, d'un zèle, qui charmaient tout le monde » (Rousseau).
♢ Une, des attentions. Attitude, comportement prévenant. ⇒ égard, gentillesse. Ce cadeau est une gentille attention. Entourer qqn d'attentions (cf. Être aux petits soins). Elle avait « pour les domestiques, pour les pauvres, des attentions délicates, un désir de faire plaisir » (Proust).
⊗ CONTR. Inattention; absence, dissipation, distraction, étourderie. Brutalité, grossièreté.
● attention nom féminin (latin attentio) Capacité de concentrer volontairement son esprit sur un objet déterminé ; cette concentration elle-même : Il est incapable de fixer son attention. Sollicitude, gentillesse envers quelqu'un ; marque d'intérêt, d'affection (surtout pluriel) : Je suis très sensible aux attentions qu'il a pour moi. Psychologie Activité ou état par lesquels un sujet augmente son efficience à l'égard de certains contenus psychologiques (perceptifs, intellectuels, mnésiques, etc.), le plus souvent en en sélectionnant certaines parties ou certains aspects et en inhibant ou négligeant les autres. ● attention (citations) nom féminin (latin attentio) Paul Claudel Villeneuve-sur-Fère, Aisne, 1868-Paris 1955 Mallarmé : ce professeur d'attention. Positions et propositions Gallimard Simone Weil Paris 1909-Londres 1943 Toutes les fois qu'on fait vraiment attention, on détruit du mal en soi. Attente de Dieu Fayard ● attention (difficultés) nom féminin (latin attentio) Construction 1. Faire attention de ou à (+ infinitif). Les deux constructions sont correctes : fais attention de (ou à) ne pas te tromper. 2. Faire attention à (+ nom) : faites attention à la marche. 3. Faire attention que (+ indicatif). Cette construction n'est correcte que dans le sens de « bien remarquer que » : faites attention que c'est une probabilité et non une certitude. 4. Faire attention que ou à ce que (+ subjonctif) = prendre garde que, veiller à ce que : faites attention que personne ne puisse entrer. Recommandation Dans l'expression soignée, employer faire attention que de préférence à faire attention à ce que. → à. Emploi 1. À l'attention de / à l'intention de. Ne pas confondre ces deux formules. À l'attention de = spécialement destiné à (formule écrite sur un document, sur une lettre, pour marquer que le contenu est soumis à l'attention du destinataire). À l'intention de = pour, en l'honneur de : faire une collecte à l'intention des sinistrés ; donner une fête à l'intention de qqn. 2. Faute d'attention / faute d'inattention. → faute ● attention (expressions) nom féminin (latin attentio) À l'attention de quelqu'un, formule utilisée pour désigner, dans une administration, le destinataire d'une note, d'une lettre, etc. Attention !, prenez garde ! Attirer, appeler l'attention de quelqu'un, lui signaler particulièrement quelque chose ; se signaler, se remarquer, en parlant de quelque chose : J'attire votre attention sur ce point. Un lieu où rien n'attire l'attention. Faire attention à, être conscient de quelque chose, y prendre garde ou en prendre soin ; être attentif à. Faire attention à quelqu'un, le remarquer, être attentif à ce qu'il fait, s'en méfier. Prêter attention à quelque chose, à quelqu'un, en tenir compte. Retenir l'attention de quelqu'un, être spécialement remarqué par lui. Attention flottante, règle technique à laquelle tente de se conformer le psychanalyste en ne privilégiant, dans son écoute, aucun des éléments particuliers du discours de l'analysant. ● attention (synonymes) nom féminin (latin attentio) Capacité de concentrer volontairement son esprit sur un objet déterminé ;...
Synonymes :
- réflexion
Contraires :
- étourderie
Sollicitude, gentillesse envers quelqu'un ; marque d'intérêt, d'affection (surtout pluriel)
Synonymes :
- amabilité
- délicatesse
- prévenance
Contraires :
- brutalité
- grossièreté
- indifférence
- méchanceté
- rosserie (familier)
- rudesse
- vilenie
attention
n. f.
d1./d Tension de l'esprit qui s'applique à quelque objet. Réveiller, fixer, concentrer l'attention.
|| Faire attention à: prendre garde à. Faire attention aux virages. Fais attention à ce que tu écris.
— Faire attention que (+ subj.): faire en sorte que. Faites attention que cet enfant ne vous entende.
— Faire attention que (+ ind.): ne pas perdre de vue. Faites attention que le chemin est semé d'embûches.
— Interj. Attention! Faites attention!
|| Attention à...: prenez garde à... Attention à la peinture!
d2./d Marque de prévenance. Une attention délicate.
— (Plur.) égards, ménagements. Il est plein d'attentions pour sa mère.
⇒ATTENTION, subst. fém.
I.— Tension de l'esprit vers un objet à l'exclusion de tout autre.
A.— [La finalité dominante est l'exacte connaissance ou compréhension de l'obj.]
1. Application, concentration. Attention soutenue, distraite; défaut d'attention; prêter attention. Anton. distraction, étourderie, inattention :
• 1. — J'ai suivi vos raisonnements avec toute l'attention requise, répondit la princesse en souriant; faudra-t-il donc que je me charge du soin de donner une maîtresse à mon fils?
STENDHAL, La Chartreuse de Parme, 1839, p. 400.
• 2. Cette année-là, notre maître de géométrie était sévère, il punissait impitoyablement ceux qui ne donnaient pas à ses leçons une attention scrupuleuse; ...
DU CAMP, Mémoires d'un suicidé, 1853, p. 55.
• 3. Thénardier, élevant sa main droite à la hauteur de son front, s'en fit un abat-jour, puis il rapprocha les sourcils en clignant les yeux, ce qui, avec un léger pincement de la bouche, caractérise l'attention sagace d'un homme qui cherche à en reconnaître un autre.
HUGO, Les Misérables, t. 2, 1862, p. 557.
• 4. L'essence de l'attention est donc ce mouvement temporel du regard qui se tourne vers... ou se détourne de ... et ainsi fait apparaître l'objet tel qu'il est en lui-même, c'est-à-dire tel qu'il était déjà en sourdine à l'arrière-plan.
RICŒUR, Philos. de la volonté, 1949, p. 148.
2. P. ext. Curiosité, intérêt :
• 5. J'avais beau jouer l'attention et simuler l'intérêt ou la crédulité; l'indifférence du coup d'œil que j'accordais de temps en temps, par pure courtoisie, aux malfaiteurs de la maison Brettinoro n'échappait point au regard vigilant de leur sagace rejeton.
MILOSZ, L'Amoureuse initiation, 1910, p. 24.
SYNT. 1. Subst. + adj. Attention aiguë, distraite, goulue, inquisitive, intense, minutieuse, opiniâtre, profonde, rebondissante; écouter, regarder qqc. avec une extrême attention. 2. Verbe + subst. a) Avec un subst. sans art. Avoir attention à qqc.; prêter attention à qqc. ou qqn. b) Avec un subst. précédé d'un art. Accaparer l'attention; accorder de l'attention à qqc. ou qqn; appeler l'attention de qqn sur qqc.; attirer et retenir l'attention de qqn sur qqc.; capter l'attention de qqn; concentrer son attention sur qqc. ou qqn; détourner l'attention de qqn de/sur qqc.; diriger l'attention de qqn sur qqc.; distraire l'attention de qqn; fixer l'(son) attention sur qqc. ou qqn; maintenir l'attention (de qqn) en éveil; réclamer (toute) l'attention de qqn; relâcher (son) l'attention; reporter (son) l'attention sur qqc. ou qqn; signaler qqc. à l'attention de qqn; soutenir l'attention.
3. Emplois spéc., SC. HUM.
a) PHILOS. (métaphys.).
— [Le ressort de l'attention est la force de la sensation : conception sensualiste] :
• 6. Cette opération par laquelle notre conscience par rapport à certaines perceptions, augmente si vivement qu'elles paraissent les seules dont nous ayons pris connaissance, je l'appelle attention. [Condillac].
COUSIN, Cours d'hist. de la philos. mod., t. 3, 1847, p. 90.
Rem. Cette thèse particulière de Condillac est mentionnée ds les dict. spécialisés et par Ac. 1835, Ac. Compl. 1842, BESCH. 1845, Lar. 19e.
— [Le ressort de l'attention est le libre choix de la volonté] :
• 7. L'attention, ce n'est pas une réaction des organes contre l'impression reçue; ce n'est pas moins que la volonté elle-même; car nul n'est attentif qui ne veut l'être; et l'attention se résout finalement dans la volonté. Ainsi, le premier acte d'attention est un acte volontaire, le premier événement dont nous ayons conscience est une volition, et la volonté est le fond même de la conscience.
COUSIN, Hist. de la philos. du XVIIIe s., 1829, p. 176.
— [L'attention est une modalité partic. du comportement] :
• 8. C'est ainsi que tout phénomène nouveau, toute suspension, tout changement dans un ordre qui nous est devenu familier, réveillent notre attention, notre sensibilité engourdies par l'habitude.
MAINE DE BIRAN, De l'Influence de l'habitude sur la faculté de penser, 1803, p. 91.
• 9. Les mouvements de la face, du corps, des membres et les modifications respiratoires qui accompagnent l'attention sont-ils simplement, comme on l'admet d'ordinaire, des effets, des signes? Sont-ils, au contraire, les conditions nécessaires, les éléments constitutifs, les facteurs indispensables de l'attention? Nous admettons cette seconde thèse sans hésiter. Si l'on supprimait totalement les mouvements, on supprimerait totalement l'attention.
T. RIBOT, Psychol. de l'attention, 1888, p. 32 (FOULQ.-ST-JEAN 1962).
• 10. L'attention n'est pas un phénomène purement physiologique; mais on ne saurait nier que des mouvements l'accompagnent. Ces mouvements ne sont ni la cause ni le résultat du phénomène; ils en font partie, ils l'expriment en étendue, comme l'a si remarquablement montré M. Ribot. Déjà Fechner réduisait le sentiment de l'effort d'attention, dans un organe des sens, au sentiment musculaire « produit en mettant en mouvement, par une sorte d'action réflexe, les muscles qui sont en rapport avec les différents organes sensoriels ».
BERGSON, Essai sur les données immédiates de la Conscience, 1889, p. 33.
Rem. 1. Les dict. gén. mentionnent (surtout au XIXe s. et à partir de Ac. 1835, Ac. Compl. 1842) la réfutation de la thèse de Condillac par Laromiguières. Il réintègre l'attention sous la faculté d'intelligence mais ignore encore la part de la volonté. 2. La plupart des dict. gén. et les dict. spécialisés mentionnent toutes ces théories de l'attention, classées dans le cas présent selon le critère du déterminisme dans la cause de l'attention.
b) PSYCHOL. Pour désigner certaines modalités de l'attention.
— Attention spontanée et attention volontaire. (Attesté dans la majorité des dict. techn.) :
• 11. L'attention spontanée donne un maximum d'effet avec un minimum d'effort; tandis que l'attention volontaire donne un minimum d'effet avec un maximum d'effort.
T. RIBOT, Maladies de la volonté, p. 108, (FOULQ.-ST-JEAN 1962).
— Plus rare. Attention concentrée ou diffusée ou expectante. La première porte sur un objet précis, la seconde est l'attente disponible à tout objet (d'apr. Psychol. 1969 et FOULQ.-ST-JEAN 1962).
— Attention constituée et attention constituante (d'apr. FOULQ.-ST-JEAN 1962).
— Attention externe et attention interne. La première porte sur un objet extérieur à soi, la seconde sur un état intérieur (d'apr. LAFON 1963 et Psychol. 1969).
— Attention sensorielle et attention motrice (cité par LAFON 1963 et LAL. 1968).
c) PSYCHANAL. Attention légalement flottante. ,,Manière dont, selon Freud, l'analyste doit écouter l'analysé : il ne doit privilégier a priori aucun élément du discours de celui-ci, ce qui implique qu'il laisse fonctionner le plus librement possible sa propre activité inconsciente et suspend les motivations qui dirigent habituellement l'attention`` (LAPL.-PONT. 1967; attesté également ds MARCH. 1970).
d) PSYCHOMÉTRIE. ,,Suivant la nature des activités, on distingue une attention concentrée ou distribuée (avec tâches simultanées) ou papillonnante (où des incitations diverses se présentent irrégulièrement)`` (PIÉRON 1963).
— Test d'attention. Comporte ,,des stimulations ou des intérêts de même type ou de types différents (test d'attention diffusée)`` (LAFON 1963).
e) THÉOL. Conscience que l'on a ou doit avoir pour être moralement responsable de l'acte que l'on accomplit (d'apr. Théol. cath. t. 1, 2 1909 et Lar. encyclop.).
4. Autre domaine techn., MAR. Pavillon d'attention. Pavillon que l'on hisse pour faire comprendre que l'on a vu ou compris le signal. (Attesté ds Lar. 19e et ds Nouv. Lar. ill.).
B.— [La finalité dominante de l'acte d'attention est le soin donné ou à donner à l'objet]
1. Intérêt, soin que l'on porte à quelque chose ou quelqu'un en fonction de l'importance qu'on y attache. Synon. vigilance, probité, scrupule :
• 12. C'est une bien charmante amie que Louise et ses sœurs, d'une attention, d'un soin, avec un sans façon qui fait trouver le chez-soi chez elles.
E. DE GUÉRIN, Lettres, 1831, p. 5.
• 13. ... mais à l'égard des espèces vivantes, surtout quand il s'agit de ces plantes annuelles plus sensibles et plus soumises à son attention vigilante, il fait plus.
P. VIDAL DE LA BLACHE, Principes de géogr. hum., 1921, p. 148.
SYNT. Qqn ou qqc. mérite, est digne, est l'objet d'une attention toute particulière; signaler à la bienveillante attention de qqn.
2. P. ext. Disposition que présente quelqu'un à être soigneux, soucieux de, vigilant, délicat. Une aimable attention; (être) plein d'attention pour qqn :
• 14. Il m'est extrêmement pénible de décevoir; mais pour ne pas décevoir, à quels frais énormes je me trouve parfois entraîné! Moins coûteux pourtant que certains gestes qui frisent l'insincérité. Quel soulagement lorsque tout se borne à une dépense matérielle et que je peux en être quitte en lâchant quelques billets! Mais s'il s'agit de temps, d'attention, d'affection, de sollicitude... Je ne puis suffire. Je voudrais me ressaisir et sais et me répète que, dépossédé de moi-même, je deviens une non-valeur. Et le temps qu'il me reste à vivre est compté.
GIDE, Journal, 1938, p. 1311.
3. En partic., au plur. :
• 15. Il est vrai que Lucien, désolé de s'ennuyer autant dans la société d'une femme qu'il devait adorer, eût été encore plus désolé que cet état de son âme parût; et, comme il supposait ces gens-là très attentifs aux procédés personnels, il redoublait de politesse et d'attentions agréables à leur égard.
STENDHAL, Lucien Leuwen, t. 3, 1836, p. 295.
SYNT. Être l'objet de l'attention ou des attentions de qqn; être plein d'attentions pour qqn; combler d'attentions; prodiguer, témoigner des (mille) attentions (à) qqn. — PARAD. Amabilités, bienséances, égards, politesses, prévenances, soins, tendresses.
II.— Loc. et expr.
A.— [Se rapportant au sens I A]
1. Emploi abs. Faire attention. Effectuer un acte d'attention :
• 16. Prendre une loupe c'est faire attention, mais faire attention n'est-ce pas déjà avoir une loupe? L'attention à elle seule est un verre grossissant.
BACHELARD, La Poétique de l'espace, 1957, p. 148.
— Dans le même sens. Faire attention à + subst. Synon. de prêter attention à :
• 17. Je me rhabillai dans un désespoir épouvantable. Werner en appela un autre. Je ne faisais plus attention à rien... Quelqu'un m'aidait à passer les manches...
ERCKMANN-CHATRIAN, Le Conscrit de 1813, p. 52.
2. Faire attention que + ind. [Souvent empl. dans des phrases négatives] ,,Noter, constater`` (Ac. 1835-1932) :
• 18. Il [un homme très sage] ne faisait pas attention que sa profonde prudence et sa rare sagacité dirigeaient encore l'action de son cerveau pendant le sommeil, comme on peut l'observer souvent, même pendant le délire chez les hommes d'un moral exercé.
CABANIS, Rapports du phys. et du moral de l'homme, 1808, p. 389.
3. Loc. prépositive. Faute d'attention et faute d'inattention.
a) [Attention est précédé d'un déterminatif] Le mot faute prend le sens d'erreur, d'étourderie et s'écrit faute d'inattention.
b) [Non précédé d'un déterminatif] L'expression est alors synon. de par défaut d'attention, par manque d'attention.
Rem. Cette distinction est attestée ds la plupart des dict. gén. et est développée ds GREV., Probl., t. 1, 1961, p. 250 à 253.
B.— [Se rapportant au sens I B]
1. Emploi abs. Faire attention. Prendre garde, veiller à :
• 19. — Écoute, pour la dernière fois, je te jure que tu auras beau faire, tu pourras avoir dans huit jours tous les regrets du monde, je ne reviendrai pas, la coupe est pleine, fais attention, c'est irrévocable, tu le regretteras un jour, il sera trop tard.
PROUST, Le Côté de Guermantes 1, 1920, p. 180.
— Fam. Fais attention quand tu fais ceci ou cela, quand tu vas ici ou là.
2. Faire attention à + subst. Surveiller, épier, se méfier d'un danger, prendre garde à :
• 20. PATUREL. — Un mot encore... ma femme va venir... écoutez bien ce qu'elle dira, ma femme... faites bien attention à ses paroles, à ses mouvements, à ses regards, à tout... faites-y bien attention, afin de pouvoir vous en souvenir.
MEILHAC, HALÉVY, La Boule, 1875, I, 8, p. 35.
3. Faire attention à + inf. :
• 21. Et en une attitude qui sans doute lui était habituelle, qu'elle savait convenable à ces moments-là et qu'elle faisait attention à ne pas oublier de prendre, elle semblait avoir besoin de toute sa force pour retenir son visage, comme si une force invisible l'eût attiré vers Swann.
PROUST, Du côté de chez Swann, 1913, p. 233.
4. Faire attention à ce que + ind. (Tournure explicative). Attesté dès Ac. 1835 :
• 22. Fais attention à ce que je te dis là, et élève-toi au-dessus de cette tourbe qui crie à la fin du monde, dès qu'on lui prise un nom, une forme, une idée. Ce n'est pas là de la philosophie! Elle est ailleurs. Dieu seul est Dieu! Adieu. Donne de mes nouvelles par un mot à mon père, à Mâcon et à Montherot.
LAMARTINE, Correspondance, 1832, p. 321.
5. Faire attention de. [Dans la lang. relâchée] ,,Faites attention de ne pas toucher`` (QUILLET 1965).
Rem. Attesté ds QUILLET 1965 avec la mention incorrect, et ds DUB. comme synon. de faites attention à + inf. sans mention particulière.
6. Faire attention que + subj. :
• 23. ... Albertine leur avait dit : « mes petites bonnes femmes, je vous défends de regarder ce que j'écris ». Après s'être appliquée à bien tracer chaque lettre, le papier appuyé à ses genoux, elle me l'avait passé en me disant : « faites attention qu'on ne voie pas ».
PROUST, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 911.
Rem. Faire attention à, que, a supplanté avoir attention à plus usité jusqu'au mil. du XIXe s., Lar. 19e, le mentionne déjà comme vieilli.
7. P. ell., interj. et impér. Attention! Prenez garde :
• 24. — Attention, la voilà! Dit-elle brusquement, comme une femme sortait de cette porte. Aussitôt, M. Gourd se planta devant la loge, pour barrer le chemin à la femme, qui avait ralenti le pas, l'air inquiet.
ZOLA, Pot-Bouille, 1882, p. 100.
— Attention à
♦ Attention au commandement.
Rem. Dans la lang. admin., à l'attention de ... formule utilisée pour désigner, parmi le personnel d'une admin., le destinataire d'une note, d'une lettre, etc.
DÉR. 1. Attentionnel, elle, adj., philos. [En parlant d'un point de vue de l'esprit sur un obj.] Qui dépend de la faculté d'attention. ,,Clarté, relief attentionnels`` (RICŒUR, Philos. de la volonté, 1949, p. 146). 1re attest. av. 1866 (Charma ds Lar. 19e); dér. de attention, suff. -el. 2. Attentionneux, euse, adj., rare. [En parlant d'une pers. ou de son comportement] Synon. de attentif I B et attentionné 1. Un homme attentionneux; docilité attentionneuse (PÉGUY, Victor-Marie, comte Hugo, 1910, p. 708). 1re attest. 1850 (BALZAC, Œuvres diverses, t. 2, p. 282 : ,,galanterie soumise et attentionneuse``); dér. de attention, suff. -eux.
PRONONC. ET ORTH. :[]. PASSY 1914 note une durée mi-longue pour la 2e syll. du mot. Pour une durée longue, cf. FÉR. 1768 et FÉR. Crit. t. 1 1787. FOUCHÉ Prononc. 1959, p. 368, rappelle que ,,acceptions, adoptions, affections [cf. ces mots], attentions, contentions, etc. (...) ont une prononciation différente suivant que ce sont des substantifs pluriels ou des premières pers. plur. : [que] dans le premier cas, t se prononce /. BESCH. 1845 transcrit le mot avec [tt] géminées alors que FÉR. Crit. t. 1 1787 propose la graph. atention.
ÉTYMOL. ET HIST. — 1. 1536 « concentration de l'esprit » (NICOLAS DE TROYES, Parangon des nouvelles nouvelles, nouvelle 54, éd. Mabille, Paris, 1869, p. 289 : Voilà pour réparer ta maladresse, mais dis bien à ton maistre, qu'une autre foys en te donnant une bouteille, il fasse plus d'attention à son épaisseur qu'à sa grandeur); 2. 1552 « soin attentif » (Dictionariolum puerorum ds Dict. hist. Ac. fr. t 4, p. 299); XVIIe s. au plur. « prévenance, empressement » (FÉNÉLON, Lettres spirituelles, 194, ibid., p. 301).
Empr. au lat. attentio « action de tendre l'esprit vers qqc. » (CICÉRON, De orat., 2, 150 ds TLL s.v., 1124, 63), également empl. absol. (QUINTILIEN, Instit., 4, 1, 34, ibid., 1124, 65); p. ext. « précaution, soin » (VULGATE, Sapientia, 12, 20, ibid., 1124, 75).
STAT. — Fréq. abs. littér. : Attention. 9 360. Attentionnel. 2. Attentionneux. 2. Fréq. rel. littér. : Attention. XIXe s. : a) 13 111, b) 10 605; XXe s. : a) 10 333, b) 16 723.
BBG. — BACH.-DEZ. 1882. — BAL (A.). L'Attention et ses maladies. 3e éd. Paris, 1962, 128 p. — BERGSON (H.). L'Énergie spirituelle. Paris, 1963, pp. 930-977. — Biol. t. 2 1970. — BOUILLET 1859. — BRUANT 1901. — BURN 1970. — Canada 1930. — DUCH. 1967, § 74. — DUL. 1968. — ESN. 1966. — Foi t. 1 1968. — FOULQ.-ST-JEAN 1962. — FRANCK 1875. — GOBLOT 1920. — Gramm. t. 1 1789. — JULIA 1964. — LACR. 1963. — LAFON 1969. — LAL. 1968. — LAPL.-PONT. 1967. — LITTRÉ-ROBIN 1865. — MARCEL 1938. — MARCH. 1970. — Méd. Biol. t. 1 1970. — MIQ 1967. — MOOR 1966. — PIERREH. 1926. — PIERREH. Suppl. 1926. — PIÉRON 1963. — PIGUET 1960. — POROT 1960. — Psychol. 1969. — RIBOT (T.). Psychologie de l'attention. Paris, 1888, 182 p. — SANDRY-CARR. 1963. — SPR. 1967. — Théol. cath. t. 1, 2 1909.
attention [atɑ̃sjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 1536; lat. attentio « action de tendre l'esprit vers », de attentum, supin de attendere.
❖
1 (1536). Action de fixer son esprit sur qqch.; concentration de l'activité mentale (⇒ Conscience) sur un objet déterminé. ⇒ Attentif (être), attentivement. || L'attention de qqn pour qqch. (→ ci-dessous, supra cit. 1). — (Sans compl. spécifiant la personne attentive ni l'objet de l'attention). || L'oreille est le sens préféré de l'attention (→ Oreille, cit. 20). || Attention spontanée. || Attention volontaire. || Effort d'attention. || Grande attention, attention suivie, soutenue, persévérante. ⇒ Application. || Attention fatigante, pénible. ⇒ Contention, tension. || Attention intérieure. ⇒ Introspection, méditation, réflexion. — Avec attention. || Regarder, considérer, contempler, examiner, observer qqn ou qqch. avec attention, avec une grande attention. ⇒ Regarder; épier, fixer, guetter, inspecter, surveiller…; œil, regard, vue (et les loc. verb. comprenant ces noms). || Examiner qqch. avec beaucoup d'attention. || Écouter avec attention (→ Dresser l'oreille; prêter une oreille attentive; ouvrir l'oreille; être tout yeux, tout oreilles). || Écouter les paroles de qqn avec attention, avec une attention ardente, passionnée, avec avidité (→ Être suspendu à ses lèvres). — Défaut d'attention. || Faute d'attention, il a échoué. — (Verbes signifiant l'apport d'attention à…). || Donner de l'attention à qqch.; (vieilli) donner attention à… — Vieilli. || Porter attention à… — ☑ Mod. Prêter attention à…, Ne donner (prêter) aucune attention à, s'en moquer, n'en tenir aucun compte (→ Laisser tomber). — REM. La loc. verbale la plus fréquente est faire attention (→ ci-dessous, cit. 10, 15 et 37, et infra cit. 38). — Attirer l'attention (→ ci-dessous, cit. 4; et aussi agacerie, cit. 3; conversation, cit. 5.1). || Ce bruit attira l'attention. ⇒ Éveiller, frapper, retenir. || Attirer l'attention sur qqch. || Ce travail demande, exige, réclame, requiert une grande attention, une attention minutieuse. — (Avec un compl. en de ou un possessif). || L'attention de qqn, son attention. || Son attention était grande, vive, vigilante. — (Dans des syntagmes verbaux). || Attirer, orienter (cit. 4) l'attention de qqn (→ Montrer, cit. 36). || Publicité, titre de journal qui attire, retient, force l'attention. ⇒ Accrocher (I., 5.). || J'attire, j'appelle votre attention sur ce détail : je vous signale ce détail. ⇒ Appeler; avertir, aviser (qqn de qqch.), signaler, solliciter, souligner, soumettre. || Cet ouvrage remarquable mérite toute votre attention, il est digne de toute votre attention. || Captiver l'attention de son auditoire. ⇒ Capter, captiver, emparer (s'), exciter, fixer, forcer, retenir, tenir (en haleine). || Cette étude occupe toute son attention. ⇒ Absorber, accaparer… || Appliquer son attention. || Concentrer toute son attention sur qqch. ⇒ Abstraire (s'), isoler (s'), plonger (se plonger dans…); → bander, tendre son esprit. || Lasser l'attention de ses auditeurs. || Détourner, distraire, relâcher son attention. || Troubler l'attention de qqn. || Son attention, sollicitée par mille riens, faiblit, se relâche, s'évade. || Impossibilité de fixer son attention. ⇒ Aprosexie. — (Avec un compl. qui spécifie l'objet de l'attention). || L'attention (de qqn) pour qqch., pour qqn (→ ci-dessous, cit. 5). — Vx. || Avoir attention pour qqch., à qqch. (→ ci-dessous, cit. 8).
1 Je l'écoutais avec une attention si peu divertie, qu'il ne m'échappait pas un seul mot de ce qu'il disait (…)
Guez de Balzac, Aristippe ou De la cour, Avant-propos.
2 Lorsque je relâche quelque chose de mon attention (…)
Descartes, Méditations métaphysiques, III, 20.
3 Le défaut d'attention qui fait que l'on juge témérairement.
Arnauld et Nicole, Logique de Port-Royal, 1.
4 Dans cette recherche, le peuple juif attire d'abord mon attention par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent.
Pascal, Pensées, IX, 620.
5 Le trop d'attention qu'on a pour le danger
Fait le plus souvent qu'on y tombe (…)
La Fontaine, Fables, XII, 18.
6 Au milieu des déguisements et des artifices qui règnent parmi les hommes, il n'y a que l'attention et la vigilance qui nous puissent sauver des surprises.
Bossuet, Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte, V, II, 2.
7 C'est (l'attention) une application volontaire de notre esprit sur un objet (…) L'attention commence elle-même par la volonté de considérer et d'entendre (…) L'attention a quelque chose de pénible et veut être relâchée de temps en temps.
Notre attention est mêlée de volontaire et d'involontaire.
Bossuet, Traité de la connaissance de Dieu, III, 17 et 18.
8 La France, sortie enfin des guerres civiles, commençait à donner le branle aux affaires de l'Europe. On avait une attention particulière à celles d'Italie (…)
Bossuet, Oraison funèbre de Michel Le Tellier (→ Prêter).
9 Le lecteur, qui cherchait des faits, ne trouvant que des paroles sent mourir à chaque pas son attention.
Racine, Disc. à l'Acad.
10 Si l'on faisait (une sérieuse) attention à tout ce qui se dit de froid, de vain et de puéril dans les entretiens ordinaires, l'on aurait honte de parler ou d'écouter (…)
La Bruyère, les Caractères, V, 5.
11 Souvent, après avoir écouté ce que l'on lui a dit, il veut faire croire qu'il n'y a pas eu la moindre attention.
La Bruyère, les Caractères de Théophraste, I (→ Prêter).
12 (…) mais un fils qui s'épanche et raconte ses aventures ne saurait lasser l'attention d'un père et d'une mère (…)
A. R. Lesage, le Diable boiteux, IX.
13 (Ces facéties) sont indignes d'une attention sérieuse (…)
Voltaire, Défense de mon oncle, XXI.
14 Pourquoi dit-on prêter l'oreille, et que prêter les yeux n'est pas français ? N'est-ce point qu'on peut s'empêcher à toute force d'entendre, en détournant ailleurs son attention, et qu'on ne peut s'empêcher de voir quand on a les yeux ouverts ?
Voltaire, Commentaires sur Corneille, Remarques sur Rodogune, V, 3.
15 Comme si ce n'était pas trop honorer de pareilles espèces que de faire attention à leurs procédés (…)
Rousseau, les Confessions, XII.
16 Son regard en dessous observait tout avec une ombrageuse attention (…)
Marmontel, Mémoires, IV.
17 Vous jurez et promettez devant Dieu et devant les hommes d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse (…)
Code d'instruction criminelle, art. 312 (→ Accusé, cit. 2).
18 Ils admirent la force de son génie et la facilité avec laquelle il (Napoléon) déplace et fixe où il lui plaît toute la puissance de son attention (…)
Ph.-P. Ségur, Hist. de Napoléon, VIII, II.
19 L'attention de l'empereur était alors fixée sur sa droite, quand tout à coup, vers sept heures, la bataille éclata à sa gauche (…)
Ph.-P. Ségur, Hist. de Napoléon, VII, 9.
20 L'attention de celui qui écoute sert d'accompagnement dans la musique du discours.
Joseph Joubert, Pensées, VIII, 62.
21 Il faut porter en soi cette indulgence et cette attention qui font fleurir les pensées d'autrui.
Joseph Joubert, Pensées, VIII, 63.
22 (L'histoire) ne mérite guère l'attention des hommes sensés.
P.-L. Courier, I, 145.
23 J'ai le regret de ne pouvoir satisfaire la curiosité qui s'est éveillée dans votre esprit (…) mon attention ne s'est portée que sur nos vieux chants liturgiques.
France, l'Anneau d'améthyste, p. 152.
24 Elle m'observa avec plus d'attention que par le passé et cet examen ne me fut pas favorable.
France, le Petit Pierre, XVII, p. 106.
25 (…) elles attiraient mon attention par quelques agaceries.
France (→ Agacerie, cit. 3).
26 Elle avait beau faire, le nœud de son attention se défaisait toujours.
R. Rolland, l'Âme enchantée, p. 166.
27 Puis tout aussitôt, et comme pour m'empêcher d'insister, en détournant mon attention (…)
Gide, les Faux-monnayeurs, I, 18.
28 (…) une jeune femme, au bord de la Garonne, est accoutumée à cette gloutonnerie du regard, à cette attention goulue des hommes.
F. Mauriac, Génitrix, p. 46.
29 (…) elle ne prêtait pas grande attention à la mauvaise humeur de Jenny.
Martin du Gard, les Thibault, III, 5.
30 (…) il eut envie de capter davantage cette attention inaccoutumée (…)
Martin du Gard, les Thibault, III, 6.
31 Antoine écoutait distraitement, l'attention requise par la route, le rythme du moteur.
Martin du Gard, les Thibault, VII, 25.
32 Son attention est concentrée sur elle-même, sur ses sentiments, sur ses impressions, sur ses lectures (…)
A. Maurois, Terre promise, XXXVI.
33 (…) une attention inflexible.
A. Maurois, Études littéraires, t. I, p. 215.
34 L'hyperbole n'est là que pour attirer, pour forcer l'attention du lecteur moutonnier.
A. Maurois, Études littéraires, t. II, p. 84.
35 Il est capable de fixer son attention pendant huit ou dix heures de suite, ce qui me semble prodigieux.
G. Duhamel (→ Application, cit. 10).
36 Impossible de fixer cette attention défaillante. Impossible de combler cette espèce de vide qui sépare parfois l'intelligence de son œuvre.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, VIII, 7.
37 (Il) ne fait pas plus attention à moi qu'à une muraille ou qu'à une borne.
G. Duhamel, le Voyage de P. Périot, I.
37.1 L'enfant y est à sa place, assis à même le sol sur ses jambes repliées; on dirait qu'il veut se glisser tout à fait sous le banc. Pourtant il continue d'observer vers l'avant de la scène, avec une attention dont témoigne, à défaut d'autre chose, la grande ouverture de ses yeux.
A. Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe, p. 47.
37.2 Elle le regarde en plissant un peu les paupières, semblant guetter la suite de ses paroles avec une attention exagérément tendue, vu l'importance que lui-même leur accorde.
A. Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe, p. 71-72.
37.3 — Naturellement, poursuivit Hubert, certains auteurs d'aujourd'hui ne sont pas accessibles à tout le monde. Ils demandent une attention soutenue (…)
Jean-Louis Curtis, le Roseau pensant, p. 43.
♦ Vx. || Avoir attention que… veiller à ce que…
38 Le magistrat doit veiller à ce que l'esclave ait sa nourriture et son vêtement : cela doit être réglé par la loi.
Les lois doivent avoir attention qu'ils soient soignés dans leurs maladies et dans leur vieillesse.
Montesquieu, l'Esprit des lois, XV, 17.
♦ ☑ Faire attention à (qqch.), l'observer, s'en occuper, et, par ext., en avoir conscience. ⇒ Apercevoir (s'), aviser (s'), noter, remarquer. || Je viens seulement d'y faire attention. || Faites bien attention, très attention à ma question, pensez, songez-y bien. — Faire attention : se méfier, prendre garde. || Fais attention ! (→ fam. Fais gaffe).
♦ Faire attention que (suivi de l'indic.). ⇒ Noter. — Faire attention que, à ce que (suivi du subj.). ⇒ Prendre garde, veiller (que, à ce que). || Faites attention que, à ce que personne ne vous voie.
39 Elle ne faisait pas toujours attention à ce qu'il n'y eût personne dans la chambre voisine.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. I, p. 74.
♦ Ellipt. || Attention ! : prenez garde ! ⇒ Gare; (pop.) gaffe. || Attention à la voiture ! || Attention au commandement ! || Eh ! attention, vous ! : faites attention ! || Attention, les flics ! → Vingt-deux ! (fam.).
➪ tableau Principales interjections.
♦ À l'attention de… : mention utilisée en tête d'une lettre, pour préciser son destinataire.
♦ Mar. || Pavillon d'attention : pavillon hissé pour indiquer qu'on a vu ou compris un signal.
2 Absolt. || L'attention, en tant que faculté humaine (→ aussi ci-dessus, cit. 6 et 7).
39.1 L'attention est la tendance à passer de l'état inactif à l'état actif de l'esprit. Ce à quoi l'on fait attention, on s'y incarne un peu, on accumule pour agir brusquement, on se retient, on laisse venir, on imite peu à peu l'objet de l'attention, on en forme la représentation — on prend la pose la plus favorable pour arriver à un déclenchement juste et puissant. C'est l'état d'être prêt — le passage au pied de guerre.
Valéry, Cahiers, Pl., t. II, p. 253.
39.2 L'attention est à la perception générale ce que l'accommodation est à la rétine /percep[tion] visuelle./
Valéry, Cahiers, Pl., t. II, p. 259.
♦ Psychol. || Attention constituante : effort de mise en train. || Attention constituée, se manifestant d'elle-même grâce à l'intérêt suscité par la mise en train.
♦ Psychan. || Attention flottante : technique d'écoute idéale préconisée par Freud dans une psychanalyse, requérant de l'analyste la suspension des motivations (présupposés théoriques, préjugés conscients, voire défenses inconscientes) qui orientent habituellement son attention.
39.3 Ainsi, dans cet état d'attention flottante qui lui est recommandé, le psychanalyste doit pouvoir accueillir sans privilège établi ce que le patient, invité à laisser venir sans discrimination, dit au cours de la séance. Telle est la situation dans son paradoxe, qui évoque volontiers quelque folle entreprise où le navigateur aveugle et sans compas inviterait son passager à prendre le vent comme il souffle.
Serge Leclaire, Psychanalyser, p. 23.
39.4 (…) la voie authentique pour atteindre ce que la classique formule de l'attention diffuse, voire distraite, de l'analyste n'exprime que très approximativement. Car l'essentiel est de savoir ce que cette attention vise : assurément pas, tout notre travail est fait pour le démontrer, un objet au-delà de la parole du sujet, comme certains s'astreignent à ne le jamais perdre de vue.
J. Lacan, Écrits, p. 253.
♦ Philos. Premier acte de la sensation transformée, dans le système de Condillac.
♦ Théol. Conscience nécessaire pour être moralement responsable de ses actes.
3 (XVIIe). a Vx ou littér. (L'attention). Disposition à la prévenance, aux soins attentifs envers qqn. ⇒ Amabilité, délicatesse, empressement, obligeance, prévenance, soin, sollicitude, zèle. || Être plein d'attention pour qqn. || Donner à qqn des marques, des preuves, des témoignages d'attention.
40 Je vous suis obligé de l'attention que vous avez eue à m'en donner avis.
41 (…) j'étais d'une assiduité, d'une attention, d'un zèle, qui charmaient tout le monde.
Rousseau, les Confessions, III.
b (1552). Mod. (Une, des attentions). Attitude, comportement prévenant. || Avoir de grandes attentions pour qqn. ⇒ Égards, gentillesse; attentionné (2.). || Une attention charmante, délicate. || Entourer qqn d'attentions empressées. ⇒ Choyer, soin (être aux petits soins). → Prévenance, cit. 3.
42 Cette femme, que je comblais d'attentions, de soins, de petits cadeaux, et dont j'avais extrêmement à cœur de me faire aimer (…)
Rousseau, les Confessions, VIII.
43 Il n'était point d'attentions, de délicatesses, de chatteries qu'elle n'eût pour son mari.
Maupassant, Clair de lune, « Les bijoux ».
44 Et les jours où par hasard elle avait encore été gentille et tendre avec lui, si elle avait eu quelque attention (…)
Proust, À la recherche du temps perdu, t. II, p. 82.
45 (…) elle avait non seulement pour ses amies, mais pour les domestiques, pour les pauvres, des attentions délicates, longuement méditées, un désir de faire plaisir (…)
Proust, À la recherche du temps perdu, t. III, p. 136.
46 Jamais un élan vers eux, jamais une parole gentille, jamais une « attention ». Même, les « attentions » qu'ils avaient pour elle, elle en était mécontente.
Montherlant, Pitié pour les femmes, p. 18.
❖
CONTR. Inattention. — Absence, dispersion, dissipation, distraction, étourderie, inadvertance. — Brutalité, grossièreté, rudesse. — Vexation.
Encyclopédie Universelle. 2012.