nuit [ nɥi ] n. f.
• noit 980; lat. nox, noctis
I ♦
1 ♦ Obscurité résultant de la rotation de la Terre, lorsqu'elle dérobe un point de sa surface à la lumière solaire. ⇒ obscurité, 1. ombre, ténèbres; nocturne. Le jour et la nuit, la lumière et la nuit. Il fait nuit. La nuit tombe. À la nuit tombante. ⇒ crépuscule, soir (cf. Entre chien et loup). Se laisser surprendre par la nuit. La nuit venue. Nuit claire. Nuit noire, très obscure. Nuit d'encre . Nuit sans lune. Nuit étoilée. Poét. L'astre de la nuit : la Lune. — PROV. La nuit, tous les chats sont gris. — Loc. Être comme le jour et la nuit. — Bleu de nuit, bleu nuit : bleu très foncé.
2 ♦ Par ext. Obscurité, absence de lumière. Une cave dans laquelle il fait nuit. ⇒ noir. « Une noire tempête déroba le ciel à nos yeux, et nous fûmes enveloppés dans une profonde nuit » (Fénelon). — Fig. La nuit des temps, se dit d'une époque très reculée, dont on ne sait rien. « Tant d'usages d'une cruauté nécessaire et bizarre, dont la cause s'est perdue dans la nuit des temps » (Diderot). Poét. La nuit du tombeau, la nuit éternelle. ⇒ 1. mort.
3 ♦ Littér. Le fait de ne pas voir, de ne pas comprendre, de ne pas sentir. ⇒ noir. « Dans la nuit où nous sommes tous, le savant se cogne au mur » (France). « Voyage au bout de la nuit », roman de L.-F. Céline.
II ♦ (Temps où il fait noir).
1 ♦ Espace de temps qui s'écoule depuis le coucher jusqu'au lever du soleil. Dans la nuit de dimanche à lundi. La nuit dernière. Jour et nuit, nuit et jour [ nɥiteʒur ] :continuellement, sans répit. Milieu de la nuit. ⇒ minuit. Jusqu'à une heure avancée de la nuit. En pleine nuit. Toute la nuit. Établissement ouvert la nuit. Les longues nuits d'hiver. La nuit de la Saint-Jean est la plus courte de l'année. PROV. La nuit porte conseil. — « La nuit qui abolit tout, fatigues et passions » (Sartre).
♢ (Emploi de ce temps) Dormir la nuit. Bébé qui fait ses nuits, qui ne se réveille plus la nuit pour boire. Il en rêve la nuit. Marcher, se promener, sortir la nuit. ⇒ nuitamment ; noctambule. Une nuit d'amour. Folles nuits. — Nuit blanche, au cours de laquelle on n'a pas dormi (⇒ veille, veillée) , on n'est pas parvenu à dormir. — (allus. au sigle bleu laissé sur les lieux des attentats de Chypre, dans la nuit du 31 mars 1955) Nuit bleue, au cours de laquelle des terroristes commettent des attentats synchronisés. « une nuit bleue de sept plastiquages » (Le Point, 1991). — Nuit d'hôtel, passée à l'hôtel. ⇒ nuitée. — Je vous souhaite une bonne nuit. Ellipt Bonne nuit. ⇒ bonsoir. — Nuit de noces.
2 ♦ DE NUIT. Qui a lieu, se passe la nuit. ⇒ nocturne. Travail, garde, surveillance de nuit (⇒ nuitard, nuiteux) . Service de nuit. Vol de nuit. Fête de nuit (⇒ médianoche, réveillon) . Conduire, voyager de nuit. — Par ext. Qui travaille, exerce ses fonctions pendant la nuit. Veilleur, gardien, garde de nuit. Équipe de nuit. Fam. Être de nuit.
♢ Qui sert pendant la nuit. Table de nuit. Vase de nuit. Bonnet, chemise de nuit. — Qui est ouvert la nuit; qui fonctionne la nuit. Boîte de nuit. Asile de nuit. Sonnette de nuit d'une pharmacie.
♢ Qui vit, reste éveillé la nuit. Oiseaux de nuit. ⇒ nocturne. Papillons de nuit.
⊗ CONTR. Jour, lumière.
● Nuit nuit passée à l'hôtel ; nuitée.
nuit
n. f.
d1./d Temps pendant lequel le soleil reste au-dessous de l'horizon. Passer une bonne, une mauvaise nuit: bien, mal dormir. Passer une nuit blanche, sans sommeil.
|| Loc. adv. Nuit et jour: sans cesse.
— De nuit: pendant la nuit. Voyager de nuit.
|| (Précédé d'un subst.) De nuit: qui s'effectue la nuit, qui est actif ou fonctionne pendant la nuit, qui sert la nuit. Travail de nuit. équipe de nuit. Oiseau de nuit. Train de nuit. Table, chemise de nuit.
d2./d Obscurité de la nuit. Une nuit noire. S'enfuir à la faveur de la nuit.
|| Loc. fig. C'est le jour et la nuit: ce sont deux personnes, deux choses très différentes.
— La nuit des temps: les temps les plus reculés.
d3./d Litt., fig. Aveuglement moral ou aveuglement des sens. La nuit de l'ignorance.
d4./d ISLAM Nuit du destin: nuit de la révélation du Coran au prophète Mohammed supposée coïncider avec la nuit du 26e au 27e jour du mois de Ramadan; commémoration de cette nuit, considérée comme propice.
d5./d (Afr. subsah.) (Dans certaines expressions.) Hier nuit: hier soir. Lundi nuit: lundi soir. Dix heures de la nuit: dix heures du soir. Deux heures de la nuit: deux heures du matin.
⇒NUIT, subst. fém.
I. —[Nuit en tant qu'absence de lumière]
A. —1. Obscurité dans laquelle se trouve plongée la surface de la Terre qui ne reçoit plus, à cause de sa position par rapport au soleil, de lumière solaire. Nuit avancée, épaisse, noire, obscure, opaque, pâle, profonde, tombante, tombée, venue; nuit de pleine lune; nuit sans étoiles, sans lune; à la faveur de la nuit; l'approche, l'entrée, la fin, la tombée de la nuit; c'est la nuit, il fait nuit; la nuit s'achève, s'annonce, s'approche, arrive, avance, monte, tombe, vient. La nuit descend sur l'astre qui se lève (HUGO, Légende, t. 5, 1877, p.1145). Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure (APOLL., Alcools, 1913, p.45). Alors il sentit qu'il ne pouvait pas rentrer comme cela, qu'il fallait tenter encore quelque chose, qu'il fallait épuiser la nuit, et que c'est seulement quand il rentrerait dans le plein jour que la nuit aurait dit non (MONTHERL., Célibataires, 1934, p.851):
• 1. Deux compagnies de rouges furent «arrêtées» encore. Raboliot, vers chacune, envoya ses deux coups, le premier sur les perdrix blotties, le second dès l'envol, à un mètre de terre. Une seule bête échappa, que le faisceau suivit longuement, pourchassa aux profondeurs de la nuit.
GENEVOIX, Raboliot, 1925, p.257.
♦À la nuit close.
♦Nuit claire. Nuit éclairée par la lune et les étoiles. Le lendemain de l'exécution, il était nuit, mais une nuit des Tropiques, une belle nuit claire et transparente, inondée de la molle clarté de la lune (SUE, Atar-Gull, 1831, p.25).
— Poét. L'astre, la déesse, le flambeau de la nuit. La lune. Les feux, les flambeaux de la nuit. Les étoiles. Dès qu'il fut reçu que Délos avait donné naissance au soleil, dieu du jour, on en fit, comme de raison, la patrie de la lune, sa soeur, déesse de la nuit (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p.288). Mais bientôt s'avançant sans éclat et sans bruit, Le choeur mystérieux des astres de la nuit (LAMART., Médit., 1820, p.68).
— Par allégorie. [Avec ou sans majuscule] La nuit personnifiée. Les cheveux, le front, le regard de la Nuit. On rencontrera (...) des personnages allégoriques: la Renommée, le Temps, la Nuit, la Mort, l'Amitié (CHATEAUBR., Natchez, 1826, p.104). Et, comme un long linceul traînant à l'Orient, Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche (BAUDEL., Fl. du Mal, 1861, p.134).
— Proverbe. La nuit, tous les chats sont gris. De nuit, les choses et les êtres se distinguent difficilement.
Rem. La nuit et le jour, le jour et la nuit. V. jour I C rem.
2. P. anal., PEINT., SCULPT. OEuvre d'art représentant cette obscurité ou évoquant une scène ou un paysage de nuit. La Nuit de Michel-Ange:
• 2. Dans ses estampes, généralement de grand format, et particulièrement dans celles d'après Rembrandt La Ronde de nuit, 1886, tous les procédés sont mis en oeuvre pour concourir à l'effet...
DACIER 1944, p.118.
♦Effet de nuit. Effet par lequel un peintre cherche à imiter l'obscurité de la nuit. (Dict. XIXe et XXes.). V. supra ex. 2.
♦Bleu de nuit ou bleu nuit. Bleu foncé. Par les hautes fenêtres d'un bleu de nuit ouvertes sur la lagune, les maillons lunaires qui montaient de l'eau toute proche bougeaient sur les voûtes comme un faible murmure de clarté (GRACQ, Syrtes, 1951, p.106). Marron, moutarde, bleu nuit, «dans l'incarnat», et cette marée flavescente d'un champ de colza (Vient mai), elles [les étendues monochromes des toiles de Tal-Coat] escortent la marche des heures et des saisons (Matin, Tombée de jour, Proche hiver: aucun titre n'est gratuit) (Le Monde dimanche, 30-31 mai 1982, p.8, col. 3-4).
Rem. Dans le domaine des couleurs, nuit renvoie à la couleur noire. Derrière le tribunal, les dames en toilettes claires semblaient de pâles visions aux yeux dévorants, tandis que les robes des nombreux avocats faisaient une grande tache de nuit, qui peu à peu mangeait tout l'espace (ZOLA, Paris, t.2, 1897, p.137). C'est une véritable beauté, et si peu anglaise! une peau mate, dorée par-ci, par-là; des cheveux couleur de nuit (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p.93).
B. — [P. réf. à l'obscurité originelle]
1. [Symbole de destruction (oubli, mort, néant, etc.)] La nuit du chaos; la nuit du tombeau; la nuit éternelle. Ce pauvre Gustave! Il nous manque, il est tombé dans la profonde nuit de la mort! (KRÜDENER, Valérie, 1803, p.214). Ainsi, quand de tels morts sont couchés dans la tombe, En vain l'oubli, nuit sombre où va tout ce qui tombe, Passe sur leur sépulcre où nous nous inclinons (HUGO, Chants crépusc., 1835, p.38).
♦Nuit et brouillard. ,,Termes employés par les Allemands pour qualifier certains détenus politiques arrêtés pendant la Seconde Guerre mondiale et qui étaient destinés à périr au plus vite et sans laisser de traces dans des camps d'extermination`` (Lar. encyclop.).
2. [Symbole d'ignorance et d'obscurantisme] La nuit des âges, des temps. Cette nation, qui semblait au moment de se dissoudre, recommençait un monde, comme ces peuples sortant de la nuit de la barbarie et de la destruction du moyen âge (CHATEAUBR., Mém., t.2, 1848, p.12). Mon doute, amas de nuit ancienne s'achève En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais Bois mêmes, prouve, hélas! que bien seul je m'offrais Pour triomphe la faute idéale de roses (MALLARMÉ, Poés., 1898, p.50).
• 3. Habituée [l'âme] pour un temps à l'éblouissante lumière, elle ne distingue plus rien dans l'ombre. Elle ne se rend pas compte du travail profond qui s'accomplit obscurément en elle. Elle sent qu'elle a beaucoup perdu; elle ne sait pas encore que c'est pour tout gagner. Telle est la «nuit obscure» dont les grands mystiques ont parlé, et qui est peut-être ce qu'il y a de plus significatif, en tout cas de plus instructif, dans le mysticisme chrétien.
BERGSON, Deux sources, 1932, p.245.
3. [Symbole de la condition humaine (destin tragique, esclavage, malheur, impureté, aveuglement, etc.)] Je voudrais qu'elle ne s'effarouchât point de l'amour, que le baiser ne fût pas pour elle le secret des nuits, la chose honteuse, à laquelle il ne faut pas penser, bien que ce soit bon (RIVIÈRE, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1907, p.75). Cette voix que j'ai entendue du fond de la nuit où je suis étroitement enveloppée depuis ma naissance comme dans un voile (CLAUDEL, Père humil., 1920, III, 2, p.531).
4. [Symbole du mal] Une lampe survit au cancer de la nuit (SAINT-JOHN PERSE, Exil, 1942, p.274).
♦L'ange des nuits. Le démon. Le fils de Dieu n'est ici que le fils de l'homme (...) se demandant si Dieu est mort, si Dieu n'a pas succombé sous l'ange des nuits, et substituant ainsi à la notion de destin celle d'un manichéisme, mais où triomphe enfin le principe mauvais et qui s'achève non par une fin de Satan, mais par une fin de Dieu (DURRY, Nerval, 1956, p.52).
C. —Obscurité, ténèbres dans lesquelles est plongé un endroit particulier par manque plus ou moins grand de lumière. La nuit d'une cave, d'un corridor, d'une ruelle. Il faisait nuit dans l'écurie quand la cloche sonna le dîner (CHÂTEAUBRIANT, Lourdines, 1911, p.259).
— Au fig. [Nuit va de l'absence de perception proprement visuelle jusqu'à l'aveuglement du coeur et de l'esprit] La nuit de l'esprit humain. Il marchait au hasard, chancelait et butait, incertain, et les mains un peu en avant, au long des trottoirs inégaux. Il n'était pas encore familiarisé avec la nuit de ses yeux (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p.208). Quand aurons-nous fini d'asservir la terre et le ciel à la tristesse du péché? La vraie nuit n'est pas cette nuit charnelle, interprète et complice du désir. Nous avons détourné le monde visible de sa fin véritable, comme au long de notre vie, nous avons fait de toute créature vivante qui intéressait notre coeur (MAURIAC, Journal 2, 1937, p.117):
• 4. N'ayez pas peur que cette suite de petits cris éteints et affaiblis qui composent un livre de philosophie nous en apprenne trop sur l'univers pour que nous ne puissions plus y vivre. Dans la nuit où nous sommes tous, le savant se cogne au mur, tandis que l'ignorant reste tranquillement au milieu de la chambre.
A. FRANCE, Jard. Épicure, Paris, Calmann-Lévy, 1927 [1895], p.431.
II. —[Nuit en tant qu'espace de temps]
A. —Espace de temps qui s'écoule, en un lieu donné de la terre, depuis la disparition de la lumière qui suit le coucher du soleil jusqu'à l'apparition du jour qui précède le lever du soleil.
1. [Expression d'une durée] Jour et nuit, nuit et jour; ni jour ni nuit (v. jour II A); de (toute) la nuit, de nuit, pendant une ou deux nuits; ouvert la nuit; une grande nuit; une nuit courte, entière, longue; la première partie de la nuit, le reste de la nuit. Rarement une nuit entière s'écoulait sans qu'il leur vînt faire, son falot à la main, deux ou trois visites d'amitié (COURTELINE, Train 8 h 47, 1888, 3e part., III, p.236). Il passa la nuit dans le jardin du petit château qu'habitait le général (MAUROIS, Silences Bramble, 1918, p.153):
• 5. En vérité, je vous le dis, à moins que vous ne vouliez être surpris par l'ouragan, veillez, veillez sans cesse, prêtez l'oreille à tous les bruits, soyez nuit et jour sur vos gardes, n'ayez ni repos, ni trêve, ni répit, et puis tenez vos malles prêtes, afin de n'avoir plus qu'à les fermer au premier coup de tonnerre qui partira de l'horizon.
SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p.222.
♦Nuit polaire. [Dans les régions polaires] Période pendant laquelle le soleil ne se lève pas au-dessus de l'horizon:
• 6. Là, ils avaient passé des hivers parmi les Hyperboréens blottis dans leurs huttes sordides, puantes, à peine éclairées, et rythmé avec eux l'interminable nuit polaire par la préparation des engins de pêche, de chasse et de commandement, bois de rennes, mâchoires de rennes et de phoques, os de baleine qu'ils gravaient d'images précises comme les souvenirs de leur vie monotone qui recommençait chaque année avec le retour du soleil pâle.
FAURE, Hist. art, 1912, p.239.
P. anal. Nuit extrêmement froide. En Assyrie (...), le régime des inondations nourricières moins régulier qu'en Égypte, un limon malsain, des nuits polaires, une chaleur atroce dans le jour (FAURE, Espr. formes, 1927, p.99).
Rem. En dehors de l'expression du temps, il est à remarquer que les adj. qualifiant nuit ont trait aux rigueurs de la température (froide, glacée, glaciale, etc.).
♦Expr. Il ne passera pas la nuit. [En parlant d'un malade dont l'état désespéré fait craindre qu'il ne puisse pas vivre jusqu'au matin] Le lendemain du jour où il vous écrivit, sa poitrine et sa tête s'embarrassèrent tellement, que le médecin craignit qu'il ne passât pas la nuit (KRÜDENER, Valérie, 1803, p.274).
♦La nuit porte conseil. Après une bonne nuit, on est mieux à même de prendre une sage décision. Comme la nuit porte conseil Thomas remit au lendemain le fils Le Berre (QUEFFÉLEC, Recteur, 1944, p.185).
— En partic.
♦DR. Espace de temps qui s'étend de 21 heures à 6 heures. Le domicile est inviolable la nuit; en cas de vol, la nuit est une circonstance aggravante (Lar. encyclop.).
♦ÉCON. TOURISTIQUE. Nuit (d'hôtel). V. nuitée. Le prix de deux nuits. Le fait de ne retenir que les nuits d'hôtel élimine les séjours tels que séjours de famille, en meublé ou de camping qui sont les séjours les plus longs (Tour. Fr., 1960, p.16).
2. [Expression d'un moment, d'une date plus ou moins déterminés] Au début, à la fin, au milieu de la nuit; à la nuit, en pleine nuit; la dernière, la précédente, prochaine nuit; la nuit suivante; la nuit de tel jour, tel mois; par une nuit d'été, d'hiver, etc.; la nuit du Vendredi Saint; une nuit, l'autre nuit. Joséphine, prenez-y garde, une belle nuit, les portes enfoncées, et me voilà (NAPOLÉON Ier, Lettres Joséph., 1796, p.60). Dans la nuit d'hier, une tornade avortée; on étouffe (GIDE, Voy. Congo, 1927, p.758):
• 7. Depuis cette nuit de Noël où il a parlé avec tant d'audace, le curé de campagne n'a jamais voulu reprendre un entretien auquel il ne pense plus sans un certain embarras.
BERNANOS, Soleil Satan, 1926, p.139.
— En partic., HIST. La nuit du 4 Août [1789]. Celle où fut décrétée l'abolition des privilèges.
♦P. anal.:
• 8. —En tout cas, dit David, l'affaire est réglée, Roubaix ne travaillera pas. —Même Gayet a voté pour l'arrêt! lui dont l'usine tournait. —C'est magnifique, s'exclama l'abbé Sennevilliers. Une espèce de nuit du 4 août!
VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p.136.
B. —Espace de temps consacré au sommeil ou à une activité particulière.
1. [Nuit normalement consacrée au sommeil] Nuit sans sommeil; nuit affreuse, pénible, troublée; mauvaise nuit, bonne nuit; je vous souhaite bonne nuit, p.ell. bonne nuit (v. bonsoir); dormir sa nuit, se réveiller la nuit. Jean Valjean se jeta tout habillé sur son lit et ne put fermer l'oeil de la nuit (HUGO, Misér., t.1, 1862, p.532):
• 9. Allons, Monsieur Bernard, bonsoir et bonne nuit! dit le Marquis en le saluant de la main; que Monsieur votre père vous envoie de là-haut de doux rêves!
SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p.162.
♦Nuit blanche. Nuit que l'on passe sans dormir ou sans pouvoir dormir. La nuit blanche existe. Elle est rare, mais elle existe. Les neuro-psychiatres disent la constater une fois, deux fois, pas plus, chez certains de leurs patients (...). Mais il y a aussi, beaucoup plus fréquente, la pseudo-nuit blanche, celle qui vous fait dire: «Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit», alors que la personne qui partage votre lit vous assure que c'est faux et que vous avez même ronflé légèrement (Madame Figaro, 30 mars 1985, p.104, col. 2).
2. [Nuit consacrée à l'amour, au plaisir] Nuit d'amour, de débauche, de noce(s), de plaisir; folles nuits; passer la nuit avec un homme, une femme. Il prétendait passer ses nuits dans le lit des servantes et se vantait d'avoir vu, de ses yeux, la marquise de Chamarante toute nue (BOYLESVE, Leçon d'amour, 1902, p.33):
• 10. À Andernach, en avril 1941, la Gestapo vint cueillir au lit chez une Allemande, dénoncée par une de ses voisines, un prisonnier qui avait accoutumé d'y passer les nuits...
AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p.207.
3. [Nuit consacrée à une occupation, à un travail, etc.] Nuit de garde, de veille; nuit passée à...; passer la nuit à (lire, écrire, etc.). Toutes les nuits passées à pleurer (MURGER, Scènes vie boh., 1851, p.294):
• 11. En 1801, dans une époque qui ne manquait pas d'événements sensationnels, les deux jeunes gens trouvèrent que celui-là était assez important pour qu'ils fissent une nuit de marche.
BÉGUIN, Âme romant., 1939, p.102.
♦MAR. Nuit franche. Nuit pendant laquelle on est dispensé de quart. (Dict. XIXe et XXe s.).
— VÉN. Faire sa nuit. Venir au gagnage (d'apr. Vén. 1974).
C. —De nuit.
1. Qui s'effectue, se déroule la nuit. Garde de nuit; fête, surveillance, vol de nuit:
• 12. Depuis un an, il y travaillait en bon ouvrier, sobre, silencieux, faisant une semaine le service de jour et une semaine le service de nuit, si exact, que les chefs le citaient en exemple.
ZOLA, Germinal, 1885, p.1253.
— Domaines partic.
♦DR. DU TRAVAIL. Travail de nuit. ,,Le travail de nuit est interdit dans toutes les professions aux femmes et aux enfants`` (BARR. 1974).
♦RELIG. Office de nuit. V. nocturnal.
2. Qui exerce des fonctions pendant la nuit. Équipe de nuit; gardien de nuit:
• 13. Et pas un des personnages qu'il fit passer sur la scène, non pas même le veilleur de nuit et le sergent du guet, ne se montra à mes yeux sans y laisser une vive image.
A. FRANCE, Vie fleur, 1922, p.385.
♦Être de nuit. Assurer un service de nuit. (Dict. XXes.).
3. Qui trouve, la nuit, son utilité, sa fonction, sa raison d'être. Asile de nuit; boîte de nuit; bonnet de nuit; chemise de nuit; sonnette, vase de nuit:
• 14. Il distinguait l'odeur des rideaux de cretonne, à laquelle se mêlait ce soir une pointe acide, qui lui parut peu agréable tant qu'il l'attribua à la fièvre, mais qu'il respira joyeusement dès qu'il eut aperçu le citron coupé dans une soucoupe sur la table de nuit.
MARTIN DU G., Thib., Mort père, 1929, p.1323.
4. [En parlant d'animaux, de plantes] Qui a une vie nocturne. Son regard passa par-dessus ma tête, volant et se cognant aux coins de la pièce comme un oiseau de nuit égaré (VERCORS, Silence mer, 1942, p.72). Quand ils se taisaient, le souffle régulier de la jeune femme était sensible, dans la chambre, aussi léger que le battement d'ailes d'un papillon de nuit (SIMENON, Vac. Maigret, 1948, p.167).
REM. 1. Nuitard, subst. masc., arg. Trieur de courrier travaillant la nuit. Le public est peu informé des conditions matérielles (inconfort, fatigue, salaires) que connaissent les postiers en général et les «nuitards» en particulier (GIRAUD-PAMART 1971, p.165). 2. Nuiter, verbe intrans. Passer la nuit dans un endroit de fortune. Au début de l'automne Glèse qui s'était marié à la solitude au point de refuser un lit, rue Fichte, avait cru astucieux de nuiter, à la barbe de tout le monde, dans l'une des maisons déjà murées de l'impasse du Coq-Fou (J. SULIVAN, Quelque temps de la vie de Jude et Cie, Paris, Stock, 1979, p.53).
Prononc. et Orth.:[]. Homon. formes de nuire. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Fin Xe s. la noit «temps qui s'écoule du coucher au lever du soleil» (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 193); ca 1050 nuit (Alexis, éd. Chr. Storey, 75); 2e moitié du Xe s. et noit e di «nuit et jour, continuellement» (St Léger, éd. J. Linskill, 195); ca 1170 nuit e jor (MARIE DE FRANCE, Lais, Yonec, éd. J. Rychner, 222); 2. 1606 passer la nuit (à boire, etc.) (NICOT); 1694 il ne passera pas la nuit «d'un malade qui va mourir» (Ac.); 1774 passer une nuit blanche (Mme DU DEFFAND, Lettre à H. Walpole, t.IV, p.384 ds POUGENS ds LITTRÉ); 3. 1160-74 de noit «pendant la nuit» (WACE, Rou, éd. A. J. Holden, III, 3676); 1510 travailler ... de nuyt (P. GRINGORE, La Coqueluche ds OEuvres, éd. C. d'Héricault et A. de Montaiglon, I, 191); 1959 être de nuit (ROB.); 4. 1655 «plaisir amoureux pris pendant la durée d'une nuit» (MOLIÈRE, L'Étourdi, IV, 3); 5. 1874 «prix d'une nuit à l'hôtel» (Lar. 19e). B. 1. Fin Xes. «obscurité» (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 310); 2. 1604 la nuict du tombeau «la mort» (MONTCHRESTIEN, Aman, éd. P. de Julleville, p.257); 3. 1611 «ténèbres, aveuglement physique et moral» (M. RÉGNIER, Plainte ds OEuvres, éd. G. Raibaud, p.246); 1669 «condition obscure» (RACINE, Britannicus, II, 3); 4. 1621 «tableau qui représente une scène de nuit» (R. FRANCOIS, Merveilles de nature, 313, 314); 5. 1682 la nuit des tems (LA FONTAINE, Belphégor ds Contes et Nouv., éd. P. Clarac, II, p.244). Du lat. noctem, acc. de nox «nuit», «repos de la nuit», «obscurité», «nuit éternelle, ténèbres». Fréq. abs. littér.:38991. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a)45059, b)60428; XXes.: a) 64142, b) 56425. Bbg. ANGENOT (M.). La Nuit du surréel. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1969, t.7, n°12, pp.181-196. — BELLENGER (Y.). La Journée et ses moments ds la poésie fr. du 16es. Lille. Paris, 1975, pp.54-56, 277-295, 354-363, 492-503. — GENETTE (G.). Le Jour, la nuit. Langages. Paris. 1968, n°12, pp.28-42. — GILLIÉRON (J.). Pathol. et thérapeutique verbales. Genève-Paris, 1977, pp.8-10. — QUEM. DDL t.13, 15, 16, 21, 22.
nuit [nɥi] n. f.
ÉTYM. V. 1050; noit 980; du lat. noctem, accusatif de nox, noctis.
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♦ Absence du soleil au-dessus de l'horizon; temps que dure cette absence.
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1 Obscurité naturelle en un point de la surface terrestre, en l'absence de soleil, résultant de la rotation de la Terre. ⇒ Obscurité, 1. ombre, ténèbre; argot borgnon, sorgue. || Le jour et la nuit, la lumière et la nuit. ⇒ Jour (cit. 1, 2, 3, 5 et 7). || Relatif à la nuit. ⇒ Nocturne. — C'est la nuit (→ Assoupir, cit. 23). Vieilli. || Il est nuit (→ Cabane, cit. 2). Cour. || Il fait (cit. 198) nuit. — La nuit arrive, vient (→ Dessus, cit. 3), tombe. || Tombée de la nuit. ⇒ Crépuscule (cit. 4), soir. || Nuit tombante (→ Branchage, cit. 3). || Dès que la nuit vient (→ Aggraver, cit. 7). || À la nuit venue, à la nuit… (→ Gîte, cit. 3). || La nuit vient brusquement (→ Évanouissement, cit. 1). || Nuit tombée, close, après le crépuscule. || L'aurore (cit. 9 et 10) dissipe (cit. 1) la nuit. — Ses yeux s'étaient habitués (cit. 6) à la nuit. || Voir pendant la nuit. ⇒ Nyctalope, nyctalopie. || Un jour douteux, plus triste que la nuit (→ Blafard, cit. 2). || Feux, lumières, lampions (cit. 1) qui changent la nuit en jour. || Circuler dans la nuit avec une lampe, un fanal… || La nuit dérobe les formes (→ Jeu, cit. 80). || À la faveur de la nuit. ⇒ Nuitamment. — Être pris, surpris, se laisser surprendre par la nuit. ⇒ (vx) Anuiter (s'). → Arracher, cit. 47; beau, cit. 34; casser, cit. 2. || Se perdre dans la nuit (→ Liserer, cit. 2). — Nuit noire, obscure, sombre (→ Fumant, cit. 2; glisser, cit. 18). ☑ Nuit d'encre. || Épaisse (cit. 11) nuit, nuit profonde (→ Dérober, cit. 6; horreur, cit. 33, Racine). || La nuit s'épaississait (cit. 6). || Les ombres de la nuit (→ Faveur, cit. 18). || Nuit sans lune (→ Émouvoir, cit. 16). || Le fond (cit. 41) opaque de la nuit. Poét. || Les noirs linceuls (cit. 4, Hugo) des nuits.
1 On a tort de dire que la nuit tombe; on devrait dire la nuit monte; car c'est de terre que vient l'obscurité. Il faisait déjà nuit au bas de la falaise; il faisait encore jour en haut.
Hugo, l'Homme qui rit, I, I, I.
2 Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune (…)
Hugo, les Rayons et les Ombres, XLII.
3 Si Claude Lorrain est le peintre ordinaire du soleil, Van-der-Neer est celui de la lune; la nuit lui appartient, il y règne en maître, elle n'a pas d'ombre ni de mystère qu'il ne sache pénétrer. N'est-ce pas une chose singulière que la nuit, dans laquelle notre globe baigne pendant tant d'heures, ait été si rarement reproduite ? Elle a pourtant ses beautés, ses effets pittoresques, ses magies et ses séductions.
Th. Gautier, Souvenirs de théâtre…, Collection d'Espagnac.
4 Ô nuit ! ô rafraîchissantes ténèbres ! vous êtes pour moi le signal d'une fête intérieure, vous êtes la délivrance d'une angoisse ! (…)
Baudelaire, le Spleen de Paris, XXII.
5 C'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumière !
Edmond Rostand, Chantecler, II, 3.
6 Parmi les forces naturelles, il en est une, de laquelle le pouvoir reconnu de tout temps reste en tout temps mystérieux, et tout mêlé à l'homme : c'est la nuit. Cette grande illusion noire suit la mode, et les variations sensibles de ses esclaves. La nuit de nos villes ne ressemble plus à cette clameur des chiens des ténèbres latines, ni à la chauve-souris du moyen âge, ni à cette image des douleurs qui est la nuit de la Renaissance.
Aragon, le Paysan de Paris, VIII.
7 La nuit me prit. Elle était là vraiment chez elle; une nuit étouffante, qui s'était élevée du sein des arbres et que les murs de Loselée contenaient avec une extraordinaire puissance. Car c'était leur nuit, la nuit du sol qu'ils entouraient, la nuit particulière aux créatures de ce lieu étrange qui créait lui-même ses ombres. Ailleurs il semblait que la terre n'eût en partage que l'obscurité. Là elle avait la nuit; elle possédait la nuit même, ce qu'on nomme la nuit, ce qui l'est : un être.
H. Bosco, Un rameau de la nuit, p. 230.
♦ ☑ Loc. Bleu de nuit, se dit d'un bleu foncé, profond. Par appos. || Bleu nuit.
➪ tableau Désignations de couleurs.
♦ L'astre (cit. 8), le flambeau de la nuit. ⇒ Lune (cit. 8). || Nuits de lune, éclairées par la lune, où la lune brille (→ Guider, cit. 5). || Les feux, les flambeaux de la nuit. ⇒ Étoile. || La nuit allumait (cit. 2) ses premières étoiles. || Nuit criblée (cit. 10) d'étoiles, qui étincelle (cit. 3). || « Une étoile (cit. 8) jaillit du bleu noir de la nuit… ». || « Comme tu me plairais, ô nuit ! sans ces étoiles… » (→ Noir, cit. 39, Baudelaire). || Nuit claire, laiteuse (cit. 2), où l'obscurité résultant de l'absence de soleil est atténuée par la lune, les étoiles.
8 Le ciel est toujours clair tant que dure son cours,
Et nous avons des nuits plus belles que vos jours.
Racine, Lettres, 20, 17 janv. 1662.
9 C'était une de ces nuits dont les ombres transparentes semblent craindre de cacher le beau ciel de la Grèce : ce n'étaient point des ténèbres, c'était seulement l'absence du jour.
Chateaubriand, les Martyrs, I.
10 Cette nuit-ci était d'or parce qu'il faisait clair de lune. Mais pour un vrai braco (braconnier), les nuits d'or sont nombreuses en hiver. Cela dépend du flair de l'homme, de sa souplesse à saisir, en chaque nuit, la complicité qu'elle vous offre (…)
M. Genevoix, Raboliot, I, IV.
♦ La Nuit personnifiée (avec ou sans majuscule). || La nuit pensive (→ Appel, cit. 13, Musset). || Cheveux aussi noirs que ceux de la Nuit (→ Cascatelle, cit. 2). || « Et quand la nuit, guidant son cortège (cit. 3) d'étoiles… » (Lamartine). || « La pâle nuit levait son front dans les nuées » (→ Effacer, cit. 18, Hugo). || « L'irrésistible Nuit établi son empire » (→ Funeste, cit. 19, Baudelaire). || « La nuit voluptueuse monte… » (→ Effacer, cit. 10, Baudelaire). || Étoiles (cit. 22), filles de la Nuit (→ aussi Étoile, cit. 11). — La Mort, fille de la Nuit (→ Fléchir, cit. 4). || Le Sommeil, fils de la Nuit. — La Nuit, représentée allégoriquement par les peintres, les sculpteurs. || La Nuit, de Michel-Ange.
11 Car noire nuit, qui des amants prend cure (soin),
Les couvrira de sa grand'robe obscure,
Et si rendra, cependant, endormis
Ceux qui d'amours sont mortels ennemis.
Clément Marot, Élégies, XI.
12 Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.
Baudelaire, Nouvelles Fleurs du mal, VII.
13 Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange
Qui tords paisiblement dans une pose étrange
Tes appas façonnés aux bouches des Titans !
Baudelaire, les Fleurs du mal, « Spleen et idéal », XVIII.
14 La nuit vient, noir pirate aux cieux d'or débarquant.
Rimbaud, Poésies, XXXVIII, I.
♦ ☑ Par métaphore. C'est le jour (supra cit. 9) et la nuit, deux choses opposées. || Aucune comparaison possible, c'est le jour et la nuit !
2 Littér. Obscurité, ténèbres (→ Épais, cit. 10; lanterne, cit. 11). || La nuit profonde du corridor (→ Fourgonner, cit. 4), d'une cave…
15 Nous eûmes assez longtemps un vent favorable (…) mais ensuite une noire tempête déroba le ciel à nos yeux, et nous fûmes enveloppés dans une profonde nuit.
Fénelon, Télémaque, I.
♦ (Abstrait). || La nuit de l'inconscient (→ Fond, cit. 28). || La nuit du mystère… ☑ Loc. La nuit des temps : une époque très reculée, dont on ne sait rien. || Cela se perd dans la nuit des temps (⇒ Autrefois). || Depuis la nuit des temps.
16 Puisse le tout, ô charmante Philis,
Aller si loin que notre los (louange) franchisse
La nuit des temps !
La Fontaine, Contes, V, VII.
17 (…) tant d'usages d'une cruauté nécessaire et bizarre, dont la cause s'est perdue dans la nuit des temps, et met les philosophes à la torture.
Diderot, Suppl. au voyage de Bougainville, I.
18 (…) sentiments et (…) pensées poétiques déjà connus, mais qu'on croyait enfouis dans la nuit du passé.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, XV, I.
♦ Condition obscure.
19 Madame, sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là
Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile,
Qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile (…)
Hugo, Ruy Blas, II, 2.
3 Littér. Le fait de ne pas voir, de ne pas comprendre, de ne pas sentir… (au physique ou au moral); aveuglement des sens, de l'esprit et du cœur. ⇒ Noir. || La nuit de la vue et du cœur (→ Empêcher, cit. 3). || L'erreur (cit. 13), l'ignorance, nuit de l'esprit.
20 Êtres de néant et de ténèbres, notre impuissance et notre puissance sont fortement caractérisées : nous ne pouvons nous procurer à volonté ni la lumière ni la vie; mais la nature, en nous donnant des paupières et une main, a mis à votre disposition la nuit et la mort.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. VI, p. 122.
21 Dans la nuit où nous sommes tous, le savant se cogne au mur, tandis que l'ignorant reste tranquillement au milieu de la chambre.
France, le Jardin d'Épicure, p. 62.
22 Tout à coup, il faisait noir en moi. Dans cette nuit, mes sentiments se bousculaient; je me cherchais, je cherchais à tâtons des dates, des précisions.
R. Radiguet, le Diable au corps, p. 183.
♦ (Chez les romantiques, et spécialt chez Hugo). || La Nuit, symbole de la misère (cit. 14), du malheur, de la destinée humaine.
23 Chaque homme dans sa nuit s'en va vers sa lumière.
Hugo, les Contemplations, V, III, Écrit en 1846, II.
24 (…) la matière, c'est la nuit.
Hugo, Post-Scriptum de ma vie, l'âme, De la vie et de la mort.
♦ Voyage au bout de la nuit, roman de Céline.
4 (1607). Par métaphore, littér. || La nuit du tombeau, des tombeaux (→ Inconstance, cit. 3, Lamartine), du cercueil, la nuit éternelle (cit. 25; → Ainsi, cit. 11). ⇒ Mort, tombeau, tombe… || « Les régions de la mort, du silence et de la nuit » (→ Cerbère, cit. 1, Chateaubriand). ☑ « C'est ici le combat du jour (cit. 13) et de la nuit ».
25 Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale.
Racine, Phèdre, IV, 6.
26 Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé (…)
Nerval, Chimères, « El desdichado. »
27 Ô Seigneur ! ouvrez-moi les portes de la nuit,
Afin que je m'en aille et que je disparaisse !
Hugo, les Contemplations, IV, XIII.
28 La nuit est la muraille immense de la tombe.
Hugo, les Contemplations, VI, XVIII.
———
II Durée pendant laquelle le soleil n'est pas visible; partie du jour, de la journée de 24 heures.
1 Espace de temps qui s'écoule depuis le coucher jusqu'au lever du soleil (opposé à jour). ☑ Jour et nuit, nuit et jour… : continuellement, sans répit. ⇒ Jour (cit. 30, 31 et supra). ☑ Il ne dort ni jour ni nuit : jamais. || Début (⇒ Soir; crépuscule), fin (⇒ Matin), milieu (⇒ Minuit), de la nuit. || La nuit est avancée (cit. 79). || Bien avant (cit. 45) dans la nuit. || Jusqu'à une heure avancée de la nuit (→ Impunément, cit. 8). || En pleine nuit, au milieu de la nuit… || Toute la nuit, toute une nuit : pendant la durée entière de la nuit (→ Accroupir, cit. 5). || Pendant une, deux… nuits (→ Argent, cit. 4). || Avant la nuit. — Jardin (→ Flâne, cit. 1), établissement ouvert la nuit (→ ci-dessous de nuit). — Ouvert la nuit, Fermé la nuit, titres de deux ouvrages de Paul Morand. — (En parlant de la durée de la nuit). || Nuit longue, courte; jour égal à la nuit (⇒ Équinoxe, cit. 2). || La longue nuit polaire d'hiver (→ Éternel, cit. 35). || La nuit de la Saint-Jean est la plus courte de l'année. || Les brèves nuits nordiques d'été. — Franç. d'Afrique. || Deux, trois… heures de la nuit, du matin. — De nuit : du soir. || Dix heures de nuit. — En appos. ⇒ Soir || « L'athlétisme débutera (…) mardi nuit à partir de 20 h 30 » (le Soleil, Dakar, in I. F. A. N.).
29 Ah ! longues nuits d'hiver, de ma vie bourrelles,
Donnez-moi patience, et me laissez dormir !
Ronsard, Pièces posthumes, Derniers vers, Sonnets, IV.
30 (…) je vous dirai tout cela demain, si je ne meurs pas pendant la nuit.
Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 561.
31 La nuit arrive alors, une nuit de seize heures (…)
32 Je la pris dans mes bras. Elle y demeura tout le reste de la nuit, c'est-à-dire dix minutes à peine, car le soleil, après une rapide ablution, s'empressait déjà.
Paul Morand, Ouvert la nuit, Nuit nordique.
♦ ☑ Loc. Il ne passera pas la nuit, se dit d'un malade dont l'état est désespéré, qui ne vivra pas jusqu'au matin (→ Assener, cit. 2).
♦ ☑ Prov. La nuit porte avis (vx), porte conseil (cit. 13 et 14).
2 (En parlant du caractère de la nuit, d'après le temps qu'il fait, etc.). || Une nuit calme, sereine… || Nuit magnifique (→ Magique, cit. 7), pure (→ Alternance, cit. 1), tranquille (→ Heure, cit. 47). || La beauté des nuits de printemps (→ Fraîcheur, cit. 2). || Nuits d'hiver (→ 1. Fumer, cit. 2). — L'immobilité (cit. 6), la paix (→ Interroger, cit. 14), le calme, la sérénité, le silence de la nuit… || Les bruits (cit. 8) de la nuit (→ Graduer, cit. 1). || Pluie, rosée qui tombe pendant la nuit (⇒ Serein). || Prendre le frais (1. Frais, cit. 5) de la nuit. — Les puissances, les mystères… de la nuit (→ Effleurer, cit. 3, Musset). || « Les amants de la nuit » (→ Engeance, cit. 3, Musset).
33 Rivière jugeait les étoiles trop luisantes, l'air trop humide. Quelle nuit étrange ! Elle se gâtait brusquement par plaques, comme la chair d'un fruit lumineux. Les étoiles au grand complet dominaient encore Buenos Aires, mais ce n'était là qu'une oasis, et d'un instant. Un port, d'ailleurs hors du rayon d'action de l'équipage. Nuit menaçante qu'un vent mauvais touchait et pourrissait. Nuit difficile à vaincre.
Saint-Exupéry, Vol de nuit, XIII.
3 (En parlant de l'emploi qu'on fait de la nuit, selon qu'elle est ou non consacrée au sommeil, etc.). || Se réveiller la nuit (→ Haletant, cit. 4), pendant la nuit (→ Illuminer, cit. 17). || Nuit sans sommeil ou nuit blanche. ⇒ Veille, veillée (→ Jamais, cit. 9; matin, cit. 7). ☑ Il a passé une nuit blanche, sans dormir. || Il en rêve la nuit (→ Haïr, cit. 11). — La nuit : pendant la nuit ou au cours de la nuit. ☑ Loc. Il s'en lève, il s'en relève la nuit. — Marcher, se promener, sortir la nuit. ⇒ Noctambule. || Voyager, rouler la nuit. || Partir la nuit (→ Face, cit. 49). — Dans la nuit. || Manger, faire un repas dans la nuit. ⇒ Médianoche, réveillon. — Passer la nuit, les nuits à lire (→ Enfant, cit. 14), à dormir. || « Passer les jours entiers et les nuits à cheval » (→ Endurcir, cit. 11, Corneille). || Passer la nuit comme garde-malade (cit. 1), auprès d'un malade. ⇒ Veiller. || Passer la nuit chez soi, dans son lit, à la belle étoile (cit. 14), sous les ponts… — Trouver un gîte pour la nuit. || Loger qqn pour la nuit. || Nuit d'hôtel, passée à l'hôtel. ⇒ Nuitée. || Nuits en chemin de fer (→ Courbature, cit. 2).
34 Dieu nous préserve
Des nuits que n'habite ni le sommeil ni l'amour.
Gide, Bethsabé, 3.
35 C'est la nuit, qui abolit tout, fatigues et passions. Les opprimés dorment, les révoltés aussi; le monde est enseveli, l'histoire reprend haleine.
Sartre, Situations II, p. 180.
♦ La nuit de qqn, sa nuit : la nuit, une nuit passée par une personne (par rapport à ses activités). || Dormir sa nuit (→ Aider, cit. 14). || Pensée qui hante (cit. 14) les nuits de qqn. || Passer sa nuit à travailler. — Quelle nuit j'ai passée !
♦ Nuit fatigante (→ Fatiguer, cit. 2), pénible. || Mauvaise nuit. || « Ô nuit désastreuse… » (→ Coup, cit. 85, Bossuet). || Bonne nuit, où l'on dort bien, où l'on se repose. || Je vous souhaite une bonne nuit. Ellipt. || Bonne nuit. ⇒ Bonsoir.
36 À neuf heures, les uns après les autres, les officiers du bord rentrent dans leurs chambres; ils se retirent tous en me souhaitant bonne chance et bonne nuit (…)
Loti, Aziyadé, I, XIX.
♦ Spécialt. || Passer la nuit avec une femme. ⇒ Coucher. || Nuit d'amour (→ Mariage, cit. 29), de plaisir… (→ Emportement, cit. 2, Molière). — Nuit de débauche, d'orgie…
37 Apprendrai-je de vous ce qu'il faut que je devienne aujourd'hui, et si c'est sans retour que vous allez signer ma mort, en passant la nuit avec mon rival ?
Abbé Prévost, Manon Lescaut, II, p. 161.
38 Hé bien, Marquise, comment vous trouvez-vous des plaisirs de la nuit dernière ? n'en êtes-vous pas un peu fatiguée ?
Laclos, les Liaisons dangereuses, CLVIII.
39 C'est moi (Satan) qui fais parler l'épouse dans ses songes;
La jeune fille heureuse apprend d'heureux mensonges;
Je leur donne des nuits qui consolent des jours,
Je suis le Roi secret des secrètes amours.
A. de Vigny, Livre mystique, « Éloa », II.
40 Leur nuit de noce fut toute bête et triste, bien qu'ils ne fussent pas fâchés d'être enfin ensemble.
Zola, la Terre, IV, VI.
41 Je passais toutes mes nuits chez Marthe. J'y arrivais à dix heures et demie, j'en repartais le matin à cinq ou six.
R. Radiguet, le Diable au corps, p. 92.
42 Ô mon enfant le temps n'est pas à notre taille
Que mille et une nuits sont peu pour des amants.
Aragon, les Yeux d'Elsa, p. 64.
♦ Hist. || La Nuit du 4 août (1789), où fut votée l'abolition des privilèges (→ Magistrat, cit. 9; merveilleux, cit. 2).
♦ Allus. littér. || Les Nuits, poèmes de Musset (la Nuit de Mai, de Décembre, d'Août, d'Octobre). — Les Mille et une Nuits, contes orientaux adaptés en français par Galland (1704) et dont l'argument est constitué par les récits que la princesse Schéhérazade fait au sultan Shâhriyâr pour échapper à la mort qui attend chaque épouse du sultan après la nuit unique passée auprès de lui.
43 Si je travaillais, ce ne serait que la nuit. Mais il me faudrait beaucoup de nuits, peut-être cent, peut-être mille. Et je vivrais dans l'anxiété de ne pas savoir si le maître de ma destinée, moins indulgent que le sultan Sheriar, le matin quand j'interromprais mon récit, voudrait bien surseoir à mon arrêt de mort (…) Non pas que je prétendisse refaire (…) les Mille et une Nuits (…) Ce serait un livre aussi long que les Mille et une Nuits peut-être, mais tout autre.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XV, p. 224.
4 De nuit : qui a lieu, qui se passe la nuit. ⇒ Nocturne, nocturnement. || Travail, garde (1. Garde, cit. 18), surveillance de nuit. || Service de nuit. || La Ronde de nuit, célèbre tableau de Rembrandt (→ Lumière, cit. 19). || Vol de nuit, roman de Saint-Exupéry. || Fête de nuit (→ Fond, cit. 19). — Office de nuit. ⇒ Nocturnal. — Par ext. Qui travaille, exerce ses fonctions pendant la nuit. || Veilleur de nuit. || Gardien, garde de nuit (→ Inlassable, cit. 3). — Fam. || Être de nuit.
44 Ils arrivaient devant l'Hôtel de France. — Y a-t-il une sonnette ? Oui, je la distingue dans l'ombre. Ils sonnèrent longuement. Le garçon de nuit vint ouvrir. Il paraissait inquiet.
J. Romains, les Copains, V.
45 Le gardien de nuit balance la lanterne.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. II, XIX, p. 211.
♦ Qui sert pendant la nuit. || Table de nuit. || Vase de nuit. || Bonnet (cit. 1) de nuit. || Chemise (cit. 4) de nuit…
♦ Qui est ouvert la nuit; qui fonctionne la nuit. || Cabaret (cit. 2), boîte de nuit. || Asile de nuit. || Service de nuit. || Sonnette de nuit (d'une pharmacie).
♦ Qui vit, reste éveillé la nuit. || Oiseaux de nuit. ⇒ Nocturne. || Mammifères de nuit. ⇒ Noctule (chauve-souris). || Papillons de nuit. — Qui s'ouvre la nuit (en parlant des fleurs). ⇒ Noctiflore; belle (belle-de-nuit).
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CONTR. Jour. — Lumière.
DÉR. Nuisette, nuitard, nuitée, nuiter, nuiteux.
HOM. Formes du v. nuire.
Encyclopédie Universelle. 2012.