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ménager

1. ménager [ menaʒe ] v. tr. <conjug. : 3>
XVe; intr. 1309 « habiter »; de ménage
I
1Disposer, régler avec soin, adresse. arranger. Ménager une entrevue, un entretien. faciliter. L'auteur « ménage d'avance et de loin les dénouements » (Taine). Transition, gradation bien ménagée. L'auteur a ménagé ses effets. « Elle chercha à nous ménager un tête-à-tête » (P. Benoit). procurer. « la revanche que lui ménageait le sort » (Cocteau). Je vous ménage une surprise. préparer, réserver. Il « s'est ménagé des intelligences dans la place » (Gautier ).
2(1690) Installer ou pratiquer après divers arrangements et transformations. Ménager un escalier, un passage, une ouverture dans l'épaisseur d'un mur. « La salle à manger, ronde, a gardé la forme de la tour à l'intérieur de laquelle elle fut ménagée » (P. Benoit).
II
1(v. 1560) Employer avec mesure, avec économie, de manière à conserver, à utiliser au mieux. économiser, épargner. Ménager son bien. Ménager ses forces. Ne pas ménager sa peine. « Il n'y a rien que les hommes ménagent moins que leur propre vie » (La Bruyère). Ménager son temps. « ménager le temps qui me reste » (Descartes). Fam. Vous n'avez pas ménagé le poivre ! vous en avez mis un peu trop.
2(XVIIe) Faire ou dire avec mesure. Ménagez vos expressions ! mesurer, modérer. « l'excellente femme ne m'eût pas [...] ménagé les remontrances » ( France).
3Employer ou traiter (un être vivant) avec le souci d'épargner ses forces ou sa vie. Ménager ses troupes. Qui veut voyager loin ménage sa monture. « Les médecins dirent qu'il fallait le ménager beaucoup » (Sand).
4Traiter (qqn) avec prudence, égard, avec le souci de ne pas lui déplaire. « L'adjoint ménageait les prêtres » (Zola). Un homme à ménager. « Défendre les idées qui me plaisent sans avoir à ménager personne » (Romains). Ménager la chèvre et le chou.
5Traiter avec modération, avec indulgence, sans accabler de sa supériorité. Il était plus fort, mais il ménageait visiblement son adversaire. Ménager la susceptibilité de qqn. « Je ne ménageais pas assez votre délicatesse » (France).
6 V. pron. (réfl.) Se ménager : avoir soin de sa santé, ne pas abuser de ses forces. « Soignez-vous, ménagez-vous » (Flaubert). Il se ménage un peu trop. s'écouter.
⊗ CONTR. Dépenser , gaspiller; exposer, fatiguer; accabler, malmener. ménager 2. ménager, ère [ menaʒe, ɛr ] n. et adj.
• fin XVe; mainagier 1281 « homme du petit peuple, journalier », puis « habitant »; de ménage
I N.
1(XVe) Vx Personne qui administre, gère (bien ou mal) un bien. Fig. Un roi « Est meilleur ménager du sang de ses sujets » (P. Corneille).
2 N. f. (mil. XVe) MÉNAGÈRE : femme qui tient une maison, s'occupe du ménage. Ménagère qui s'en va au marché. Le panier de la ménagère. Une bonne ménagère (cf. Maîtresse de maison, fée du logis). « Les ménagères sur le seuil secouaient leurs tapis » (Alain-Fournier).
3 N. f. (1931) Service de couverts de table dans un coffret. Ménagère en argent, en inox.
II Adj.
1(1666; « qui administre bien » XVIe) Vieilli (Personnes) MÉNAGER DE : qui ménage (II), est économe de. « Le sage est ménager du temps et des paroles » (La Fontaine).
2(v. 1830) Mod. Qui a rapport aux soins du ménage, à la tenue de l'intérieur domestique. Travaux ménagers. Appareils ménagers ( électroménager) ; subst. le ménager (Comm.) . Arts ménagers : industries et techniques visant à faciliter les travaux ménagers, accroître le confort et agrémenter la vie au foyer. Enseignement ménager : branche de l'enseignement technique (travaux ménagers, cuisine, couture, puériculture). Aide ménagère.
3Qui provient du ménage. Eaux, ordures ménagères.

ménager verbe transitif (de ménage) Employer quelque chose avec économie, avec mesure de manière à l'utiliser au mieux : Ménager ses maigres ressources. Préserver son corps, ses forces pour pouvoir continuer d'en bénéficier : Ménage ton foie, ne bois pas d'alcool. Traiter quelqu'un avec certains égards, pour ne pas lui déplaire, le fatiguer : Ménager la susceptibilité de quelqu'un. Pratiquer une ouverture, un passage, l'arranger, le laisser : Ménager un intervalle entre chaque plant. Préparer quelque chose à quelqu'un, l'organiser pour lui : On nous avait ménagé un entretien.ménager (difficultés) verbe transitif (de ménage) Conjugaison Le g devient -ge- devant a et o : je ménage, nous ménageons ; il ménagea. ● ménager (expressions) verbe transitif (de ménage) Ménager les oreilles de quelqu'un, éviter de les blesser par des paroles choquantes. Ménager ses paroles, parler peu, mesurer ses mots. Ne pas ménager ses expressions, ses termes, parler brutalement, crûment. ● ménager (homonymes) verbe transitif (de ménage) ménager adjectifménager (synonymes) verbe transitif (de ménage) Employer quelque chose avec économie, avec mesure de manière à l'utiliser...
Synonymes :
- économiser
- épargner
Contraires :
Traiter quelqu'un avec certains égards, pour ne pas lui déplaire...
Synonymes :
- prendre des gants avec (familier)
Pratiquer une ouverture, un passage, l'arranger, le laisser
Synonymes :
Préparer quelque chose à quelqu'un, l'organiser pour lui
Synonymes :
- préparer
- régler
ménager nom masculin Gros ménager, ensemble des appareils ménagers d'un certain volume, tels que cuisinière, lave-vaisselle, réfrigérateur, etc. Petit ménager, petit outillage ménager, tel que mixer, ouvre-boîte, etc. ● ménager (expressions) nom masculin Gros ménager, ensemble des appareils ménagers d'un certain volume, tels que cuisinière, lave-vaisselle, réfrigérateur, etc. Petit ménager, petit outillage ménager, tel que mixer, ouvre-boîte, etc. ● ménager (homonymes) nom masculin ménager adjectifménager, ménagère adjectif (de ménage) Relatif aux choses du ménage, aux travaux de la maison : Les occupations ménagères. Qui est confectionné à la maison : Terrine ménagère aux foies de volaille. Vieux. Qui épargne, économise quelque chose : Être ménager de son temps.ménager, ménagère (expressions) adjectif (de ménage) Enseignement ménager, enseignement portant sur tous les travaux domestiques. Équipement ménager, ensemble des appareils destinés à faciliter certaines tâches domestiques. ● ménager, ménagère (homonymes) adjectif (de ménage) ménager verbe

ménager, ère
adj. et n. f.
d1./d adj. Relatif aux travaux du ménage, à l'entretien de la maison. Arts ménagers. Appareils ménagers.
d2./d n. f. Femme qui s'occupe de son foyer.
|| (Afr. subsah.) Syn. de femme de ménage.
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ménager
v.
rI./r v. tr.
d1./d Employer avec économie. Ménager ses ressources.
Ménager ses forces, sa santé, son temps. Syn. épargner.
d2./d User avec réserve, circonspection, de. Ménager ses paroles, ses expressions. Syn. mesurer.
d3./d Traiter (qqn) avec égard ou avec précaution. C'est un homme à ménager.
|| Fig. et prov. Ménager la chèvre et le chou: V. chèvre.
d4./d Préparer habilement et avec soin. Ménager ses effets.
d5./d Arranger à l'avance. Ménager une entrevue.
d6./d Prévoir un aménagement; le pratiquer. Ménager un escalier dans un bâtiment.
rII./r v. Pron. Prendre soin de sa santé, éviter de trop se fatiguer. Il lui faut se ménager.
|| Arranger, régler (qqch) pour soi. Se ménager une issue.

I.
⇒MÉNAGER1, verbe trans.
I. —Utiliser avec réserve, modération; économiser, épargner.
A. —[Le compl. d'obj. dir. désigne un inanimé concr. ou abstr.]
1. Utiliser quelque chose avec modération de manière à en prolonger l'usage, à en tirer un plus grand profit. Jacques Randel harassé, les jambes brisées, le ventre vide, l'âme en détresse, marchait nu-pieds sur l'herbe au bord du chemin, car il ménageait sa dernière paire de souliers, l'autre n'existant plus depuis longtemps déjà (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Vagabond, 1887, p.668). Il monta tout de suite se déshabiller, autant parce que ses vêtements d'apparat le gênaient toujours un peu, que pour les ménager (MONTHERL., Célibataires, 1934, p. 798). Ménage la pile, Jean-Louis. Le mince faisceau de la petite lampe tourne autour de la grille du parc, fait sortir un moment de l'ombre ses grands pilastres (BERNANOS, Crime, 1935, p. 744).
2. Epargner, employer quelque chose avec économie de manière à en dépenser le moins possible. Ménager sa fortune. Ceux-là fondent sur la langue. D'habitude maman ne les fait pas trop mal. Pourtant ce n'est plus ça. Elle doit ménager la crème (RENARD, Poil Carotte, 1894, p. 192). Il enflamma un peu, très peu de son alcool (il le ménageait pour confire ses nouveaux serpents) (GIRAUDOUX, Suzanne, 1921, p. 207). Nos pères ne charpentaient qu'avec du chêne. Ils ne ménageaient point le bois. Je connais des habitations où les combles ont l'aspect de forêts pétrifiées (PESQUIDOUX, Livre raison, 1925, p. 141).
Région. (Canada). Ménager sur. Économiser. Ménager sur la nourriture (Fichier TLFQ).
3. Au fig. User d'une chose, l'employer avec mesure, modération. Ils s'accusèrent d'avoir été trop ambitieux, et ils résolurent de ménager désormais leur peine et leur argent (FLAUB., Bouvard, t. 1, 1880, p. 44):
1. Est-ce qu'on ne pourrait pas laisser mon père prendre ses repas calmement, et moi aussi par surcroît? Est-ce que vous croyez que nous n'avons pas d'autres soucis, dit-il sans ménager sa violence. Si c'est nécessaire, j'exigerai qu'on se taise pendant que mon père mange.
DRUON, Gdes fam., t. 2, 1948, p. 103.
Proverbe. Se ménager une poire pour la soif. Garder une poire pour la soif (v. garder II A 2 e). [Il] avait eu soin d'envoyer six cent mille francs en Angleterre, une poire pour la soif qu'il se ménageait à toute occasion (MAUPASS., Contes et nouv., t.2, Boule de suif, 1880, p. 123).
B. P. ext.
1. [Le compl. d'obj. dir. désigne des pas, des gestes, des paroles de qqn] Mesurer, utiliser avec économie, mesure. Ménager les mots inutiles, les termes. Une autre vache de locataire arrivait. Plongé dans un demi-sommeil, il ne ménageait plus ses expressions (DABIT, Hôtel Nord, 1929, p. 44). V. cocuage ex.
2. Vous dites qu'elle vous a offert de se tuer avec vous. Cette offre, vous ne deviez pas l'accepter. Nous n'en sommes plus à ménager les mots. C'est à un abominable égoïsme que vous la sacrifiez.
BOURGET, Sens mort, 1915, p. 271.
[Gén. à la tournure négative] Ne pas ménager qqc. à qqn. Ne pas ménager les allusions à qqn. Christophe ne lui ménageait pas les remontrances: elle les écoutait avec une humilité touchante, qui le désarmait (ROLLAND, J.-Chr., Foire, 1908, p. 749). Prince, démobilisé, venait de rompre une nouvelle fois avec sa mère, et, sans le sou, en quête d'une profession élégante, prenait des airs ravis et confus, en parlant d'une «dame du monde», qui ne lui ménageait pas ses bontés (ARLAND, Ordre, 1929, p.261). [Il] tomba (...) de haut lorsqu'il apprit de la bouche même de Mgr Duberville que le nouvel évêque préférait l'ancien plain-chant. M. Meisson avait l'esprit caustique, la dent dure. Il ne ménagea point les sarcasmes à l'évêque (BILLY, Introïbo, 1939, p.58).
2. [Le compl. d'obj. dir. désigne un organe, une fonction, une partie du corps hum.] Prendre soin de, éviter de fatiguer. Ménager son estomac, son foie, ses nerfs, son souffle, sa voix, ses cordes vocales; dentifrice qui ménage les gencives. Je vous supplie de ménager votre santé durant la convalescence et de ne point la compromettre de nouveau par un travail prématuré (RENAN, Souv. enf., 1883, p. 401). Il faut au grand architecte de bons ouvriers qui sachent leur métier et ne ménagent point leurs forces (ROLLAND, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1566). Ce fumoir présentait une particularité remarquable, c'est que l'on y fumait fort peu. Il convenait de ménager la poitrine de Fauvet, harcelé par des crises d'asthme (DUHAMEL, Cécile, 1938, p. 48).
C. Au fig. [Le compl. désigne un animé ou un trait de caractère]
1. Épargner de la fatigue, des soucis à une personne fragile, de santé délicate; traiter quelqu'un avec bonté, douceur. Je ne voulais pas envisager cette bataille, en malade que l'adversaire ménage et protège (MAURIAC, Noeud vip., 1932, p. 249). L'abbé soigna Decraemer, qui lui dut une fois de plus la vie. Il le ménageait, le rationnait, choisissait une alimentation légère pour cet organisme en ruine, incapable de soutenir le combat qu'est la nutrition (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p.448). C'est une enfant très délicate, très sensible, on doit la ménager beaucoup, me dit-il d'un ton rogue. L'institutrice ne la ménageait pas assez (BERNANOS, Journal curé camp., 1936, p.1180).
Proverbe. Qui veut voyager loin, ménage sa monture.
Emploi pronom. réfl. Le rayon restait désert, peu de clientes montaient aux confections, à cette heure matinale. Ces demoiselles se ménageaient, droites et lentes, pour se préparer aux fatigues de l'après-midi (ZOLA, Bonh. dames, 1883, p. 474). Il commença à les débiter [ses visions] sans se ménager et sans se contraindre (BREMOND, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 202).
2. Traiter quelqu'un avec égards, soit par respect, soit par intérêt dans le but de l'influencer, de ne pas le peiner, de ne pas lui déplaire. Synon. fam. prendre des gants avec qqn. Comme c'est la fête patronale, j'ai dit au garde de faire sa tournée le soir et de ne pas ménager les ivrognes (RENARD, Journal, 1905, p. 975). Je ne le ménagerai pas plus que vous: vous savez que je ne ménage personne. Il ne travaillera pas de ses mains, mais je le ferai trimer dur (SARTRE, Mains sales, 1948, 3e tabl., 3, p. 100):
3. Vous vous êtes fait jusqu'ici bien venir de ma gouvernante qui, comme toutes les vieilles gens, est assez morose de son naturel. Ménagez-la. J'ai cru devoir la ménager moi-même et souffrir ses impatiences. Je vous dirai, Jeanne, respectez-la. Et, en parlant ainsi, je n'oublie pas qu'elle est ma servante et la vôtre...
A. FRANCE, Bonnard, 1881, p. 489.
[P. méton.]
♦[Le compl. d'obj. dir. désigne le caractère, un sentiment de qqn] Traiter avec indulgence, délicatesse, respect. Ménager l'amour-propre, la susceptibilité de qqn. Je vous ai souvent froissée. Je ne ménageais pas assez votre délicatesse. Il y a eu des malentendus entre nous. Cela tient à ce que nous n'avons pas la même nature (A. FRANCE, Lys rouge, 1894, p. 347). On avait disposé, dans la chambre, une couchette pour moi, une petite couchette de garde-malade et, — ô ironie! afin, sans doute, de ménager sa pudeur et la mienne — un paravent, derrière lequel je pusse me déshabiller (MIRBEAU, Journal femme ch., 1900, p. 149):
4. Il commença de monter l'escalier que l'obscurité envahissait par cette fin d'un après-midi d'hiver. Il allait doucement, afin de ménager la lassitude de sa compagne qui se tenait à la rampe, comme si elle gardait à peine assez d'énergie physique pour suffire à l'effort de gravir ces quatre étages.
BOURGET, Disciple, 1889, p. 54.
Ménager l'opinion. Ne pas déplaire, ne pas choquer ou causer de scandale. Grazia prit la résolution d'aller s'enfermer avec Lionello dans un sanatorium des Alpes. Christophe demanda à l'accompagner. Pour ménager l'opinion, elle l'en dissuada. Il fut peiné de l'importance excessive qu'elle attachait aux conventions (ROLLAND, J.-Ch., Nouv. journée, 1912, p. 1516).
Ménager les intérêts de qqn; avoir un intérêt à ménager. Veiller à le(s) conserver, à ne pas le(s) compromettre. Nous sommes débordés par l'activité tapageuse de gens sans mandat qui essayent de se tailler un succès personnel avec une question que l'on ne peut traiter qu'avec la plus grande réserve. Ceux-là n'ont aucun intérêt à ménager (BARRÈS, Cahiers, t. 9, 1912, p. 259).
Expr. Ménager la chèvre et le chou. S'efforcer de ne déplaire à aucun des deux adversaires ou des deux partis en présence; user d'adresse afin de ne froisser personne. Drôle de foire, dit Lambert. La moitié des gens qui sont ici ne demanderait qu'à massacrer l'autre. Forcément puisque tu as choisi de ménager la chèvre et le chou. — Tu appelles ça les ménager? J'ai mécontenté tout le monde (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p.366):
5. Il n'est pas franc, c'est un monsieur cauteleux, toujours entre le zist et le zest. Il veut toujours ménager la chèvre et le chou. Quelle différence avec Forcheville! Voilà au moins un homme qui vous dit carrément sa façon de penser. Ça vous plaît ou ça ne vous plaît pas. Ce n'est pas comme l'autre qui n'est jamais ni figue ni raisin.
PROUST, Swann, 1913, p. 265.
Var. «C'est vrai que X... c'est mieux que moi? — Tu sais bien que l'imitateur c'est toujours mieux que l'inventeur!». Cela ménageait la chèvre, le chou et la vérité. N'empêche que le livre de X... est tombé dans l'oubli et que le petit «Cornet» vit encore (JACOB, Cornet dés, 1923, p. 9).
II. —Disposer, préparer, régler quelque chose avec adresse, soin.
A. —[Le suj. désigne une pers.]
1. Prendre des dispositions pour, régler, arranger avec adresse, soin, prudence. Ménager son coup, sa rentrée, une transition; ménager la réconciliation de deux personnes; ménager une entrevue entre deux personnes. Je devrais dès maintenant leur ménager une rencontre. Mais je sais si bien ce qui en sortira: une raison de plus de ne pas l'épouser. Et, ce que je cherche, c'est une raison de l'épouser (MONTHERL., Démon bien, 1937, p.1254). Il ménagea une pause, qui correspondait à l'arrivée du plateau de fromages (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1938, p.158):
6. Les récits qu'il tirait de son passé se composaient comme autant de romans bien venus et pleins de vie. Comme il savait ménager ses effets, jouer de l'imprévu, soutenir l'intérêt jusqu'au dénouement!
MARTIN DU G., Souv. autobiogr., 1955, p. LXXIV.
Ménager qqc. à qqn. Lui préparer, lui réserver quelque chose. Ménager un avenir, une situation à qqn; ménager de la solitude et du silence à qqn. On en voulait presque à cette fille, maintenant, de n'avoir pas été trouver secrètement le Prussien, afin de ménager au réveil, une bonne surprise à ses compagnons (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Boule de suif, 1880, p. 140).
Emploi pronom. réfl.
[Le compl. désigne un inanimé] Se réserver, se préparer quelque chose. Se ménager une (porte de) sortie. L'abbé Guitrel se ménageait des occasions fréquentes de visiter les magasins de Rondonneau jeune, fabricant d'objets sacrés (A. FRANCE, Orme, 1897, p. 35):
7. Il est bien vrai qu'il parle de la foi comme si elle était l'acte immédiat, la pensée la plus intime de sa pensée; mais ce n'est que pour se ménager une plus spécieuse retraite, pour céder à un plus subtil désir et livrer savamment son âme aux démons de la complexité.
MASSIS, Jugements, 1924, p. 100.
♦[Le compl. désigne une pers.] Se concilier quelqu'un. Il y a deux Mistral: un grand, un petit. Le petit croit à Paris, aux Instituts, à l'argent, est craintif dans son village, voudrait se ménager les instituteurs (lui, le traditionaliste). Et puis il y a le grand Mistral, celui qui écrivit Mireille à vingt-quatre ans (BARRÈS, Cahiers, t. 8, 1910, p. 131).
2. Installer, disposer avec adresse, avec soin. Ménager un passage, une ouverture. Le peintre lui-même, devant la mauvaise grâce du propriétaire, la coupa [la pièce], dans un bout, d'une cloison de planches, derrière laquelle il ménagea une cuisine et une chambre à coucher (ZOLA, Œuvre, 1886, p. 258). Ils voulurent la cuisine au milieu. Au reste, les deux portes la situaient déjà, l'une, s'ouvrant de côté sur la grange, l'autre sur la cour. Ils firent ménager une fenêtre double sur le même pan de mur (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p. 145):
8. Que dira-t-il de ce bocage planté dans la cour du Louvre pour y masquer les belles lignes de l'architecture, lui qui avait pour principe de ménager de vastes espaces autour des habitations?
BARRÈS, Cahiers, t. 10, 1913, p. 130.
Emploi pronom. réfl. [La bonne] avait si bien casé les ustensiles et les meubles, qu'elle s'était ménagé, près de la fenêtre, un coin libre où elle travaillait le soir (ZOLA, Page amour, 1878, p.46). Derrière cette porte s'étend le reste du grenier, que j'ai coupé d'une cloison de briques pour me ménager en deçà une retraite habitable (BOSCO, Mas Théot., 1945, p.174).
B. —[Le suj. désigne un inanimé concr. ou abstr.] Réserver, permettre quelque chose. Des idées qui ne ménagent rien de bon. Un vaste appentis descendra de la maison (...) en pente douce. Il couvrira tout. Assez élevé pour ménager l'air nécessaire à la conservation des vaisselles vinaires, à la tenue du vin lui-même (PESQUIDOUX, Livre raison, 1925, p. 146). Sa susceptibilité lui ménageait fatalement d'«immenses chagrins», les amis intimes étant, dans l'éloge, toujours au-dessous de ce que le cher garçon aurait attendu d'eux (BLANCHE, Modèles, 1928, p. 122). On le leurre de l'espoir de la guérison, pour la fin du printemps ou l'été. Mais les suites de la maladie se prolongent péniblement et lui ménagent une vie sans joie (ROLLAND, Beethoven, t. 1, 1937, p. 86).
REM. 1. Ménageable, adj. Qui peut être ménagé, traité, réglé avec adresse, soin. Nicole est tout dans les intervalles, dans les nuances, aux confins des opinions ménageables; il n'est qu'un psychologiste habile et surtout un moraliste (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 392). 2.Ménageur, -euse, adj. et subst. (Celui, celle) qui ménage quelqu'un, le traite avec égards, réserve. Oh! la terreur de mon livre chez les peureux, chez les couards, chez les ménageurs de la chèvre et du chou! (GONCOURT, Journal, 1890, p.1246). Ce ne sera pas ces maîtres ménageurs qui feront notre firme et notre patronage (PÉGUY, Ève, 1913, p. 907).
Prononc. et Orth.: [], (il) ménage []. Ac. 1694, 1718: mesnager; dep. 1740: ménager. Étymol. et Hist. 1. a) 1309 «habiter» (Preuves de l'Hist. de Bret., I, col. 1226 ds GDF.); b) 1450 «vaquer aux soins du ménage» (Arch. JJ 184, pièce 65, ibid.), sens att. en a. et m. fr., réputés ,,anc.`` ds GUÉRIN 1892; 2. XVe s. «disposer, arranger» (ds FEW t. 6, 1, p. 190a qui précise ,,hapax``); 3. 1567 «administrer, gérer un bien» (AMYOT, Périclès, 16 ds HUG.); d'où a) ca 1570 «disposer avec prudence» (LA BOÉTIE, 174 ds LITTRÉ); b) 1571 «tirer le meilleur parti de» (ID., La Mesnag. de Xenoph. ds GDF.); 1605 [éd.] ménager le temps (O. DE SERRES, 808 ds LITTRÉ); 1679 ménager ses forces (BOSSUET, Hist., III, 6, ibid.); 4. 1621 «régler, prendre des dispositions» mesnager accord (D'AUBIGNÉ, Livre des missives et discours milit., II ds Œuvres, éd. Reaume et de Caussade, I, 134); av. 1654 pronom. «disposer pour soi» (GUEZ DE BALZAC ds BESCH. 1845); 5. a) 1628-30 «traiter quelqu'un avec égards» (D'AUBIGNÉ, Sa vie à ses enfants, loc. cit., I, 108); 1629 pronom. se mesnager avec qqn «id.» (RICHELIEU, Lettres, instructions diplomatiques..., éd. M. D'Avenel, III, 421 ds HASCHKE Richelieu, p. 78); b) mil. XVIIe s. «traiter quelqu'un avec indulgence, bonté» (RETZ, Mémoires, IIe part. ds Œuvres, éd. A. Feuillet, II, 8: en y ménageant avec soin tous mes amis); 6. a) 1646 «épargner le danger, la fatigue à quelqu'un» menager les troupes (ABLANCOURT, Ar. ds RICH. 1680); 1668 menager sa monture (RACINE, Plaideurs, I, 1); b) 1662 pronom. «prendre soin de sa personne» (LA ROCHEFOUCAULT, Mémoires, II [année 1643] ds Œuvres, éd. D. L. Gilbert et J. Gourdault, II, 60); 7. 1690 «réserver, fournir la place nécessaire pour» (FUR.: Mesnager un escalier... dans l'espaisseur du mur). Dér. de ménage; dés. -er. Fréq. abs. littér.: 2 114. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 3621, b)3437; XXe s.: a)2663, b)2454.
II.
⇒MÉNAGER2, -ÈRE, adj. et subst. fém.
I. Adjectif
A. Vieilli. Qui administre, dépense, gère avec économie, modération; économe. Elle sortit pour louer un logement et le meubler; elle acheta le plus étroit nécessaire (car elle a toujours été ménagère), et nous nous trouvâmes enfin chez nous (RESTIF DE LA BRET., M. Nicolas, 1796, p. 112). La vieillesse est ménagère, sage, prudente... et les jeunes hommes la disent avare, égoïste, poltronne (TOEPFFER, Nouv. genev., 1839, p. 178).
Être ménager de qqc. Le dépenser, l'utiliser avec économie. On ne lui en voulait pas d'être grand ménager de son bien; et peut-être l'en estimait-on davantage (A. FRANCE, Pt Pierre, 1918, p. 108):
1. L'argent qu'il avait dans sa poche après tout, à quoi bon en être si ménager? Edmond ne lui avait-il pas très facilement donné dix francs? Il dînerait pour deux francs cinquante, c'est-à-dire luxueusement.
ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 353.
Qui est économe, prudent. Sa force est double parce qu'elle est une force bien distribuée. Tu me raillais tout à l'heure: «Tu es bien ménager!» Regarde-le: il rase la barre, il sait que s'il saute deux centimètres de plus, ce qu'il aura dépensé pour ce surcroît inutile, c'est autant qui lui manquera quand la barre sera montée de deux centimètres et qu'alors il en aura besoin (MONTHERL., Olymp., 1924, p. 319).
Être ménager de qqc.; être ménager de ses mouvements, de son temps. Il est évident qu'un chef d'État et qu'un général doivent être ménagers de leur vie, les ambitieux ni les violents ne voudraient plus de ces métiers-là (ALAIN, Propos, 1921, p.192). Nos disponibilités en hommes étaient telles que si je ne me montrais pas ménager de nos effectifs, nous risquions de voir l'armée française incapable de prendre, l'heure venue, une part suffisante dans la bataille décisive (JOFFRE, Mém., t.2, 1931, p.229):
2. À la suite d'une guerre malheureuse contre les Spartiates, le nombre des vrais citoyens était devenu si faible, qu'il avait fallu donner le droit de cité à une foule de périèques. C'est pour n'avoir pas à tomber dans cette extrémité que Sparte était si ménagère du sang des vrais Spartiates.
FUSTEL DE COUL., Cité antique, 1864, p. 426.
B. —Qui a rapport à la vie au foyer, qui est relatif aux travaux d'entretien du foyer, à l'ensemble des tâches domestiques se rapportant à l'entretien d'une famille. Dans le va-et-vient des occupations ménagères elle faisait tinter un vase. Les fleurs étouffent par un temps pareil. Il faut leur changer leur eau (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 464). Dès avant sept heures, les bruits ménagers de la maison me réveillent (GIDE, Ainsi soit-il, 1951, p. 1214):
3. Je n'avais pu obtenir qu'elle modifiât en rien aucune de ses habitudes ménagères; obtenir, par exemple, qu'elle remontât la pendule haute du vestibule de Cuverville autrement qu'en se hissant sur un échafaudage de caisses vides, fragiles et d'un équilibre incertain...
GIDE, Et nunc manet, 1951, p. 1136.
SYNT. Activité, besogne, économie, folie, inquiétude, rage ménagère; exigences, vertus ménagères; odeurs, rumeurs ménagères; faits matériels d'ordre ménager; services, soins, soucis, (gros) travaux ménagers.
En partic.
Appareils ménagers. Appareils électriques destinés à faciliter certaines tâches domestiques. Il n'a pas l'air d'un criminel, d'un gangster. Il a presque l'air d'un jeune vendeur de voitures ou d'appareils ménagers qui aurait réussi (CAMUS, Requiem, 1956, 2e part., 5e tabl., p. 882).
Arts ménagers. V. art II A 1. Électro-ménager.
Ordures ménagères, détritus ménagers. Détritus laissés par chaque ménage et qui sont ramassés par le service de voirie. Être employé au service des ordures ménagères. Des enfants manipulaient des détritus ménagers transformés en jouets (MALÈGUE, Augustin, t. 1, 1933, p. 252):
4. Dans les villes allemandes, les habitants avaient l'ordre de faire de leurs ordures ménagères deux parts: ordures minérales d'abord, ordures animales et végétales ensuite, qu'on ramassait séparément.
VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 278.
Eaux, boues ménagères. Eaux usées ayant servi aux tâches domestiques (vaisselle, lessive, nettoyage de la maison). Il sautait les flaques de boues ménagères afin de ne point salir le coutil vierge de son pantalon (ADAM, Enf. Aust., 1902, p. 468). À chaque palier, les habitants pouvaient, par la fenêtre, répandre leurs eaux ménagères dans des plombs dont, au passage, on respirait le souffle ammoniacal (DUHAMEL, Terre promise, 1934, p.43):
5. La rue de Normandie est une de ces vieilles rues, à chaussée fendue, où la ville de Paris n'a pas encore mis de bornes-fontaines, et dont le ruisseau noir roule péniblement les eaux ménagères de toutes les maisons, qui s'infiltrent sous les pavés et y produisent cette boue particulière à la ville de Paris.
BALZAC, Cous. Pons, 1847, p. 241.
Éducation, formation ménagère, enseignement ménager. Cours où sont traités la couture, la puériculture, la cuisine, l'économie domestique, l'hygiène, l'entretien de la maison:
6. ... former des maîtresses de maison, ne se bornera pas à donner régulièrement des recettes de cuisine ou des indications sur la façon de confectionner une brassière. L'éducation ménagère, c'est beaucoup plus que cela. On a l'habitude, d'ailleurs, de distinguer différentes formes d'activités — cuisine, repassage, couture, ménage, etc. — qui exigent, si l'on ose le dire, une spécialisation assez poussée.
MATHIOT, Éduc. mén., 1957, p. 92.
École ménagère. V. école I A 1 b.
Rare et littér.
♦[En parlant d'une pers.] Qui s'occupe, aime s'occuper du ménage. Ce bon Lequesne a toujours la même boule, même tabatière, même voix, même bel œil. Son épouse toujours active et ménagère (FLAUB., Corresp., 1845, p. 46). Les placards, vastes comme des chambres, présentent l'aspect d'un désordre affreux mais si ancien qu'il inspire à l'âme simple et pourtant ménagère de Mme Marchal, du respect (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p. 1531).
Mains ménagères. Mains qui font le ménage. Le bout des doigts piqués de points noirs par l'aiguille... mains laborieuses, mains ménagères, que le repos rend ridicules (BERNANOS,Mouchette, 1937, p. 1342).
♦[En parlant d'une plante] Qui est réservée à l'alimentation humaine. Anton. fourrager2, -ère (v. ce mot I A ex. de Giraudoux).
II. Subst. fém.
A. —Femme qui s'occupe de son foyer, de l'organisation des tâches domestiques du foyer. Elle se mit pourtant à ranger avec soin les documents, les notes, par une habitude de bonne ménagère qui ne voulait rien laisser en désordre derrière elle (ZOLA, Argent, 1891, p. 237). Ce fut aussitôt comme une ménagère dans sa demeure. Elle mit de l'ordre dans les chambres, brossa les habits que Meaulnes avait portés la veille (ALAIN-FOURNIER, Meaulnes, 1913, p. 343):
7. ... dans l'économie domestique, une mauvaise ménagère détruit bien vite les fortunes bornées. C'est la femme, et non le mari, qui décide ordinairement des consommations de tous les jours, de celles qui se répètent sous une multitude de formes.
SAY, Écon. pol., 1832, p. 442.
SYNT. Brave, excellente, honnête, médiocre, simple, robuste ménagère; jeune ménagère maladroite; bonne grosse ménagère; bonne ménagère ordonnée; talents de bonne ménagère; faire une belle ménagère; faire qqc. en bonne ménagère.
P. métaph. Attendez le grand jour du jugement, vous verrez ce que les anges auront à retirer des plus saints monastères, par pelletées — quelle vidange! alors, mon petit, ça prouve que l'église doit être une solide ménagère, solide et raisonnable (BERNANOS, Journal curé camp., 1936, p. 1038).
Pop. Sa ménagère. Sa femme. Fraisier rit du calembour et mit le verrou, pour que sa ménagère ne vînt pas interrompre les confidences de la Cibot (BALZAC, Cous. Pons, 1847, p. 178). Une négresse se suspend à son bras: c'est sa «ménagère», sans doute (GIDE, Voy. Congo, 1927, p. 702).
B. —Service de couverts présentés dans un écrin. Ménagère de soixante-deux pièces; ménagère de qualité moyenne, de haut de gamme. Pour les ménagères, il existe deux qualités d'acier inoxydable (Catal. CAMIF, été 1982, p. 272).
Prononc. et Orth.: [], fém. [-]. Ac. 1694, 1718: mesnager, -ere; Ac. 1740: ménager, -ère; dep. 1762: ménager, -ère. Étymol. et Hist. A. Subst. masc. 1. 1281 maynagier «personne de petit état, journalier» pouvres maynagiers (Test. de Guy de Lusignan, Arch. J. 270, pièce 19) en a. et m. fr.; 2. 2e moitié XVe s. «celui qui organise avec économie» trop chiche et bon mesnager (Nouvelles fr. inédites du XVes., éd. E. Langlois, IV, p. 18); 3. 1550 «petit propriétaire agricole» (RONSARD, Odes, III, XI ds Œuvres, éd. P. Laumonier, II, 24). B.Subst. fém. 1. fin XIVe-début XVe s. «femme qui s'occupe des soins du ménage» estre bonne mesnagere (Quinze Joyes de mariage, éd. J. Rychner, V, 124, p. 36); 2. 1931 «service complet de couverts de table dans son coffret spécial» (Lar. 20e). C. Adj. 1. fin XVe s. «médiocre» gaiges mesnaigiers (PH. DE COMMYNES, Mémoires, éd. J. Calmette, I, p.176), attest. isolée; 2. 1583 «qui administre en dépensant le moins» main mesnagere Du maistre (GAUCH., Plais. des champs, p. 185 ds GDF. Compl.); 1665 ménager de «qui use avec mesure de quelque chose» ménagers de notre bien (LA ROCHEFOUCAULT, Réflexions ou sentences et maximes morales, CCLXV ds Œuvres, éd. Gilbert, I, 172); 3. 1594 «qui concerne les choses du ménage» soucy mesnager (J. GODARD, Les Desguisez, I, 1 ds Anc. Théâtre fr., VII, 341). Dér. de ménage; suff. -er (-ier). Fréq. abs. littér. Ménager:74. Ménagère:459. Fréq. rel. littér. Ménager:néant. Ménagère:XIXe s.: a) 313, b) 547; XXe s.: a)1145, b)701. Bbg. LEWICKA (H.). Dat. de mots. Kwart. neofilol. 1954, t. 1, p.77. — QUEM. DDL t. 2.

1. ménager [menaʒe] v. tr. [CONJUG. bouger.]
ÉTYM. XVe; « habiter, vivre en ménage », v. intr., 1309; de ménage.
———
I
1 (XVIe). Vx. « Conduire (son bien, sa fortune) avec raison et jugement, sans profusion » (Furetière).
1 (…) il ne songeait qu'à contenter ses passions, qu'à dissiper les trésors immenses que son père avait ménagés avec tant de soin (…)
Fénelon, Télémaque, II.
2 (V. 1560). Employer (un bien) avec économie, mesure, de manière à en tirer le plus de profit, à conserver ou à faire durer le plus possible. Économiser, épargner, mesurer. || Ménager une somme d'argent (cf. Garder une poire pour la soif).Ménager ses vêtements, les user le moins possible, en prendre grand soin. || Ménager une étoffe, l'utiliser au mieux, sans en laisser rien perdre.(1600). Fig. || Ménager le temps, son temps, en faire un bon emploi, le passer en occupations utiles (→ Employer, cit. 11).
2 (…) je crois être d'autant plus obligé à ménager le temps qui me reste, que j'ai plus d'espérance de le pouvoir bien employer (…)
Descartes, Discours de la méthode, VI.
3 — Laissez-moi ôter tout cela, ajouta-t-elle, comme si la robe lui eût pesé (…) Prosaïque détail ! voulait-elle ménager sa robe ? La robe, c'est l'outil de ces travailleuses (…)
Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques, « Vengeance d'une femme », p. 383.
4 Il monta tout de suite se déshabiller, autant parce que ses vêtements d'apparat le gênaient toujours un peu, que pour les ménager.
Montherlant, les Célibataires, I, IV.
(1835). Par anal. || Ménager ses pas, ses gestes.(Fin XVIIe). || Ménager ses paroles : parler peu, être silencieux. || Ménager ses expressions, ses termes : parler avec circonspection, modération, prudence… Mesurer.Ne pas ménager les critiques, les remarques à qqn, lui faire des critiques, des remarques en abondance.Rare en tournure positive. || Ménager les critiques, les remarques à qqn.Fam. || Une sauce où l'on n'a pas ménagé le poivre, les épices, où l'on en a mis beaucoup (ou trop).
5 (…) car l'excellente femme ne m'eût pas plus ménagé les remontrances que les parlements aux rois.
France, le Crime de S. Bonnard, Œ., t. II, III, p. 361.
3 (Av. 1664). Employer ou traiter (un être vivant) avec le souci d'épargner ses forces ou sa vie. || Ménager ses troupes (→ Hasard, cit. 4). || Ménager son cheval. — ☑ Prov. Qui veut voyager loin ménage sa monture (→ 1. Feu, cit. 15, Racine).Ménager une personne fragile, délicate (→ ci-dessous Se ménager).
6 Elle consulta plusieurs médecins sur sa santé et ils lui dirent, les uns qu'il fallait le ménager beaucoup, et ne plus lui faire boire que du lait, parce qu'il était faible (…)
G. Sand, la Petite Fadette, XXVII.
7 Elle est très délicate et il faut qu'on la ménage, d'autant plus qu'elle sera bientôt mère et la moindre émotion pourrait amener un malheur.
Maeterlinck, Pelléas et Mélisande, III, 3.
(1679). Par ext. || Ménager sa vie, la vie de qqn, éviter de l'exposer, de la mettre en péril (→ Aimer, cit. 63; éloignement, cit. 1; injure, cit. 1).
8 Dans ses plus grands désordres, durant ces quinze années, elle avait suivi une certaine hygiène; elle avait toujours ménagé son cœur malade.
F. Mauriac, la Fin de la nuit, I.
4 (Fin XVIe). Traiter (qqn) avec égard ou prudence, avec le souci de ne pas lui déplaire. Ménagement (→ Adresse, cit. 11; besoin, cit. 56). || Ménager qqn par égard, par respect, par délicatesse, par intérêt. || Un homme puissant, à ménager. || Un homme indépendant, qui n'a personne à ménager ( Indépendance). || Ne ménager personne (→ Cynique, cit. 2; défendre, cit. 11). || Ménager deux adversaires, deux partis (→ Nager entre deux eaux). — ☑ Loc. Ménager la chèvre (cit. 5) et le chou.
9 Non, non : je ne veux point à votre passion
Imposer la rigueur d'une explication;
Je ménage les gens, et sais comme embarrasse
Le contraignant effort de ces aveux en face.
Molière, les Femmes savantes, I, 2.
10 (…) le conseil repoussait chaque année la réparation du presbytère, le maire Hourdequin déclarait le budget trop grevé déjà, seul l'adjoint Macqueron ménageait les prêtres, par de sourdes visées ambitieuses.
Zola, la Terre, III, VI.
5 (Mil. XVIIe). Traiter avec modération, avec indulgence, sans accabler de sa supériorité. Épargner; → Cahier, cit. 4. || Il ne ménage pas ses adversaires.
11 Ces gens-là sont nos ennemis. S'ils ne peuvent nous servir à rien, nous n'avons aucune raison de les ménager. Je ne peux supporter ces bourgeois qui sont toujours en coquetterie avec la révolution.
G. Duhamel, Salavin, V, XVI.
(1872). Par ext. || Ménager la faiblesse, les préjugés, la susceptibilité de qqn. || Ne pas ménager la délicatesse de qqn (→ Froisser, cit. 22). || N'avoir rien à craindre ni à ménager (→ Force, cit. 13).
12 Se faire chaque soir cette question : « Ai-je assez ménagé la vanité de ceux avec qui j'ai vécu aujourd'hui ?… »
Stendhal, Journal, 8 juil. 1804, note.
———
II
1 (Mil. XVe). Conduire, disposer, régler (qqch.) avec soin, mesure, prudence…(Av. 1553). Vx. Manier, diriger, administrer… avec adresse. || Bien ménager ses pions (→ 1. Dame, cit. 29, La Bruyère). || « Après avoir (…) ménagé le destin de Rome » (Massillon).
13 (…) hommes (…) dévoués aux femmes, dont ils ménagent les plaisirs (…)
La Bruyère, les Caractères, VIII, 18.
Spécialt, vieilli. Préparer avec adresse, avec précaution; s'employer à assurer, à garantir…
14 Le renard (devait) ménager de secrètes pratiques
Et le singe amuser l'ennemi par ses tours.
La Fontaine, Fables, V, 19.
(Fin XVIe). Mod. || Ménager l'avenir (→ Forcené, cit. 2; lendemain, cit. 7).Ménager un entretien, une rencontre, une négociation. Arranger, faciliter, procurer. || Ménager un effet (cit. 37), une comparaison, une gradation, une transition, un dénouement. Amener.Peint. || Ménager l'ombre et la lumière dans un tableau, les distribuer habilement.
15 (Le poète) combine les scènes, explique les entrées, gradue l'intérêt, prépare les péripéties, ménage d'avance et de loin les dénouements.
Taine, Philosophie de l'art, t. I, p. 91.
16 Ce fut elle qui, plusieurs fois, essayant de s'éclipser, chercha visiblement à nous ménager un tête-à-tête.
Pierre Benoit, Alberte, XV, p. 142.
(1600). || Ménager qqch. à qqn, pour qqn. Préparer, réserver. || Ménager une surprise à un ami. || Ménager un châtiment (cit. 7), une vengeance, une mauvaise surprise à un adversaire (→ Garder un chien de sa chienne).Par ext. || Le destin, le sort lui a ménagé une consolation.
17 Pour cela, il avait besoin que la cour lui ménageât l'appui, la connivence, le silence du moins, des députés royalistes.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., III, VI.
18 Je doute si jamais livres, musiques ou tableaux me ménagèrent plus tard autant de joies (…)
Gide, Si le grain ne meurt, I, IV, p. 101.
19 Paul voulut profiter vite de la revanche que lui ménageait le sort.
Cocteau, les Enfants terribles, p. 128.
Vx. || Ménager de… (et l'inf.), que… (et le subj.) : faire adroitement en sorte que… (cf. Bossuet, Mme de Sévigné, in Littré).
2 (1690). Installer, disposer, pratiquer après divers arrangements et transformations. || Ménager un escalier dans un bâtiment, une salle de bains dans un appartement. || Ménager une perspective, une enfilade. || Ménager une ouverture, un passage.
20 Au premier étage, l'architecte a ménagé deux grandes chambres accompagnées chacune d'un cabinet de toilette, auxquelles la véranda sert de salon (…)
Balzac, Modeste Mignon, Pl., t. I, p. 364.
21 Elle brassa une poignée de foin sec, la posa sur le nid, ménagea un passage pour les parents.
Colette, Belles saisons, p. 24.
22 La salle à manger, ronde, a gardé la forme de la tour à l'intérieur de laquelle elle fut ménagée.
Pierre Benoit, Mlle de la Ferté, p. 8.
Figuré :
23 (…) j'aime songer à cette vie de forcené, où Balzac ménageait encore la place d'un roman d'amour, qui devint conjugal.
Colette, Belles saisons, « Mes cahiers », p. 177.
——————
se ménager v. pron.
1 (1655). Réfl. Avoir soin de sa personne, de sa santé (→ Courage, cit. 6; 1. garde, cit. 38). || Il se ménage un peu trop. Écouter (s').
24 On ne peut raisonnablement pas aimer toutes les femmes. Apollon, celui du Belvédère du moins, est un élégant poitrinaire qui doit se ménager.
Balzac, Modeste Mignon, Pl., t. I, p. 409.
(Av. 1654). Arranger, régler… pour soi. || Elles se sont ménagé un entretien.Se ménager une porte de sortie. Assurer (s'). || Se ménager une protection. Couvrir (se), procurer (se).
25 Un certain Léandre, moins beau que vous, sans doute, mais tout le monde n'a pas le goût bon, s'est ménagé des intelligences dans la place; votre valeur s'attaque à une forteresse prise.
Th. Gautier, le Capitaine Fracasse, V.
2 (Fin XVIIe). Récipr. || Les adversaires ne se sont pas ménagés.
3 (V. 1950). Passif. || La santé doit se ménager.Vx. || « Nous voulons qu'avec soin l'action se ménage » (→ 1. En, cit. 20, Boileau).
——————
ménagé, ée p. p. adj.
(surtout aux sens 4 et 5 de l'actif). Qualifié par un adv. || Bien, mal ménagé. || Alliances, négociations habilement ménagées, ménagées de longue main (cit. 101). || Gradation (cit. 2) lente et bien ménagée, amenée. || Opposition des clairs (cit. 23) et des noirs plus ou moins bien ménagée. || Effets bien ménagés (→ Imagination, cit. 5).
Pratiqué (avec un compl. de lieu introduit par dans, parmi, sur, sous, entre…). || Enfoncements ( 2. Enfoncement, cit. 4) ménagés dans l'épaisseur des tours; galeries (cit. 12) ménagées dans l'épaisseur d'un mur.
26 (…) un chemin étroit ménagé entre les tombes.
France, le Crime de S. Bonnard, Œ., t. II, IV, p. 380.
CONTR. Dépenser, dilapider, gaspiller, prodiguer. — Exposer, fatiguer. — Accabler, brusquer, froisser, malmener. — Compromettre (les intérêts…).
————————
2. ménager, ère [menaʒe, ɛʀ] adj. et n.
ÉTYM. Fin XVe; mainagier « homme du petit peuple, journalier », puis « habitant », 1281; de ménage.
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I Adj.
1 (1666; « qui administre bien », XVIe). Vieilli. (Personnes). || Ménager de : qui administre (ce qu'indique le compl.) avec économie, mesure. || Il est très, trop ménager de ses deniers. Avare.Fig. Qui ménage, épargne. || Ménager de son temps. Économie.
1 (…) que la raison nous fasse ménagers de notre bien (…)
La Rochefoucauld, Réflexions morales, 365.
2 Le sage est ménager du temps et des paroles.
La Fontaine, Fables, VIII, 26.
3 Nos grands-parents, de tout ménagers, se servaient, en manière de doublures, de ce qu'ils trouvaient sur leurs vieux sièges.
Colette, Belles saisons, p. 62.
2 (V. 1830, Balzac). Mod. (Choses). Qui a rapport au ménage, à l'intérieur domestique. || Travaux ménagers, besognes ménagères. || Appareils ménagers ( Ménagiste). || Arts ménagers : industries et techniques visant à faciliter le travail de la ménagère, à accroître le confort et à agrémenter la vie au foyer. || Le Salon des arts ménagers.
4 Il n'existe aucune école spéciale de ménagérisme : on ne les stimule (les jeunes filles) qu'au servile rôle de satisfaire les fantaisies d'un maître futur. La malencontreuse morale, en condamnant toutes les femmes au rôle de ménagère, ne sait même pas les initier aux notions élémentaires d'industrie ménagère.
Charles Fourier, la Fausse Industrie morcelée, p. 601 (1836).
Enseignement ménager : branche de l'enseignement technique à l'usage des jeunes filles (travaux ménagers, cuisine, couture, puériculture).
3 (Mil. XXe). Qui provient du ménage. || Eaux, ordures ménagères.
5 Ça puait là-dedans, des eaux ménagères, le seau pas vidé !
Aragon, les Beaux Quartiers, I, XVIII.
4 (Mil. XVIe). Rare. (Personnes). Qui s'occupe, qui aime à s'occuper de ménage.
6 Maman était une dame ménagère tout occupée de soins domestiques.
France, Pierre Nozière, p. 43.
———
II N.
1 (XVe). Vieilli. Celui, celle qui administre, qui gère (bien ou mal) un bien. || Être bon ménager, meilleur ménager d'une chose.Fig. || « Vauban, le plus avare ménager de la vie des hommes » (Saint-Simon).
7 Un roi dont la prudence a de meilleurs objets
Est meilleur ménager du sang de ses sujets (…)
Corneille, le Cid, II, 6.
Mod. Animateur, gestionnaire d'entreprise (équivalent proposé pour manager).
2 N. f. (V. 1462). || Ménagère : femme qui s'occupe de son ménage, qui tient une maison. || Ménagère qui fait le marché (→ Étal, cit. 1), reçoit des invités (→ Convive, cit. 1). || Bonne ménagère.
8 (…) pour que leurs filles deviennent de bonnes ménagères, il convient qu'elles ne sachent que faire la soupe et compter le linge de cuisine.
É. de Senancour, Oberman, LVIII.
9 Comme nous rentrions, le soleil dissipait la légère brume du matin : les ménagères sur le seuil des maisons secouaient leurs tapis ou bavardaient (…)
Alain-Fournier, le Grand Meaulnes, II, IX.
10 (…) elle apprenait le repassage chez ma mère moins pour en faire son métier que pour acquérir le coup de poignet de la ménagère accomplie.
J. Giono, Jean le Bleu, II.
Spécialt.Le panier de la ménagère.
Spécialt, vx. Servante, bonne à tout faire, femme de ménage. Domestique.
11 (…) il l'avait prise pour ménagère plutôt que pour femme, et, quoiqu'elle n'eût point de dot, il avait fait, en l'épousant, ce qu'on appelle un mariage de raison.
A. de Musset, Nouvelles, « Deux maîtresses », VI.
CONTR. Prodigue.
DÉR. Ménagiste.

Encyclopédie Universelle. 2012.