dormir [ dɔrmir ] v. intr. <conjug. : 16>
• 1080; lat. dormire
1 ♦ Être dans un état de sommeil (cf. Être dans les bras de Morphée). Dormir dans son lit, sous la tente, à la belle étoile. ⇒ 1. coucher. Dormir dans des draps, sous une couette. « La Belle au bois dormant (qui dort au bois) », conte de Perrault. Dormir une heure. Commencer à dormir. ⇒ s'assoupir, s'endormir. Aller dormir. ⇒ se coucher. Dormir très tard (cf. Faire la grasse matinée). Dormir l'après-midi (⇒ sieste, 3. somme; méridienne) . Pièce où l'on dort. ⇒ chambre (à coucher), dortoir. Dormir d'un sommeil léger. ⇒ sommeiller, somnoler. Ne dormir que d'un œil, en restant vigilant. Dormir profondément, d'un profond sommeil. ⇒fam. écraser (en), pioncer, roupiller. — Loc. Dormir du sommeil du juste, à poings fermés. Dormir comme un loir , une marmotte, un bienheureux, une brute, un sonneur, une souche. — Loc. fig. Dormir debout : avoir sommeil. Histoire à dormir debout, extravagante, invraisemblable. « Ce sont là des contes à dormir debout » (Molière). — Ne pas dormir de la nuit (cf. Ne pas fermer l'œil, passer une nuit blanche). Ça ne m'empêche pas de dormir : je ne m'inquiète pas pour ça. Vous pouvez dormir tranquille, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles : soyez rassuré. — PROV. Ne réveillez pas le chat qui dort. — Qui dort dîne. — La fortune vient en dormant, elle arrive à la personne qui ne fait rien pour l'obtenir.
♢ Trans. Littér. « Dormez votre sommeil, riches de la terre, et demeurez dans votre poussière » (Bossuet).
♢ Par ext. (choses, lieux) Être calme, silencieux. « Les vents sont assoupis, les bois dorment sans bruit » (Ronsard). « Quelle âme inquiète veillait lorsque tout dormait autour d'elle ? » (Gautier).
2 ♦ Par anal. Poét. Se dit des morts. Dormir du dernier sommeil. ⇒ 1. reposer. « Les morts dorment en paix dans le sein de la terre » (Musset).
3 ♦ Fig. Être dans l'inactivité. Dormir sur son travail, le faire lentement, sans courage. ⇒ traîner. Ce n'est pas le moment de dormir. — Laisser dormir qqch., ne pas s'en occuper. ⇒ négliger. Dossier, projet qui dort dans un tiroir. — Capitaux qui dorment, qui ne rapportent pas d'intérêt.
4 ♦ Rester sans couler, stagner. Un fleuve tranquille dont les eaux dorment (⇒ dormant) . PROV. Il n'est pire eau que l'eau qui dort : il ne faut pas se fier à l'apparence tranquille des gens qui gardent leurs sentiments secrets.
5 ♦ Littér. Rester caché, ne pas se manifester. Les souvenirs qui dorment au fond de nous.
⊗ CONTR. Veiller. Agiter (s'), remuer.
⊗ HOM. Dors :dore (dorer).
● dormir verbe intransitif (latin dormire) Être plongé dans le sommeil : Il a dormi douze heures. Être immobile, ne manifester aucune activité : La ville dort. Être distrait, être ailleurs, rêver ou rester à ne rien faire : Ce n'est pas le moment de dormir, il faut agir. Rester improductif, ne pas être utilisé ou être oublié : Laisser dormir un projet. Exister à l'état latent, ne pas se manifester : Cet incident a réveillé la brutalité qui dormait en lui. Être mort : Qu'il dorme en paix. ● dormir (citations) verbe intransitif (latin dormire) Alphonse Allais Honfleur 1854-Paris 1905 En dormant à moitié, il avait beaucoup retenu. Ne nous frappons pas Revue Blanche Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre ! Les Fleurs du Mal, le Léthé Charles Cros Fabrezan, Aude, 1842-Paris 1888 On meurt d'avoir dormi longtemps Avec les fleurs, avec les femmes. Le Coffret de santal, Lendemain Robert Desnos Paris 1900-Terezín, Tchécoslovaquie, 1945 Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent. État de veille Robert-J. Godet Nicolas Joseph Florent Gilbert Fontenoy-le-Château, Vosges, 1750-Paris 1780 Sur les mondes détruits le temps dort immobile. Le Jugement dernier Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 Nous l'avons, en dormant, Madame, échappé belle. Les Femmes savantes, IV, 3, Trissotin Charles Péguy Orléans 1873-Villeroy, Seine-et-Marne, 1914 Pauvre être. Je n'aime pas, dit Dieu, l'homme qui ne dort pas. Le Mystère des saints Innocents Gallimard Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l'ordre des années et des mondes. À la recherche du temps perdu, À l'ombre des jeunes filles en fleurs Gallimard Jean Racine La Ferté-Milon 1639-Paris 1699 Mais tout dort, et l'armée, et les vents, et Neptune. Iphigénie, I, 1, Arcas Paul Verlaine Metz 1844-Paris 1896 Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête Toute sonore encor de vos derniers baisers ; Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête, Et que je dorme un peu puisque vous reposez. Romances sans paroles, Green Messein Bertrand, 3e comte Russell Trelleck, pays de Galles, 1872-Penrhyndeudraeth, pays de Galles, 1970 Les hommes qui sont malheureux, comme ceux qui dorment mal, sont toujours fiers de ce fait. Men who are unhappy, like men who sleep badly, are always proud of the fact. La Conquête du bonheur, I William Shakespeare Stratford on Avon, Warwickshire, 1564-Stratford on Avon, Warwickshire, 1616 Mourir ; dormir ; dormir, rêver peut-être. C'est là l'obstacle. To die ; to sleep ; To sleep ! perchance to dream : ay, there's the rub. Hamlet, III, 1, Hamlet ● dormir (difficultés) verbe intransitif (latin dormire) Conjugaison Participe passé toujours invariable Construction On trouve encore parfois la construction transitive (dormir un somme, dormir un profond sommeil), employée en général par archaïsme volontaire. ● dormir (expressions) verbe intransitif (latin dormire) Dormir comme un ange, un loir, une marmotte, un sabot, une souche, dormir à poings fermés, etc., être profondément endormi. Dormir d'un sommeil léger, profond, de plomb, du sommeil du juste, etc., être plongé dans tel type de sommeil. Dormir tranquille, sur ses deux oreilles, en toute sécurité, sans aucune crainte ou quelconque préoccupation. Histoire, conte à dormir debout, qu'on a peine à croire, invraisemblable. Ne dormir que d'un œil, rester vigilant. Ne pas en dormir (la nuit), être tellement préoccupé qu'on ne peut pas trouver le sommeil. ● dormir (homonymes) verbe intransitif (latin dormire) ● dormir (synonymes) verbe intransitif (latin dormire) Être plongé dans le sommeil
Synonymes :
- pioncer (populaire)
- reposer (littéraire)
- roupiller (populaire)
- somnoler
Contraires :
- veiller
Être distrait, être ailleurs, rêver ou rester à ne rien...
Synonymes :
- lambiner
- lanterner (familier)
- rêver
- traîner
Contraires :
- agir
dormir
v. intr.
rI./r
d1./d être dans le sommeil. Dormir profondément, légèrement. Dormir du sommeil du juste, d'un sommeil calme et profond. Dormir debout.
|| Fig. Dormir sur ses deux oreilles: ne pas être inquiet.
|| Ne dormir que d'un oeil: dormir légèrement.
|| Loc. prov. Il ne faut pas éveiller le chat qui dort: il ne faut pas rappeler un vieux sujet de querelle.
— Qui dort dîne: V. dîner 1. Ant. veiller.
d2./d Poét. être mort. Qu'ils dorment en paix. Syn. reposer.
d3./d v. tr. Dormir son sommeil, sa nuit.
— Fam. Il n'a pas dormi son compte.
rII./r Rester immobile, inactif.
d1./d (Personnes) Ne pas agir, être lent. Dormir sur ses lauriers.
d2./d (Choses) Rester oublié, improductif. Des manuscrits, des capitaux qui dorment.
d3./d Stagner, en parlant de l'eau.
— Prov. Il n'est pire eau que l'eau qui dort: il faut se méfier des gens calmes, d'apparence inoffensive.
⇒DORMIR, verbe.
I.— Cour., emploi intrans.
A.— [Le suj. désigne une pers. ou un animal, ou p. méton. un lieu qui rassemble plusieurs pers.]
1. Être dans l'état de sommeil. Les faisans dormaient sur les branches (GENEVOIX, Raboliot, 1925, p. 176). Dix heures et demie du soir. L'école dormait (MALÈGUE, Augustin, t. 1, 1933, p. 331) :
• 1. Il dort, mon Bénoni! Viens le voir, il repose;
Marche bien doucement, car le bruit l'indispose.
Viens le voir au salon d'où chacun s'est banni;
Parlons bas, parlons bas, s'il allait nous entendre,
S'éveiller pour souffrir, son sommeil est si tendre!
Il dort, mon Bénoni!
BOREL, Rhapsodies, 1831, p. 25.
• 2. Un homme avait lutté toute la nuit pour trouver le sommeil. Il allait s'endormir. Il entendait que son ennemi entrait chez lui au moment même où ses yeux se fermaient. Il ne cherchait pas à ouvrir les yeux. Il avait tellement besoin de dormir. Il s'endormait. Son ennemi le tuait. Cet homme s'en moquait. Il s'était endormi au moins avant de mourir.
JOUHANDEAU, M. Godeau, 1926, p. 116.
— Dormir + compl. d'obj. interne. Dormir d'un profond sommeil. Dormir d'un bon somme, de bon somme (Ac. 1798-1932) Elle [une fillette] dormait de ce sommeil d'absolue confiance propre à son âge (HUGO, Misér., t. 1, 1862, p. 187). Il dormait d'un épais sommeil ivre (GIDE, Immor., 1902, p. 442).
— Dormir + compl. circ. dir. de temps. Dormir une demi-heure, une heure. Elles dormirent la grasse matinée (BALZAC, Goriot, 1835, p. 213). Comme j'aurais voulu dormir mes douze heures (ERCKM.-CHATR., Conscrit 1813, 1864, p. 67).
— Rare, emploi subst. masc. de l'inf. prés. (au sing. seulement). Disposition à dormir, fait de dormir. Synon. sommeil. Le dormir paisible dans les herbes épaisses (FRANCE, Puits ste Claire, 1895, p. 29). Essayez d'ajourner le dormir ou le manger, ils vous assiègeront (ALAIN, Propos, 1931, p. 986).
— Proverbes. Qui dort dîne. ,,Le sommeil tient lieu de nourriture`` (Ac. 1835-1932). Le bien, la fortune lui vient en dormant. ,,En parlant d'une personne qui devient riche sans rien faire`` (Ac. 1798-1932). Il ne faut pas (r)éveiller le chat qui dort. Voir chat.
— Locutions
a) [Désignant un sommeil profond ou paisible] Dormir comme un loir, comme une marmotte, comme un sabot, comme une souche; dormir à poings fermés, d'un sommeil de plomb; dormir comme un bienheureux, du sommeil du juste. Dormir profondément. Dormir (tout) debout; (au fig.) un conte, une histoire, etc. à dormir debout. Cf. debout. Au fig. dormir sur les/ses deux oreilles. N'être nullement inquiété. Je veillerai à votre sécurité, dormez sur les deux oreilles (Ac. 1835-1932).
b) [Désignant un sommeil léger] Souvent en emploi fig. Ne dormir que d'un œil, que d'une oreille; dormir les yeux ouverts, en gendarme. Dormir à demi, tout en restant aux aguets. Être sur le qui-vive. Il n'en dort pas. Il est préoccupé ou inquiété par quelque chose qui le tient en éveil.
c) [Désignant une attitude du corps pendant le sommeil] Dormir en chien (de fusil). Dormir recroquevillé sur soi-même. V. chien ex. 10.
d) Arg. Se faire dormir. Dormir. Envoyer dormir. Assommer (CARABELLI, [Lang. pop.]).
SYNT. Dormir dans son berceau, dans/entre les bras de qqn, côte à côte, dans une chambre, sur un divan, dans un fauteuil, sur l'herbe, dans un lit, sur le sein de qqn, au soleil, sous la tente; j'ai bien, mal, peu, trop dormi; je n'ai pas dormi de la nuit; dormir jusqu'à midi, en paix; dormir et rêver, et se réveiller; dormir seul, tranquille, paisiblement, profondément; se coucher et, manger et, reposer et, veiller et dormir. Aller, avoir l'air de, avoir besoin de, avoir envie de, empêcher de, essayer de, pouvoir, faire semblant de, feindre de, rentrer, tâcher de dormir; l'enfant, tout (le monde), le village, la ville dort.
2. P. anal.
a) Demeurer immobile comme une personne livrée au sommeil. La cétoine qui dort dans le cœur de la rose (APOLL., Alcools, 1913, p. 42).
b) P. euphém. Reposer dans la mort. Dormir au cimetière. Le patriarche [Jacob] porté après sa mort à la cave de Membré pour y dormir avec ses pères (CHATEAUBR., Martyrs, t. 1, 1810, p. 175). Le vieux capétien qui dort sous les dalles du chœur (VIDAL DE LA BL., Tabl. géogr. Fr., 1908, p. 161).
3. P. ext. Dormir avec qqn. Avoir des relations sexuelles avec lui. Synon. fam. coucher avec. Devine qui dîne et dort avec moi ce soir? La petite Mars (SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 152).
4. Au fig., péj. Demeurer inactif, inconscient, rêveur ou irrésolu, au lieu d'agir. Dormir sur son travail. Il lui arrive souvent [au Français] de créer et de dormir sur son œuvre (VALÉRY, Regards sur monde act., 1931, p. 134) :
• 3. J'ai l'impression pénible que l'Amérique dort, qu'elle ne sait pas encore qu'elle est en guerre. Quel douloureux réveil y aura-t-il un jour...
GREEN, Journal, 1942, p. 207.
• 4. Observez vos voisins, si, par chance, il survient un décès dans l'immeuble. Ils dormaient dans leur petite vie et voilà, par exemple, que le concierge meurt. Aussitôt, ils s'éveillent, frétillent, s'informent, s'apitoient. Un mort sous presse, et le spectacle commence enfin.
CAMUS, La Chute, 1956, p. 1490.
B.— Au fig. [Le suj. désigne un inanimé]
1. [Le suj. désigne un inanimé concr.]
a) Être plongé dans le silence et l'immobilité, au moment où les hommes sont dans le sommeil. Le coucou chante au bois qui dort. L'aurore est rouge encore (TOULET, Contrerimes, 1920, p. 22). Dans l'obscurité chaude, le jardin dormait, sans un bruissement (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p. 189). La terre couleur de moissons dormait du sommeil de l'après-midi (MALRAUX, Espoir, 1937, p. 515).
b) Demeurer ou sembler immobile. Le vent tombe, le navire dort comme sur un lac (LAMART., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 322). Fam. Cette toupie, ce sabot dort. ,,Se dit d'une toupie, d'un sabot qui tourne si vite que le mouvement en est imperceptible`` (Ac. 1798-1932).
— [Le suj. désigne une eau, un fleuve, etc.] Stagner. Anton. couler, courir. Un canal profond dont les eaux vertes dorment (GAUTIER, Albertus, 1833, p. 123).
♦ P. métaph. Eau qui dort. Personne dont les apparences calmes ne reflètent pas la vraie nature. La supérieure disait à ma grand'mère que j'étais une « eau qui dort » (SAND, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 114).
Proverbe. Il n'y a pas pire eau que l'eau qui dort. Il faut se méfier d'une personne aux apparences sournoises et taciturnes.
— P. ext. [Le suj. désigne une odeur, une couleur, etc.] Une énorme odeur de taureau (...) dormait au ras de la pâture (GIONO, Chant monde, 1934, p. 272). Dans les longs couloirs (...) dormait une lumière froide (GIONO, Bonh. fou, 1957, p. 29).
— BOT. [Le suj. désigne un végétal]
♦ Être en état de dormance. La végétation dort en hiver (QUILLET 1965).
♦ Fermer ses feuilles ou ses pétales pendant la nuit. La belle-de-jour dort la nuit (Lar. Lang. fr.).
Rem. Ces emplois sont attestés ds la plupart des dict. gén. du XIXe et XXe s. sauf Ac.
c) Reposer dans un oubli ou une indifférence qui se prolongent. Dormir dans des dossiers. Dans un carton, dorment là le testament de Louis XVI et la dernière lettre de Marie-Antoinette (GONCOURT, Journal, 1858, p. 553). Vieilles photos qui dormaient dans son portefeuille (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 330) :
• 5. Le portrait de Jacques dormait au fond de l'hôtel de la rue de Boulogne, où elle l'avait enfermé avec tous les pénibles souvenirs des années mortes.
ZOLA, Madeleine Férat, 1868, p. 95.
d) Demeurer inactif, être sans utilisation pour le moment. Près du rouet qui dort (HUGO, Contempl., t. 2, 1856, p. 14). Les voiliers fuselés dorment (...), attendant les prochaines régates (MORAND, New-York, 1930, p. 241). Les machines à écrire dormaient sous les housses (SAINT-EXUP., Vol nuit, 1931, p. 101).
— Laisser dormir. Passer sous silence pour l'instant, ne pas donner suite. Laisser dormir une affaire. Synon. pop. mettre en veilleuse, sous le coude. Le laisser dormir [un ouvrage] deux mois et le revoir ensuite (STENDHAL, Corresp., t. 2, 1800-42, p. 17).
— En partic. [Le suj. désigne un capital] Être improductif. Le billet de 500 francs qui dort entre mes mains (HUGO, Corresp., 1823, p. 368). Laisser dormir des capitaux.
a) Être enfoui dans la conscience. Que la lumière nouvelle éveille de mon cœur les forces cachées qui y dorment (MICHELET, Journal, 1849, p. 10). Je pense aux âmes affligées Où dorment d'anciennes amours (SULLY PRUDH., Solitudes, 1869, p. 10). La puissance cosmique qui dormait dans l'individu (BLOCH, Dest. du S., 1931, p. 260) :
• 6. Mais je commencerais par le portrait de l'homme, si j'avais l'intention de faire le portrait du créateur. Cet élément incorruptible est au fond de chacun de nous. Mais presque aucun de nous n'est capable de l'y trouver. Il dort sous trop d'alluvions millénaires, la religion, les lois, l'éducation surtout qui s'acharne à l'ensevelir...
FAURE, L'Esprit des formes, 1927, p. 126.
b) Connaître le repos, l'oubli :
• 7. Dors, ma sagesse, dors. Forme-toi cette absence;
Retourne dans le germe et la sombre innocence
Abandonne-toi vive aux serpents, aux trésors...
Dors toujours! descends, dors toujours! descends,
Dors, dors!
VALÉRY, La Jeune Parque, 1917, p. 109.
II.— Emploi trans. [le compl. est un obj. interne]
A.— [L'obj. interne désigne le sommeil ou le temps du sommeil] Être dans l'état de sommeil. Dormir un bon somme (Ac. 1798-1932). René s'étendit sur la couche du chasseur, et dormit son premier sommeil chez les Natchez (CHATEAUBR., Natchez, 1826, p. 118) :
• 8. Il songeait aux cinq années d'amour qu'il avait passées dans la possession de Madeleine, aux nuits tièdes qu'il avait dormies sur sa poitrine blanche...
ZOLA, Madeleine Férat, 1868, p. 161.
B.— Au fig. et p. métaph. [L'obj. interne désigne une entité comparable au sommeil]
1. [Le suj. désigne une pers.; l'obj. désigne une réalité temporelle] En dormant mon passé que ne l'ai-je perdu (ARAGON, Rom. inach., 1956, p. 235). Il m'a semblé n'avoir jamais fait jusqu'alors que dormir ma vie (AYMÉ, Mouche, 1957, p. 168).
2. [Le suj. désigne un inanimé] Les étangs chauds et roses dormant leur paresse enflammée (MONTHERL., Célibataires, 1934, p. 905).
Rem. On rencontre ds la docum. dormi, ie en emploi adj. La fatigue d'une nuit mal dormie (GAUTIER, Fracasse, 1863, p. 37). Le réveil amer Du sommeil dormi parmi la chevelure (RÉGNIER, Poèmes anc., 1890, p. 243).
Rem. gén. 1. On rencontre ds la docum. plusieurs verbes intrans. synon. rares et fam., dér. de dormir. Dormir à demi, somnoler, s'assoupir. a) Dormailler. Clercs [d'avoué] qui dormaillaient sur des copies (GYP, Souv. pte fille, 1928, p. 47). Attesté par GUÉRIN 1892, DG, Lar. 20e et QUILLET 1965. b) Dormasser. Réveillé en moi une sorte de bête douloureuse qui dormassait et qu'il aurait fallu laisser dormir (MONTHERL., Lépreuses, 1939, p. 1524). On rencontre aussi le part. prés. dormassant en emploi adj. Maussade et dormassante (ARNOUX, Roy. ombres, 1954, p. 122). Attesté par GUÉRIN 1892, Lar. 20e-Lar. Lang. fr. et QUILLET 1965. c) Dormichonner. Journée passée à (...) dormichonner dans mon lit (GONCOURT, Journal, 1890, p. 1167). Attesté ds GUÉRIN 1892. On rencontre aussi ) Le part. prés. dormichonnant en emploi adj. Sous les couvertures, moitié dormichonnant, moitié éveillé (ID., ibid., 1883, p. 279). Cf. RHEIMS 1969. ) Le dér. dormichonnement, subst. masc. Sommeil artificiel. On cherche à endormir dans un dormichonnement le cruel présent (ID., ibid., 1869, p. 531). Cf. RHEIMS 1969. d) Dormitailler. Bientôt il [Grégoire] dormitaillera (...) réveillé de loin en loin (...) et replongé bientôt dans une invincible hébétude (ARNOUX, Solde, 1958, p. 27). Absent des dict. gén. du XIXe et du XXe s. 2. On rencontre également ds la docum. plusieurs subst. rares dér. de dormir. a) Dormette, subst. fém. Petit somme, sieste. Une p'tite dormette, après dîner (GYP, Mar. civil, 1892, p. 179). Absent des dict. gén. du XIXe et du XXe s. b) Dormille, subst. fém. ) Loche de rivière. Attesté ds Ac. compl. 1842, LITTRÉ, GUÉRIN 1892, Lar. 19e-Lar. encyclop. et QUILLET 1965. ) Région. (Centre). Petit somme, sieste. Un petit bout de dormille sur le midi (SAND, Péché de M. Antoine, 1847, p. 54). c) Dormitation, subst. fém. Sommeil (cf. BLOY, Désesp., 1886, p. 64). Attesté ds GUÉRIN 1892 qui le signale comme anc. d) Dormitoire, subst. masc. Chambre à coucher. Il ne faisait qu'un saut du dormitoire à la salle à manger (NODIER, Fée Miettes, 1831, p. 124). Sans entrer dans votre dormitoire, si vous roupillez (LA VARENDE, Roi d'Écosse, 1941, p. 107). Attesté ds GUÉRIN 1892 (arch.), Lar. 19e-20e (fam.) et QUILLET 1965 (très rare). e) Dormoir, subst. masc., vx et rare. Lieu ombragé et pourvu d'eau où les bestiaux peuvent se reposer. Vaches au dormoir (NOUVEAU, Valentines, 1886, p. 230). Attesté par la plupart des dict. gén. du XIXe et du XXe s. sauf Ac.
Prononc. et Orth. :[], (je) dors []. Homon. dorer (certaines formes de part et d'autre). Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 « reposer dans le sommeil » or se dorment li Franc (Roland, éd. J. Bédier, 2521); 2. 1409 fig. « rester inactif » (Bouciquaut, II, ch. 22 ds LITTRÉ); 3. 1559 les bois dorment sans bruit (P. DE RONSARD, Second livre des Meslanges, éd. P. Laumonier, X, 63, 210). Du verbe lat. class. dormire « dormir ». Fréq. abs. littér. Dormir : 11 566. Dormi : 1 119. Fréq. rel. littér. Dormir : XIXe s. : a) 11 566, b) 20 052; XXe s. : a) 20 334, b) 16 345. Dormi : XIXe s. : a) 1 181, b) 1 960; XXe s. : a) 1 781, b) 1 629. Bbg. DARM. 1877, p. 55. — GOTTSCH. Redens. 1930, passim. — Au Jardin des loc. fr. Vie Lang. 1959, p. 392. —JUD. (J.). Les Noms des poissons du lac Léman. B. du gloss. des patois de la Suisse Romande. 1912, t. 11, p. 16 (s.v. dormille). —LA LANDELLE (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, p. 298, 299. — LÅNGFORS (A.). Notes lexicogr. Neuphilol. Mitt. 1940, t. 41, pp. 101-104. — LEFÈVRE (J.). Loc. fr. et gastr. Vie Lang. 1972, p. 581. — MIHAILESCURECHIA (V.), URECHIA (A.). Phénomènes inconnus de la lang. Orbis. 1971, t. 20, p. 11, 13, 15. —PAMART (P.). Écriture artiste et créations verbales. Vie Lang. 1970, p. 308 (s.v. dormichonnant). — QUEM. 2e s. t. 4 1972 t. 10 1976. — TOURNEMILLE (J.). Au Jardin des loc. fr. Vie Lang. 1965, pp. 83-86.
dormir [dɔʀmiʀ] v. intr. [CONJUG. partir.]
ÉTYM. 1080, Chanson de Roland; lat. dormire.
❖
1 (Le sujet désigne un être humain, un animal). Être dans l'état de sommeil. ⇒ Reposer, sommeiller, somnoler; → Être dans les bras de Morphée, clore, fermer l'œil, la paupière; faire un somme, plonger dans le sommeil; fam. écraser (en), pioncer, roupiller; schloff (aller au schloff). || Il dort encore. || Elle est en train de dormir. || Il commence à dormir. || Dormir d'un profond, d'un pesant sommeil. || Dormir d'un bon somme (→ Ajuster, cit. 18). || Dormir calmement, profondément. ☑ Loc. Dormir à poings fermés. ☑ Dormir du sommeil du juste. || Dormir (tout) d'un somme. || Dormir en chien de fusil. ☑ Dormir comme un loir, comme une marmotte, comme une souche, une bûche. ☑ Dormir comme une toupie, comme un sabot, en ronflant. ☑ Dormir debout, tout debout (⇒ Debout, infra cit. 14). — Avoir envie de dormir : avoir sommeil. ⇒ Sommeil (tomber de sommeil). || L'envie, le besoin de dormir. || Aller dormir. ⇒ Coucher (se); lit (aller au lit). || Commencer à dormir. ⇒ Assoupir (s'), endormir (s'). || Qui fait dormir. ⇒ Dormitif. — Dormir pendant toute la nuit, et, ellipt., dormir toute la nuit. || Dormir douze heures consécutives (→ Faire le tour du cadran). || Dormir très tard, dormir longtemps (→ Faire la grasse matinée). || Dormir tout son soûl, dormir jusqu'à satiété. || Il a trop dormi. || Dormir après le déjeuner : faire la sieste, faire un somme. — Dormir après s'être enivré : cuver (son vin). || Il ne dort pas encore. || Je vais essayer de dormir un peu. || Ne pas dormir de la nuit : passer une nuit blanche (cit. 3). || Ne pas dormir tout son content (cit. 10). || J'ai bien dormi (cf. Passer une bonne nuit). || Dormir sur un lit, dans son lit. || Dormir sur un divan, dans un fauteuil; par terre. || Dormir sous la tente, à la belle étoile (→ Bouge, cit. 2). || Dormir sous la tente, dans un sac de couchage. || Pièce où l'on dort. ⇒ Chambre (à coucher), dortoir. — Tout le monde dort encore. || Tout dort dans la maison. Par métonymie. || Toute la maison dort jusqu'à sept heures. → ci-dessous, 5. — Le bruit l'empêche de dormir. || Impossible de dormir, ici. || On ne peut pas dormir. — Dormir pendant une réunion, une conférence (→ Audience, cit. 12, 13). || Cet enfant dort en classe. || Il, elle passe sa vie à dormir.
1 Trop dormir fait mal à la tête,
Et trop dormir c'est vivre en bête (…)
Scarron, Virgile travesti, VII.
2 Nous l'avons, en dormant, Madame, échappé belle (…)
Molière, les Femmes savantes, IV, 3.
3 Quant à son temps, bien le sut dispenser :
Deux parts en fit, dont il soulait (avait coutume de) passer
L'une à dormir et l'autre à ne rien faire.
La Fontaine, Épitaphe d'un paresseux.
4 Cette réflexion embarrassant notre homme :
On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit.
La Fontaine, Fables, IX, 4.
5 Je ne dormirai point sous de riches lambris :
Mais voit-on que le somme en perde de son prix ?
La Fontaine, Fables, XI, 4.
6 Il dormait de cet écrasant sommeil de l'ours engourdi et de la sangsue repue.
Hugo, les Misérables, V, XXIII.
7 Par moment, je sentais mes yeux se fermer et ma tête devenir lourde; mais impossible de dormir.
Alphonse Daudet, Lettres de mon moulin, Diligence de Beaucaire.
7.1 (…) sans doute il vous est arrivé de traverser le soir la chambre d'un petit enfant qui dort et que la lumière a réveillé. Il n'a pas bougé et vous croyez qu'il ne s'est pas réveillé. Mais vous le voyez qui vous regarde de ses yeux grands ouverts. Peut-être même si vous approchez de lui, étonné, heureux, sentant son calme il sourira et si vous l'embrassez, il vous embrassera. Mais il ne sait pas l'heure qu'il est, pourquoi vous êtes là; vous entendez un bruit léger; il s'est rendormi et ne se rappellera jamais que vous êtes entré; il vous a souri comme on sourit en dormant, il vous a regardé presque sans vous voir, en tous cas sans penser et il s'est rendormi. Et sans le réveiller vous avez embrassé sa petite figure qui, les yeux fermés, la bouche laissant passer le souffle, est occupée à cette grande chose mystérieuse qu'est de dormir. Car les petits enfants et le chien qui tout à l'heure a regardé M. Santeuil avant de se rendormir, font avec leur petit corps des choses graves comme de dormir, comme de mourir.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 862.
8 Ils dorment sans cauchemar, comme les autres nuits. Leurs respirations se confondent : lourds souffles de manœuvres, sifflements de malades, soupirs égaux d'enfants.
R. Dorgelès, les Croix de bois, V, p. 96.
9 Je sombrais en des accablements de sommeil dont dormir ne me guérissait pas. Je me couchais après le repas; je dormais, je me réveillais plus las encore, l'esprit engourdi comme pour une métamorphose.
Gide, les Nourritures terrestres, I, II, p. 27.
10 L'enfant avait choisi le mode d'évasion le plus sûr encore en ce monde. Il dormait.
Giraudoux, les Aventures de Jérôme Bardini, p. 190.
11 (…) toi qui, pendant les années où je partageais ta couche, ne manquais jamais de me dire, le soir, dès que j'approchais : « Je tombe de sommeil, je dors déjà, je dors… »
F. Mauriac, le Nœud de vipères, I, I, p. 18.
12 Un soir qu'il dormait dans un bar des Halles devant un café de dix centimes (…)
P. Mac Orlan, Quai des Brumes, I, p. 9.
♦ Faire semblant de dormir. — ☑ Loc. Il n'en dort pas; cela l'empêche de dormir, en parlant d'une crainte, d'une préoccupation, d'un espoir qui tient en éveil (→ Crainte, cit. 2). ☑ Ça ne m'empêche pas de dormir : je ne m'en préoccupe pas beaucoup. — ☑ Ne dormir que d'un œil : être sur le qui-vive. ⇒ Veiller. ☑ Dormir les yeux ouverts (même sens). ☑ Dormir en lièvre, en gendarme (même sens). — ☑ Vous pouvez dormir tranquille, dormir sur vos deux oreilles, en pleine sécurité; soyez rassuré. — ☑ Vx. Dormir en repos : dormir tranquille.
13 Enfin, ma très chère, je me mets entre vos mains, et connaissant votre fidélité, je dormirai en repos de ce côté-là (…)
Mme de Sévigné, 485, 1er janv. 1676.
14 Ah ! dit l'un d'eux avec conviction, avec nous, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles. On connaît la vie.
Sartre, la Mort dans l'âme, p. 145.
15 Dans chaque Français, dit-il, en dodelinant de la tête, « il y a un sceptique qui ne dort jamais que d'un demi-œil… »
Martin du Gard, les Thibault, t. V, p. 56.
16 Fernand pouvait dormir tranquille : il n'avait jamais été trahi, fût-ce en esprit (…)
F. Mauriac, Génitrix, IX, p. 110.
16.1 (…) le malheur des Russes blancs n'éveillait en moi que la sollicitude la plus maigre, et le sort de l'Europe ne m'a jamais empêché de dormir.
M. Yourcenar, Alexis…, p. 141.
♦ ☑ Prov. Qui dort dîne. — ☑ Le bien, la fortune vient en dormant, elle arrive à celui qui ne fait rien pour l'obtenir. — ☑ Vx. Jeunesse qui veille, vieillesse qui dort, signe de mort.
♦ Allus. littér. || « Tu dors Brutus et Rome est dans les fers » (Voltaire, la Mort de César, II, 2), exhortation adressée à Brutus pour l'exciter à libérer Rome de César. — « Les lauriers de Miltiade m'empêchent de dormir ».
♦ (V. 1120). Trans. (avec un compl. « interne »). Littér. ou régional. || Dormez votre sommeil. || Dormir un bon somme. — (Compl. de temps). || Dormir sa nuit.
17 Tous les riches ont dormi leur sommeil, et, lorsqu'ils se sont éveillés, ils n'ont rien trouvé dans leurs mains (…)
18 Dormez votre sommeil, riches de la terre, et demeurez dans votre poussière (…)
Bossuet, Oraison funèbre de Michel Le Tellier.
19 (…) la fatigue aidant, je ne pus dormir ma nuit.
France, le Crime de S. Bonnard, Œ., t. II, p. 315.
♦ Au p. p. (Littér.). || « Une nuit mal dormie » (Gautier, le Capitaine Fracasse).
♦ Par métaphore (proche du sens 4). || « Dormir sa vie », « son passé » (M. Aymé, Aragon, in T. L. F.).
2 Poét. Reposer (en parlant des morts). || Dormir du dernier sommeil. || Les morts dorment en paix. ⇒ Reposer (→ Cimetière, cit. 1, 5).
20 Et son ombre (du saule) sera légère
À la terre où je dormirai.
A. de Musset, Poésies nouvelles, « Lucie ».
21 Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
Au fond d'un monument construit en marbre noir.
Baudelaire, les Fleurs du mal, « Remords posthume ».
22 Les morts dorment en paix dans le sein de la terre;
Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints.
A. de Musset, Poésies nouvelles, « Nuit d'octobre ».
23 Suivant sa volonté, elle a été inhumée dans le Turbé des vénérés Sivassi d'Eyoub, pour y dormir son dernier sommeil.
Loti, les Désenchantées, LV, p. 250.
3 (Végétaux). Se refermer en certaines circonstances (fleurs, feuilles). || La belle-de-nuit dort durant la journée.
24 Les roses dormaient sur les rosiers, près des roses, les rossignols, et dans les kiosques veillaient les sultanes.
M. Barrès, le Jardin sur l'Oronte, p. 25.
4 Fig. a Sujet n. de personne. Être dans l'inactivité. — Dormir sur son travail, le faire lentement, sans courage. ⇒ Endormir (s'), traîner.
25 Vous ne ferez pas mal de dire à vos hommes, avant de partir, que c'est un chantier où il ne sera pas question de dormir sur le manche.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XXVII, p. 277.
b (Sujet n. de chose; surtout dans : laisser, faire dormir). || Laisser dormir qqch. : ne pas s'en occuper; faire silence sur. ⇒ Négliger, oublier. || Laisser dormir un scandale. ⇒ Étouffer. || Laisser dormir un dossier au fond d'un tiroir.
26 (…) laisser dormir et oublier toute chose jusqu'à ce que M. de Grignan puisse revenir (…)
Mme de Sévigné, 345, 13 nov. 1673.
26.1 Avant de dormir soi-même, il faut faire dormir ses pensées. Mais cela ne va pas bien, car vouloir endormir une pensée, c'est penser; et penser c'est s'éveiller. Toute pensée nous met en alerte; et cela est naturel dans un univers qui n'a rien promis.
Alain, Propos, 19 oct. 1927, « Faire dormir ses pensées ».
♦ Laisser dormir ses capitaux. || Capitaux qui dorment, qui ne rapportent pas d'intérêt. — Laisser dormir un ouvrage, négliger de le poursuivre ou le laisser volontairement de côté, pour donner à la pensée, à l'imagination le temps de la réflexion.
5 (Choses; lieux). Rester immobile, être sans mouvement. — Spécialt. Se dit de la nature, d'une maison, d'un lieu pendant la nuit ou aux moments de moindre activité, lorsque les humains et les animaux dorment. || Toute la maison, homme, bêtes et choses, dormait. || La campagne dormait (→ Assoupir, cit. 17; abandonner, cit. 27).
27 Tout dort; tout est tranquille; et l'ombre de la nuit (…)
Voltaire, Zaïre, V, 8.
28 D'où venait-il, ce chant, ce soupir exhalé à petit bruit dans le silence de la ville ? Quelle âme inquiète veillait, lorsque tout dormait autour d'elle ?
Th. Gautier, le Roman de la momie, I, p. 50.
29 (…) tout dormait dans une sécurité profonde et sous le paisible regard des étoiles.
E. Fromentin, Une année dans le Sahel, p. 79.
30 (…) et les raisins couleur de pierre transparente
Sembleraient dormir au soleil sous l'ombre lente.
Francis Jammes, La maison serait pleine de roses, in Choix de poèmes, p. 43.
REM. Ces emplois sont à distinguer des métonymies du sens 1 : tout le quartier, toute la ville dormait.
31 On passait un petit pont. Dans le ruisseau sale, dessous, l'eau dormait dans les détritus et les débris de viande.
J. Giono, Regain, p. 105.
32 (…) le fjord dort entre les monts à pic, tel un long lac tortueux (…)
André Suarès, Trois hommes, « Ibsen », I, p. 71.
♦ ☑ Prov. Il n'est pire eau que l'eau qui dort : il ne faut pas se fier à l'apparence tranquille des gens qui dissimulent leur vraie nature, gardent leurs sentiments secrets.
7 (1834). Mar. Ne pas se mouvoir (en parlant du compas).
8 (Sujet n. de chose abstraite). Ne pas se manifester; demeurer sans avoir d'effet extérieur (en parlant des sentiments, des passions, des souvenirs…). || Chagrin (cit. 12), passé qui dort, au fond de l'âme. || La fièvre qui dormait se ranime (→ Aggraver, cit. 7).
33 Ne réveillez pas le chagrin qui dort.
J. Renard, Journal, 12 sept. 1901
N. B. Jeu sur le prov. : … le chat qui dort.
34 Ce qui dormait sous les eaux endormies, ce principe de corruption, ce secret putride, je ne fis rien pour l'arracher à la vase.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, p. 65.
35 Passions du fond caché, lames de fond : le plus souvent, elles dorment; mais il arrive, soulevées, qu'elles emportent les rives de la paix commune.
André Suarès, Trois hommes, « Dostoïevski », V, p. 243.
36 Si nous rêvions toutes les nuits que nous sommes poursuivis par des ennemis, et agités par ces fantômes pénibles (…) on appréhenderait le dormir, comme on appréhende le réveil quand on craint d'entrer dans de tels malheurs en effet.
Pascal, Pensées, VI, 386.
❖
DÉR. Dormance, dormant, dormette, dormeur, dormeuse, dormoir. REM. On trouve plusieurs dérivés (diminutifs) comme dormailler, dormasser (Huysmans), dormichonner, dormitailler, v. intr. (« somnoler, dormir peu ou mal »), illustrés d'exemples, dans le T. L. F.
COMP. Endormir.
Encyclopédie Universelle. 2012.