SEL
Le sel est un des produits les plus nécessaires à la vie. On le trouve sous forme solide (sel gemme) dans le sous-sol ou en solution dans l’eau de mer. Sa production a commencé dès le Néolithique, mais il est difficile de décider si sa consommation alimentaire est liée au passage d’une civilisation où l’homme chasseur mangeait une nourriture surtout carnée à une autre où il devint cultivateur se nourrissant de céréales et d’hydrates de carbone. L’homme n’a jamais ménagé sa peine ni son ingéniosité pour se procurer le sel au meilleur compte. Le marais salant maritime fut jadis un prodige technique dont la conception et l’aménagement exigeaient des connaissances et un savoir-faire qui reposaient sur des observations de caractère physico-chimique et une grande maîtrise de l’hydraulique. La saline produisant par le feu un sel ignigène n’eut pas moins de difficultés à surmonter et de nombreux ingénieurs contribuèrent à résoudre la question de l’épuisement du combustible en inventant de nouvelles méthodes plus économes d’énergie.
À la demande de sel, produit de consommation universelle, la production, étroitement localisée sur des sites favorables aisément contrôlables, répondait avec difficultés. Le pouvoir s’ingéra très tôt entre production et consommation pour régler la distribution et pour lever un impôt devenu en France la gabelle. Cet impôt pesait sur un produit indispensable, et bien des États ne purent résister à la tentation ni à la solution de facilité de l’alourdir. En France à la fin de l’Ancien Régime la gabelle était l’impôt le plus odieux, symbole de l’inégalité et de l’arbitraire.
Aujourd’hui l’impôt du sel, quand il subsiste, a perdu ses caractères anciens, mais le sel n’est pas pour autant sorti de l’histoire. Grâce à l’expansion de la chimie dans les pays développés et à la croissance de la population mondiale, il est devenu un des tout premiers produits de l’activité économique, même si son commerce inter-États demeure limité. Par son abondance et sa répartition à la surface du globe, il n’attire pas l’attention comme le pétrole. Pourtant, par bien des aspects, son histoire est aujourd’hui liée à celle des hydrocarbures, avec qui il voisine dans le sous-sol, à moins qu’on ne le pompe de ses cavités pour créer de vastes silos souterrains où entreposer les stocks de pétrole et de gaz ou à mettre au service d’autres finalités stratégiques.
1. Variété des techniques de production
La production du sel passe, au cours d’un processus unique d’évaporation, par trois phases successives de concentration, saturation et cristallisation. L’évaporation est obtenue par une multitude de techniques. Les plus répandues sont le marais salant ou salin maritime, technique agricole, et la saline ignigène, technique industrielle qui traite une saumure puisée dans le sous-sol ou du sel gemme extrait par des procédés miniers.
La cristallisation fractionnée des chlorures
L’eau de mer, une des principales sources de matière première pour la fabrication du sel (sel marin), a une composition ionique très diverse (tabl. 1).
Ces ions se combinent entre eux (tabl. 2).
La récolte du sel marin
Un mètre cube d’eau de mer contient de 28 à 29 kg de chlorure de sodium et 8 kg d’autres sels et le saunier sait que s’il laisse s’évaporer toute l’eau il récoltera un sel (NaCl) impur, âcre, fondant, de basse qualité commerciale et de transport difficile. Dès le Moyen Âge, grâce à la connaissance empirique du principe de la cristallisation des sels, il a réussi, en isolant le NaCl utile à la cuisine et aux salaisons, à éliminer les autres sels.
Pour faire du sel, le saunier évapore l’eau grâce à la chaleur procurée par un foyer ou les agents atmosphériques, soleil et vent. L’évaporation qui élimine l’eau est un phénomène complexe au cours duquel augmente la concentration en sels dissous. À mesure qu’ils atteignent la saturation, ces sels précipitent et cristallisent. On mesure la densité de la solution à l’aide d’un appareil gradué, l’aréomètre de Baumé (du nom de son inventeur) qui indique le degré (degré Baumé ou 0Bé). À mesure que l’eau s’évapore, le volume de la solution diminue et sa densité augmente. Le saunier récolte le sel entre 25 et 30 0Bé sans laisser précipiter le magnésium.
Si on entend par marais salants ou salin une série de bassins construits par l’homme, entre lesquels l’eau de mer apportée par des canaux circule continûment, cette technique a été progressivement mise au point au cours du haut Moyen Âge, afin d’éliminer les sels inutiles en utilisant les plages de cristallisation des chlorures sous l’action de l’évaporation par le soleil et le vent. Les Romains n’auraient pas connu cette technique. Ils ne l’auraient ni inventée ni utilisée car, en Méditerranée centrale et méridionale, où d’assez nombreux lacs salés en bordure des rivages marins produisaient du sel sans intervention humaine, elle était superflue, et sur d’autres rivages ils se contentaient d’un sel impur récolté dans des cuves rectangulaires creusées dans le sol, mais amélioré et valorisé dans la fabrication de leur célèbre sauce de poisson, le garum . Aucun texte classique ne paraît valider l’hypothèse d’une invention latine.
Entre les IXe et XIVe siècles, on suit au contraire le progrès technique par lequel les hommes ont divisé les grands bassins initiaux en séries de petits bassins portant chacun des noms d’origine latine, qui sont la traduction du nom vulgaire donné par les sauniers dans le latin des notaires qui dressaient alors tous leurs actes en langue savante. Vases et boues en suspension ont été éliminées par décantation dans la vasière où commençaient l’évaporation et la concentration. L’eau passait ensuite dans les cobiers où précipitaient le CaC3 (carbonate de calcium) et le CaS4, puis dans des bassins plus petits encore formant la saline proprement dite où cristallisait le NaCl. Tout le progrès a consisté à réduire la taille de la saline par rapport à l’ensemble, pour allonger les temps de précipitation des impuretés avant toute récolte dans des bassins réservés à cet effet. La saline est découpée en petits casiers ou cristallisoirs appelés selon les lieux œillets , aires , tables salantes . La solution très concentrée qui entre dans ces casiers contient encore les chlorures de sodium et de magnésium. Pour empêcher le magnésium de précipiter, il faut récolter le sel dans l’eau ou expulser les eaux mères qui ont déjà précipité leur sel. La solution adoptée est sous l’étroite dépendance du climat et de la météorologie. Sur les rivages français de l’Atlantique, où l’on était rarement assuré de bénéficier d’un beau temps durable, on faisait une récolte journalière qu’on s’empressait d’abriter. Mais plus on descend vers le sud, jusqu’en Portugal, plus les récoltes s’espacent, d’une fois par semaine à une fois par an. En Méditerranée, la règle est la récolte annuelle, mais dès que le temps redevient incertain ou l’atmosphère humide, ainsi au nord de l’Adriatique, le saunier pratique la récolte journalière.
Le système technique de la récolte du sel est d’une grande complexité. Pour faire une récolte journalière, il faut abréger les délais d’évaporation déjà ralentis la nuit en introduisant la saumure en couche mince, pour avoir peu d’eau à évaporer, et surtout il faut garder les eaux mères surchargées en MgCl dont le pouvoir de catalyse accélère la cristallisation du NaCl, sans les laisser s’évaporer, sinon la précipitation du MgCl endommagerait le NaCL. Dès la fin du XIIIe siècle au plus tard, les sauniers découvrirent le moyen d’apporter régulièrement une eau bien chauffée, saturée, à la saline, à la fois pour éviter la sursaturation des eaux mères et pour obtenir une récolte journalière. Ils créèrent des réserves ou nourrices à côté des cristallisoirs. Le plancher du cristallisoir est constamment sous eau. Il est très meuble. Le saunier ne peut y entrer pour y prendre le sel. Il travaille sur le bord, ce qui détermine la taille du bassin et celle de l’outil à très long manche avec lequel il récolte le sel. Sur les salins à récolte annuelle du Midi méditerranéen, à la fin de la saison, vers le 20-25 août, on expulse les eaux mères et on laisse le sel sécher quelques jours. Après quoi, sur ces surfaces durcies, entraient autrefois de nombreux travailleurs. Le rythme des récoltes exerçait une grande influence sur le statut de la main-d’œuvre: dans le système à récolte permanente et aléatoire durant la belle saison, les exploitants permanents étaient des métayers à part de fruit; dans la récolte annuelle où la main-d’œuvre n’était présente que pour lever et porter le sel jusqu’à l’aire de stockage, ces travailleurs occasionnels étaient des salariés saisonniers descendus de leur montagne à la fin de l’été pour un mois ou deux.
L’installation d’un marais salant exige des connaissances en hydraulique. La circulation d’eau est constante et il existe deux circuits de l’eau de sens inverse: l’un transporte la saumure jusqu’aux cristallisoirs; l’autre évacue à la mer les eaux superflues d’hiver ou d’été, eaux de pluie et de ruissellement ou eaux mères. Chacun de ces circuits dispose de sa propre pente sur des surfaces considérables, souvent supérieures à plusieurs hectares de surface salante même pour une exploitation non mécanisée. En outre, il faut compter avec le fleuve proche, pour plusieurs raisons. Seul l’alluvionnement fluvial, par ses limons fins, a construit la vaste plaine alluviale tapissée de sédiments imperméables qui permet la construction du marais. D’autre part, le fleuve a été autrefois la grande voie de transport du sel vers l’intérieur et sa proximité abrégeait les longs délais de transport. Enfin, c’était la source d’eau douce indispensable pour abreuver les bêtes qui travaillaient sur le marais salé.
On croit aujourd’hui à la supériorité de la Méditerranée et de son climat qui font les récoltes plus abondantes, mais, avant la mécanisation apparue seulement avec le XXe siècle, les côtes méridionales de l’Atlantique, dès le sud de la Bretagne, connaissaient des conditions plus favorables, grâce en particulier aux fortes marées de l’océan. Dans l’Ouest, il suffisait d’aménager le marais sous le niveau des plus fortes marées, en le protégeant par une puissante digue du côté de la mer, pour obtenir le remplissage de toutes ses parties par gravité, la vidange se faisant à marée basse. En Méditerranée, il fallait au contraire, en l’absence de vraies marées, remplir artificiellement les bassins. Or, comme les quantités évaporées journellement sont considérables, il fallait aussi admettre des quantités considérables d’eau en les élevant au-dessus du niveau de la mer. On installait les salins dans les lagunes et les étangs qui servaient de bassins de première évaporation, afin de n’élever sur les tables salantes que des quantités réduites de saumure déjà bien concentrée (tabl. 3, volume de la solution). Durant la belle saison, des troupeaux de mules élevaient l’eau par des puits à roue, véritables petites norias.
La grande difficulté de l’économie du sel réside dans le transport du produit qui doit surmonter beaucoup d’obstacles. L’universalité de son usage et la variété de ses utilisations en faisaient un produit pondéreux qui voyageait surtout par les fleuves et les rivières. Mais, récolté au bord de la mer, il fallait toujours le transporter vers l’amont, à contre-courant, et haler les barques sur des rives non aménagées. Le coût du transport étant élevé, on avait intérêt, pour épargner la dépense, à exploiter les sources locales.
La production de sel terrestre
Sur le continent, le sel terrestre a été exploité de façon extensive. Sa prospection n’offrait pas de difficulté. Les couches souterraines de sel gemme étant léchées par les eaux d’infiltration qui se chargent de sel en dissolution avant de reparaître à la surface, les hommes captaient ces sources salées par des puits ou les rassemblaient dans des fontaines en les séparant des eaux douces. On équipait le puits avec une machine élévatoire, du genre «cigogne» (balancier) ou «paternoster» (roue à godets); des hommes transportaient les lourds seaux de saumure jusqu’à des réservoirs installés dans les sauneries où brûlaient en permanence des chaudières chauffant des poêles dans lesquelles bouillonnait et s’évaporait la saumure. Le salineur tirait le sel sur le bord de la poêle, en remplissait une hotte qu’on portait dans un séchoir; le sel, en séchant, prenait la forme du récipient. Le sel terrestre produit par le feu (sel ignigène ) voyageait en pains ou en disques, souvent protégés dans des tonneaux. C’était un sel coûteux. En plus du transport de la saumure et du sel qui faisait de la saline une industrie de main-d’œuvre, il fallait compter avec la coupe du bois dans les forêts et son transport jusqu’aux salines. Le procédé épuisait la forêt. La tonnellerie consommait aussi beaucoup de bois. Chaque saline avait encore d’autres ateliers annexes, une briqueterie ou une tuilerie de briques réfractaires, une forge pour réparer les poêles faites de tôles de plomb assemblées.
Les salines continentales, au temps de la proto-industrialisation, étaient de petites exploitations familiales (sauneries ) regroupées dans une vaste enceinte formant la saline qui appartenait à un grand propriétaire. À ce tableau d’ensemble échappaient les salines montagnardes, en particulier dans les pays autrichiens (Tyrol, pays de Salzbourg, Haute-Autriche et Styrie). Dans les Alpes, le soulèvement alpin a souvent porté à grande hauteur les couches de sel du Trias ou de l’Éocène qui dominent les vallées. L’homme a tiré parti de cet avantage en utilisant la gravité et la solubilité du sel. Au Néolithique, ces couches de sel étaient déjà exploitées par les populations celtes qui appelaient le sel «hall» et vivaient dans des localités comme Hallein ou Hallstatt. Cette dernière donna son nom à la civilisation de La Tène, ou Hallstatt, contemporaine de l’âge du fer. Alors les hommes exploitaient le sel selon les techniques de la mine sèche, avec la pioche, dans des galeries souterraines à flanc de montagne éclairées par la lueur de petites torches de bois fichées dans la paroi. Le minerai brut était remonté au jour dans des hottes de cuir accrochées aux épaules, et raffiné, après dissolution du sel par l’eau dans des poteries de terre, sur des foyers chauffés au feu de bois. Cette technique préhistorique a laissé partout de très nombreux vestiges, en particulier parce qu’il fallait briser la poterie pour démouler le sel et que ces tessons de poteries cuites (briquetages ) sont indestructibles. Elle disparut au temps de l’occupation romaine, non pas à la suite de la concurrence commerciale victorieuse que les Romains auraient livrée, avec leur sel marin, au sel indigène des Gaulois ou des Germains, mais plutôt parce qu’à la poterie de terre succéda alors la poêle métallique de plomb qui, une fois hors d’usage, s’oxyde et disparaît ou bien est refondue pour être réemployée. L’emploi du métal ne laissa pas de vestiges archéologiques, mais les documents écrits commencent heureusement à suppléer les carences de l’archéologie.
Aux XIe et XIIe siècles au plus tard, en Autriche, fut inventée une technique promise à un bel avenir, la «mine mouillée» qui se perpétue aujourd’hui dans la technique des sondages. En effet, au lieu de remonter à la surface un minerai brut plein d’impuretés insolubles pour en dissoudre le sel, on améliora considérablement la productivité du travail humain et le rendement des mines en dirigeant sur les couches de sel les eaux de pluies tombées au sommet de la montagne et rassemblées par un système complexe de puits verticaux et de galeries inclinées. Sur place, les eaux dissolvaient le sel et creusaient leurs propres réservoirs en constituant des lacs souterrains. Un expert mineur surveillait le processus, introduisait des eaux nouvelles, dirigeait la circulation des eaux saturées vers les canalisations qui gagnaient le fond de la vallée. Là, les saumures étaient mises à cuire dans des poêles de vastes dimensions. Le chauffage de ces saumures saturées exigeait beaucoup moins de bois puisqu’il y avait moins d’eau à évaporer pour obtenir une même quantité de sel. À la différence des salines de plaine, dont la saumure était partagée entre une foule de petites exploitations autonomes, ici l’innovation technique (et ses coûts) imposait la concentration du capital et du pouvoir, comme souvent lorsqu’il s’agit de fonder une production sur une savante exploitation de l’eau et sur une discipline collective. En Autriche, les salines restèrent la propriété des grands pouvoirs territoriaux, comte de Tyrol, duc d’Autriche, archevêque de Salzbourg.
En Pologne, on tourna au contraire le dos à ce type d’exploitation, grâce probablement à la haute teneur des couches de sel gemme de la région de Cracovie, à Bochnia et Wielisczka. Vers le milieu du XIIIe siècle, on abandonna les techniques du raffinage pour les techniques minières, l’abattage du minerai et son façonnage au fond en gros cylindres, qu’il suffisait de rouler pour, une fois remontés au jour, les conduire jusqu’aux barques sur la Vistule. Les chutes étaient mises en tonneaux. Dans cette technique, la plus grosse dépense de bois était réservée au boisage des galeries, à la tonnellerie et à la construction des barques fluviales qui descendaient la Vistule et remontaient ses affluents.
Des techniques traditionnelles variées
Jusqu’en plein XXe siècle, pour se procurer du sel, l’homme a recouru à des techniques très diverses, ainsi l’exploitation de tourbes et de sables salés – le sel a été déposé lors des grandes marées qui ont recouvert l’estran – qui sont lessivés et filtrés pour produire du sel blanc à partir d’une saumure évaporée par le feu. Ces techniques des sables salés sont attestées sur les plages anglaises au Moyen Âge. Elles subsistèrent jusqu’au début du XIXe siècle en Normandie et jusqu’à nos jours au Japon sur les rivages de la mer Intérieure. Dans la tourbe salée du littoral, en Zélande ou sur les rivages de la Frise et les côtes orientales de l’Angleterre, on découpait des briquettes à brûler, pour en recueillir la cendre, dissoudre et filtrer le sel qu’elle contenait, chauffer la saumure obtenue sur un feu de tourbe et recommencer le cycle avec les nouvelles cendres du foyer. Le danger était grand, l’exploitation des tourbières, avec la combustion de la tourbe, dégarnissait le littoral exposé aux colères de la mer qui pouvait envahir toutes les alvéoles ainsi créées à la vitesse d’un raz-de-marée, ce qui se produisit sur les rivages zélandais au XVe siècle. Il fallut, à cause des inondations, interdire cette technique qui continua pourtant jusqu’au XXe siècle dans les îles de la Frise septentrionale.
En Afrique, en Nouvelle-Guinée, en Asie du Sud-Est, en Amérique indienne... les hommes ont mis en œuvre d’autres techniques encore pour se procurer le précieux sel: ainsi, au Sahara, l’évaporation de saumures salées dans les salines du Ténéré (Fachi et Bilma) et le moulage des pains de sel dans les stipes de palmier évidés, la lixiviation (lessivage) de terres salées à Tegida n’Tessoum, l’exploitation minière de sel en barres à Taoudenni. Plus au sud dans la savane humide, ces procédés sont abandonnés au profit de la fabrication de sel ignigène à partir de végétaux brûlés ou de terres salées filtrées, comme au pays Manga. Dans les langues africaines, par exemple au Niger ou dans le nord du Nigeria, le sel porte différents noms en fonction surtout de sa composition chimique qui n’est jamais difficile à déceler, puisque le sel s’identifie surtout par sa saveur. Seul mérite le nom de sel celui où la proportion de NaCl est prédominante, sans toujours atteindre 80 p. 100. Le natron contient beaucoup de carbonate et sulfate de sodium mêlé au NaCl. Sur les bords du lac Tchad, où le carbonate de sodium l’emporte, on recueille au contraire du trona (Na3H[C3]2 – 2H2O) appelé ungurnu . Les populations identifient bien la composante essentielle de chacun des sels qui leur sont proposés sur les marchés.
La production du sel garde une étroite dépendance à l’égard du climat, ce qui en fait une activité saisonnière, même sous un climat aride où les sources salées et la lixiviation des terres salées dépendent étroitement des pluies de la saison humide. La production de sel marin ou terrestre par évaporation solaire (sel solaire) n’est pas et n’a peut-être jamais été la plus importante. Elle ne trouve de conditions favorables que sous les climats à saison sèche bien marquée coïncidant avec la saison chaude, ce qui exclut la majeure partie des rivages de l’Asie des moussons. Le domaine de prédilection du sel solaire est constitué par les pays de climat subtropical méditerranéen ou tropical sec. Partout ailleurs, à cause de la faiblesse de l’ensoleillement ou des pluies, il faut s’aider du feu pour obtenir un sel raffiné consommable par l’homme.
Une modernisation précoce
La production de sel ignigène était fonction d’une source d’énergie non renouvelable dont l’épuisement rapide suscita des difficultés. Les saliniers réussirent à surmonter les obstacles les uns après les autres, en particulier en transposant dans l’industrie les techniques mises au point dans la méthode agricole par les sauniers du bord de mer. La première innovation consista à distribuer par gravité, grâce à de petites rigoles creusées dans le sol, la saumure des fontaines salées aux sauneries. On trouve ces canalisations en Angleterre ou en Basse-Saxe (Lüneburg).
Par la seconde innovation, plus tardive, on réussit à obtenir un meilleur rendement de la chaleur du foyer tout en protégeant les poêles des dommages causés par leur réfection régulière. La poêle avait longtemps constitué un récipient unique dans lequel on conduisait toute l’opération du salinage, mais la saumure extraite du sous-sol avait une composition chimique voisine de celle de l’eau de mer. Carbonate de calcium et gypse en se déposant tapissaient le fond et les parois d’une épaisse croûte cuite qui réduisait le volume utile pour la saumure et résistait davantage au chauffage, d’où plus de combustible pour moins de sel. Il fallait alors arrêter le feu pour déposer la poêle; on la chauffait à sec, on la martelait pour décrocher les incrustations et les forgerons la remettaient en état. Les poêles ne résistaient pas longtemps à un tel traitement. On reprit alors les systèmes des trois bassins qui, au bord de la mer, utilisaient le principe de la cristallisation fractionnée. En avant de la poêle, on plaça le poêlon où la saumure commençait à chauffer en déposant le C3Ca; on introduisait alors dans la poêle une saumure purifiée et saturée et on retirait la bouillie de sel pour la mettre à égoutter sur un plancher incliné construit au-dessus de la poêle, au lieu de l’emporter dans un local annexe chauffé par des braseros. Un même foyer à la flamme dirigée par des murets intérieurs chauffait les trois bassins où s’effectuaient les étapes successives du salinage.
La dernière innovation fut spectaculaire. On s’avisa en effet d’utiliser dans les salines continentales le soleil et le vent, comme au bord de la mer, pour concentrer les saumures, leur donner du degré comme on disait alors, les graduer. L’Europe continentale se couvrit de bâtiments de graduation, vastes édifices de centaines de mètres de longueur, hauts de 6 à 10 mètres, construits en fortes poutres garnies de planches recouvertes de fagots d’épineux. Une roue à godets hissait la saumure au sommet d’où elle ruisselait sur les branchages avant d’être recueillie à la base dans un bassin. À la faveur de l’opération plusieurs fois recommencée, l’eau s’évaporait sous l’action des agents atmosphériques, se concentrait, déposait le gypse sur les épines et finissait par atteindre 22 à 23 0Bé en réduisant son volume initial de 85 p. 100. Dans la poêle, on n’introduisait plus que 150 litres d’eau, au lieu de 1 000, et si on introduisait 1 000 litres de saumure graduée, on faisait sept à huit fois plus de sel que par le passé, avec une consommation moindre de bois. Ces inventions ont donné à l’industrie du sel ignigène produit au bois une survie d’environ trois siècles (XVIe-XVIIIe s.).
Le sel et la révolution industrielle
La découverte et la mise en exploitation des bassins charbonniers introduisirent une révolution dans l’industrie et la géographie de la production du sel. Le rendement thermique du charbon, très supérieur à celui du bois, abaissa fortement les coûts de production. Les Anglais, à la recherche de la houille, prospectèrent systématiquement leur sous-sol dans les zones où les puits leur procuraient la saumure, afin de réduire aussi le coût des transports. Ce faisant, ils découvrirent non pas le charbon, mais les couches de sel gemme du Cheshire qu’ils exploitèrent dès lors par sondages, injections d’eau douce et pompages de saumure saturée. La poursuite de l’exploration du sous-sol leur fit découvrir aussi les bassins charbonniers. Pour assurer la rentabilité des transports du charbon et du sel, ils se donnèrent un réseau de canaux au XVIIIe siècle, puis de voies ferrées au siècle suivant, qui orientèrent les échanges vers les deux ports de Newcastle et de Liverpool. Dès le début du XIXe siècle, l’Angleterre, qui avait toujours fait appel par le passé au ravitaillement étranger, devenait un important exportateur de sel blanc vers l’Europe du Nord, pays scandinaves et baltes en particulier. Elle privait de leurs traditionnels marchés les producteurs de sel de l’Atlantique français ou ibérique.
En France, la révolution industrielle, plus tardive, introduisit les mêmes innovations qu’en Angleterre: creusement de canaux comme celui de la Marne au Rhin, décisif pour les salines de Lorraine où on avait aussi découvert le sel gemme, construction des chemins de fer, exploitation du charbon. La révolution des transports inversa tous les courants de trafic du sel. Jadis le sel marin gagnait l’intérieur du pays par les fleuves – Rhône, Garonne et Dordogne, Loire, Seine et Somme –, mais, dès le milieu du XIXe siècle, le sel lorrain ou comtois produit au charbon gagna, grâce à la voie ferrée, Paris, puis Orléans, bientôt Dunkerque, Le Havre et Cherbourg. La politique tarifaire des compagnies de chemin de fer favorisait cette mutation. Le sel atlantique perdait aussi le marché intérieur, et les marais qui avaient longtemps occupé le littoral entre les estuaires de la Vilaine et de la Gironde disparaissaient rapidement, ne laissant que de rares vestiges à Guérande et dans les îles, de Noirmoutier à Ré et Oléron.
Le sel méditerranéen, éloigné et protégé par son isolement, demeurait compétitif avec le sel industriel. Un salin moderne, tel Salin-de-Giraud aménagé en Camargue pour approvisionner l’industrie chimique méridionale, produit 1 Mt de sel en utilisant une énergie solaire gratuite égale à 2 Mt équivalent-pétrole. Un salin fonctionne donc comme un gigantesque évaporateur solaire horizontal. L’industrie salinière brûle ces 2 Mt pétrole, sous forme d’électricité le plus souvent. Elle obtient ce résultat grâce à un effort constant d’innovation: on évapore aujourd’hui «en vase clos» et non plus «en poêle ouverte» et on installe en série plusieurs évaporateurs qui recyclent la vapeur et fonctionnent sous vide d’air pour produire, à des pressions décroissantes, le sel vacuum (tabl. 4).
La mécanisation a également été adoptée par les salins du Midi où les anciens travailleurs saisonniers ont cédé la place à quelques conducteurs d’engins. Aujourd’hui, au moment de la récolte, sur le salin travaillent des récolteurs colossaux capables de cueillir à l’heure 1 700 tonnes de sel que des convoyeurs à bande apportent vers des stations de lavage puis aux aires de stockage où sont édifiées de gigantesques camelles avant le transport vers les lieux de consommation. Les salins récoltant du sel solaire consomment aussi beaucoup d’énergie: pour le pompage par hydrovore d’énormes quantités d’eau en mer, pour faire tourner les moteurs de puissants engins de levage et de transport, pour laver, raffiner, sécher et conditionner un sel blanc fin de même qualité, couleur et grain que le sel industriel. La méthode industrielle (saline ignigène) consomme de vingt à trente fois plus d’équivalent-pétrole que le salin maritime, mais l’énormité même des productions, de l’ordre du million de tonnes par unité, protège la saline d’une concurrence ruineuse. La valeur marchande du produit est faible, le coût des transports protège chacun dans son secteur et incite les plus gros utilisateurs, l’industrie chimique, à localiser leurs activités à proximité des centres de production ou à faire l’économie de la transformation en sel pour utiliser directement saumures ou sels en dissolution puisés directement dans le sol.
2. Sel et régime alimentaire
Le sel est l’enjeu de débats, au premier rang desquels figure sa responsabilité comme facteur de l’hypertension artérielle. Philippe Meyer a décrit l’étendue des dommages causés par l’absorption de sel: les populations du nord du Japon consomment surtout du poisson séché et salé, «l’ingestion quotidienne moyenne de sel y atteint de 30 à 40 grammes, environ dix fois ce qui est indispensable à l’équilibre biologique», et on compte 40 p. 100 d’hypertendus. «À l’autre extrême se situent les populations à pression artérielle basse, dont l’alimentation très faible en sel correspond à peine à ce qui est nécessaire. Les ethnies primitives des zones tropicales (les pygmées de la forêt) vivent plus de cueillette que de chasse, elles ont une consommation de sel comprise entre 1 et 3 g et ne connaissent pas d’élévation de la pression artérielle. Avec une consommation moyenne de 10 g de sel par habitant et 15 p. 100 d’hypertendus, les États-Unis et les pays d’Europe du Nord se situent sensiblement au milieu de cette corrélation linéaire.» Le problème paraissait clairement posé, la réponse ne faisait guère de doute. Meyer indiquait aussi que la pression artérielle augmentait avec l’âge, ce qui pose le problème de l’espérance de vie des «ethnies primitives»; il écartait une statistique sur la pression artérielle anormalement élevée des contrôleurs aériens, qui augmentait encore en fonction de la surcharge du trafic aux abords de l’aéroport, statistique établie aux États-Unis en 1973 à partir d’une enquête de santé sur 12 760 cas – «les statistiques, souvent confinées à des chiffres restreints, et soumises ainsi aux impondérables du hasard, ne sont que des indications, non des certitudes» –, et il mettait enfin en évidence le rôle de l’hérédité dans l’hypertension artérielle, inscrite dans le patrimoine génétique de l’individu. Chez certains, «la pression artérielle reste strictement immuable en dépit d’énormes apports de sel». Les conclusions sont donc beaucoup moins assurées que ne le laissait entendre le titre du chapitre: «L’hypertension artérielle, maladie du sel», et son appareil statistique.
Bien entendu il n’est ni recommandé ni utile d’absorber de 30 à 40 g de sel journellement. Mais le problème posé est celui de la corrélation entre une prise quotidienne de 10 g et un pourcentage d’hypertendus qui s’élève à 15 p. 100 d’une population globale. Le rapprochement de ces deux moyennes pour établir une relation causale ne paraît pas fondé. En fait, avant de déterminer la responsabilité propre au sel, dont se trouve souligné le caractère biologiquement indispensable, il vaut mieux interroger le réel et mesurer la consommation journalière des populations des pays industrialisés, puisque Meyer avance que «l’excès de consommation alimentaire de sel a accompagné le développement industriel», ce qui est un paradoxe dans la mesure où ce développement a au contraire mis fin à un véritable monopole que le sel exerçait comme agent de conservation de la plupart des aliments d’origine animale, viande, poisson, laitages et œufs.
Le sel pris avec la nourriture quotidienne a plusieurs sources. Il est naturellement présent dans la viande, les légumes ou l’eau minérale, ou bien il a été ajouté au cours de la fabrication, lors de la cuisson ou dans l’assiette. Ensemble, ces trois sources peuvent apporter de 9 à 12 g de sel, mais on peut se demander s’il est légitime de les additionner, même dans la perspective de deux grands repas par jour, dans la mesure où la ménagère ne fait pas souvent cuire avec adjonction de sel, mais seulement chauffer sans le modifier un plat précuisiné. Tout le sel n’est pas ingéré par l’organisme, car, outre les usages non alimentaires du sel de cuisine, une partie en est jetée avec l’eau de cuisson ou éliminée avec la dessalaison de certains produits et la non-consommation des saumures de conservation. Au total, l’ingestion de sel ne dépasserait pas 8 g par jour chez l’homme adulte et 6 g pour la femme en Europe, certaines études abaissant encore ces chiffres.
L’ingestion de sel n’est pas essentiellement un fait culturel auquel se plierait l’homme pour répondre aux modes imposées par la vie en société. Les animaux sauvages sont aussi des consommateurs de sel. À quoi sert le sel dans l’organisme? Pourquoi éprouve-t-on une faim de sel, distincte du goût pour le salé? Le liquide interstitiel, extracellulaire, dans lequel baignent les cellules de l’organisme a une forte concentration en sel qui doit être maintenue car elle est indispensable à la vie. Deux mécanismes de contrôle veillent à son maintien: l’un, situé dans le cerveau, favorise l’appétit de sel en cas de déficit; l’autre, dans les reins, limite l’élimination du sel dans les urines en ajustant constamment l’excrétion urinaire saline aux exigences de l’organisme. Le déficit de sel, s’il se produit, à la suite d’une forte transpiration, par exemple lors d’un effort prolongé chez l’athlète ou le mineur de fond, peut provoquer différents malaises, une fatigue, des maux de tête, des crampes, des syncopes. Chez tous les vivants, les deux ions du NaCl ne sont pas moins indispensables, le chlore pour la sécrétion de l’acide chlorhydrique nécessaire à la digestion, le sodium pour les échanges isotoniques, le maintien de l’équilibre osmotique et, probablement, la transmission de l’influx nerveux. En fait, là est la difficulté: pour les contempteurs, l’abus serait un facteur d’hypertension à quoi d’autres répliquent que le déficit provoque à coup sûr une hypotension. L’une et l’autre sont préjudiciables à la santé. Les campagnes contre l’absorption de sel, amplifiées par les médias, ne seraient pas sans danger, et les régimes hyposodés quelquefois recommandés sans beaucoup de discernement présenteraient quelques graves inconvénients. Le sel est biologiquement indispensable, son excès ou sa carence sont également dommageables à l’organisme. Sur la nécessité biologique du sel était fondée l’existence de l’impôt passé à l’histoire sous le nom de gabelle.
3. L’impôt du sel (gabelle)
On suit le développement de l’impôt du sel depuis la plus haute antiquité. Dans le monde antique, exploitation et consommation du sel étaient déjà source de recettes fiscales, grâce auxquelles le légionnaire romain touchait sa solde en sel. C’était le salarium , devenu notre «salaire». L’État s’appropriait la production pour la distribuer ainsi. La monopolisation répondait au double souci de procurer au trésor public des recettes fiscales et d’organiser des approvisionnements réguliers au bénéfice de la population. L’État était dans l’obligation d’intervenir, car le sel, plus que le pain, était un produit de première nécessité, indispensable et non substituable. En 204 avant J.-C., les censeurs instituaient un impôt du sel à Rome et en Italie. Les particuliers pratiquaient des prix abusifs et l’État, soucieux du bien public, prenait sous son contrôle la question du sel.
La monnaie de sel
Le salarium impliquait remise d’un produit adapté à l’échange, c’était un paiement effectué à l’aide d’une marchandise grâce à laquelle les soldats acquéraient d’autres marchandises. Le sel du salaire avait donc les caractères d’une monnaie, commode et divisible en unités plus petites. Il assumait les formes et les fonctions de la monnaie. Ce n’était pas du troc, car avec le sel la conversion était générale; il fournissait un équivalent mesurant la valeur de toutes les marchandises.
En Afrique aussi, le sel a servi de mesure des échanges. Avec lui on obtenait sorgho, haricots, beurre et bananes. Pour les échanges, on le préparait en pains protégés par une enveloppe de feuilles, de bois ou de cuir. Plus on s’éloignait des salines, plus augmentait son prix. La valeur attachée au sel était grande. En Éthiopie, la barre de sel servait aussi à acquitter taxes et tributs. Avec l’usage, elle s’usait et perdait de sa valeur. Dépréciée, elle finissait comme sel alimentaire. On évitait l’inflation en retirant de la circulation ces fragiles lingots sujets à corrosion. Plus on s’éloignait, plus favorable au sel était le taux de change. On brisait alors la barre en morceaux «pour faire de la monnaie». Cette hausse de la valeur était due au surcoût du travail entraîné par le transport, les risques, les multiples prélèvements dont le sel était l’objet.
Dans la forêt, le sel obtenu de cendres végétales était un composant nécessaire du régime alimentaire. L’accès aux sources du sel et l’aptitude à le monopoliser engendraient richesse et pouvoir. L’or n’était pas une nécessité vitale, il n’avait pas de valeur intrinsèque pour les peuples noirs qui l’utilisaient surtout pour la parure et la bijouterie. Les Vakaranga des plateaux rhodésiens attribuaient à l’épuisement de leurs fournitures de sel leur migration du XVe siècle vers la vallée du Zambèze, qui les éloignait de 200 miles de leurs mines d’or. Dans les échanges, le sel était plus précieux que l’or. Selon certains auteurs arabes, les deux minéraux étaient échangés poids pour poids. Dans le Sahel, le sel du désert était échangé contre les céréales et les tissus de coton; plus au sud, contre l’or qui ensuite alimentait le commerce transsaharien vers la Méditerranée. Le sel permettait d’acquérir aussi les esclaves noirs, c’est-à-dire du travail que les maîtres du sel utilisaient à la mise en valeur agricole de leurs oasis. Dans toute l’Afrique, les décisions du pouvoir étaient souvent soumises à cette préoccupation majeure: comment s’emparer du sel?
En Chine, l’impôt du sel aurait été introduit dès les débuts du IIe millénaire. En 685 avant J.-C., le gouvernement aurait contrôlé la production et fixé un minimum de consommation pour chacun. L’historiographie lie aussi la distribution du sel et la création de papier-monnaie qui relève d’un attribut royal et d’un monopole d’État. À des marchands, ses créanciers, l’État remettait des billets qu’ils pouvaient échanger contre de la monnaie métallique, du thé ou du sel. Le système fonctionnait parce que l’État disposait là aussi du monopole du sel grâce à quoi il acquérait toutes sortes de marchandises, mais il engendrait aussi un marché libre du sel au bénéfice des marchands. L’accroissement des dépenses militaires et l’acheminement de vivres et de munitions sur les frontières du Nord multiplièrent les délivrances de billets. En 1048 on trouva commode d’unifier le système par l’indication d’une valeur unique sur le billet. Celui-ci ouvrit droit à l’achat de 200 livres de sel. Le poids de 200 livres figurant sur le billet constitua l’unité pondérale du commerce de gros. Le sel gageait la valeur de ces billets dont il aurait été imprudent d’émettre de grandes quantités. Il fallait à tout moment connaître l’état des stocks pour éviter la dépréciation des billets et la flambée des prix des produits livrés aux armées. Il revint à un entrepôt central d’imprimer les billets et de construire les greniers. Le système engendrait ses propres abus en fortifiant le pouvoir de la bureaucratie. Maintenir l’équilibre du marché et la valeur des billets imposait quelquefois de décréter l’achat forcé du sel par les familles. On instituait alors le sel d’impôt, proportionnel non aux besoins du consommateur mais aux capacités d’achat du contribuable. Les billets servaient aux transactions et ouvraient même un crédit à leurs titulaires dans les livres de l’entrepôt central. L’État, dès 1073, réglait le traitement des fonctionnaires, le prix d’achat des terrains, les dépenses de la cour impériale et les frais d’assistance aux plus miséreux avec des billets du sel.
L’État, le monopole et l’impôt du sel
Le cycle économique du sel a été organisé de multiples façons: le prélèvement se présente tantôt comme plus-value et profit commercial, tantôt comme impôt. Entre un régime libre sans impôt ni taxe et un monopole intégral où toutes les tâches, à chaque moment du cycle, sont accomplies par des agents de l’État, toutes les nuances sont possibles. Il suffit à l’État d’intervenir à l’une de ces étapes pour réaliser le monopole, même si toutes les autres opérations demeurent libres. L’intervention précoce de l’État était justifiée: il veillait à ce que tous reçoivent régulièrement ce produit indispensable, mais en contrepartie il demandait aux bénéficiaires de contribuer.
L’impôt reposait sur cette double justification: le service rendu et la contribution exigée. Les marchands et le marché auraient pu réguler les approvisionnements des consommateurs, mais les exemples abondent dès le Moyen Âge de spéculations marchandes fructueuses pour leurs auteurs, qui s’insèrent entre une production étroitement localisée, saisonnière, irrégulière, et une consommation générale et permanente. Sur un marché dont l’abondance n’était pas la caractéristique première, une des armes favorites des spéculateurs consistait à raréfier artificiellement la marchandise pour faire monter son cours. L’État ne s’est pas contenté d’intervenir en faveur de la liberté du commerce du sel, il a pratiqué une véritable politique annonaire, il a rempli les greniers publics par achat ou levée du tribut, il s’est chargé des approvisionnements urbains et militaires. Pour exécuter un tel service, il devait se ménager une possibilité d’intervention à l’une des étapes du cycle. Celle-ci acquise, il laissa l’initiative privée s’exercer librement à tous les autres stades.
Le «monopole» n’est pas un système où l’État accomplirait seul toutes les opérations, production, stockage, transport et distribution, en régie ou en adjudication. Généralement, l’intervention de l’État est restée partielle, localisée, mais ce caractère ponctuel lui permettait d’atteindre tous ses objectifs. Évidemment, il fallait choisir avec soin le point d’application de cette intervention pour lui conférer efficacité et rendement en évitant des investissements lourds dont l’État n’avait ni les moyens techniques ni les moyens financiers. Cela excluait trois stades du cycle, la production, le transport et la vente au détail, trois opérations qui exigeaient une main-d’œuvre nombreuse. La solution qui avait sa faveur était le stockage, une opération stratégique du cycle qui effaçait les ruptures entre la production, discontinue, et la consommation, permanente. Mais l’État pouvait utiliser le stockage à deux stades bien différents du cycle.
En France, pour des raisons historiques – parce que lors de l’institution de l’impôt l’Aquitaine productrice était anglaise –, la production de sel de l’Atlantique n’appartenait pas au roi, obligé de localiser son monopole à l’étape ultime de la distribution. Les autres provinces salinières, Lorraine et Franche-Comté, furent annexées bien plus tard, et la production demeura longtemps concentrée sur le littoral. À moins de disposer d’un «marché captif» à l’extérieur des frontières, il n’était pas possible d’instaurer le monopole du sel d’exportation, car les clients auraient gagné d’autres salines, même lointaines, où le coût d’achat augmenté du prix du fret serait resté inférieur au prix du monopole. Le client étranger échappait donc au monopole. François Ier et Henri II ne parvinrent pas à unifier les deux marchés intérieur et extérieur du sel en prélevant la gabelle dès la mise dans le commerce. Ils ne pouvaient taxer les clients étrangers et ils reculèrent devant l’insurrection des sauniers qui refusaient de payer l’impôt sur les marais.
Le système des «grandes gabelles» de la France du Nord, où l’impôt était prélevé au stade ultime de la distribution dans le public, réduisait au minimum la liberté et exigeait le déploiement de tout un appareil policier. Dans ce système, deux sels différents circulaient simultanément par deux itinéraires parallèles: le sel du commerce de gros, non encore imposé, gagnait les greniers par les rivières; celui de la vente au détail, imposé, rejoignait chaque foyer par chemins et sentiers. La difficulté consistait à interdire les versements directs du commerce de gros dans le ravitaillement des foyers. Au contraire, dans le régime des «petites gabelles» qui avait installé les greniers royaux à la sortie même des salins du Languedoc, l’État procédait à la réquisition de la production et l’imposait d’une taxe avant de la confier aux marchands qui opéraient dès lors sur un marché libéré des entraves d’une surveillance tracassière. Outre la diversité des régimes fiscaux (sel d’imposition, sel de vente volontaire, grande et petite gabelles, provinces exemptes, pays de salines, etc.) qui faisait dire à Necker que le système ne pouvait être réformé mais qu’il fallait le supprimer, la diversité extrême des prix introduisait entre les provinces une grande disparité qui était un perpétuel encouragement à la fraude. La gabelle, a-t-on souvent écrit, était plus odieuse dans son mode de perception que dans son montant même. L’arbitraire, la fouille, les perquisitions domiciliaires de jour comme de nuit, les embuscades tendues par les gabelous sur les chemins, la gravité des châtiments (la marque au fer rouge et l’envoi aux galères), tout était insupportable aux populations.
Les rois de France firent adjuger ensemble deux éléments de l’économie du sel, la livraison des greniers et l’impôt du roi prélevé au moment de la distribution du sel. Les fermiers qui remportaient le bail aux enchères cumulaient deux profits, le profit marchand de l’achat et le profit fiscal de la vente. Les fermes fonctionnaient avec un personnel nombreux directement rémunéré, une dépense à mettre en balance avec le coût qu’aurait exigé une administration d’État. Par la ferme, l’État se déchargeait de bon nombre de ses missions, vente de la marchandise, collecte de l’impôt, service de la dette publique, paiement des salaires de l’administration et des magistrats. Il était superflu de disposer d’un appareil d’État pléthorique, mais son substitut, fermiers, officiers et commis, échappait facilement à l’autorité royale. D’autant que ces mandataires du pouvoir avaient détourné l’impôt de sa mission originelle. Né comme impôt de guerre, extraordinaire, levé exceptionnellement, il était devenu ressource ordinaire et la vraie recette extraordinaire résidait dans la constitution de rentes et la vente d’offices gagés sur l’impôt. Comme la richesse naissait souvent du maniement des finances du roi, donc de la ferme des impôts, fermiers et financiers étaient aussi les prêteurs du roi. Ils s’enrichissaient par deux voies, par l’impôt et ses profits et par la rente. Le circuit était avantageux. Le fermier avançait au roi le montant de l’impôt et se remboursait directement par l’impôt d’avoir prêté au roi l’argent du roi.
Les guerres du sel
La guerre a joué un grand rôle dans le renforcement de l’État et dans l’aggravation de la pression fiscale par le moyen de l’impôt. Des guerres ont aussi eu le sel pour enjeu, entre Venise et ses voisines par exemple; le sel fut utilisé comme arme économique par l’État fournisseur qui organisait son blocus contre ses clients devenus ses ennemis, mais l’État client pouvait s’adresser à d’autres et prendre des mesures de rétorsion, en refusant de laisser passer les grains destinés aux populations du territoire ennemi. La chute des exportations des salines andalouses entre 1576 et 1578 s’explique ainsi par les événements des Pays-Bas où les Gueux, maîtres du littoral et de la mer, interdisaient l’arrivée du sel espagnol. Philippe II, à bout de ressources, cessa de solder ses troupes qui se mutinèrent. Depuis un siècle, la flotte hollandaise monopolisait les transports de sel atlantique vers les ports hollandais et hanséates par le détroit danois du Sund. L’interruption du trafic eut immédiatement des répercussions dans les lointaines salines atlantiques. Finalement, aux traités de Westphalie (1648), les belligérants s’accordèrent pour régler l’emploi dans les conflits du blocus du sel qui faisait tort à tous.
Au moment où la gabelle du sel tombait dans le discrédit en Europe même, les États européens l’introduisaient dans leurs empires coloniaux. Au Pérou, la population indienne des Campa, installée à l’est des Andes, vivait d’agriculture itinérante dans la forêt amazonienne. Le don avait chez eux une grande importance. Le cadeau le plus prisé était le sel. On allait le chercher, au prix de lourdes difficultés, dans la montagne, au Cerro de la Sal. Le conquérant espagnol, pour favoriser l’évangélisation des Indiens, autorisa en 1671 les franciscains à pénétrer en pays campa, mais la tentative échoua. Un frère conseilla aux autorités de procéder à l’occupation militaire du Cerro pour confier aux Espagnols l’exploitation du sel et sa livraison aux seuls Indiens munis d’un certificat de baptême délivré par les pères missionnaires. Il ne fut pas écouté.
En Chine, après la victoire anglaise dans la guerre de l’opium, le gouvernement dut affecter une part de l’impôt au service de la dette internationale du pays. Le vainqueur exigeait une lourde indemnité qui déséquilibra les finances du pays. D’autres défaites, devant la France et le Japon, entraînèrent d’autres exigences. La Chine contracta des emprunts à l’étranger, France et Russie. Les créanciers obtinrent l’assignation des revenus du sel à leur remboursement. Avec l’aggravation des difficultés financières, les puissances imposèrent au gouvernement chinois de renoncer à l’encaissement des recettes, directement transférées aux banques étrangères. En 1913, la Chine perdit l’administration de l’impôt confiée à des fonctionnaires français. Le surplus était remis au gouvernement chinois qui l’affectait au service de la dette publique intérieure. En 1933, les douanes rapportaient 316 millions de dollars, l’impôt du sel 184 millions et l’impôt foncier 90. La gabelle atteignait, on le voit, des taux insupportables.
En Inde, à leur arrivée, les Britanniques avaient trouvé une importante production du sel. Sur les terres salées de l’Orissa, les paysans pratiquaient une véritable monoculture commerciale qui trouvait ses débouchés au Bengale voisin, d’où les bateaux rentraient chargés de riz. Dès 1803, les Britanniques placèrent le sel sous leur monopole, mais, avec la révolution industrielle et l’expansion de la production du sel blanc, ils disposaient chez eux d’abondants surplus qu’ils mirent au service de leur stratégie commerciale. La structure des échanges entre l’Angleterre et sa colonie était déséquilibrée au bénéfice de cette dernière. Aux navires quittant Liverpool avec des produits finis légers comme les cotonnades, il fallait du lest. Le sel ferait parfaitement l’affaire. À Calcutta, le sel de Liverpool arrivait moins cher que celui des sampans de l’Orissa. Plus il entrait de sel anglais, plus s’effondrait la production locale. Dès la fin des années 1880, même les ports de l’Orissa importaient du sel anglais. Au moment où ils renonçaient à lever chez eux un impôt sur le sel, les Anglais en transféraient massivement la charge dans leur colonie. En 1864, l’impôt atteignait en Inde 2 000 p. 100 de la valeur initiale de la marchandise, niveau caractéristique des gabelles du sel. La gabelle finançait le déficit budgétaire du Royaume-Uni, mais le prix payé par les Indiens était trop lourd. Leurs leaders mesurèrent combien le sel était au cœur de la politique britannique et en 1930 Gandhi donnait le signal de la campagne satiagrah de désobéissance aux lois anglaises sur le sel, en allant ramasser sur les plages le sel qui s’y formait spontanément. L’année suivante, vainqueur, il signait avec le vice-roi un accord qui instaurait dans l’Inde la liberté de production du sel.
4. L’économie du sel à la fin du XXe siècle
Le sel est l’un des rares produits dont le monde risque le moins de manquer au cours des millénaires à venir, sous ses deux formes, sel gemme, dont il existe des réserves considérables, et sel marin, pratiquement inépuisable. La capacité de production installée (tabl. 5) est nettement supérieure aux besoins, en particulier dans les pays développés.
La capacité, 208 Mt en 1985, excède de 18,4 p. 100 une production réduite à 170 Mt. L’ensemble des pays capitalistes produit 123 548 kt, les pays socialistes 46 722 kt (tabl. 6). La production de sel sous toutes ses formes, malgré les conditions offertes à l’évaporation solaire en pays tropical aride, demeure concentrée dans les pays développés de l’hémisphère Nord. L’essentiel de la production vient de l’exploitation du sel gemme, sous ses deux formes, solide ou liquéfiée.
Malgré le développement récent de la production australienne, sous l’effet notamment de la forte demande du Japon et de l’Asie du Sud-Est, les continents de l’hémisphère Sud (Amérique du Sud, Afrique et Océanie) ont une capacité de production inférieure à 10 p. 100 du total mondial; l’Asie, malgré son poids démographique et l’importance des productions en Chine et en Inde, dépasse à peine les 20 p. 100, et la production y est surtout orientée vers la satisfaction des besoins alimentaires humains. L’Europe (U.R.S.S. comprise) et l’Amérique du Nord (avec le Mexique) monopolisent 70 p. 100 de la capacité mondiale (tabl. 5). Le critère statistique retenu illustre la supériorité des pays industriels qui exploitent le sel pour répondre surtout aux besoins de l’industrie chimique. Les États-Unis disposent à eux seuls de 45 Mt ou 21,75 p. 100 de la capacité mondiale. Ils sont suivis par l’U.R.S.S., l’Allemagne fédérale, le Canada, la France et le Royaume-Uni, c’est-à-dire cinq des sept pays les plus riches du monde, l’Italie n’est pas loin dans ce classement où seul en réalité manque le Japon, pays dépourvu de richesse minérale. La plupart de ces pays, à cause de leur situation, de leur manque d’accès à des rivages chauds et ensoleillés, ou du manque d’espace adapté et plat sur leur littoral, exploitent uniquement du sel terrestre. Font exception la France (tabl. 7), l’Italie, et les États-Unis pour une très faible part de leur production (environ 1,8 Mt). On n’a pas le détail des productions soviétiques de sel marin sur les bords de la mer Caspienne ou de la mer Noire.
Très rares sont les pays totalement dépourvus de sel, comme, en Europe, la Tchécoslovaquie, qui a choisi de fermer son unique saline, et les pays scandinaves, Norvège, Suède et Finlande. Les pays à régime pluviométrique équatorial du golfe de Guinée et du bassin du Congo, en Afrique, et le bassin de l’Amazone, en Amérique, manquent de sel, à cause de l’isolement, de la saturation de l’air en vapeur d’eau, du profil du littoral qui ne se prête pas à l’installation de salins, de l’absence de richesses minérales dans le sous-sol. Dans les conditions actuelles d’exploitation, le sel de mer, gros dévoreur d’espace, très exigeant quant aux conditions offertes par la nature, a cédé la première place, malgré son coût d’exploitation quatre fois inférieur, au sel terrestre (tabl. 8). En 1980, la production mondiale de sel marin atteignait 61 Mt, le sel terrestre, solide ou en dissolution, 118 Mt. En 1978, on recensait à la surface du globe quatre-vingt-neuf pays produisant du sel: quatre dépassaient les 10 Mt par an, seize le million de tonnes annuel (tabl. 9), trente-six encore avaient une production comprise entre 100 kt et 1 Mt.
Les milieux saliniers ne confondent pas, dans les statistiques, les sels cristallisés et les sels en dissolution, pour une raison bien compréhensible. Le sel en dissolution est produit directement par l’industrie chimique pour ses propres besoins. Il ne crée ni industrie du sel ni saline, et les saliniers voient en lui, à juste raison, une concurrence dangereuse pour leurs propres produits. Seule la finalité industrielle du sel en dissolution et sa transformation en chlore et soude obligent à lui faire une place si on veut avoir une idée précise de la puissance de l’industrie chimique fondée sur le sel, qui occupe le premier rang mondial dans le secteur de la chimie minérale.
Dans les pays industriels qui se sont dotés d’une industrie chimique minérale, la production de sel en dissolution représente souvent plus de la moitié de la production totale (tabl. 10). C’est une saumure saturée extraite du sous-sol par sondages et traitée directement par électrolyse dans des cellules à diaphragme, qui ont souvent remplacé les anciennes cellules à cathode de mercure qui utilisaient du sel cristallisé. De nouvelles cellules à membrane pourraient renverser la tendance en utilisant des sels cristallisés, mais les coûts différentiels entre les deux sels sont tels qu’on ne voit pas comment ces cellules pourraient durablement imposer l’utilisation de sels cristallisés.
L’économie du sel reste dominée par le coût de l’énergie au stade de la production de sel ignigène et par le coût des transports au stade des livraisons au commerce. Le sel présente tous les caractères d’une marchandise pondéreuse, par la faiblesse de ses coûts de production, par sa localisation sur les gisements exploitables, par son utilisation massive et généralisée dans le monde. Ces trois caractéristiques montrent toute l’importance du transport depuis les lieux de production vers les grands centres de consommation. Pour ne pas grever trop lourdement les prix, les transports sont surtout régionaux. De nombreux pays sont ainsi exportateurs vers leurs voisins immédiats, par exemple la Lorraine vers l’Allemagne du Sud-Ouest, et importateurs dans d’autres secteurs régionaux, ainsi le Nord vis-à-vis du Benelux. La France a, en 1986, exporté 747 kt vers l’Italie, le Brésil, la R.F.A. et le Benelux, elle a importé 154 kt du Benelux, de R.F.A. et d’Italie. Les exportations vers le Brésil étaient de caractère conjoncturel, dues à de fortes pluies et à des inondations qui avaient entravé la production sur la côte du Nordeste.
Le grand commerce international du sel intéresse surtout trois grands ensembles économiques, mais un quatrième groupe régional pourrait se joindre à eux (tabl. 11). Les États-Unis sont parmi les plus gros importateurs, pour répondre aux besoins de leur industrie chimique à moindres coûts en évitant de très longs transports continentaux ou le détour par le canal de Panamá. Ils s’adressent à leurs voisins, le Canada et le Mexique pour approvisionner leur côte ouest, les Antilles néerlandaises pour la côte est. L’autre gros importateur est le Japon qui, à la différence des États-Unis, n’est pas producteur, même s’il obtient, à très hauts coûts et pour des objectifs d’indépendance alimentaire, des récoltes de sel marin sur les rivages de sa mer Intérieure. Le Japon fait venir son sel, sur de gros minéraliers d’un port supérieur à 100 000 t, de pays qui se sont donné une puissante industrie du sel marin pour répondre à sa demande, le Mexique au fond du golfe de Californie et l’Australie, mais il s’adresse sans discrimination à tous les pays disposant d’excédents, de la Chine à la Tunisie. L’industrialisation récente de l’Asie du Sud-Est a développé les utilisations du sel dans de nombreux pays où le régime des moussons peut être une entrave à l’évaporation indispensable à la production de sel marin. La Scandinavie est en Europe le seul grand marché importateur, bien placé pour recevoir par mer des sels de ses voisins, Pologne, Angleterre, Pays-Bas et des pays méditerranéens. En Afrique noire où les besoins humains ou animaux sont considérables, le seul gros importateur est le Nigeria densément peuplé.
Le tableau de la répartition de la consommation française en 1987 met en évidence que dans les pays développés/industrialisés le sel a cessé d’être d’abord une denrée alimentaire (tabl. 12). La consommation humaine de sel alimentaire représente moins de 6 p. 100 de l’ensemble des utilisations, la consommation animale seulement 2,35 p. 100. Le sel défini comme apport de sodium et de chlore à l’organisme vivant et comme agent de sapidité et de conservation n’a plus qu’un rôle économique modeste, eu égard aux quantités mises sur le marché, mais biologiquement indispensable.
Les industries diverses, sans le secteur agro-alimentaire, gros utilisateur (biscuiterie, charcuterie, fromagerie), utilisent le sel à des activités diverses: l’adoucissement des eaux pour éliminer les éléments incrustants et entartrants, dans les adoucisseurs domestiques et les lave-vaisselle, et aussi dans de nombreux traitements industriels où on cherche à éviter le dépôt de calcaire dans les conduites, comme la «décalcarisation» des jus sucrés de betteraves concentrés par chauffage et qui donnent ainsi un meilleur rendement en sucre; la conservation des cuirs et peaux par déshydratation osmotique qui empêche la prolifération bactérienne et la putréfaction; la cémentation et la trempe des métaux; l’affinage de l’aluminium en deuxième fusion; la galvanoplastie; le vernissage des grès et céramiques; le compactage physico-chimique des chaussées; la fabrication d’explosifs de sûreté destinés aux mines grisouteuses ou poussiéreuses. L’ensemble de ces activités consomme 6,5 p. 100 du sel utilisé en France.
Le gros utilisateur, qui en faisant les gros tonnages donne à l’industrie salinière sa très grande sensibilité conjoncturelle, est le déneigement. Les hivers froids, rigoureux, glacés et fortement enneigés de 1985, 1986 et 1987, ont exigé régulièrement plus d’un million de tonnes de sel épandu sur les routes, la tiédeur de l’hiver 1988 risque de laisser l’industrie avec des excédents considérables qui ralentiront fortement l’activité extractive pendant les années à venir. Les sels ont un usage plus ou moins spécialisé. Les impuretés du sel gemme simplement concassé au sortir de la mine ou du sel thermique, sous-produit de l’extraction de la potasse dans les mines d’Alsace, destinent ces deux productions prioritairement au déneigement ou au déglaçage. Le coût élevé du sel ignigène ou raffiné exclut au contraire une telle utilisation et l’oriente vers l’alimentation, à cause de son prix, ou vers la chimie, pour sa pureté. Le sel marin récolté principalement sur les rivages camargais, protégé dans le midi de la France, par le coût des transports, doit à la géographie d’être un sel non spécialisé et destiné à tous les usages.
De 1970 à 1986, la tendance avait d’abord été, dans l’industrie française, à une vigou reuse expansion jusqu’en 1980, puis à une crise très nette qui avait duré trois ans (1981-1983), suivie d’une belle reprise qui commence à s’essouffler en 1986. Sur une base 100 en 1970, après des productions record en 1984 et 1985, les indices de 1986 marquent un recul surtout sensible pour les sels industriels (sels ignigènes, sous-produits des mines domaniales de potasse d’Alsace, M.D.P.A.) et les sels en dissolution destinés à l’industrie. Sel gemme et sels marins ont poursuivi leur expansion.
Cependant, l’industrie salinière semble à la veille de graves difficultés qu’elle n’a pas elle-même créées et qu’elle ne pourra pas surmonter sans solutions drastiques qui se traduiraient par la fermeture de sites et par des licenciements. Le principal facteur de déséquilibre est introduit, accessoirement par les intempéries, principalement par le sel extrait des M.D.P.A. On a longtemps déversé ce sel dans le Rhin, mais la convention de Bonn passée par les États riverains pour diminuer la proportion de chlorures dans les eaux du fleuve oblige à restreindre progressivement ces rejets jusqu’à les interdire à partir de janvier 1989. On a envisagé plusieurs solutions, dont l’injection du sel dans le sous-sol sur le site de Reiningue et une augmentation de 200 kt de la capacité de fabrication de sel de déneigement avec stockage provisoire sur le carreau des mines à Wittelsheim. Cette seconde solution n’exclut pas un rejet des surplus dans la mer du Nord par voie ferrée ou en Méditerranée par saumoduc utilisant un oléoduc déclassé. Une saline qui valoriserait le produit pour sa commercialisation, outre le coût de l’investissement et la surcapacité de l’outillage français, conduirait à une surproduction qui déboucherait sur la crise des installations lorraines.
sel [ sɛl ] n. m.
• v. 1150; lat. sal; cf. salade, saucisse, saumure, saupoudrer
A ♦ Cour.
1 ♦ Substance blanche, friable, soluble dans l'eau, d'un goût piquant, et qui sert à l'assaisonnement et à la conservation des aliments. Le sel commun, ordinaire, est du chlorure de sodium plus ou moins pur. Cristaux de sel. ⇒ trémie. Récolte du sel marin, dans les marais salants (⇒ salin, saline) . Extraction du sel gemme dans les mines de sel. Grenier à sel. — Sel gris ou de cuisine. « un villageois a économisé sur le sel de sa soupe pour saler un porc et manger un peu de viande » (Taine). — Sel fin ou de table, produit par évaporation des saumures. GROS SEL : sel en cristaux assez gros. (En appos.) Gros sel, se dit d'une viande cuite dans son bouillon et servie avec du gros sel. Bœuf gros sel. — À la croque au sel. — Grain de sel. Pincée de sel. Mettre du sel. ⇒ saler. Plat qui manque de sel. Régime sans sel (⇒ hyposodé) . — Ancien impôt sur le sel. ⇒ gabelle. Loc. bibl. Être changé en statue de sel : être pétrifié, médusé. Le sel de la terre : l'élément actif, vivant, l'élite. — Poivre et sel.
♢ (par anal. de fonction) Sel de céleri.
2 ♦ Fig. Ce qui donne du piquant, de l'intérêt. « L'estime pour l'ennemi est le sel de la guerre » (Alain). — Spécialt Ce qui donne un intérêt vif et piquant aux discours, aux ouvrages de l'esprit. Les anciens « appelaient sel, par métaphore, les traits d'esprit » (France). ⇒ esprit, finesse, gaieté, piment, 2. piquant. Une plaisanterie pleine de sel. ⇒ spirituel. Cela ne manque pas de sel. Sel attique. Ajouter, mettre son grain de sel.
B ♦ Sc.
1 ♦ (XVIe) Hist. Sc. Un des éléments (avec le soufre, le mercure), dans la doctrine de Paracelse. Les acides, les alcalis et les sels. — Solide soluble et ininflammable ressemblant au sel (A) en ce qu'il est produit par une évaporation de liquide. La chimie du XVIII e siècle distingue les sels acides, alcalins et neutres.
♢ Mod. Sels médicinaux. Sels de bain. Sel d'Epsom, d'Angleterre, de Sedlitz, ou sel de magnésie : sulfate de magnésium. Sel de Glauber : sulfate de sodium. Sel d'oseille : oxalate acide de potassium. Sel de Vichy : bicarbonate de sodium. — Sel volatil ou sels anglais : carbonate d'ammonium officinal. Absolt Respirer des sels. — Esprit de sel.
2 ♦ (fin XVIIIe) Chim. Composé chimique dans lequel l'hydrogène d'un acide a été (en totalité ou en partie) remplacé par un métal. Les sels se forment par action des acides (ou des anhydrides d'acides) sur les bases (ou les oxydes métalliques); par action des acides sur les métaux, etc.— Les sels portent des noms dérivés de ceux des acides, suivis du nom du métal (ex. chlorure [ClNa], hypochlorite [ClONa], chlorite [ClO2Na], chlorate [ClO3Na], perchlorate [ClO4Na] de sodium).— Sels minéraux ( ex. calcium, fer, potassium...). Sel acide, dans lequel une partie seulement de l'hydrogène de l'acide a été remplacée par un métal (ex. bicarbonate de sodium [NaHCO3]). Sel basique. Sels d'argent, d'or.
♢ Physiol. Sels biliaires, contenus dans la bile, qui favorisent l'émulsion des graisses et activent la lipase pancréatique.
⊗ HOM. Celle (celui), selle.
● sel nom masculin (latin sal, salis) Substance cristallisée, friable, soluble dans l'eau, d'un goût piquant, d'un emploi universel pour l'assaisonnement. Ce qu'il y a de finement spirituel dans un propos, un écrit, un geste, une situation, ou ce qui augmente vivement leur intérêt : Plaisanterie pleine de sel. Chimie Corps pur, de structure ionique, résultant de l'action d'un acide ou d'un oxyde basique sur une base ou un oxyde basique, ou encore de l'action d'un acide ou d'une base sur un métal. Pharmacie Nom donné à certains corps utilisés en thérapeutique, à cause de leur ressemblance avec le sel ordinaire (par exemple le sel de Glauber ou de Lorraine [sulfate de soude], le sel d'Epsom ou d'Angleterre [sulfate de magnésium], le sel de Vichy [bicarbonate de sodium]). ● sel (citations) nom masculin (latin sal, salis) Marie-René Alexis Saint-Leger Leger, dit, en diplomatie, Alexis Leger, et, en littérature Saint-John Perse Pointe-à-Pitre 1887-Giens, Var, 1975 Au délice du sel sont toutes lances de l'esprit… J'aviverai du sel les bouches mortes du désir ! Anabase Gallimard Bible Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi va-t-on le saler ? Évangile selon saint Matthieu, V, 13 ● sel (expressions) nom masculin (latin sal, salis) Gros sel ou sel gris, sel en gros cristaux, utilisé en cuisine. Sel fin, sel raffiné se présentant sous la forme d'une poudre blanche, utilisé pour la table. Littéraire. Le sel de la terre, l'élément actif, l'élite, les meilleurs d'un groupe. (Au) gros sel, se dit d'une viande cuite dans son bouillon et servie parsemée de gros sel. Sel gemme, chlorure de sodium (NaCl), du système cubique, existant dans les dépôts sédimentaires et en efflorescence dans les régions arides. ● sel (homonymes) nom masculin (latin sal, salis) cèle forme conjuguée du verbe celer cèlent forme conjuguée du verbe celer cèles forme conjuguée du verbe celer celle pronom démonstratif scelle forme conjuguée du verbe sceller scellent forme conjuguée du verbe sceller scelles forme conjuguée du verbe sceller selle nom féminin selle nom masculin selle forme conjuguée du verbe seller sellent forme conjuguée du verbe seller selles forme conjuguée du verbe seller ● sel (synonymes) nom masculin (latin sal, salis) Ce qu'il y a de finement spirituel dans un propos...
Synonymes :
- esprit
- humour
- piment
- piquant
Géologie. Sel gemme
Synonymes :
- halite
sel
n. m.
rI./r Cour.
d1./d Substance cristallisée, blanche, d'origine marine, ou terrestre (sel gemme), constituée de chlorure de sodium, de saveur piquante, utilisée pour assaisonner ou conserver les aliments. Gros sel. Sel fin ou sel de table.
|| (Afr. subsah.) Sel végétal: potasse (sens 3).
d2./d Fig. Ce qu'il y a de piquant ou de spirituel dans une situation, un propos, un récit, etc. Le sel d'une anecdote.
rII./r
d1./d Vx Tout corps cristallin soluble dans l'eau.
|| Loc. mod. Sel ammoniac: chlorure d'ammonium.
— Sel d'Angleterre ou de magnésie: sulfate de magnésium.
— Sel de Glauber: sulfate de sodium.
— Sel de Vichy: bicarbonate de sodium.
— Sels pour solution de réhydratation orale.
— Sels de bain: cristaux parfumés qu'on dissout dans l'eau du bain.
d2./d CHIM Composé provenant du remplacement d'un ou de plusieurs atomes d'hydrogène d'un acide par un ou plusieurs atomes d'un métal.
⇒SEL, subst. masc.
A. — 1. Substance de saveur piquante, extraite de la mer, de certaines sources, ou de mines, formée de cristaux blanchâtres, friables et solubles dans l'eau, jouant un rôle essentiel dans l'équilibre physiologique de l'organisme, et que l'on utilise notamment dans l'industrie chimique et dans l'alimentation (pour l'assaisonnement et la conservation des aliments). Synon. (chim.) chlorure de sodium.
a) [Provenance, production, commerce du sel] Sel gemme, marin, de saumure; camelle, dôme, meulon de sel (dans les marais salants); gisement, pilier de sel (dans les mines de sel); extraction, récolte du sel; broyage, criblage, épuration, purification, séchage du sel; sel brut, fin, raffiné; sel iodé. Les conditions de travail dans les mines de sel sont donc toutes différentes de celles des mines de charbon. Les chantiers sont spacieux et bien aérés. La température est modérée et constante (...). Tous les travaux se font dans le minerai lui-même (STOCKER, Sel, 1949, p. 49). V. saline ex. 1:
• 1. ... aux mines de sel de Salzbourg, on jette, dans les profondeurs abandonnées de la mine, un rameau d'arbre effeuillé par l'hiver; deux ou trois mois après on le retire couvert de cristallisations brillantes: les plus petites branches (...) sont garnies d'une infinité de diamants, mobiles et éblouissants...
STENDHAL, Amour, 1822, p. 8.
♦ Sel de flamme. Sel obtenu par la fusion du sel gemme ou ignigène. Le procédé de raffinage par fusion part du sel gemme abattu dans les mines, d'un prix de revient quinze fois plus élevé. Le sel de flamme obtenu est un sel sec qui n'a pas tendance à reprendre l'humidité (STOCKER, Sel, 1949, p. 70).
♦ Sel ignigène.
♦ Route du sel. On a pu retrouver ces routes du sel, au même titre que les routes de l'ambre, de l'étain, de la soie. Un certain nombre subsistent (...) à ce jour et continuent à être parcourues par les caravanes (A. COLAS, Le Sel, Paris, P.U.F., 1985, p. 17).
b) [Aspect, caractéristiques du sel] Sel gris; sel cristallisé; cristaux, grain de sel; croûte, dépôt, pain de sel. Sur la table nue de la cuisine, Julia a préparé le tas de gros sel: ce tas tout blanc, tout sec, tout vivant de sa sécheresse et de son esprit. On en lavera l'enfant nouveau, tout à l'heure (GIONO, Gd troupeau, 1931, p. 261). Supra ex. 1.
♦ Crépitation du sel.
c) [Utilisations du sel] Sel alimentaire, industriel; sel de cuisine, de table; boîte, coffre à sel; grain, pincée, poignée de sel; régime pauvre en sel, sans sel; sel à lécher (pour le bétail); sel dénaturé (pour le désherbage), de déneigement (pour assurer la viabilité des routes en hiver); sel régénérant (pour lave-vaisselle et adoucisseurs d'eau). Et les poissons (...) de roussir au dehors, de blanchir au dedans, et nous de courir à table, afin de les recevoir brûlants, en pyramides, garnis de persil frit aussi et saupoudrés de sel (PESQUIDOUX, Chez nous, 1923, p. 243). C'est vrai qu'en raison du froid intense la neige a « tenu » plus longtemps que d'habitude et que les milliers de tonnes de sel balancées dans les rues mercredi, jeudi et vendredi, ont été inefficaces (Le Canard enchaîné, 21 janv. 1987, p. 4, col. 3).
— [Modes de préparation alimentaire]
♦ Gros sel ou, vieilli, au gros sel. [En parlant d'une viande] Qui est cuit(e) et servie dans son bouillon, puis assaisonné(e) de sel en gros cristaux. Bœuf, volaille (au) gros sel. J'avais eu pour voisin quelques secondes un dîneur à pardessus qui réclamait toujours du bœuf gros sel et du bœuf gros poivre (GIRAUDOUX, Siegfried et Lim., 1922, p. 23).
♦ À la croque au sel; à la sel-et-eau (région., Canada). Sans autre assaisonnement que le sel. Moi puis Mathilde, on s'est-il nourri longtemps rien que de poisson à la sel-et-eau (GUÈVREMONT, Survenant, 1945, p. 200).
♦ D'un bon sel (vieilli). Salé à point. Potages (...) à la d'Artois (...) ayez soin que votre purée soit d'un bon sel (VIARD, Cuisin. impérial, 1814, p. 9).
— Loc. fig.
♦ Grain de sel.
♦ Mettre un grain de sel sur la queue d'un oiseau.
♦ Mettre son grain de sel (dans une conversation,...).
♦ Poivre et sel.
♦ Loc. proverbiale. Ils ne mangeront point un minot de sel ensemble. V. minot1.
d) HIST. FISCALE. [Le sel comme objet d'imposition sous l'Ancien Régime (et encore actuellement dans certains pays, Italie p. ex.)] Impôt sur le sel (v. gabelle, salage); droits, taxes sur le sel; monopole du sel; sel de contrebande; fraude sur le sel; ferme du sel; magasin à sel. Mais où l'impôt déploie toute sa force, c'est quand la denrée est bien nécessaire et qu'elle coûte bien peu, comme par exemple, le sel. Là tout est profit jusqu'au dernier écu des consommateurs (DESTUTT DE TR., Comment. sur Espr. des lois, 1807, p. 268). Non seulement il fallait acheter le sel au bureau de la gabelle, beaucoup plus qu'il ne valait, mais il fallait en acheter tant par tête et par semaine (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 1, 1870, p. 64).
♦ Sel du/de devoir. L'une des plus terribles de ces servitudes fiscales était le devoir du sel: chaque habitant âgé d'au moins huit ans était tenu d'acheter dans un grenier déterminé et à une époque déterminée une certaine quantité de sel quels que fussent ses besoins ou ses facultés. Ce sel de devoir était réservé pour le pot et la salière, c'est-à-dire à l'usage de la table et de la cuisine, et ne pouvait servir pour les grosses salaisons (STOCKER, Sel, 1949, p. 99).
♦ Faux sel. V. faux1 I B 2 b. Grenier à sel.
e) [Symbolisme du sel] Ils s'alignent, se prennent tous la main, et balançant leurs bras, ils disent: par le sel, par l'eau, par la terre, par le ciel, par l'air et par le vent (FLAUB., Tentation, 1849, p. 268). Lorsque la lune des semailles se promenait dans le ciel, ils répandaient le sel, par poignées, sur un grand brasier. La pluie ne tardait pas à tomber, car, de tout temps, le sel attire l'eau, — qu'il aime (MARAN, Batouala, 1921, p. 144).
— [Symbole de vie, de lumière] Sel du baptême, de la sagesse; sel purificateur. Il leur enseigna l'Évangile. Et, après les avoir instruits, il les baptisa par le sel et par l'eau (FRANCE, Île ping., 1908, p. 22). Le Lévitique nous recommande, en outre, tout ce qui fera partie de notre sacrifice, de le saupoudrer de sel, de l'imprégner de cette saveur que lui donne la Sagesse (CLAUDEL, Fig. et parab., 1936, p. 89).
♦ Être le sel de la terre. [P. allus. à l'appellation donnée par Jésus à ses disciples] Représenter l'intégrité, la pureté originelles; p. ext., appartenir à l'élite morale. L'enfance est le sel de la terre. Qu'elle s'affadisse, et le monde ne sera bientôt que pourriture et gangrène (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p. 1492).
— [Symbole d'alliance, d'amitié et d'hospitalité] Alliance du sel; offrir le pain et le sel. Le goût du sel est le goût même de notre intime existence; aussi voyons-nous que le sel figure dans les sacrifices et dans les fêtes de l'amitié (ALAIN, Propos, 1924, p. 634):
• 2. ... il y a une touchante coutume arabe qui fait amis éternellement ceux qui ont partagé le pain et le sel sous le même toit. — Je la connais, madame, répondit le comte; mais nous sommes en France, et non en Arabie, et en France il n'y a pas plus d'amitiés éternelles que de partage du sel et du pain.
DUMAS père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 155.
— [Symbole néfaste de destruction, de vengeance]
♦ Renverser du sel à table. [Présage de malheur chez les pers. superstitieuses]
♦ Répandre, semer du sel. [Gage de stérilité] Labourez leurs ruines avec le soc de votre satire; semez le sel dans ce champ pour le rendre stérile, afin qu'il ne puisse y germer de nouveau aucune bassesse (CHATEAUBR., Mém., t. 4, 1848, p. 46).
♦ Être changé en statue de sel. [P. allus. à la femme de Loth qui fut changée en statue de sel en punition de sa curiosité] Qu'il affronte maintenant (...) le destin qui n'eut pas la miséricorde de le changer en statue de sel, celui dont les yeux se sont ouverts sur ce qu'ils ne devaient pas voir (GRACQ, Argol, 1938, p. 132).
f) P. anal. (de fonction). Sel de céleri. Condiment préparé avec du céleri séché et pulvérisé. (Dict. XXe s.). Sel de régime. Sel sans sodium donné aux sujets soumis à un régime sans sel (Dict. XXe s.).
2. Au fig. Ce qui donne de l'intérêt, de la saveur (à quelque chose). Synon. piment, piquant. Spectacle qui ne manque pas de sel. Bah! mon fils, un peu de morale ne gâte rien. C'est le sel de la vie pour nous autres, comme le vice pour les dévots (BALZAC, Splend. et mis., 1844, p. 239). Sans doute n'y aurions-nous passé qu'une heure ou deux si nous n'y avions fait une de ces rencontres qui sont le sel du voyage (T'SERSTEVENS, Itinér. esp., 1963, p. 268).
— En partic. Ce qui rend spirituel un propos, un écrit. Sel d'une plaisanterie, d'un récit. Quand notre héros entendit cette harangue, empreinte d'un sel si profondément comique, il eut de la peine à conserver le sérieux sur la rudesse de ses traits hâlés. Mais, enfin, chacun ne sera pas étonné si j'ajoute qu'il finit par éclater de rire (LAUTRÉAM., Chants Maldoror, 1869, p. 347). Voilà de ces terribles histoires, dont le sel est bien anglais; cette froide plaisanterie glace comme une douche, et laisse une trace brûlante (ALAIN, Propos, 1907, p. 23). V. affadir ex. 15.
♦ Sel attique.
♦ Sel gaulois. Caractère leste, grivois d'un texte, d'un discours. On lui avait traduit les anecdotes de Morlebaix. Il en avait goûté le sel gaulois (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 238).
♦ Gros sel. Manque de finesse, de délicatesse d'un propos, d'une plaisanterie. Plaute dont le jargon plein de néologismes, de mots composés, de diminutifs, pouvait lui plaire, mais dont le bas comique et le gros sel lui répugnaient (HUYSMANS, À rebours, 1884, p. 39).
B. — P. anal. (d'aspect), CHIM.
1. Vx. [Dans une accept. large, jusqu'au XVIIIe s.] Tout corps cristallin, soluble et ininflammable. Les sels cristallisables ne se comportent point, dans le rapprochement de leurs molécules élémentaires, comme les corps bruts soumis aux seules lois de l'attraction, ni comme les fluides (CABANIS, Rapp. phys. et mor., t. 2, 1808, p. 255).
— P. métaph. L'on apercevait (...) les dépravations les plus outrées de la langue sommée dans ses derniers refus de contenir, d'enrober les sels effervescents des sensations et des idées (HUYSMANS, À rebours, 1884, p. 245).
— En partic.
a) [Dans des syntagmes ou loc. nom. relevant gén. de l'alchim., de la chim. anc. et de la pharm.]
♦ Esprit(-)de(-)sel. V. esprit 1re Section II A 2.
♦ Sel admirable, sel de Glauber. Sulfate de soude. Le sel de Glauber cristallisé, affirme Lavoisier, n'attire pas les molécules de sel de Glauber dissous et ne les force pas à cristalliser par sa seule présence (METZGER, Genèse sc. cristaux, 1918, p. 176).
♦ Sel d'Alembroth, sel de sagesse. Chlorure double de mercure et d'ammoniaque. Le mercure philosophique ou sel de sagesse (FULCANELLI, Demeures philosophales, t. 2, 1929, p. 205). Le chlorure double d'ammonium et de mercure (...) ou sel d'Alembroth se dissout (...) dans l'eau distillée (LEBEAU, COURTOIS, Pharm. chim., t. 1, 1929, p. 361).
♦ Sel ammoniac.
♦ Sel arsenical.
♦ Sel d'Epsom ou sel de Sedlitz. Sulfate de magnésium. Le séné balaie l'estomac, la rhubarbe nettoie le duodénum, le sel d'Epsom ramone les intestins (HUGO, Rhin, 1842, p. 219).
♦ Sel de nitre.
♦ Sel (essentiel) d'oseille.
♦ Sel phosphorique, de phosphore. Phosphate de sodium et d'ammonium. L'or pur demeure sans altération dans le sel de phosphore et la perle reste transparente (LAPPARENT, Minér., 1899, p. 617).
♦ Sel de Saturne. ,,Acétate neutre de plomb, Acétate de plomb cristallisé`` (Codex, 1908, p. 487). Synon. sucre de Saturne.
♦ Sel de Seignette. Tartrate double de sodium et de potassium. Les urines deviennent alcalines. Cette circonstance peut induire en erreur quand on met les chevaux au vert ou quand on administre du sel de Seignette (Cl. BERNARD, Notes, 1860, p. 47).
♦ Sel de tartre. Carbonate de potassium. Sel de tartre. On l'obtient par divers procédés: en purifiant la potasse du commerce; en distillant le tartre à feu nu, ou en le brûlant dans des vaisseaux ouverts et lessivant le résidu; en faisant détonner un mélange de salpêtre et de tartre (KAPELER, CAVENTOU, Manuel pharm. et drog., t. 1, 1821, p. 157).
♦ Sel de Vichy. Bicarbonate de soude. Ce sel existe en dissolution dans certaines eaux minérales, notamment dans les eaux de Vichy; aussi le désigne-t-on sous le nom de sel de Vichy (WURTZ, Dict. chim., t. 2, vol. 2, 1876, p. 1523).
♦ [Le plus souvent au plur.] Sel de vinaigre. Sulfate de potasse cristallisé arrosé d'acide acétique. Il distingua (...) parmi les parfums des roses et des héliotropes de la jardinière, la trace âpre et mordante des sels de vinaigre (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 613).
♦ Sel volatil, sel d'Angleterre, sel anglais. Carbonate d'ammoniaque, utilisé comme stimulant en cas de syncope. Ma mère tout émue d'un tel spectacle, tira aussitôt son flacon de sel d'Angleterre, et mon oncle le lui fit respirer (SÉNAC DE MEILHAN, Émigré, 1797, p. 1555).
Empl. abs., au plur. Là-dessus, elle a sangloté, sa mère l'a prise à bras le corps, on lui a fait respirer des sels, elle avait des attaques de nerfs (TAINE, Notes Paris, 1867, p. 87).
b) [Dans des tournures périphrastiques]
♦ ALCHIM. Sel céleste, fleuri, honoré; sel des philosophes; sel de mer, de terre, de verre. Le mercure. La voie sèche (...) consiste à prendre le sel céleste, qui est le mercure des philosophes, à le mélanger avec un corps métallique terrestre et à le mettre en un creuset, à feu nu (CARON, HUTIN, Alchimistes, 1959, p. 158).
♦ HIST. [Révolution française] Sel libérateur, vengeur. Le salpêtre dont on faisait les cartouches. (Dict. XIXe et XXe s.).
2. [Dans une accept. restreinte, dep. la fin du XVIIIe s., marquant l'élaboration des lois de la chim. mod.] Composé obtenu par remplacement, dans un acide, d'un ou plusieurs atomes d'hydrogène par le même nombre d'atomes de métal. Je suis le chimiste qui, étudiant les propriétés de l'acide qu'il a avalé, sait avec quelles bases il se combine et quels sels il forme (FRANCE, Lys rouge, 1894, p. 265):
• 3. Il y a là quelque chose d'analogue à ce qui se passerait pour un chimiste qui décomposerait divers sels par les agents extérieurs, en supposant qu'on puisse dire que le sel manifeste sa vie par ses décompositions. Sous l'influence de la chaleur, les carbonates se décomposeront en sulfates; par l'eau, à la même température, les uns se dissoudront avant les autres, etc...
Cl. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 155.
a) [Syntagmes désignant différentes types de sels]
♦ Sel neutre. Composé dans lequel les propriétés de l'acide et celles de la base, étant de même force, se trouvent neutralisées par leur combinaison. On encre et on dépouille, non plus à l'eau, mais avec de l'eau saturée d'un sel neutre (Civilis. écr., 1939, p. 10-7).
♦ Sel acide. ,,Composé d'acides possédant plusieurs hydrogènes acides dont une partie seulement a été remplacée par un métal`` (L. DOMANGE, Précis de chim. gén. et chim. minér., t. 1, 1971, p. 101). Ces sels acides à base alcaline sont libérés par les oxydations dans l'organisme sous forme de carbonates alcalins ou alcalino-terreux (MACAIGNE, Précis hyg., 1911, p. 246).
♦ Sel basique. Sel renfermant une quantité d'anions basiques oxygénés plus importante que celle qui correspond à la composition d'un sel neutre. L'hydrogène dégagé dans l'électrolyse [pour le dépôt du fer] se rend à la cathode, et l'oxygène correspondant se combine avec l'anode de fer et tend à produire des sels basiques (H. FONTAINE, Électrolyse, 1885, p. 158).
♦ Sel simple. Sel composé d'un acide et d'une base (d'apr. CHESN. t. 2 1858).
♦ Sel double. Sel composé d'un acide et de deux bases. Il était très-important de rechercher si, dans la cristallisation du sel double de soude et d'ammoniaque, pour chaque molécule déviant à droite, il se déposait une molécule déviant à gauche (PASTEUR ds Ann. chim. et phys., t. 24, 1848, p. 458).
b) [Sel est suivi d'un subst. désignant le métal, la base entrant dans sa compos.] Sel(s) d'argent, de baryum, de bismuth, d'étain, de fer, de magnésie, de manganèse, de plomb, de radium, d'uranium... Sur le rebord de sa fenêtre, mon oncle s'occupait à d'étranges cultures: dans de mystérieux bocaux cristallisaient, autour de tiges rigides, ce qu'il m'expliquait être des sels de zinc, de cuivre ou d'autres métaux (GIDE, Si le grain, 1924, p. 371). J'ai lu que notre animal emprunte à son milieu une nourriture où existent des sels de calcium, que ce calcium absorbé est traité par son foie, et de là, passe dans son sang (VALÉRY, Variété V, 1944, p. 30).
c) [Sel est suivi d'un adj. dér. d'un subst.] Sel(s) calcaire(s), ferreux, ferrique(s), magnésien(s), phosphoré(s). La même décomposition a lieu par l'addition de tout sel ou suc acide, et, autant qu'il peut y avoir décomposition mutuelle, par tous les sels terreux et métalliques (KAPELER, CAVENTOU, Manuel pharm. et drog., t. 2, 1821, p. 649).
— BIOCHIMIE
♦ Sels biliaires. ,,Sels sodiques présents dans la bile (...) [qui] abaissent la tension superficielle du contenu duodénal et favorisent ainsi l'émulsion des graisses`` (Méd. Biol. t. 3 1972). Des substances qui facilitent la contraction de la vésicule (...) et d'autres (...) qui augmentent la sécrétion de la bile ou cholérétiques. Elles sont très nombreuses, soit extraites de plantes comme le romarin, soit purement chimiques comme les sels biliaires (QUILLET Méd. 1965, p. 147).
♦ Sels minéraux. ,,Substances minérales qui entrent dans la composition des organismes (...) et qui doivent nécessairement être présents dans l'alimentation`` (VILLEMIN 1975). D'autres maladies sont déterminées par le manque des vitamines, sels minéraux et métaux, qui sont nécessaires à la construction et à l'entretien des tissus (CARREL, L'Homme, 1935, p. 134).
d) Usuel, au plur. [Sel est suivi d'un subst. qui en précise l'emploi] Sels de bains, sels pour bains. Produit destiné à adoucir l'eau du bain, se présentant sous forme de cristaux (généralement de sels de sodium) colorés et parfumés. Donner à tous l'eau de mer chez soi, tel est le but des sels pour bains que l'usager fait dissoudre dans sa baignoire. Ces sels sont colorés et parfumés pour rendre le bain plus agréable (STOCKER, Sel, 1949, p. 78).
Rem. En compos., v. demi-sel et riz-pain-sel.
REM. Salègre, subst. masc. a) Pierre imprégnée de sel, que l'on donne à lécher au bétail. (Dict. XIXe et XXe s.). b) Pâtée renfermant du sel, destinée à l'alimentation des serins (Dict. XIXe et XXe s.).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Homon. celle (fém. de celui), selle et formes des verbes celer, sceller et seller. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1120 « chlorure de sodium » (St Brendan, éd. I. Short et Br. Merrilees, 1403); b) 1586 fig. (LE LOYER, Quatre livres des spectres, 3 ° l., p. 112: sel et naifveté Attique [d'une épigramme]); 2. a) ) 1314 sel de nitre (HENRI DE MONDEVILLE, Chir., 1792 ds T.-L.); ) 1764 les sels (RICCOBONI, Hist. de Miss Jenny, p. 143: on la ranima avec de l'eau et des sels); b) 1787 ,,composé chimique dans lequel l'hydrogène d'un acide a été remplacé par un métal`` (GUYTON DE MORVEAU, LAVOISIER, Méthode de nomenclature chim., Paris, p. 2). Du lat. sal, salis masc. (parfois neutre) « sel; esprit piquant », devenu fém. dans toute la péninsule ibérique et au Sud de la ligne allant de l'embouchure de la Loire au Sud des Vosges (encore au masc. au Nord de cette ligne et en ital., sarde, rhéto-rom.), v. FEW t. 11, p. 83b. Fréq. abs. littér.:1 254. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 1 554, b) 1 643; XXe s.: a) 1 781, b) 2 054. Bbg. Neue Beiträge zur romanischen Etymologie. Heidelberg, 1975, pp. 303-310. — QUEM. DDL t. 21, 25, 27, 32.
sel [sɛl] n. m.
ÉTYM. V. 1150; du lat. sal. → Salade, saucisse, saumure, saupoudrer.
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I Cour.
1 Substance blanche, friable, soluble dans l'eau, d'un goût piquant, et qui sert à l'assaisonnement et à la conservation des aliments. || Le sel (sel commun, ordinaire) est du chlorure de sodium plus ou moins pur (→ ci-dessous, II., 2.). || Sel marin (→ Imprégner, cit. 1). || Sel gemme (cit. 2). || Extraction du sel dans les marais (cit. 5) salants (⇒ Salin, saline), dans les mines de sel (gemme). → par métaphore, Cristallisation, cit. 4, Stendhal. — Sel ignigène, produit par évaporation d'une saumure extraite du sous-sol par sondage (⇒ Saline). || Meulons, mulons (cit.), pilots de sel. || Paléage du sel. || « Culture, récolte » du sel marin. — Du point de vue géologique, le sel est une roche plastique. || Gisements, massifs, dômes de sel.
REM. Chimiquement, le sel naturel (sel marin…) renferme, outre le chlorure de sodium, de petites quantités d'autres sels (au sens II., 2.) : chlorure de calcium, de magnésium, des sulfates divers.
♦ Épuration, désulfatage du sel. || Séchage, traitement du sel. || Sel dénaturé. — Sel fin, produit par évaporation des saumures. || Grain de sel (au fig., ⇒ Grain). || Cristaux de sel. ⇒ Trémie. || Égruger du sel. || Sel de cuisine (→ Pilastre, cit. 2). — Gros sel : sel en cristaux assez gros. || (Au) gros sel, se dit d'une viande cuite dans son bouillon et servie avec du gros sel. || Bœuf au gros sel (vx), et, par appos., bœuf gros sel. — ☑ Loc. À la croque au sel. ⇒ Croquer (supra cit. 3). — Avec un peu de sel. ⇒ Demi-sel. || Pincée, poignée de sel (→ Fricot, cit. 2). Anciennt. || Pain de sel. ⇒ Salignon. || Pierre imprégnée de sel (pour les animaux) ⇒ Salègre; assalier (pierre d'). — Mettre, remettre du sel dans un plat. ⇒ Saler. || Régime sans sel. ⇒ Déchloruré. || Enlever le sel d'une salaison. ⇒ Dessaler. — Anciennt. || Impôt sur le sel (« Salage », vx). ⇒ Gabelle (cit. 2 et 3). || Ferme du sel. || Fraude sur le sel. ⇒ Saunier (faux). Vx. || Faux sel : sel de contrebande. — Propriétés antiseptiques du sel. || Usages alimentaires (fabrication des fromages, salaisons…), thérapeutiques, industriels (industries chimiques, conservation des peaux…) du sel. || Faire fondre la neige à l'aide de sel (→ aussi Reneiger, cit.). || Grenier à sel. — Le sel crépite, fuse dans le feu. || Crépitation du sel. ☑ Loc. Partager, offrir le pain et le sel, en marque d'amitié, d'hospitalité. — ☑ Allus. bibl. La femme de Loth fut changée en statue de sel (→ Métamorphose, cit. 2). — ☑ Le sel de la terre : l'élément actif, vivant, l'élite (→ ci-dessous, cit. 1, Bible; et aussi nerveux, cit. 12, Proust).
1 Vous êtes le sel de la terre; si le sel perd sa force, avec quoi le salera-t-on ? Il n'est plus bon à rien qu'à être jeté dehors, et à être foulé aux pieds par les hommes.
Bible (Sacy), Évangile selon saint Matthieu, V, 13.
2 (…) Jésus-Christ nous marque trois caractères éminents de ses disciples : « D'être le sel de la terre (…) ». Le sel assaisonne les viandes; il en relève le goût; il en empêche la fadeur; il en prévient la corruption.
Bossuet, Méditations sur l'Évangile, XIe journée.
3 Défense de détourner une once des sept livres obligatoires pour un autre emploi que pour « pot et salière ». Si un villageois a économisé sur le sel de sa soupe pour saler un porc et manger un peu de viande en hiver, gare aux commis ! Le porc est confisqué et l'amende est de 300 livres.
Taine, les Origines de la France contemporaine, II, t. II. p. 248.
4 — Ainsi, dit-il, en usaient les anciens. Ils offraient le sel en signe d'hospitalité… Mon père lui présenta du sel gris dans le sabot qui était accroché à la cheminée. L'abbé en prit à sa convenance et dit : — Les anciens considéraient le sel comme l'assaisonnement nécessaire de tous les repas et ils le tenaient en telle estime qu'ils appelaient sel, par métaphore, les traits d'esprit qui donnent de la saveur au discours.
— Ah ! dit mon père, en quelque estime que vos anciens l'aient tenu, la gabelle aujourd'hui le met encore à plus haut prix (…)
— Il faut croire, dit-elle (ma mère) que le sel est une bonne chose, puisque le prêtre en met un grain sur la langue des enfants qu'on tient sur les fonts du baptême.
France, la Rôtisserie de la reine Pédauque, II, Œ., t. VIII, p. 12.
5 (…) cette grotte de sel gemme, où des mineurs portent leurs flambeaux derrière les transparents pendants de l'ombre, et passent en tirant leurs chariots neigeux.
Aragon, le Paysan de Paris, p. 214.
♦ ☑ Loc. fig. Poivre et sel. ⇒ Poivre. — Mettre un grain (cit. 16) de sel sur la queue d'un oiseau.
♦ (Par anal. de fonction). || Sel de céleri : assaisonnement fait de céleri réduit en poudre. — La cuisine chinoise utilise comme sel le glutamate de sodium.
♦ Franç. d'Afrique. || Sel végétal : sel tiré de la cendre de végétaux, riche en chlorure de potassium. Syn : sel indigène, potasse.
2 (XVIIe). Fig. Ce qui donne du piquant, de l'intérêt (⇒ Relever).
b Du sel. Ce qui donne un intérêt vif et piquant aux discours, aux ouvrages de l'esprit. ⇒ Esprit (V., 3.), finesse, gaieté, piment, piquant. || Une plaisanterie pleine de sel. ⇒ Spirituel. || Cela ne manque pas de sel. || Le sel d'un récit (→ In petto, cit. 2). || Le sel gaulois (→ Excrément, cit. 4). — Sel attique (cit. 6 et 7). — ☑ Mettre, mêler son grain de sel. ⇒ Grain (cit. 19 et 19.1).
6 C'est un excellent esprit. Ses ouvrages sont pleins de sel attique. Ils sont parsemés de pensées fines et brillantes. Il a des tours neufs, des expressions hardies et toujours heureuses.
A. R. Lesage, le Diable boiteux, XI.
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II Sc.
1 (XVIe). Hist. des sc. Un des éléments (avec le soufre, le mercure), dans la doctrine de Paracelse (XVIe). || Boyle (1664) distingue les acides, les alcalis et les sels.
7 Vers la fin du XVIIe siècle, pour certains chimistes, la théorie considérant l'acide et l'alcali comme constituant universel devait se substituer à celle des principes de Paracelse. Pour d'autres (…) l'un des cinq principes fondamentaux, le sel, était constitué d'acide et d'alcali (…)
M. Daumas, la Physique et la Chimie, in Encycl. Pl., Hist. de la science, p. 876.
♦ (Jusqu'à Lavoisier, et dans des locutions). Solide soluble et ininflammable ressemblant au sel (I. : chlorure de sodium) en ce qu'il est produit par une évaporation de liquide. || La chimie du XVIIIe siècle distingue les sels acides, alcalins et neutres (ces derniers seuls sont des sels au sens moderne). || L'acide oxalique, les vitriols étaient appelés sels. || Cristallisation (cit. 1) d'un sel.
♦ Spécialt (encore de nos jours, dans des expressions désignant des substances particulières, qui sont aussi des sels au sens moderne). || Sels médicinaux, servant de médicaments (⇒ aussi Alcalin, n. m.). || Sels de bain. || Sel amer d'Epsom, de Sedlitz (sulfate de magnésium), sel ammoniac (parfois Salmiac : chlorure d'ammonium), sel de citron (tétraoxalate de potassium, utilisé pour dissoudre les taches d'encre), sel de Glauber ou sel admirable (sulfate déca-hydraté de sodium), sel d'oseille (oxalate acide de potassium), sel de Rochelle ou de Seignette (tartrate de sodium et de potassium, employé dans la préparation des lithinés, et dont les cristaux sont utilisés en ferro-électricité), sel rose (stannichlorure d'ammonium, utilisé comme mordant en teinture), sel de Saturne (acétate de plomb), sel de Vichy (bicarbonate de sodium). || Sel volatil ou sels anglais (sesquicarbonate d'ammonium).
➪ tableau Noms de remèdes.
♦ Absolt. || Des sels : des sels anglais. || Respirer (cit. 11) des sels. || Être ranimé par des sels (→ Évanouir, cit. 26; rappeler, cit. 4). Par métaphore :
8 J'aurais pu (…) lui planter sous le nez, si cela m'avait plu, les sels anglais d'une réponse.
Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques, « Le bonheur dans le crime », p. 179.
2 (Fin XVIIIe; Lavoisier). Chim. Composé chimique dans lequel l'hydrogène d'un acide a été (en totalité ou en partie) remplacé par un métal. || Les sels se forment par action des acides (ou des anhydrides d'acides) sur les bases (ou les oxydes métalliques); par action des acides sur les métaux, etc. || Étude chimique des sels. ⇒ Halo.
REM. Les sels portent des noms dérivés de ceux des acides, suivis du nom du métal; la désinence -ure désigne les sels correspondant aux hydracides (désignés par la désinence -hydrique); la désinence -ate, les sels correspondant à l'acide oxygéné ou à l'anhydride le plus courant (désignés par la désinence -ique); le suff. -ite, les sels correspondant aux acides et anhydrides contenant moins d'oxygène que les précédents (suff. -eux); le préf. hypo- désigne les sels en -ite provenant d'acides (en -eux) encore moins oxygénés; le préf. per-, les sels en -ate provenant d'acides (en -ique) plus oxygénés (ex. : chlorure [NaCl], hypochlorite [NaClO], chlorite [NaClO2], chlorate [NaClO3], perchlorate [NaClO4] de sodium).
♦ Sel acide, se dit de celui dans lequel une partie seulement de l'hydrogène de l'acide a été remplacée par un métal. (ex. : bicarbonate de sodium NaHCO3). || Sel basique, formé lors de la neutralisation incomplète d'un acide par une base et renfermant une proportion d'oxyde basique supérieure à la quantité théorique, ex. : nitrate basique de bismuth (BiO)NO3 qui, hydraté, constitue le « bismuth » des pharmaciens. || De nombreux sels sont des solides cristallisés à la température ordinaire et renferment souvent des molécules d'eau de cristallisation (⇒ Hydrate).
♦ Sels minéraux du protoplasme (cit. 1). || Perte des sels minéraux. ⇒ Déminéraliser. || Sels d'argent (protargol…), d'or (cit. 7). || Sels de morphine. — Biochim. || Sels biliaires, contenus dans la bile, qui favorisent l'émulsion des graisses et activent la lipase pancréatique. ⇒ Bile.
➪ tableau Classes de roches.
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DÉR. et COMP. (Des formes anciennes, sal, sau, et du lat. sal) 1. Salade, salègre, saler, salicole, salicorne, saliculture, salière, salifier, salignon, salin, saline, saloir, salpêtre, salure, sauce, saucisse, saugrenu, saumâtre, saumure, sauner, saunier, saupiquet, saupoudrer. — Croque-au-sel (à la), demi-sel, esprit-de-sel, éther-sel, halosel, peroxysel, persel, pèse-sel, riz-pain-sel, sulfosel.
HOM. Celle, selle.
Encyclopédie Universelle. 2012.