PROPRIÉTÉ
Si l’on veut bien entendre la leçon de multiples exemples, le sentiment d’appropriation serait général – il est attesté depuis l’époque paléolithique par les gravures effectuées sur les armes d’os – et toujours vivace. Pourtant, les données de la psychologie sont ambiguës: certains peuples (archaïques) ne distinguent pas le mien du tien, exprimant les deux notions par le même terme, et d’autres (modernes) ont voulu instaurer un type de société dans lequel les hommes, ayant libre usage et libre disposition des biens, se déprendraient de la propriété, qui dépérirait en même temps que le droit. Issue peut-être de l’appropriation, la propriété s’en distingue en tant qu’elle constitue une institution juridique. Ce n’est pas une maîtrise matérielle ou de fait: celle-ci est dénommée possession; ce n’est pas non plus une maîtrise protégée par le droit: la possession engendre juridiquement une série de servitudes; c’est un pouvoir de droit, une situation fondée en droit, le lien de droit par lequel une chose appartient à une personne, lui est réservée. D’un point de vue idéologique, la propriété comme droit a suscité la question de sa légitimité, et les réponses n’ont pas été sans incidence sur la réglementation positive. Le Coran, par exemple, souligne l’origine divine de la propriété (VII, 125: «La terre est à Allah et Il en fait hériter qui Il veut parmi ses serviteurs»), et les tentatives de collectivisation en pays d’islam furent entravées par cette proclamation scripturaire. Dans un contexte différent, la Déclaration des droits de l’homme de 1789 a érigé la propriété en droit «inviolable et sacré», et certains ont vu dans le Code civil français le code de la bourgeoisie propriétaire. Furent aussi longtemps répandus (mais guère mieux compris) le trait de Proudhon («La propriété c’est le vol») et les thèses du Capital , devenues législation dans les pays de l’Est. Le moindre vice des formules tranchées est d’apporter une réponse unique à des problèmes divers. D’un point de vue juridique, on peut en effet douter s’il est une propriété ou des propriétés. L’ethnologie, l’histoire et le droit comparé montrent que l’humanité a pratiqué des modalités extrêmement variées d’utilisation des choses. Lesquelles de ces modalités qualifier de propriété? Il est frappant de constater que la langue anglaise est la seule qui comporte un verbe (to own ) exprimant la notion «être propriétaire» et que les juristes anglais parlent rarement d’ownership et jamais à propos d’une terre; et même s’ils étudient le Law of Property Act, ce n’est pas normalement de façon unitaire. Quelles matières alors du droit anglais examiner sous la rubrique «propriété»? À l’intérieur d’un même système juridique, la propriété est cloisonnée: la propriété d’un fonds de commerce n’est pas celle d’une maison ni d’une pièce d’or, et la propriété de l’État n’est ni celle d’une société commerciale ni celle d’un particulier. Est-il licite, dès lors, de présenter une théorie générale de la propriété? Sans doute, si par «général» on entend «abstrait» et non «commun». L’épure de la propriété s’analyse comme une relation d’appartenance entre un objet et un sujet; mais il est clair qu’aussi bien le sujet ou l’objet que la relation peuvent recouvrir des réalités fort diverses.
1. Les choses
Dans les pays de tradition romaniste, la propriété, dans un arrangement systématique des matières juridiques, relève du droit des biens, par opposition au droit des personnes; plus généralement, la conception occidentale du droit de propriété implique, entre les deux termes du rapport, la hiérarchie qui s’observe à propos de tout droit, la supériorité du sujet sur l’objet.
Cette conception n’a pas valeur absolue. Dans des civilisations juridiques plus spontanées (que l’on dénomme parfois traditionnelles), ce qui est, pour l’Occident, objet est élevé à la dignité de sujet. En Afrique, à Madagascar, le lien qui unit les hommes à la terre est de nature affective, voire spirituelle, et le droit foncier, en conséquence d’une humanisation de la terre, serait davantage droit des personnes que droit des biens. Peut-être l’analyse sociologique découvrirait-elle dans la conscience commune, un peu partout, à l’égard de certains biens, un sentiment analogue.
Néanmoins, d’un point de vue strictement juridique, l’objet de la propriété est la chose, par opposition à la personne qui en est le sujet, étant entendu que ces notions ne sont pas des données naturelles mais des pièces de la construction juridique. Et l’on peut, sinon recenser les choses innombrables, du moins indiquer quelques grandes lignes de partage.
Choses corporelles et incorporelles
Entre les choses corporelles et les choses incorporelles , le critère de séparation est d’ordre naturel. Les unes tombent sous les sens, sont matérielles: un bijou, une maison; les autres échappent à la perception, sont idéelles: un monopole d’exploitation, une part d’associé.
Philosophie et science juridique
Cette distinction, introduite dans la science juridique par les jurisconsultes romains, a une origine philosophique (c’est un reflet déformé de la conception stoïcienne du monde); on peut alors être tenté de voir en elle le produit de l’analyse dogmatique et de la localiser dans les seules civilisations où le droit est matière à spéculation. Mais si, de fait, les concepts ne sont pas universellement dégagés, le phénomène qu’ils traduisent paraît connu des peuples mêmes qui ne s’adonnent pas à l’étude théorique et à la mise en forme du droit. Ainsi (et bien que l’interprétation de faits indiscutés soit sujette à controverse) des tribus eskimo ou africaines admettent que le nom, certains titres ou privilèges appartiennent à telle personne, par un lien mystique ou statutaire; de même la pratique de chants, de danses, de charmes, d’incantations est réservée à un individu ou à une famille, et un tiers ne pourrait s’y livrer sans danger à défaut d’une autorisation de l’ayant droit, accordée généralement en une forme rituelle. Les choses intellectuelles ne seraient donc pas étrangères à la pensée sauvage. Mais elles ne sont pas davantage, comme on pourrait à présent le croire, issues de la mentalité magique, puisque leur prolifération est une caractéristique du droit moderne de la propriété.
Deux circonstances ont contribué à cette dématérialisation, selon deux lignes contradictoires d’évolution de l’institution: la diffusion de la propriété de rapport et le passage de cette forme traditionnelle à une propriété nouvelle fondée sur le travail.
Propriété de rapport et société commerciale
Le premier mouvement est lié au développement des sociétés commerciales. La société constitue en effet un être moral nouveau, distinct de la personne de ses membres: et c’est cet être qui, seul, a la propriété du patrimoine social. Les associés ne sont ni propriétaires privatifs de ce qu’ils ont apporté personnellement à leur entrée dans la société, ni copropriétaires, chacun pour une fraction, du patrimoine social; ils n’ont que la propriété de leur part sociale, c’est-à-dire qu’ils sont désormais titulaires de certains droits à l’encontre de la société (ou à l’égard de leurs coassociés): droit à un dividende, à une portion de l’actif en cas de dissolution. Ainsi la formule «propriété d’une part sociale» ne désigne que de purs droits, de simples espérances, mais aucune réalité tangible: il y a eu, par l’entrée en société, idéalisation de l’objet de la propriété. Il faut cependant apporter une précision tenant à la variété des titres qui constatent un droit d’associé et à la fonction qui leur est parfois dévolue. Lorsque le titre est nominatif et s’analyse en une inscription sur un registre de la société, rien ne vient obscurcir le caractère incorporel; mais lorsque certaines législations permettent les titres (en particulier les actions) au porteur, on peut considérer que le droit s’incorpore dans le titre qui le constate, se matérialise sous les espèces de la feuille de papier qui le représente; aussi bien est-il transmis par simple remise du titre de la main à la main et la propriété de la part sociale se confond-elle avec la détention matérielle du titre. Toutefois, même dans ce cas, il serait tout à fait insuffisant de réduire l’objet de la propriété à un corpus , action ou titre; en dernière analyse, celui-ci n’est que le symbole de la part sociale, c’est-à-dire un faisceau de prérogatives, une chose intellectuelle.
Que les propriétés incorporelles se distinguent aussi par l’immatérialité de leur objet, on le voit à l’appellation de «droits intellectuels» qui leur est parfois donnée; mais, à la différence de la précédente catégorie où la propriété était conçue comme un capital, béatitude de rentier, elle est ici, en principe, propriété d’activité, rémunération ou protection du travail. En principe, car la notion de propriété incorporelle est susceptible d’abus. Ainsi, on a dénommé en France «propriété commerciale» le droit au renouvellement de leur bail que la loi accorde aux commerçants. En effet, d’une part le commerçant locataire risque de voir sa clientèle s’évanouir s’il change de local, son bail n’étant pas renouvelé, d’autre part le propriétaire du local, intéressé avant tout par le montant du loyer, est tenté, à l’expiration du bail, de traiter à meilleur prix avec un nouveau locataire. L’institution de la propriété commerciale tendait donc à accorder aux commerçants, agents économiques, la garantie de leur droit au travail à l’encontre des propriétaires de locaux, rentiers oisifs. C’est un fait, toutefois, que la propriété nouvelle ainsi constituée a revêtu assez vite les traits d’une propriété de rapport, dans le style le plus traditionnel. Lors de la cession du fonds de commerce, alors que, par hypothèse, il ne saurait plus être question de protéger l’activité d’un exploitant qui cesse, de lui-même, sa fonction, cette propriété se trouve monnayée; elle est facteur d’enchérissement des fonds pesant sur l’économie nationale et lui nuisant, source d’enrichissement injuste au profit du commerçant devenu à son tour rentier. Il en découle une certaine tendance (assez platonique) à restreindre une propriété qui, lorsqu’elle trouve son expression monétaire, n’est plus liée au travail.
Travail et propriété
C’est en revanche, semble-t-il, de l’effort créateur de l’homme que surgissent la propriété industrielle et la propriété littéraire et artistique qui, dans des domaines différents, portent sur une œuvre de l’esprit. L’article premier de la loi française du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique reconnaît expressément à l’auteur «un droit de propriété incorporelle». Pourtant, les auteurs socialistes repoussaient pareille qualification, non seulement en raison d’un aménagement différent des prérogatives de l’auteur et des dispositions qui, dans les pays de l’Est, sauvegardaient les intérêts de la collectivité, mais aussi parce que, selon eux, la propriété incorporelle avait une signification bourgeoise, celle de revenu d’un capital intellectuel. Pareillement, dans l’Occident libéral, certains écrivains récusèrent la conception de la littérature comme propriété, qui faisait un rentier de l’écrivain-propriétaire, pour réclamer le statut de travailleur. Mais quoi que l’on pense, d’un point de vue philosophique ou politique, de la métamorphose du travail en capital, il reste, selon le droit, que la propriété (lorsque propriété il y a) se détache des choses matérielles en se rattachant au travail de l’homme.
On peut poursuivre l’analyse. Les choses incorporelles envisagées jusqu’ici coupées d’un support concret étaient pur artifice. Mais la propriété peut avoir un support matériel et un objet incorporel: il suffit pour cela que ce support (la terre, par exemple) ne soit pas envisagé comme l’objet immédiat de la propriété, mais que le droit porte directement sur quelque abstraction juridique intermédiaire. À vrai dire, le phénomène ne s’observe que difficilement dans les droits de tradition romaniste où le droit de propriété, qui, théoriquement, exprime de façon unitaire et exclusive la totalité des prérogatives pouvant s’exercer sur une chose, s’absorbe en cette dernière; le langage ordinaire l’atteste: on a une chose, une terre, et non un droit de propriété sur cette terre. Mais c’est précisément une particularité du droit anglais que d’avoir fait porter la propriété, non sur la terre elle-même, mais sur une entité distincte, à savoir les intérêts ou prérogatives dont une personne pouvait se prévaloir à l’égard d’une terre: les praticiens ont interposé entre la personne et la chose matérielle ces intérêts ou prérogatives, coupés intellectuellement de leur support concret, et les ont érigés en objet du droit en tant que chose incorporelle. Ainsi de multiples besoins peuvent être satisfaits grâce à l’abstraction juridique. Cette technique n’est toutefois pas d’application générale; conçue à l’origine à propos de la terre, elle a vu son domaine s’élargir mais demeure largement étrangère aux meubles corporels. Ce qui annonce une nouvelle distinction.
Meubles et immeubles
Les catégories des meubles et des immeubles sont passablement artificielles quand on sait qu’un bœuf peut être réputé immeuble (s’il est affecté au labour d’un fonds par le commun propriétaire) et un bois traité comme un meuble (par anticipation, s’il est aménagé en coupe et sur le point d’être abattu). Mais en son fond, la distinction répond à des données naturelles et sociologiques irréductibles et paraît avoir été pratiquée spontanément de tout temps. Ainsi, par une généralisation abusive, on avance parfois que la propriété individuelle serait inconnue des sociétés archaïques: mais la thèse n’est exacte qu’en ce qui concerne la terre, car un examen plus minutieux montre que les meubles sont soumis à une appropriation individuelle: il y aurait pluralisme des types de propriété, selon l’objet auquel s’applique le droit.
Les meubles, de tout temps, ont été conçus comme le support d’une propriété personnelle: propriété liée à la personne, et au service de la personne. Qu’il s’agisse des meubles de toujours (bijoux, armes, vêtements, bestiaux) ou de nos modernes meubles incorporels, ils dépendent de l’individu et en sont comme une émanation. Le lien de participation entre la chose et la personne est attesté, dans les civilisations orales, par la circonstance que les effets mobiliers suivent leur propriétaire dans la mort, sont sacrifiés, détruits, déposés dans (ou sur) sa tombe; dans les sociétés évoluées, la propriété littéraire et artistique, droit intellectuel, s’évanouit de même à l’expiration d’un certain délai suivant le décès de l’auteur. Que le meuble soit imprégné par la personnalité du propriétaire explique également la protection dont est l’objet la propriété mobilière. Dans la mentalité magique, il faut laisser ou rendre au propriétaire ce qui lui appartient, car il serait périlleux de détenir une chose qui confère à son maître emprise sur l’usurpateur; dans la pensée rationnelle, le tabou s’est dégradé en illicite et se survit derrière la règle qui veut que seule la soustraction d’un meuble soit justiciable de la qualification pénale du vol. Enfin on répond de ses dettes, par priorité, sur ses meubles, car ceux-ci sont comme un prolongement de la personne.
Mais, ainsi liés à la personne, les meubles sont affranchis d’autres liens et, par là même, facteur d’affranchissement de la personne. Plus fragiles et périssables que les immeubles, n’ayant rien dans leur nature qui puisse attirer et fixer une lignée, les meubles n’ont pas en général de vocation familiale. Aucun devoir ne pèse sur le propriétaire de les conserver pour respecter des droits supérieurs aux siens. Le meuble, marchandise ou titre de bourse, est objet de circulation, de négoce, de transactions faciles et rapides. Le propriétaire peut en disposer librement: il se sent seigneur et non dépositaire. En outre, facile à déplacer et à dissimuler, le meuble résiste efficacement à l’emprise de la réglementation qui tend à limiter les prérogatives du propriétaire: la propriété mobilière demeure libre, et il en est de même pour le propriétaire, quand est asservi l’immeuble.
L’immeuble authentique, c’est la terre et ce qui fait corps avec elle; la terre avant tout, dont le statut singulier tient à diverses causes. Dans une conception mythique, la terre nourrit les vivants et entoure les morts, comme le dit un proverbe malgache. Elle est mère et divinité: l’homme (le premier homme ou, de façon plus diffuse, les ancêtres) est né de la terre; il vit de sa fécondité, caprice mystérieux. De là, un lien de parenté entre la terre et l’homme. Il s’agit de l’homme et de son groupe. Car, de façon plus spécifique, le droit sur un territoire est fondé par l’alliance, scellée lors d’une cérémonie rituelle, entre les divinités du lieu et le premier occupant, et à cette alliance prennent part, l’une après l’autre, les générations nouvelles. Il y a ainsi un lien mystique entre l’homme et la terre, et l’homme appartient à la terre autant au moins que la terre à l’homme. D’autre part, la terre est objet d’imprégnation ancestrale et, réalisant la médiation entre les morts, les vivants et leurs descendants à venir, elle est naturellement sujette à une appropriation familiale ou collective, de sorte que le statut de l’immeuble traduit l’emprise du groupe sur la personne.
L’examen du droit moderne autorise une observation semblable, mais le sens en est parfois différent. Le caractère familial est resté en partie à l’immeuble. Pour des raisons naturelles (sa permanence), économiques (une valeur réputée supérieure, plus stable et plus assurée en tout cas) et sentimentales, l’immeuble retient une part de sa vocation à être conservé dans les familles; part qui tend à diminuer en droit à mesure que s’affaiblit le rôle des groupes intermédiaires dans la société étatique, mais qui reste considérable dans les consciences. Un paysan accepte mal qu’on veuille lui retirer, sous prétexte de remembrement, le lopin qu’ont travaillé ses ancêtres, qui lui est venu par héritage et où il a joué enfant. Qu’on élargisse, à présent, la perspective et les possibilités d’intervention autoritaire, l’immeuble devient une fraction du territoire national, placé sous la souveraineté de l’État. Cette circonstance peut conduire logiquement au principe féodal selon lequel le seigneur est seul propriétaire des biens fonciers sis dans son domaine. Aujourd’hui encore, en Angleterre, toutes les terres appartiennent en principe à la Couronne et les particuliers ne les détiennent qu’à titre de «tenure»; ils n’ont sur elles que des intérêts et non pas une propriété véritable (au sens romaniste). À tout le moins, la fixité de l’immeuble condamne son propriétaire à subir les limitations de son droit qu’il plaît à l’État d’édicter – non pour mortifier la propriété immobilière, mais pour faire servir à l’intérêt général ses capacités productrices.
Biens de consommation et instruments de production
Ce n’est qu’à une date récente que la classification des choses en biens de consommation et moyens de production a été introduite dans le système juridique, conformément à des doctrines de philosophie économique et politique. Les marxistes, à la suite des saint-simoniens, ont réclamé l’abolition, non de la propriété en général, mais de la propriété bourgeoise, c’est-à-dire de la propriété privée des instruments de production. Les régimes socialistes admirent donc, et même protégèrent, la propriété individuelle portant sur les biens de consommation qui était dénommée propriété personnelle; mais que les moyens de production devaient appartenir à la collectivité, c’est-à-dire être objet de propriété socialiste. Il y avaient ainsi divers types de propriété adéquats à diverses catégories de choses, et les auteurs exposaient que la nouvelle distinction est la plus importante de toutes les classifications des biens.
Ce n’est pas dire qu’elle fût sans portée dans les pays bourgeois. Mais, n’étant point summa divisio , elle y est toujours restée fruste. Au point de vue de la science économique, un bien de consommation est celui qui satisfait immédiatement un besoin humain, alors que le moyen de production n’apaise directement aucun besoin, mais sert à produire d’autres biens. Or la législation moderne, lorsqu’elle restreint les droits du propriétaire, obligeant ce dernier à exploiter son bien, à le mettre en valeur, ne vise évidemment que les biens de production; et peut-être pourrait-on isoler de ces biens une propriété qui ait ses problèmes et ses caractères propres, ses types aussi parfois, car les politiques de nationalisation conduisaient à soustraire à l’appropriation privée une partie des facteurs de production.
Plus fondamentale en pays socialiste, la distinction y était à la fois plus fouillée et plus incertaine: les données premières de la science économique sont infléchies par deux considérations. En premier lieu, ce qui fait le bien de production, relevant de la propriété socialiste, ce n’est pas tant sa fonction économique que l’exploitation du travail de ceux qui le mettent en œuvre; plus largement, c’est l’enrichissement immérité qu’il procure à son détenteur. Sont donc objets de propriété socialiste les produits des usines et entreprises, lors même qu’ils n’auraient aucune efficience productive, car le commerce privé serait source de bénéfices sans proportion avec le travail fourni (mais comme ces produits sont destinés à être consommés, les biens de consommation n’existeraient pas si n’intervenait un second critère). À l’inverse est disqualifiée la petite économie individuelle exploitée familialement, car elle n’entraîne le prélèvement d’aucune plus-value. Aussi distingue-t-on parfois, entre propriété socialiste et propriété personnelle, un troisième type, exceptionnel, de propriété: la propriété privée sur certains moyens de production. Mais il est une autre explication du phénomène: elle consiste à dire que les petits moyens de production, étant destinés à satisfaire les besoins des citoyens, sont classés parmi les biens de consommation en raison de leur affectation. En effet, en second lieu, la classification d’un bien ne dépend pas de sa nature mais de son affectation. Ainsi s’explique qu’un produit puisse être bien de consommation; on pressent aussi que les qualifications sont sujettes à fluctuation. L’article 6 de la Constitution de l’U.R.S.S. de 1936, repris par l’article 11 de la Constitution de 1977, énumérait le fonds irréductible des instruments de production: le sol, le sous-sol, les eaux, les forêts, les usines, les fabriques, les mines de charbon et de minerai, les chemins de fer, les transports par eau et par air, les banques, les P.T.T., les grandes entreprises rurales organisées par l’État. Pour ce qui est des biens de consommation, leur liste était moins ferme. Les biens d’usage et de confort étaient objet d’appropriation individuelle si on les considérait comme destinés à la satisfaction des besoins de chaque membre de la société: c’était la tendance en Union soviétique. Mais, dans la première fureur des communes populaires en Chine, les casseroles familiales même passèrent, un instant, en propriété collective: les repas devaient être pris en commun. Appropriation individuelle, propriété collective: c’est question de propriétaire.
2. Le sujet de droit
Une thèse classique prétend enfermer l’évolution du droit de propriété (foncière essentiellement) en un schéma simple et bien ordonné: de la propriété collective à la propriété individuelle, par un rétrécissement continu, on serait passé d’un communisme clanique à une communauté de village accompagnée d’attributions provisoires de terres, puis à une communauté de famille indivise, enfin à la propriété du groupe familial restreint et à la propriété individuelle.
Pour être discutable, ce schéma n’en est pas moins présenté parfois comme exprimant une sorte de loi scientifique. Non pas en ce sens que la propriété individuelle constituerait l’aboutissement de l’évolution; tout au contraire, la donnée du communisme initial aurait indiqué, pour les écoles socialistes, que la propriété individuelle n’était qu’une phase transitoire de l’histoire de la propriété, laquelle s’accomplirait dans la socialisation.
De ces reconstructions et anticipations conjecturales ou tendancieuses, on ne retiendra que les trois espèces de propriétaire qu’apparemment elles découvrent: l’individu, le groupe, l’État.
L’individu
La propriété individuelle ne dénote pas fatalement un système social individualiste: on la rencontre à toutes les époques et sous tous les régimes. Elle peut revêtir diverses formes: non seulement l’appropriation privative, mais encore l’appropriation plurale.
Appropriation privative
Selon les sociétés, le problème que pose l’appropriation privative est celui de son importance ou de ses caractères. Les sociétés traditionnelles, quoi qu’on en dise, admettent la propriété privée, non seulement des meubles mais même des immeubles. Il reste que la propriété individuelle n’est pas la plus conforme à la mentalité archaïque. Aussi est-ce un grave problème que de savoir si le développement doit s’opérer à travers la propriété individuelle. Il est notable que les gouvernements se sont en général abstenus de prendre une position de principe sur la question (là où elle était posée, c’est-à-dire en matière foncière); d’autre part, les programmes mis en œuvre sont variés. Il semble cependant que la modernisation du régime foncier se réalise assez largement par le moyen d’une individualisation de la propriété, lorsqu’elle ne l’encourage pas. Il ne saurait être question toutefois de discerner là une extension du domaine de la propriété privative, tant est grande l’ineffectivité des textes dans les pays en voie d’évolution.
C’est, assez naturellement, dans les sociétés socialistes que le phénomène de l’appropriation privative a offert le plus d’intérêt. Ces sociétés – on l’a vu – connaissaient deux espèces de propriété individuelle: la propriété privée et la propriété personnelle. La propriété privée est celle des moyens de production (la Chine a même laissé se développer une propriété dénommée expressément «capitaliste»). Vouée à disparaître une fois atteinte l’étape du socialisme, elle se voyait admise plus ou moins largement selon les secteurs productifs et selon que l’on s’efforçait de ménager des transitions ou que l’on voulait hâter le processus de socialisation.
La propriété personnelle porte sur les biens de consommation. Il y eut à son égard deux attitudes. Dans la conception soviétique (qui fut celle de la généralité des démocraties populaires), le développement de la propriété personnelle était le signe d’un haut niveau de vie, conforme à l’idéal socialiste d’épanouissement de l’homme; il devait donc être favorisé, c’est-à-dire que l’on devait encourager les citoyens à s’enrichir, par le travail cela va sans dire. L’espérance de la propriété était ainsi un stimulant de la production. Mais il y avait là une source d’inégalité entre les citoyens, eu égard à l’ouverture de l’éventail des rémunérations. De plus, les biens objets d’une propriété personnelle étant non seulement destinés à l’usage et à la jouissance, mais encore susceptibles de transactions (vente, location) et transmissibles par héritage, on pouvait parler d’un embourgeoisement du droit de propriété, organisé et garanti par le droit.
C’est pour cette raison que la Chine maoïste resta, quant à elle, hostile au développement de la propriété personnelle, mais, selon les auteurs soviétiques, la cause de cette attitude était que la Chine ne pouvait atteindre le niveau de production et de développement de l’U.R.S.S. En théorie, la poursuite de la richesse était dénoncée comme nécessairement créatrice (ou révélatrice) d’une mentalité bourgeoise et capitaliste, et les maîtres à penser jugeaient malsain de stimuler la production par l’attrait de la propriété. Le système de rémunération s’inspira davantage des principes égalitaristes, et la commune populaire provoqua une réduction de la liste des biens laissés en propriété personnelle.
Ces distinctions n’ont évidemment plus cours depuis l’effondrement politique des régimes socialistes en Europe. Elles sont également obsolètes en Chine et au Vietnam où les élites bureaucratiques ont misé sur un développement effréné de l’économie de marché par appropriation privative des secteurs productifs pour conforter leur pouvoir politique. Il est vrai que l’appropriation privative c’est, en société capitaliste, la propriété tout court. Sous cet angle il n’y a rien de spécial à en dire ici, sinon qu’elle est souvent moins individualiste qu’on ne le penserait. Les actes juridiques dont la propriété est l’occasion rendent le propriétaire solidaire des autres sujets de droit; aussi bien le droit anglais envisage de préférence la propriété comme une relation bilatérale entre deux personnes qui s’en partagent les attributs. Il n’est pas jusqu’à l’aliénation qui ne fasse sortir l’individu propriétaire de la solitude où on l’imagine.
Appropriation plurale
À côté de l’appropriation privative, bénéficiant à une personne unique, on rencontre dans de nombreux systèmes juridiques des situations où plusieurs personnes ont des droits de propriété concurrents sur la même chose (ou les mêmes choses): il y a plusieurs sujets pour le même objet. Mais si, parfois, il ne s’agit encore que d’un fractionnement de la propriété individuelle, dans d’autres cas on est proche d’une propriété collective.
Il n’y a de difficulté théorique à voir dans la copropriété ordinaire (ou indivision) une somme de propriétés individuelles limitées sur la chose commune que si l’on a une idée archaïque de la propriété conçue comme une souveraineté absolue et donc rigoureusement exclusive. (cf. infra , l’analyse des prérogatives que comporte la propriété). Sinon, on la définira comme un faisceau de droits parallèles qui se restreignent réciproquement, la notion de quote-part indiquant la mesure de l’appauvrissement de chaque droit (et le partage étant l’opération qui restaure une propriété privative sur une fraction de la chose localisée matériellement).
En revanche, il paraît plus artificiel de figurer la copropriété d’appartements comme une variété – compliquée – de propriété individuelle. La thèse classique (en France) consiste à l’analyser comme la combinaison d’une série de propriétés privatives (celles des appartements) et d’une indivision forcée (celle des parties communes), la seconde étant l’accessoire des premières. Cette analyse dualiste, pour avoir reçu la consécration législative et être conforme au sentiment des copropriétaires, n’en est pas moins critiquable. L’unité même du lot paraît montrer que le droit du copropriétaire est un droit indivisible et homogène. Aussi est-il sans doute préférable de considérer que, l’immeuble appartenant à tous les copropriétaires, il y a un droit unique de copropriété portant sur un bien unique, l’ensemble de l’immeuble (appartements compris); étant entendu que ce droit de copropriété est complexe et s’exerce différemment sur chaque appartement et sur les parties communes. Et comme l’immeuble est affecté à des buts communs et que l’organisation des copropriétaires en syndicat permet d’affirmer la suprématie des intérêts collectifs sur les intérêts individuels, en définitive on ne serait pas très éloigné d’une propriété collective (nullement vécue comme telle, il est vrai).
Le groupe
Il faut pouvoir envisager le groupe sur le seul plan sociologique pour y apercevoir le sujet d’un type particulier de propriété: la propriété collective. Lorsque le groupe constitue un être juridique, c’est du point de vue politique que l’on peut avoir une forme sui generis de propriété: la propriété coopérative.
Propriété collective
Il est délicat de donner une définition juridique de la propriété collective qui permette de la distinguer, sûrement mais sans arbitraire, des autres types de propriété, individuelle ou étatique. On retiendra la suivante: ce n’est pas une somme de propriétés individuelles des membres de la collectivité, mais la propriété de la collectivité. Il faut entendre par «collectivité» non pas le groupe considéré (d’un point de vue juridique) comme une entité autonome, un sujet unique – une personne morale –, mais le groupe envisagé (d’un point de vue sociologique) comme une totalité complexe et vivante de membres. Une communauté et non une société (selon la terminologie du sociologue allemand F. Tönnies). L’exemple le plus typique en est le groupe familial ou villageois des sociétés traditionnelles.
Dans les civilisations négro-africaines et orientales, la propriété communautaire, si elle a un objet d’élection, peut porter sur toute espèce de bien. Même dans les pays (États africains, Madagascar) où la terre est l’objet d’une vénération particulière et donc d’un statut juridique spécial, certains meubles (objets rituels, bijoux) peuvent être soumis à une appropriation collective; et certains peuples (ceux de l’Inde du Sud) ne faisaient aucune distinction entre les meubles et les immeubles du moment qu’ils venaient des ancêtres. D’autre part, la propriété collective est souvent liée à l’institution de la grande famille (la joint family ); mais elle est aussi pratiquée dans le cadre du clan ou du village. Elle peut en effet avoir une double fonction: dans tous les cas, assurer la subsistance et maintenir la cohésion du groupe; parfois, assurer la continuité du culte des ancêtres, ainsi que l’attachement aux biens ancestraux, la terre spécialement. Elle se présente donc sous un double aspect. D’un point de vue externe, la communauté s’attache à maintenir intact le lien qui l’unit à ses biens. Ainsi un individu ou groupement étranger ne peut s’établir sur les terres collectives sans l’agrément, ici du chef de village et de son conseil, là du chef de terre. D’autre part, le bien assurant la continuité, voire la vie du groupe, on ne peut l’aliéner sans détruire le groupe; et comme celui-ci comprend non seulement les membres vivants, mais aussi les ancêtres défunts et les enfants à naître, personne, pas même l’unanimité des membres qui le composent actuellement, ne peut en disposer librement. L’affectation aux besoins du groupe étant le fondement de cette inaliénabilité, l’inspiration de la règle en dicte la limite. Le bien peut être vendu, exceptionnellement, lorsque l’aliénation est le seul moyen d’assurer la réalisation de certaines finalités collectives: vaincre une calamité ayant frappé la famille, subvenir à l’entretien de celle-ci. Mais nul n’est en droit de décider qu’une fraction des biens communs sera attribuée privativement, à titre gratuit ou onéreux, à un étranger, ni même à un membre du groupe. On touche alors au deuxième aspect du droit de propriété.
D’un point de vue interne, ce qui contraint à qualifier la propriété de collective est que le titulaire du droit de propriété est le groupe dans son ensemble, et non les membres qui, de façon contingente et fugitive, le composent à un moment donné. Aucun de ces membres ne peut prétendre à un droit de propriété actuel ou virtuel sur un bien déterminé, ni même sur une fraction idéale des biens. Le corollaire logique de cette idée est normalement l’indivisibilité des biens; ils ne peuvent être partagés en pleine propriété mais doivent rester communs à tous les membres du groupe, et nul n’est autorisé à en demander le partage. Cette interdiction opposée à l’appropriation individuelle se combine fréquemment, spécialement s’agissant des terres, avec une reconnaissance de droits d’usage et de jouissance des membres du groupe ou de ceux qui ont contracté une alliance avec le groupe; ces droits sont concédés ou répartis dans la communauté ou un de ses organes (chef de terre). Mais la propriété collective n’est pas incompatible avec l’administration par un seul individu (chef de clan ou de famille); il suffit que le bien s’y prête.
Propriété coopérative
Dans les sociétés socialistes, la propriété coopérative était tenue pour un stade du processus de collectivisation, un degré de socialisation des moyens de production, une forme de propriété socialiste. Elle se présentait cependant différemment selon qu’on y voyait une étape vers la propriété étatique ou un moment du processus de dépassement de la propriété d’État.
La propriété coopérative que connut l’U.R.S.S. était couramment dénommée propriété kolkhozienne. Pouvait-elle être considérée comme une propriété collective? La réponse devait être affirmative si l’on se référait à l’article 7 la Constitution de 1936, qui parlait de la propriété commune du kolkhoz: la propriété appartenait à la collectivité de tous les membres du kolkhoz, le propriétaire était la communauté coopérative. Deux séries de considérations conduisent toutefois à mettre en question cette qualification. D’une part le titulaire du droit de propriété était le kolkhoz en tant que personne morale et non la communauté des paysans kolkhoziens. D’autre part, en pratique, il ne semble pas que l’institution ait été animée par un quelconque esprit communautaire. Si la règle était que la ferme collective fût administrée par l’assemblée générale de ses membres, ses activités productives, loin d’être libres, devaient être conformes au plan d’État concernant l’agriculture et, plus généralement, les activités du kolkhoz étaient étroitement contrôlées par le gouvernement et le parti. Surtout, la propriété kolkhozienne ne portait que sur des biens en nombre très restreint: les entreprises montées par la coopérative, leur cheptel mort ou vif, la production et les bâtiments; la terre n’appartenait pas au kolkhoz, étant propriété exclusive de l’État. Autrement dit, à la différence de ce qui se passait dans la coopérative bourgeoise, le moyen de production essentiel était détaché des travailleurs et le produit du travail collectif ne les concernait qu’indirectement. Cette distance, à la fois juridique, psychologique et économique, entre les choses et les hommes fut la cause déterminante de ce qu’il faut appeller au moins une absence de succès de l’institution. L’enclos familial retenait tous les soins des kolkhoziens, et ils s’efforçaient de l’arrondir indûment au détriment des terres affectées au kolkhoz.
La conception chinoise de la propriété coopérative était, à l’origine, inspirée de la conception soviétique, mais dans des conditions de fait très différentes. En effet, la République populaire n’aurait pu proclamer la terre propriété de l’État sans s’aliéner l’appui de la classe paysanne; la terre est donc restée propriété privée des travailleurs individuels. Toutefois, si cette forme de propriété était protégée, elle n’était pas encouragée et c’est la propriété coopérative qui, par un libre consentement, devait acheminer à la propriété de l’État, forme d’avenir. Ce schéma fut ensuite retouché par la création des communes populaires en 1958, lesquelles devinrent propriétaires de la quasi-totalité de la terre (cultivable, du moins). Si l’on retient les critiques adressées, lors de la Révolution culturelle, à certaines mesures appliquées dans les communes, il apparaît que celles-ci ont connu un mouvement d’extension des parcelles individuelles au détriment de la propriété de la commune (l’analogie avec la réalité soviétique est assez frappante); il semblerait donc que la propriété de la commune n’ait guère été sentie par les paysans comme étant leur propriété collective. Mais, en revanche, si l’on considère que l’unité de base titulaire du droit de propriété ne fut plus normalement, à partir de 1962, la commune elle-même, mais sa subdivision, l’équipe, de dimension restreinte (une quarantaine de familles), et que le système constitua un moyen de lutte contre la bureaucratie, par l’autogestion, il apparaît que les instruments de production furent proches de ceux qui en avaient fait l’apport et les utilisaient, ce qui favorisa le sentiment d’appartenance et autorisa à parler de propriété collective. Si l’on ajoute que les communes populaires avaient pour but d’atteindre le communisme avant la date, on peut légitimement y voir une tentative de propriété «sociale», la propriété d’État constituant un stade dépassé. La décollectivisation des terres engagée à partir de 1980 mettra un terme à cette expérience.
L’État
Il ne s’agit pas ici de s’intéresser d’une façon générale au domaine de l’État, privé ou public, mais seulement d’évoquer – sous l’angle du sujet de la propriété – la translation de propriété qui a fait passer certains biens du patrimoine de propriétaires privés à celui de la collectivité publique et qui peut être dénommée génériquement nationalisation.
Théoriquement, il y eut deux conceptions de la nationalisation entre lesquelles se partageait la doctrine socialiste. La nationalisation étatisée consiste à centraliser entre les mains de l’État les moyens de production, en créant une propriété d’État; la nationalisation industrielle, au contraire, s’analyse en une décentralisation puisqu’elle consiste à confier la propriété nationale aux intéressés eux-mêmes (c’est-à-dire aux représentants d’intérêts distincts de ceux de l’État).
Pour les marxistes soviétiques, la première conception était seule orthodoxe: la propriété socialiste d’État était la forme suprême de la propriété. Pourtant, l’article 6 de la Constitution de l’U.R.S.S., qui énumérait les instruments de production, les déclarait propriété d’État, «c’est-à-dire du peuple tout entier», et l’équivalence était couramment posée dans les pays socialistes. La propriété socialiste d’État n’aurait-elle pas été alors une propriété collective – celle du peuple entier – et non pas la propriété de l’État, personne morale du droit public? Cette qualification ne paraît pas pouvoir être retenue. En premier lieu, la propriété d’État forme un fonds unique, concentré tout entier dans les mains de son propriétaire; or, une propriété collective à la dimension d’une nation moderne est dépourvue de signification concrète. D’autre part, loin d’être placés dans un rapport direct d’association, les travailleurs se trouvaient en face de l’État, qui, inscrit au Bureau international du travail (B.I.T.) sur la liste des employeurs, les embauchait et les rémunérait; or, la condition d’employé est incompatible avec celle de propriétaire et, inversement, la qualité d’employeur implique celle de propriétaire des moyens de production. Dans ces conditions, la formule «propriété du peuple tout entier» dénotait sans doute le caractère socialiste du régime, mais elle était sans valeur juridique. Aussi bien les auteurs énonçaient que le peuple est représenté par l’État, qui est son expression juridique: le sujet unique du droit de propriété socialiste d’État est l’État socialiste.
L’analyse pourrait conduire à une conclusion différente s’agissant des nationalisations du type français (en tant qu’elles ont entraîné la constitution d’établissements nationaux). C’est en effet l’idée de nationalisation industrielle, à l’opposé de l’étatisation, qui a inspiré les textes des années 1944 à 1946, puis ceux de 1982. Certains ont attribué la propriété des biens des entreprises à la «nation». Cette terminologie a suscité des difficultés. Il est notable, cependant, que l’on n’ait pas invoqué la notion de propriété collective de la nation; la pensée juridique contemporaine répugne à concevoir une propriété sans le support d’une personnalité, physique ou morale. La nation n’ayant pas de personnalité juridique, quelques auteurs ont considéré que ce sont les établissements publics nationaux, personnifications de certains intérêts de la nation, qui sont propriétaires; et, les essais de gestion des entreprises nationales par des conseils qui associaient les représentants des travailleurs et des usagers entraînant la transparence des personnes morales propriétaires, on aurait avoisiné la propriété collective de groupes nationaux. Pareille représentation du phénomène s’est révélée très éloignée de la réalité. Juridiquement, il est vrai que si l’État est la seule personnification de la nation, le domaine national, en France, n’a jamais constitué un fonds unique; chaque établissement national a une personnalité différente de celle de l’État et est titulaire du droit de propriété sur ses biens. Mais, en fait, les pesanteurs de la tutelle étatique l’ont fait apparaître le plus souvent comme un simple rouage de l’État, du moins tant que ce dernier n’a pas adopté une politique de désengagement débouchant sur des reprivatisations.
Ainsi, il y aurait eu marche vers l’étatisme et non affermissement d’une propriété de la collectivité en l’absence d’une organisation adéquate de la collectivité. Le régime yougoslave prétendit avoir dépassé le stade de la propriété étatique précisément par le moyen d’une organisation nouvelle de la collectivité, qui permettait d’atteindre la propriété «sociale». Propriété sociale – ou propriété de la société tout entière –, ainsi fut dénommé le système où la société était personnifiée par deux séries d’organes qui s’en partageaient les attributs, les organes politiques (qui avaient un droit à une partie des bénéfices et un droit de contrôle) et les organes économiques (qui avaient le droit d’usage, le droit à une partie des bénéfices, le droit de disposition et, plus largement, le pouvoir de décision, selon les principes de l’autogestion); c’était répartir la propriété entre deux sujets qui en exerçaient les fonctions en vue de réaliser la libération sociale du travail, les producteurs associés étant maîtres des conditions sociales de leur existence.
Abstraction faite de l’échec patent de ce système qui n’a pas survécu à la Yougoslavie de Tito, il resterait à se demander si cette notion de «propriété sociale» représentait une transformation de la propriété en tant que droit, ou bien sa négation. Ce qui suppose la détermination du contenu de la relation de propriété.
3. La relation du propriétaire à son bien
L’article 544 du Code civil donne de la propriété une définition célèbre: «La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.» Outre que cette définition n’a pas vocation à s’appliquer à toutes les espèces concevables de propriété, elle a l’inconvénient de ne découvrir (imparfaitement) que la structure de la relation du propriétaire à son bien, en dissimulant sa genèse.
Genèse de la propriété
La propriété s’acquiert par des modes qui varient selon le temps et les lieux, qui dépendent de facteurs historiques et techniques mais aussi d’exigences de politique juridique. On distingue des systèmes, et, dans ces systèmes, on distingue encore selon qu’il s’agit de meubles ou d’immeubles, selon que le mode d’acquisition est originaire ou dérivé, selon que le transfert opère erga omnes ou non, etc. Et ce chapitre est l’occasion de développements philosophiques sur l’origine et la justification de la propriété.
De toutes les discussions possibles, on en évoquera seulement une, qui touche à la conception même de la propriété comme relation. On a soutenu que l’acquisition à titre dérivé – le transfert de propriété – était logiquement impossible car, la propriété étant une relation, modifier un de ses termes (le titulaire) revenait à détruire la relation. L’acte dit de transfert serait en réalité complexe: extinction du droit existant, puis création d’un droit nouveau; et donc tous les modes d’acquisition de la propriété seraient des modes originaires. Cette thèse qui lie la relation à la personne de son titulaire comporte une faible part de vérité: il est des propriétés, surtout parmi les propriétés incorporelles, qui sont attachées à certaines qualités personnelles. Mais le droit de propriété ne vaut pas par la seule personnalité de son titulaire: c’est un mode d’accès aux utilités procurées par une chose, et on n’aperçoit pas a priori ce qui pourrait logiquement interdire de concevoir que ce mode demeure inchangé alors que change la personne de son bénéficiaire.
Il faut donc passer à l’analyse de la relation, sous bénéfice de l’avertissement suivant. Parmi les éléments de la propriété, on range précisément la faculté en vertu de laquelle le propriétaire peut transférer son droit: le pouvoir de disposition. Mais, d’une part, ce pouvoir n’est pas essentiel, car il peut être limité, voire supprimé par la volonté du propriétaire ou par le droit objectif (on n’a aucune bonne raison de refuser la qualification de propriété à une propriété inaliénable, la propriété collective des sociétés africaines, par exemple); et, d’autre part, il n’est pas caractéristique, étant inhérent à tous les droits patrimoniaux.
Structure du droit de propriété
Le droit de propriété est souvent décrit comme un ensemble d’attributs, de pouvoirs, de prérogatives: c’est un droit subjectif. Mais il tend aussi à apparaître comme un statut légal, un complexe de droits et de devoirs, conférés ou imposés par l’État, organe du bien public.
Les prérogatives
Dans le droit de propriété, les jurisconsultes romains ont reconnu trois éléments: l’usus , droit d’user de la chose; le fructus , droit d’en recueillir les fruits ou plus généralement les revenus; l’abusus , droit de disposer de la chose, en termes juridiques essentiellement, c’est-à-dire en l’aliénant. Dans les systèmes qui ont recueilli l’héritage du droit romain (et singulièrement en droit français), l’opinion orthodoxe consiste à considérer ces trois prérogatives comme liées en un faisceau indissociable, concentrées entre les mains d’un sujet unique (et, faut-il ajouter, s’appliquant à une chose corporelle): les composantes que l’analyse peut isoler par un effort d’abstraction sont en réalité fondues en un concept unitaire. Cette vision simpliste est loin d’être universellement accueillie; elle correspond mal à la propriété telle qu’elle est organisée par le droit positif des pays romano-germaniques.
La doctrine suivie par le droit anglais est différente. Deux facteurs ont concouru à écarter de la mentalité juridique anglaise l’idée d’un exclusivisme du droit de propriété. Un facteur économique d’abord: dans une civilisation agraire où l’argent est peu abondant et de peu de rapport (cas de l’économie médiévale), ce qui compte le plus dans un bien, c’est la jouissance matérielle de la chose ou, plus largement, la maîtrise exercée sur une chose. Mais, en outre, tous ceux qui retirent une utilité de la chose, qui en jouissent d’une façon ou d’une autre, ont un droit différent sur cette chose: il peut y avoir une coexistence de droits multiples qui s’entrecroisent et, par exemple, s’agissant d’un fonds de terre, il y a des droits sur le dessus, sur le dessous, sur les eaux, sur les fruits, sur les services; du point de vue du temps, certains droits sont l’occasion d’une jouissance actuelle, d’autres donnent vocation à une jouissance future. Un facteur politique ensuite: le système féodal se caractérise par une division des droits sur la même terre, un démembrement de la propriété en divers «domaines» dont chacun est défini par les attributs qu’il comporte, et nul, sinon le souverain, ne peut détenir la totalité des attributs possibles dont la somme constituerait la propriété. De la conjonction de ces deux données historiques, il est résulté qu’aujourd’hui on a, en Angleterre, non pas une propriété exclusive sur une terre, mais un certain intérêt, un estate (incorporel, comme on l’a vu), et il peut y avoir sur la même chose un nombre variable d’estates : la propriété – ce qui serait la propriété – est normalement fragmentée dans la matière que (très approximativement) on appellera immobilière; ainsi, on n’y parle pas de propriété (ownership ), sinon de celle de l’estate .
Les réminiscences féodales retiennent les Anglais de parler de la propriété; en revanche, c’est l’abolition de la féodalité qui a conduit, en France, à figurer la propriété comme exclusive. Et pourtant, il n’est pas difficile de déceler dans les faits un éclatement de la propriété que ne traduit pas la terminologie. En effet, définir la propriété comme le droit en vertu duquel une chose est soumise à une personne de façon exclusive est inconciliable avec l’existence de droits que l’on présente comme des démembrements de la propriété. S’il est créé un tel droit (usufruit ou servitude), le droit que conserve le propriétaire n’est évidemment plus plein et entier, n’est plus exclusif. On se trouve en présence de deux fragments de la propriété, mais dont aucun ne devrait être la propriété. En fait, si le langage juridique consacre cette disqualification en cas d’usufruit, lequel ne laisse subsister qu’une nue-propriété, il continue d’appeler propriété un droit grevé de servitude (et aussi d’hypothèque), c’est-à-dire un droit qui, d’après la définition, ne devrait plus être une propriété; et si ce droit est toujours la propriété, c’est que celle-ci n’est pas un droit exclusif.
Ainsi, même en France, les attributs de la propriété peuvent être partagés entre plusieurs personnes. Il ne faudrait pas cependant pousser trop loin le rapprochement avec le droit anglais. Car, lorsqu’il y a démembrement de la propriété, on ne cesse pas, en France, de regarder une personne, et une seule, comme propriétaire: celle dont le droit, virtuellement complet, peut recouvrer en fait sa plénitude par la disparition d’un autre droit, au contenu bien circonscrit, qui le limitait provisoirement. L’exclusivisme doit s’entendre aussi bien en puissance qu’en acte. En outre, le nombre des démembrements de la propriété qui sont organisés par le législateur est restreint et l’on admet généralement que c’est un numerus clausus : il n’appartient pas aux particuliers (ou à leurs conseils) de décomposer la propriété en de nouvelles combinaisons, alors qu’en Angleterre le nombre des estates n’a d’autres limites que les exigences de la pratique et la circonspection des lawyers .
L’évolution du droit
Sur le plan des principes, la différence se maintient donc à peu près intacte. Toutefois, l’évolution du droit a démenti de façon plus profonde la conception française de la propriété plénière. La «propriété commerciale» (déjà rencontrée) peut s’analyser comme la patrimonialisation, grâce à la cessibilité, du droit au bail, droit de créance contre le bailleur; mais on peut y voir aussi, et de façon plus réaliste, un mode d’accès aux utilités procurées par le local, en l’espèce un droit à l’utilisation du local, c’est-à-dire un intérêt sur la chose, voisin et concurrent de celui retenu par le bailleur et qui lui donne droit aux revenus.
On peut faire la même analyse à propos de la «propriété culturale» qui s’est développée au détriment de la propriété du sol. On y serait convié par la terminologie qui fait coexister deux «propriétés» sur la même chose, alors que les démembrements classiques étaient soigneusement distingués de la propriété. En termes légèrement différents, on dirait que la même chose est l’objet de deux relations, et l’on pourrait être tenté de regarder chacune d’elles comme une entité abstraite, elle-même objet de propriété. Plutôt que de retrouver la conception féodale du domaine divisé, on rejoindrait ainsi celle, anglaise, de la propriété fragmentée. Toujours est-il que les faits contraignent à admettre l’idée que les attributs de la propriété peuvent être partagés entre plusieurs personnes. On n’a, dans ces conditions, aucun malaise à éprouver devant l’indivision ni, sur un tout autre plan, aucune bonne raison de refuser à la «propriété sociale» qui fut expérimentée en Yougoslavie la qualification de propriété, du seul fait qu’elle était divisée entre deux sujets.
On n’a pas rendu entièrement compte du contenu de la propriété en recherchant si ses éléments sont concentrés ou éparpillés, car on en est resté ainsi à une conception plutôt formelle, sans bien voir la portée économique et sociale des faits. L’examen des rapports internes qui s’établissent dans les sociétés commerciales conduit à une nouvelle image, plus animée, de la propriété. En effet, on a découvert que, dans les grandes entreprises organisées selon le type de la société par actions, les propriétaires de jure , les actionnaires, sont dépouillés de la prérogative fondamentale qui consiste, pour le propriétaire, à administrer sa chose. Cette faculté appartient en fait aux administrateurs et autres managers , qui disposent de la richesse d’autrui en toute indépendance, étant donné le nombre, l’isolement et l’inorganisation des actionnaires. Il y aurait séparation entre propriété (réduite au droit de percevoir un dividende) et contrôle de la richesse.
L’interprétation du phénomène comme effet de la révolution technocratique n’est pas évidente du point de vue de la science économique et politique; elle est encore plus délicate en termes juridiques. À titre préliminaire, en stricte doctrine, ces problèmes ne concerneraient pas la propriété. Comme on l’a vu, les associés ne sont propriétaires que de leur part sociale, qui n’est pas en cause; la propriété du patrimoine social appartient à la société, être moral, et le pouvoir de le gérer est également conféré aux managers en tant que représentants ou organes de cet être. À quoi l’on peut objecter que l’artifice de la personnalité morale ne doit pas masquer la réalité sociale, alors surtout que les actionnaires, par leur droit de vote aux assemblées, sont théoriquement les maîtres de la société, et que, même du strict point de vue juridique, il convient de savoir en quoi consiste la propriété sociétaire.
On peut alors considérer que, du moins en ce qui concerne les entreprises, la propriété est une notion seconde: ce qui compte c’est le pouvoir, c’est-à-dire le contrôle, la gestion (et en définitive l’essentiel du profit). On opposerait ainsi le pouvoir à la propriété, laquelle se résoudrait dans le droit de percevoir le revenu du capital que constitue le bien (ou d’aliéner ce dernier). Mais plutôt qu’une dissociation entre le pouvoir et la propriété, il semble qu’il faille observer dans l’analyse deux éléments composant la propriété, une faculté de jouissance et une faculté de contrôle et de gestion, et, dans les faits, parfois, une dissociation entre ces deux éléments, c’est-à-dire une possibilité d’existence de deux propriétés partielles, l’une source de revenu, l’autre fondement d’une activité productive.
La reconnaissance d’intérêts distincts servant de fondement à un pouvoir de jouissance et à un pouvoir de contrôle n’est pas seulement une réalité de fait parajuridique que révèle l’expérience: elle est aussi l’œuvre du législateur. Non pas en ce qui concerne les managers – c’est l’infériorité de leur condition que de ne pas constituer un intérêt protégé, ce qui en ferait une propriété –, mais en ce qui concerne, par exemple, les propriétés commerciale et culturale dont on aperçoit plus précisément, à présent, le contenu. Si on admet la dissociation, on éprouvera moins de difficulté à entrevoir la nature du trust anglo-saxon, dans lequel le trustee , propriétaire selon le droit, gère (c’est-à-dire administre, mais aussi aliène) dans l’intérêt du bénéficiaire, propriétaire selon l’equity .
Les devoirs
Propriété oblige, Eigentum verpflichtet , déclare emphatiquement la loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne (à la suite de la constitution de Weimar). Une telle formule peut revêtir deux significations. De tout temps, en effet, il a existé un certain nombre de restrictions du prétendu absolutisme du droit de propriété (tel que l’auraient envisagé les Romains selon une opinion aussi répandue qu’inexacte), soit dans l’intérêt des voisins, soit dans un intérêt public. Sous des influences diverses, ces restrictions se sont multipliées à l’époque contemporaine, principalement par les interventions toujours plus fréquentes de l’État au nom de l’intérêt commun; mais, en même temps, leur finalité s’est modifiée.
Lorsque l’on constate que le propriétaire est tenu de ne pas nuire à ses voisins par un usage malicieux ou inconsidéré de sa chose, ou qu’il doit respecter certaines contraintes administratives dans un but d’urbanisme ou d’aménagement du territoire (on sait l’importance et l’efficacité, en Angleterre, du town and country planning ), il s’agit d’un devoir négatif, d’une limite par rapport à l’absolutisme idéal du droit de propriété, d’une mortification de la propriété. Le droit ne cesse pas d’être attribué à son titulaire dans son intérêt individuel; simplement, il ne peut être exercé de façon exagérément arbitraire ou égoïste, mais doit composer avec certaines exigences de l’intérêt général. Malgré les apparences, les pays socialistes ne s’écartaient pas de cette conception lorsqu’ils posaient le principe que le droit à la propriété personnelle ne peut être exercé en contradiction avec les intérêts de la société socialiste.
Mais que l’on oblige le propriétaire à exploiter, et il ne s’agit plus de devoir négatif et de limite externe: c’est de l’intérieur que l’on atteint le droit de propriété, pour le charger d’une fonction sociale. Or, en France, des lois de 1942 et 1943 contraignirent les propriétaires à mettre en culture leurs terres abandonnées, à peine de les voir données en concession à des tiers qui s’engageraient à les exploiter. L’article 838 du Code civil italien prévoit l’expropriation des biens qui intéressent la production nationale si le propriétaire néglige de les conserver ou de les utiliser. Et, dans les pays en voie de développement, la mise en valeur est fréquemment une condition de la reconnaissance de la propriété foncière et de sa permanence: à défaut, il peut y avoir expropriation. La propriété a une mission à remplir.
Il est cependant tout à fait exceptionnel que les propriétaires soient métamorphosés en ministres du Bien commun. Et il est notable que les juristes libéraux aiment à parler de la «fonction sociale» de la propriété, alors que les juristes socialistes, s’ils constataient que la loi détermine et limite les droits du propriétaire, soulignaient toujours aussi que ce dernier exerce ses pouvoirs dans son intérêt propre.
propriété [ prɔprijete ] n. f.
• 1174; lat. jurid. proprietas
I ♦
A ♦ Droit d'user, de jouir et de disposer d'une chose d'une manière exclusive et absolue sous les restrictions établies par la loi. — Dr. La propriété est un droit réel et perpétuel sur les biens corporels tangibles. Détention, possession et propriété. Acquisition de la propriété. ⇒ 1. appropriation. Accéder à la propriété. Bien accessible à la propriété. Transfert de propriété. Titre de propriété. Propriété immobilière, foncière, d'un bien-fonds. Propriété mobilière. ⇒ possession. Propriété commerciale. — Cour. Le goût, l'amour de la propriété, de la possession. « Il y a dans le sentiment qui attache l'homme à la propriété autre chose que le plaisir d'avoir, et c'est le plaisir de faire » (Alain). « La propriété c'est le vol » (Proudhon). — Propriété de l'État. Propriété capitaliste et propriété sociale. Propriété collective des moyens de production (collectivisme, communisme, socialisme). Propriété individuelle. Propriété collective d'une résidence de vacances (⇒ multipropriété) . En toute propriété (opposé à copropriété) . Pleine propriété. Avoir la propriété sans l'usufruit. ⇒ nue-propriété.
♢ Par ext. Monopole temporaire d'exploitation d'une œuvre, d'une invention par son auteur. Propriété littéraire; propriété artistique; propriété intellectuelle : droits que possèdent les créateurs sur leurs œuvres. — Propriété industrielle : droit exclusif à l'usage d'un nom commercial, d'une marque, d'un brevet, d'un dessin ou modèle de fabrique (⇒ brevet, licence, 1. marque) .
B ♦
1 ♦ Ce qu'on possède en propriété. C'est ma propriété : c'est à moi, cela m'appartient. Ce domaine est la propriété de la famille X. Aliénation d'une propriété.
♢ Personne considérée comme un bien dont on dispose. ⇒ chose. « le véritable Figaro qui, tout en défendant Suzanne, sa propriété, se moque des projets de son maître » (Beaumarchais).
2 ♦ Bien-fonds (terre, construction) possédé en propriété. ⇒ domaine, fonds, immeuble . Propriété d'agrément, de rapport. Revenu d'une propriété. Acquérir, vendre une propriété. « Il possédait par là une propriété qui appartenait à sa famille, depuis plusieurs générations » (Jaloux). Propriété indivise. Limite, bornage de propriétés. Pancarte portant les mots « propriété privée ».
♢ Spécialt Terres et exploitations agricoles. Propriété cadastrée. ⇒ parcelle. Donner une propriété à ferme. ⇒ affermer. Petites et grandes propriétés. Propriété morcelée. Regroupement de petites propriétés. ⇒ remembrement.
♢ Collect. La lutte « entre la grande propriété et la petite » (Zola). — Par ext. Les propriétaires de cette sorte de biens. Loi qui mécontente la grande propriété.
3 ♦ Cour. Riche maison d'habitation avec un jardin, un parc. Passer ses vacances dans sa propriété. Une superbe propriété. « À la sortie du village s'étendaient des propriétés : derrière les grilles [...] il y avait des perspectives de pelouses » (Nizan).
II ♦ (XIIe) (Abstrait)
1 ♦ Qualité propre, caractère (surtout caractère de fonction) qui appartient à tous les individus d'une espèce sans toujours leur appartenir exclusivement. ⇒ propre n. m. « la vie, dont la mort est une des propriétés caractéristiques » (Valéry). Les propriétés de la matière. Définir un corps, un phénomène par ses propriétés. Produit qui a la propriété de résister à la chaleur. Propriétés constitutives.
♢ Chim. Ensemble de constantes, de caractères, de réactions d'une substance; manière dont elle se comporte suivant les conditions dans lesquelles elle est placée. Les propriétés physiques, chimiques et physiologiques de l'iode.
♢ Biol. Propriétés vitales. L'excitabilité et la conductibilité, propriétés des nerfs.
♢ Math. Propriétés des opérations naturelles. — Propriétés d'un ensemble.
2 ♦ Qualité du mot propre (I, A, 5o). La propriété d'un mot. « Mon cher lecteur, pardonnez-moi la propriété de cette expression » (Diderot). Propriété des termes.
⊗ CONTR. Impropriété.
● propriété nom féminin (latin proprietas, -atis) Qualité propre de quelque chose qui le distingue d'autre chose ; particularité : Les propriétés physiques d'un corps. Convenance exacte d'un mot, d'un terme à l'idée à exprimer. Droit d'user, de jouir et de disposer d'une chose d'une manière exclusive et absolue sous les seules restrictions établies par la loi : Accéder à la propriété. Titre de propriété d'un immeuble. Bien, terrain, domaine, maison, etc., considérés dans leur appartenance à quelqu'un : La route longe de belles propriétés. ● propriété (citations) nom féminin (latin proprietas, -atis) François Noël, dit Gracchus Babeuf Saint-Quentin 1760-Vendôme 1797 La propriété est odieuse dans son principe et meurtrière dans ses effets. La Tribune du peuple François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 La plupart des hommes ont, comme les plantes, des propriétés cachées que le hasard fait découvrir. Maximes Blaise Pascal Clermont, aujourd'hui Clermont-Ferrand, 1623-Paris 1662 Mien, tien. « Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants ; c'est là ma place au soleil. » Voilà le commencement et l'image de l'usurpation de toute la terre. Pensées, 295 Commentaire Chaque citation des Pensées porte en référence un numéro. Celui-ci est le numéro que porte dans l'édition Brunschvicg — laquelle demeure aujourd'hui la plus généralement répandue — le fragment d'où la citation est tirée. Pierre Joseph Proudhon Besançon 1809-Paris 1865 Si j'avais à répondre à la question suivante : qu'est-ce que l'esclavage ? et que d'un seul mot je répondisse : c'est l'assassinat, ma pensée serait aussitôt comprise […] Pourquoi donc à cette autre demande : qu'est-ce que la propriété ? ne puis-je répondre de même : c'est le vol ! sans avoir la certitude de n'être pas entendu, bien que cette seconde proposition ne soit que la première transformée. Qu'est-ce que la propriété ? Jean-Jacques Rousseau Genève 1712-Ermenonville, 1778 Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : « Ceci est à moi » et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux et comblant le fossé, eût crié à ses semblables : «Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus et vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne ! » Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes Jean-Jacques Rousseau Genève 1712-Ermenonville, 1778 Les lois sont toujours utiles à ceux qui possèdent et nuisibles à ceux qui n'ont rien. Du contrat social ● propriété (expressions) nom féminin (latin proprietas, -atis) La grande, la petite propriété, la possession par des particuliers de vastes ou, au contraire, de petites surfaces de terre, en tant que caractéristique d'un régime économique ; les possesseurs de ces terres. Propriété commerciale, droit du locataire commerçant au renouvellement du bail. Propriété littéraire et artistique, droit moral et monopole temporaire d'exploitation pécuniaire appartenant à l'auteur, ainsi qu'à ses héritiers, sur son œuvre. Propriété industrielle, monopole concédé au titulaire d'un brevet d'invention. ● propriété (synonymes) nom féminin (latin proprietas, -atis) Qualité propre de quelque chose qui le distingue d'autre chose ; particularité
Synonymes :
- attribut
- caractère
- essence
- faculté
- nature
- particularité
- pouvoir
- propre
- qualité
- vertu
Convenance exacte d'un mot, d'un terme à l'idée à exprimer.
Synonymes :
- justesse
- précision
Contraires :
- imprécision
- impropriété
Bien, terrain, domaine, maison, etc., considérés dans leur appartenance à...
Synonymes :
- domaine
propriété
n. f.
rI./r
d1./d Droit de jouir ou de disposer d'une chose que l'on possède en propre, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et règlements. Titre de propriété. Propriété foncière, mobilière.
|| Propriété littéraire et artistique: ensemble des droits moraux et pécuniaires d'un écrivain ou d'un artiste sur son oeuvre.
|| Propriété commerciale: droit pour un commerçant locataire au renouvellement du bail.
|| Propriété industrielle: ensemble des droits concernant les créations (brevets, modèles, etc.) et les signes distinctifs (marque, nom commercial, etc.).
d2./d Chose qui fait l'objet du droit de propriété.
d3./d Bien-fonds possédé par qqn; domaine. Propriété de famille.
d4./d Propriété sucrière: entreprise dont l'activité principale est la culture de canne à sucre et la fabrication de sucre de canne.
rII./r
d1./d Caractère, qualité propre à qqch. Les propriétés physiques des corps.
d2./d Exactitude (d'un terme employé). Ant. impropriété.
⇒PROPRIÉTÉ, subst. fém.
I. —Possession légale d'un bien, de quelque nature qu'il soit. Cherchez à l'origine de la propriété vous trouverez toujours quelqu'un qui a travaillé dur. Si ce n'est pas moi, c'est mon père, mon grand-père (ARAGON, Beaux quart., 1936, p.281).
A. —Empl. à valeur de coll.
1. Droit légal qu'a une personne à disposer d'un bien qui lui revient en propre. La propriété héréditaire et inviolable, est notre unique défense personnelle; la propriété n'est autre chose que la liberté (CHATEAUBR., Mém., t.4, 1848, p.592). Parmi les Jacobins (...) on voulait le partage des biens, c'est-à-dire une autre forme de la propriété, —la propriété morcelée, populaire (NERVAL, Illuminés, 1852, p.290).
a) [Sans compl.] Tel auteur enseigne que la propriété est un droit civil, né de l'occupation et sanctionné par la loi; tel autre soutient qu'elle est un droit naturel, ayant sa source dans le travail (...) je prétends que ni le travail, ni l'occupation, ni la loi ne peuvent créer la propriété; qu'elle est un effet sans cause (...) que de murmures s'élèvent ! —la propriété, c'est le vol! (PROUDHON, Propriété, 1840, p.131):
• 1. Il faut en finir avec les préjugés qui emmaillottent l'humanité: la propriété, l'héritage, la famille, ont fait leur temps. —La propriété, l'héritage, la famille! Vous voulez donc la ruine universelle? —Vous l'avez dit, citoyen, répliqua Solon avec autorité, je veux la ruine universelle. Qu'est-ce que la propriété? Une insulte à l'indigence. Qu'est-ce que l'héritage? Une insulte à la justice. Qu'est-ce que la famille? Une insulte aux enfants trouvés.
SANDEAU, Sacs, 1851, p.52.
SYNT. Atteinte, attaque à la propriété; attenter à la propriété; abolition, défense, maintien, principe, régime, sens, sentiment de la propriété; idée, instinct, notion, système de propriété.
— DR. CIVIL. La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les réglemens (Code civil, 1804, art. 544, p.100). La propriété s'acquiert aussi par accession ou incorporation, et par prescription (Code civil, art. 712, 1804, p.130).
— P. méton. Ensemble des biens, à l'exclusion des biens incorporels, possédés par une personne ou un groupe de personnes. Division de la propriété. Le colonel (...) avait infligé un discours sévère sur le respect de la propriété en pays allié et ami (VERCEL, Cap. Conan, 1934, p.91).
♦La propriété, (la petite, la grande) propriété. Ensemble des possesseurs de biens, et plus spécialement des propriétaires terriens, dans un régime qui favorise soit la petite, soit la grande propriété. La petite propriété, octroyée seulement, comme telle peut être suspendue et le sera bientôt (...) la grande propriété est la seule qui produise (COURIER, Pamphlets pol., Disc. souscr. acquis. de Chambord, 1821, p.86).
b) [Suivi d'un adj. spécifique ou d'un compl. de nom précisant]
— [l'appartenance ou la réf. à un système pol. déterminé] Propriété individuelle, personnelle, privée (en oppos. à propriété collective, publique; régime de la propriété individuelle; propriété collective des moyens de production); propriété bourgeoise, communiste; propriété de classe, d'état. Dans un pays de petits propriétaires, c'est-à-dire de propriétaires âpres et stricts, la propriété individuelle gouverne tout, s'étend sur tout; la propriété communale, la propriété de l'État, ont une tendance à se modeler sur elle, à en épouser les formes (THIBAUDET, Réflex. litt., 1936, p.48):
• 2. Et voilà pourquoi l'objet essentiel du socialisme, collectiviste ou communiste, est de transformer la propriété capitaliste en propriété sociale. Dans l'état présent de l'humanité (...) la propriété sociale aura la forme d'une propriété nationale. L'action des prolétaires s'exercera de plus en plus internationalement.
JAURÈS, Ét. soc., 1901, p.130.
— [la nature de l'obj. possédé]
♦Propriété mobilière. Droit de disposer de biens meubles. Propriété immobilière. Droit de disposer de biens immeubles. [Les chartes] fixent le montant de la propriété mobilière et immobilière que ces sociétés peuvent posséder (CRÈVECOEUR, Voyage, t.3, 1801, p.221).
♦Propriété foncière. Droit de disposer d'un bien-fonds. De nos jours, l'amour du paysan pour la propriété foncière est extrême, et toutes les passions qui naissent chez lui de la possession du sol sont allumées (TOCQUEVILLE, Anc. Rég. et Révol., 1856, p.88).
2. P. anal. Monopole s'exerçant sur un bien incorporel.
a) Propriété artistique, littéraire. Ensemble des droits (cessibles et temporaires) garantissant la protection des auteurs, compositeurs et artistes pour l'exploitation de leurs oeuvres. Vous savez que la propriété littéraire aux yeux des tribunaux ne résulte que du dépôt de 2 exempl. à la bibliothèque royale en vertu de la loi de 1791 ou 13 [1793] (BALZAC, Corresp., 1842, p.409).
b) Propriété industrielle. Ensemble des droits exclusifs permettant l'exploitation d'une marque, d'un brevet, d'un dessin, d'une appellation. Sans doute la propriété industrielle a de grands avantages (...). La propriété foncière garantit la stabilité des institutions; la propriété industrielle assure l'indépendance des individus (CONSTANT, Princ. pol., 1815, p.59).
c) Propriété commerciale. Droit d'un commerçant locataire de conserver l'usage du local qu'il utilise à l'issue du bail signé avec le propriétaire. La loi sur la propriété commerciale lèse gravement les intérêts des propriétaires d'immeubles (MEYNAUD, Groupes pression Fr., 1958, p.230).
B. —Ce que l'on possède en propre.
1. Empl. concr.
a) Chose appartenant à une personne en particulier. C'est ma (sa) propriété. C'est mon (son) bien, cela m'(lui) appartient. Avoir l'instinct de propriété. Mais les billets ne vous appartiennent pas, ils sont la propriété de l'enfant (ZOLA, Argent, 1891, p.157). Marinette regardait ce lit comme sa propriété exclusive (PESQUIDOUX, Livre raison, 1932, p.23).
b) En partic. Terre, belle maison d'habitation, domaine appartenant à une ou plusieurs personnes. Les propriétés de qqn. C'est une charmante propriété: eaux vives, bois touffus, habitation confortable (DUMAS père, Monte-Cristo, t.1, 1846, p.620). L'usufruitière (...) habite une petite propriété bien entretenue qu'elle soigne comme son souffle (RENARD, Journal, 1891, p.94):
• 3. ... [il] finit par s'arrêter devant la grille d'une vaste propriété plantée d'arbres, entourée de murs, à l'extrémité de laquelle on apercevait un joli petit castel de moderne structure, tandis que dans une direction opposée et dans un coin du parc, se dressait une maisonnette.
PONSON DU TERR., Rocambole, t.1, 1859, p.374.
SYNT. Propriété bâtie, familiale, privée, rurale, viagère; propriété indivise; propriété à vendre; belle, grande, immense, jolie, magnifique, superbe, vaste propriété; propriété de campagne; acheter, acquérir, posséder, vendre, visiter une propriété; impôt sur les propriétés (bâties).
— P. compar. Je craignais de troubler ta joie. Et j'ai pris honte aussitôt de cette joie, qui m'est apparue comme une propriété privée avec un «défense d'entrer» cruel (GIDE, École femmes, 1929, p.1272).
c) P. anal. [Appliqué à une pers.] Personne que l'on considère comme son bien propre ou que la loi permet (tait) de considérer comme tel. Pour élever les enfants, les parents les traitent ordinairement comme leur propriété absolue (LE DANTEC, Savoir! 1920, p.80). Vous admettez, vous, qu'on traite les paysans comme propriété du seigneur (...) que l'on fausse les textes de la Justice (COCTEAU, Bacchus, 1952, I, 2, p.37):
• 4. Nous voyons dans l'Antiquité, des hommes ayant exercé des métiers manuels, tenir ensuite la lyre, honorer Athènes et Rome, et conquérir l'immortalité à leur nom. Mais ces hommes avaient été élevés par une aristocratie qui les possédait et qui se faisait une vanité de leur gloire; ils étaient la propriété de leur maître.
LAMART., Corresp., 1836, p.213.
2. Empl. abstr. Erreur ou vérité, la pensée de l'homme est sa propriété (CONSTANT, Princ. pol., 1815, p.143). Ses souvenirs étaient sa propriété, elle n'aimait pas à les partager avec un autre (ROLLAND, J.-Chr., Révolte, 1907, p.589).
3. Syntagmes et loc.
a) [La nature de l'obj. possédé est sous-entendue] Droit de propriété. Droit exclusif de posséder un bien corporel, meuble ou immeuble. Le droit de propriété, ainsi que le définissent les jurisconsultes, est le droit d'user, et même d'abuser (SAY, Écon. pol., 1832, p.134).
— Accès, accession à la propriété. Accès à un bien meuble ou immeuble. Il n'est pas avantageux pour une part importante des candidats à l'accession à la propriété de chercher à allonger la durée des prêts (BELORGEY, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p.349).
— Acte de propriété. Acte notarié reconnaissant la possession d'un bien. Si Fernand était pauvre (...) la restitution de ces titres de rente, de cet acte de propriété (...) prouveraient clair comme le jour que tu l'aimes, et que, pour lui, tu renonces à tout (PONSON DU TERR., Rocambole, t.2, 1859, p.401). Certificat, titre de propriété. Attestation des droits de propriété ou de jouissance d'un bien. Le second tiroir est presque vide; il contient mes papiers de famille, quelques titres de propriété, des rentes sur l'État, achetées après tant de sueurs (JANIN, Âne mort, 1829, p.79).
b) Loc. En toute, en pleine propriété. En possession entière et exclusive (à la différence de la copropriété, de la multipropriété (v. multi- II D 1 a) ou de la nue(-)propriété). Elle est aussi riche qu'on peut désirer l'être, car cette ville et tout son canton, qui n'est pas petit, lui appartiennent en toute propriété (MONTALEMBERT, Ste Élisabeth, 1836, p.223). Avec 9.000 F d'apport achetez votre appartement en pleine propriété (Le Point, 5 déc. 1977, p.163, col. 2).
c) Nu(e)-propriété.
II. —Qualité, fonction particulière (d'une chose ou d'une personne).
A. —1. Caractère distinctif qui appartient à un être, une espèce, mais qui ne lui appartient pas toujours exclusivement. Propriété distincte, entière, essentielle, exclusive, fondamentale, particulière, spéciale, spécifique. Il a suffi à l'auteur de ce livre d'écouter les savants qui se sont spécialisés dans ces recherches et de regarder leurs expériences, pour saisir la matière dans son effort organisateur, les propriétés des êtres vivants, et la complexité de notre corps et de notre conscience (CARREL, L'Homme, 1935, p.III).
2. CHIM., SC. EXP. Phénomène ou ensemble des phénomènes, des attributs propres à un corps particulier qui peuvent déterminer sa manière d'agir ou de réagir dans des conditions précises. Je suis le chimiste qui, étudiant les propriétés de l'acide qu'il a avalé, sait avec quelles bases il se combine et quels sels il forme (A. FRANCE, Lys rouge, 1894, p.265). Seules, les propriétés chimiques de l'hémoglobine, des protéines, et des sels du plasma règlent les échanges, entre les tissus et le sang, de l'oxygène et de l'acide carbonique (CARREL, L'Homme, 1935, p.234):
• 5. ... il est déraisonnable et contraire à toutes les observations d'admettre que l'organisation produise la vie: car on distingue nettement les propriétés vitales des tissus d'avec leurs propriétés mécaniques, physiques ou chimiques, lesquelles subsistent après que la vie s'est éteinte...
COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p.199.
SYNT. Propriétés biologiques, physico-chimiques, physiques, radio-actives; propriétés communes, générales; propriétés des éléments, de la matière, des corps, du sol, des acides, des atomes, des électrons, de la lumière, des particules; étude des propriétés; corps doués de propriétés; étudier, connaître les propriétés; propriété d'un produit à (+ inf.).
— Vertu particulière d'un corps, d'une substance. La (les) propriétés des plantes. Jessy en rapportait des herbes qu'il lui nommait et qu'elle classait, le soir, selon leurs propriétés (A. FRANCE, Livre ami, 1885, p.260). Puis il fit l'éloge pompeux des eaux du Mont-Oriol, célébra leurs propriétés, toutes leurs propriétés (MAUPASS., Mt-Oriol, 1887, p.292).
— Loc. Avoir la propriété de. Avoir le pouvoir particulier de. Le mucilage a donc la propriété de s'épaissir, et de former des fibres plus ou moins fermes et souples (CABANIS, Rapp. phys. et mor., t.1, 1808, p.204).
— Autres domaines
a) GRAMM., LING. Les propriétés de l'adjectif, du mot, du langage. Promptement, c'est avec promptitude: admirablement, c'est d'une manière admirable. Mais l'adverbe n'a plus les propriétés du nom, ni de l'adjectif (DESTUTT DE TR., Idéol. 2, 1803, p.138).
b) MATH. Propriétés du cercle, des figures, des opérations, du triangle. Tandis qu'il nous enseignait les propriétés des nombres, il contemplait d'un oeil d'envie les oiseaux légers qui becquetaient les miettes de pain dans la cour (A. FRANCE, Vie fleur, 1922, p.399). Propriété des sommes. Première propriété (...). La somme de plusieurs nombres est commutative (...) Deuxième propriété (...). La somme de plusieurs nombres est associative (...) Troisième propriété (...). La somme d'un nombre et de zéro est égale au nombre considéré (LESPINARD, PERNET, GAUZIT, Math., Classe de Sc. exp., 1952, pp.10, 11).
c) MUS. Dans la notation proportionnelle [de la musique], la propriété d'une note était sa signification originelle: elle devenait sans propriété si la forme en était modifiée, ou de propriété opposée si de longue elle devenait brève, ou vice-versa, etc. (BRENET Mus. 1926, p.371).
B. —Ce qui distingue fondamentalement une personne d'une autre, ce qui constitue l'essence de l'être, sa nature profonde. J'essayais donc de me réduire à mes propriétés réelles. J'avais peu de confiance dans mes moyens, et je trouvais en moi sans nulle peine tout ce qu'il fallait pour me haïr (VALÉRY, Soirée avec M. Teste, 1895, p.9):
• 6. Il n'y a donc, mesdames (...), que le manque de jugement, les idées communes et le défaut d'éducation qui puissent porter une femme à se croire en tout l'égale de son mari: du reste, rien de déshonorant dans la différence; chacun a ses propriétés et ses obligations: vos propriétés, mesdames, sont la beauté, les grâces, la séduction; vos obligations, la dépendance et la soumission, etc.
LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.736.
— Spécialement
1. PHILOS. Synon. de faculté1 (v. ce mot A 1). La présence et les propriétés de l'âme inclinaient la créature à une modestie, à une humiliation devant Dieu et ses prêtres, que l'orgueil bourgeois ne pouvait accepter (NIZAN, Chiens garde, 1932, p.148).
2. THÉOL. Les propriétés divines, de Dieu. Qualités propres à Dieu dans la Sainte Trinité et dans ses relations avec chacune des Personnes qui la composent, ces relations étant: la Paternité (propre au père), la Filiation (propre au fils), la Procession (propre à la troisième personne). Synon. relation divine. [La philosophie] refuse de reconnaître les cinq propriétés élémentaires de Dieu, et les douze garanties que l'attraction présente à Dieu et à l'homme (FOURIER, Nouv. monde industr., 1830, p.75).
III. —[Empl. d'un mot, d'une expr., dans son sens propre ou approprié]
A. —Emploi des mots dans leur sens propre. Il entend bien la propriété des mots (RAYMOND 1832).
B. —Qualité du mot propre, emploi du terme, de l'expression qui convient dans un contexte donné (v. propre I B 1). Synon. précision, exactitude. Propriété des expressions, du langage, du style, de la plume. Le style recherché est bon, quand on le trouve; mais j'aime mieux le style attendu. La netteté, la propriété dans les termes, la clarté sont le naturel de la pensée (JOUBERT, Pensées, t.2, 1824, p.79). J'ai peiné (...) à peser la valeur des mots et leur propriété dans la phrase (T'SERSTEVENS, Itinér. esp., 1933, p.141):
• 7. Le ciel me préserve de faire peu de cas de la précision et de la propriété des termes dans un temps où l'à peu près s'étale partout dans les livres et où des auteurs même célèbres ne savent qu'imparfaitement leur langue!
LEMAITRE, Contemp., 1885, p.225.
— Parler (s'exprimer, écrire) avec propriété. Avec rigueur et précision dans le choix des termes. La Savoie est un des pays voisins de la France où l'on parle le mieux le français, où on le parle avec le plus de propriété, de clarté et de naturel (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t.7, 1853, p.267).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694, 1718: -prie-; dep. 1740: -prié-. Étymol. et Hist.1. a) 1174-76 «droit par lequel une chose appartient à quelqu'un; la chose possédée» GUERNES DE PONT-STE-MAXENCE, St Thomas, éd. E. Walberg, 915); b) 1472 «bien-fonds» (Texte ds DU CANGE, s.v. proprietates); c) av. 1715 «état d'une âme attachée à son intérêt propre» (FÉNELON, t.XVIII, p.357 ds LITTRÉ); 2. a) ca 1265 «qualité propre d'un être, d'une chose» (BRUNET LATIN, Trésor, éd. F.-J. Carmody, III, 51, p.360); b) 1576 «qualité par laquelle un mot exprime exactement une idée» (BODIN, Rep., I, 7 ds GDF. Compl.). Empr. au lat. jur. proprietas «propriété, caractère propre, spécifique» et «droit de possession, chose possédée» à l'époque impériale. Fréq. abs. littér.:5907. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 12503, b) 8732; XXes.: a) 8326, b) 4764. Bbg. DUB. Pol. 1962, pp.391-392. — LALANDE (J.-N.). Ét. lexico-sém. du mot propriété... Grammatica. 1979, n° 7, pp.11-37. — MAULNIER (Th.). Le Sens des mots. Paris, 1976, pp.187-190. — QUEM. DDL t.11. — VARDAR Soc. pol. 1973 [1970], pp.296-297.
propriété [pʀɔpʀijete] n. f.
ÉTYM. 1174; lat. jur. proprietas, de proprius. → Propre I., A.
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1 Droit d'user, de jouir et de disposer de biens d'une manière exclusive et absolue sous les restrictions établies par la loi (→ Indemnité, cit. 1).
♦ La propriété (sans compl.). || La propriété est un droit réel et perpétuel sur les biens corporels, tangibles. || Détention, possession et propriété. || La propriété, droit naturel selon la Déclaration des droits (cit. 7) de l'homme. || Origines et fondements de la propriété; la propriété fondée sur le droit du premier occupant par le travail (→ Inculquer, cit. 2, Rousseau; et aussi confirmer, cit. 3; fainéant, cit. 3). || La propriété permet d'être indépendant (cit. 8). || Le socialisme rend la propriété responsable des distinctions sociales (→ Égalitaire, cit. 1), du luxe (cit. 3). || « La propriété c'est le vol » (Proudhon). → Appropriation, cit. 3. || Propriété privée, appartenant à une personne physique ou morale. || Propriété individuelle. || Pleine propriété. || Propriété collective, commune (⇒ Copropriété). || Propriété de l'État. ⇒ Domaine (supra cit. 3). || Régime de la propriété individuelle et régime collectiviste (→ Exploitation, cit. 7). || Propriété capitaliste (⇒ Capitalisme) et propriété sociale. || Propriété collective des moyens de production. ⇒ Collectivité, collectivisme (cit. 1), communisme, socialisme. — Chose qui est ou n'est pas objet de propriété, susceptible de propriété. ⇒ Appropriable, inappropriable (cit.). || Accéder à la propriété. || Propriété acquise par travail, occupation, convention, accession (cit. 2), succession, donation, effet des obligations (→ Acquérir, cit. 2), prescription acquisitive ou usucapion… || La propriété est acquise (cit. 3) de droit dès qu'on est convenu de la chose et du prix. || Transfert de propriété. || Propriété inaliénable, incommutable. || Titres de propriété (→ Flamber, cit. 17; notre, cit. 14); certificat, acte de propriété (→ Francisation, cit.). || Marque de propriété. || En toute propriété (opposé à en copropriété) (→ Enter, cit. 2). || Avoir la propriété sans l'usufruit. ⇒ Nu (nue-propriété), usufruit. || Propriété commerciale. || Priver de la propriété. ⇒ Déposséder, désapproprier, exproprier. || Passion du paysan (cit. 5) pour la propriété. || Le goût de la propriété et de l'épargne (cit. 5). — Propriété immobilière, foncière (→ Brutalité, cit. 4). || Propriété mobilière. ⇒ Possession (cit. 2).
♦ La propriété de… (suivi du nom désignant le ou les biens). || Acquérir la propriété de qqch. (⇒ Appropriation, approprier). || La propriété d'un immeuble peut être individuelle ou collective. || Propriété collective d'une résidence de vacances (⇒ Multipropriété). || Propriété des épaves (cit. 1). || Propriété d'une lettre de change (→ Endossement, cit.), de titres (→ Expliquer, cit. 19). || Propriété de lettres missives.
1 (…) il est impossible de concevoir l'idée de la propriété naissante d'ailleurs que de la main-d'œuvre; car on ne voit pas ce que, pour s'approprier les choses qu'il n'a point faites, l'homme y peut mettre de plus que son travail. C'est le seul travail qui, donnant droit au cultivateur sur le produit de la terre qu'il a labourée, lui en donne par conséquent sur le fonds, au moins jusqu'à la récolte, et ainsi d'année en année; ce qui, faisant une possession continue, se transforme aisément en propriété.
Rousseau, De l'inégalité parmi les hommes, II.
2 Tel est le principe de la propriété simple, droit de gérer arbitrairement les intérêts généraux pour satisfaire les fantaisies individuelles.
Charles Fourier, Textes choisis, p. 91.
3 L'esprit de propriété est le plus fort levier qu'on connaisse pour électriser les civilisés; on peut, sans exagération, estimer au double produit le travail du propriétaire, comparé au travail servile ou salarié.
Charles Fourier, Textes choisis, p. 139.
4 La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
Code civil, art. 544.
5 (…) toute propriété se résout en un système de jouissances, elle procure finalement au propriétaire la satisfaction de besoins variés, besoins élémentaires de la vie, besoins de luxe, besoins de liberté ou de domination.
Jaurès, Hist. socialiste…, t. V, p. 203.
6 (…) il y a dans le sentiment qui attache l'homme à la propriété autre chose que le plaisir d'avoir, et c'est le plaisir de faire; c'est pourquoi l'homme peut s'intéresser de cœur à une œuvre commune et y retrouver avec bonheur la marque de son outil.
Alain, Propos, 25 janv. 1923, Collectivisme et Communisme.
7 Le propriétaire qui se sert de sa chose, qui cultive son champ, n'exerce pas un droit. Les choses se passeraient exactement de même s'il n'était pas propriétaire. Il y a une possibilité de fait; il n'y a pas l'exercice d'un droit. La question de droit ne se pose que lorsqu'un obstacle est apporté par une volonté étrangère à l'usage de la chose (…) on a imaginé de dire que la propriété est un droit subjectif. La propriété est protégée par le droit; mais elle n'est pas un droit; elle est une chose, une utilité, une richesse.
L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. I, p. 446.
8 Entre ces deux régimes de propriété (copropriété indivise et propriété collective), la différence n'est pas seulement dans les mots; ils diffèrent en ce que la propriété collective supprime l'autonomie des parts individuelles.
M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. I, p. 1047.
8.1 — Saloperie, dit une troisième, on lui a donc jamais appris à cette petite que la propriété, c'était sacré ?
R. Queneau, Zazie dans le métro, Folio, p. 57-58.
♦ Par ext. (appliqué à des biens incorporels, emploi discuté par les juristes). Monopole temporaire d'exploitation d'une œuvre, d'une invention par son auteur. || Propriété littéraire; propriété artistique (→ Identiquement, cit.). ⇒ Auteur (droits d'auteur). || Propriété industrielle : « droit exclusif à l'usage d'un nom commercial, d'une marque, d'un brevet, d'un dessin ou modèle de fabrique et plus généralement d'un moyen spécial de rallier la clientèle » (Capitant). ⇒ Brevet.
9 Ce projet de loi, le voici (…) il répond à tout : « Article unique : La propriété littéraire est une propriété. (…) »
2 (La propriété de qqn). Ce qu'on possède en propriété. || C'est ma propriété : c'est à moi, cela m'appartient, c'est le mien. || Faire sa propriété de… ⇒ Appropriation (cit. 2). || Richesses qui sont la propriété de quelques-uns et l'esclavage du plus grand nombre. → Engraisser, cit. 5. || Ce domaine est la propriété de la famille X… || Crime contre les personnes et les propriétés. → Association, cit. 14. || Aliénation d'une propriété.
♦ Par ext. || Des procédés qui sont la propriété commune de tous les hommes. ⇒ Patrimoine (→ Œuvre, cit. 3).
♦ Personne considérée comme un bien dont on dispose. || Les esclaves étaient la propriété de leur maître.
10 (…) le véritable Figaro qui, tout en défendant Suzanne, sa propriété, se moque des projets de son maître (…)
Beaumarchais, le Mariage de Figaro, Préface.
11 (…) que les rois sont faits pour les peuples et que les peuples ne sont pas la propriété des rois.
Ruhl, cité par Jaurès, Hist. socialiste…, t. III, p. 125.
12 (Il) est à moi; c'est mon bien, c'est ma propriété, c'est ma chose (…)
Th. Gautier, les Grotesques, II, p. 42.
3 (1472). Spécialt. (Une, des propriétés). Bien-fonds (terre, construction) possédé en propriété. ⇒ Domaine, fonds, héritage (vx), immeuble; capital (en nature). || Cette propriété consiste en une terre, une plantation, une maison. ⇒ Habitation. || Propriété d'agrément, de rapport. || Revenu d'une propriété. || Acquérir, vendre une propriété (⇒ Réaliser). || Propriété héritée des ascendants. ⇒ Patrimoine. || Propriété de famille, héritée des ascendants (se prend aussi au sens cour., ci-dessous : maison avec jardin, etc.). → Plaisir, cit. 30. — Propriété indivise (→ Hanter, cit. 19). || Limite (cit. 2), bornage (cit. 1) de propriétés. || Murs, murailles des riches propriétés bourgeoises (→ Flanc, cit. 11). || Appartenances (cit. 2), dépendances, parc (cit. 9) d'une propriété. || Pancarte portant les mots « propriété privée ». || Propriété de campagne. ⇒ Campagne (vx). || Servitudes d'une propriété. || Propriété grevée d'hypothèques (cit. 5). || Inscriptions (cit. 5) qui pèsent sur des propriétés. || Propriété vendue en viager. || Propriété qu'on loue (⇒ Bail). || Gérer (cit. 2) les propriétés de qqn. ⇒ Régisseur.
13 Il possédait par là une propriété qui appartenait à sa famille, depuis plusieurs générations. Petite terre et de maigre rapport (…)
Edmond Jaloux, Fumées dans la campagne, VIII.
♦ Cour. Riche maison d'habitation, avec un jardin, un parc.
14 À la sortie du village s'étendaient des propriétés : derrière les grilles, les barrières de bois, il y avait des perspectives de pelouses, de parterres de fleurs de buis taillés (…)
P. Nizan, le Cheval de Troie, I, I.
♦ Spécialt. Terres et exploitations agricoles. || Propriété agricole, rurale (→ Culture, cit. 4). || Grandes propriétés romaines. ⇒ Latifundia. || Propriétés des colons. ⇒ Plantation (cit. 4). || Propriété collective en U. R. S. S. (⇒ Kolkhoze; mir). || Propriété cadastrée. ⇒ Cadastre. || Donner une propriété à ferme. ⇒ Ferme. || Petites (→ Are, cit.) et grandes propriétés. || Le partage des successions émiette (cit. 3) la propriété. || Division (cit. 1) excessive des propriétés (⇒ Démembrement). || Multiplication des petites propriétés (→ Agraire, cit.). ⇒ Morcellement (cit. 1), parcellement (cit. 1). || Propriété morcelée (cit. 2). || Regroupement de petites propriétés. ⇒ Remembrement.
15 (…) la lutte s'établit et s'aggrave entre la grande propriété et la petite (…) Les uns, comme moi, sont pour la grande, parce qu'elle paraît aller dans le sens même de la science et du progrès, avec l'emploi de plus en plus large des machines, avec le roulement des gros capitaux (…) Les autres, au contraire, ne croient qu'à l'effort individuel et préconisent la petite, rêvent de je ne sais quelle culture en raccourci, chacun produisant son fumier lui-même et soignant son quart d'arpent, triant des semences une à une, leur donnant la terre qu'elles demandent, élevant ensuite chaque plante à part, sous cloche (…) Laquelle des deux l'emportera ?
Zola, la Terre, II, V.
16 Formes de propriété et formes d'exploitation ne se superposent pas toujours. La grande propriété ne constitue pas nécessairement la grande culture : dans l'Ouest, beaucoup de grandes propriétés se répartissent entre un grand nombre de petites exploitations. La petite propriété n'entraîne pas toujours la petite exploitation : dans le Vexin et le Valois, beaucoup de grandes fermes ont réuni, pour les exploiter en un même bloc de terre, un certain nombre de petites propriétés.
Demangeon, Géographie économique et humaine de la France, t. I, p. 142.
♦ Par ext. Les propriétaires de cette sorte de biens. || Loi qui mécontente la grande propriété.
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II (V. 1265). Qualité propre, caractère (surtout caractère de fonction) qui est commun à tous les individus d'une espèce (sans nécessairement leur appartenir exclusivement). ⇒ Propre (n. m.; adj.); attribut; faculté, pouvoir, vertu. || Ensemble constant de caractères et de propriétés. ⇒ Essence, nature (→ Existence, cit. 7). || Les propriétés de la matière (→ Âme, cit. 18; expérimenter, cit. 7). || Définir un corps, un phénomène par ses propriétés (→ Électricité, cit. 4). || Propriétés constitutives.
♦ Chim. Ensemble de constantes, de phénomènes, de réactions d'une substance; manière dont elle se comporte suivant les conditions (pression, température, etc.) dans lesquelles elle est placée. || Propriétés physiques (densité, température de fusion et d'ébullition, etc.), chimiques (réactions diverses), physiologiques (action sur l'organisme). — Propriétés imaginaires des pierres précieuses (→ Jade, cit. 1), des planètes (→ Maléfique, cit. 1). || Propriétés des principes (cit. 7) occultes. ⇒ Efficacité. — Biol. || Propriétés vitales (→ Physico-chimie, cit.). || L'excitabilité (cit. 3) et la conductibilité, propriétés des nerfs. || Propriété des muscles de se contracter (→ Chair, cit. 1). || Les propriétés stimulantes de l'avoine (cit. 1). — Math. || Propriétés des opérations naturelles (→ Nombre, cit. 7). || Propriétés d'un ensemble (2. Ensemble, cit. 18). || Propriétés de l'espace (cit. 8), de la ligne droite (→ 2. Plan, cit. 2).
17 (…) il connaît les vertus et les propriétés
De tous les simples de ces prés (…)
La Fontaine, Fables, V, 8.
18 Car la matière inanimée, cette pierre, cette argile qui est sous nos pieds, a bien quelques propriétés : son existence seule en suppose un très grand nombre, et la matière la moins organisée ne laisse pas que d'avoir, en vertu de son existence, une infinité de rapports avec toutes les autres parties de l'univers.
Buffon, Hist. nat. des animaux, Compar. anim. et végétaux.
19 Si dans la physique (…) on se proposait de chercher (…) quelle est la propriété première, essentielle à la substance d'où peuvent dériver toutes les qualités secondes que l'expérience découvre l'une après l'autre (…)
Maine de Biran, Examens des leçons de philosophie, §II.
20 (…) la vie, dont la mort est une des propriétés caractéristiques.
Valéry, l'Idée fixe, p. 79.
♦ Les propriétés du langage (→ Littérature, cit. 20), de la langue française (→ Génie, cit. 12).
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III (Fin XVIe). Littér. Qualité du mot propre. ⇒ Convenance. || La propriété d'un mot (→ Académie, cit. 4), d'une expression. || Propriété des termes (→ Justesse, cit. 2). — Par ext. || La propriété et la verve du style de Rabelais (→ Gymnastique, cit. 16).
21 « Mon cher Richard, vous vous f… de moi, et vous avez raison ». Mon cher lecteur, pardonnez-moi la propriété de cette expression; et convenez qu'ici comme dans une infinité de bons contes (…) le mot honnête gâterait tout.
Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 662.
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CONTR. (Du sens III) Impropriété.
COMP. Copropriété, multipropriété.
Encyclopédie Universelle. 2012.