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HARMONIE
HARMONIE

Le mot «harmonie» vient des lointains les plus reculés de la Grèce antique. Mais le sens que lui donnaient les Grecs n’est pas du tout celui qu’il revêt en musique polyphonique moderne («moderne» devant s’entendre d’une période étroitement limitée à quatre siècles environ). Encore que la notion d’harmonie ait appartenu tout d’abord moins au domaine de la technique qu’à celui de la philosophie, elle a fini par s’identifier, dans la Grèce classique, à la notion d’échelle. L’harmonie, telle que la définissent Aristoxène, Platon ou Aristote, c’est le mode , c’est-à-dire une disposition type des sons contenus à l’intérieur de l’octave, et une succession caractéristique des intervalles inégaux qui les séparent.

Tous les sons possibles sont contenus dans l’octave puisqu’ils ne peuvent, au-delà de ses limites, que se reproduire dans une tessiture différente. Mais à l’intérieur de l’octave, toutes les subdivisions sont théoriquement possibles, et les musiques étrangères à la syntaxe musicale de l’Occident en utilisent des quantités et tirent des innombrables groupements et des hiérarchies complexes à quoi elles les soumettent les plus riches significations poétiques ou religieuses.

La musique grecque classique opérait parmi tous ces possibles une sélection de sept sons, scientifiquement établie en fonction des intervalles obtenus en divisant par moitié, tiers, quart, etc., une corde vibrante. Elle établissait la valeur de consonance parfaite des intervalles d’octave, de quinte ou de quarte, et, en accordant ses instruments par le repère de ces intervalles, elle trouvait les sept sons de la gamme diatonique, dite harmonie dorienne, échelle qui juxtapose deux groupes de structure identique, chacun de quatre notes comprises dans un intervalle de quarte. Le mode dorien est ainsi fait de ce qu’on appelait deux tétracordes,
présentant la même succession d’intervalles: deux tons suivis d’un demi-ton. Les demi-tons, se trouvant à la base des deux tétracordes, donnent au mode une sorte de déclivité vers le grave.

Les intervalles entre les sons de l’échelle diatonique étant inégaux, leur énoncé successif prenait des aspects divers selon le degré qui lui servait de base. Il naissait de là des modes nettement différenciés. Certains d’entre eux (dorien, mixolydien, éolien) constituaient le groupe noble des harmonies doriennes. Les autres, constituant le groupe phrygiolydien, introduit plus tardivement dans la musique grecque, étaient d’origine orientale: phrygien (mode de ), ionien (mode de sol ), hypolydien (mode de fa ).

À partir d’une certaine époque, les musiciens grecs introduisent entre les degrés des modes (au moins entre quelques-uns d’entre eux) des chromatismes de l’ordre du quart de ton, propres à faire valoir la virtuosité des chanteurs. Symptôme de décadence qui a été sévèrement attaqué par Platon.

L’essentiel des traditions musicales de la Grèce antique est à la base du plain-chant médiéval, où l’on retrouve ses différents modes classés en huit catégories. C’est dans cette longue période étalée sur plusieurs siècles du Moyen Âge occidental que devait se produire l’évolution profonde dont est sorti le système musical sur lequel on vit aujourd’hui. Dès lors, le mot «harmonie» change de signification. Il ne s’applique plus à la succession des sons, mais à leur audition dans la simultanéité.

1. De la polyphonie à l’accord parfait

Comment s’est opéré ce retournement de situation? Par un mécanisme naturel qui a son origine dans une habitude de plus en plus répandue et envahissante dans l’église catholique, de superposer et d’enchevêtrer entre elles des lignes mélodiques différentes et aussi indépendantes que possible les unes des autres. L’art du contrepoint est né de cette pratique. Art savant, dont la complexité n’a cessé de croître, jusqu’à ce que, de cette complexité même, surgisse un élément apparemment stabilisateur: l’accord vertical, identifié, reconnu, codifié.

L’harmonie moderne est donc, à son origine, une sorte de phénomène de génération spontanée. Au sein d’une polyphonie perpétuellement mouvante et qui prenait appui sur les consonances dites parfaites (unisson, octave, quinte, quarte), où les diverses parties venaient périodiquement se rassembler, les musiciens s’avisèrent peu à peu que certaines agrégations de sons déterminés donnaient à leur oreille la sensation d’une agréable plénitude.

Ces agrégations consistaient dans l’adjonction à la consonance de quinte (do-sol ) de la tierce majeure (do-mi ), jusqu’alors considérée, d’abord comme une dissonance, puis comme une consonance imparfaite.

D’où vient cette impression de plénitude? Évidemment de la coïncidence de ces sons avec la résonance naturelle. Si bien que le mi et le sol associés au do grave ne font que préciser un complexe sonore déjà perçu à l’audition de ce do par une oreille exercée (sons harmoniques).

Ainsi fut découvert l’accord parfait majeur de trois sons, superposition de deux tierces dont la plus grave est majeure (deux tons entiers), la plus haute mineure (un ton et demi), les deux notes extrêmes étant à distance de quinte.

Les premiers accords parfaits de trois sons employés comme tels apparaissent au XIVe siècle dans différents ouvrages, le plus connu d’entre eux étant la Messe Notre-Dame de Guillaume de Machaut (1300 env.-1377). La partie centrale du credo de cette messe est un moment de l’histoire, celui où la musique, basculant de 90 degrés sur son axe, passe de l’écriture horizontale à l’écriture verticale.

Toutefois l’accord parfait n’est encore doté, dans les œuvres de cette époque, d’aucune fonction particulière. La notion d’accord n’est même pas entrée dans l’univers des musiciens. Mais la prise en considération d’un agrégat de sons en concordance avec la résonance naturelle mène à des découvertes nouvelles; d’abord à celle-ci que, sur les sept sons utilisés dans les modes diatoniques médiévaux (correspondant aux touches blanches du piano, les touches noires étant réservées aux sons altérés), il y en a trois, et trois seulement, le do , le fa et le sol , qui supportent un accord parfait conforme à la résonance naturelle. On constate d’autre part que le complexe créé par ces trois accords parfaits majeurs contient l’intégralité des sept sons de l’échelle, le do et le sol étant entendus deux fois, les autres une seule.

Il y a donc, dans ce complexe, l’affirmation catégorique de la personnalité de la gamme (ou mode) de do majeur, et de l’importance, dans cette gamme, du do et du sol , c’est-à-dire du premier degré ou tonique et du cinquième appelé dominante ; le fa , quatrième degré ou sous-dominante, venant immédiatement derrière dans cette hiérarchie.

Quant aux accords de trois sons que l’on peut construire selon le même procédé sur les autres degrés de cette gamme, en leur adjoignant un son à la tierce et un son à la quinte, ils ne présentent pas la même structure puisque, l’intervalle entre les sons extrêmes étant une quinte, les deux tierces intérieures occupent des positions renversées: tierce mineure à la base, tierce majeure au sommet.

Les accords mineurs ne peuvent donc pas être regardés comme émanant de la résonance naturelle. Si leur caractère consonant a fini par s’imposer aux musiciens de ces temps lointains, c’est en raison de cette marge de tolérance qui est le propre de l’oreille humaine, et par analogie avec la consonance, irrécusable celle-là, de l’accord parfait majeur.

Acceptés dans le système harmonique en formation, ils ont occupé pourtant, dans la hiérarchie des accords consonants, un rang inférieur.

Cet ensemble d’harmonies élémentaires s’organise donc dans un monde clos, gouverné par trois harmonies maîtresses. Le pouvoir organisateur du mode d’ut (ou de do ) ainsi affirmé devait rejeter peu à peu dans l’oubli, et pour plusieurs siècles, les modes médiévaux.

Pour voir les choses dans toute leur extension, il est temps d’ajouter que le mode d’ut étant une sélection de sept sons prélevée sur les douze sons de l’échelle chromatique (celle-ci divisant l’octave en douze demi-tons), la succession d’intervalles qui lui est propre peut être reproduite à partir de n’importe lequel des degrés de cette échelle; ce qui entraîne naturellement l’entrée en jeu des cinq sons laissés en réserve (touches noires du clavier du piano).

On obtient ainsi douze gammes de configuration identique, avec leur tonique, leur dominante, leur sous-dominante, leurs accords parfaits majeurs et mineurs; et selon certains procédés techniques groupés sous le nom de modulation , on peut passer de l’une à l’autre: c’est là le fondement du système tonal.

2. La résonance «naturelle» et l’intégration des «dissonances»

Pour demeurer dans le domaine de la théorie harmonique pure, on doit maintenant pousser plus avant l’étude du phénomène de la résonance, qui demeure, jusque dans les premières années du XXe siècle, la base de toute l’évolution du langage musical.

Tous les éléments d’un accord sont, ainsi que l’a démontré Jean-Philippe Rameau (1683-1764), organiquement liés les uns aux autres, parce qu’« engendrés du même son». Cette génération revenant, en fait, au renforcement d’intensité de ses harmoniques naturels, tous les sons figurant au tableau de ces harmoniques pourraient, semble-t-il, avoir les mêmes droits à être considérés, relativement au son de base, comme des consonances. Si l’on se reporte au tableau des seize premiers harmoniques d’un do grave (fig. 1), on constate que, jusqu’au son 6, on est en pays de connaissance; l’histoire du langage harmonique peut se schématiser dans l’intégration progressive aux accords des harmoniques de la figure 1. Si, à partir du son 6, on élimine les sons déjà acceptés dans l’accord parfait majeur, il faut annexer le si bémol, le , le fa dièse, le sol dièse, le si naturel.

Ces harmoniques sont largement dispersés par la nature dans l’espace sonore. En déplaçant chacun d’eux pour le mettre à la plus petite distance possible de la note de base, leur ensemble s’organise selon une superposition de tierces, les unes majeures, les autres mineures. De là vient que l’on ramène généralement chaque étape nouvelle de l’évolution du langage harmonique à l’ajout d’une tierce à la combinaison déjà acceptée par l’oreille.

Ainsi prennent place l’un après l’autre dans l’histoire l’accord parfait, puis les accords de septième, de neuvième, de onzième, de treizième (fig. 2).

Au cours de l’évolution, chaque son non encore intégré passe par une phase où il est toléré comme dissonance et soumis en tant que tel à un régime spécial. Et puis l’habitude de l’oreille finit par l’admettre. Rien là que de normal. La tierce elle-même a subi la même quarantaine, et il lui a fallu des siècles pour se faire accepter.

C’est de la même manière que le son 7, si bémol, à distance de septième majeure, a commencé sa carrière. Si, sur chaque degré du mode d’ut , on superpose une septième à l’accord parfait (sans faire appel à des altérations qui détruiraient le caractère diatonique du mode), comme pour la tierce, la distance au son de base varie d’un demi-ton. Il y a des septièmes majeures et des septièmes mineures. La septième mineure (si bémol sur le do grave) est seule conforme à la résonance, à vrai dire avec une assez forte approximation. C’est pourquoi son annexion a été beaucoup plus rapide. Mais dans les débuts, en tant que dissonance reconnue, elle dut se plier au traitement appliqué aux dissonances par la technique du temps, ce traitement consistant dans sa préparation et sa résolution.

Préparer une dissonance, c’est faire entendre la note dangereuse dans un premier accord où elle est consonante, puis, tout en la maintenant en place, changer cet accord pour un autre où elle fait subversion. Résoudre la dissonance, c’est la faire glisser de cette position réputée instable sur un son qui rétablit l’équilibre consonant (fig. 3). Que s’est-il passé durant le temps où la dissonance a joué son rôle? Il s’est créé une tension au sein d’un complexe statique. Toute la musique basée sur l’harmonie repose sur ce principe dynamique. L’accord consonant vertical avait introduit dans la polyphonie médiévale un danger d’immobilité, l’accord consonant formant un ensemble stable qui n’appelle rien après lui, donc statique.

3. L’harmonie en mouvement

Le principe du mouvement reparaît dans la musique avec tout le système de tensions, d’attraction, de répulsion introduit par les agrégations sonores au-delà de l’accord parfait de trois sons. On a vu plus haut que, à peu près justifié par la résonance naturelle, l’accord de septième mineure, do-mi-sol-si bémol, obtenu par l’adjonction d’une tierce mineure à l’accord parfait majeur, fut rapidement affranchi de l’exigence de préparation de la dissonance. Il ne fut pas affranchi pour autant de l’exigence de résolution; et, pour tout musicien classique, l’accord do-mi-sol-si bémol contenait un principe de tension qui appelait impérieusement une détente. Les trois premiers sons de cet accord étant tenus pour consonants entre eux, quel est le rapport du si bémol avec chacun d’eux?

La tierce mineure qu’il forme avec le sol est, depuis des siècles, acceptée comme une consonance. La septième mineure qu’il forme avec le do est une dissonance très atténuée par le jeu de la résonance naturelle.

Mais l’intervalle mi-si bémol est éminemment instable. C’est une fausse quinte, une quinte dont on a retranché un demi-ton et qui ne peut se satisfaire de cet état provisoire. Cette quinte dite «diminuée» tend donc à se résorber dans une consonance de tierce, le mi montant au fa et le si bémol descendant au la , en raison de l’attraction que le mi et le si bémol exercent l’un sur l’autre.

À noter que la quinte diminuée divise l’octave en deux parties égales.

Si on place le si bémol au-dessous du mi et non au-dessus, on obtient un intervalle identique appelé «quarte augmentée», dont les deux sons se repoussent au lieu de s’attirer, le résultat final étant le même:

Cet exemple élémentaire suffit à montrer par quel processus se produisent, au sein des agrégations harmoniques dépassant la consonance de l’accord parfait, ces états de tension dont on a dit qu’ils sont, en musique, un principe essentiellement dynamique. Il va de soi que, plus se multiplient les sons entrant dans ces agrégations, plus se compliquent et s’entrecroisent ces lignes de force qui permettent de considérer les accords comme de véritables accumulateurs d’électricité positive ou négative. Ils ont une valeur sonore en soi, mais plus encore un potentiel qui apparaît avec les mouvements qu’ils engendrent dans l’espace et dans le temps. Les accords sont des moments du discours musical, ce qui, dans le contexte romantique, donne toute sa force à la conception schopenhauerienne de la musique en tant que « devenir» des choses.

À la lumière de ces principes généraux se précise une image de l’harmonie qui pourrait se définir ainsi: c’est d’abord un art infiniment complexe d’assembler les sons pour former des accords au sein desquels ils réagissent les uns sur les autres selon des lois naturelles de résonance fort subtiles; c’est ensuite l’art d’enchaîner ces accords, et dans le choix de ces enchaînements s’imprime la marque personnelle du compositeur. Car tel accord, considéré en soi, est une chose; la manière de s’en servir en est une autre, et qui varie d’un créateur à l’autre.

4. L’effet des accords

Il serait faux pourtant de dire que les accords n’ont pas en soi une personnalité propre, dépendant de leur structure, de leur substance, des intervalles qu’ils associent entre eux et de la répartition qu’ils en font dans l’espace sonore. Ils en arrivent ainsi à rayonner autour d’eux une sorte de fluide perçu par l’auditeur dans une sensation qui semble intéresser à des degrés divers l’ouïe, la vue et même le toucher: une impression de couleur, de densité, une caresse, un enveloppement voluptueux, un sentiment suggéré, l’esquisse d’un mouvement.

Il est vrai que ces effets sur notre affectivité dépendent non seulement de l’accord considéré mais de son contexte, que le même accord peut dans une atmosphère donnée être perçu, ici comme un coup de lumière, là comme un assombrissement. Cela dépend bien souvent, dans une écriture modulante, de la tonalité dont il s’évade ou de celle qu’il introduit. Cela dépend encore de la tessiture où on le fait entendre ou de la position large ou resserrée des sons qui le constituent.

Il n’en reste pas moins que les rapports d’intervalles qui s’établissent dans la contexture d’un accord le prédestinent, dans une certaine mesure, à certains usages de préférence à d’autres. Rameau, qui était très attentif à ces phénomènes, a été l’un des premiers à le percevoir; témoin cette phrase prophétique en avance d’au moins un siècle sur les conceptions de son époque: «La douceur et la tendresse s’expriment parfois assez bien par emprunts et par superpositions (septièmes diminuées, neuvièmes et onzièmes) plutôt mineures que majeures, dans les parties du milieu plutôt que dans les extrêmes. Le désespoir et toutes les passions qui portent à la fureur demandent des dissonances de toute espèce non préparées; et surtout que les majeurs règnent dans le dessus. Il est beau dans certaines expressions de cette nature de passer d’un ton à l’autre par une dissonance non préparée.»

L’accord de quarte et sixte

Pour prendre l’exemple le plus simple que puisse fournir tout le vocabulaire de l’harmonie classique, il suffit de s’arrêter un instant sur l’accord de quarte et sixte, accord consonant de trois notes qui n’est autre que l’accord parfait: do-mi-sol , attaqué en plaçant le sol à la basse. Il est évident qu’il n’a pas du tout la même couleur et qu’il ne peut pas avoir la même fonction que l’accord do-mi-sol dans sa position fondamentale. La musique classique en fait un usage immodéré dans ce qu’on appelle la cadence parfaite.

Or, dans cette cadence parfaite, malgré le caractère statique qu’ont les accords consonants de trois sons, l’accord prend une valeur dynamique parce que ses deux sons supérieurs, sous-entendant l’harmonie qui va suivre, semblent l’appeler et n’être là que pour indiquer un mouvement vers elle. D’où le rôle capital que les musiciens classiques confient à l’accord de quarte et sixte, à savoir celui d’introduire la cadence qui précède toujours la conclusion d’une œuvre concertante; cadence où le virtuose se lance dans des acrobaties, souvent improvisées au temps jadis. Quand il a épuisé son répertoire, il ramène harmoniquement à la formule cadencielle laissée en suspens, l’orchestre la reprend où il l’avait laissée, et c’est la fin du morceau, parfois retardée par une coda.

Ce fameux accord de quarte et sixte, tellement attendu dans tous les concerti classiques, n’a plus très bonne presse à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Richard Strauss en a fait cependant très largement usage, mais non point selon la formule classique. Il est plutôt pour lui un moyen de marquer des étapes du discours musical, parce qu’il se manifeste à la fois comme une sorte d’aboutissement d’une période et comme un rebondissement vers ce qui suit. Et cela parce qu’il est statique en tant que renversement de l’accord parfait et dynamique de par sa disposition particulière. C’est en somme un accord «ouvert», et pour le musicien une grande facilité.

L’accord de septième diminuée

Un autre accord extrêmement caractéristique et dont on a un peu abusé est l’accord de septième diminuée. Comme bien d’autres, il est fait d’un étagement de trois tierces mais – phénomène unique – ces trois tierces sont mineures, de sorte que ses trois renversements reproduisent exactement la même disposition d’intervalles différents qui le composent. L’accord de septième diminuée, étant fait d’intervalles égaux, n’a pas une étiquette tonale déterminée. Il introduit d’ailleurs un principe chromatique.

Dans les enchaînements auxquels il donne lieu, il peut déboucher à volonté sur des tonalités différentes. Et, pour la même raison, s’il est employé isolément, s’il est pris comme un absolu, il est chargé d’une équivoque, d’une espèce d’inconfort ou d’inquiétude qui le désigne tout naturellement pour tous les effets mystérieux, fantastiques. C’est pourquoi le théâtre lyrique en fournit de si nombreux exemples. C’est cet accord que l’on entend lorsque la statue du Commandeur s’encadre dans la porte de Don Juan.

L’accord de neuvième

Tout à l’opposé de l’accord de septième diminuée, l’accord de neuvième s’affirme par sa plénitude et sa stabilité:
Il faut en voir la raison dans la disposition des quatre tierces superposées dans l’accord: les deux tierces mineures au centre, les tierces majeures de part et d’autre, à la base et au sommet de l’édifice. Symétrie parfaite, équilibre harmonieux. Claude Debussy a bien souvent recours à lui dans Pelléas et Mélisande , où il l’enchaîne volontiers sur lui-même dans des successions où chaque partie se déplace parallèlement aux autres. Par la suite, les musiciens de jazz ont exploité ce procédé sans discrétion.

L’accord de neuvième dont il a été question ci-dessus est celui que justifie approximativement la résonance naturelle, c’est-à-dire celui où la septième est mineure et la neuvième majeure. En s’écartant de la résonance, le langage harmonique connaît d’autres types d’accords de neuvième, selon les diverses possibilités de répartition des intervalles majeurs et mineurs dans la superposition des tierces.

Ce même principe de répartition variable multiplie les aspects différents que peuvent revêtir les accords plus complexes de onzième et de treizième, dont on trouve des exemples nombreux dans la musique de la première moitié du XXe siècle.

5. Les principes d’enrichissement

Il est important d’ajouter que cet aspect mouvant de l’harmonie n’est pas seulement le fait de la multiplication des étagements de tierces. Divers procédés d’écriture interviennent pour créer des éléments de tension provenant d’autres origines.

Les renversements

Un très important procédé de diversification des accords réside dans leur renversement, c’est-à-dire dans l’installation à la base d’une de ses notes constitutives autre que la fondamentale. Il y a donc autant de renversements d’un accord que de sons qui le définissent, moins un (fig. 4).

Dans ces renversements, le rapport des différentes notes avec la basse cesse naturellement de concorder avec celui des harmoniques naturels de celle-ci. Par rapport à sa position fondamentale, l’accord renversé change donc de couleur, de signification, de fonction. Tant qu’il prend pour base les harmoniques les plus proches et les plus
évidents (quinte et tierce) de la fondamentale, il demeure aisément identifiable en tant que variante de l’accord initial. Cette identification devient plus malaisée à mesure qu’on s’éloigne de ces premiers harmoniques.

Tel ou tel renversement d’accords de onzième ou de treizième peut en venir ainsi à présenter des agglomérations de sons qui laissent planer des doutes sur leur identité. D’autant que leur mystère peut se trouver agrandi à l’infini par l’intervention de certains procédés d’écriture, qui constituent précisément un de ces éléments propres à enrichir de nouvelles tensions le dynamisme du langage musical.

Les sons étrangers

Le principal élément étranger à l’accord est l’appoggiature , qui consiste à remplacer, au moment de l’attaque, un accord par des sons voisins, étrangers à son climat naturel. Ces sons étrangers entrent en conflit plus ou moins violent avec les sons constitutifs de l’accord, et ils doivent ensuite, en principe du moins, résoudre ce conflit en rentrant dans le rang, c’est-à-dire en abandonnant leurs positions de combat pour retrouver les sons qu’ils ont provisoirement écartés du complexe pensé par le compositeur. C’est là un principe, mais ce n’est qu’un principe. Scrupuleusement observé dans l’époque classique, il n’est plus guère qu’un souvenir dans une grande partie de la musique du début du XXe siècle.

À partir d’une certaine époque et d’une certaine complexité, les implications rigoureuses reconnues par le musicien classique ou romantique à certaines tensions harmoniques cessent, en fait, d’être regardées comme contraignantes. Les musiciens tendent à s’en affranchir. Debussy en vient à considérer les accords comme des individualités autonomes, libres de résoudre ou de ne pas résoudre leurs conflits internes. Il les enchaîne les uns aux autres selon nul autre critère que son imagination et son goût, faisant fi des attractions comme des répulsions jugées avant lui naturelles et quasi automatiques entre les sons associés.

La relativité des dissonances

La résolution des appoggiatures, entre autres, peut demeurer sous-entendue. C’est là une innovation enivrante, incalculable dans ses conséquences. Elle consacre la valeur absolue de la beauté de la matière sonore. Mais la notion même de dissonance devient de plus en plus floue. Des grappes de sons que le musicien classique eût considérés comme antagonistes seront acceptées comme de savoureuses synthèses, objet d’une délectation de l’oreille qui peut à volonté s’ouvrir sur mille autres ou se refermer sur elle-même et trouver en soi sa propre fin.

Plus tard on en vient à des agrégations encore beaucoup plus complexes, obtenues par superposition d’accords différents, et surtout par superposition d’accords appartenant à des tonalités différentes. Igor Stravinski, Darius Milhaud, Serge Prokofiev, parmi d’autres, ont usé ainsi de la technique dite polytonale. Toutefois, quelles que soient les extrémités auxquelles ces procédés portent la technique de l’écriture harmonique, ils n’abolissent pas pour autant les principes qui sont à la base de ce langage.

Les principes de l’harmonie classique commencent à chanceler sur leurs bases à partir du moment où, s’évadant de toute loi réputée plus ou moins conforme à la donnée naturelle, les musiciens introduisent dans leurs associations harmoniques des chromatismes ressortissant à une logique beaucoup plus abstraite. Tel est le cas de l’accord de quinte augmentée, accord cher à Debussy mais que l’on rencontre également chez Richard Wagner et qui procède d’une autre échelle que l’échelle diatonique.

Sa logique découle de cette autre qui fut adoptée par les musiciens du XVIIIe siècle: le système dit «tempéré», c’est-à-dire la division de l’octave en douze demi-tons égaux. Ce n’est pas ici le lieu de démontrer les avantages d’un tel système et les perspectives immenses qu’il a ouvertes à la musique. Mais il faut admettre en contrepartie qu’il a largement consacré l’abandon de la justification de l’échelle diatonique par la résonance naturelle, car les sons donnés par la résonance ne sont pas ceux de la gamme tempérée.

Dès lors qu’on admettait la division de l’octave en douze demi-tons égaux, il était logique de s’aviser un jour qu’on pouvait le diviser également en six tons égaux. D’où l’échelle dite hexaphonique, qui saute régulièrement un son sur deux de l’échelle chromatique sur laquelle la musique occidentale vit depuis des siècles (fig. 5, première portée). Mais si l’on veut bâtir un système harmonique à partir de cette échelle, on voit tout de suite qu’elle ne comporte aucun accord consonant au sens classique du terme, puisque la quinte en est exclue. L’accord de quinte augmentée
est un accord étrange, indéterminé et d’un dynamisme plutôt pauvre car, à l’intérieur du système hexaphonique, il ne peut déboucher que sur des agrégats qui lui ressemblent comme des frères. Les morceaux de musique systématiquement construits avec ce matériau sont donc assez flous, et d’une monotonie répondant à la volonté du compositeur qui en a fait un choix toujours épisodique. Il fait peser une menace imprécise sur certaines pages du Pelléas et Mélisande de Debussy, notamment sur la scène des souterrains. Il donne un flottement vaporeux au prélude Voiles du même auteur. Mais il s’agit là de pièces brèves. Il advient que l’on ajoute à cet accord de quinte augmentée une septième majeure:
Cette septième majeure, étant étrangère à l’échelle hexaphonique, arrache en partie l’accord à son climat et lui ouvre des perspectives tonales qui font apparaître le sol dièse plutôt comme un accident passager.

La gamme par tons entiers n’est au surplus qu’une étape de la recherche moderne, qui vise à faire éclater les cadres de l’harmonie classique. Elle procédait d’une échelle nouvelle et non diatonique. À partir du moment où l’on renonce à un système harmonique basé sur le diatonisme, il y a quantité de modes plus ou moins chromatiques à l’intérieur desquels peuvent être admis et définis des accords échappant aux schémas traditionnels.

Le musicien russe Alexandre Scriabine avait, dès les premières années du XXe siècle, édifié un système harmonique personnel qui, parti d’accords par superposition de quartes et non plus de tierces, l’avait progressivement mené à un accord-mode , d’où était exclu tout sentiment d’une tonique et d’une dominante et tout principe d’attraction entre les sons. Scriabine ne fit pas école, mais beaucoup des idées-mères de sa recherche se retrouvent dans le dodécaphonisme.

6. Vers de nouvelles harmonies

Béla Bartók

Entre les deux guerres et immédiatement après la dernière, on put assister à divers efforts de synthèse d’un langage harmonique nouveau. Celui de Béla Bartók, d’un chromatisme exacerbé, repose sur l’usage de certains modes dont le plus courant dans son œuvre apparaît comme une combinaison du mode de fa (ou hypolydien) et du mode phrygien de . Il énonce à partir du do une gamme où le fa est monté d’un demi-ton et le si baissé d’un demi-ton.

D’autre part, Bartók a mis au point une théorie qui, associant étroitement entre elles des tonalités à distance de quarte augmentée (par exemple do-fa dièse), en considère les éléments comme interchangeables. On aboutit ainsi à des complexes faits de quatre tonalités différentes. Par exemple, do majeur est associé, d’une part à fa dièse majeur (à distance de quarte augmentée), d’autre part à la mineur, ton relatif, et à mi bémol mineur (à une quarte augmentée de la mineur).

À l’intérieur du discours musical tout son, tout accord appartenant à une de ces quatre tonalités peut être remplacé par le son ou l’accord correspondant dans l’une des trois autres. Il est aisé d’imaginer à quelles richesses et quelles complexités de langage une telle technique peut aboutir.

Bartók fait en outre largement usage, dans des accords d’une signification diatonique et tonale bien déterminée, de l’accord majeur exprimé simultanément avec son homologue mineur. Ces accords majeurs-mineurs se retrouvent largement exploités chez Stravinski, notamment dans Le Sacre du printemps .

Les modes à transpositions limitées

Un autre système harmonique basé sur des modes plus ou moins chromatiques est celui d’Olivier Messiaen. Ces modes, au nombre de sept, ont été établis par lui en fonction d’une caractéristique qui leur est particulière: celle de n’admettre qu’un nombre limité de transpositions. Cela signifie que, lorsqu’on cherche à reproduire la succession d’intervalles qui leur est propre, en gravissant à chaque tentative un nouveau degré de l’échelle des douze sons, il arrive un moment où l’on retombe dans les mêmes notes.

Si l’on prend l’exemple le plus simple avec la gamme par tons entiers dont il a été question plus haut, il est facile de voir, puisqu’elle utilise six sons, soit un son sur deux du total chromatique, qu’à la première transposition, un demi-ton au-dessus, elle rencontrera les six autres et, à la deuxième transposition, elle retombera dans les premiers.

La gamme par tons est donc un mode à transposition limitée. Il en existe six autres, d’un chromatisme de plus en plus complexe, utilisant un nombre de plus en plus grand de notes différentes et donnant naissance, de ce fait, à des harmonies de plus en plus chargées, de plus en plus riches, de plus en plus étrangères aux fonctions tonales traditionnelles (fig. 5).

Les divers systèmes qui viennent d’être très sommairement évoqués, et qui intéressent l’histoire du système tonal plus encore que celle de l’harmonie, sont tous en opposition plus ou moins déclarée avec la tradition. Mais on peut dire qu’ils s’appuient sur elle d’autant plus vigoureusement qu’ils cherchent le plus à la tenir à distance.

Le dodécaphonisme

Pour en arriver à une rupture complète et théoriquement définitive, il faut attendre la puissante offensive du système des douze sons, inventé par Arnold Schönberg et consolidé par ses deux disciples Alban Berg et Anton Webern, soit par ce qu’on a appelé l’école de Vienne: le dodécaphonisme, tel est le nom qui a été donné en France à ce système, méthodiquement mis au point en vue de battre en brèche tous les principes dont avait vécu jusqu’ici le langage musical.

Ici, la définition même de l’accord disparaît en tant que réunion de sons engendrés par un son de base, et au sein de laquelle se produisent diverses tensions. Toute référence à la résonance naturelle est bannie de la justification des complexes sonores utilisés par les compositeurs. C’est une logique toute nouvelle qui intervient dans leur détermination; ils sont dérivés de la «série» qui énonce, dans un ordre et selon des intervalles fixés au départ, les douze sons du total chromatique; série modifiable à volonté par renversement, récurrence ou transpositions diverses.

Dans cette musique les notions d’harmonie et de contrepoint cessent d’apparaître comme plus ou moins rivales, les sons étant associés indifféremment dans l’espace ou dans la durée, dans la succession ou dans la simultanéité. Il n’y a donc plus ni consonance, ni dissonance. Ces termes ne recouvrent plus aucune réalité, toute agrégation étant justifiée par le mouvement des parties mélodiques enchevêtrées dans la polyphonie, et par rien d’autre.

Certains exégètes, effrayés par cette sorte de disparition de la science harmonique, cherchent à dégager des œuvres issues de cette technique sérielle des lois dynamiques subtiles où se retrouvent entre les sons des tensions, des attractions, des affinités diverses. Dans cet ordre d’idées, on en vient aisément à des discussions byzantines qui ne sauraient trouver place dans un exposé élémentaire tel que celui-ci.

Avant de terminer, il reste à signaler un procédé utilisé par une certaine «avant-garde». À vrai dire, il ne relève plus tout à fait du domaine de l’harmonie, mais plutôt de l’acoustique. Il consiste à attaquer simultanément tous les sons que l’échelle juxtapose entre deux limites extrêmes, choisies selon le bon plaisir du compositeur. Bien plus, certains musiciens – particulièrement en Pologne – ne se contentèrent pas, à l’intérieur d’une octave, des douze sons de l’échelle chromatique, séparés entre eux par un demi-ton. Ils ajoutèrent douze nouvelles notes en partageant l’octave, non plus en douze demi-tons, mais en vingt-quatre quarts de ton. La sonorité donnée par une telle agglomération, cessant d’appartenir au langage harmonique, sort également de ce qu’on appelle la dissonance. Ce n’est ni spécialement dur, ni spécialement coloré; c’est au fond une sonorité dépersonnalisée, et qui dépersonnalise même les timbres qui y sont associés.

L’harmonie paraît arrivée au terme d’une longue évolution. Les grandes lois qui ont fait sa fortune restent ouvertes à qui veut s’abriter sous leur tutelle, mais il n’est pas niable que l’on peut également faire de la musique valable en se passant d’elle. Le problème reste largement ouvert aux chercheurs de l’avenir.

harmonie [ armɔni ] n. f.
• fin XIIe; lat. harmonia, mot gr., proprt « assemblage »
I(XIIe) Sons assemblés. musique.
1Vx ou littér. Combinaison, ensemble de sons perçus simultanément d'une manière agréable à l'oreille ( accord). L'harmonie des voix, des instruments. chœur, concert. L'harmonie des sphères : les sons harmonieux produits par le mouvement des corps célestes, selon les pythagoriciens.
2Vx Son, succession de sons agréables. L'harmonie d'une harpe. Mod. Table d'harmonie : table sur laquelle sont tendues les cordes d'un instrument de musique.
3 Mus. Ensemble des principes sur lesquels est basé l'emploi des sons simultanés, la combinaison des parties ou des voix; science, théorie des accords et des simultanéités des sons. Les règles, les lois de l'harmonie classique. Étudier l'harmonie, le contrepoint. Traité d'harmonie.
Les harmonies : les accords conformes aux règles de l'harmonie. Harmonies consonantes, dissonantes. consonance, dissonance.
4(1821) Ensemble des bois, des cuivres et percussion (d'un orchestre). Concert d'harmonie. L'harmonie municipale. fanfare, orphéon.
5Gramm., littérature Ensemble des caractères (combinaisons de sons, accents, rythme) qui rendent un discours agréable à l'oreille. euphonie , mélodie. L'harmonie des périodes, de la phrase. cadence, nombre, rythme.
Spécialt Harmonie imitative, qui, par la sonorité des mots employés, imite ou évoque le bruit que produit la chose signifiée. ⇒ allitération, assonance.
Littér. La poésie.
II
1Relations existant entre les parties d'un tout et qui font que ces parties concourent à un même effet d'ensemble; cet effet. unité; ordre, organisation. « L'unification par la théorie de la relativité des notions de temps et d'espace a introduit une harmonie qui n'existait pas » (Langevin). « Tous les phénomènes d'un corps vivant sont dans une harmonie réciproque » (Cl. Bernard). Être en harmonie avec. convenir, correspondre, s'harmoniser. « Sa vie était en harmonie avec ses idées » (Balzac). Harmonie préétablie : philos. doctrine leibnizienne, concernant les rapports entre l'âme et le corps; par ext. accord de personnes ou de choses qui semblent avoir été faites les unes pour les autres (cf. Affinités électives, atomes crochus).
2Accord, bonnes relations entre personnes. entente, paix, 1. union. L'harmonie qui règne dans une famille. Équipe qui manque d'harmonie. Détruire, rompre, compromettre, rétablir l'harmonie entre... Vivre en harmonie avec qqn. amitié, entente, sympathie. « ce petit monde, dans lequel la plus parfaite harmonie n'avait jamais cessé de régner » (Jules Verne). Harmonie des vues, des sentiments de plusieurs personnes. communauté, concordance, conformité, correspondance (cf. Être à l'unisson) .
3Ensemble des rapports entre les parties, les éléments d'un objet, d'une œuvre d'art, d'un spectacle (du point de vue esthétique, par analogie avec l'harmonie en musique, I, 3o). équilibre, eurythmie. Harmonie des volumes, des proportions, dans un tableau. balancement. « Il a découvert que chaque courbe du corps humain s'accompagne d'une courbe réciproque qui lui fait face et lui répond. L'harmonie qui résulte de ces balancements tient du théorème » (A. Gide). Harmonie d'un visage. beauté, régularité, symétrie.
Ensemble harmonieux. « Il aimait un corps humain comme une harmonie matérielle, comme une belle architecture » (Baudelaire).
⊗ CONTR. Désaccord, désordre, discordance. — Antagonisme, incompatibilité. Discorde, dissentiment.

harmonie nom féminin (latin harmonia, du grec harmonia, accord) Qualité d'un ensemble qui résulte de l'accord de ses parties ou de ses éléments et de leur adaptation à une fin : L'harmonie de l'univers, du corps humain. Rapport d'adaptation, de conformité, de convenance existant entre les éléments d'un ensemble cohérent ou entre des choses soumises à une même finalité : Une parfaite harmonie entre l'expression et la chose exprimée. Rapport heureux entre les parties d'un tout (formes, couleurs, sons, rythmes, etc.), en particulier d'une œuvre artistique ou littéraire : Harmonie des masses colorées d'une peinture. État des relations entre des personnes ou dans un groupe humain, qui résulte de l'accord des pensées, des sentiments, des volontés : Ces questions d'intérêts risquent de compromettre l'harmonie de la famille. Musique Chez les Grecs, coordination et combinaison de sons. Art et science de la formation et de l'enchaînement des accords. Ensemble des instruments à vent, dans l'orchestre. Orchestre formé essentiellement d'instruments à vent (cuivres et bois), de percussions et, quelquefois, de contrebasses à cordes. Phonétique Forme d'assimilation par laquelle le timbre d'un phonème tend à s'identifier à celui d'un phonème proche ou contigu. (L'harmonie vocalique, ou harmonisation, est particulièrement importante dans les langues finno-ougriennes et en turc ; on appelle harmonie consonantique l'assimilation qui a fait passer de l'ancien français sercher à chercher.) ● harmonie (citations) nom féminin (latin harmonia, du grec harmonia, accord) Simone de Beauvoir Paris 1908-Paris 1986 Entre deux individus, l'harmonie n'est jamais donnée, elle doit indéfiniment se conquérir. La Force de l'âge Gallimard Alfred de Musset Paris 1810-Paris 1857 Fille de la douleur, Harmonie ! Harmonie ! Langue que pour l'amour inventa le génie ! Qui nous vins d'Italie et qui lui vins des cieux. Poésies, Lucie Commentaire Ces trois vers se trouvaient déjà dans les Premières Poésies (Le Saule). ● harmonie (expressions) nom féminin (latin harmonia, du grec harmonia, accord) Harmonie imitative, reproduction, par les sons ou par le rythme, de sensations diverses. (Exemple : L'or des pailles s'effondre au vol siffleur des faux [Verlaine].) ● harmonie (synonymes) nom féminin (latin harmonia, du grec harmonia, accord) Rapport d'adaptation, de conformité, de convenance existant entre les éléments...
Synonymes :
- cohérence
- concordance
- économie
- homogénéité
- unité
Contraires :
- chaos
- confusion
- désordre
- désorganisation
- incohérence
- opposition
Rapport heureux entre les parties d'un tout (formes, couleurs, sons...
Synonymes :
- accord
- balancement
- équilibre
- eurythmie
- grâce
- ordonnance
- pondération
- symétrie
Contraires :
- asymétrie
- cacophonie
- contraste
- déséquilibre
- discordance
- dissonance
- dissymétrie
- inharmonie
État des relations entre des personnes ou dans un groupe...
Synonymes :
- concorde
- paix
- union
Contraires :
- antagonisme
- conflit
- discorde
- mésentente
- mésintelligence
- querelle

harmonie
n. f.
rI./r
d1./d En parlant du langage et du style, concours heureux de sons, de mots, de rythmes, etc. L'harmonie des vers de Racine.
d2./d MUS Science de la formation et de l'enchaînement des accords. Lois de l'harmonie.
d3./d MUS Orchestre composé d'instruments à vent (bois ou cuivre), à anche et à embouchure. L'harmonie municipale donne un concert.
rII./r
d1./d Effet produit par un ensemble dont on juge que les parties s'accordent, s'équilibrent bien entre elles. Harmonie du corps humain. Harmonie de couleurs.
d2./d Concordance, correspondance entre différentes choses. Harmonie de points de vue. Vivre en harmonie avec ses principes. Syn. conformité.
d3./d Bonnes relations qui règnent entre des personnes. Syn. entente.

⇒HARMONIE, subst. fém.
A. — [En parlant de ce qui est perçu par l'oreille ou par l'œil] Combinaison spécifique formant un ensemble dont les éléments divers et séparés se trouvent reliés dans un rapport de convenance, lequel apporte à la fois satisfaction et agrément.
1. [En parlant de ce qui est perçu par l'oreille] Cohérence, ajustement, accord de sons entre eux.
a) Ensemble de sons agréables à l'oreille. Harmonie musicale; harmonie divine, suave; entendre une bouffée, un flot d'harmonie. Godefroid contemplait madame de La Chanterie en savourant les harmonies d'une voix limpide (BALZAC, Mme de La Chanterie, 1844, p. 240). La douce harmonie au son de laquelle le père de Montaigne éveillait son fils (CHATEAUBR., Mém., t. 1, 1848, p. 117) :
1. Mes hôtes, s'écria-t-il, ces chants vous seroient-ils désagréables? Les mortels et les dieux se laissent pourtant toucher à l'harmonie. Orphée charma l'inexorable Pluton...
CHATEAUBR., Martyrs, t. 1, 1810, p. 173.
P. ext. L'harmonie de l'océan, du vent dans les arbres. Il entendit les duos nocturnes de la brise et de la vague du ruisseau, harmonies qui avaient éveillé celles qu'il avait dans l'âme (MURGER, Nuits hiver, 1861, p. 211).
Spécialement
ANTIQ. MYTH. Fille d'Arès et d'Aphrodite. C'est là qu'était élevée la jeune Harmonie, que Jupiter lui destinait pour épouse (DUPUIS, Orig. cultes, 1796, p. 167). PHILOS. Harmonie des sphères. Sons harmonieux que, d'après les Pythagoriciens, les corps célestes émettaient en se mouvant selon les nombres harmoniques. Cette harmonie des choses célestes, que Pythagore entendoit dans le silence de ses passions (CHATEAUBR., Génie, t. 1, 1803, p. 384) :
2. Vois ces planètes qui roulent en ordre, sans jamais se heurter (...). Entends l'harmonie des sphères, cet énorme chant de grâces minéral qui se répercute aux quatre coins du ciel.
SARTRE, Mouches, 1943, III, 2, p. 98.
PHONÉT. Harmonie consonantique. L'assimilation du type fr. anc. cercher > chercher (MAR. Lex. 1951). Harmonie vocalique. ,,Phénomène phonétique qui commande la répartition des voyelles dans les diverses syllabes d'un mot`` (Lang. 1973).
LITT. PROSODIQUE. Ensemble des éléments d'une langue (choix des sonorités, des allitérations, du rythme des phrases, des vers) dont la combinaison dans un texte, un discours, un poème réussit à donner une impression agréable, un sentiment de beauté. Harmonie de la phrase, du vers. Quelle harmonie de ton! quel nombre! C'est par cette harmonie, non moins que par l'éclat des couleurs, que M. de Chateaubriand est grand poëte et grand magicien (SAINTE-BEUVE, Chateaubr., t. 1, 1860, p. 219). Ce qu'on appelle harmonie dans le vers français, c'est la musique du vers. Elle est constituée (...) par les voyelles, qui sont des sortes de notes, se distinguant entre elles par leur timbre (GRAMMONT, Versif. fr., 1908, p. 122) :
3. Qu'entend-on par harmonie [it. ds le texte] d'un style? peut-être le concours agréable des sons; bien davantage le rapport satisfaisant des sons et du sens; mais cela suppose une autre harmonie, l'union de l'écrivain et du lecteur.
J. MOUROT, Chateaubriand. Rythme et sonorité dans les Mémoires d'Outre-Tombe, Paris, Colin, 1960, p. 161.
Harmonie imitative. Celle qui, par la sonorité des sons utilisés, imite ou évoque le bruit de la chose signifiée. Des harmonies imitatives dans le langage sont de véritables ou approximatives onomatopées (ROUGNON 1935, p. 8).
b) MUS. Ensemble des principes sur lesquels sont basés l'emploi des sons différents et simultanés et la combinaison des parties, des voix. La guitare étant surtout un instrument d'harmonie, il est très important de connaître les accords et par suite les arpèges qu'elle peut faire (BERLIOZ, Instrument., 1844, p. 83). L'harmonie du choral à quatre voix qui termine ce motet [Ich lasse dich nicht de Johann Christoph] est seule de J.-S. Bach (PIRRO, J.-S. Bach, 1919, p. 10). Il [Debussy] est bien plus que le chant : Debussy est l'harmonie spontanée (SUARÈS, Debussy, 1936, p. 8) :
4. ... la musique se compose de deux éléments, la mélodie et l'harmonie : l'harmonie, élément secondaire, naît de la mélodie; la mélodie naît spontanément, c'est l'œuvre du génie; l'harmonie est le produit du calcul et de la science.
SAINT-SAËNS, Harm. et mélod., 1885, p. 2.
SYNT. Harmonie baroque, classique, dorienne, phrygienne; harmonie ascendante, descendante; barre, cor d'harmonie; lois, règles de l'harmonie; classe, professeur d'harmonie.
En partic. Marche d'harmonie. ,,Reproduction symétrique d'un groupe de plusieurs accords, soit en montant, soit en descendant`` (F. BAZIN, Harm., 1857, p. 44).
Musique d'harmonie. Ensemble des instruments à vent. Le régiment était parti, plus de musique d'harmonie (BERLIOZ, Souv. voy., 1869, p. 44). Harmonie municipale. Ensemble d'instruments à vent et d'instruments de batterie. Harmonie Nancéienne, harmonie municipale des Mineurs de Lens.
Table d'harmonie. [Dans les instruments à cordes] ,,Table supérieure de la caisse de résonance d'un instrument, élément essentiel pour la vibration et la propagation du son`` (Mus. 1976, s.v. table d'harmonie).
2. [En parlant de ce qui est perçu par l'œil]
a) PEINT. Agencement des couleurs, des tons, des nuances. Harmonie de bleu, de jaune. M. Delacroix est un coloriste (...) à qui a été refusée la qualité suprême des coloristes : l'harmonie (GONCOURT, Ét. art, 1893, p. 198). Le charme sensible [de la couleur de Véronèse] est moins dans les éléments (...) que dans l'art qui les combine, dans l'harmonie qui fait qu'ils se répondent, s'accordent, et que tous enfin conspirent à l'unité d'une vision comme simultanée (SÉAILLES, E. Carrière, 1911, p. 56). [Pissarro] peignit (...) des toiles d'une harmonie douce, verte et bleuâtre, avec la légère humidité transparente de la campagne de France (MAUCLAIR, Maîtres impressionn., 1923, p. 148) :
5. Aussi a-t-on reconnu très tôt aux couleurs le droit d'être choisies et associées librement, selon des lois indépendantes de leur disposition dans la réalité. On a admis que l'on recherchât dans leur arrangement un plaisir de l'œil, en un mot une harmonie...
HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 206.
b) ARCHIT., SCULPT. Proportions agréables, beauté des lignes, des volumes, des formes. Harmonie d'un temple grec, d'un hôtel du XVIIIe siècle. Ce qui frappe d'abord dans cette basilique, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, c'est son admirable harmonie, sa parfaite unité (MONTALEMBERT, Ste Élisabeth, 1836, p. 346).
c) Accord, convenance de différents éléments disposés de manière à former un ensemble agréable à regarder. Harmonie du ciel et de l'eau, d'un paysage, des plis d'une robe. L'harmonie des meubles, des murs, le style d'un ensemble agissent instantanément sur notre nature (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Portrait, 1888, p. 628). Monsieur se retirait dans son cabinet où il (...) remaniait l'harmonie de sa collection de pipes (MIRBEAU, Journal femme ch., 1900, p. 347) :
6. Il y avait dans tout son être une plénitude, une harmonie singulières. Le port de la tête et du corps, l'ovale du visage, l'accord des cheveux et du teint, faisaient une réussite qu'il était impossible de ne pas reconnaître.
DANIEL-ROPS, Mort, 1934, p. 136.
B. — P. anal. Rapport d'adéquation, relation de convenance existant entre les éléments de l'univers, entre des textes ou des éléments mathématiques, entre les personnes et les groupes de personnes entre elles; l'effet qui en découle.
En harmonie avec qqc. En rapport, en proportion avec quelque chose. Trouver un emploi en harmonie avec ses capacités. Obligé de prendre un appartement en harmonie avec la première dignité militaire, le maréchal Hulot s'était logé dans un magnifique hôtel (BALZAC, Cous. Bette, 1846, p. 298).
1. [Entre les éléments de l'univers] Harmonies cosmiques. Le même travail d'harmonie équilibrée qui crée la faune et la flore (RUYER, Esq. philos. struct., 1930, p. 81).
En partic. Harmonie préétablie. Un déterminisme qui a son origine dans la nécessité d'admettre une harmonie préétablie (BERGSON, Essai donn. imm., 1889, p. 165). Harmonie universelle. L'harmonie universelle, c'est-à-dire la complémentarité réciproque des monades (BERGSON, Évol. créatr., 1907, p. 351). Harmonie des nombres. Pythagore annonçait que l'univers était gouverné par une harmonie dont les propriétés des nombres devaient dévoiler les principes; c'est-à-dire, que tous les phénomènes étaient soumis à des lois générales et calculées (CONDORCET, Esq. tabl. hist., 1794, p. 49).
2. [Entre des textes ou des éléments mathématiques] Harmonies évangéliques (Lar. Lang. fr.), livres écrits pour démontrer la concordance des Évangiles entre eux (Lar. Lang. fr.). MATH. Relation caractéristique entre plusieurs grandeurs (Lar. Lang. fr.).
3. [Entre une pers. et l'univers] Être, se sentir en harmonie avec la nature. « Sois en harmonie avec le cosmos, » disait Marc-Aurèle (BOURGET, Essais psychol., 1883, p. 185). En ce moment où il perçut l'harmonie parfaite du monde et de lui-même, il a découvert mille objets nouveaux, mille sensations enfin douées de cette signification apaisante et mystérieuse qu'il avait toujours espéré atteindre (BÉGUIN, Âme romant., 1939, p. 224). Si je suis joyeux, c'est que je perçois une harmonie (...) c'est que nous sommes parfaitement intégrés au monde (J. VUILLEMIN, Essai signif. mort, 1949, p. 101) :
7. Dans ce monde où existe une harmonie préétablie, un accord symphonique lie les êtres et les choses. Tout correspond à tout, rien n'est soustrait au principe du symbolisme universel, de même que, dans l'autre monde, la gravitation ne peut être abolie.
BARBAULT, De psychanal. à astrol., 1961, p. 19.
4. [Entre une pers. et elle-même] Harmonie du corps et de l'âme, de l'âme et de l'esprit; harmonie avec soi-même. Le plus vrai de nos biens est cette harmonie générale de tout notre être, qui fait la santé parfaite (SENANCOUR, Rêveries, 1799, p. 241). C'est l'harmonie, c'est l'équilibre, l'accord parfait du corps et de l'esprit, des mains et du cerveau (DUHAMEL, Désert Bièvres, 1937, p. 73) :
8. La personne humaine n'est complète que dans l'harmonie de l'inconscient et de la conscience. Elle est cette harmonie même, cette synthèse supérieure.
BÉGUIN, Âme romant., 1939p. 205.
En partic. État de sérénité et de bonheur paisible. L'harmonie, où est le bonheur et la force. Le malheur, la misère morale, c'est la dispersion d'esprit (MICHELET, Insecte, 1857, p. XXXI). Il a voulu, de toutes ses forces, parvenir à l'harmonie, rejoindre la paix et la sérénité de l'accomplissement (BÉGUIN, Âme romant., 1939p. 268).
5. [Entre une pers. et une autre pers.] Harmonie de deux caractères, de deux cœurs. L'amitié est une harmonie entre deux êtres qui ont les mêmes besoins (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p. 309). La vérité est qu'ils [l'abbé de Pons et La Motte] se convenaient l'un et l'autre de tout point, qu'il y avait harmonie préétablie entre leurs esprits, et qu'à la première rencontre leurs atomes crochus s'attirèrent (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 13, 1851-62, p. 147) :
9. C'est cette mutualité qui définirait ici-bas l'harmonie et, au sens propre, la sympathie; et c'est, hélas! cette très chanceuse coïncidence qui a manqué aux amants de Pouchkine.
JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 135.
6. [Entre un groupe de pers., une nation et un autre groupe, une autre nation] Harmonie économique, politique. La paix doit être le vœu de l'Europe, et nous ne voulons rompre notre bonne harmonie avec aucune puissance (BALZAC, Œuvres div., 1830, p. 89). Le Comité national français a toujours été et demeure disposé à pratiquer avec le Gouvernement de Sa Majesté britannique des consultations en ce qui concerne l'harmonie souhaitable de la politique française et de la politique britannique dans l'ensemble de l'Orient (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 362) :
10. ... il faut du concert, il faut de l'harmonie (...) la division d'opinion entre les gens en état d'aider la finance de leurs moyens, division ajoutée à tant d'autres, serait dommageable à la chose publique...
Le Moniteur, t. 2, 1789, p. 407.
Prononc. et Orth. : []. ,,L'h est muette`` (FÉR. 1768 et FÉR. Crit. t. 2 1787). Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. Ca 1120-50 armonie « ensemble de sons agréables formant un concert » (Gd mal fit Adam, éd. H. Suchier, I, 101, p. 52); 2. 1377 « accord de divers sons » (N. ORESME, Le Livre du Ciel et du monde, éd. Menut et Denomy, p. 468 : armonie, c'est a dire sonz melodieus et consonans); 3. p. ext.1674 « ensemble de caractères qui rendent un discours agréable » (BOILEAU, Épitre, IV); 4. 1722 mus. (J.-PH. RAMEAU, Traité de l'harmonie). II. 1. 1574 « correspondance existant entre divers éléments » (AM. JAMIN, Poésies, f° 137 ds LITTRÉ); 2. 1694 « rapport harmonieux entre les diverses parties d'un tout » (Ac. : L'harmonie du corps humain); 3. 1699 « entente, concorde » (RACINE, Esther, III, 3). III. 1789 phonét. (Gramm.); 1933 harmonie vocalique, harmonie consonantique (MAR. Lex.). Empr. du lat. harmonia « accord », lui-même empr. du gr. « ajustement; juste proportion; accord des sons ». Fréq. abs. littér. : 4 054. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 9 503, b) 5 223; XXe s. : a) 4 007, b) 3 922. Bbg. DUCH. Beauté 1960, p. 173. - QUEM. DDL t. 10. - VARDAR (B.). Struct. fondamentale du vocab. soc. et pol. en France, de 1815 à 1830. Istanbul, 1973, p. 244.

harmonie [aʀmɔni] n. f.
ÉTYM. XVIe; armonie, XIIe, aux sens I, 1 puis I, 2; lat. harmonia, mot grec signifiant au propre « assemblage ».
———
I Sons assemblés selon des règles. Musique.
1 Vx ou littér. Combinaison, ensemble de sons perçus simultanément d'une manière agréable à l'oreille. || L'harmonie des voix humaines, des instruments. Chœur, concert. || Belle, noble, sereine harmonie. Par ext. || L'harmonie de la nature, de la forêt. Absolt. || Les charmes, les douceurs de l'harmonie. || La puissance, le pouvoir de l'harmonie sur les cœurs, les âmes (→ Exhilarant, cit. 1). || Natures rebelles à l'harmonie (→ Grouper, cit. 4). || Apollon, dieu de l'harmonie. || Mer, flots, torrent d'harmonie (→ Gamme, cit. 2), d'harmonies. Cour. (et souvent iron.). || Des flots d'harmonie.
1 (…) en un concert d'instruments, on n'oyt (entend) pas un luth, une épinette et la flûte, on oyt une harmonie en globe, l'assemblage et le fruit de tout cet amas.
Montaigne, Essais, III, VIII.
2 (…) des voix et des instruments (…) pour pacifier avec leur harmonie les troubles de l'esprit.
Molière, l'Amour médecin, III, 7.
3 Les bruits ont éveillé les bruits, la forêt est toute harmonie; est-ce les sons graves de l'orgue que j'entends ? (…)
Chateaubriand, Amérique, Journal sans date, Une heure du matin.
4 Rarement l'art du compositeur avait déployé d'aussi grandes masses, fait mouvoir d'aussi puissants bataillons d'harmonies vocales et instrumentales et joint une science aussi recherchée, aussi profonde, une passion aussi ardente et aussi intense.
Th. Gautier, Souvenirs de théâtre…, Giselle ou les Wilis.
5 Ces harmonies ineffables (de la Symphonie pastorale) peignaient, non point le monde tel qu'il était, mais bien tel qu'il aurait pu être, qu'il pourrait être, sans le mal et sans le péché.
Gide, la Symphonie pastorale, p. 58.
(1555, Ronsard). || L'harmonie des sphères : les sons harmonieux que les pythagoriciens croyaient produits par le mouvement des corps célestes. || L'harmonie des étoiles. Chœur (supra cit. 9).
6 Tu fais une si douce et plaisante harmonie,
Que nos luths ne sont rien, au prix des moindres sons
Qui résonnent là-haut de diverses façons.
Ronsard, Premier livre des hymnes, « Du ciel ».
7 L'harmonie est l'âme des cieux ! (…)
L'antiquité l'a dit, et souvent son génie
Entendit dans la nuit leur lointaine harmonie.
Lamartine, Harmonies, IV, La voix humaine.
8 — Quels sons doux et puissants, demande Eustathe à Pythagore, et quelles harmonies d'une étrange pureté il me semble d'entendre dans la substance de la nuit qui nous entoure ? (…) Quel est donc le mystérieux instrument de ces délices ?
— Le ciel même, lui répondait Pythagore. Tu perçois ce qui charme les dieux. Il n'y a point de silence dans l'univers. Un concert de voix éternelles est inséparable du mouvement des corps célestes.
Valéry, Variété, p. 149.
Par métaphore (→ Enchanter, cit. 9).
9 L'amour est la plus mélodieuse des harmonies, et nous en avons le sentiment inné. La femme est un délicieux instrument de plaisir, mais il faut en connaître les frémissantes cordes (…)
Balzac, Physiologie du mariage, Pl., t. X, p. 644.
Par ext. (sans idée d'agrément). || Sauvage, lugubre harmonie.
10 (…) une foule de cris discordants, que l'espace transforme en une lugubre harmonie, comme celle de la marée qui monte ou d'une tempête qui s'éveille.
Baudelaire, le Spleen de Paris, XXII.
2 (Fin XIIe). Vx. Son, succession de sons agréables; « la force et la beauté du son » (Rousseau). || L'harmonie d'une harpe (→ Effet, cit. 39), d'une voix. || Ce jeu (d'orgue) a une belle harmonie (Littré). Sonorité. || Douces, puissantes harmonies (→ Gronder, cit. 10).
11 (…) des Hautbois,
Qui tour à tour dans l'air poussaient des harmonies
Dont on pouvait nommer les douceurs infinies.
Corneille, le Menteur, I, 5.
12 (…) l'harmonie la plus douce est le son de voix de celle que l'on aime.
La Bruyère, les Caractères, III, 10.
13 Ma voix avait une harmonie divine (…)
Fénelon, Télémaque, II.
(1835, Académie). Mod. || Table d'harmonie : table sur laquelle sont tendues les cordes d'un instrument de musique. || La table d'harmonie d'un piano (à laquelle est fixé le cadre), d'un violon, d'une guitare, d'une cithare (→ Fond, cit. 36).
13.1 Tu as un clavecin chez toi; n'est-ce pas ? celui de notre tante Thérèse. Il y a un parti à en tirer, si toutefois tu ne l'as pas fait déjà ! Est-ce un piano ? Est-ce une autre table d'harmonie avec un autre nom ? Je ne me rappelle plus au juste.
Germain Nouveau, Lettre à sa sœur, 1892, Pl., p. 894.
3 a (1722, Rameau). Ensemble des principes sur lesquels est basé en musique l'emploi des sons simultanés, la combinaison des parties ou des voix; science, théorie des accords et des simultanéités ( Accord, intervalle, mouvement, renversement; cadence, chiffrage, modulation; altération, retard; pédale). || L'harmonie s'est dégagée peu à peu des ensembles sonores engendrés par le contrepoint, la polyphonie (cf. l'écriture verticale, par oppos. à l'écriture horizontale du contrepoint). || Les règles, les lois de l'harmonie classique. || Harmonie d'école. || Étudier l'harmonie, le contrepoint. || Exercices d'harmonie : réalisation d'une basse donnée; harmonisation d'un chant ( Accompagnement). — ☑ Loc. Marche d'harmonie : progression harmonique. || Traité, manuel d'harmonie. || Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels, ouvrage de J.-Ph. Rameau (1722).
14 Harmonie, selon les modernes, est proprement l'effet de plusieurs tons entendus à la fois, quand il en résulte un tout agréable (…) Mais ce mot s'entend plus communément d'une succession régulière de plusieurs accords.
Rousseau, in Encycl. (Diderot), art. Harmonie.
15 L'harmonie (…) n'est qu'un accessoire éloigné dans la musique imitative; il n'y a dans l'harmonie proprement dite aucun principe d'imitation. Elle assure, il est vrai, les intonations; elle porte témoignage de leur justesse; et, rendant les modulations plus sensibles, elle ajoute de l'énergie à l'expression, et la grâce au chant.
Rousseau, Julie, I, Lettre XLVIII.
16 L'Allemagne, terre de l'harmonie, a des symphonistes; l'Italie, terre de la mélodie, a des chanteurs.
Hugo, Post-scriptum de ma vie, Tas de pierres, III.
17 (…) l'harmonie de Debussy n'est pas, comme chez Wagner et dans toute l'école allemande, une harmonie d'enchaînement, étroitement soumise à la logique despotique du contrepoint : c'est (…) une harmonie avant tout harmonieuse, qui a son principe et sa fin en elle-même.
R. Rolland, Musiciens d'aujourd'hui, Pelléas et Mélisande.
18 Si, au piano, instrument de timbre homogène, on joue une suite d'accords (…) l'oreille perçoit plutôt, avec la ligne supérieure (…) les accords frappés (…) C'est ce qu'on appelle l'audition verticale. Elle se rapporte à l'harmonie, qui est l'étude des accords ou des simultanéités.
Ch. Koechlin, in Encycl. franç. (de Monzie), XVI, 34 10.
b (1662, Racine). || Les harmonies : les accords conformes aux règles de l'harmonie. || Harmonies consonantes : les accords de trois notes disposées de tierce en tierce (note fondamentale, tierce, quinte). || Harmonies dissonantes : les accords de quatre notes, ou plus, disposées de tierce en tierce (note fondamentale, tierce, quinte, septième, neuvième…). Consonance, dissonance. || Noter, chiffrer les harmonies d'une chanson, d'un accompagnement. || Musicien de jazz qui improvise sur les harmonies d'un thème.
19 (…) cherchant sur leurs guitares accordées des accompagnements en parties et se reprenant chaque fois qu'un son n'est pas rigoureusement juste à leur oreille, sans s'embrouiller jamais dans ces harmonies dissonantes, étranges, toujours tristes.
Loti, Mme Chrysanthème, XXXVII.
20 Les plus extravagantes combinaisons d'harmonies, les duretés les plus implacables s'effacent et se fondent, grâce à la combinaison merveilleuse des timbres.
R. Rolland, Musiciens d'aujourd'hui, Mus. franç. et mus. all.
4 (1866, Littré). || L'harmonie d'un orchestre : les bois, les cuivres et la percussion, à l'exclusion des instruments à cordes. — ☑ Loc. (XXe). Concert, musique d'harmonie, orchestre composé de ces seuls instruments. Fanfare, orphéon, philharmonie.
(1820, in D. D. L.). || Cor, trompette d'harmonie, permettant la production des sons de la gamme (grâce à des pistons, etc.). Opposé à cor de chasse, trompette de cavalerie.
5 (1672, Boileau). Ensemble des caractères (combinaison de sons, accents, rythme…) qui rendent un discours agréable à l'oreille. Arrangement (cit. 6, 7), combinaison (des mots); euphonie. || L'harmonie des mots, des paroles. || Harmonie du style, du discours. || Harmonie des périodes. Cadence, nombre, rondeur (fig.), rythme. || Morceau dépourvu d'harmonie (→ Élégance, cit. 10). || L'harmonie des vers, de la poésie; l'harmonie oratoire. || Des harmonies recherchées.L'harmonie d'une langue (→ Cadence, cit. 2).
21 Avouons plutôt que, par le moyen de cette périphrase mélodieusement répandue dans le discours, d'une diction toute simple il a fait une espèce de concert et d'harmonie.
Boileau, trad. Traité du sublime, de Longin, XXIV.
22 J'ai connu plus d'un Anglais et plus d'un Allemand qui ne trouvaient d'harmonie que dans leurs langues.
Voltaire, Dict. philosophique, Langues.
23 (…) il suffit d'avoir un peu d'oreille pour éviter les dissonances, et de l'avoir exercée, perfectionnée par la lecture des poètes et des orateurs, pour que mécaniquement on soit porté à l'imitation de la cadence poétique et des tours oratoires. Or jamais l'imitation n'a rien créé : aussi cette harmonie des mots ne fait ni le fond, ni le ton du style, et se trouve souvent dans des écrits vides d'idées.
Buffon, Disc. de réception à l'Académie franç. (→ Dissonance, cit. 2).
24 Chateaubriand est le seul écrivain en prose qui donne la sensation du vers : d'autres ont eu un sentiment exquis de l'harmonie, mais c'est une harmonie oratoire; lui seul a une harmonie de poésie.
Chênedollé, in Sainte-Beuve, Chateaubriand, t. II, p. 54.
25 (…) prose ou poésie, l'art d'écrire réside tout entier dans la convenance de l'idée et du sentiment au rythme et au nombre de la phrase, au son, à la couleur et à la saveur des mots, et ce sont ces rapports subtils, ces harmonies, que tout traducteur dissocie nécessairement et détruit, puisqu'il est l'esclave de la littéralité et qu'il peut bien rendre en son propre langage la pensée, mais non pas la musique de la pensée, non pas cette petite chose, le style.
J. Bédier, Chanson de Roland, Avant-propos, p. XV.
26 (…) l'harmonie, c'est-à-dire le sens musical des mots et des phrases et l'art de les combiner agréablement pour l'oreille. L'harmonie, pour les mots, consiste dans leur son propre. L'harmonie, pour les phrases, consiste dans leur cadence et leur équilibre.
Antoine Albalat, l'Art d'écrire, VIIe leçon.
Loc. Harmonie imitative, qui, par la sonorité des mots employés, imite ou évoque le bruit que produit la chose signifiée.
27 Le chant du rossignol surtout a paru admirablement traduit (dans le Génie du christianisme) : c'est proprement de la musique, c'est presque de l'harmonie imitative.
Sainte-Beuve, Chateaubriand, t. I, p. 248.
Littér. L'expression poétique, au sens large (musique…).
28 Fille de la douleur, harmonie ! harmonie !
Langue que pour l'amour inventa le génie !
Qui nous vint d'Italie, et qui lui vint des cieux !
Douce langue du cœur, la seule où la pensée,
Cette vierge craintive et d'une ombre offensée,
Passe en gardant son voile, et sans craindre les yeux !
A. de Musset, Premières poésies, « Le saule », I.
Allus. littér. || Les Harmonies poétiques et religieuses, recueil de poèmes de Lamartine.
29 Rien ne peut mieux expliquer (que cette lettre à M. d'Esgrigny) ce que c'est qu'une harmonie : la jeunesse qui s'éveille, l'amour qui rêve, l'œil qui contemple, l'âme qui s'élève, la prière qui invoque, le deuil qui pleure, le Dieu qui console, l'extase qui chante, la raison qui pense, la passion qui se brise, la tombe qui se ferme, tous les bruits de la vie dans un cœur sonore, ce sont ces harmonies (…) J'en ai écrit quelques-unes en vers, d'autres en prose; des milliers d'autres n'ont jamais retenti que dans mon sein.
Lamartine, Harmonies, Prologue (Lettre à d'Esgrigny).
———
II
1 (1680, Richelet). Rapports, relations entre les parties d'un tout, qui font que ces parties concourent à un même effet d'ensemble; cet effet. Ensemble, unité. || L'harmonie des parties d'un ensemble, des organes du corps. Ordre, organisation. || L'harmonie du système solaire. || Harmonie des projets, des vues, des sentiments, de plusieurs personnes. Communauté, communion, concordance, conformité. || Complète harmonie de vues au sein d'un groupe. Unanimité. || « L'harmonie est la poésie de l'ordre » (cit. 27). || Cette équipe manque d'harmonie. Homogénéité. || Harmonie des caractères, des tempéraments (→ Bien-être, cit. 1). Correspondance (cit. 2).
30 (…) il faut de l'harmonie dans les sentiments et de l'opposition dans les caractères, pour que l'amour naisse tout à la fois de la sympathie et de la diversité.
Mme de Staël, Corinne, XVI, I.
31 D'un autre côté, tous les phénomènes d'un corps vivant sont dans une harmonie réciproque telle, qu'il paraît impossible de séparer une partie de l'organisme sans amener immédiatement un trouble dans tout l'ensemble.
Claude Bernard, Introd. à l'étude de la médecine expérimentale, II, I.
32 Tout aboutit à l'harmonie. Plus sauvage et plus persistante avait été la discordance, plus large est l'épanouissement de l'accord.
Gide, Journal, Juin 1927.
33 (…) l'âme de l'homme imagine plus facilement et plus volontiers la beauté, l'aisance et l'harmonie que le désordre et le péché qui partout ternissent, avilissent, tachent et déchirent ce monde (…)
Gide, la Symphonie pastorale, 27 févr., p. 36.
L'harmonie qui s'établit entre un artiste et ses contemporains. Accord, alliance (cit. 10). || Harmonie entre les êtres et les conditions d'existence. Adaptation, ajustement (→ Forme, cit. 9). || Harmonies cachées, dans la nature. Correspondance.Harmonie du soir, poème de Baudelaire.
34 Les ruines ont (…) des harmonies particulières avec leurs déserts (…)
Chateaubriand, le Génie du christianisme, II, V, IV.
(1802, Chateaubriand). || En harmonie. || Être en harmonie avec… Convenir, correspondre (→ Délabré, cit. 5; déniaiser, cit. 3; flou, cit. 2). || Ces deux choses sont en harmonie, en parfaite harmonie, vont bien ensemble ( Rapport, ressemblance, similitude, unisson). || Mettre en harmonie. Accorder, ajuster, assortir, concilier, harmoniser.
35 Sa douillette puce était en harmonie avec ce luxe, et il prisait dans une tabatière d'or enrichie de diamants ! (…)
Balzac, l'Initié, Pl., t. VII, p. 379.
36 La jeune ingénue regardait avec une sorte d'intérêt attendri ce jardin en friche si bien en harmonie avec ce château en ruine.
Th. Gautier, le Capitaine Fracasse, II, t. I, p. 59.
37 Ce qu'on appelle les conquêtes de Louis XIV partait d'un plan stratégique et de sécurité nationale. Elles étaient en harmonie avec le système de Vauban et pour ainsi dire dictées par lui.
J. Bainville, Hist. de France, XIII.
38 Le monde moderne, qui a prodigieusement modifié notre vie matérielle, n'a su se faire ni des lois, ni des mœurs, ni une politique, ni une économie, qui fussent en harmonie avec ces immenses changements, ses conquêtes de puissance et de précision.
Valéry, Variété IV, p. 200.
39 (…) la science qui s'efforcerait de mettre en harmonie les constructions des hommes et le site (…) dans lequel ou devant lequel ces constructions vont s'élever.
G. Duhamel, Turquie nouvelle, V, p. 92.
Les Harmonies de la nature, œuvre de Bernardin de Saint-Pierre (1796), suite aux Études de la nature, dans laquelle il veut prouver que tout dans la nature est accord et harmonie ( Finaliste; finalisme, cit.).
40 (…) par le spectacle des harmonies actuelles de la nature, je m'élève vers son auteur, et j'espère dans un autre monde de plus heureux destins.
Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, p. 95.
Les Harmonies économiques, ouvrage de Bastiat (1849).(1866, Littré). || L'harmonie sociale, ou, absolt, l'harmonie : l'époque de prospérité qui doit succéder à l'enfance de l'humanité, selon les fouriéristes. Harmonien.
(1716, Fontenelle). Philos. || Harmonie préétablie : doctrine de Leibniz suivant laquelle le développement parallèle des substances créées se conforme à une relation préétablie, sans qu'il y ait d'actions réciproques entre elles.
41 L'âme suit ses propres lois et le corps aussi les siennes; et ils se rencontrent en vertu de l'harmonie préétablie entre toutes les substances, puisqu'elles sont toutes les représentations d'un même univers (…) (Si Descartes n'avait pas cru que l'âme peut changer la direction des corps) il serait tombé dans mon système de l'harmonie préétablie.
Leibniz, Monadologie, §§79 et 80 (texte français de l'auteur).
2 (1689, Racine). Littér. Accord, bonnes relations (entre des personnes). Accord, concorde, entente (cit. 6), paix, union. || L'harmonie qui règne dans une société, un État. || Vertus qui font la douceur et l'harmonie de la société (→ Civil, cit. 3). || L'harmonie de la famille, du ménage. || Détruire, troubler, rétablir l'harmonie. || Harmonie retrouvée. Conciliation, réconciliation. || Vivre en harmonie, en parfaite harmonie. Amitié, entente, sympathie; entendre (s'). || Harmonie inaltérable (→ 2. Discord, cit.).
42 Rois, chassez la calomnie.
Ses criminels attentats
Des plus paisibles États
Troublent l'heureuse harmonie.
Racine, Esther, III, 3.
3 (1577). Ensemble des rapports entre les parties, les éléments (d'un objet, d'une œuvre d'art, d'un spectacle), envisagés du point de vue esthétique. Beauté; économie (des parties), ensemble, équilibre, eurythmie… || Art d'harmonie et de décoration (→ Futuriste, cit.). || Harmonie d'une composition, d'un tableau (→ Exhumation, cit.; franc, cit. 12; garder, cit. 62; 2. glacis, cit. 1). || Harmonie des masses, des volumes, des proportions, dans un tableau, une sculpture. Balancement (cit. 6), pondération. || Harmonie des couleurs (cit. 2, 4). Combinaison, consonance (cit. 7). || L'harmonie des vêtements. Assortiment.Par ext. || Harmonie des saveurs (→ Gourmandise, cit. 7; gourmet, cit. 7).L'harmonie d'un visage (→ Équilibre, cit. 25), d'un corps féminin. Beauté, élégance, grâce; régularité, symétrie. || Harmonie de l'allure, de la démarche, des mouvements (→ Chevreuil, cit. 3). || Danse pleine d'harmonie et de grâce.
43 Il y avait dans cette harmonie parfaite un concert de couleurs auquel l'âme répondait par des idées voluptueuses, indécises, flottantes.
Balzac, la Fille aux yeux d'or, Pl., t. V, p. 303.
44 Les couleurs sont la musique des yeux; elles se combinent comme les notes (…) Certaines harmonies de couleurs produisent des sensations que la musique elle-même ne peut atteindre.
E. Delacroix, Journal, t. III, p. 391, in R. Huyghe, Dialogue avec le visible, p. 207.
45 (…) ce qui est séduisant chez elle (Fanny Elssler) c'est l'harmonie parfaite de sa tête et de son corps; elle a les mains de ses bras, les pieds de ses jambes, des épaules qui sont bien les épaules de sa poitrine (…)
Th. Gautier, Souvenirs de théâtre…, Mlles Elssler à l'Opéra.
46 Et l'harmonie est trop exquise,
Qui gouverne tout son beau corps,
Pour que l'impuissante analyse
En note les nombreux accords.
Baudelaire, les Fleurs du mal, Spleen et idéal, XLI.
47 Il aimait un corps humain comme une harmonie matérielle, comme une belle architecture, plus le mouvement (…)
Baudelaire, la Fanfarlo.
48 La femme (…) est surtout une harmonie générale, non seulement dans son allure et le mouvement de ses membres, mais aussi dans les mousselines, les gazes, les vastes et chatoyantes nuées d'étoffes dont elle s'enveloppe (…) dans le métal et le minéral qui serpentent autour de ses bras et de son cou (…)
Baudelaire, Curiosités esthétiques, X.
49 Un couple qui danse révèle son degré d'entente. L'harmonie des gestes du comte et de la comtesse d'Orgel prouvait un accord que donne seul l'amour ou l'habitude.
R. Radiguet, le Bal du comte d'Orgel, p. 44.
50 Cette vallée était pourtant bien belle, quand elle était toute vêtue de feuilles; les bois encadraient les champs; c'était une harmonie merveilleuse pour l'œil.
Alain, Propos, 27 avril 1908, Les bûcherons.
4 (XXe). Math. Se dit d'une relation caractéristique entre plusieurs grandeurs. Harmonique (3.). || Condition d'harmonie, relation d'harmonie. || Rapport d'harmonie.
CONTR. Cacophonie, charivari; brouhaha. — Chaos, désaccord, désordre, discordance, disparité, dureté, inharmonie, laideur; antagonisme, incompatibilité, opposition. — Antipathie, discorde, dissentiment, froissement, mésentente, mésintelligence…
DÉR. Harmonier, harmonieux, harmoniser, harmoniste, harmonium. — (Au sens de Fourier) Harmonien. — V. Harmonica, harmonique.
COMP. Enharmonie, inharmonique, philharmonie.

Encyclopédie Universelle. 2012.