GLACIERS
Le mot glacier, comme la plupart de ses équivalents étrangers, a deux sens. Il désigne une masse de glace d’un seul tenant, permanente à l’échelle d’une vie humaine, avec le névé et la neige qui la recouvrent en partie, et les moraines mouvantes qu’il transporte. La définition ne prend pas la taille en compte puisqu’elle englobe aussi bien les minuscules glaciers de cône d’avalanche d’un hectare que l’inlandsis du Groenland (1 730 000 km2) et la calotte antarctique (12 300 000 km2, auxquels il faut ajouter les 1 500 000 km2 de prolongements flottants, les shelfs ). Mais il désigne aussi un fleuve de glace , s’écoulant sous l’effet de la pesanteur, et pouvant n’être qu’une partie d’un glacier au premier sens du terme. Son bassin d’alimentation peut être bien délimité par des parois rocheuses (cirque glaciaire ), et dans ce cas être multiple (glacier composé ), mais souvent se présente la situation inverse: un champ de glace ennoyant plus ou moins le relief est drainé par de nombreux glaciers émissaires. L’extrémité inférieure (front du glacier) peut être une falaise de glace «vêlant» des icebergs dans l’océan (glaciers marins ), ou dans un lac, ou une falaise de glace en pleine paroi d’où se détachent des séracs (glacier suspendu ), ou une rampe de glace sur la terre ferme.
Le premier aspect (glacier = stock d’eau solide subsistant l’été) est important dans les régions à pluviosité moyenne ou faible, car les glaciers fournissent de l’eau en période de sécheresse. Mais tous ces glaciers économiquement utiles ne représentent, au plus, qu’un trois-millième de toute la glace présente sur le globe. Le paramètre le plus important concernant ce stock est le bilan (sous-entendu: de masse et annuel) en un lieu. Il peut être positif ou négatif selon le lieu et selon les ans. Il est fonction des précipitations solides et du bilan des échanges d’énergie air-sol au lieu considéré. Dans une région donnée ses variations spatiales peuvent être corrélées à l’altitude et à l’exposition; ses variations temporelles peuvent être corrélées linéairement à des variables météorologiques simples relevées régulièrement à une station relativement lointaine. Les concepts élaborés en étudiant les bilans des glaciers alpins peuvent toutefois conduire à des idées fausses concernant les glaciers de régions à climat très différent.
L’aspect fleuve de glace soulève des problèmes très intéressants outre celui, fondamental, de la loi de déformation de la glace [cf. GLACE]. L’écoulement comprend une déformation générale du glacier (engendrant en surface, dans les zones en extension, des crevasses ), et des processus à la base, à l’échelle du microrelief du lit, constituant ce qu’on appelle le glissement du glacier. Ce glissement n’est important que si la température de fusion est atteinte à la base. Il dépend alors de la pression d’eau sous-glaciaire, et donc de l’hydrologie au sein du glacier; il cause l’érosion glaciaire de la roche en place.
L’écoulement évacue l’excédent de précipitations des zones à bilan positif (zones d’accumulation ) vers des zones plus basses où le bilan est négatif (zones d’ablation ). Les fluctuations annuelles des bilans produisent de petites fluctuations du niveau, des vitesses moyennes annuelles et de la position du front, autour d’un état de régime. Dans un glacier de vallée ces variations sont plus complexes que ne le prévoit la théorie classique des ondes de crue, tout en restant de petites perturbations. Mais de grandes variations peuvent aussi survenir, en particulier des avances catastrophiques (surges ), sorte de gigantesques foirages dus à l’apparition périodique d’un fort glissement.
L’écoulement des glaciers en fait de puissants agents de déblaiement des débris rocheux, qu’ils évacuent sous forme de moraines (mouvantes). C’est lorsqu’un glacier avance sur un terrain meuble que ce charriage est le plus considérable, mais le glacier ne travaille guère comme un bulldozer. Les débris s’incorporent aux couches basses du glacier. Après fonte de la glace, il en résulte parfois un glacier rocheux , plus souvent un ajout supplémentaire à une moraine terminale, qui s’édifie ainsi peu à peu.
Pour les calottes de glace reposant sur un socle plus ou moins plan, à l’échelle de la calotte (petites calottes arctiques, inlandsis), la très lente évolution des températures basales est primordiale. À partir de données d’origine très interdisciplinaire, on est parvenu à une vision plus claire des anciennes glaciations. Aussi l’étude de l’évolution des inlandsis est en plein essor. Les modèles thermomécaniques permettant un calcul numérique sont en progrès constant.
1. Bilans de masse et d’énergie
Mesure des bilans de masse
En zone d’ablation on mesure les bilans, négatifs, par l’émergence d’une balise d’une année sur l’autre. Comme l’émergence peut dépasser 10 mètres par an près du front des grands glaciers, ou pour que la balise serve plusieurs années consécutives, une balise est en fait un train de perches en bois de 2 mètres, réunies par des cordonnets, avec un ancrage à l’extrémité inférieure de tout le train de perches. On l’enfonce dans un trou foré très rapidement avec une sondeuse à jet de vapeur. Les relevés se font à date fixe, à la fin de l’été. Si de la neige recouvre alors le glacier, on mesure en plus son épaisseur et sa densité; pour la glace bulleuse de surface on peut admettre une densité standard de 0,89.
En zone d’accumulation on ne peut mesurer l’enfouissement annuel d’une longue perche que si le bilan, positif, est faible, comme dans les régions polaires. L’étude stratigraphique du névé, faite soit sur la paroi d’un puits, soit plus simplement sur les carottes extraites avec une tarière carotteuse, fournit simultanément plusieurs bilans annuels. Ce sont souvent des strates de glace poussiéreuse, correspondant aux longues périodes estivales de fonte (surfaces d’ablation) que l’on repère sur ces carottes. Elles ne correspondent pas à une date fixe, et on obtient donc des bilans pour des «années stratigraphiques», de durée variable.
Si les précipitations sont très faibles (centre de l’Antarctique, par exemple), des couches annuelles peuvent manquer. Seule la recherche des niveaux marqués par les retombées radioactives des grandes campagnes d’essais nucléaires dans l’atmosphère (depuis les essais de la bombe H à Eniwetok en 1952 jusqu’à leur interdiction) permet alors d’obtenir des bilans moyens fiables.
Si au contraire les précipitations sont très fortes (Alpes, par exemple), il est plus sûr de déterminer séparément un bilan «hivernal», très positif, d’octobre à mai, puis avec des balises d’ablation un bilan «estival», négatif, de mai à octobre.
On ne sait pas mesurer les bilans de façon simple et satisfaisante dans les cas suivants: zone d’ablation recouverte de moraine; zones d’ablation ou d’accumulation très crevassées, ou bien couvertes de pénitents de neige ou de glace (cf. infra , Bilans d’énergie air-sol sur un névé ou glacier ); zone d’accumulation d’un glacier se nourrissant par regel, avec formation de glace surimposée [cf. GLACE], ou bien d’un glacier d’une haute montagne tropicale sans saisons bien marquées.
Analyse des données de bilan
Le bilan mesuré à une balise est-il vraiment représentatif d’une zone étendue: un hectare pour fixer les idées? Juste après une chute de neige poudreuse, le vent la charrie, et de très faibles ondulations de la surface peuvent beaucoup modifier la masse de neige déposée, que l’on appelle accumulation. En zone d’ablation, la fonte de la glace peut être très différente à quelques mètres de distance. (Notons qu’un creux local retiendra davantage de neige l’hiver suivant, d’où une fonte réduite l’année suivante, si bien que la surface du glacier reste grosso modo plane.) Si les bilans doivent servir à étudier le comportement du glacier, il faut donc s’affranchir des perturbations très locales, ce qui nécessite un réseau dense de balises d’ablation.
D’autre part, le mouvement du glacier entraîne les balises, ce qui conduit, si on veut comparer les bilans des années successives, à considérer des «sites» d’une certaine étendue (1 ha). Le résultat brut des mesures de bilan se traduit finalement par un tableau de J sites et T années (le «plan d’expérience»), très incomplet, avec parfois plusieurs données x jt pour un même site j et une même année t . Comme quelques balises ne sont pas retrouvées certaines années, parce qu’il y avait de la neige fraîche sur le glacier ou que le névé s’étendait exceptionnellement bas, on a aussi des données correspondant aux bilans cumulés de plusieurs années.
L’étude faite par le laboratoire de glaciologie du C.N.R.S. sur plusieurs glaciers alpins, principalement celui de Saint-Sorlin dans les Grandes Rousses, a montré que sur un glacier local on pouvait adopter un modèle statistique linéaire à deux paramètres, a j et b t :
Le dernier terme est un résidu aléatoire, en moyenne nul, provenant des fluctuations très locales et des erreurs de mesure. On peut admettre que sa loi de distribution est indépendante de j et de t , ce qui permet de déterminer les meilleures valeurs à adopter pour a j et pour b t par une méthode de moindres carrés.
Le paramètre b t ne dépend que de l’année t . On impose, pour déterminer le problème, que sa moyenne sur les T années d’observations soit nulle. C’est lui qu’on cherchera à corréler avec les fluctuations de variables météorologiques, et qui provoque les fluctuations du glacier. Pour le connaître, il suffit de suivre un réseau de balises implanté sur 1 kilomètre carré de glacier seulement.
Le paramètre a j est le bilan moyen au site j pendant les T années. Il dépend de facteurs géographiques: altitude, exposition.
Bilans d’énergie air-sol sur un névé ou glacier
Le bilan de masse qu’on vient d’étudier est l’accumulation (neige + givre + regel d’eau de fonte en profondeur ou accumulation interne ) diminuée de l’ablation (fonte + évaporation de la glace, appelée sublimation ). L’ablation et les températures internes dépendent du bilan thermique des échanges air-sol, encore appelé bilan d’énergie.
La sublimation (qui, lorsqu’elle est négative, devient du givrage) ne joue en général qu’un rôle négligeable dans le bilan de masse, mais ne saurait être ignorée dans le bilan d’énergie. La sublimation d’un gramme de glace (à 0 0C) absorbe 2 825 joules. Si la surface est fondante, il s’agit d’évaporation ou de condensation. La condensation peut ne pas être négligeable au point de vue masse d’eau produite (les hydrologues l’appellent précipitation occulte ), et ne l’est jamais au point de vue énergie. Lorsqu’un air chaud (brise de vallée, fœhn, vent du sud) passe sur un champ de neige ou de glace il fournit, outre la chaleur «sensible» liée à sa température, 2 490 joules par gramme de vapeur condensée sous forme liquide.
Ces transferts de vapeur d’eau sont fonction de la température de la surface, du point de rosée de l’air (à 2 m au-dessus du sol) et de l’intensité des transferts turbulents, liés à la vitesse du vent. Pour mesurer les transferts de chaleur latente, comme ceux de chaleur sensible, on utilise les vitesses moyennes du vent mesurées à plusieurs niveaux au-dessus du sol (méthode aérodynamique).
La chaleur qui s’échappe par conduction vers le bas, nulle si le névé ou la glace sont au point de fusion, n’est appréciable, si l’on ne tient pas compte des fluctuations diurnes, que sur les calottes polaires, en été.
Mais c’est le bilan des radiations lumineuses visibles et infrarouges qui est toujours primordial dans le bilan d’énergie, et son importance croît avec l’altitude. En l’absence de nuages, la radiation visible et du proche infrarouge du Soleil apporte, sur un sol horizontal et au solstice d’été 2 900 joules par centimètre carré et par jour aux moyennes latitudes, et environ 3 300 dans les régions polaires (le Soleil y est bas sur l’horizon, mais ne se couche pas). La fraction de cette énergie solaire qui est réfléchie et diffusée vers le haut (albédo) est 0,92-0,81 sur de la neige fraîche, 0,81-0,52 sur de la neige vieille ou fondante, 0,50-0,30 sur de la glace.
D’autre part, jour et nuit, la neige et la glace rayonnent dans l’infrarouge lointain (longueurs d’onde de l’ordre de 10 猪m) comme un corps noir; c’est-à-dire 2 700 joules par centimètre carré et par jour à 0 0C, ce flux variant comme la puissance 4 de la température absolue (loi de Stefan). Simultanément, neige et glace absorbent comme un corps noir, c’est-à-dire totalement, l’infrarouge lointain qui leur est diffusé par les nuages, la vapeur d’eau et le gaz carbonique de l’atmosphère. Néanmoins le bilan de l’infrarouge lointain est toujours négatif.
Lorsque le bilan total des radiations, de la chaleur sensible et latente, de la conduction de chaleur vers le bas, est positif, cet excédent de chaleur sert à la fonte. Lorsque ce bilan total est négatif, la surface se refroidit, ce qui diminue l’émission infrarouge et diminue la sublimation (ou augmente le givrage) jusqu’à rendre nul le bilan énergétique.
Quatre bilans sont donnés ci-dessous. Les flux sont en mégajoules (MJ) par mètre carré et par jour (1 MJ/m2 = 23,9 cal/cm2). S est le flux d’énergie solaire, A l’albédo, G le bilan de l’infrarouge lointain; Q la chaleur sensible, L la chaleur latente, C la chaleur apportée par convection.
– Au Tyrol, vers 3 000 mètres, sur la glace, fin août, on a mesuré: S = 22,6; A = 0,37; (1 漣 A)S = 14,2; G = 漣 1,5; Q = 2,7. Bilan total: 15,4, provoquant une fonte de 4,6 centimètres par jour.
– Au plateau d’Isachsen (Spitzberg), à 870 mètres, sur la neige, en septembre: S = 21,8; A = 0,7; (1 漣 A)S = 6,5; G = 漣 4,2; Q = 0,8; L = 漣 0,4. Bilan total: 2,8, d’où une fonte de 0,8 centimètre par jour.
– Au pôle Sud (2 800 m), durant l’été austral (pas de nuages): S = 47,72; A = 0,87; (1 漣 A)S = 6,20; G = 漣 6,21; Q = 1,34; L = 漣 0,29; C = 漣 1,04 (le névé se réchauffe).
– Au pôle Sud, pendant la nuit polaire: S = 0; G = 漣 2,42; Q = 2,16; L = 0,09; C = 0,17. Le fort refroidissement de l’air par la neige (Q élevé) entraîne la formation d’une importante inversion de température dans l’atmosphère.
Signalons ici le phénomène des pénitents, dû à une instabilité du régime thermique lorsque l’air est froid et très sec, la radiation solaire intense. Au lieu d’une très forte sublimation, avec une ablation négligeable, une fonte importante se produit dans des sillons est-ouest. (Sur un glacier l’eau de fonte va former de la glace surimposée.) Entre les sillons subsistent des lames de névé ou de glace, pointant vers le Soleil, les pénitents, qui se maintiennent à une température négative. Des pénitents couvrent en été tous les champs de neige et glaciers des très hautes montagnes sans précipitations en été: Andes chiliennes au nord de 350 de latitude sud, Andes argentines au nord de 370 de latitude sud, Hindou-Kouch, montagnes du Xinjiang, Kilimandjaro. À la fin de l’été, ils peuvent dépasser la taille d’un homme.
Corrélations entre bilans de masse et variables météorologiques
Les bilans de masse annuels centrés, b t , constituent une variable aléatoire à distribution gaussienne. L’écart type est 0,88 m de glace au glacier de Saint-Sorlin, 0,66 m au glacier d’Argentière (à comparer à l’écart type sur les fluctuations très locales 﨎jt : 0,20 m). Les b t pour divers glaciers, une année donnée, sont très bien corrélés d’une extrémité à l’autre des Alpes, et peuvent être corrélés avec des variables météorologiques mesurées à Lyon-Bron, à 130 kilomètres de ces deux glaciers.
Il ne faut pas confondre une corrélation avec une relation de causalité, même si les statisticiens appellent les variables auxquelles on a recours des variables «explicatives». Ainsi l’ensoleillement est la cause principale de la fonte, et aussi de l’échauffement du sol, lequel à son tour échauffe l’air. La température de l’air est donc bien corrélée positivement avec la fonte, bien que la chaleur de l’air ne soit qu’une cause très accessoire de la fonte. Elle pourrait même ne pas intervenir, la corrélation subsisterait.
Comme variables «explicatives» de b t au glacier de Saint-Sorlin on peut prendre: P10-5, précipitation totale d’octobre à mai; P6, précipitation totale en juin (très fortement corrélée à la température de juin); 7-8, moyenne des températures maximales diurnes de juillet-août. S. Martin «explique» alors 77 p. 100 de la variance des b t par la corrélation:
où désigne la différence par rapport à la valeur moyenne. Les températures de juillet et août, à elles seules, «expliquent» 57 p. 100 de la variance, P6 en «explique» 16 p. 100 et P10-5 5 p. 100 seulement, car les précipitations varient beaucoup plus d’un point à un autre que les températures. Les forts coefficients 3,0 et 6,5 proviennent de l’albédo élevé de la neige et non de l’augmentation des précipitations avec l’altitude.
Cette corrélation permet d’estimer quels furent les b t dans le passé depuis plus d’un siècle, alors qu’on ne les mesure que depuis les années cinquante.
2. Conditions d’existence et répartition mondiale des glaciers
Facteurs géographiques
L’accumulation croît avec l’altitude parce que les pluies estivales y deviennent des chutes de neige. Mais cela ne vaut que pour les parties basses des glaciers dans les régions à précipitations d’été abondantes (régions tempérées à climat maritime, ou tropicales). Des facteurs plus essentiels sont la circulation atmosphérique générale et l’exposition aux vents humides (cf. les deux versants de l’Him laya), ainsi que la topographie. Cette dernière joue par suite des transports par le vent et par les avalanches: davantage de neige s’accumule dans les cirques et hautes vallées que sur les sommets qui les entourent.
L’autre facteur du bilan de masse, l’ablation, diminue avec la nébulosité et avec l’altitude (air plus froid). Elle dépend aussi de l’exposition au Soleil: si à 450 de latitude nord un versant d’adret (exposé au sud) et un d’envers (exposé au nord) ont une pente moyenne de 20 degrés, la chaleur solaire reçue est la même que sur un terrain horizontal à 250 ou 650 de latitude nord, respectivement. En zone d’ablation ces différences sont très amplifiées par la différence d’albédo entre la neige et la glace: la durée de la saison pendant laquelle la glace est à nu joue un rôle essentiel. De ce fait, la variation du bilan avec l’altitude est bien plus forte en zone d’ablation qu’en zone d’accumulation.
Le bilan total dépend donc de nombreux facteurs, et il est assez simpliste de ne considérer que son augmentation avec l’altitude. L’ancien concept d’une limite climatique des neiges (sous-entendu: pérennes), altitude au-dessus de laquelle tout terrain non subvertical serait englacé, n’est valable que pour certains climats: ceux où il pleut l’été, la pluie étant alors remplacée en altitude par de la neige humide, non chassée par le vent. Mais par exemple on monte à l’Aconcagua, dans une région où il neige l’hiver mais où l’été il ne pleut pas, par de vastes pentes de terre nue, en longeant, puis en dominant des glaciers. Dans de telles régions on ne peut définir qu’un niveau de glaciation , en dessous duquel aucun glacier ne peut se former, au-dessus duquel il s’en forme en des lieux abrités, sous le vent des crêtes.
Un sol nu emmagasine la chaleur solaire, ce qui fait fondre des chutes de neige faibles et espacées. Rien de tel sur un glacier; en outre, le glacier crée une couche d’air froid qui ralentit l’ablation. Aussi, si un névé a pu, une année exceptionnelle, résister à un été, il se peut qu’il se maintienne et devienne un glacier. Inversement si un petit glacier marginal disparaît (ou si on le faisait fondre artificiellement en noircissant sa surface, pour obtenir de l’eau: cela a été proposé), il ne se reformerait pas.
Ligne d’équilibre et ligne de névé
On appelle ligne d’équilibre la ligne à la surface d’un glacier où le bilan de masse est nul, et qui sépare donc la zone d’accumulation de la zone d’ablation. Sa position varie selon les années. En toute rigueur il y a deux lignes d’équilibre: pour le bilan sur une année civile, mesuré aux balises, et pour le bilan mesuré sur une année stratigraphique (lorsqu’il y a une longue période d’ablation estivale). On appelle ligne de névé la limite de la vieille neige à la fin de cette période d’ablation.
La ligne d’équilibre pour l’année stratigraphique peut se déterminer par inspection visuelle sur le terrain, ou mieux à partir d’une photographie aérienne, à la fin de la période d’ablation. Les teintes différentes permettent de distinguer, d’amont en aval selon les climats:
– soit de la vieille neige de l’hiver précédent (jeune névé), puis du vieux névé d’années antérieures aux bilans supérieurs (et, accessoirement, davantage entraînés par l’écoulement du glacier), puis de la vieille glace de glacier. La ligne d’équilibre est alors la limite du jeune névé et se trouve en amont de la ligne de névé;
– soit du jeune névé, puis de la glace surimposée, puis de la vieille glace. La ligne d’équilibre sépare alors la glace surimposée de la vieille glace et se trouve en aval de la ligne de névé.
Si on utilise les bilans mesurés aux balises, il faut d’abord éventuellement classer les données d’après l’exposition du site, pour obtenir une variation à peu près régulière avec l’altitude; ensuite prendre dans chaque classe un seul bilan moyen par tranche d’altitude; et enfin seulement effectuer une interpolation linéaire ou parabolique entre ces bilans moyens.
Le coefficient de régression de ce bilan moyen par rapport à l’altitude, déterminé au voisinage de la ligne d’équilibre, est appelé coefficient d’activité. Pour un bassin donné, plus il est fort, plus le débit de glace à la ligne d’équilibre doit être élevé pour maintenir un état stationnaire. Le coefficient d’activité mesure le lissage des bilans aux diverses altitudes effectué par le glacier.
Le glacier effectue aussi un lissage dans le temps, entre périodes d’accumulation et périodes d’ablation. À la ligne d’équilibre, le bilan «estival» est l’opposé du bilan «hivernal». Leur valeur absolue commune, qui mesure l’ampleur de ce lissage, est appelée le régime (en anglais: turn-over , plus explicite).
Classification des glaciers
Le choix d’une classification dépend du but poursuivi. Ici il s’agit de simplifier notre exposé en se ramenant à quelques types. Ce qui précède montre qu’il faut tenir compte du coefficient d’activité et du régime. Un autre aspect essentiel est la température, qui conditionne la transformation de la neige en glace [cf. GLACE] et l’écoulement. Si c’est celle de fusion, on dit que la neige ou la glace sont tempérées , si elle est plus basse on les qualifie de froides.
On peut avoir un glacier froid recouvert d’un névé toujours froid (presque tout l’Antarctique, région la plus centrale du Groenland), ou bien un glacier froid recouvert d’un névé partiellement ou totalement tempéré l’été. Ce dernier cas, où il se forme de la glace surimposée, est le cas normal dans l’Arctique (où l’on trouve, inlandsis groenlandais exclu, 342 000 km2 de glaciers), et sur les hautes montagnes semi-arides des régions subtropicales (Andes sèches et Asie centrale, y compris le versant nord de l’Him laya: 30 000 km2 de glaciers).
Un quatrième cas est celui d’un glacier tempéré, recouvert par un névé tempéré (sauf la dizaine de mètres les plus superficiels, en hiver). C’est le cas des montagnes des régions à climat tempéré et maritime (137 000 km2 de glaciers) ou tropical (23 000 km2). Toutefois, lorsque les dénivelés sont importants, le glacier peut être froid dans sa partie haute (Alaska méridional, Karakorum et versant sud de l’Him laya, Géorgie du Sud).
Glaciers des cordillères américaines
Le sud de l’Alaska compte 90 000 km2 de champs de glace, glaciers composés et de piémont (parmi ces derniers, le glacier Malaspina, de 2 200 km2, entièrement en zone d’ablation). Sur le versant sud de la cordillère de la Côte (600 de latitude nord), des précipitations supérieures à 3 mètres d’eau par an abaissent la ligne d’équilibre à 600-800 mètres, et font que les glaciers y sont tempérés. Sur le versant nord de la cordillère d’Alaska (630 de latitude nord), avec des précipitations bien moins fortes, les glaciers sont légèrement froids et la ligne d’équilibre s’élève à 2 250-2 400 mètres.
Aux États-Unis, État de Washington, vers 480 de latitude nord, la chaîne des Cascades, plus arrosée que les Alpes de Savoie, a une ligne d’équilibre à 1 800 mètres, un coefficient d’activité de 1,7 m (équivalent en eau) par 100 mètres de dénivelé. Plus à l’est, dans les montagnes Rocheuses, la ligne d’équilibre se situe 400-700 mètres plus haut et le coefficient d’activité est deux fois moindre. Vers le sud, l’altitude de la ligne d’équilibre croît jusqu’à 3 730 mètres par 370 de latitude nord. Puis il n’y a plus de glaciers jusqu’à trois volcans du Mexique, vers 190 de latitude nord, où l’on trouve des glaciers à pénitents, vers 5 000 mètres.
Des glaciers de type tropical existent en Colombie, en Équateur, au Pérou et dans la cordillère Royale de Bolivie, avec des lignes d’équilibre vers 5 000 mètres. Au Pérou et en Bolivie, l’humidité vient de l’Amazonie; une période relativement sèche y correspond à notre été. Dans la cordillère Blanche du Pérou, on a déterminé une ligne d’équilibre vers 4 850 mètres, et un coefficient d’activité très fort, 3 mètres par 100 mètres, la pluie devenant de la neige à peu près toujours à la même altitude.
Au sud du Pérou et de la Bolivie, au nord du Chili et de l’Argentine, c’est le désert. Quelques petits glaciers sur les volcans qui s’élèvent au-dessus de l’Altiplano permettent de fixer le niveau de glaciation: il atteint 6 000 mètres vers 200 de latitude sud. Il redescend à 5 000 mètres au Mercedario (320 de latitude sud). Désormais, jusqu’au cap Horn, l’humidité vient du Pacifique et la ligne d’équilibre s’établit 400 mètres plus haut sur le versant argentin que sur le versant chilien. Entre le Mercedario et le volcan Maipo (340 de latitude sud), la région où l’on trouve 1 900 kilomètres carrés de glaciers à pénitents, le niveau de glaciation s’abaisse de 1 000 mètres.
Vers 350 de latitude sud apparaissent les glaciers tempérés. La ligne d’équilibre descend progressivement jusque vers 1 000 mètres par 460 de latitude sud, puis se maintient à ce niveau. Au sud de 460 de latitude sud, en Patagonie et Terre de Feu, il y a 24 000 kilomètres carrés de champs de glace et glaciers.
Glaciers des chaînes alpines et himalayennes
2 p. 100 des Alpes, soit 3 000 kilomètres carrés, sont couverts de glaciers tempérés. Un dixième seulement se trouve en France. La ligne d’équilibre se situe à 2 800-3 200 mètres, le coefficient d’activité est de l’ordre de 1 mètre par an. Les valeurs sont les mêmes pour les 1 700 kilomètres carrés de glaciers du Caucase occidental et central (430 de latitude nord).
Le Pamir (Tadjikistan), vers 380 de latitude nord, compte 8 000 kilomètres carrés de glaciers, dont le glacier Fedtchenko, de 77 kilomètres de long. La ligne d’équilibre s’élève de 4 200 mètres à l’ouest à 4 700 mètres à l’est.
Au Karakorum (Pakistan-Inde, vers 360 de latitude nord), des glaciers couvrent 13 000 kilomètres carrés (27 p. 100 de la surface). Six d’entre eux ont plus de 50 kilomètres de long. La ligne d’équilibre s’élève de 4 800 mètres à l’ouest à 5 400 mètres à l’est. L’Him laya compte nettement moins de glaciers (5 000 km2?), avec une ligne d’équilibre à 5 500 mètres sur le versant népalais, 5 900 mètres sur le versant tibétain.
Signalons ici, à titre de curiosité, la dizaine de kilomètres carrés de glaciers qu’on trouve en Nouvelle-Guinée (40 de latitude sud), et les 15 kilomètres carrés de glaciers africains (Ruwenzori, mont Kenya, Kilimandjaro), tous avec des lignes d’équilibre vers 4 800 mètres.
Glaciers de l’Arctique
La Scandinavie et l’Islande, réchauffées par le Gulf Stream, ne font pas partie de l’Arctique. En Scandinavie, il y a autant de surface englacée que dans les Alpes. Par 610 40 de latitude nord, le glacier du Jostedal, aux vingt-cinq langues émissaires, est, avec 473 kilomètres carrés, le plus étendu d’Europe, Islande exclue. À l’ouest, les précipitations sont de l’ordre de 3 mètres par an, et la ligne d’équilibre se situe à 1 000-1 200 mètres. À l’est, ces chiffres deviennent 1 mètre par an et 1 500-2 200 mètres.
En Islande, on trouve surtout cinq calottes de glace dont, par 640 30 de latitude nord, le Vatnajökull (8 390 km2). La ligne d’équilibre est à 1 050 mètres du côté sud, 1 650 mètres du côté nord.
Par suite d’un climat sec et très continental, la Sibérie tout entière ne compte que 2 200 kilomètres carrés de glaciers, dans la partie orientale. Les 16 kilomètres carrés de glaciers du nord de l’Oural ne sont qu’une curiosité liée aux transports par le vent, mais sur la Nouvelle-Zemble, prolongement de l’Oural dans l’océan Arctique, il existe un champ de glace de 21 500 kilomètres carrés.
On a inventorié 31 000 kilomètres carrés de petites calottes glaciaires sur les archipels François-Joseph et Severnaya Zemlya, avec une ligne d’équilibre vers 300 mètres. Nulle part dans l’Arctique elle n’atteint le niveau de la mer: la banquise permanente qui couvre 3 millions de kilomètres carrés de l’océan Arctique est entièrement zone d’ablation en surface, et ne se maintient que par une accrétion de glace l’hiver à sa surface inférieure. Il faut peut-être excepter la côte nord de l’île d’Ellesmere, où existent de petits shelfs, d’ailleurs en voie de désintégration («îles de glace» découvertes au milieu de la banquise).
Enfin on trouve des calottes glaciaires autour de la mer de Baffin. Sur les îles Baffin, Bylot, Axel Heiberg et Ellesmere, elles sont au nombre de huit, dont l’aire est comprise entre 5 000 et 26 000 kilomètres carrés. De 620 à 830 de latitude nord, la ligne d’équilibre ne s’abaisserait que de 1 380 à 1 200 mètres. Le Groenland est à 79 p. 100 recouvert par un inlandsis (en danois: la glace de l’intérieur des terres).
L’inlandsis groenlandais
La topographie de la surface et du lit des grandes calottes glaciaires se détermine aujourd’hui par radar émettant des impulsions en V.H.F. (c’est la fréquence de 35 MHz qui traverse le mieux la glace froide), à partir d’un avion ou d’un satellite. L’avion pose un problème difficile de navigation: elle doit être précise, y compris pour ce qui concerne l’altitude de vol. Les altimètres radars embarqués à bord de satellites améliorent la détermination de la surface lorsque sa pente est très faible, mais la fréquence utilisée ne permet pas de percevoir le socle; le serait-il, il est trop irrégulier vis-à-vis de la largeur du pinceau d’ondes émises.
Comme l’inlandsis groenlandais s’étend de 600 à 830 de latitude nord, on y rencontre tous les climats depuis celui de l’Islande jusqu’à celui de la terre François-Joseph. Les précipitations décroissent du sud au nord de près de 1 mètre à moins de 20 centimètres (équivalent en eau), la moyenne étant 36,7 cm. La ligne d’équilibre se situe à 1 600 mètres vers 660 de latitude nord, 600 mètres vers 760 de latitude nord. Mais de plus il y a l’altitude: celle de la surface s’élève insensiblement jusqu’à 3 200 mètres. Aussi sur 30 p. 100 de l’inlandsis la fonte est inconnue. La température à 10 mètres de profondeur (dite «température de surface») reste constante et de l’ordre de 漣 28 0C. Sur 45 p. 100 de la surface, la fonte existe, mais ne parvient pas à ramener le névé en profondeur à 0 0C.
Sous le poids de l’inlandsis, le plateau qui le supporte est déprimé et oscille autour du niveau de la mer. Des vallées du socle ont dû favoriser la formation de dizaines de glaciers émissaires, très rapides et bien marqués sur leurs dernières dizaines de kilomètres, mais dont les limites des bassins d’alimentation sont très floues et spéculatives. En 1957, l’Institut géographique national a déterminé les vitesses de vingt émissaires de la côte ouest par photogrammétrie aérienne, trouvant comme vitesses maximales 13 mètres par jour au centre du glacier de Jakobshavn (690 10 de latitude nord), 18 mètres par jour au centre du glacier de Rink (710 47 de latitude nord). En 1932, on avait mesuré 29 et 27 mètres par jour au front de ces mêmes glaciers. Tous les glaciers émissaires se terminent dans les fjords, parfois totalement obstrués d’icebergs et de glaçons. Leur front s’établit là où le glacier, de plus en plus rapide et donc de moins en moins épais, se met à flotter.
La calotte antarctique
On peut y distinguer deux parties, séparées par la chaîne Transantarctique.
L’Antarctide orientale est un très vieux continent, analogue dans la taille, la forme et la géologie à l’Australie (qui s’en est détachée il y a 40 millions d’années, en même temps que le Groenland se séparait de la Scandinavie). Par endroits, ce socle est déprimé sous le niveau de la mer par le poids de la calotte; ailleurs, il comporte des montagnes sous-glaciaires (monts Gamburtsev). La calotte glaciaire dépasse 4 000 mètres d’altitude au centre et 3 000 mètres sur la moitié de sa surface. Elle couvre tout le continent à l’exception de quelques kilomètres carrés de «vallées sèches», en particulier au bord de la mer de Ross, près de la base américaine de McMurdo Sound. Non seulement les glaciers émissaires occupent tout un fjord sous-glaciaire, mais, en général, ils s’avancent sous forme de langue dans l’océan, ou bien contribuent à l’alimentation de shelfs.
La température de surface est 漣 49 0C au pôle Sud (2 800 m d’altitude), face=F0019 漣 56 0C à la station Vostok (3 420 m). Les précipitations n’y sont que de quelques centimètres par an, sous forme de givre ou de «serein» (cristaux de neige tombant en l’absence de nuages). Sur la côte, la température moyenne est de l’ordre de 漣 10 0C et les précipitations, dues à des perturbations cycloniques cette fois, de quelques décimètres par an.
L’Antarctide occidentale repose sur une chaîne jeune analogue aux Andes, et sur des fonds océaniques entre cette chaîne et la chaîne Transantarctique. Elle comprend: deux grands shelfs, glaciers flottants d’environ 300 mètres d’épaisseur, le shelf de Ross (496 000 km2) du côté du Pacifique, et le shelf de Filchner (390 000 km2) du côté de l’Atlantique; deux plateaux d’altitude voisine de 2 000 mètres, séparés par la chaîne Sentinelle, à savoir la «terre» Marie-Byrd, dont la glace s’écoule surtout vers le shelf de Ross, et le plateau Ellsworth qui s’écoule vers le shelf de Filchner; enfin la péninsule Antarctique, qui remonte vers le nord jusqu’à 630 de latitude sud.
Dans la péninsule Antarctique, la température moyenne est 漣 5 0C, et les précipitations atteignent le mètre (équivalent en eau) par an. À la station Byrd (1 515 m), la température moyenne est 漣 28 0C et l’accumulation 14 centimètres par an.
3. Écoulement et érosion glaciaire
Cinématique du mouvement
Si on met de côté une couche superficielle crevassée et faillée, il semble que l’écoulement d’un glacier soit extrêmement régulier, sans à-coups brusques. Ce n’est qu’au glacier d’Argentière, dans de grands décollements entre glace et rocher, sur 10 à 30 mètres, en aval d’un verrou (exhaussement du lit barrant transversalement la vallée), cavités accessibles grâce à des galeries creusées dans le rocher pour capter le torrent sous-glaciaire, qu’on a indubitablement mesuré des mouvements par à-coups de l’ordre de 2 centimètres, séparés par plusieurs heures d’immobilité. Mais on a prouvé que les mouvements par saccades en surface annoncés étaient le résultat d’erreurs topographiques (réfraction anormale et fluctuante des rayons lumineux lors d’observations au théodolite).
Les trajectoires des particules de glace forment donc un faisceau de courbes grossièrement parallèles, qui ne s’emmêlent pas (écoulement laminaire).
Vu l’imprécision des mesures de bilan et d’épaisseur, on peut négliger la compressibilité de la glace, même bulleuse. On transposera seulement dans les calculs la couche de neige et de névé en couche de glace de même poids. Il y a donc conservation du volume, et l’on peut écrire, les bilans étant mesurés en mètres de glace:
1o exhaussement de la surface du glacier en un lieu géographique fixe = bilan en ce lieu + vitesse verticale, vers le haut, de la glace. En état de régime, la surface est fixe et le bilan égale la vitesse verticale vers le bas. Les trajectoires s’enfoncent en zone d’accumulation et émergent en zone d’ablation. Il en va de même pour les cailloux tombés sur le glacier et formant des moraines latérales puis, si deux glaciers se réunissent, une moraine médiane .
2o augmentation du débit de glace entre deux sections transversales = bilan cumulé sur toute la surface entre ces deux sections 漣 augmentation de volume du glacier entre ces deux sections fixes. En état de régime, le débit croît vers l’aval en zone d’accumulation, est maximal à la ligne d’équilibre et diminue ensuite, jusqu’à s’annuler au front si le glacier se termine par une rampe sur la terre ferme. Dans un grand glacier des Alpes, ce débit maximal est de l’ordre de 10 hectomètres cubes de glace par an. On peut l’évaluer en cumulant les bilans depuis le front (et, si le glacier a varié de volume, en effectuant la correction correspondante).
On peut aussi évaluer le débit à travers une section transversale à partir des vitesses horizontales et de l’aire de cette section. L’épaisseur d’un glacier local se détermine par sismique-réflexion et, avec plus de certitude, par des forages (la glace est fondue avec une résistance électrique ou un jet d’eau chaude sous pression). Pour déterminer la vitesse de balises en surface, on relève des points géodésiques locaux, installés autour du glacier. Mais on ignore les vitesses en profondeur. Souvent elles ne diminuent fortement que dans une couche limite basale, et des calculs approchés grossiers donnent une précision suffisante (suffisante par exemple pour déterminer le bilan moyen dans un cirque d’alimentation avalancheux, où des mesures directes seraient impossibles). Ces calculs introduisent les forces en jeu et ne relèvent plus de la cinématique mais de la dynamique.
Dynamique de l’écoulement
L’écoulement d’un glacier est causé par son poids, et lié au fait que la surface libre n’est pas horizontale. Sauf sur de courtes distances vis-à-vis de l’épaisseur, la pente de la surface est toujours vers l’aval. L’écoulement se traduit globalement par une perte d’énergie newtonienne (qui se dissipe en chaleur), même si les couches basales doivent remonter une contre-pente, en sortant d’un surcreusement de la vallée.
Les forces d’inertie qui résultent des variations de vitesse sont absolument négligeables. La composante vers l’aval du poids d’un tronçon de glacier est équilibrée avant tout par la résistance qu’offre le lit à l’avancement. Cette force résistante par unité d’aire est appelée le frottement . Il s’ensuit que les vitesses décroissent de la surface vers le fond, et du centre vers les bords. Sur la mer de Glace, au chaos de séracs du Géant, où la vitesse est très élevée (1 000 m/an au sommet de la chute), et donc le glacier très peu épais (20 à 40 m), la glace accumule tous les étés beaucoup de poussières, qui forment en aval des bandes brunâtres transversales. Ce mouvement plus fort au centre les arque de plus en plus, ce qui les fait appeler chevrons (ogives en anglais).
Pour aller plus loin, il faut établir un modèle physique , c’est-à-dire un schéma simplifié du glacier auquel on puisse appliquer les lois de la mécanique des milieux continus.
La pesanteur crée simultanément des contraintes et des déformations, liées entre elles par une loi de comportement, ou loi rhéologique. Cette loi rhéologique est connue par des expériences de laboratoire [cf. GLACE]. Elle dépend de la température ou, si la glace est tempérée, de la teneur en eau; toutefois on admet que la teneur en eau moyenne se stabilise à une valeur fixe. En tout point du glacier, de coordonnées x , y , z , on peut définir six contraintes, trois composantes de la vitesse et (si le glacier est froid) une température, soit neuf ou dix fonctions de x , y , z . Elles doivent obéir à autant de relations entre leurs dérivées partielles par rapport à x , y , ou z , à savoir trois relations d’équilibre, six relations exprimant la loi de comportement et l’incompressibilité (car les déformations s’expriment en fonction des dérivées spatiales des vitesses), et éventuellement l’équation gouvernant les transferts de chaleur, où intervient la variable temps. Le problème est donc formidable, et n’a pu être résolu qu’en prenant des modèles très simples, mais assez peu réalistes.
Pour résoudre ces équations aux dérivées partielles, il faut connaître les valeurs de départ de ces fonctions à une limite du glacier (conditions aux limites).
– Sur le lit: 1o la vitesse perpendiculaire au lit doit être nulle ou négligeable (si la base est au point de fusion, chaleur terrestre et chaleur dissipée par le frottement fondent environ 1 cm de glace par an); 2o la vitesse parallèle au lit (vitesse de glissement ) doit ou être nulle, ou être liée au frottement par une certaine loi de frottement .
– Sur la surface libre: 1o les trois contraintes, pression et deux composantes de la cission, doivent être nulles (on peut faire abstraction de la pression atmosphérique); 2o la vitesse perpendiculaire à la surface, le bilan et la variation de la surface libre au cours du temps sont liés. Pour un glacier tempéré, la variable temps n’intervient que dans cette dernière condition, dite équation de continuité .
Considérons le cas le plus simple, celui d’une couche de glace tempérée d’épaisseur uniforme, s’écoulant sur un plan incliné de 見, en état de régime. L’épaisseur h et la vitesse de glissement u b se sont ajustées de sorte à évacuer un certain débit de glace. Soit 福 la masse volumique de la glace et g la pesanteur ( 福g = 1 MPa/115 m). L’équilibre des forces montre que le frottement sur le lit vaut F = 福gh sin 見. Supposons de plus la vitesse u parallèle à la surface à toute profondeur (ce qui implique un bilan négligeable devant u s , vitesse en surface). On démontre que le bilan de glace par unité de largeur est:
où B est le paramètre rhéologique pour la glace tempérée (B = 465 MPa-3. an-1). Le fait qu’il y ait un certain débit q à évacuer et la loi de frottement F = F (u b ) fixent les deux paramètres ajustables u b et h .
Si en revanche nous étudions ce glacier, et avons mesuré u s et h , nous calculerons 1, q et u b sans faire intervenir la loi de frottement. Mais cela n’est vrai que dans le cas très simple considéré. Pour un glacier de vallée, le frottement F varie sur une section transversale; de plus, la forme générale de la vallée (qui n’est jamais un cylindre) contribue aussi à retenir le glacier, si bien bien que F n’est plus donné par la formule simple écrite plus haut. Il faut alors faire intervenir la loi de frottement, et les mesures de terrain ne permettent pas de déterminer tous les paramètres intervenant dans cette loi.
Eau dans les glaciers
Les vitesses de glissement des glaciers tempérés de vallée sont plus élevées autour du solstice d’été, lorsque l’eau de fonte des neiges est très abondante. (Une forte pluie d’été peut aussi augmenter les vitesses.) Il est manifeste que l’eau, sous pression, a pénétré sous le glacier et a permis des décollements entre glace et rocher qui rendent le glissement plus aisé. Au glacier du Gorner on a même mesuré un exhaussement du glacier de 50 centimètres à cette époque.
L’eau de fonte s’écoule sur la glace par des ruisseaux (bédières ) qui finissent dans des crevasses. Lorsque celles-ci, entraînées vers l’aval, se referment, il subsiste un puits où se perd la bédière (moulin ). Tôt ou tard, la communication s’établit avec un torrent sous-glaciaire, qui émerge au front du glacier, après avoir coulé au fond de la vallée, sauf en cas de surcreusement (il semble contourner les surcreusements le long d’un flanc de la vallée). L’énergie newtonienne de l’eau, dissipée en chaleur dans le torrent, et éventuellement la chaleur de l’eau de sources sous-glaciaires, maintiennent le conduit sous-glaciaire ouvert en fondant la glace, bien que la pression de la glace tende à le refermer. Il semble que, sauf durant la période de grande fonte où le conduit est engorgé et l’eau sous forte pression, le torrent sous-glaciaire soit à la pression atmosphérique.
Malheureusement l’écoulement ne suit pas toujours des lois aussi régulières. Des poches d’eau intra-glaciaires, dont la vidange est imprévisible, peuvent se former. Celle que renfermait le petit glacier de Tête-Rousse, sur les pentes du Mont-Blanc vers 3 150 mètres d’altitude, et qui creva dans la nuit du 11 au 12 juillet 1892, cubait 200 000 mètres cubes. Avec 90 000 mètres cubes de glaçons, elle provoqua la formation d’une lave de boue de 800 000 mètres cubes qui fit plus de cent victimes dans l’établissement thermal de Saint-Gervais.
Lois de frottement
La recherche d’une loi de frottement, problème majeur de la glaciologie, a été faite en considérant les processus à l’échelle du microrelief du lit. La glace contourne les bosses, d’autant mieux qu’elles sont plus grandes. De plus, la glace fond sur leurs faces amont, grâce à la chaleur que fournit un regel simultané sur les faces aval [cf. GLACE]. Si on prend comme modèle de lit un microrelief ayant le même aspect à toutes les échelles (et donc des bosses de toutes tailles), et si on admet qu’il n’y a pas de décollements, on est alors conduit à une vitesse de glissement variant comme le carré du frottement (loi de Weertman). Mais en fait, en premier lieu les petites aspérités ont disparu par suite de l’abrasion glaciaire, par ailleurs d’autres aspérités peuvent être enrobées de glace de regel ou de boue, et enfin à l’aval des bosses il y a le plus souvent décollement du glacier, ce qui diminue le frottement.
Dans les cavités à l’aval des bosses doit se trouver en général de l’eau, des débris morainiques et de la glace de regel, immobiles et à une pression p inférieure à la pression moyenne P de la glace sur son lit. Cette pression p doit dépendre de la plus ou moins grande facilité de drainage vers le torrent sous-glaciaire. Aux fortes vitesses de glissement on trouve alors une loi de frottement de type solide: F = f (P 漣 p ), le coefficient de frottement f étant une constante.
Dans ce dernier cas, c’est la déformation d’ensemble du glacier qui, provoquant une résistance «globale» à l’avancement, contrôle la vitesse de glissement. Au moment des fortes eaux, p croît, F décroît, le glissement s’accélère jusqu’à ce que, la résistance globale ayant augmenté, la composante vers l’aval du poids du glacier soit à nouveau équilibrée.
Érosion glaciaire
Les débris rocheux que renferme la couche basale d’un glacier glissant sur son lit provoquent une abrasion énergique de la roche en place. Ces roches sont moutonnées , comme on disait autrefois des perruques lissées avec une peau de mouton. Tout bloc pressé contre le lit est repoussé dans la glace, par plasticité et par fonte-regel. Les blocs de taille décimétrique, pour lesquels ce mouvement est le plus malaisé, produisent très vraisemblablement les stries glaciaires , «coups de gouge», ou parfois fissures transversales, en forme de croissant.
L’érosion produite par l’abrasion glaciaire croît lorsque le glacier est plus épais parce que, d’une part, la pression avec laquelle la glace applique les débris érodants contre le lit est plus forte, d’autre part, le glissement étant plus faible, la fonte par la chaleur terrestre qui amène de nouveaux débris au contact du lit, a davantage le temps d’agir. À la longue, à partir d’une vallée fluviale antérieure, de pente régulière, apparaissent ainsi des zones surcreusées (ombilics), limitées à l’aval par des verrous rocheux.
Sous la langue terminale, l’érosion torrentielle par les eaux sous-glaciaires (ou plutôt par le sable qu’elles charrient) joue aussi un rôle et crée les gorges étroites entaillant certains verrous.
On a spéculé sur la possibilité d’arrachement de gros blocs par le glacier. Cela ne semble guère possible. Il y a seulement délogement de blocs déjà détachés par le gel, à une époque antérieure où le glacier était moins étendu et une partie de l’actuel lit rocheux à nu.
L’abrasion produit une poudre de roche impalpable, la farine glaciaire , qui donne aux eaux issues des glaciers toutes les teintes du blanchâtre au lapis-lazuli. Par ailleurs l’érosion se fait sur toute la largeur de la vallée; les éboulis latéraux sont emportés par le glacier (moraines latérales), au lieu de s’accumuler et de protéger les flancs. Aussi la vallée glaciaire a-t-elle une section transversale en U, au lieu de la section en V des vallées torrentielles.
4. Fluctuations et avances catastrophiques
Fluctuations des glaciers tempérés
Les positions des fronts des glaciers sont relevées annuellement en Suisse depuis plus d’un siècle, et cet exemple a été suivi par d’autres pays. Un recul a prédominé, paroxysmal autour de 1950. Mais les avances et reculs des divers glaciers ne sont pas en phase: ainsi le glacier des Bossons avance (en gros) depuis 1955, celui du Trient depuis 1962 et la mer de Glace depuis 1970. L’interprétation de ces variations annuelles est difficile. On y voit plus clair en relevant tous les ans les niveaux de sections transversales du glacier, et les vitesses superficielles, en des emplacements fixes, puis en cherchant à les corréler aux b t des années antérieures. Il apparaît qu’une avance du front d’un glacier tempéré peut avoir trois causes: 1o le bilan cette année a été supérieur à la normale (b t positif); 2o il arrive au front une onde de crue; 3o les vitesses de glissement ont augmenté.
Une onde de crue , ou onde cinématique , est une intumescence de quelques mètres de haut (parfois 20 ou 30 m), et de plusieurs kilomètres de long, qui se propage vers l’aval trois à cinq fois plus vite que la glace. Cette vague provient d’une zone en amont où le glacier, plus mince et plus étalé, a mieux profité d’une série de bilans antérieurs favorables. La durée qu’elle met pour atteindre le front, variable selon les glaciers, explique les déphasages d’un glacier à l’autre.
Une théorie a été développée pour rendre compte de ces ondes de crue. On envisage de petites perturbations autour d’un état de régime et on admet que, d’une part, seul le frottement local retient le glacier, comme dans le modèle très simple traité; d’autre part, la vitesse de glissement est donnée par la loi de Weertman, et croît donc comme le carré de l’épaisseur. Il résulte de cette théorie que, en un lieu donné, les vitesses doivent augmenter l’année où y passe l’onde de crue.
Cette théorie est inexacte dans le cas de glaciers de vallée: l’étude de la mer de Glace et du glacier d’Argentière a montré que les vitesses augmentaient ou diminuaient simultanément sur tout un tronçon de glacier de vallée, long de 5 kilomètres ou davantage. Cela est lié à de forts glissements (cf. Lois de frottement à propos de la résistance «globale» qui contrôle les vitesses).
De plus, il ne s’agit pas toujours de petites fluctuations autour d’un état de régime. Il semble exister des zones stables et des zones instables pour le front. Celui-ci peut, de loin en loin, avancer ou reculer rapidement d’une zone stable à une autre. (Ce fait est très net et incontestable pour les glaciers marins, se terminant dans un fjord.)
Effets morphologiques
C’est lorsqu’un glacier avance sur un terrain meuble (sédiments, ancienne moraine en nappe ou roche fracturée par les alternances de gel et dégel) qu’il a la plus grande action géomorphologique. Le bourrelet qu’il peut pousser devant lui, à la façon d’un bulldozer, est rarement important, mais des débris rocheux s’incorporent aux couches basales (probablement grâce au processus de fonte et regel simultanés), et viennent finalement aboutir en surface, où ils forment une moraine d’ablation. Lorsque le glacier recule, des masses de glace «morte», protégée par cette moraine, peuvent subsister longtemps en aval du nouveau front.
Lorsque le bilan (négatif) est uniforme sur toute l’extrémité de la langue, on peut, au lieu d’un recul du front, voir apparaître sur la langue des mares surglaciaires qui grossissent et se réunissent pour former un grand lac surglaciaire, puis un lac emprisonné entre le glacier et une moraine frontale en arc (vallum morainique). À la suite d’infiltrations croissant exponentiellement (renards), ou d’un débordement de l’eau par-dessus la moraine causant une très rapide érosion régressive et une brèche dans la moraine, ce lac terminal peut se vidanger brutalement, provoquant une lave de boue et de rochers.
La destruction catastrophique de tels lacs, haut perchés dans la cordillère Blanche du Pérou, a eu lieu huit fois entre 1932 et 1950. (Par la suite, des travaux furent exécutés pour prévenir ces sinistres.) En 1941, il y eut plus de 6 000 morts dans la ville de Huaraz, et en 1945 le site archéologique de Chavín fut détruit. Déjà en 1725, la disparition de la bourgade d’Ancash avait causé 2 000 victimes. À plus basse altitude, le cône d’épandage de la lave constitue un sandur. Ce phénomène dut être fréquent à la périphérie des Alpes à la fin de l’âge glaciaire.
Avances catastrophiques
Pour certains glaciers il n’existe pas d’état de régime. Périodiquement, tous les dix à cent ans, apparaît un très fort glissement qui les fait s’étaler, le front avançant de plusieurs kilomètres en quelques mois. Cette avance catastrophique (catastrophe étant pris au sens mathématique d’événement irréversible), est appelée surge . Entre deux avances, l’absence de glissement les rend presque stagnants, leur partie haute gonfle et leur partie basse fond.
De tels glaciers sont parfois l’affluent d’un glacier composé; ils sont alors faciles à déceler sur les photographies aériennes car leurs avances périodiques ont refoulé les moraines médianes du glacier composé. De nombreux exemples ont été observés en Alaska (2 p. 100 des glaciers); quelques-uns dans le Tianshan et le Pamir, dans les Andes de Santiago, et un en Islande.
Le plus souvent, mais pas toujours, ce sont des glaciers légèrement froids. Leur base ne doit atteindre le point de fusion que lorsqu’ils ont acquis une certaine épaisseur. Les études faites sur le Variegated Glacier (Alaska) montrent que l’avance catastrophique y est précédée par une période d’accumulation d’eau sous-glaciaire, conséquence d’un mauvais drainage, laquelle permet localement l’apparition du glissement. Le Variegated atteignit, pendant le surge de 1982, 60 mètres par jour. La zone de glissement s’étend d’année en année jusqu’à intéresser toute la langue, et c’est l’avance catastrophique.
On a signalé des avances catastrophiques, d’ampleur modeste et isolées, amorcées par une série d’années aux bilans favorables. Par exemple sur le Vernagtferner (Tyrol), en 1899, sur le glacier de Gébroulaz (Vanoise) en 1928. Dans les Andes de Santiago, certains glaciers rocheux semblent être d’anciennes langues glaciaires extrêmement chargées en débris apparues lors d’avances catastrophiques. (Un glacier rocheux est une langue de moraine qui, lorsqu’elle est jeune, s’écoule à des vitesses de l’ordre du mètre par an, et peu encore renfermer de la glace morte en profondeur.) D’autres glaciers rocheux, formant des épaulements sur le flanc des vallées, proviennent du glissement, du foirage d’un petit glacier enterré (strates d’éboulis estivaux alternant avec des strates de glace issues des neiges hivernales).
Températures dans les glaciers froids
Avant d’aborder l’évolution des nappes de glace froide, examinons quel est l’état de régime, constant au cours du temps, qu’on peut y trouver.
S’il n’y avait pas d’écoulement, la température augmenterait linéairement avec la profondeur; d’environ 1 degré par 40 mètres, si la base est froide et si tout le flux géothermique est évacué, plus lentement si la base est au point de fusion et si une partie du flux géothermique sert à fondre de la glace. Mais comme, en zone d’accumulation, la glace se meut vers le bas et met du temps à se réchauffer, la température reste d’abord voisine de la température de surface. Ce n’est que près de la base que le gradient vertical de température atteint 1 degré par 40 mètres (ou même plus, car la chaleur produite par la déformation doit être évacuée). En gros, en état de régime, lorsque le bilan de masse b et l’épaisseur h sont tels que bh dépasse 80 m2/an, la différence de température entre la base et la surface est:
Ainsi, à la station Byrd (h = 2 164 m, b = 0,14 m de glace/an, Ts = 漣 28 0C), la température de fusion (face=F0019 漣 1,9 0C sous cette épaisseur de glace) est atteinte à la base. Au centre de l’inlandsis (h = 3 000 m, b = 0,30 m/an, Ts = 漣 28 0C), Tb = 漣 80 C et la température de fusion (face=F0019 漣 2,6 0C) n’est pas atteinte.
Pratiquement, dans une calotte glaciaire, toute la déformation a lieu dans la couche basale, où les températures ainsi que les cissions d’entraînement sont plus élevées. Elle produit un «pseudo-glissement», auquel s’ajoute, si la température de fusion est franchement atteinte (pas seulement dans les creux du lit), le glissement proprement dit. C’est donc la température basale qui contrôle l’écoulement et, par voie de conséquence, le profil de la surface. Ainsi dans le cas fréquent où la base est au point de fusion dans la région centrale, mais froide dans une ceinture périphérique, l’altitude de la région centrale est plus élevée qu’en l’absence de cette ceinture froide. Qu’à la suite d’un réchauffement cette ceinture froide disparaisse, et la calotte s’étalera, son épaisseur diminuera.
Mais les variations de températures en surface n’atteignent la base qu’amorties et au bout d’un temps très long. Pour avoir un ordre de grandeur, on peut négliger le mouvement de la glace. Une perturbation thermique n’atteint la profondeur z qu’au bout d’un temps de l’ordre de z 2/4k , où k est la diffusivité thermique de la glace. Comme k = 40 m2/an, il faut 60 ans pour qu’une perturbation atteigne 100 mètres de profondeur, et 60 000 ans pour qu’elle atteigne 3 100 mètres. On peut donc penser que dans les couches basales d’un inlandsis actuel subsiste encore le froid du dernier âge glaciaire. En fait l’état de régime thermique décrit plus haut n’est jamais parfaitement réalisé dans un inlandsis.
Évolution des inlandsis
Si on ajoute aux grands déphasages dans les variations de température la présence de glaciers émissaires rapides, et l’existence au sein d’un inlandsis de divers types de glace aux propriétés rhéologiques différentes [cf. GLACE], il apparaît que le calcul de l’évolution d’une calotte glaciaire est extrêmement complexe et ardu. Les auteurs qui l’ont abordé se sont contentés de modèles relativement simplifiés.
De surcroît, vu la taille d’un inlandsis, plusieurs rétroactions interviennent. Si l’épaisseur croît, il y a enfoncement isostatique du socle et même variation du niveau marin. Si l’altitude de la surface croît, cela cause un abaissement des températures de surface et, en région polaire, une diminution des précipitations.
La reconstitution de l’histoire des anciens inlandsis à partir de carottes de sédiments océaniques (microfossiles, morphoscopie, teneur en O18 des coquilles) a apporté en revanche des découvertes et des quasi-certitudes. On sait aujourd’hui que l’Antarctide orientale à connu ses premiers glaciers il y a 38 Ma (millions d’années), qu’elle est devenue entièrement englacée il y a 14 à 11 Ma, et qu’elle l’est demeurée depuis. Il y a 5 Ma la calotte antarctique devait être plus épaisse et étendue qu’aujourd’hui.
La calotte de l’Antarctide occidentale a dû se former il y a 6 Ma à partir d’un shelf. On ne connaît pas son histoire. Selon certains elle serait instable, mais on a pu prouver qu’elle n’avait guère varié depuis 30 000 ans.
Il y a 3,5 Ma a eu lieu la première glaciation en Patagonie. Il y a 1,5 Ma ont commencé les grandes glaciations de l’hémisphère Nord: des inlandsis, grossièrement synchrones, ont recouvert d’une part le Canada et le nord des États-Unis (inlandsis laurentien), d’autre part la Scandinavie et le nord de l’Europe (inlandsis fennoscandien). Seules les trois dernières glaciations, les plus étendues, sont bien connues par leurs moraines terminales. Le volume de glace sur le globe était alors de 75 millions de kilomètres cubes (au lieu de 33 actuellement), ce qui avait fait baisser le niveau des océans de 120 à 160 mètres selon les lieux. On sait qu’il y a eu une vingtaine de telles glaciations durant les derniers, 1,5 Ma.
Plusieurs hypothèses ont été émises sur la façon dont sont apparus ces inlandsis (peut-être d’ailleurs sont-elles toutes valables selon les lieux). Des glaciers de piémont ont pu croître, se joindre, s’épaissir jusqu’à devenir tous les ans zone d’accumulation. La neige de l’hiver a pu subsister sur un plateau pendant plusieurs étés consécutifs et changer localement le climat. Un shelf a pu se former sur une mer peu profonde de l’Arctique, s’épaissir jusqu’à toucher le fond et se transformer alors en calotte glaciaire...
Action morphologique des inlandsis
Les inlandsis une fois installés, leur érosion est négligeable dans leur région centrale, faute de débris rocheux provoquant de l’abrasion. Ils protègent au contraire le relief. En revanche, dans les régions marginales, des lambeaux de sol gelé sous-glaciaire sont entraînés par la glace. Très laminés, ils forment les moraines de cisaillement (shear moraines ) qu’on peut voir à la périphérie d’une calotte glaciaire, dans les zones presque immobiles entre glaciers émissaires. Ce sont elles qui, après fonte de la calotte, forment la majeure partie des épais cordons morainiques qui marquent la limite d’un ancien inlandsis (on aurait tort d’y voir des moraines de poussée).
Lorsque le climat s’est réchauffé, il semble qu’un inlandsis ait d’abord beaucoup diminué d’épaisseur, surtout sur ses bords, avant que son front ne recule rapidement. Il est apparu une très vaste zone d’ablation. Les bédières y étaient de profondes rivières serpentant sur la glace; les sédiments, issus de moraines d’ablation et déposés dans leur lit sont devenus, après fonte de la glace, des eskers . De même, pour les torrents sous-glaciaires, véritables fleuves qui ont érodé d’importantes vallées, par exemple sur les côtes danoises et allemandes de la Baltique (Urströmtaler ).
Encyclopédie Universelle. 2012.