raisonner [ rɛzɔne ] v. <conjug. : 1>
• 1380 « parler »; raisnier v. 1138; lat. rationare
I ♦ V. intr.
1 ♦ (fin XIVe) Faire usage de sa raison pour former des idées, des jugements. ⇒ 1. penser. Raisonner sur des questions générales, importantes. ⇒ philosopher, spéculer. Raisonner avant d'agir. ⇒ calculer, réfléchir. « Tant que l'homme sait peu, il parle nécessairement beaucoup : moins il raisonne, plus il chante » (Proudhon). — (Opposé à sentir, éprouver) Le coléreux ne raisonne pas.
♢ (1553 ) Concevoir et employer des arguments pour convaincre, confirmer, prouver ou réfuter. ⇒ argumenter. « Quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu » (Voltaire). Vous raisonnez dans l'abstrait. « On ne peut raisonner avec les fanatiques, il faut être plus forts qu'eux » (Alain). — Loc. fam. Raisonner comme un pied, comme une pantoufle, comme un tambour, comme une casserole, mal.
♢ (1662) Répliquer, soulever des objections, alléguer des excuses. ⇒ discuter, répondre. « Voyez comme raisonne et répond la vilaine ! » (Molière).
2 ♦ Conduire un raisonnement, enchaîner des jugements pour aboutir à une conclusion. Raisonner par analogie, par induction (⇒ induire) , par déduction (⇒ déduire) . Raisonner juste, faux. « Et que lui apprendrez-vous donc, s'il vous plaît ? — À raisonner juste, si je puis » (Diderot). « Je pense qu'il n'y a pour l'esprit qu'une seule manière de raisonner, comme il n'y a pour le corps qu'une seule manière de marcher » (Cl. Bernard).
II ♦ V. tr. ind. Vieilli RAISONNER DE : juger de, par le raisonnement. Il se mêle de raisonner de tout.
III ♦ V. tr. dir.
1 ♦ Littér. Faire un objet de raisonnement de; examiner par la raison. ⇒ expliciter. Les poètes « veulent raisonner leur art, découvrir les lois obscures en vertu desquelles ils ont produit » (Baudelaire).
2 ♦ (1666) Cour. Chercher à amener (qqn) à une attitude raisonnable. « J'essayai de le raisonner, le prenant à part » (Loti).
♢ Pronom. SE RAISONNER : écouter la voix de la raison, se forcer à être raisonnable. Elle essaya de se raisonner. — (Pass.) Pouvoir être contrôlé par la raison (sentiment, impulsion). L'amour ne se raisonne pas.
⊗ CONTR. Déraisonner.
⊗ HOM. poss. Résonner.
● raisonner verbe intransitif (de raison) Faire usage de sa raison, de sa capacité de réflexion : Raisonner froidement au milieu du danger. Lier logiquement entre elles des propositions pour aboutir à une proposition nouvelle, à une conclusion : La philosophie, les mathématiques nous apprennent à raisonner. Vieux. Produire des arguments, en général spécieux : Ne raisonne pas, obéis ! ● raisonner (citations) verbe intransitif (de raison) Georges Louis Leclerc, comte de Buffon Montbard 1707-Paris 1788 On admire toujours d'autant plus qu'on observe davantage et qu'on raisonne moins. Histoire naturelle, Des animaux Étienne Bonnot de Condillac Grenoble 1714-abbaye de Flux 1780 L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite. La Logique ou les Premiers Développements de l'art de penser Charles de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu château de La Brède, près de Bordeaux, 1689-Paris 1755 J'aime les paysans, ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers. Mes pensées Paul-Jean Toulet Pau 1867-Guéthary 1920 Quand on a raison, il faut raisonner comme un homme ; et comme une femme, quand on a tort. Les Trois Impostures Émile-Paul François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Travaillons sans raisonner, dit Martin, c'est le seul moyen de rendre la vie supportable. Candide Ambrose Gwinnet Bierce Meigs County, Ohio, 1842-Mexico 1914 Raisonner. Peser des probabilités sur la balance du désir. To reason. To weigh probabilities in the scales of desire. The Devil's Dictionary ● raisonner (difficultés) verbe intransitif (de raison) Orthographe Raisonner et les autres dérivés de raison s'écrivent tous avec deux n : raisonnable, raisonnement, raisonneur… Sens Raisonner / résonner. → résonner ● raisonner (homonymes) verbe intransitif (de raison) résonner verbe raisonnant réson(n)ant adjectif résonnant participe présent ● raisonner (synonymes) verbe intransitif (de raison) Faire usage de sa raison, de sa capacité de réflexion
Synonymes :
- analyser
- cogiter (familier)
- étudier
- méditer
- penser
- ratiociner (littéraire)
- réfléchir
Lier logiquement entre elles des propositions pour aboutir à une...
Synonymes :
- disputer
- palabrer
● raisonner
verbe transitif
Analyser quelque chose, le justifier de manière logique, rationnelle : Raisonner ses choix
Chercher par des arguments, des raisonnements à amener quelqu'un à reconnaître ce qui est raisonnable, juste : Raisonner un enfant difficile.
● raisonner
verbe transitif indirect
Littéraire. Discuter de quelque chose avec des raisonnements souvent spécieux : Il raisonne de tout et ne sait rien.
● raisonner (homonymes)
verbe transitif
résonner
verbe
raisonnant
réson(n)ant
adjectif
résonnant
participe présent
● raisonner (homonymes)
verbe transitif indirect
résonner
verbe
raisonnant
réson(n)ant
adjectif
résonnant
participe présent
raisonner
v.
rI./r v. intr.
d1./d Se servir de sa raison pour juger, démontrer; conduire un raisonnement. Raisonner juste, faux.
d2./d Répliquer, alléguer des raisons, des excuses. Cessez de raisonner.
rII./r v. tr.
d1./d Soumettre au raisonnement. Raisonner ses actions.
|| Contrôler par le raisonnement, la raison. Raisonner sa peur.
|| v. Pron. (passif). Les sentiments ne se raisonnent pas.
d2./d Chercher à amener (qqn) à la raison. J'ai tenté de le raisonner et de le calmer.
|| v. Pron. (réfléchi). Se raisonner en face du danger.
I.
⇒RAISONNER1, verbe
I. — Empl. intrans.
A. — 1. Exercer sa raison; user de la raison pour connaître, juger. Synon. penser, réfléchir. Vivre, pour l'homme, c'est raisonner; et, se départir du légitime usage de la raison, c'est mourir (OZANAM, Philos. Dante, 1838, p. 107). Les autres, même les modèles les plus frustes, savaient lire et écrire, compter, raisonner. Jacquot, lui, c'était une terre en friche, une forêt vierge, un marécage (J. LANZMANN, Le Jacquiot, 1986, p. 212):
• 1. Tu es une nature passionnée (...). Je suis une nature plus froide, je raisonne. J'envie ton bonheur, je t'approuve de ne point hésiter; mais je ne crois pas que jamais j'arrive à la foi aveugle.
SAND, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 189.
— [P. méton. du sujet] Des ames qui sentent, pressentent, désirent, raisonnent (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p. 148).
— Avec valeur dépréc. [S'oppose à se passionner, éprouver, vivre] Sixtine par R. de Gourmont (...). C'est plein de belles choses grises, de gens qui raisonnent et ne vivent pas (RENARD, Journal, 1890, p. 72). Ô sot, au lieu de raisonner, profite de cette heure d'or! Souris! Comprends, tête de pierre! Ô face d'âne, apprends le grand rire divin! (CLAUDEL, Gdes odes, 1910, p. 268).
— Empl. subst. masc. sing., vieilli ou littér. Activité, usage de la raison. Synon. raisonnement. [Pascal] ne voit pas assez qu'il y a autre chose que le raisonner, en pareille matière [le sentiment de la nature] (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 39). Notre temps (...) ignore le sentir comme le raisonner (VALÉRY, Lettres à qq.-uns, 1945, p. 61).
2. Notamment en log. et dans le lang. sc. Lier deux propositions au moyen de règles logiques pour en former une troisième; conduire un raisonnement. Cet homme extérieur qui sent, imagine, discourt, raisonne, tire des conséquences de prémisses (MAINE DE BIRAN, Journal, 1819, p. 244). Observer, mesurer, raisonner avec la sécurité de la méthode scientifique, et non en enchaînant seulement des mots et des syllogismes (L. CROS, Explosion scol., 1961, p. 119). V. absolu ex. 72, quintessencier B 2 ex. de Sainte-Beuve:
• 2. ... on a cru longtemps que le géomètre, dessinant à la craie des droites et des cercles imparfaits, et raisonnant juste néanmoins, s'élevait ainsi dans un monde non physique, dans un monde d'idées pures.
RUYER, Esq. philos. struct., 1930, p. 246.
— Raisonner sur qqc. Si l'on se contente de réunir et d'accumuler des observations sans raisonner expérimentalement sur elles, on ne peut arriver à rien (Cl. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 227).
B. — 1. [Le plus souvent suivi d'une prép. ou d'une loc. prép.]
a) Raisonner avec qqn, contre, sur, à propos de qqc. Formuler des arguments pour convaincre quelqu'un ou pour élucider, prouver ou contester quelque chose. Synon. argumenter, discuter. Si vous défendez aujourd'hui de raisonner contre vos ordres, vous trouverez mauvais demain qu'on n'ait pas raisonné contre ceux d'un autre (STAËL, Consid. Révol. fr., t. 2, 1817, p. 107). On se mit à raisonner longuement sur les causes de ce malheur (MAUPASS., Une Vie, 1883, p. 197). Après avoir vainement tenté de raisonner avec elle, il la laissa, pensant que la nuit changerait le cours de ses idées (ROLLAND, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 602).
♦ Raisonner en pure perte. Le sage Ahmed comprit que la logique aurait tort, et qu'il raisonnait en pure perte. À quoi bon prêcher un sourd qui tenait à son idée comme le pape au temporel? (ABOUT, Nez notaire, 1862, p. 36).
— [P. méton.; en parlant d'une manifestation de l'affectivité] Échapper à la logique, à la réflexion; être insensible aux arguments. Si ceux qui vous méprisent sont ceux qui vous persuadent, je n'ai plus rien à vous dire; puisqu'il est vrai que la peur ne raisonne pas (ROBESP., Discours, Guerre, t. 8, 1792, p. 194).
b) Fam. Raisonner comme + subst. (avec art. indéf.) [Souvent dans des propos rapportés au style dir., par jeu de mots entre raisonner et résonner, sert à exprimer l'idée que le raisonnement de qqn (ou son propos) est creux, vide ou confus, incohérent, lourd] Raisonner comme une citrouille, comme un pot fêlé, comme une pantoufle, comme une savate, comme un tambour (mouillé). Vous raisonnez comme un coquillage, mon ami (...) et voilà Danglars, qui est un finot, un malin, un grec, qui va vous prouver que vous avez tort (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 39). Paul Mantz qui (...) rappelle souvent un commis voyageur lâché dans un musée, raisonne outre cela comme un tambour dans l'eau (TOULET, Notes art, 1920, p. 129):
• 3. Longue amitié, respect, admiration, tout cela me donne bien le droit de te dire qu'en ce qui concerne ma position politique (...) tu raisonnes comme une solive.
DUHAMEL, Combat ombres, 1939, p. 54.
Rem. V. également le jeu de mots de PÉLADAN, Vice supr., 1884, p. 201: La femme vibre à tout, ne raisonne à rien.
2. Trouver sans cesse de nouvelles objections au cours d'une discussion, de nouvelles raisons de ne pas faire une tâche ou d'en retarder l'exécution. Synon. discuter, répliquer, répondre. Nous avions des scènes horribles ensemble car je lui tenais tête fort bien, je raisonnais et c'est ce qui la mettait en fureur (STENDHAL, H. Brulard, t. 1, 1836, p. 136). Justin: Madame, il faut que je brosse les habits. Norine: Plus tard. Justin: Cependant. Norine: Vous raisonnez toujours... Je vous intime l'ordre de chercher ce parapluie... c'est clair (LABICHE, Affaire rue Lourcine, 1857, 1, p. 435).
II. — Empl. trans.
A. — Raisonner qqc.
1. Expliquer les causes d'un événement pour en avoir une vue juste; analyser la motivation d'un comportement, d'une attitude, les motifs d'une action pour en avoir la maîtrise ou un meilleur contrôle. Synon. analyser, étudier. Raisonner sa conduite; raisonner ses impulsions, ses sentiments, ses choix; raisonner sa peur, sa colère. Vous avez une si grande habitude du commerce que vous savez raisonner vos entreprises, vous êtes un malin (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p. 161). Je vous donne mon impression naïve sans la raisonner (DU CAMP, Hollande, 1859, p. 70). Seuls capables [les Bien-pensants] de raisonner la guerre [de 1914], c'est-à-dire d'en nommer les causes, d'en dénoncer les auteurs, et d'en justifier les buts (BERNANOS, Gde peur, 1931, p. 420):
• 4. Avec cet instinct de tendresse des enfants, elle comprenait que son père la reniait; elle n'avait guère que trois ans et demi, elle ne pouvait raisonner son abandon, mais elle sentait une affection moins tiède autour d'elle...
ZOLA, M. Férat, 1868, p. 235.
— Empl. pronom. à valeur passive. Être soumis au raisonnement. D'énervement, il ne pouvait plus travailler. Absurde! Mais cela ne se raisonne point (ROLLAND, J.-Chr., Maison, 1909, p. 994).
— En incise (avec inversion du suj.). Car enfin, raisonnait-il, ton esprit à toi reste tenu en laisse par la logique (GIDE, Feuillets d'automne, 1947, p. 309).
2. Trouver, donner un fondement intellectuel à quelque chose, le construire, lui donner un cadre rationnel; p. ext., appréhender quelque chose d'une manière abstraite. En France on raisonne les beaux arts bien mieux qu'on ne les sent (BONSTETTEN, Homme Midi, 1824, p. 78). Rien de tout cela n'est nouveau, et tous ceux qui raisonnent l'histoire n'en témoigneront pas de surprise (CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p. 48). L'œuvre d'art naît du renoncement de l'intelligence à raisonner le concret (CAMUS, Sisyphe, 1942, p. 134). C'est le fait de les raisonner [les symboles dictés par la sensibilité], de les systématiser qui y apporte la fantaisie et l'incertitude (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 281).
— Empl. pronom. à valeur passive. La guerre sera brève. On [l'Allemagne] dictera la paix à Paris dans six semaines (...). Observons qu'il n'y avait rien dans tout ceci qui fût tout à fait impossible, et que ces vues d'apparence déraisonnable se pouvaient fort bien raisonner (VALÉRY, Variété IV, 1938, p. 70). Les formes de Seurat sont hiératiques et s'ordonnent géométriquement, architecturalement. Les enchantements de la lumière se raisonnent tout en gardant leur puissance d'enchantement (CASSOU, Arts plast. contemp., 1960, p. 29).
B. — Raisonner qqn. Convaincre ou tenter de convaincre quelqu'un de choisir un parti, une voie ou de revenir sur une décision en faisant appel à sa raison, à son bon sens. Synon. admonester, faire entendre raison, ramener à la raison (v. raison I A 3). Oh! ces artistes, ces pauvres têtes détraquées qui prennent la vie à rebours! Que devenir avec un homme pareil? J'aurais voulu lui parler, le raisonner (A. DAUDET, Femmes d'artistes, 1874, p. 116). M. Bouchard veut donner sa démission. Nous vous l'avons amené pour que vous le raisonniez (ZOLA, E. Rougon, 1876, p. 50):
• 5. Il fallait quelquefois, la nuit même, dénouer deux bras, épuiser les forces d'une petite fille, non la raisonner, toutes se butent, mais l'user, et, vers trois heures du matin, la déposer doucement dans le sommeil, soumise, non à ce départ, mais à son chagrin, et se dire: Voilà qu'elle accepte, elle pleure.
SAINT-EXUP., Courr. Sud, 1928, p. 9.
— Empl. pronom. réfl. Se convaincre ou tenter de se convaincre de faire un choix raisonnable. Je vois bien, maintenant, que le sort ne m'a pas faite pour être à Monsieur. Je me suis raisonnée, j'ai eu trop d'ambition, mais je vous aime toujours, Monsieur (BALZAC, Cous. Pons, 1847, p. 72). En partic. Maîtriser son émotion. Essayer (en vain) de se raisonner. La comtesse resta (...) distraite, le cœur gros, la tête vide, se raisonnant pour se prouver qu'elle était absurde de se tourmenter, et se tourmentant d'autant plus qu'elle se raisonnait davantage (GYP, Pas jalouse, 1893, pp. 131-132). Elle faisait un effort pour se calmer et sourire. — J'ai beau me raisonner: pour un rien, je me remets à pleurer... Tiens, tu vois, je recommence (ROLLAND, J.-Chr., Adolesc., 1905, p. 229).
III. — Empl. trans. indir. Raisonner de qqc. Synon. de discuter, parler de, juger de. J'ai entendu souvent raisonner de politique, d'administration devant un ministre consommé dans les affaires, à peine écoutait-il (SÉNAC DE MEILHAN, Émigré, 1797, p. 1885). Le général Schmitz soutenait qu'il était impossible de raisonner de la guerre et que même ceux qui y avaient été ne pouvaient pas raconter avec certitude ce qui s'y était passé (GONCOURT, Journal, 1885, p. 512). Il vit bien que cette scène l'avait inquiétée et qu'elle aurait voulu en raisonner avec lui (POURRAT, Gaspard, 1930, p. 119).
— [Avec compl. d'obj. interne] Oh! Que de soirs d'hiver radieux et charmants, Passés à raisonner langue, histoire et grammaire (HUGO, Contempl., t. 2, 1856, p. 358).
Prononc. et Orth.:[], (il) raisonne [-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1190 raisnier « parler à quelqu'un » (Chanson d'Aspremont, éd. L. Brandin, 2395); ca 1210 raisonner (HERBERT DE DAMMARTIN, Foulque de Candie, éd. Schulz-Gora, 6656), en a. et m. fr.; 1. a) mil. XIIIe s. raisoné « (d'une personne) en possession de sa raison, raisonnable » (Évangile Nicodème, trad. d'André de Coutance, éd. G. Paris et A. Bos, 576); cf. 1476 parolle raisonnée (Arch. Nord, B 1698, f ° 69 ds IGLF); b) ca 1380 intrans. raisonner « se servir de sa raison pour connaître, juger » (ROQUES t. 2, 10251, p. 347); c) 1579 trans. « appliquer le raisonnement à quelque chose, réfléchir sur quelque chose » (GARNIER, Troade, acte II, 770 ds Les Tragédies, éd. W. Foerster, II, p. 109); d'où 1611 raisonné part. passé adj. « fondé sur le raisonnement » (COTGR.); 1674 id. « qui résulte d'un examen réfléchi des raisons » (CORNEILLE, Suréna, IV, 4, 1284); 1680 « qui prouve par des raisonnements » discours raisonné (RICH.), grammaire raisonnée (ibid.); 2. a) 1553 intrans. « chercher et alléguer des raisons pour éclaircir une affaire, appuyer une opinion » (La Bible, s.l., impr. J. Gérard, Job, XXIII, 7); b) 1583 id. « chercher à convaincre quelqu'un par des arguments, des raisons; se défendre » (GARNIER, Les Juifves, acte IV, 1471 ds Les Tragédies, éd. W. Foerster, III, p. 149); c) 1662 id. « soulever des objections, répliquer » (CORNEILLE, Sertorius, IV, 2, 1394); d) 1666 trans. « chercher à convaincre quelqu'un de changer de comportement par des arguments qui font appel à sa raison » (MOLIÈRE, Misanthrope, V, 1, 1483); e) 1793 pronom. « se donner à soi-même des raisons d'agir ou de penser » (STAËL, Lettres div., p. 506). Dér. de raison; dés. -er. Fréq. abs. littér.:1 732. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 2 700, b) 2 262; XXe s.: a) 2 735, b) 2 203. Bbg. GOHIN 1903, p. 304. — QUEM. DDL t. 19. — Sculpt. 1978, p. 558.
II.
⇒RAISONNER2, verbe trans.
MAR. [Dans une tournure factitive]. Faire raisonner un navire. Synon. de arraisonner (v. ce mot I B 2). Le capitaine se présente au bureau de la Santé [à Marseille]; l'officier de service fait raisonner le navire, c'est-à-dire qu'il demande au capitaine avec un porte-voix (...) de dire d'où il vient, comment il s'appelle, quel est son chargement (STENDHAL, Mém. touriste, t. 2, 1838, pp. 402-403).
Prononc. et Orth.:[], (il) raisonne [-]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. V. arraisonner étymologie.
raisonner [ʀɛzɔne] v.
ÉTYM. 1380; de raison; réfection de l'anc. franç. raisnier, raisner, resner, etc. (déb. XIIe), du lat. rationare, de ratio. → Raison.
❖
———
I V. intr.
1 (Fin XIVe). a Se servir de sa raison (I., A., 1. et 2.), de son intellect, pour former et combiner des idées, des jugements. ⇒ Penser; → Inférer, cit. 5. || La partie qui raisonne en nous (→ Âme, cit. 20). || Notre âme raisonne sur… (→ Dimension, cit. 1). || Raisonner sur des questions générales, importantes. ⇒ Philosopher. || Raisonner avant d'agir. ⇒ Calculer.
1 Tant que l'homme sait peu, il parle nécessairement beaucoup : moins il raisonne, plus il chante; et quand il ne sait rien dire, il amuse l'oreille par son joli babil.
2 (…) pour lui (Descartes), penser ne signifie pas seulement raisonner ou former des idées, mais sentir, vouloir, éprouver des passions, manifester des instincts, bref comprend tous les états que peut présenter votre âme.
Julien Benda, Lettres à Mélisande, p. 34.
♦ (Par oppos. aux activités affectives, instinctives; → Raison, I., A., 2., c). || « Un cœur se laisse prendre et ne raisonne pas » (→ Appas, cit. 15). || Raisonner là où il faut sentir (→ Mesquin, cit. 4). || La passion ne raisonne pas (→ Imputation, cit. 2).
b (1553). Concevoir et employer des arguments, des raisons pour convaincre qqn, pour éclaircir, examiner, confirmer, prouver ou réfuter qqch. (→ Argument, cit. 1). || Aimer raisonner; manie de raisonner (→ Immoralisme, cit. 1; pente, cit. 12). || Plaisanter (cit. 1) n'est pas raisonner. || Raisonner sur qqch. || Raisonner conséquemment, disertement (cit.), savamment…, d'une façon pédantesque (⇒ Ratiociner, sophistiquer). || Raisonner en impie (cit. 9). || On raisonne comme si… (→ 1. Pratique, cit. 15). — Raisonner avec qqn. ⇒ Converser (vx), discuter, disputer. || Raisonner ensemble sans s'emporter (→ Doux, cit. 37). || Raisonner avec des marmots (cit. 3). — || « Quand la populace (cit. 2) se mêle de raisonner, tout est perdu » (Voltaire).
3 (…) il dut raisonner longtemps, discuter, combattre avec des arguments précis son affolement et sa terreur.
Maupassant, Pierre et Jean, VII.
4 On ne peut raisonner avec les fanatiques, il faut être plus forts qu'eux.
Alain, Propos, 19 juin 1922, Le nouveau dieu.
♦ ☑ (1694, raisonner pantoufle). Loc. fam. Raisonner comme une citrouille, comme une pantoufle, comme un tambour, comme un tambour mouillé : mal raisonner, raisonner de travers (par jeu de mots avec résonner).
♦ (1662). Répliquer, soulever des objections, alléguer des excuses… ⇒ Discuter. || Il ne s'agit pas de raisonner, mais d'obéir (Académie).
5 Voyez comme raisonne et répond la vilaine !
Molière, l'École des femmes, V, 4.
2 (1553). Passer d'un jugement (principe, base…) à un autre (conclusion), par le raisonnement; conduire un raisonnement. ⇒ Juger (→ Logiquement, cit.). || Raisonner par analogie, par induction (⇒ Induire), par déduction (⇒ Déduire). || La logique (1. Logique, cit. 2) étudie « les quatre opérations de l'esprit, concevoir, juger, raisonner et ordonner ». || Ne raisonner qu'après avoir bien vu les principes (→ Géomètre, cit. 4). || Raisonner sur… (→ Espace, cit. 5). || Raisonner sur des idées… (→ Moi, cit. 64). || Apprendre à qqn à raisonner (→ Démonstration, cit. 3). || L'art de raisonner (→ Langue, cit. 34). || Raisonner expérimentalement et expérimenter (cit. 7). — Raisonner avec exactitude (cit. 16); || raisonner bien, mal… (→ Donnée, cit. 1; fort, cit. 69; intelligent, cit. 1; méthode, cit. 3). || Raisonner faux (→ 1. Faux, cit. 35). || Qui raisonne selon les règles. ⇒ 2. Logique; logicien.
6 Il s'est trouvé des personnes qui ont été choquées du titre d'art de penser, au lieu duquel ils (sic) voulaient qu'on mît, l'art de bien raisonner. Mais on les prie de considérer que la logique ayant pour but de donner des règles pour toutes les actions de l'esprit, et aussi bien pour les idées simples, que pour les jugements et pour les raisonnements, il n'y avait guère d'autre mot qui enfermât toutes ces différentes actions (…)
Logique de Port-Royal, Second discours, p. 34.
7 D'un principe erroné tire subitement
Une conséquence trompeuse,
Et raisonne en déraisonnant !
Florian, Fables, V, 3.
8 — Et que lui apprendrez-vous donc, s'il vous plaît ? — À raisonner juste, si je puis; chose si peu commune parmi les hommes et plus rare encore parmi les femmes.
Diderot, le Neveu de Rameau, Pl., p. 445.
9 (…) ne voyez-vous pas que, sitôt que l'esprit est parvenu jusqu'aux idées, tout jugement est un raisonnement ? La conscience de toute sensation est une proposition, un jugement. Donc, sitôt que l'on compare une sensation à une autre, on raisonne. L'art de juger et l'art de raisonner sont exactement le même.
Rousseau, Émile, III.
10 Je pense qu'il n'y a pour l'esprit qu'une seule manière de raisonner, comme il n'y a pour le corps qu'une seule manière de marcher.
Cl. Bernard, Introd. à l'étude de la médecine expérimentale, I, II.
B V. tr. indir. (1772, Voltaire). || Raisonner de (vieilli) : juger de; disputer, débattre. || Il se mêle de raisonner de tout. Ellipt. || Raisonner politique, philosophie.
———
II V. tr.
1 (1580). Littér. Soumettre à un raisonnement, au raisonnement; examiner par la raison. || Raisonner le concret (cit. 6). — Raisonner une entreprise. ⇒ Calculer (→ Malin, cit. 12). || Raisonner son art (→ Poète, cit. 5). — Ils ne raisonnent pas leurs plaisirs (→ Novice, cit. 6).
11 Je raisonne tout, et j'analyse d'ordinaire trop bien mes goûts pour les subir aveuglément.
Maupassant, Notre cœur, III, I.
2 (1666). Cour. || Raisonner qqn, chercher à l'amener à la raison, à une attitude raisonnable. ⇒ Admonester (→ 1. Part, cit. 25).
12 Non, vous avez beau faire et beau me raisonner,
Rien de ce que je dis ne me peut détourner.
Molière, le Misanthrope, V, 1.
♦ Pron. || Se raisonner : écouter la voix, les conseils de la raison. — (Passif). Pouvoir être contrôlé par la raison (sentiment, impulsion). || L'amour ne se raisonne pas.
——————
raisonné, ée p. p. adj.
♦ Conforme aux règles du raisonnement. || Bien, mal raisonné. Qui résulte d'un raisonnement, s'exprime par des raisonnements. || L'exposé raisonné du dogme (cit. 4) chrétien. || Un corps d'idées raisonnées (→ Former, cit. 8). || Délire scientifique raisonné et froid (→ 1. Froid, cit. 15). — Raisonné, académique et plat (cit. 13). — Subst. (« Plaidoyer », n. m., 1462). || « Du raisonné fort obscur » (→ Beaucoup, cit. 37, Voltaire).
13 Mon frère, vos conseils sont les meilleurs du monde,
Ils sont bien raisonnés, et j'en fais un grand cas (…)
Molière, Tartuffe, IV, 3.
♦ (1611). Qui est appuyé de raisons, d'arguments, de preuves. || Projet raisonné, calculé, étudié. || Une docilité raisonnée, réfléchie (→ Drapeau, cit. 8). || Décision raisonnée et mesurée, pondérée.
♦ Spécialt (didact.). Qui explique par des raisonnements (et ne se contente pas d'affirmer, d'énoncer). ⇒ Rationnel. || Grammaire, arithmétique raisonnée. || Méthode raisonnée d'anglais.
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CONTR. Déraisonner. — Irraisonné, passionnel.
DÉR. Raisonnant, raisonneur.
Encyclopédie Universelle. 2012.