VISION
«Toute la conduite de notre vie dépend de nos sens, entre lesquels celui de la vue étant le plus universel et le plus noble. Il n’y a point de doute que les inventions qui servent à augmenter sa puissance ne soient des plus utiles qui puissent être» (Descartes, La Dioptrique , 1633). Diverses enquêtes ont indiqué, en ce qui concerne la France, qu’environ 75 p. 100 de la population ont une vision imparfaite, dont la correction optimale n’est assurée que dans un cas sur deux ou trois. De ce fait, beaucoup d’hommes, de femmes et d’enfants souffrent de fatigue ou de maux de tête, ou subissent une aggravation progressive de leurs déficiences visuelles.
Ces déficiences ont de graves conséquences: les services de la sécurité routière ont estimé qu’un tiers des accidents mortels de la circulation sont dus à des défauts ou à des gênes dans la vision; d’autre part, certaines entreprises ont diminué les risques et amélioré la qualité du travail en assurant au mieux la protection des yeux et la correction des inaptitudes visuelles.
En dehors des spécialistes, bien rares sont les personnes correctement informées des conditions d’une bonne (ou d’une mauvaise) vision. En France, les programmes de l’enseignement sont, à ce sujet, d’une surprenante insuffisance. Il est vrai que le vocabulaire utilisé dans ce domaine est quelque peu rébarbatif, que les caractéristiques oculaires peuvent varier notablement, d’un sujet à un autre, et que l’optique physiologique, pour pouvoir répondre à tous les problèmes, exige bien des recherches, d’autant plus laborieuses qu’elles devront porter sur de très nombreux individus.
Il paraît pourtant possible de présenter déjà des résultats moyens, d’un intérêt théorique appréciable, et susceptibles d’utiles applications; c’est ce qui sera tenté dans les pages qui suivent. On n’insistera toutefois pas sur la fatigue visuelle (parce qu’on n’a pas encore réussi à en faire l’objet de véritables mesures), ni sur les perceptions chromatiques, qui sont étudiées dans l’article COULEUR.
1. Optique oculaire
Formation des images dans l’œil
L’article sur l’œil HUMAIN donne des détails sur l’anatomie de cet organe; on pourra se reporter aussi à OPTIQUE - Images optiques, où se trouvent définis divers vocables (foyers, points principaux, longueurs focales, puissance, dioptrie, astigmatisme, aberrations) employés dans le présent article.
On compare parfois, assez grossièrement, l’œil à un appareil photographique. À l’émulsion sur laquelle, dans ce dernier, doivent être formées des images nettes correspond la rétine où se trouvent engendrés des messages transmis au cerveau par le nerf optique. Le rôle du diaphragme est joué par l’iris, offrant à la lumière une ouverture variable, la pupille, tandis qu’à l’objectif correspondent non seulement une sorte de lentille, le cristallin, mais encore tout le reste de l’intérieur de l’œil, rempli d’un liquide analogue à de l’eau salée; la face d’entrée, la cornée, qui est bombée, joue ainsi un rôle important dans la formation des images.
L’œil est à peu près à symétrie de révolution, la direction du regard étant voisine de son axe; une petite région de la rétine voisine de cet axe, la fovea centralis , est particulièrement apte à la perception des détails.
Les deux points principaux de l’œil sont presque confondus en un même point situé à 2 millimètres en arrière de la cornée; son foyer, image d’un point objet A à l’infini sur l’axe, est sur la rétine, pour un œil de référence dont les dimensions ont les valeurs moyennes indiquées sur la figure 1 a (les variations individuelles peuvent être importantes). En première approximation, le système optique de cet œil est assimilable à un milieu transparent, d’indice 4/3 et où se trouve la rétine, séparé de l’air par une surface sphérique S; les dimensions de cet œil réduit sont indiquées sur la figure 1 b. On ne doit pas confondre le centre C de ce dioptre sphérique avec le centre de rotation de l’œil dans son orbite, qui se trouve à environ 5 millimètres plus près de la rétine. La puissance moyenne de l’œil est voisine de 60 dioptries, avec des variations individuelles rarement supérieures à 3 dioptries, en dehors des cas d’amétropie considérés ci-après.
Si l’image A d’un point A se trouve en avant ou en arrière de la fovea, le faisceau correspondant détermine sur celle-ci une tache de diffusion, d’autant plus large que l’image est plus éloignée de la rétine et que la pupille est plus ouverte. Tant que cette tache est assez petite, elle est perçue comme un point, ce qui confère à la «mise au point», nécessaire pour que les images paraissent nettes, une certaine latitude. Entre deux positions limites de l’objet, cette mise au point est rendue possible par le mécanisme de l’accommodation , qui est une augmentation de la puissance de l’œil, accommodation souvent inconsciente, résultant d’une modification du cristallin (fig. 2).
Un œil est dit emmétrope lorsque, sans accommodation («au repos»), il perçoit une image nette d’un point à l’infini; ce point, le plus éloigné dont la vision nette soit possible, est appelé punctum remotum. En l’absence d’accommodation et pour un diamètre pupillaire de 4 millimètres, la tache de diffusion correspondant à un point objet situé à 40 centimètres de distance couvrirait sur la rétine une surface dépassant celle d’une image nette de la Lune. Le point le plus proche P qui puisse être vu nettement en accommodant est appelé punctum proximum. Soit R le remotum, qui peut ne pas être à l’infini, comme on le verra ci-après, et soit O la position de l’œil; l’amplitude d’accommodation est, par définition, la différence:
positive si l’on convient de compter les vecteurs positivement dans le sens de la lumière RPO. Elle s’exprime en dioptries si les longueurs sont évaluées en mètres, et se réduit, pour un emmétrope, à 漣 1/OP; pour OP = 漣 20 cm, par exemple, on a A = 5 dioptries.
Défauts de l’œil
L’amplitude d’accommodation diminue progressivement à mesure que l’on vieillit (presbytie ). Même pour un œil normal, elle subit constamment de petites fluctuations.
Comme presque tout système optique, un œil, même excellent, n’est pas rigoureusement «stigmatique», c’est-à-dire qu’il ne donne jamais d’un point une image parfaitement ponctuelle: ses aberrations contribuent à limiter la perception des détails, surtout quand la pupille est largement ouverte. Elles existent même en lumière monochromatique, mais sont dues en outre, en lumière complexe, à ce que la puissance de l’œil est, pour les radiations bleues, plus grande (de 1 à 2 dioptries) que pour les radiations jaunes et à ce qu’elle est plus faible (d’environ une demi-dioptrie) pour les radiations rouges. Cette aberration, quoique importante, n’est habituellement pas perçue, sans doute parce que la sensibilité de l’œil, maximale au milieu du spectre visible, décroît très vite aux extrémités.
Un sujet qui n’est pas emmétrope est dit amétrope : il peut être myope, ou hypermétrope, et/ou astigmate. Un myope ne peut pas voir nettement, même sans accommoder, les objets éloignés: son œil présente, par
rapport à celui d’un emmétrope de même longueur, un excès de puissance P 礪 0 (rarement supérieur à 4 dioptries), de sorte que son remotum R n’est pas à l’infini (fig. 3). À amplitude d’accomodation A égale, son proximum P est plus proche que celui d’un emmétrope: les myopes ont «la vue courte».
Un hypermétrope (on dit aussi hypérope) a, au contraire, un œil de puissance trop faible ( P 麗 0) par rapport à sa longueur, de sorte qu’il lui faut accommoder (s’il le peut) pour voir nettement à l’infini (fig. 4); son remotum est virtuel , c’est-à-dire qu’il ne peut être lui-même que l’image d’un point réel formée en arrière de la rétine par un système optique dont l’œil reçoit la lumière.
L’interposition devant l’œil d’un verre de lunetterie de puissance voisine de 漣 P (divergent pour un myope, convergent pour un hypermétrope) permet, comme on le verra, d’assurer sans accommodation la vision nette d’un point à l’infini; le proximum se trouve alors déplacé, l’amplitude A restant sensiblement la même.
Un type supplémentaire d’amétropie, l’astigmatisme , peut se superposer à la myopie ou à l’hypermétropie, ou même se rattacher aux deux cas à la fois. Un système optique est astigmate lorsqu’un faisceau issu d’un point objet A s’appuie, après avoir traversé ce système, sur deux petites droites distinctes, A 1 et A 2, qu’on appelle des focales (fig. 5). Entre celles-ci est une région A de section minimale du faisceau, dite parfois «de moindre confusion». Tel est le cas pour une lentille cylindrique, l’une des focales étant parallèle aux génératrices du cylindre, l’autre leur étant normale. Un œil astigmate, même muni au besoin d’un verre correcteur de myope ou d’hypermétrope, pourra voir, par exemple, l’objet a de la figure 6 sur les aspects b ou c , pour des accommodations convenables. Cette amétropie résulte de ce qu’un tel œil n’a pas une symétrie de révolution.
On distingue, selon les positions qu’occupent, par rapport à la fovea f , les focales A 1 et A 2 correspondant à un point objet A très éloigné sur l’axe visuel, divers cas d’astigmatisme oculaire, auxquels on donne les noms qu’indique la figure 7. On appelle amplitude d’astigmatisme la différence des puissances correspondant à la formation des deux focales; elle est le plus souvent inférieure à une dioptrie, rarement supérieure à 4.
L’astigmatisme est dit «régulier» quand les deux focales sont perpendiculaires (cas le plus fréquent). On le corrige à l’aide de verres cylindriques (ou toriques).
La presbytie n’est pas une anomalie: elle intervient chez tous les humains, emmétropes ou amétropes, en diminuant progressivement leur faculté d’accommodation à mesure qu’ils vieillissent. L’amplitude A décroît donc en fonction de l’âge, sa valeur variant notablement selon les individus, comme l’indiquent
les points situés de part et d’autre de la courbe moyenne (fig. 8).
La presbytie devient gênante à partir du moment où l’on ne peut plus voir nettement de près. En l’absence de verre correcteur pour la vision lointaine, cela se produit plus tôt pour un hypermétrope que pour un emmétrope, et surtout que pour un myope. La
distance limite de presbytie d dépend des opérations à effectuer (lecture, couture). En prenant toujours comme sens positif celui de la lumière, d est négative en l’évaluant à partir de l’œil. Pour un observateur dont l’excès de puissance est P 閭麗 0, la condition de vision nette, en accommodant selon le besoin et la possibilité, est:
En admettant, par exemple, que l’on ait d = 漣 30 cm, d’où 漣 1/d = 3,3 dioptries, pour un œil correspondant à la moyenne statistique (courbe de la fig. 8), le minimum admissible de A serait atteint vers 48 ans s’il est emmétrope (A = 3,3), vers 42 ans s’il est hypermétrope de 2 dioptries (A = 5,3), et seulement vers 58 ans s’il est myope de deux dioptries (A = 1,3). Mais, si l’on accommode au maximum un peu trop longtemps, une fatigue plus ou moins marquée intervient en général, ce qui conduit parfois à introduire dans la formule (2) une valeur de A inférieure, de 1/4 par exemple, au maximum possible et par suite à admettre que la presbytie intervient plus tôt.
La vision de près peut être corrigée, pour un emmétrope, par le port d’un verre convergent (fig. 9), correction qui, en ce qui concerne l’hypermétrope, vaut pour la vision lointaine, ce qui est une source de confusion entre hypermétropie et presbytie.
Un autre effet de l’âge est une modification des tissus occulaires, altérant la vision des détails et modifiant celle des couleurs; en outre, le degré d’amétropie varie sensiblement. La cataracte , qui s’observe aussi, exceptionnellement, chez de jeunes sujets, est un cas de cécité partielle ou totale, résultant d’une opacité ou d’une lésion du cristallin. Après extraction de celui-ci, l’œil, qui est dit aphaque , présente une puissance fortement réduite et ne peut plus (ou presque plus) accommoder. Il est donc à la fois très hypermétrope ( P = 漣 12 dioptries, par exemple) et presque complètement presbyte; en outre, l’opération provoque généralement un astigmatisme marqué, dont une partie persiste après stabilisation des tissus.
2. Perceptions visuelles
Les indications de ce deuxième chapitre se rapportent, en général, à un «œil normal moyen», les amétropies étant si besoin bien corrigées. Pour la définition des grandeurs (éclairement, luminance, contraste) et des unités (lux, nit), on se reportera à l’article PHOTOMÉTRIE.
Luminances, contrastes
L’éclairement en un point de la rétine dépend de la luminance du point correspondant du champ visuel, de la transparence des milieux oculaires et aussi du diamètre 諸 de la pupille de l’œil. Ce diamètre, très variable selon les observateurs, est conditionné par la luminance L du champ, d’une façon dont (si L est uniforme) la figure 10 donne une idée. La contraction pupillaire se produit, par un mouvement réflexe, en un temps de l’ordre de la seconde, quand L augmente; la dilatation se rétablit, plus lentement, dans l’obscurité.
La perception d’une luminance est en outre parfois influencée par celle des régions voisines: c’est ainsi qu’un carré gris sur fond noir semble plus clair et plus grand que le même carré sur fond blanc.
Malgré ces causes d’erreur, on a pu étudier les variations du contraste minimal perceptible (seuil de contraste ) entre plages voisines, en fonction de leurs luminances L. Des résultats concernant l’œil moyen sont donnés sur la figure 11. On voit que, pour des plages assez étendues et pour des luminances supérieures à 1 candela par mètre carré (Cd/m2), ce seuil est de l’ordre de 1/100, mais qu’il augmente beaucoup aux faibles luminances ou pour des objets vus sous un très petit angle. Les points anguleux, sur deux courbes de cette figure, mettent en évidence le passage de la vision diurne (L supérieur à quelques dixièmes de nit) à la vision nocturne (cf. infra ). Ces résultats supposent utilisée l’ouverture naturelle de la pupille; le seuil peut augmenter quand l’ouverture utile est plus réduite (vision à travers un instrument de fort grossissement).
Quand la lumière arrive à la fois de toutes les directions, il en résulte une disparition ou une atténuation des ombres qui aident à percevoir les reliefs; il est, à ce point de vue, généralement désirable de conserver un éclairage «dirigé», au moins partiellement.
Acuité visuelle
On évalue souvent l’aptitude à percevoir les détails d’après les dimensions des plus petites lettres de forme déterminée, noires sur fond blanc, suffisamment éclairées, qu’il est possible d’identifier à une distance indiquée x .
On utilise des lettres capitales, de hauteur h , l’épaisseur des traits qui les forment étant h /5. Par convention, l’acuité visuelle 益 est égale à l’unité (on dit plutôt à dix dixièmes) lorsque, pour x = 5 m et pour h = 7,3 mm, l’épaisseur h /5 étant alors vue sous un angle:
soit une minute d’arc. À une valeur différente de h (x étant le même) correspond une valeur inversement proportionnelle de 益. On considère généralement comme très satisfaisante une acuité 益 = 10/10, bien que des valeurs supérieures, 15/10 ou exceptionnellement plus de 20/10, soient courantes.
Pour des études systématiques, on se sert parfois de test plus simples que les lettres, notamment de la mire de Foucault , ensemble de bandes rectilignes parallèles, de même largeur, alternativement sombres et claires, caractérisé par la luminance L des bandes claires, par la luminance l des bandes sombres, d’où l’on déduit le contraste C = (L 漣 l )/L , et par le pas p , distance des axes de deux bandes claires voisines. Soit l’angle sous lequel ce pas est vu par l’œil: la limite de résolution angulaire 靖 est, par définition, la plus petite valeur de pour laquelle on distingue les bandes sombres des bandes claires. Elle est de l’ordre de 2 pour l’œil moyen, tant que le diamètre pupillaire, la luminance et le contraste sont assez grands; elle peut augmenter beaucoup quand l’une des valeurs de 諸, L ou C devient trop petite; c’est ce qu’indiquent les courbes des figures 12 et 13.
Courbe de sensibilité au contraste
L’acuité visuelle et le seuil de contraste ne représentent que des mesures particulières et limitées des possibilités de détection du système visuel. En effet, l’acuité visuelle n’est souvent mesurée que pour le contraste unitaire et le seuil de contraste n’est obtenu que pour une seule dimension du test. Depuis quelques années, les expérimentateurs empruntent leurs méthodes aux techniques de traitement des images. Le test utilisé est une mire constituée d’un ensemble de lignes parallèles à profil de luminance sinusoïdal. Dans ce cas, la variation continue de luminance interdit la définition d’un contraste C comme précédemment. La mire est ici caractérisée par sa fréquence spatiale 1p (p est le pas) et sa modulation M , appelée parfois contraste de Michelson:
où L M est la luminance maximale et L m la luminance minimale.
Pour chaque fréquence spatiale, le seuil de modulation juste perceptible M s peut être atteint par un ajustement approprié de la modulation. La courbe de sensibilité au contraste 1M s ainsi établie en fonction de la fréquence spatiale 1p de la mire, permet une description synthétique des performances de l’œil. Cette courbe a une forme passe bande (fig. 14); son maximum est situé au voisinage de trois à cinq cycles par degré. La limite supérieure représente la limite de résolution de l’œil pour la modulation unitaire. L’atténuation observée du côté des très basses fréquences spatiales est due à des facteurs nerveux; elle disparaît si l’on soumet la mire à des déplacements transversaux ou si l’on inverse alternativement les traits noirs et blancs.
Vision des points et des lignes
Dès que l’angle (diamètre apparent) sous lequel on voit, dans ses dimensions transversales, un petit objet clair sur fond sombre tombe au-dessous d’une valeur assez faible (de l’ordre de 1 dans les cas usuels), la perception de ce point brillant (étoile en astronomie, particule diffractante très petite en ultramicroscopie) exige une valeur suffisante de son éclat apparent e : on appelle ainsi l’éclairement que ce point produit sur un plan normal aux rayons lumineux, supposé placé contre la pupille de l’observateur. Cette valeur minimale peut descendre à 10-9 lux. Quand e augmente, même si reste très petit, la source paraît plus grosse; aussi les étoiles vues à l’œil nu sont-elles dites de première, deuxième, ..., sixième grandeur, selon leur éclat apparent lié à leur «magnitude» (cf. ÉTOILES, chap. 1).
S’il s’agit d’un point sombre sur fond plus clair, l’éclairement de son image rétinienne est plus voisin de celui des régions environnantes que ne l’indiquerait l’optique géométrique, à cause de la diffraction et des aberrations de l’œil. La différence est d’autant plus réduite que le diamètre apparent de ce «point» est plus petit: un point noir cesse d’être perceptible dès que tombe au-dessous d’une certaine valeur, de l’ordre de une demi-minute pour une luminance de fond assez élevée, plus grande aux faibles luminances. Les conditions sont donc très différentes de celles de perception des points brillants, pour lesquels il n’y a pas de limite inférieure de , si e est suffisant.
La perception des lignes est importante, en particulier lorsque des effets de réflexion ou de diffraction font apparaître, en clair ou en sombre, le contour d’objets étendus. Un fil noir est visible sur fond assez lumineux, dès que dépasse une à deux secondes d’arc. Cette limite, remarquablement basse, permet de comprendre pourquoi, si certains détails sont plus visibles sur fond noir, d’autres le sont mieux sur fond clair.
Champ visuel, vision périphérique
Une vision précise des détails ne s’obtient que lorsqu’on les «fixe», c’est-à-dire quand on oriente l’œil de façon à amener leur image sur une région centrale de la fovea. L’image rétinienne d’un objet vu sous un angle de une minute a des dimensions transversales de l’ordre de quelques micromètres, comparables à celles des cônes, et très inférieures à celles de la fovea (0,33 mm).
L’axe de l’œil peut se déplacer, la tête restant fixe, de 30 à 450 à partir de sa direction moyenne, ce qui détermine le «champ de regard». D’autre part, si cet œil est immobile, l’observateur aperçoit la plupart des objets lumineux dont l’image se forme, en dehors de la fovea, dans son champ visuel , qui s’étend normalement jusqu’à plus de 1000 de l’axe du côté temporal et jusqu’à 60 à 800 dans les autres directions.
Cette vision périphérique est peu sensible quant aux détails, surtout au-delà de 200. Elle ne sert guère, le jour, qu’à bien orienter le regard, selon les besoins; elle informe, en outre, des mouvements des objets vus latéralement: si l’on étend la main à 450 du regard, il est impossible de décompter les doigts, mais on voit très bien s’ils remuent.
Bien que nous n’en soyons généralement pas conscients, la partie de la rétine (tache de Mariotte ou tache aveugle) occupée par le départ du nerf optique est complètement aveugle. D’autres taches altérant la vision (scotomes ) se produisent parfois accidentellement.
Vision nocturne
Soit une étoile de faible éclat apparent, perçue la nuit en vision périphérique; si l’on cherche à la «fixer», on cesse de la distinguer: en vision nocturne, en effet, la région fovéale devient insensible, alors que la perception des luminances subsiste sur le pourtour de la rétine, dont le rôle est ainsi essentiel. On admet qu’interviennent des associations d’éléments rétiniens voisins: cônes moins nombreux qu’au centre et bâtonnets. Mais ceux-ci n’assurent pas le discernement des couleurs: «La nuit, tous les chats sont gris.»
Le passage de la vision diurne (dite photopique ) à la vision nocturne (dite scotopique ) intervient quand les luminances descendent au-dessous de quelques dixièmes ou centièmes de candela par mètre carré. Une complication tient à ce que l’accroissement de sensibilité aux faibles éclairements ne s’acquiert que progressivement: si, après avoir séjourné dans un lieu ensoleillé, on pénètre dans une pièce sombre, ce n’est pas instantanément que l’on voit au mieux les objets qui s’y trouvent. Cette adaptation, qui dépend de l’état initial de l’œil, n’est complète qu’au bout d’un certain temps, de l’ordre d’une heure (fig. 15): le point anguleux de la courbe s’interprète comme séparant l’adaptation des cônes et celle, plus lente, des bâtonnets. La désadaptation, elle aussi plus ou moins lente, se produit surtout sous l’action des radiations de courtes longueurs d’onde (bleues), ce qui est un argument pour l’emploi des phares d’automobiles à lumière jaune.
L’adaptation s’accompagne en général d’une augmentation de la puissance optique de l’œil et de l’aptitude d’accommodation (myopie et presbytie nocturnes ). Aussi est-il bon de porter des lunettes, ou d’en changer, pour conduire dans l’obscurité.
Lumières variables
À l’aube et au crépuscule, en l’absence d’éclairage artificiel, la vision (dite alors mésopique ) évolue progressivement. Mais si une luminance L assez intense, reçue par l’œil, s’établit brusquement et disparaît de même, la perception ne commence et ne cesse qu’avec un certain retard. La durée des perturbations, de l’ordre du dixième de seconde, varie selon l’observateur, l’état d’adaptation de son œil et la valeur de la luminance. Si L est très grand, des images dites consécutives apparaissent encore, avec des intervalles d’obscurité, dans les minutes qui suivent.
Grâce à la persistance des impressions lumineuses, un éclairage intermittent de période inférieure à une certaine valeur «critique» T , ou bien dont les interruptions sont assez courtes, donne la même impression qu’un éclairage continu (de même valeur moyenne). Si toutefois la période T est trop longue, les fluctuations de luminance, dès qu’elles sont assez grandes en valeur relative, sont perçues sous l’aspect d’un papillottement qui peut être très désagréable. Il n’intervient pas, en général, dans l’emploi de lampes à incandescence alimentées en courant alternatif de fréquence 50 hertz (T = 10-2 s), mais il peut se produire quand on utilise des lampes «luminescentes» mal réglées.
Les images cinématographiques, se substituant les unes aux autres au rythme «normal» de vingt-quatre par seconde, sont exemptes de papillotement; il n’est pas toujours de même en télévision (surtout pour les parties claires ou trop fortement éclairées).
Lorsque la lumière n’intervient que pendant un temps t inférieur à 0,01 (éclair), son effet ne dépend en gros que du produit du flux F par sa durée t ou, si F varie progressivement (perception des «éclats» de phares), de l’intégrale
On obtient une description synthétique du comportement du système visuel aux lumières variables en adoptant un principe d’étude analogue à celui choisi pour la détermination de la courbe de sensibilité au contraste (cf. supra). La luminance du champ visuel est soumise à une modulation sinusoïdale autour de sa valeur moyenne et on détermine la courbe de sensibilité au papillotement (inverse du seuil de modulation) pour différentes fréquences temporelles 1/T. La limite supérieure correspond à la fréquence «critique» pour laquelle l’éclairage semble continu.
Perception du relief
Dans la vision par un œil unique, un objet étendu, vers les divers points duquel on oriente successivement l’axe visuel, est vu en projection conique, le centre de cette projection étant le centre de rotation de l’œil. Les variations d’accommodation correspondant à la vision nette de points plus ou moins éloignés peuvent, d’une façon inconsciente et peu précise, renseigner sur leur distance. Notre connaissance éventuelle des dimensions réelles des objets, leurs mouvements relatifs, les ombres, la transparence plus ou moins grande de l’air contribuent aussi à la perception monoculaire du relief. Mais la vision par les deux yeux renseigne beaucoup mieux à ce sujet, à la fois parce que l’angle 﨏 des deux axes visuels dirigés vers un même point augmente quand celui-ci se rapproche (fig. 16) et parce que les images d’un objet en relief vues par les deux yeux ne sont pas identiques, ce qu’utilise la photographie stéréoscopique.
Un sujet moyennement doué est sensible à une variation étonnamment faible de 﨏: 5 seulement (passage de la vision d’un objet très éloigné, tel que la Lune, à celle d’un objet situé à deux kilomètres, un nuage par exemple).
La perception du relief est beaucoup moins altérée par le passage de la vision binoculaire à la vision monoculaire lorsqu’on regarde un monument (dont on reconstitue mentalement la forme) que lorsqu’on regarde une masse de feuillage (dont la disposition est désordonnée).
Fusionnement en vision binoculaire
Les images vues par l’œil droit et par l’œil gauche ne sont pas identiques: on dit qu’il y a diplopie lorsqu’elles donnent une impression de dédoublement. La diplopie est évitée, pour les images formées sur les deux fovea, grâce à une opération cérébrale dite «fusionnement».
Si, observant nettement un point éloigné A avec les deux yeux emmétropes ou corrigés et n’accommodant pas, on interpose un objet rapproché B de dimensions apparentes horizontales assez petites (une règle tenue verticalement à bout de bras, par exemple), on perçoit de cet objet B deux images non fovéales, non fusionnées B1 et B2. Si, en accommodant sur B, on amène ces deux images à fusionner, c’est alors l’objet éloigné A qui paraît dédoublé. Il est remarquable que ces dédoublements, qui devraient gêner beaucoup la vision périphérique, nous échappent en général: nous ne percevons souvent que l’une des deux images non fusionnées: l’autre est dite «neutralisée».
Le strabisme est une orientation défectueuse d’un des axes visuels; on y remédie par une opération chirurgicale ou par des exercices appropriés. Il est fréquemment la conséquence d’une vision différente des deux yeux rendant le fusionnement impossible. On appelle «œil directeur» celui qui contribue essentiellement à la vision.
Il arrive qu’un observateur, qui apparemment ne louche pas, soit cependant affecté d’une mauvaise conjugaison des axes visuels. Cette hétérophorie , qui provoque parfois fatigue et maux de têtes, est très souvent insoupçonnée. On y remédie par l’emploi de verres prismatiques.
Un autre obstacle au fusionnement est, chez certains sujets, une différence des dimensions apparentes des images vues par les deux yeux – due, par exemple, à un écart de deux dioptries ou plus entre leurs puissances, et aux verres correcteurs dissemblables qu’elles nécessitent; elle apparaît, notamment, chez les aphaques opérés d’un œil seulement; on l’appelle aniséiconie. On la pallie en plaçant devant l’un des yeux un système optique de puissance nulle, ayant cependant un grossissement différent de l’unité.
Éblouissement. Radiations nocives
Chacun sait combien est gênante l’apparition, même temporaire, dans le champ visuel d’une source trop lumineuse. L’éblouissement, altération des perceptions visuelles, est dû à la fois à la diffusion de la lumière dans les milieux transparents de l’œil (entraînant une réduction des contrastes sur la rétine), à une diminution du diamètre pupillaire (qui a un effet de protection, mais rend moins bonne la vision des régions sombres) et surtout à un effet d’inhibition des réactions nerveuses sur toute la rétine. Cet effet persiste pendant un temps non négligeable (ce dont les automobilistes connaissent le danger). Son étude quantitative, qui fait intervenir de nombreux facteurs, est loin d’être achevée.
Lorsqu’on ressent la gêne d’un éclairage solaire intense, on doit porter des lunettes absorbantes. Les verres protecteurs sont dits «neutres» lorsque leur facteur de transmission, suffisamment inférieur à l’unité, est à peu près le même dans tout le spectre visible, ce qui évite une altération des couleurs observées.
Certaines radiations, même invisibles, ont sur l’œil une action nocive, pouvant aller des ophtalmies aux décollements de rétine. Tels sont l’infrarouge, lorsqu’il est intense (fours de métallurgie ou de verrerie), et surtout l’ultraviolet (soleil sur la neige, en montagne, soudure autogène, etc.). On s’en protège par des verres filtrants spéciaux.
3. Optométrie et lunetterie
On améliore la vision à l’aide de verres, dits correcteurs, qui sont en fait des compensateurs de l’excès P (positif ou négatif) de la puissance oculaire P . Pour pallier la myopie, l’hypermétropie et la presbytie, ces verres sont en général à faces sphériques.
Quand deux lentilles minces de même axe sont au contact, leurs puissances s’ajoutent. Bien que les verres correcteurs soient nécessairement placés à une petite distance en avant de l’œil, on peut encore admettre en première approximation qu’ils doivent avoir une puissance 淋 égale à P , mais du signe opposé; l’écart entre 淋 et 漣 P cesse toutefois d’être négligeable au-delà de 5 dioptries.
Beaucoup d’ophtalmologistes et de physiciens recommandent (bien que cette opinion ne soit pas unanime) de donner à la puissance du verre correcteur une valeur algébrique inférieure d’une dioptrie à P (sous-correction des hypéropes, surcorrection des myopes; en particulier, on ne corrigera pas les faibles hypermétropies). Cela admis, il semble bien que, sauf pour travailler de près, il convienne de porter toute la journée les verres correcteurs pour la vision lointaine: s’ils sont bien placés devant l’œil, leur emploi ne présente contrairement à ce que l’on pense trop souvent, aucun danger d’aggravation de l’amétropie ; il peut même éviter ou ralentir une tendance à cette aggravation.
L’astigmatisme est assez difficile à caractériser avec précision, parce qu’il varie d’un instant à l’autre, et surtout parce que l’œil accommode, si possible, de façon à amener sur la rétine tantôt l’une des focales, tantôt un point intermédiaire. Soit, par exemple (fig. 17), un astigmatisme mixte tel que la formation des focales verticales, caractérisées ci-après par le chiffre 1 en indice, corresponde pour l’œil à un excès de convergence de 1,5 dioptrie et que la formation des focales horizontales (indice 2) corresponde à un défaut de convergence de 1 dioptrie. Considérons dans ce cas les remotums R1 et R2 pour lesquels l’une des focales R 1 ou R 2 se forme sur la fovea f , en l’absence d’accommodation; H étant le point principal double de l’œil, ces remotums ont leurs positions déterminées par les relations:
Pour les ramener l’un et l’autre à l’infini, diverses combinaisons de verres correcteurs sont possibles. Admettons, en première approximation, que les puissances de l’œil et des verres correcteurs s’ajoutent exactement. On pourra, par exemple, superposer (en une seule lentille) un verre plan cylindrique à génératrices verticales (ce qu’on appelle en abrégé un cylindre vertical) d’une puissance de 漣 1,5 dioptrie, qui amènera sur la fovea f la focale verticale correspondant au point objet à l’infini, sans déplacer la focale horizontale, et un cylindre horizontal, de + 1 dioptrie, qui amènera de même en f la focale horizontale.
Mais on peut utiliser aussi une lentille sphérocylindrique, en superposant un cylindre vertical de 漣 2,5 dioptries et un verre plan-sphérique de puissance + 1 dioptrie, ou encore un cylindre horizontal de + 2,5 dioptries et un sphérique de 漣 1,5 dioptrie.
Utilité des examens médicaux de la vision
Les amétropies peuvent tenir simplement à un défaut naturel de conformation: ce ne sont pas alors par elles-mêmes des maladies. Il est cependant conseillé de consulter un ophtalmologiste. Les examens portent à la fois sur les parties externes et internes de l’œil et sur les différentes formes de vision; ils doivent être demandés chaque fois qu’apparaît un symptôme d’anomalie visuelle; ils sont même à recommander périodiquement, en l’absence d’un signal d’alarme. La nécessité de corriger la presbytie offre, en particulier, une occasion favorable pour tenter de se prémunir contre des risques très accrus par la sénescence.
Il importe d’ailleurs que tous les cas de déficience visuelle soient bien décelés: c’est le but des opérations, relativement simples, de dépistage, qui sont de plus en plus pratiquées.
L’optométrie , dite aussi «réfraction oculaire», est la mesure des amétropies et de la presbytie, indispensable pour le choix des verres correcteurs. Elle est subjective ou objective, selon qu’elle résulte de réponses données par le sujet ou d’opérations au cours desquelles il se laisse plus ou moins passivement examiner par le spécialiste.
La méthode subjective la plus employée consiste à essayer successivement devant l’œil différents verres jusqu’à ce que l’observation de tests (optotypes de dimensions diverses, placés à distance fixe) soit aussi bonne que possible. La figure 18 donne un exemple d’échelle d’optotypes à lettres qu’on place à cinq mètres de distance, pour tester la vision de loin. Selon que les plus petites lettres vues nettement sont A, ..., LF, ..., DYH, ..., PTXZH, l’acuité visuelle conventionnelle 益 est 1/10, ..., 5/10, ..., 10/10, ..., 24/10. L’avantage des lettres est leur facile désignation; leur inconvénient est que certaines sont plus aisément identifiables que d’autres et qu’en outre leur mauvaise visibilité, quand la vision est imparfaite, ne renseigne guère sur l’importance et l’orientation d’un éventuel astigmatisme. Pour déceler cette dernière amétropie, on emploie des disques rayonnés analogues à celui de la figure 6 a, ou encore des ensembles de traits, parallèles ou disposés en chevrons, et d’orientations diverses.
On utilise aussi parfois une méthode faisant intervenir l’aberration chromatique de l’œil. Si des tests noirs identiques sont présentés sur un fond rouge et sur un fond vert ou bleu (obtenus à l’aide de filtres suffisamment monochromatiques), un myope non corrigé voit, à distance assez grande, le rouge plus net (ou moins flou) que le vert, et c’est le contraire pour un hypermétrope.
Une hétérophorie peut se déterminer d’après la position relative d’images dont l’une n’est vue que par l’œil droit, l’autre que par l’œil gauche. Si, par exemple, l’on regarde un point A à distance de vision nette en plaçant devant l’œil gauche une lentille cylindrique assez puissante (baguette de Maddox) à génératrices horizontales, celle-ci donne de A une image allongée verticalement qui paraît décalée, par rapport à celle du point vu par l’œil droit, vers l’extérieur s’il y a «exophorie», vers l’intérieur s’il y a «endophorie». En orientant la baguette verticalement, on constatera éventuellement une «hyperphorie» (vers le haut ou vers le bas selon l’œil).
Le principe de l’optométrie objective consiste, le plus souvent, à former l’image T d’un test éclairé T sur la rétine du sujet S grâce à une lentille L et une lame semi-transparente l (fig. 19). La position de T par rapport à L, lorsque l’image T est nette, indique, pourvu que S n’accommode pas, son degré d’amétropie. Dans le cas des optomètres classiques, l’observateur O effectue visuellement la mise au point à l’aide d’une optique convenable. Cette opération peut être réalisée automatiquement grâce à un dispositif optoélectronique couplé à un calculateur; ce type d’optomètre offre la possibilité de mesures rapides et répétées. Certains appareils sont équipés d’une source infrarouge pour éviter l’éblouissement provoqué par le faisceau de mesure; un test, éclairé plus faiblement en lumière visible, est cependant présenté à l’œil du sujet S pour faciliter la désaccommodation.
Il faut souligner aussi la skiascopie , autre technique objective qui suppose qu’un observateur exercé apprécie à une distance assez grande (1 mètre par exemple) le sens du déplacement de la lumière dans la pupille P de S, quand on déplace sur la rétine de ce dernier l’image d’une source de lumière. On démontre que ce sens varie suivant que le remotum de S est en avant ou en arrière de O et que P s’éclaire d’un seul coup lorsque R est sur la pupille de O. On cherche par tâtonnements quel verre doit être placé devant S pour que cette condition soit satisfaite.
La pratique d’une méthode objective ne doit pas pour autant dispenser de l’examen subjectif classique pour prendre en compte l’équilibre binoculaire, le confort visuel, etc. Cependant, l’optométrie objective est le seul recours lorsque l’examen subjectif est irréalisable: jeunes enfants, handicapés mentaux, sourds-muets.
Moyens de correction des amétropies
Montures et lentilles de lunetterie
Les verres correcteurs, qui sont dits ophtalmiques, sont généralement montés sur des lunettes (monocle, face à main ou lorgnons n’étant plus en usage). La monture doit être choisie en tenant compte de l’écart interpupillaire, ce dernier pouvant varier de 58 à 72 millimètres chez les hommes, de 54 à 68 millimètres chez les femmes, en vision de loin; il est moindre, de 3 à 4 millimètres en vision de près. Les déterminations morphologiques nécessaires sont prises par le lunetier, qui doit ajuster avec soin les montures définitives.
Les lentilles étaient faites autrefois exclusivement en un verre minéral, le crown (cf. VERRE), mais on utilise de plus en plus des verres organiques obtenus par polymérisation d’un certain liquide dans un moule convenable. Le travail par moulage permet d’obtenir en série, à un prix raisonnable, des surfaces de formes spéciales; les verres organiques sont en outre pratiquement incassables et relativement légers (ce qui importe pour les verres épais). Mais ils sont souvent moins résistants que les verres minéraux aux actions susceptibles de les rayer ou de les dépolir. Il convient d’ailleurs toujours d’éviter d’exposer les verres de lunetterie à des chocs ou à des frottements brutaux, et il ne faut pas les essuyer avec un tissu poussiéreux, ni les ranger dans le mauvais sens dans leur étui.
Il peut être avantageux de les recouvrir d’une couche mince antireflets, comme celle qui sert au «bleutage» des instruments: l’intérêt de celle-ci est moins d’améliorer la transparence que d’éliminer des images parasites (résultant de réflexions successives sur les deux faces du verre) parfois gênantes.
Les verres à faces sphériques sont divergents (rapetissants, à bords plus épais que la région centrale) pour corriger la myopie, convergents (grossissants, à bords minces) pour l’hypermétropie et la presbytie, sauf quand celle-ci est combinée avec une forte myopie. Ils sont désignés habituellement non par leur puissance vraie (inverse de leur longueur focale), mais par leur puissance frontale (inverse de la distance de leur face de sortie à leur foyer image), mais la différence n’est notable que pour les verres convergents de forte puissance.
Une même puissance peut être obtenue à l’aide de verres de formes diverses, le rayon de courbure de l’une des faces pouvant être choisi arbitrairement, au moins entre certaines limites. Les ménisques (concavité tournée vers l’œil) ont, pour les puissances dépassant 1,5 dioptrie, l’avantage de donner en direction oblique, s’ils sont convenablement choisis, une image meilleure.
Dans les cas de très forte puissance, on doit réduire le diamètre de la partie utile pour que les verres ne soient pas trop lourds; il en résulte naturellement une limitation du champ visuel.
L’orientation des verres cylindriques et sphérocylindriques doit être soigneusement réglée, en fonction de l’astigmatisme que l’on veut corriger. Plusieurs formes étant possibles, on choisit celle qui se rapproche le plus d’un ménisque concave vers l’œil. On améliore encore la vision oblique en remplaçant la surface cylindrique par celle d’un tore . Pour les fortes corrections, sous incidence oblique, les verres sphérotoriques eux-mêmes sont insuffisants; on peut faire mieux à l’aide de verres dont une face est torique et l’autre ellipsoïdale. De telles surfaces asphériques sont de réalisation plus coûteuse, mais offrent des possibilités plus grandes qui ne sont pas encore toutes explorées.
L’interposition d’un verre astigmate déforme les images rétiniennes (un cercle devenant une ellipse), mais le sujet s’adapte en général assez vite à cette déformation, dont il devient inconscient.
On pallie l’aniséiconie par l’emploi de systèmes à plusieurs lentilles placés devant un seul œil et capables d’agrandir convenablement l’image rétinienne sans la déplacer.
Les lentilles prismatiques assurent les déplacements d’images pouvant compenser une hétérophorie. Si deux faces planes d’une lame de verre font entre elles un petit angle 﨏, un rayon lumineux traversant cette lame est dévié vers la base (côté opposé à l’arête) d’un angle 﨎 voisin de 﨏/2 (fig. 20). La valeur de 100 tg 﨎 力 100 﨎 (l’angle 﨎 étant exprimé en radians) est désignée souvent, de façon peu heureuse, comme la «puissance du prisme» évaluée en «dioptries prismatiques».
Si l’hétérophorie est assez faible et si elle s’ajoute à une forte amétropie sphérique, on peut éviter l’emploi d’un prisme en déplaçant latéralement l’axe optique du verre correcteur par rapport à l’axe visuel. Ce décentrement doit être réglé avec soin et, bien entendu, être sensiblement nul en l’absence d’hétérophorie.
Les lunettes «pour voir de près» diffèrent de celles «pour voir de loin» par une puissance plus grande en valeur algébrique. Il convient en outre que les axes optiques des deux verres convergent vers la région d’utilisation, au lieu d’être parallèles, et qu’ils soient inclinés vers le bas, pour une position normale de la tête, au lieu d’être horizontaux.
Pour éviter de changer trop souvent de lunettes, on a recours à des verres comportant à la partie supérieure une plage pour vision lointaine et à la partie inférieure une plage pour vision rapprochée (verres bifocaux , fig. 21). Il est nécessaire que chacune des plages soit bien centrée, c’est-à-dire que son axe optique passe par le centre de rotation de l’œil, et qu’elle soit correctement corrigée pour l’astigmatisme oblique. De plus, lorsqu’on passe d’une plage à l’autre, la direction du regard ne doit pas subir une trop brusque déviation, donnant lieu à ce qu’on appelle un «saut d’image». Enfin, la ligne de séparation entre plages ne doit pas présenter une dénivellation réfléchissant désagréablement la lumière, ou retenant la poussière.
On ne peut pas obtenir à la fois (ni pour toutes les directions du regard) ces diverses qualités. La solution la plus simple, dite «à la Franklin», par juxtaposition de deux demi-verres (fig. 22 a), donne une ligne de séparation très visible et un assemblage fragile; elle n’est plus employée, mais il existe encore des verres «demi-lune», pour emmétropes presbytes, où le segment inférieur subsiste seul. La superposition par collage (fig. 22 b) de deux lentilles ayant sur leurs faces adjacentes même rayon de courbure est économique, mais présente la plupart des défauts signalés ci-dessus. On emploie plus souvent des verres taillés dans une seule pièce (fig. 22 c) ou, mieux, des pièces d’indices différents «fusionnées à chaud» (fig. 22 d).
Des verres trifocaux peuvent être recommandés dans les cas où une amplitude d’accommodation trop réduite interdit avec des bifocaux une vision nette entre les objets très éloignés d’une part, les objets très rapprochés d’autre part; ces verres comportent, en plus des deux plages précédentes, une plage de puissance intermédiaire.
Une réalisation récente et remarquable est celle des verres progressifs (ou «varifocaux»), dont une des faces a une courbure variant de façon continue entre la partie supérieure et la partie inférieure, ce qui correspond à une variation continue de la puissance entre les valeurs correspondant à la vision lointaine et à la vision rapprochée. Très satisfaisante au voisinage du plan vertical médian, la qualité des images est parfois moins bonne quand on s’écarte de ce plan.
Verres de contact
Les verres de contact sont de très minces calottes transparentes pratiquement invisibles, le plus souvent en matière plastique convenablement taillées, que l’on applique sous la paupière. On distingue les verres scléraux , qui enveloppent toute la face avant de l’œil, et les lentilles cornéennes , dont le diamètre n’est que de 10 à 12 millimètres. L’espace intermédiaire entre l’œil et le verre est rempli par les larmes, dont l’indice de réfraction est très voisin de celui de la cornée. On remplace donc pratiquement la face antérieure de cette dernière par celle de la lame liquide limitée par le verre, la forme de cette dernière pouvant être bien régulière (sphérique ou toroïdale). On élimine de cette façon l’influence d’une déformation de la face antérieure de la cornée (astigmatisme régulier ou irrégulier) ou acquise (à la suite d’un accident ou d’une opération: kératoplastie, aphakie). Le décalage des images en vision oblique et les changements de dimension des images rétiniennes introduits par les verres de lunettes sont ici fortement réduits (aphakie monoculaire). L’acuité des forts myopes est améliorée et le port des verres de contact semble favoriser la stabilisation des fortes myopies scolaires.
Les verres scléraux, moins utilisés que les lentilles cornéennes, résistent bien aux mouvements brusques et sont conseillés pour les enfants, les personnes âgées et les sportifs.
Une bonne adaptation en lentilles cornéennes exige, outre la correction de l’amétropie, de bonnes conditions pour le maintien de la lentille et le métabolisme cornéen. La lentille adhère bien si son profil est aligné sur celui de la cornée; une gamme de tailles variées est maintenant disponible pour les parties intermédiaire et périphérique: la face postérieure de la région centrale (partie optique) est sphérique ou toroïdale si la cornée est fortement astigmate; dans ce dernier cas, la face avant est parfois toroïdale pour compenser un résidu d’astigmatisme.
Pour favoriser une bonne tolérance des verres, les échanges gazeux entre la cornée et l’intérieur doivent être assurés. La circulation du film des larmes qui véhicule 90 p. 100 de l’oxygène utile à la cornée est facilitée par une bonne mouillabilité des surfaces et un dégagement pratiqué à la périphérie du verre. L’apparition des lentilles souples hydrophiles perméables aux larmes a constitué un progrès dans le confort et la tolérance; on en vient maintenant, dans certains cas, au port permanent (lentille à forte hydrophilie). Cependant ces lentilles nécessitent un entretien délicat; de plus, elles se moulent sur le profil cornéen et sont donc mal adaptées pour la correction des astigmatismes forts ou irréguliers. Aussi développe-t-on parallèlement des lentilles en matériaux rigides perméables aux gaz. La mini-lentille ultramince (épaisseur 0,1 mm) qui flotte sur le film lacrymal constitue parfois une solution, mais cette lentille est très fragile.
Il faut maintenant signaler que le port des verres de contact est parfois contre-indiqué. Un examen préalable de l’état du segment externe de l’œil, avant toute adaptation, est donc indispensable: sensibilité cornéenne, fonction lacrymale, paupières, etc. Des contrôles périodiques sont également nécessaires.
Verre de protection
Il est souvent sage de porter des lunettes, même en l’absence d’amétropies, pour protéger les yeux contre des jets de particules ou contre des rayonnements nocifs: les lunettes solaires sont d’un usage courant.
Ces verres de protection doivent présenter des garanties sérieuses d’absorption pour l’usage envisagé, en même temps qu’une qualité optique assez bonne pour ne pas altérer les images. Parmi eux, les verres polarisants sont avantageux lorsque l’œil reçoit une lumière solaire réfléchie. Cette lumière, gênante, est en effet polarisée pour une part qui se trouve absorbée par de tels verres, s’ils sont convenablement orientés. Signalons enfin l’apparition récente de verres photochromiques , clairs dans l’obscurité, et qui deviennent notablement absorbants sous l’action d’une lumière intense. Cet effet s’établit en un temps court, variable selon l’éclairement reçu, et disparaît plus lentement quand cet éclairement cesse d’être excessif.
Amblyopie
Chez certains sujets, l’emploi de verres compensateurs assurant la meilleure mise au point des images sur la rétine ne suffit pas à assurer une perception correcte des détails, l’acuité visuelle restant très faible (moins de 1/10 par exemple). Cette infirmité, l’amblyopie, qui atteint à des degrés divers de une à deux personnes sur mille, mérite la plus grande attention. On y remédie plus ou moins par l’emploi de verres télescopiques, analogues à ceux qui pallient l’aniséiconie, ou encore de «télélunettes», malheureusement lourdes et disgracieuses; une éducation spéciale est nécessaire pour permettre de tirer le meilleur parti possible de la vision résiduelle. Les jeunes amblyopes bien orientés, surtout si leur cas a été décelé assez tôt, peuvent mener une existence presque normale.
On n’a, dans ce bref exposé, donné qu’une idée superficielle de la variété et de la complexité des problèmes que pose parfois le choix des verres associés à l’œil. Il ne faut sous-estimer ni l’importance du diagnostic assuré par l’ophtalmologiste, ni celle des conseils, des réalisations, des réglages et des contrôles qui incombent au lunetier. À leur collaboration s’ajoute celle de l’utilisateur lui-même, qui doit savoir juger en définitive du résultat.
vision [ vizjɔ̃ ] n. f.
• XIIIe « action de voir »; 1120 « perception d'une réalité surnaturelle »; lat. visio « action de voir »
I ♦
1 ♦ Perception du monde extérieur par les organes de la vue; mécanisme physiologique par lequel les stimulus lumineux donnent naissance à des sensations. Appareil, organes de vision. ⇒ œil, optique (nerf optique). Champ de la vision. Vision diurne. Vision nocturne. ⇒ nyctalopie. Vision binoculaire. Vision nette, indistincte. Vision normale. Troubles, anomalies de la vision. ⇒ vue.
2 ♦ (répandu XIXe) Abstrait Action de voir, de se représenter en esprit. ⇒ représentation. Vision de l'avenir. Aucun savant « ne confond la vision d'une vérité avec la démonstration d'une vérité » (Ribot). ⇒ intuition.
♢ Spécialt Façon de voir, de concevoir un ensemble de choses complexes. Vision exacte. ⇒ clairvoyance. La philosophie « embrasse parfois dans une vision plus simple les objets dont la science s'occupe » (Bergson). Une vision réaliste, poétique.
II ♦ Chose vue, perçue.
1 ♦ Représentation conçue comme d'origine surnaturelle; chose surnaturelle qui apparaît aux yeux ou à l'esprit. ⇒ apparition, révélation. Visions des prophètes, des grands mystiques, des voyants.
2 ♦ (XVIIe) Représentation imaginaire. « des visions fantastiques que tes yeux semblent apercevoir » (Lautréamont). ⇒ hallucination; chimère, illusion, mirage, rêve. Visions hallucinatoires. « Un sommeil hanté de visions insupportables » (Maupassant).
3 ♦ Par ext. Vx Idée folle, extravagante. ⇒ folie. « Les sottes visions de cette extravagante » (Molière). — Mod. Fam. Avoir des visions : déraisonner. Tu as des visions !
4 ♦ (XIXe) Image mentale. ⇒ idée, image. « Ce parfum m'évoque la vision d'une cheminée » (Huysmans). Vision obsédante. ⇒ hantise, obsession. « Des visions de luttes sanglantes » (Romains). La vision de la mort.
⊗ CONTR. Réalité.
● vision nom féminin (latin visio) Fonction par laquelle les images captées par l'œil sont transmises par les voies optiques (cellules rétiniennes et ganglionnaires, nerf optique, chiasma optique) au cerveau. Fait, action de voir, de regarder quelque chose : La vision de ce film peut choquer certaines personnes. Manière de voir, de concevoir, de comprendre quelque chose de complexe : Nous n'avons pas la même vision du monde. Littéraire. Image mentale de quelque chose qui s'impose à l'esprit : Cette vision soudaine le troubla. Apparition, forme, être, représentation mentale qu'on voit ou qu'on croit voir, dont on attribue l'origine à des puissances surnaturelles : Malade qui a des visions. ● vision (citations) nom féminin (latin visio) André Dhôtel Attigny 1900-Paris 1991 Les dénominations assurées effacent la vision première. Rhétorique fabuleuse Cahiers du Sud Jonathan Swift Dublin 1667-Dublin 1745 La vision est l'art de voir les choses invisibles. Vision is the art of seeing things invisible. Thoughts on Various Subjects ● vision (homonymes) nom féminin (latin visio) visions forme conjuguée du verbe viser ● vision (synonymes) nom féminin (latin visio) Fonction par laquelle les images captées par l'œil sont transmises...
Synonymes :
- vue
Fait, action de voir, de regarder quelque chose
Synonymes :
- tableau
- vue
Manière de voir, de concevoir, de comprendre quelque chose de complexe
Synonymes :
- appréhension
- optique
- représentation
Littéraire. Image mentale de quelque chose qui s'impose à l'esprit
Synonymes :
- évocation
Apparition, forme, être, représentation mentale qu'on voit ou qu'on croit...
Synonymes :
- fantasme
- mirage
vision
n. f.
rI./r
d1./d Perception du monde extérieur par les organes de la vue; exercice du sens de la vue, action de voir. Vision diurne, nocturne, crépusculaire. Défauts de la vision (myopie, hypermétropie, astigmatisme, presbytie). Vision des couleurs.
d2./d Fig. Façon de voir; conception. Une curieuse vision du monde.
rII./r Chose surnaturelle que voient ou croient voir certaines personnes. Les visions d'une personne en extase.
|| Hallucination visuelle.
Encycl. Physiol. - Reçue par l'oeil, très précisément par la rétine, la stimulation lumineuse est transmise, par les prolongements du nerf optique, à une zone du cerveau située dans le lobe occipital, où s'effectuent les opérations complexes de traduction des divers paramètres du stimulus lumineux (intensité, contraste, déplacement, couleur).
⇒VISION, subst. fém.
A. — 1. PHYSIOL., MÉD. Perception par l'œil de la lumière, des couleurs, des formes; ensemble des mécanismes physiologiques par lesquels les radiations lumineuses reçues par l'œil déterminent des impressions sensorielles de nature variée. Sens de la vision; appareil, mécanisme, organes, phénomènes, physiologie de la vision; atteinte, fatigue, troubles de la vision. Les myopes seuls connaissent le contraste prodigieux qu'il y a entre la vision confuse et la vision nette (AMIEL, Journal, 1866, p. 213). Il y a aussi une vision passive, sans regard, comme celle d'une lumière éblouissante (...) où la lumière cesse d'être lumière pour devenir douloureuse et envahir notre œil lui-même (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 364).
— [Avec adj. relatif à] V. cône ex. 4, œil ex. 1.
♦ [l'organe, la partie d'organe en cause] Vision binoculaire, monoculaire. L'analyse rétinienne de l'image est (...) beaucoup plus fine au niveau de la tache jaune, donc au centre de la rétine vision centrale, que sur ses bords vision périphérique (CAMEFORT, GAMA, Sc. nat., 1960, p. 247).
♦ [l'intensité de la lumière] Vision nocturne. Vision diurne ou photopique. V. phot(o)-1 B 5.
♦ [la distance de l'objet perçu] Vision éloignée, proche, rapprochée. La pupille ne laisse pénétrer dans l'œil, provenant des points lumineux, que des faisceauxétroits (...). D'où une diaphragmation maximum en lumière forte et en vision rapprochée (CAMEFORT, GAMA, Sc. nat., 1960, p. 243).
♦ [l'impression reçue] Vision stéréoscopique. ,,Perception visuelle des objets en relief, qui constitue le troisième degré de la vision binoculaire`` (Méd. Biol. t. 3 1972). Vision télescopique. ,,Perception visuelle caractérisée par un champ visuel réduit et un fort grossissement apparent des objets rapprochés`` (MILL. Vision 1981).
♦ [la sensibilité aux couleurs] Vision achromatique (ou achromatopsie); vision dichromatique (ou dichromatisme); vision dyschromatopsique; vision chromatique, colorée. Les tests de confusion [des couleurs]. (...). Fond et chiffres ont des couleurs nettement différentes pour un sujet normal, mais ces couleurs apparaissent comme voisines à un sujet à vision chromatique anormale (Lar. méd. 1987).
2. Action, fait de voir. Du bas de l'étroite rue surgit, sans ralentir, une automobile. L'averse gênait sans doute la vision du chauffeur (BILLY, Introïbo, 1939, p. 195). Jean Cocteau utilise très judicieusement une partition de Vivaldi qui est censée prédisposer le spectateur à la vision du film (SAMUEL, Art mus. contemp., 1962, p. 765).
— [P. méton.] D'autres univers, que la vision perçante du télescope commence à saisir dans les inaccessibles profondeurs de l'immensité (FLAMMARION, Astron. pop., 1880, p. 92).
3. P. méton. Ce qui s'offre à la vue. Vision charmante, délicieuse, enchanteresse, familière, fascinante, féerique; vision fugitive, furtive, inoubliable; vision abominable, affreuse, atroce, effroyable, fantomatique, terrifiante; vision d'apocalypse, d'enfer, d'horreur; vision décorative, plastique. Brusquement, le régiment venait d'avoir la première vision poignante de la guerre: un horizon en flammes. Les Allemands étaient là. Cette ligne de feu, c'était eux (BENJAMIN, Gaspard, 1915, p. 41):
• La gorge en feu, hantés par la vision des boissons fraîches qui coulaient à toutes les terrasses de la place Clichy, les crieurs de journaux offraient leur marchandise d'une voix harassée et regardaient avec dégoût la foule de six heures se presser sur les trottoirs brûlants.
AYMÉ, Mais. basse, 1934, p. 258.
— En partic. Vision animée. Film. Un compositeur doit pouvoir s'exprimer lyriquement dans le cadre illimité du cinéma. Pour un art immatériel comme la musique, la vision animée est seule, en effet, à fournir une ambiance et des décors appropriés aux suggestions du musicien (Arts et litt., 1935, p. 78-7).
4. PARAPSYCHOLOGIE
a) Vision à distance. Vision d'un objet qui n'est pas présent. L'existence de la « vision à distance » est une faculté humaine restée jusqu'ici dans le vague. En tant que physiciens étudiant les phénomènes dits paranormaux, nous sommes avant tout des scientifiques (Le Point, 2 oct. 1978, p. 175, col. 1).
b) P. méton. Objet non présent qui s'offre à la vue. À côté de la table, en face de la tasse, se trouve un fauteuil en osier dont je n'aperçois que le dossier. Cette vision disparaît et reparaît comme la première fois; la première chose que j'aperçois c'est la tasse très éclairée. Ce doit être une image vue par moi il y a quelques années, car le fauteuil fut en notre possession il y a quatre ans (WARCOLLIER, Télépathie, 1921, p. 58).
B. — Au fig.
1. a) Action, fait de percevoir, de se représenter en esprit une réalité concrète ou abstraite. Méthode, mode, plan de vision. La connaissance est une vision intellectuelle. Pour découvrir il suffit à notre esprit de regarder; le savant ne crée pas le fait, il le constate (Gds cour. pensée math., 1948, p. 230).
— [Avec compl. de nom désignant l'objet de l'action] Synon. évocation, représentation. Affolée, à la brusque vision de la police, des gendarmes, de la prison préventive, des assises, elle tomba en une panique désespérée sans autre idée que de fuir (PÉLADAN, Vice supr., 1884, p. 307). La claire vue du Bien entraîne l'acte comme la vision distincte du Vrai entraîne l'assentiment (SARTRE, Sit. I, 1947, p. 299).
b) En partic. Vision ou vision intuitive. Synon. de intuition. Dieu, dans sa nature intime, échappe à notre esprit, puisqu'ici-bas il n'y a pas de vision intuitive de l'Essence divine et que rien de ce que nous connaissons ne peut nous donner une idée propre de l'être même de Dieu (Théol. cath. t. 4, 1 1920, p. 1044). Vision directe de l'esprit par l'esprit (...), vision qui se distingue à peine de l'objet vu, connaissance qui est contact et même coïncidence (BERGSON, La Pensée et le mouvant, 1922 ds FOULQ.-ST-JEAN 1969).
2. P. méton.
a) Ce qui s'offre ainsi à l'esprit.
) Image, représentation mentale d'une réalité. Vision aiguë, confuse, douce, obsédante, soudaine; vision qui renaît, surgit, se précise, se brouille, se dissipe, s'efface, s'éloigne, s'évanouit; être assailli, frappé, tourmenté par une vision; chasser une vision.
— [La vision concerne le présent, le passé ou le futur] On (...) sentait encore [dans les villas fermées] comme un frémissement, une chaleur de vie, et par moments, au tournant des allées, j'avais des visions de chapeaux de paille, d'ombrelles tendues (A. DAUDET, R. Helmont, 1874, p. 63). Dans une vision extraordinairement prophétique, Chevalier montrait la pénétration des grandes voies ferrées des principaux ports vers l'intérieur (PINEAU, S.N.C.F. et transp., 1950, p. 110).
) Souvent au plur.
— Représentation mentale imaginaire, souvent pathologique. Synon. fantasme, mirage, hallucination. Le récit de Dante, comme son poëme, témoigne d'une hallucination continue: il s'évanouit, les visions l'assaillent, son corps devient malade (TAINE, Voy. Ital., t. 2, 1866, p. 26). Si je classe les voix et les visions de mon interlocuteur parmi les hallucinations, c'est que je ne trouve rien de pareil dans mon monde visuel ou auditif (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 389). V. hallucination A ex. de Sand.
♦ [Avec adj. ou compl. de nom désignant]
[la nature de vision] Le caractère de la maladie semble avoir changé. Les visions d'épouvante ont cessé. Maintenant c'est la douleur atroce toute pure (BLOY, Journal, 1906, p. 291).
[l'origine, la source de la vision] Visions nocturnes; visions du sommeil; visions de la fièvre, de la folie; vision de l'opium. Un régisseur, avec une canne, range des bataillons de danseuses, des légions de figurants; il a l'air d'un caporal qui commanderait à une légende, aux visions d'un songe (GONCOURT, Journal, 1863, p. 1275).
[le sujet] Ivresse d'opium et vision de fou, Où les récipients, matras, siphons et pompes, Allongés en phallus ou tortillés en trompes, Prennent l'air d'éléphants et de rhinocéros (GAUTIER, Albertus, 1833, p. 128).
♦ [Avec un nom propre désignant un aut.] J'avais cru saisir la série de toutes mes existences antérieures (...). Ce serait le Songe de Scipion, la Vision du Tasse ou la Divine Comédie du Dante, si j'étais parvenu à concentrer mes souvenirs en un chef-d'œuvre (NERVAL, Filles feu, Dédic. à A. Dumas, 1854, p. 494). La beauté (...) est aussi dans les calculs de Galilée, dans les visions de Dante, dans les expériences de Pasteur, dans le lever du soleil sur l'océan (CARREL, L'Homme, 1935, p. 155).
— Loc. verb., pop., fam. Avoir des visions. Déraisonner, perdre la tête. Synon. avoir la berlue. Visez, les gars, un poilu qui saute, hurlait Vairon avec des gestes désarticulés. — T'as des visions, ripostait Lemoine, jaloux de n'avoir rien vu, c'est un rondin (DORGELÈS, Croix de bois, 1919, p. 45).
b) Vision intérieure. Esprit, conscience. Ce souvenir (...) occupait tout le champ de ma vision intérieure (PROUST, Fugit., 1922, p. 491).
C. — P. ext.
1. a) Manière de voir, d'appréhender par l'œil ou par l'esprit, une réalité concrète ou abstraite.
— [Sens actif] Rien ne demeure [dans les souvenirs d'enfance] que certains reflets de réalité agrandie et transformée par un cerveau tout jeune à qui le monde est nouveau. Les enfants, avec leur vision spontanée, singulière, incomplète et par là personnelle, sont de grands impressionnistes sans le savoir (LEMAITRE, Contemp., 1885, p. 170). Voyage, me disait Persicaire. Si tu changes sans bouger, autour de toi les objets se déplacent et les êtres. Dans le voyage, sais-tu si ta vision est neuve ou simplement nouveau ce que tu regardes? (COCTEAU, Potomak, 1919, p. 55).
— [Sens passif] Vision de la vie, des choses; vision lucide d'une situation; vision théorique d'un problème. Chesterton a pu dire qu'il n'y a rien de plus romanesque que la vision catholique du monde (MASSIS, Jugements, 1923, p. 272).
b) ARTS, PEINT. Manière d'appréhender la réalité et, p. ext., manière de la rendre sur la toile. Vision picturale; vision forte, franche, large, vraie, rapide, superficielle; vision juste de la couleur; acuité, finesse, originalité, simplicité, sincérité de la vision. Ces toiles [de Seurat] sont plutôt des exemples raisonnés que des œuvres d'intuition et de vision spontanée (MAUCLAIR, Maîtres impressionn., 1923, p. 189). La vision souveraine des plus grands peintres, c'est celle des derniers Renoir, des derniers Titien, des derniers Hals — semblable à la voix intérieure de Beethoven sourd — la vision qui veille en eux quand ils commencent à devenir aveugles (MALRAUX, Voix sil., 1951, p. 278).
2. Chose vue ou réalité perçue telle qu'elle est représentée par un auteur, un artiste. Vision esthétique, scénique. J'ai toujours adoré les contes et (...) je me grisais délicieusement du délicat opium de cette histoire de fées, une des plus poétiques visions du conteur Andersen (LORRAIN, Sens. et souv., 1895, p. 180).
D. — Spécialement
1. a) PHILOS. Vision en Dieu. ,,Doctrine de Malebranche, d'après laquelle l'homme ne connaît pas directement les choses créées ni les lois qui les régissent, mais seulement l'idée de ces choses ou de ces lois, qui est en Dieu, à qui seul il est immédiatement uni`` (LAL. 1968). Convaincu que nous ne pouvons avoir aucune idée de l'infini, Malebranche recourt à la fois au fidéisme et à la vision en Dieu (Théol. cath. t. 4, 1 1920, p. 780).
b) THÉOL. Fait de voir Dieu. Vision mystique; vision face à face. Swedenborg (...) donna pendant sa vie plusieurs preuves de la puissance de vision acquise à son être intérieur (BALZAC, L. Lambert, 1832, p. 104). La béatitude éternelle (...) consiste dans la vision de Dieu (GREEN, Journal, 1948, p. 150).
♦ Vision béatifique ou intuitive.
— [La vision, attribut de Dieu] Dieu avait dans sa propre nature l'exemplaire d'une double vision, la vision intuitive et la vision idéale. Présent à lui-même par la vision intuitive, il découvrait par la vision idéale les choses qu'il devait un jour créer (LACORD., Conf. N.-D., 1848, p. 141).
2. a) Représentation d'ordre surnaturel apparaissant aux yeux ou à l'esprit. Vision des prophètes; vision de l'apocalypse. Ébloui comme par une vision céleste, il tomba sur ses deux genoux (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 768). Or, pendant son sommeil, elle eut une vision. La Vierge Marie lui apparut tenant l'Enfant Jésus dans ses bras (A. FRANCE, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 41). V. apparition ex. 1.
b) Personnage apparu comme dans une vision. Gwynplaine voyait descendre vers lui (...) une blanche nuée de beauté ayant la forme d'une femme (...) et cette apparition, presque nuage, et pourtant femme, l'étreignait, et cette vision l'embrassait (HUGO, Homme qui rit, t. 2, 1869, p. 70).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1re moit. XIIe s. visiun « perception d'une réalité surnaturelle » (Psautier d'Oxford, éd. F. Michel, LXXXVIII, 19); 2. ca 1170 « ce que l'on voit, chose perçue » (Rois, éd. E. R. Curtius, I, III, 1, p. 9); 3. 1601 « représentation imaginaire » (P. CHARRON, De la sagesse, l. 1, chap. 18, pp. 123-124); 4. 1657-59 « idée folle, extravagante » (TALLEMANT DES REAUX, Historiettes, éd. Mongrédien, I, 210); 5. 1610 avoir des visions (en dormant) (BEROALDE DE VERVILLE, Le Moyen de parvenir, éd. H. Moreau, A. Tournon, p. 235); 1680 avoir des visions « avoir des chimères dans l'esprit » (RICH.). B. 1. 1269-78 « action de voir » (JEAN DE MEUNG, Rose, éd. F. Lecoy, 8892); 2. a) 1561 « mécanisme physiologique par lequel les stimuli lumineux donnent naissance à des sensations » (PARÉ, Introd. à la chirurgie ds Œuvres, éd. J.-Fr. Malgaigne, t. 1, p. 57); b) 1863 vision binoculaire (LITTRÉ, s.v. binoculaire); c) 1919 cin. première vision « première projection publique d'un film » (C.F., 12 avr. ds GIRAUD 1956); 3. 1515 théol. cath. « manière de voir ou de connaître Dieu » (JEAN MAROT, Epistre des dames de Paris au roy François ds Œuvres, t. 4, p. 220, éd. de 1731); 1690 vision béatifique, vision intuitive (FUR., s.v. béatifique et intuitif); 4. 1834 « façon de voir, de concevoir un ensemble de choses complexes » (BALZAC, Rech. absolu, p. 540); 1841 vision de l'avenir (ID., U. Mirouët, p. 147). Empr. au lat. visio « action de voir, vue », « ce qui se présente à la vue, image, simulacre des choses », « action de voir par l'esprit, de concevoir », « idée perçue, conception, point de vue ». Fréq. abs. littér.:3 448. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 2 093, b) 3 842; XXe s.: a) 7 583, b) 6 258. Bbg. LUCIUS (H.). La Litt. visionnaire en France... Thèse, Paris, 1970, p. 21-25, 43-53, 111-117, 139-156; 185-194, 221-226. — MAT. 16e 1988, p. 231. — MERK (G.). Les Héritiers et les substituts du suff. lat. -tione en Gallo-Romania. Thèse, Strasbourg, 1978, pp. 177-179, 1325; Mots fantômes ou obscurs: dat. douteuses. R. Ling. rom. 1980, t. 44, p. 268. — QUEM. DDL t. 25.
vision [vizjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 1120, « perception d'une réalité surnaturelle »; « action de voir, vue », XIIIe; lat. visio « action de voir », de visum, supin de videre « voir ».
❖
———
1 Perception du monde extérieur par les organes de la vue; mécanisme physiologique (photoréception) par lequel les stimuli lumineux donnent naissance à des sensations. || Appareil, organes de vision. ⇒ Œil (cit. 4), optique (nerf). → Regard, cit. 3. || La rhodopsine, pigment de la vision. || Les lois de la vision. ⇒ Optique (cit. 1), optométrie. || Champ de la vision : champ visuel. || Vision fovéale (⇒ Fovéa), périphérique. || Vision binoculaire. || Vision dédoublée. ⇒ Diplopie. || Vision stéréoscopique, vision chromatique. || Vision diurne (ou photoscopique), vision nocturne (ou scotopique). ⇒ Nyctalopie. || Vision vespérale (ou mésopique). || Vision nette (→ Forme, cit. 11; indistincte, cit. 1). → Demeurer, cit. 23. || Vision lointaine, rapprochée. || Examen de la vision. ⇒ Optométrie. || Vision normale. ⇒ Emmétropie. || Troubles, anomalies de la vision. ⇒ Amétropie (et hypermétropie, myopie), astigmatisme, dyschromatopsie, presbytie; amaurose, cécité.
1 Assurément nous ne percevons d'aucune manière ni les rayons lumineux en eux-mêmes; ni leur réflexion au dehors, ni leur réfraction dans l'intérieur de l'œil. Nous n'avons pas même le sentiment immédiat de quelque impression faite sur la rétine, mais uniquement l'intuition objective, résultante de toute cette série des mouvements. Les opticiens seuls connaissent ou croient connaître les moyens efficaces par lesquels la vision s'effectue.
Maine de Biran, Du physique et du moral de l'homme, p. 280.
2 (Sens développé au XIXe). Fig. a Action de voir, de se représenter en esprit. ⇒ Représentation. || Vision de l'avenir. ⇒ Pressentiment (→ Double vue). || La vision ou la démonstration (cit. 6) d'une vérité. ⇒ Intuition.
b (Une, des visions). (Qualifié). Façon de voir, de concevoir un ensemble de choses complexes. || Vision exacte. ⇒ Clairvoyance. || Vision d'ensemble de la science sociale (→ Physiocrate, cit.), de la philosophie (cit. 8). || Vision des historiens (→ Passion, cit. 29). ⇒ Conception. || La vision einsteinienne du monde (→ 1. Objectif, cit. 11). || Une vision réaliste (→ Échiquier, cit. 5), épique (→ Épopée, cit. 4), poétique (→ Naturaliste, cit. 7).
1.1 La puissance de vision qui fait le poète, et la puissance de déduction qui fait le savant (…)
Balzac, la Recherche de l'Absolu, Pl., t. IX, p. 540.
1.2 (…) car le style pour l'écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique mais de vision.
Proust, le Temps retrouvé, Pl., t. III, p. 895.
3 Philos. || Vision en Dieu, théorie de Malebranche, suivant laquelle la perception du monde extérieur se fait par l'intelligence divine, l'esprit de l'homme étant intimement uni à l'esprit de Dieu (De la recherche de la vérité, III, II, 6.). — Théol. cathol. || Vision béatifique (cit. 1) ou intuitive : contemplation directe de Dieu, privilège des élus. — Vision et adoration séraphiques (cit. 1).
———
1 Ce que l'on voit, ce qui se présente à la vue. ⇒ Spectacle, vue. || Présenter, offrir une vision désolante, merveilleuse. — Image. || Un monde de visions et d'odeurs. → Subtil, cit. 5.1. || Visions informes, fragmentées (cit.), imprécises (⇒ Forme). → Perspective, cit. 1; et aussi papillotement, cit. 2. || Le spectacle de la fantasia (cit. 1) arabe, luxe de visions.
2 (Fin XIIe). Représentation conçue comme d'origine surnaturelle; chose surnaturelle qui apparaît aux yeux ou à l'esprit. ⇒ Apparition, révélation. || Les visions des prophètes (→ Buisson, cit. 4; gloire, cit. 48), des grands mystiques (→ Charisme, cit. 1), des saints, des voyants (→ Équivaloir, cit. 2). — Vision prophétique (cit. 3).
2 Toutefois il est incontestable qu'extases, visions, ravissements sont des états anormaux, et qu'il est difficile de distinguer entre l'anormal et le morbide. Telle a d'ailleurs été l'opinion des grands mystiques eux-mêmes.
H. Bergson, les Deux Sources de la morale et de la religion, p. 242.
3 (XVIIe). Représentation imaginaire. || Des visions fantastiques que les yeux semblent apercevoir. ⇒ Hallucination (cit. 8 et 10); chimère, fantasme, fantôme, illusion, mirage, rêve. || Visions hallucinatoires (→ Suggestion, cit. 4; et aussi appréhension, cit. 6), nocturnes (→ 1. Muse, cit. 10). || Incohérentes visions du rêve, du délire (→ Assembler, cit. 10; délire, cit. 3). — Absolt. || Avoir des visions.
3 (…) lorsqu'il lui arrive d'avoir pendant son sommeil quelque vision, il va trouver les interprètes des songes (…)
La Bruyère, les Caractères de Théophraste, « De la superstition ».
4 Je fus longtemps sans parvenir à dormir; puis le sommeil vint, un sommeil hanté de visions insupportables.
Maupassant, les Contes de la Bécasse, « Un fils ».
5 Il passait des réflexions aux rêveries sans trop s'en apercevoir. Et pourtant ses rêveries prenaient de grandes libertés avec le réel. Elles étaient en somme de la famille des visions.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XI, p. 83.
4 a (V. 1650). Vx. Idée folle, extravagante. ⇒ Folie. || S'égarer (cit. 18) dans des visions. || « Les sottes visions de cette extravagante » (cit. 2; → aussi Immoler, cit. 10). || « Sont-ce des visions que je me mets en tête ? » (→ Tailler, cit. 10). || Visions cornues.
6 (…) les visions de noblesse et de galanterie qu'il est allé se mettre en tête (…)
Molière, le Bourgeois gentilhomme, I, 1.
7 Non, mon cher. Vous avez des visions, vous entendez parler les balayeuses ! C'est bien joli, mais ce n'est pas rassurant.
M. Pagnol, Topaze, III, 2.
5 (XIXe). Image mentale. ⇒ Idée, image. || Ce parfum m'évoque la vision d'une cheminée à hotte (cit. 2). ⇒ Évocation. || Vision intérieure (→ Improvisation, cit. 7). || Vision obsédante. ⇒ Hantise, obsession (→ Épave, cit. 3). || Des visions de luttes (cit. 3) sanglantes. || La vision de la mort (→ Effaré, cit. 9). || Visions romanesques (→ Guérir, cit. 15). ⇒ Chimère, illusion, mirage, rêve, rêverie.
8 C'est une vision, n'est-il pas vrai, Marie ?
C'est un rêve insensé qui m'a frappé les yeux.
Musset, Poésies nouvelles, « Rolla », III.
9 J'eus un rêve : le mur des siècles m'apparut (…)
(…) De cette vision du mouvant genre humain,
Ce livre, où près d'hier on entrevoit demain,
Est sorti (…)
Hugo, la Légende des siècles, La vision d'où est sorti ce livre (1857).
10 Elle se serait arrêtée peut-être, si, à ce moment, la vue de Jenny étendue n'avait brusquement fait ressurgir devant ses yeux la vision du couple enlacé sur le divan de Daniel.
Martin du Gard, les Thibault, t. VIII, p. 59.
❖
CONTR. Aveuglement; réalité.
DÉR. Visionnaire, visionner.
COMP. Télévision, visionique.
Encyclopédie Universelle. 2012.