DÉLIRE
Si profane que soit l’étymologie en matière de psychopathologie moderne, elle n’en conserve pas moins un sens profond en ce qui concerne le délire: le latin delirium , de delirare , c’est proprement «sortir du sillon». La terre évoque le réel et ses contraintes, le labour énonce le travail efficace et socialisé. S’en écarter, c’est délirer, être fou. Égarement de l’esprit, le délire offre aussi l’acception de rêve, d’enthousiasme, d’exaltation.
Depuis qu’il est des hommes, et qui pensent, il en est qui délirent. L’étonnant résiderait peut-être moins en ce fait qu’en son caractère restrictif. Le délire prête ses traits à cette image de la folie qui hante peu ou prou la littérature de tous les temps, les arts plastiques, aujourd’hui les films, et traduit l’angoisse profonde de l’homme et sa fragile humanité. L’amour, la folie, la mort polarisent les désirs et les peurs.
La notion même de délire s’est progressivement et difficilement dégagée de la métaphysique de l’erreur et de la morale du péché au cours de l’évolution des idées, des mœurs et des sciences. De la phrénitis d’Hippocrate à la schizophrénie de Bleuler, l’histoire de la psychiatrie a porté jusqu’à nos jours, sans l’avoir résolu, le problème essentiel du délire, défini comme objet d’étude scientifique à partir du XIXe siècle. La spécificité de la psychiatrie tient pour une grande part à l’originalité des phénomènes délirants, lesquels se posent plus largement comme faits anthropologiques. Personne et personnalité, avec leur système de relation au monde, se trouvent intimement mises en cause. Le fait du délire, objet de scandale pour la raison et pour l’ordre social, engage en réalité les positions doctrinales psychologiques, sociologiques, politiques et philosophiques. Il en sera seulement traité ici du point de vue psychopathologique, très proche de la clinique.
Caractères généraux
Quels que soient la cause, le déterminisme et la structure des délires, certains traits communs les caractérisent, qui spécifient une catégorie de phénomènes dans l’ensemble des troubles psychiques: un homme ne reconnaît plus son entourage, a peur de serpents, s’agite et fuit par la fenêtre au lieu de prendre la porte; tel autre, calme, digne, parle avec une lenteur condescendante à ses peuples réunis dont il se dit l’empereur et s’affirme également le vicaire du Christ; tous les deux sont délirants. La personnalité du malade se trouve, dans les deux cas, et dans d’autres encore, altérée dans sa manière d’être et dans sa relation au monde, d’où rupture significative.
L’altération ou la transformation de la manière d’être du malade répond à une façon singulière et subjective de vivre des expériences spontanées ou d’élaborer un ensemble de significations, d’une part sans rapport de concordance avec la situation objective, d’autre part en remplaçant plus ou moins la réalité de celle-ci par un substitut imaginaire. Ce substitut se réfère à la classique «idée délirante», c’est-à-dire à la formulation du thème délirant. Un aliéniste français du XIXe siècle (Leuret) écrivit avec raison qu’il n’avait pu trouver de différence entre l’idée la plus folle recueillie dans les asiles et nombre de celles qui ont cours parmi les gens réputés sensés. En effet, l’idée isolée, considérée en elle-même, ne compte guère sans le style de l’expression et surtout sans son rapport significatif avec ce qui est vécu, pensé, compris par le sujet. L’idée n’est point délirante en soi, seul le sujet délire.
On peut être poète, surréaliste, inventeur, anarchiste, humoriste, etc., et ne point délirer. Mais, parfois, une certaine expérience délirante peut fournir à l’artiste des thèmes et une modalité d’expression nouvelle, dans la mesure où sa personnalité demeure assez cohérente et peu dégradée.
La relation au monde s’en trouve plus ou moins perturbée. La projection du monde déréel sur le monde réel va parfois jusqu’à néantiser celui-ci, de sorte que les «autres» disparaissent ou prennent des rôles totalement substitutifs dans l’imaginaire délirant. Souvent encore, les «autres» subsistent avec leur personnage réel (parents, conjoint, employeur, boulanger, médecin...), mais leurs rôles s’infléchissent dans le sens de la déviation délirante (faux parents, conjoint persécuteur...), personnages ambigus ou marionnettes, traversant alternativement les deux univers. Ainsi arrive-t-il que s’établisse une communication verbale adéquate dans sa forme, intelligible en apparence, alors que son sens authentique, implicite ou camouflé, s’avère déréel. Le sens réel n’a pas été retenu par le délirant, et le sens déréel n’a pas été compris par le non-délirant. Il n’y a donc pas eu de communication.
La rupture , grossière ou subtile, totale ou partielle, de la relation définit une caractéristique capitale de l’état délirant: l’aliénation mentale . Le mot et la chose doivent être compris avec précision et exactitude.
Le malade éprouve une rupture plus ou moins complète avec les autres, tous les autres ou surtout quelques élus, qu’il rejette ou par lesquels il se sent rejeté. Son système personnel de valeurs s’est gauchi ou transformé. Or, fait important, le malade n’en prend pas conscience. Il ne le peut, car ce qu’il ressent, il l’éprouve comme vécu, et suivant un système de repères subjectifs, non comparable au système de repères objectifs ou communautaires. Expression d’une conviction délirante initiale, absolue, irrécusable. Délirer, c’est sortir du réel, sans savoir qu’on en est sorti, et sans pouvoir s’en rendre compte, puisque le réel est le délire. Avoir conscience que l’on délire signifie avoir cessé de délirer.
Pour les autres, pour le groupe social, le délirant offre une personnalité changée, inaccessible, plus ou moins incompréhensible, peu ou non maniable, dont la conduite n’est plus en rapport avec la situation. Pareille métamorphose psychique, qui fait que l’homme n’est plus le «semblable» s’avère affligeante, inquiétante, étrange, et rend le délirant humainement «étranger».
L’aliénation (d’aliéner, et de alienus , alius , autre) souligne bien l’étrangeté, ici par double exclusion: exclusion de l’extériorité des autres par le délirant, exclusion de l’intériorité du délirant par les autres.
L’aspect en fut assez frappant pour s’étendre à tous les malades mentaux, délirants ou non, pourvu qu’ils fussent justiciables d’un «renfermement» aux termes de la loi du 30 juin 1838. Depuis une trentaine d’années, la plupart des psychiatres ne parlent plus d’«aliénés»; mais l’aliénation fait encore parler d’elle, car elle continue d’exister.
Cependant, l’aliénation du délirant (qui n’est plus maître de lui-même ni des autres) admet des formes et des degrés variés. Elle peut être continue ou discontinue, constante ou fluctuante, totale, partielle, ébauchée. Elle peut disparaître entièrement et ne durer que l’espace d’une «cuvée», comme dans l’ivresse alcoolique, ou persister toute une vie comme certaines psychoses paranoïaques ou paranoïdes. Cela dépend des structures délirantes.
Les structures délirantes
Parler de structures délirantes ne veut pas dire qu’une espèce de forme sui generis habite ou parasite la personnalité, comme un ver le fruit. Cela signifie que la personnalité elle-même, en particulier le moi, se trouve submergée par une certaine dynamique affective, et elle tend à s’organiser ou à se réorganiser selon une structuration nouvelle, en l’occurrence délirante, à la fois déficiente, reconstructrice et compensatoire.
On doit distinguer ici deux grands types structuraux, dont la différence d’évolution marque le trait clinique le plus apparent, sinon le plus important: les délires aigus et les délires chroniques. Henri Ey en a renouvelé l’étude et affirmé davantage la différence en opposant une «pathologie de la conscience» n’engageant pas la personnalité qui subit les troubles aigus, et une «pathologie de la personnalité», engageant cette dernière dans les délires chroniques; déstructuration de la conscience dans le premier cas, déstructuration de la personnalité dans le second.
Dans les psychoses délirantes aiguës , le malade subit une sorte d’expérience morbide, vécue dans l’instant, au fur et à mesure de son déroulement et de ses péripéties. Ces «expériences délirantes», comme les a décrites K. Jaspers, comportent surtout de l’angoisse, des phénomènes hallucinatoires, de l’onirisme. La conscience n’est cependant pas troublée au même degré, ni même toujours atteinte, car la structure n’est pas la même dans tous les états aigus.
Par exemple, dans la psychose confuso-onirique , la conscience s’avère plus ou moins profondément atteinte, avec désorientation temporo-spatiale, confusion des idées, hallucinations auditives et visuelles mouvantes, angoissantes, apeurantes, constituant l’onirisme, très analogue à ce qui se passe dans le rêve normal.
Dans la psychose délirante polymorphe , la conscience reste claire. La multiplicité des thèmes délirants, leur incohérence sont notables, ainsi que l’anxiété, la subexcitation.
Les troubles de l’humeur peuvent également donner lieu à des manifestations délirantes. La mélancolie délirante est assez banale, avec sa douleur morale figée dans des thèmes de culpabilité centrifuge, parfois universelle, et ses réactions suicidaires d’autopunition. La manie elle-même peut fournir un délire aux thèmes fuyants, kaléidoscopiques, avec variations colériques, euphoriques, ludiques.
L’évolution spontanée varie, selon les cas, de quelques jours à quelques mois. La durée s’en trouve très réduite par l’action thérapeutique. Mais le passage à la chronicité parfois s’observe; de plus, ces phases aiguës peuvent survenir au cours de psychoses chroniques. Cela n’a rien de contradictoire et témoigne de la complexité des phénomènes.
Les psychoses délirantes chroniques impliquent une atteinte plus profonde et durable du moi. Le moi, en un certain sens, se défend contre la dislocation et l’anéantissement en effectuant un véritable «travail idéo-affectif» qui aboutit à la construction d’un monde délirant en lequel se transpose l’existence même du malade. Pareille organisation s’affirme assez stable pour constituer la nouvelle historicité de la personnalité, du fait de l’existence d’un passé délirant, d’un remaniement délirant des anciens souvenirs réels (délire rétrospectif) et de projets délirants, dans la mesure où ils peuvent s’établir suivant un élan vers l’avenir. Cette réorganisation de la personnalité et cette reconstitution d’un monde consacrent et perpétuent l’aliénation.
Là encore se différencient les structures délirantes, qu’il serait scientifiquement et pratiquement dangereux de confondre, comme tend à le faire le mouvement psychiatrique anglo-américain. La psychiatrie française admet généralement, selon une terminologie restant influencée par Kraepelin, trois types de structure: paranoïaque, paranoïde, paraphrénique.
Les psychoses paranoïaques sont à la fois les plus accessibles à la compréhension d’autrui et les plus réfractaires à l’action psychologique. Le malade construit un «roman», aux significations assez claires quoique fausses, à la systématisation suffisamment cohérente, pourvue d’une logique interne, déraisonnable autant qu’impérieuse. Une passion morbide, proche de la passion normale, anime le jaloux, le revendiquant, l’érotomane, à partir d’un thème bien défini qui polarise toute l’activité du malade et confère à sa conduite un style particulier et une qualité de moins en moins adaptée à la situation. La sthénicité affective se trouve portée à son comble, sans que soient altérées la clarté de la conscience ni la cohérence de la personnalité. Le délire d’interprétation à thème persécutif est extensif par une prolifération de significations déréelles qui restent articulées entre elles avec cohérence. Dans la forme hallucinatoire, la prédominance des pseudo ou des quasi-perceptions, l’existence de phénomènes d’automatisme mental indiquent peut-être une atteinte plus marquée du moi, qui néanmoins subsiste.
Les psychoses paranoïdes peuvent être centrées sur le délire de la schizophrénie. La dissociation de la personnalité, son morcellement, l’ambivalence de ses tendances s’expriment dans un délire dépourvu de systématisation, incohérent, où se mêlent des thèmes syncrétiques, une symbolique surdéterminée, énigmatique, incompréhensible, contrastant par intervalle avec des prises directes sur le réel, un jugement lucide, une conscience partielle de l’état morbide.
Quant aux paraphrénies , elles se caractérisent par leur aspect imaginatif abondant, démesuré, fantastique, ayant presque une valeur poétique. L’extravagance d’une telle production n’empêche pas le malade d’être lucide, cohérent, voire adapté aux réalités et aux tâches extérieures.
Ces organisations délirantes de la personnalité sont durables, chroniques, ce qui ne veut pas dire forcément incurables. Les traitements psychiatriques permettent des améliorations souvent considérables et des réadaptations sociales valables.
Étiologie et pathogénie
Pathologie de la croyance, pathologie relationnelle, pathologie de la liberté, les délires sont connus dans leur phénoménologie, dans leurs caractères cliniques, dans leur dynamique affective, et, pour certains, dans leur causalité efficiente. Schématiquement, une certaine déstructuration (aspect et phénomènes négatifs) et une certaine restructuration (aspect et phénomènes positifs) de la personnalité tendant à défendre ainsi, sous une autre forme, son existence, conditionnent l’état délirant. Mais cela n’explicite pas la complexité du déterminisme délirant, ni la multiplicité des voies par lesquelles se préparent, se déclenchent ou se maintiennent les délires. Précisons seulement quelques points.
La réaction délirante de la personnalité à l’agression infectieuse (délire de la fièvre), toxique (alcoolisme, toxicomanies), traumatique (commotion cérébrale), émotionnelle (rupture affective, deuil, peur) présuppose déjà, dans certains cas, une autre condition, la prédisposition. Tout le monde ne délire pas, et tous les délirants ne délirent pas de la même façon.
La prédisposition marque une «fragilité orientante» de la personnalité, soit acquise par accumulation de conflits, de frustrations, etc. – cas plus rare qu’on ne le dit, car une personnalité solide résout ses conflits ou y fait face sans décompensation –, soit par insuffisance de développement de la personnalité, immaturité affective, dysharmonie, faiblesse du moi ayant une mauvaise organisation de ses défenses, insuffisante cohésion de la personnalité, soit par une disposition héréditaire infligeant au sujet une marque constitutionnelle.
Selon les théories psychopathologiques, l’essentiel des déterminismes est porté au niveau organique (phénomènes initiaux, neutres, anidéiques, automatiques de Clérambault, troubles du fonctionnement de la substance réticulée, de l’hypothalamus, pour G. Guiraud, par exemple), psychologique (fixation, régression, projection, dynamisme libidinal pour les psychanalystes freudiens, modalité existentielle pour les phénoménologues), sociologique (facteurs culturels pour les psychanalystes culturalistes ou sociologues; formalisme quasiment impersonnel pour le mouvement sémantico-structuraliste).
La conception sociale devient extrémiste avec l’idéologie «gauchiste», d’inspiration rousseauiste et anarchiste, qui nie la pathologie mentale comme telle et récuse totalement la psychiatrie, son savoir et sa pratique: la folie ne serait que la réponse individuelle à la mauvaise société, seule pathogène. Il suffirait de construire une «bonne» société. Sans doute ce genre de remède serait-il d’application plus difficile que la chimiothérapie et la psychothérapie.
Une position raisonnable et raisonnée, qui laisse ouverte à la recherche toutes les voies, admet un processus évolutif à substratum organique, à efflorescence psychologique avec tout l’aspect significatif et symbolique tenant à l’organisation existentielle de la personnalité, ce qui introduit nécessairement les actions et réactions sociales.
délire [ delir ] n. m.
• 1537; lat. delirium
1 ♦ État d'une personne caractérisé par une perte du rapport normal au réel et un verbalisme qui en est le symptôme, pouvant être provoqué par une cause physiologique (fièvre, intoxication, etc.) ou physique. ⇒ confusion (mentale), divagation, égarement. Avoir un accès de délire. Être en plein délire. Méd. Délire onirique. Délire alcoolique. ⇒ delirium tremens. Délire de persécution (⇒ paranoïa) . Délire hallucinatoire. ⇒ hallucination. Délire collectif; délire inducteur, délire induit.
2 ♦ (av. 1709) Agitation, exaltation causée par les émotions, les passions, les sensations violentes. ⇒ exultation, frénésie, surexcitation, transport. « Le délire d'une imagination échauffée » (Rousseau). « Cet amour paternel allait jusqu'au délire » (Balzac). — Vieilli Délire poétique. ⇒ inspiration.
♢ Enthousiasme exubérant, qui passe la mesure. Foule en délire. Quand il apparut en scène, ce fut le délire. « Si j'agite ma main vers des enfants, c'est un délire, des trépignements frénétiques » (A. Gide).
3 ♦ Fam. Chose excessive, déraisonnable. ⇒ délirant (3o).
♢ Intensif Chose extraordinaire.
⊗ CONTR. Lucidité, 1. sens (bon sens).
● délire nom masculin (latin deliriumj) Perte du sens de la réalité se traduisant par un ensemble de convictions fausses, irrationnelles, auxquelles le sujet adhère de façon inébranlable. Agitation mêlée de paroles incohérentes due à une forte élévation de température. Agitation extrême, frénésie, exaltation causées par des passions violentes, enthousiasme exubérant, dépassant la mesure : La foule est en délire. ● délire (citations) nom masculin (latin deliriumj) Alphonse de Prât de Lamartine Mâcon 1790-Paris 1869 La vie est un mystère, et non pas un délire. Nouvelles Méditations, À M. de Musset ● délire (expressions) nom masculin (latin deliriumj) Familier. C'est du délire, cela dépasse tout ce qu'on peut imaginer. ● délire (synonymes) nom masculin (latin deliriumj) Agitation mêlée de paroles incohérentes due à une forte élévation...
Synonymes :
Agitation extrême, frénésie, exaltation causées par des passions violentes, enthousiasme...
Synonymes :
- fièvre
- frénésie
- griserie
- ivresse
Contraires :
- calme
délire
n. m.
d1./d Désordre des facultés intellectuelles caractérisé par une perception erronée de la réalité, qui est souvent interprétée selon un thème (persécution, grandeur, mélancolie, mysticisme, etc.).
|| Par ext. C'est du délire!: c'est extravagant, insensé.
d2./d Fig. Trouble extrême provoqué par des émotions, des passions violentes. Le délire de l'amour. Foule en délire.
⇒DÉLIRE, subst. masc.
A.— MÉD. Trouble mental manifesté par un verbalisme incohérent.
1. PATHOL. État accidentel entraînant l'abolition de la conscience, et symptomatique de certaines fièvres ou intoxications. Être en délire; être plongé dans le délire; les délires de la fièvre. — Madame a eu le délire huit jours (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 1, 1859, p. 245).
2. PSYCH. Altération profonde du psychisme et de la personnalité, n'entraînant pas forcément l'abolition de la conscience, et caractérisée par de fausses interprétations ou de fausses perceptions. Les délires qui cèdent à l'immersion subite dans l'eau froide, et les folies plus lentes dont plusieurs médecins ont triomphé (CABANIS, Rapp. phys. mor. de l'homme, t. 2, 1808, p. 369).
SYNT. Délire aigu, alcoolique, chronique, collectif, onirique (ou onirisme), paranoïaque, systématisé, verbal; délire de culpabilité (ou d'autoaccusation), de grandeur, de persécution.
— P. compar. :
• 1. Je reste une minute dans cette soirée, et je sors avec une espèce d'horreur de la chose. Là, dans cette atmosphère, les gens les plus intelligents prennent tout à coup une officialité qui semble les détacher de l'humanité; vos amis ne sont plus vos amis, ne sont plus à vous, dans un enorgueillissement idiot, dans une sorte de délire des grandeurs.
GONCOURT, Journal, 1878, p. 1226.
— P. anal. [En parlant d'une chose concr.] :
• 2. — Société, tout est rétabli : — les orgies
Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars :
Et les gaz en délire, aux murailles rougies,
Flambent sinistrement vers les azurs blafards!
RIMBAUD, Poésies, L'Orgie parisienne, 1871, p. 104.
B.— P. ext., cour. Exaltation, excitation extrême. Un moment de délire; le comble du délire; tourner au délire.
1. [En parlant d'une pers. ou de ce qui lui est propre] Délire de l'âme; le cerveau en délire; le délire chorégraphique.
SYNT. Délire de l'esprit, de l'imagination, des sens; le délire universel, la foule en délire; un amoureux, un pieux délire; le délire musical; un délire de poésie.
2. [En parlant d'un trait de caractère, d'une passion] Le délire de l'amour, de la volupté. Le divin disciple de Socrate, dans le délire de sa vertu, vouloit spiritualiser les hommes terrestres (CHATEAUBR., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 255).
— Péj. Excitation hystérique :
• 3. Le totalitarisme tourne ici proprement au délire. On pense à ces fakirs de l'Inde qui tombent terrassés par l'ivresse extatique.
BARRÈS, Mes cahiers, t. 3, 1902-04, p. 221.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1478 deslere méd. (G. DE CHAULIAC, Chirurgie, f. 169 ds SIGURS); av. 1709 « exaltation poétique, égarement de l'imagination » (Regnard ds GUÉRIN). Empr. au lat. impérial delirium « délire, transport au cerveau ». Fréq. abs. littér. : 1 886. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 3 523, b) 2 508; XXe s. : a) 2 212, b) 2 339. Bbg. QUEM. 2e s. t. 1 1970.
délire [deliʀ] n. m.
ÉTYM. 1537; deslere, 1478; lat. delirium, de delirus, adj. « fou, extravagant », dér. de delirare. → Délirer.
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1 Méd. et cour. État d'une personne caractérisé par une perte du rapport normal au réel et un verbalisme qui en est le symptôme. — Cet état, en tant qu'il est entraîné par une cause pathologique : fièvre, intoxication, etc. (⇒ Delirium). || Le malade est en plein délire, en délire. ⇒ Délirer. || Sortir du délire. || Dans son délire, il a prononcé plusieurs fois ce nom. || Délire accompagné d'hallucinations.
1 La petite Fadette, en lui touchant le pouls, avait reconnu d'abord que la fièvre n'était pas forte, que s'il avait un peu de délire, c'est que son esprit était plus malade et plus affaibli que son corps.
G. Sand, la Petite Fadette, XXXIX, p. 247.
2 Lui, Jean, fut pris du tremblement de la grande fièvre; mais il continua de vivre, avec des alternatives de chaud délire et d'accablement extrême (…)
Loti, Matelot, XLIX, p. 190.
3 (…) s'il eut cet éclair de lucidité, pouvait-il encore faire la distinction entre le réel et ces incohérentes visions qui peuplaient son délire ?
Martin du Gard, les Thibault, t. IV, p. 149.
♦ État psychique d'une personne qui émet des idées fausses, en opposition avec la réalité ou l'évidence, généralement centrées sur un thème personnel. ⇒ Confusion (mentale), et (cour., sans contenu scientifique précis), divagation, égarement. || Avoir le délire, accès de délire.
♦ Méd. || Délire onirique. || Délire alcoolique. || Délire de persécution (cit. 6), de grandeur (mégalomanie). || Délire hallucinatoire. || Délire métabolique. || Délire collectif; délire inducteur, délire induit. || Délire d'interprétation.
4 Il a diagnostiqué un état confusionnel, avec délire onirique, qui normalement doit se résorber en deux ou trois mois, peut-être moins.
A. Maurois, le Cercle de famille, II, p. 215.
♦ ☑ Cour. Par ext. C'est du délire : c'est de la folie, c'est déraisonnable.
2 (Av. 1709). Littér. Agitation, exaltation causée par les émotions, les passions, les sensations violentes. ⇒ Enthousiasme, excitation, exultation, frénésie, surecthion, transport. || Le délire de l'âme, de l'imagination, de l'esprit, des sens. || Délire de l'ambition, de l'amour, de la colère, du désespoir. || Porter la passion jusqu'au délire.
5 Je sais fort bien distinguer en vous l'empire que le cœur a su prendre, du délire d'une imagination échauffée; et je vois cent fois plus de passion dans la contrainte où vous êtes que dans vos premiers emportements.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Lettre XI, p. 27.
6 Ce refus de tutoiement, cette façon brusque de briser un lien si tendre, et sur lequel il comptait encore, portèrent jusqu'au délire le transport d'amour de Julien.
Stendhal, le Rouge et le Noir, XXX, p. 216.
7 (…) cet amour paternel allait jusqu'au délire.
Balzac, l'Initié, Pl., t. VII, p. 379.
8 Songez surtout que je vous adore avec un emportement, une frénésie, un délire qu'aucune femme ne m'a jamais inspirés.
Th. Gautier, le Capitaine Fracasse, t. II, XVI, p. 208.
9 Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase, délire (…)
Flaubert, Mme Bovary, II, IX, p. 106.
♦ Vieilli. || Délire poétique. ⇒ Inspiration.
3 Enthousiasme exubérant, qui passe la mesure. || Quand il apparut sur scène, ce fut du délire. — ☑ Loc. En délire. ⇒ Délirant. || Une foule en délire.
10 Si j'agite ma main vers des enfants, en traversant un des nombreux villages, c'est un délire, des trépignements frénétiques, une sorte d'enthousiasme joyeux.
Gide, Voyage au Congo, in Souvenirs, Pl., p. 715.
♦ Fam. Au sens de l'intensif délirant. || C'est le délire, la folie d'enfer !
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CONTR. Lucidité, sens (bon sens).
Encyclopédie Universelle. 2012.