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SUISSE
SUISSE

À la charnière de l’Europe occidentale et de l’Europe centrale, dispersant ses eaux vers l’Adriatique, la mer du Nord et la mer Noire, la Suisse multiplie les contrastes géographiques. État continental enclavé, elle est cependant très largement ouverte aux courants du trafic international dont elle contrôle les principaux cols et tunnels. Pays essentiellement montagnard, jurassien et alpin, c’est dans le Moyen Pays des plateaux et collines qu’elle concentre la majorité de son potentiel économique et humain. À son étendue territoriale modeste répondent la densité de son peuplement, la variété de ses terroirs où l’agriculture se mêle à l’industrie. L’expansion contemporaine ajoute au pluralisme des langues et des cultures la présence d’une très nombreuse main-d’œuvre étrangère. Le portrait géographique de la Suisse résulte d’une superposition de traits qui se recouvrent sans coïncider: le cadre physique des grands ensembles naturels; les zones d’influence des métropoles; les particularismes des groupes ethniques alémanique, romanche, tessinois et romand. Dans cette synthèse de composantes, la nature a délimité vigoureusement des espaces, édicté des contraintes, dégagé des aptitudes, mais en nul autre pays européen la marque du travail des hommes n’est davantage présente dans les paysages.

«Démocratie témoin» à valeur exemplaire pour les uns (A. Siegfried), accident paradoxal de l’histoire, cristallisé dans des structures «archaïques», pour d’autres (Herbert Lüthy), la Confédération helvétique fait cohabiter, dans un État de droit, trois grandes ethnies européennes. Dotée, depuis 1815, d’un statut international de neutralité armée, se tenant à l’écart des blocs politiques qui divisent les nations, la Suisse est pourtant activement présente dans le monde contemporain. Terrain de rencontre, par les organisations internationales qu’elle accueille, refuge de capitaux, elle donne l’image d’un îlot de paix et de sécurité abritant un «peuple heureux» (Denis de Rougemont). C’est l’aboutissement d’un destin historique dont l’originalité prend corps au Moyen Âge. Jusque-là, en effet, la Suisse partage le sort commun de l’Europe centre-occidentale, à la charnière des mondes gallo-romain et germanique. Cependant, l’émiettement féodal, au lieu de se résorber devant la montée des grandes monarchies continentales, réussit à survivre, sous la forme d’une association de cantons souverains. À la fin du XIIIe siècle, autour des communautés forestières et pastorales qui commandent les cols des Alpes centrales, naît le mouvement d’émancipation de la tutelle des Habsbourg. Des solidarités politiques et économiques se nouent entre montagne et bas pays, entre villes et campagnes, et le noyau initial des huit cantons s’agrandit et se consolide au cours des luttes contre les maisons d’Autriche et de Bourgogne. À l’aube des Temps modernes, les guerres d’Italie permettent, non sans dissensions internes, une nouvelle extension, dans le cadre de la Confédération des treize cantons. La Suisse survit à la crise de la Réforme qui ajoute le clivage des religions à la diversité des idiomes et des souverainetés. Dès cette époque, elle est constituée dans ses traits essentiels: désengagement des conflits armés européens, affirmation de la neutralité, élaboration d’une forme de souveraineté qui lui permettra de ne pas être affectée par les idées forces qui modèlent lentement l’Europe, avec le centralisme étatique et le principe des nationalités. Les XVIIe et XVIIIe siècles sont une ère de paix et de prospérité fondée sur les revenus du service militaire à l’étranger et sur l’essor d’une première industrialisation. Des oligarchies patriciennes gouvernent les cantons, avec un esprit de conservatisme paternaliste où les élites pratiquent un large cosmopolitisme financier et culturel. La Révolution française passe sur la Suisse sans en bouleverser durablement les structures. L’action des jacobins locaux aboutit, en 1798, à l’occupation française et à une réorganisation autoritaire de la République helvétique unitaire sous l’hégémonie du Directoire. Mais, dès 1803, Bonaparte, par l’Acte de médiation, rétablit une Confédération de dix-neuf cantons. La Restauration de 1815 attribue à la Suisse ses frontières actuelles, lui garantit sa neutralité et un nouveau Pacte fédéral. Mais la bourgeoisie, qui désire la modernisation politique et économique du Corps helvétique, suscite, à partir de 1830, une agitation libérale qui, en 1845-1846, porte au pouvoir les radicaux. La guerre civile du Sonderbund (1847) voit se briser l’ultime sursaut des forces conservatrices. Les radicaux, vainqueurs, donnent à la Confédération une constitution démocratique et renforcent le lien fédéral. Ils demeurent au pouvoir, sans partage, jusqu’en 1919, puis gouvernent avec les partis conservateur et paysan. La Confédération reste à l’écart des deux grands conflits mondiaux et, après l’expérience de sa participation à la Société des nations, elle revient à sa vocation d’une neutralité «instrumentale», de truchement entre les peuples. Tandis que la «seconde révolution industrielle», née de la houille blanche, suscite une forte expansion économique, la Suisse, en dépit de l’extension croissante des compétences du pouvoir fédéral, reste très attachée au pluralisme des petites démocraties cantonales.

Les institutions politiques suisses se caractérisent par une grande stabilité, d’autant plus étonnante qu’elles régissent une société fortement fragmentée et diversifiée. Au carrefour des trois cultures européennes, la Suisse porte la marque des clivages linguistiques: aux trois langues, l’allemand, le français et l’italien, s’est ajoutée une quatrième, reconnue bien que mineure, le romanche. À l’exemple des langues, les clivages religieux traversent les frontières cantonales en s’interpénétrant. La Suisse est aussi exposée aux clivages politiques: il y a une douzaine de partis dans le pays. Cette image devient bien plus complexe si l’on y introduit la disparité économique et les différences d’attitudes d’un canton à l’autre. Dans ces conditions, l’établissement et le maintien du lien confédéral ne pouvaient se réaliser que dans le respect des diversités que garantit le fédéralisme.

La naissance lente et parfois agitée du canton du Jura – depuis la création du Rassemblement jurassien en 1947 jusqu’à l’adoption par le peuple suisse du référendum constitutionnel révisant les articles 1er et 80 de la Constitution fédérale et consacrant le vingt-sixième canton suisse – illustre la mise en œuvre des principes du fédéralisme: séparation du Jura du canton de Berne auquel il avait été rattaché en 1815, création d’un nouveau canton, qui, à l’instar des autres, se dote d’une Constitution (3 févr. 1977), d’un Parlement (Grand Conseil) de soixante membres et d’un gouvernement (Conseil d’État) de cinq membres élus au scrutin populaire direct. Ainsi, la Confédération compte désormais vingt cantons et six demi-cantons.

1. Géographie

La nature helvétique et la vie rurale

Avec 41 107 kilomètres carrés, la Suisse est un État exigu, qui s’inscrit dans un rectangle de 350 kilomètres sur 200. L’architecture de son relief s’articule en trois grands ensembles: le Jura, les Alpes et le Moyen Pays.

Le Jura

Le secteur jurassien, étendu de la Dôle, à la hauteur du Léman, jusqu’au chaînon des Lägern, au nord-ouest de Zurich, occupe 10 p. 100 de la superficie totale, mais il abrite près de 14 p. 100 de la population du pays contre 11,9 p. 100 en 1850. Cette région a donc pour originalité d’échapper au déclin démographique affectant, en général, la montagne européenne. Le Jura suisse comporte deux zones très différentes. Au sud-ouest de la ligne Moutier-Olten, par le Noirmont, on a une série de plis serrés, tombant abruptement sur le Moyen Pays, résultat d’une tectonique souple, où s’étirent des vals et des anticlinaux calcaires parallèles, culminant à plus de 1 600 mètres. Au nord-est, l’épaisseur moindre des sédiments et la proximité du socle hercynien sont responsables d’une tectonique cassante. Le plissement s’amortit en un Jura tabulaire, brisé de failles, troué de bassins, parcouru d’un dédale de cluses. Dans l’ensemble, c’est une barrière qu’échancrent de rares passages, vers la Franche-Comté (cols de Jougne, de Saint-Cergue, «Porte de France», au droit de Neuchâtel) et vers le sillon de l’Aar. Le climat de moyenne montagne océanique est beaucoup plus rude que ne le voudrait l’altitude, très humide, avec des étés frais, des hivers enneigés (la Brévine se pare de la dénomination de «Sibérie neuchâteloise»). La présence des marnes limite l’infiltration des eaux et les phénomènes karstiques et favorise la végétation. Celle-ci comprend un étage forestier de conifères et de feuillus, avec une pelouse alpine sur les sommets. Le milieu est peu favorable aux cultures, qui ont très fortement régressé. Les villages aux maisons massives, bien défendues contre le froid, vivent de l’élevage et de l’exploitation du bois, mais surtout de la mécanique et de l’horlogerie qui animent les bourgs étirés dans les vals. À l’orée de la plaine d’Alsace, Bâle, métropole excentrée et enserrée dans un étroit territoire, est la porte rhénane de la Confédération.

Les Alpes

Échafaudage géologique extrêmement complexe, le monde alpin couvre 58,5 p. 100 de la superficie de la Suisse, mais sa population, qui représentait 20, 7 p. 100 du total en 1850, est tombée à moins de 16 p. 100 en 1970. Les Alpes comprennent trois grands ensembles.

Au sud, les massifs cristallins forment un bastion de hautes montagnes, autour du «château d’eau» du massif Aar - Saint-Gothard, où les altitudes dépassent 4 000 mètres. Il est flanqué de trois ensembles moins élevés, découpés dans les schistes cristallins métamorphiques. La rangée méridionale des Pennines, qui domine le Rhône, entre le Grand-Saint-Bernard et le Simplon, dépasse encore 4 000 mètres dans le groupe Cervin-Mont-Rose. Elle se poursuit par le bloc tessinois des Lépontiennes, ébréché de cols (Simplon, San Bernardino, Splügen, Gothard) et plus fortement disséqué par le réseau du Tessin et les profonds lacs insubriens (Lugano, lac Majeur). À l’est, enfin, s’étendent les Rhétiques, où les schistes lustrés donnent des formes lourdes, surtout dans l’Albula, avec un réseau de hautes vallées, et, au Midi, un relief plus accentué, dans le Bernina et la Silvretta.

En avant des massifs cristallins, les Préalpes sont des empilements de nappes charriées, faites de roches sédimentaires, chevauchant la mollasse de l’avant-pays. Les Préalpes occidentales, du Léman à la Kander, sont constituées de deux châteaux de plis calcaires, les Préalpes vaudoises et l’Oberland bernois, encadrant une zone de flysch, aux sommets adoucis, découpée par la Simme et la haute Sarine, et toute feutrée d’herbages. Les Préalpes centrales, de la Kander à la Linth, sont les plus épaisses, avec la barrière escarpée de la Jungfrau-Titlis, dominant des montagnes aérées par un réseau de vallées branchées sur le lac des Quatre-Cantons. À l’est, longées par la dépression du lac de Walensee, qui relie Zurich au Rhin, les Préalpes orientales se relèvent et se ferment au trafic. Avec son climat continental, très contrasté et rude, la montagne alpine est inégalement favorable à l’homme. Les massifs cristallins, presque vides, fortement englacés, sont les plus hostiles, animés seulement par les stations touristiques et les barrages hydro-électriques. Les Préalpes forestières et pastorales, semées de maisons de bois très disséminées, surtout en pays alémanique, ont été le berceau de l’indépendance helvétique. Leur économie, fondée sur l’exploitation de la forêt et l’élevage bovin des races de Simmental et de Schwyz et renforcée par un tourisme d’été, puis d’hiver, a connu, dès les Temps modernes, une grande prospérité. Elles demeurent des montagnes consacrées à la production laitière, très humanisées. Mais, en dépit de l’aide spéciale que la Confédération accorde aux collectivités montagnardes, elles n’échappent pas au dépeuplement qui frappe l’ensemble de l’arc alpin. Les Grisons, plus secs et très ensoleillés, où un habitat permanent existe à de fortes altitudes, ont davantage encore une vie sylvopastorale menacée et s’orientent de plus en plus vers le tourisme.

En fait, les activités se localisent, avant tout, dans les vallées. Les unes, transversales, sont perpendiculaires à l’axe de la chaîne et permettent d’accéder aux cols du faîte alpin. La Suisse primitive, autour du lac des Quatre-Cantons, avec ses opulents prés-vergers, représente le paysage helvétique classique, et son prolongement, par l’axe Reuss-Tessin, a, de part et d’autre du Gothard, déterminé le destin historique du pays. Mais les vallées les plus originales sont de profonds sillons tectoniques longitudinaux, recreusés et calibrés par les glaciers quaternaires: ainsi le Valais, avec l’ensemble de ses vals, tributaires de la rive gauche du Rhône, et son symétrique, le Rheintal grison; l’Engadine, dont les paliers sont parcourus par l’Inn; au sud, la faille insubrienne qui a guidé le tracé du Tessin inférieur et la tête des lacs. Enfoncés dans le relief, ourlés de cônes de déjection propices aux habitats, ces domaines sont, au plein sens du terme, des régions «naturelles». Leur climat sec, réchauffé par le föhn, fait remonter au cœur de la masse alpestre la limite de la culture du blé, du maïs, des arbres fruitiers et de la vigne, surtout sur les versants d’adret, semés d’habitations secondaires et parcourus de «remues» entre les différents niveaux d’exploitation et de peuplement. L’industrie, par contre, sauf en lisière du Moyen Pays, ne s’est guère installée dans ces vallées, sinon sous la forme d’un équipement hydro-électrique dont l’énergie est exportée et d’usines d’électrochimie et d’électrométallurgie, d’une conception ancienne maintenant dépassée. La tonalité méridionale est particulièrement nette au Tessin, avec les châtaigneraies des hauts vals, les treilles de vigne et les plantes méditerranéennes et exotiques des rives lacustres. Là encore, le tourisme et le climatisme d’été ont reçu, surtout en Valais et en Engadine, le puissant appoint des stations de ski de haute altitude.

Le Moyen Pays

Le plateau suisse des francophones, le Mittelland des alémaniques est la région vitale de la Confédération. Elle représente 31,5 p. 100 de sa superficie, mais déjà 67,4 p. 100 des habitants en 1850 et plus de 70 p. 100 actuellement. Le Moyen Pays est une zone déprimée, un couloir entre Jura et Alpes, allongé sur 250 kilomètres et dont la largeur varie de 30 à 70 kilomètres. Sous l’uniformité apparente des paysages, c’est un fouillis de collines, d’une altitude de 500 à 800 mètres, qui se relèvent au contact des Alpes. Il s’agit d’une immense dépression, au fond ondulé, comblée de mollasses tertiaires et recouverte d’un manteau de Quaternaire fluvio-glaciaire. Ce matériel détritique tendre a été lacéré par l’érosion, qui a disséqué le relief. L’allure générale est celle d’une gouttière aux versants dissymétriques. À l’ouest, la limite est très nette avec le plongement des plis calcaires, dominant l’auge subjurassienne , occupée par les plaines de l’Orbe, de la basse Broye, par les lacs de Neuchâtel, Bienne et Morat, et par l’Aar inférieure. Elle est par contre beaucoup plus floue à l’est où la mollasse a été englobée par l’orogenèse alpine en une lisière de véritables montagnes (Gibloux, Napf, Righi, Rossberg, Speer, Gäbris), hautes de 1 200 à près de 2 000 mètres. Les «Préalpes de Saint-Gall», au nord du Walensee, sont, en fait, constituées de mollasse fortement redressée. La glaciation quaternaire a provoqué la formation de nombreux lacs de creusement et de barrage, parfois à demi engagés dans la masse alpestre. On a, aux deux extrémités du Mittelland, les vastes nappes du lac Léman et du lac de Constance (Bodensee), mais le phénomène lacustre est surtout présent dans la partie centrale (Sempach, Baldegg, Hallwil, nord du lac de Zoug, Zurich, Greifen). Au débouché des lacs, sur les effluents, de remarquables sites urbains contrôlent les portes du monde alpin. À l’est du sillon subjurassien, les aspects du Moyen Pays sont très variés. Dans la Suisse occidentale, romande, où les sommets ne dépassent pas 1 000 mètres, dominent, comme dans le Jorat ou le Gros de Vaud, les formes de plateaux, allongés parallèlement au front préalpin. La Singine, la Sarine, l’Aar ont incisé dans la mollasse des canyons dont le franchissement est malaisé. Le centre est occupé par la masse arrondie du Napf et par de larges croupes entre lesquelles sinuent l’Aar et la Reuss où dorment des lacs. En Suisse orientale, l’écharpe du Moyen Pays atteint, en arrière du Rhin et du lac de Constance, sa plus grande extension. Les gondolements profonds du socle donnent des dos de conglomérats, les Eggen , séparés par de larges dépressions marneuses, les Tobel , aux horizons dégagés.

Le climat du Mittelland est semi-continental, modérément enneigé, mais les hivers y sont froids et souvent brumeux, et les chaleurs estivales fortes. Le Mittelland est bien arrosé, avec un maximum de saison chaude, sauf à l’abri direct du Jura. Les rives des grands lacs abritent des microclimats qui ignorent presque les gelées et sont très propices aux vignobles. Dans l’ensemble, les sols de dépôts morainiques remaniés dominent, avec quelques placages de limons et des alluvions fluviales ou lacustres, souvent très fertiles. Le paysage de champs ouverts et laniérés est le plus fréquent avec des villages ou hameaux groupés, entourés de vergers, et des maisons paysannes cossues, surtout dans le pays bernois. La campagne, verdoyante, est extrêmement humanisée, très soignée et densément peuplée avec, surtout en Suisse allemande, une interpénétration des régions agricoles et des bourgs urbanisés et industrialisés. Les paysans ont déployé une extrême ingéniosité pour combiner des systèmes de culture aux assolements savants. Dans le canton de Genève, le sillon subjurassien (Seeland) et la vallée du Rhin, la dominante est aux céréales et au colza, associés aux plantes industrielles. L’«agriculture pour le bétail», mêlant cultures sarclées et cultures fourragères, est la plus répandue. La part des prairies artificielles s’accroît dans le Moyen Pays alémanique du Centre et du Nord-Est.

La population et les grands espaces économiques

Les forces de production

La population de la Suisse est, pour près de 90 p. 100, établie dans les zones d’altitude inférieure à 700 mètres. Le total des habitants est passé de 2,66 millions en 1870 à 3,8 en 1900, à 4,7 en 1950, à 5,429 en 1960, à 6,534 en 1985 et à 6,992 à 1994. La projection démographique est de 7 277 000 pour l’an 2000. La densité de 169,4 personnes au kilomètre carré en 1994 est l’une des plus fortes de l’Europe occidentale, et ce chiffre prend toute sa signification si l’on observe que près d’un quart du sol est improductif et un autre quart couvert de montagnes et de lacs. Après un fléchissement accentué, de 1900 à 1940, le dynamisme démographique s’est amélioré, mais demeure modeste, avec un taux de natalité de 12,6 p. 1 000 pour 1992 et une mortalité de 9,1 p. 1 000, qui laissent un taux d’accroissement naturel de 3,5 p. 1 000. L’émigration des Suisses, très forte dès le XVIe siècle et qui l’est demeurée relativement jusqu’au lendemain de la crise mondiale des années trente, est tombée à des valeurs très faibles, de 1 700 départs annuels. La Confédération, en revanche, est traditionnellement une terre d’accueil, des protestants du «Refuge» aux proscrits politiques du XIXe siècle. À partir de 1890, avec l’industrialisation massive née de la houille blanche, commence l’afflux des travailleurs étrangers. Les non-Suisses sont déjà 600 000 en 1914 (15,4 p. 100 du total) et atteignent en 1969 le chiffre record de 991 000 (16,1 p. 100). La «surchauffe» économique, à partir de 1950, augmente l’effectif des travailleurs étrangers, résidents, saisonniers ou frontaliers, si bien que, dès 1963, les autorités prennent des mesures de contingentement. Le nombre des étrangers soumis au contrôle était, en 1985, de 1,019 million (15,6 p. 100 de la population totale), dont 175 000 travailleurs à l’année ou saisonniers et 106 800 frontaliers. Les Italiens sont les plus nombreux, suivis des Espagnols, des Français et des Portugais. La surpopulation étrangère (Überfremdung ) est un problème qui perd l’acuité qu’il revêtait dans les années 1970. La composition ethnique de la population suisse montre une lente progression de l’élément alémanique (72,7 p. 100 en 1910 et 73,5 p. 100 en 1980) et italien (3,9 et 4,5 p. 100) au détriment des groupes francophone (22,1 et 20,1 p. 100) et romanche (1,2 et 0,9 p. 100).

Les grands espaces économiques

La réalité régionale helvétique échappe, de plus en plus, au découpage des cadres physiques pour s’ordonner en régions polarisées par quelques métropoles, détentrices des pouvoirs d’incitation et de décision. La prépondérance humaine du Moyen Pays, où la circulation aisée homogénéise l’espace, a facilité cette nouvelle répartition des activités. Cependant, si la concentration économique s’accroît, elle n’a pas entraîné, comme dans les pays centralisés, le dépérissement ou la stagnation des villes subordonnées. La fédéralisme a conservé à bien des centres des fonctions politiques et sociales de capitale. Le taux d’urbanisation est élevé: les 33 agglomérations, au sens suisse (communes de moins de 10 000 habitants, reliées à un noyau urbain de plus de 10 000 âmes), représentent, en 1985, avec 3 694 577 habitants, 58 p. 100 de la population totale. La coupure entre ville et campagne n’est jamais très nette, avec un semis de fabriques et d’immeubles dans un paysage rural et une absence de gigantisme urbain (5 villes seulement ont plus de 100 000 habitants dans leurs limites municipales et dénombrent, au total, 957 000 âmes). Aucune partie du territoire n’échappe vraiment à l’influence des deux points forts du réseau urbain, Bâle et Zurich, qui abritent les sièges de toutes les grandes banques et les états-majors industriels et commerciaux. Le groupe bâlois, avec un demi-million de dépendants, centre de l’industrie chimique, déborde sur le Jura du Nord, la porte de Bourgogne, l’Alsace et le pays de Bade, aire d’attraction de la Regio basiliensis . Zurich, dans un site de moraine lacustre terminale, et son canton (1,13 million d’habitants) rayonnent sur une nébuleuse de satellites qui s’étendent dans le Mittelland et le long des rives du lac. Les plus fortes densités sont enregistrées dans le «triangle d’or» industriel, dont les sommets sont Bâle, le canton de Lucerne (306 000 habitants) et Winterthour (110 000 habitants), voués à la construction des machines, aux industries de précision, aux textiles. Il mord sur le bord du Jura, autour d’Olten (250 000 travailleurs) et les débouchés alpins (région de Zoug: 110 000 salariés). La polarisation zurichobâloise s’exerce directement sur la Suisse nord-orientale, dans les cantons de SaintGall (400 000 habitants) et de Schaffhouse (70 000 habitants), à forte vocation textile, ainsi que sur le Jura, à mono-industrie horlogère, dont la capitale industrielle est La Chaux-de-Fonds, et sa lisière (dans les villes de Soleure, 57 000 habitants, de Bienne, 85 000, de Neuchâtel, 67 000), tout comme sur le rebord alpin (Berne, 310 000 habitants).

La présence alémanique, par le processus des concentrations et des fusions – auquel a échappé Nestlé, dont le siège est à Vevey – n’épargne pas la conurbation lémanique , du canton de Genève (366 000 habitants dont 34,6 p. 100 d’étrangers et 25 000 frontaliers) au pays de Vaud (Lausanne, 258 000 habitants), tout comme les cités; très vivantes, du Valais (Sion, 23 000 habitants; Sierre, 13 000), et s’exerce fortement au Tessin (278 000 habitants), dans les centres du Sotto-Ceneri, Lugano (30 000 habitants) et Bellinzona (17 000 habitants).

2. Histoire

Des origines à la naissance de la Confédération

L’occupation du sol commence à la fin du Paléolithique ancien (50000-8000 av. J.-C.), dans les grottes et abris sous roche des parties non englacées du Jura et des Alpes. Au fur et à mesure de la fonte des glaciers, les chasseurs de la fin du Paléolithique et les pêcheurs du Mésolithique (8000-3000 av. J.-C.) remontent les vallées du Moyen Pays et abordent la montagne. La densité augmente avec les civilisations agricoles du Néolithique (3000-1800 av. J.-C.) dont les groupes de cultivateurs et d’éleveurs fondent les premiers villages. L’âge du bronze (1800-750 av. J.-C.) coïncide avec un adoucissement du climat qui permet l’épanouissement des palafittes (cités lacustres) et le peuplement des Alpes. Des échanges étendus se nouent avec des régions lointaines. Aux XIIIe et XIIe siècles apparaissent, venus de l’est, l’incinération funéraire, le char, le cheval de trait. L’âge du fer (1750 av. J.-C.-début de l’ère chrétienne) est brillamment représenté en Suisse par les époques de Hallstatt et surtout le deuxième âge de La Tène (près du lac de Neuchâtel). Le mobilier des tombes princières atteste des relations avec les grandes civilisations méditerranéennes. Dès le Ve siècle avant J.-C., des tribus celtiques sont installées. Les Helvètes et les Rauraques du Jura et du plateau fondent des villages et des oppidums fortifiés. Ils adoptent l’écriture et la monnaie, tandis que les Rhètes des Alpes orientales pratiquent dans leurs hameaux l’économie pastorale.

Du début de l’ère chrétienne au commencement du Ve siècle, la romanisation marque profondément la Suisse. En 58 avant J.-C., César arrête, à Bibracte, la migration des Helvètes vers le Sud. Il les refoule dans leur région d’origine qui est, à cause des cols entre l’Italie et les vallées du Rhône et du Rhin (Grand-Saint-Bernard, Splügen), un élément de liaison essentiel dans l’organisation du monde romain. L’Helvétie ne forme pas une circonscription propre, mais elle est partagée entre les diverses provinces (au Ier siècle: Belgique, Rhétie et Narbonnaise; aux IIe et IIIe siècles: Germanie supérieure, Narbonnaise, Alpes Grées et Pennines; aux IVe et Ve siècles: Rhétie I, Grées et Pennines, Viennoise). La romanisation des Celtes indigènes se manifeste dans leur langage et dans leur genre de vie. Des domaines ruraux se créent, à l’intérieur du réseau de communication, dont les nœuds sont des camps militaires, comme Vindonissa (Windisch, en Argovie), où les chefs-lieux des principales colonies: Augusta Raurica (Augst), Julia Equestris (Nyon), Aventicum (Avenches), Octodurus (Martigny), Curia (Coire). Mais, dès le IIIe siècle, la prospérité est menacée par les premières incursions germaniques, et la Suisse devient une zone frontière de l’Empire, sur la défensive.

La grande migration des peuples barbares est un tournant capital dans le destin helvétique. À l’unification administrative, économique et culturelle de la période romaine succèdent les particularismes ethniques, linguistiques et territoriaux qui demeurent à la base de la Confédération. Les modalités de la germanisation sont différentes selon les régions. Elle est profonde au nord-est, avec les vagues successives des Alémanes. Les traces de la romanisation sont effacées au profit d’un nouveau paysage humain, caractérisé par l’habitat dispersé, la maison de bois, l’élevage et l’essartage des forêts. La pénétration fut intense sur le plateau et dans les Préalpes, plus sporadique dans les Alpes centrales, et surtout en Rhétie, où se maintinrent des idiomes latins, le romanche et le ladin. Peu à peu, et jusqu’au IXe siècle, les Alémanes se convertissent au christianisme, sous l’action des missionnaires et des abbayes. Qu’il s’agisse des Lombards au sud des Alpes ou des Burgondes dans le sud-ouest de l’Helvétie, la composante germanique fut initialement absorbée par l’élément celto-latin antérieur. Les Burgondes, déjà christianisés, furent installés par les Romains comme auxiliaires dans des secteurs dévastés et dépeuplés entre Saône et Jura. À la fin du Ve siècle, ils constituent autour de Genève un royaume indépendant et ils vivent en symbiose pacifique avec les autochtones dont ils adoptent la langue. La frontière entre les deux ethnies n’a que très peu varié depuis le haut Moyen Âge. Passablement indifférente à la topographie, elle coupe obliquement la Suisse, du Jura au haut Valais, à travers le Moyen Pays, les Préalpes et l’Oberland. Tandis que se constitue lentement la féodalité, les terres helvétiques mènent une vie effacée, dans le royaume mérovingien, puis dans l’Empire carolingien auxquels elles sont incorporées. La Suisse devient un conglomérat de souverainetés, laïques, ecclésiastiques et urbaines. Plusieurs dynasties aspirent à l’hégémonie: la maison de Savoie, au nord du Léman; les Zähringen qui, jusqu’à leur extinction, en 1218, créent dans le nord-ouest du plateau et au-delà du Rhin un véritable royaume dont les Savoie et les Habsbourg se partagent les dépouilles. De 888 à 1032, l’Helvétie fait partie d’un éphémère «second royaume de Bourgogne» dont le dernier souverain, mort sans enfants, a pour successeur l’empereur Conrad II. Elle relève désormais du Saint Empire germanique.

La naissance de la Confédération

L’indépendance des premiers cantons montagnards est liée au grand renversement de la conjoncture européenne qui s’effectue aux XIIe et XIIIe siècles. À la suite des croisades, l’économie continentale se ranime, avec la reprise des courants commerciaux et la floraison des villes. La recherche, par les empereurs germaniques, d’une prépondérance en Italie intensifie les échanges entre l’Allemagne et le monde méditerranéen. Elle postule une liaison directe à travers les Alpes centrales, dont les cols vont succéder aux antiques passages orientaux et occidentaux de la chaîne. À la fin du XIIIe siècle, les habitants d’Uri aménagent les gorges de Schöllenen qui permettent le franchissement du Gothard. Les vallées convergeant vers le lac des Quatre-Cantons prennent une importance géopolitique croissante. Dans les régions d’Uri, de Schwyz, d’Unterwald autour de Sarnen (Obwald) et de Stans (Nidwald) vivent des communautés forestières et pastorales, les Waldstätten , habituées à la gestion collective des bois et des alpages. Au début du XIIIe siècle, les Waldstätten sont sujets des comtes de Habsbourg et craignent pour leurs libertés. Ils recherchent l’appui de l’empereur qui accorde à Uri, en 1231, et à Schwyz, en 1240, une charte d’immédiateté les plaçant sous sa juridiction directe et leur accordant la faculté de se gouverner eux-mêmes. Mais Rodolphe de Habsbourg, déjà maître de Lucerne, au débouché de la route du Gothard, et dont les territoires enserrent les Waldstätten, est élu empereur en 1273. Il fait administrer les vallées par des baillis dont la rigueur indispose les populations. En juillet 1291, Rodolphe Ier meurt, et les communautés d’Uri, de Schwyz et de Nidwald resserrent leur union par le pacte d’alliance du 1er août 1291, document que les Suisses considèrent comme l’acte de naissance de leur confédération. L’attaque de Schwyz contre les terres du couvent d’Einsiedeln est le prétexte de la répression autrichienne. Mais les montagnards sont vainqueurs à Morgarten (15 nov. 1315) et les Habsbourg signent la paix en 1318. L’origine de la Confédération a suscité une tradition légendaire qui ne repose pas sur des textes contemporains ou des témoignages authentiques mais se fonde sur des chroniques écrites deux siècles après les événements. Au XVIIIe siècle, le mythe de l’helvétisme, né des théories de Jean-Jacques Rousseau sur la vertu et l’esprit démocratique des montagnards, alimentera un thème promis à une immense fortune: les exploits des héros de l’indépendance, Guillaume Tell, Arnold de Melchthal, Werner Stauffacher, liés par le serment de la prairie du Grütli. L’hypercritique du XIXe siècle a nié la valeur historique de ces légendes que les spécialistes considèrent à présent comme l’expression d’une tradition collective. En 1315, les Waldstätten confirment et resserrent leur alliance par le pacte de Brunnen. Dès lors, comme Schwyz avait eu un rôle très actif dans la lutte contre les Habsbourg, on prit l’habitude de désigner par ce nom: la Suisse, ou les Suisses, l’ensemble de la Confédération.

Au noyau primitif viennent s’agréger, pour des raisons diverses, une série de territoires qui, en soixante-deux ans, portent l’alliance de huit cantons. Lucerne adhère au pacte en 1332. À Zurich, ville d’Empire, les corporations d’artisans s’emparent, en 1336, du pouvoir et, en 1351, se lient aux Suisses. L’Autriche tente de reprendre la ville et, au cours de la guerre, les confédérés occupent Glaris et Zoug qui entrent dans l’Alliance en 1352. La cité de Berne règne sur de vastes territoires; le pouvoir des bourgeois, menacé par une coalition des seigneurs, est sauvé par l’aide des Waldstätten, alliés, à la bataille de Laupen (1339). En 1353, Berne entre dans la Confédération. Les huit cantons forment un amalgame politique assez lâche où les cantons forestiers forment l’élément de liaison entre les partenaires. Mais il est déjà assez fort pour briser les retours offensifs de l’Autriche à Sempach (9 juill. 1386) et à Naefels (9 avr. 1388).

L’expansion du XVe siècle

Au lendemain de Naefels se produit un événement décisif: les villes d’Allemagne du Sud, alliées des Suisses, sont battues par les princes d’Empire et leur ligue est dissoute, alors que les cantons maintiennent leur indépendance. Le destin de la Suisse commence à se séparer définitivement de celui de l’Empire. «La Suisse resta désormais le réduit du particularisme communal dans une Europe où, partout ailleurs, l’avenir appartenait à l’État territorial et unificateur» (H. Lüthy).

Les confédérés nouent des alliances de combourgeoisie avec leurs voisins: communautés comme Appenzell, les dizains du Valais, les trois ligues des Grisons; seigneuries comme les évêchés de Genève, de Sion, l’abbaye de Saint-Gall, les comtés de Neuchâtel et de l’oggenbourg; villes indépendantes comme Bâle, Soleure, Schaffhouse, Rottweil, Mulhouse. Mais l’expansion territoriale se fait également par des conquêtes. Entre 1403 et 1416, Uri, pour contrôler totalement le Gothard, occupe la Léventine (haute vallée du Tessin) et les vals Maggia et Verzasca. En 1415, les confédérés s’emparent de l’Argovie autrichienne et, en 1460, de la Thurgovie. À côté des alliés, ces territoires forment une nouvelle catégorie: les pays sujets, ou bailliages, propriétés d’un seul canton ou communs à plusieurs. La Confédération est, désormais, une puissance militaire redoutable. Le service obligatoire peut mettre sur pied 100 000 hommes aguerris, avec une infanterie armée de la hallebarde, sur l’ordre de la Diète fédérale. La surpopulation incite les cantons à signer avec l’étranger des accords qui stipulent l’envoi de mercenaires (80 000 au total).

En 1436, Schwyz et Zurich entrent en conflit pour la possession du comté de Toggenbourg, clé des routes vers l’Autriche et les cols grisons. Zurich s’allie à l’Autriche, mais les sept cantons remportent la victoire de Saint-Jacques sur la Sihl (juill. 1443). L’empereur obtient l’aide de la France. Charles VII envoie le dauphin Louis avec 40 000 mercenaires «armagnacs» qui tiennent les confédérés en échec, à Saint-Jacques sur la Birse (août 1444). Cependant la France signe la paix sans poursuivre son offensive et, au bout de dix ans de guerre civile, Zurich reprend sa place dans l’alliance.

La France de Louis XI est, tout comme les confédérés, inquiète des ambitions de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. Le roi persuade les Suisses de signer la paix avec l’Autriche (1474) et d’attaquer le Téméraire, pour porter secours à leurs alliés de Bâle et de Mulhouse. Le conflit prend une dimension internationale avec la Suisse, la France, les villes d’Alsace d’une part, et avec la Bourgogne, la Savoie et le duc de Milan d’autre part. En 1474, la haute Alsace est libérée, et, en 1475, les Bernois envahissent le pays de Vaud savoyard. Tandis que Louis XI et l’empereur signent une paix séparée, la Suisse, isolée, est attaquée par le Téméraire. Les confédérés sont vainqueurs à Grandson (2 mars 1476) et à Morat (28 juin 1476), remportant un immense butin et mettant fin au rêve d’hégémonie bourguignonne. Berne conservait, en possession directe ou en commun avec Fribourg, une série de terres vaudoises et les Valaisans gardaient le bas Valais, jusque-là savoyard. Au lendemain des guerres de Bourgogne, la suprématie des Waldstätten semble mise en question par les grands cantons. En 1481, la Diète de Stans ne peut trouver un accord, mais, à l’ultime moment, la rupture est évitée par l’arbitrage de l’ermite Nicolas de Flue. Fribourg et Soleure entrent dans la Confédération.

L’émancipation de la Confédération

La Suisse, sous le nom de Ligue de la haute Allemagne, fait toujours partie de l’Empire. À la fin du XVe siècle, l’empereur Maximilien Ier entend resserrer son emprise sur la Confédération avec l’aide des États du sud de l’Allemagne. Mais la «guerre de Souabe» se solde par la défaite des impériaux, à Frastenz, à Calven et à Dornach (1499). À la paix de Bâle, l’empereur reconnaît l’indépendance de fait de la Suisse. Bâle et Schaffhouse en 1501, Appenzell en 1513 entrent dans la Confédération, forte de treize cantons et dont la frontière se fixe, au nord, sur le Rhin.

La Suisse, par l’intermédiaire de ses mercenaires, prit une part active aux guerres d’Italie, et elle en profita pour étendre ses possessions au Tessin (Bellinzona et le val Blenio). En 1510, par l’entremise du cardinal valaisan Mathieu Schiner, les treize cantons adhèrent à la ligue formée par le pape Jules II contre la France. Leurs troupes conquièrent le Milanais et s’emparent de nouvelles terres au sud des Alpes: l’Ossola, Mendrisio, Locarno, Lugano deviennent des bailliages communs. En 1513, les Suisses sont à l’apogée de leur puissance militaire, battant les Français à Novare et assiégeant Dijon. Mais, les 13 et 14 septembre 1515, ils sont écrasés à Marignan (Melegnano) par François Ier. Cette défaite marque un tournant de l’histoire suisse. La Confédération cesse désormais d’intervenir directement dans les affaires européennes. En 1516, elle signe avec la France la paix perpétuelle qui lui procure de fortes indemnités et lui permet de conserver les bailliages du Tessin, sauf l’Ossola. Désormais, les Helvètes se limitent au fructueux service militaire mercenaire.

Dès 1519, à Zurich, Ulrich Zwingli prêche une réforme proche du luthéranisme. Diffusé par les humanistes, le protestantisme gagne Berne (1528), Bâle et Schaffhouse (1529); Glaris, Appenzell et Soleure se partagent entre les deux confessions, tandis que les cantons primitifs, avec Lucerne et Zoug, restent catholiques. La contestation pour le régime religieux des bailliages communs amène une guerre civile. Après la bataille de Kappel (1529), une trêve s’instaure, mais la lutte reprend en 1531, et l’issue de la seconde bataille de Kappel est favorable aux catholiques. La Suisse comprend désormais sept cantons catholiques (Uri, Schwyz, Unterwald, Lucerne, Zoug, Soleure et Fribourg), majoritaires à la Diète, et quatre cantons réformés (Zurich, Berne, Bâle et Schaffhouse). La Réforme s’étend dans le pays romand, où les villes, en l’adoptant, cherchent à échapper à la tutelle de leurs princes, comme les ducs d’Orléans à Neuchâtel ou la maison de Savoie à Genève. Elles signent des traités de combourgeoisie avec les cantons protestants. Les prédicateurs français (Guillaume Farel, Théodore de Bèze) ou vaudois (Pierre Viret) font adopter la Réforme à Neuchâtel en 1530 et à Genève en 1536. Les Bernois débloquent Genève attaquée par la Savoie et conquièrent le reste du pays de Vaud, où le protestantisme est imposé et qui devient un bailliage bernois. Fribourgeois et Valaisans occupent les autres terres savoyardes, au nord et à l’est du Léman. À Genève, Calvin, arrivé en 1536, établit une théocratie et domine la vie politique et religieuse de la cité jusqu’à sa mort en 1565. La Contre-Réforme arrête l’expansion du protestantisme. En 1564, Berne doit restituer au duc de Savoie le nord du Genevois et le Chablais, mais les Valaisans gardent le bas Valais. Les 11 et 12 décembre 1602 échoue l’«Escalade» des Savoyards contre Genève, ultime tentative pour reconquérir la «Rome protestante», où affluent les huguenots réfugiés.

La Suisse reste à l’écart de la guerre de Trente Ans qui ravage l’Allemagne. La menace pousse au renforcement de l’organisation militaire, avec la création d’une armée fédérale, chargée de faire respecter le territoire. Le «Défensional de Wil» (1647) est la première formulation de la neutralité armée de la Confédération. À la paix de Westphalie, en 1648, l’envoyé de la Suisse J. R. Wettstein obtient la reconnaissance de l’indépendance totale des cantons vis-à-vis de l’Empire. Les séquelles de la Réforme suscitent la réaction des cantons protestants, en minorité à la Diète. Après un premier échec à Willmergen (1656), la seconde guerre de Willmergen (1712) permet aux réformés d’obtenir la liberté de religion pour les bailliages communs.

La Suisse aristocratique

Le XVIIIe siècle est une période de paix extérieure et de développement économique. L’industrie textile de la Suisse nord-orientale vaut à la Confédération d’être l’un des premiers États européens, à l’ère de l’industrialisation prémanufacturière. Le service étranger procure d’abondantes ressources qui s’ajoutent aux profits de la banque. L’afflux des huguenots français, à la suite de la révocation de l’édit de Nantes, stimule la conjoncture. Il s’en faut pourtant que la Suisse réponde à l’image idyllique que répandent les adeptes de l’«helvétisme» et du droit naturel. La condition des paysans est très dure, et des jacqueries éclatent au lendemain de la guerre de Trente Ans (1653). Assemblage de républiques souveraines, la Confédération, sauf dans les petits cantons primitifs de démocratie directe (Landsgemeinde ), est gouvernée par des oligarchies autoritaires, menant une vie sociale et culturelle souvent brillante. Le pouvoir est détenu par un petit nombre de patriciens qui laissent certains droits politiques aux bourgeois, mais qui excluent de la vie civique les «habitants», descendants des immigrés récents, et les «sujets» de la campagne. Des tensions se font jour dans cette société hiérarchisée. En 1723, le major Davel tente de soulever le pays de Vaud contre Berne; en 1726 des troubles éclatent contre le prince-évêque de Bâle. Genève, alliée à la Confédération, est un creuset d’idées et les bourgeois réclament leur participation au pouvoir, ce qui motive des interventions répressives de Berne, de Zurich et des puissances étrangères (1707, 1762-1768). L’agitation s’étend aux «natifs», couche subordonnée de la société urbaine, composée des descendants des réfugiés et habitants installés après la Réforme et tenus à l’écart des droits politiques monopolisés par les familles patriciennes. Ils arrachent des concessions en 1781, et, en 1782, ils se révoltent. Le gouvernement oligarchique n’est sauvé que par une nouvelle «prise d’armes» de la France, de la Savoie et de Berne.

L’hégémonie française

La Révolution française éveilla des échos profonds dans les treize cantons. En 1792, les sujets alémaniques du prince-évêque de Bâle proclament la république et, à Genève, bourgeois et natifs renversent l’oligarchie. Le Directoire est décidé à mener une politique d’expansion territoriale. En 1797, il annexe à la Cisalpine la Valteline, sujette des ligues grisonnes. La France désire contrôler les cols des Alpes et tirer de la Suisse de fortes contributions en argent. Le prétexte de l’intervention est fourni par l’action des émigrés à Paris, comme le Vaudois Frédéric-César de La Harpe, ou par les appels à la délivrance du joug aristocratique adressés par les jacobins locaux, comme le Bâlois Pierre Ochs. Le 24 janvier 1798, les villes vaudoises se soulèvent contre Berne et proclament la République lémanique, aussitôt occupée par les Français. La révolution libérale gagne tous les pays sujets (Argovie, Thurgovie, bas Valais), justifiant de nouveaux empiétements du Directoire, à Fribourg et à Soleure (2 mars 1798). Les Bernois, après un premier succès, sont battus à Grauholz et ouvrent leur capitale à l’envahisseur (5 mars). Les cantons centraux résistent opiniâtrement, mais, après la chute de Lucerne et de Zoug, la défaite de Rotenturm (2 mai 1798) entraîne la capitulation d’Uri, de Schwyz, d’Unterwald et de Glaris. Mulhouse alliée des Suisses, Genève et le Valais sont occupés militairement. En septembre 1798, les Français brisent durement l’ultime sursaut du Nidwald. La Suisse est réorganisée, comme les autres «républiques sœurs», sur le modèle français. La République helvétique, centralisée, redécoupée en circonscriptions administratives, est gouvernée par un Directoire. Tous les habitants reçoivent l’égalité des droits, et le pouvoir électif censitaire passe à la bourgeoisie des possédants. Mais la République helvétique demeure occupée par la France, privée de politique extérieure, pressurée financièrement et plongée dans une grave dépression économique. En 1799, elle est un champ de bataille entre Français et Austro-Russes, autour de Zurich et dans les Alpes. La vie intérieure est instable et précaire, et les tenants du système fédéral manifestent une opposition croissante.

Avec réalisme, Napoléon comprend que la Suisse n’est pas mûre pour la centralisation unitaire. Devant les luttes entre fédéralistes et centralisateurs, il intervient. Les troupes françaises sont retirées et une consulta de députés suisses, réunie à Saint-Cloud, accepte une nouvelle constitution, rédigée par l’Empereur. L’Acte de médiation (19 févr. 1803) rétablit les treize cantons anciens, dans des frontières modifiées, et la Diète, mais elle fait aussi accéder au statut du canton de plein exercice les anciens pays alliés et sujets (Saint-Gall, Argovie, Thurgovie, Grisons, Tessin, Vaud). La Confédération helvétique, nom officiel qui apparaît pour la première fois, compte désormais dix-neuf cantons. Le calme intérieur revient et la Suisse bénéficie des grands travaux napoléoniens, comme l’équipement des routes alpestres. Mais le Blocus continental aggrave le marasme économique. Pour l’appliquer plus efficacement, Napoléon occupe le Tessin et annexe à la France le Valais (1810).

En 1813, deux armées alliées traversent la Suisse. La Diète abolit l’Acte de médiation, et, le 1er janvier 1814, Genève se libère de la tutelle française. La Confédération est représentée au Congrés de Vienne par des délégués de la Diète et des cantons. Le rôle déterminant fut joué par le Genevois Charles Pictet de Rochemont qui, après l’entrée de sa patrie dans la Confédération, fut également l’envoyé de la Suisse au Congrès de Paris et aux négociations de 1816 avec la Sardaigne. La Confédération reçoit, sur la base de trocs et de compensations territoriales, sa structure et ses frontières actuelles. Elle comprend désormais vingt-deux cantons, avec l’entrée du Valais, de Neuchâtel et de Genève dont le territoire est arrondi d’un seul tenant et relié au reste de la Suisse par la cession de communes savoyardes et françaises. Des zones franches sont établies autour de la ville, en Savoie et dans le pays de Gex. La neutralité et l’inviolabilité de la Suisse sont garanties par les Puissances et la neutralisation, avec droit d’occupation militaire, étendue au nord de la Savoie.

La Suisse libérale et démocratique

Après 1815, l’aristocratie rétablit l’ancien régime, renversé par la Révolution. Jusqu’en 1825, la situation économique est médiocre. La Diète a des pouvoirs réduits. Chaque canton garde ses douanes, ses postes, ses monnaies. Les libéraux réclament le retour aux libertés et à l’égalité civique et le renforcement du pouvoir fédéral.

Dans les années 1830 commence à se faire sentir un «décollage» économique avec les progrès du machinisme industriel et du tourisme étranger. La révolution parisienne de 1830 fait naître une série d’agitations qui amènent les cantons les plus importants (Thurgocie, Argovie, Saint-Gall, Schaffhouse, Zurich, Soleure, Lucerne, Berne, Vaud, Fribourg) à se doter de constitutions fondées sur le suffrage universel et à octroyer les libertés fondamentales. À Bâle, les citadins refusent l’émancipation politique des ruraux, et le canton se scinde en deux demi-cantons, Bâle-Ville et Bâle-Campagne. La Suisse accueille un grand nombre de proscrits politiques, ce qui lui vaut des difficultés avec ses voisins (conflit avec la France, en 1838, à la suite du séjour de Louis-Napoléon Bonaparte).

En face des conservateurs progresse le courant radical, qui a pour programme le renforcement du lien fédéral, la liberté religieuse et l’expansion économique. En 1841-1843, un conflit éclate dans le canton d’Argovie, de confession mixte, à cause de la fermeture de couvents, accusés par le gouvernement de fomenter l’opposition des catholiques à la nouvelle constitution libérale. En 1844, Lucerne rappelle les Jésuites, ce qui est considéré comme une provocation et motive les attaques des corps-francs radicaux. Les sept cantons conservateurs et catholiques de Lucerne, d’Uri, de Schwyz, d’Unterwald, de Zoug, de Fribourg et du Valais forment, en décembre 1845, une «alliance défensive séparée» (Sonderbund), tenue secrète. L’affaire des Jésuites et la révélation du Sonderbund divisent les cantons et amènent une recrudescence de l’agitation des radicaux. Ils prennent le pouvoir, à Lausanne, avec Henri Druey, le 14 février 1845. À Genève, l’insurrection populaire du 7 octobre 1846, dirigée par James Fazy, établit un régime démocratique. Le ralliement de Saint-Gall donne la majorité, à la Diète, aux cantons qui sont hostiles au Sonderbund. Elle en prononce la dissolution, mais les séparatistes refusent de se soumettre et se retirent de la Diète. Le 4 novembre 1847 est décidée une intervention armée contre le pacte séparé. Pendant vingt-six jours, une brève guerre civile oppose les milices fédérales, commandées par le général genevois Guillaume-Henri Dufour, aux troupes catholiques, sous les ordres d’Ulrich de Salis-Soglio. Le 14 novembre, Fribourg tombe, puis Zoug et Lucerne. Les cantons dissidents réintègrent la Confédération et expulsent les Jésuites. Les radicaux, vainqueurs, réorganisent la Suisse par la Constitution du 12 septembre 1848. Solution de compromis entre partisans et adversaires d’une grande autonomie des cantons, elle laisse à ces derniers une large indépendance. Mais le pays est doté d’un conseil fédéral de gouvernement, de deux chambres élues au suffrage universel (Conseil national et Conseil des États). La Confédération prend en charge les affaires étrangères, l’armée, les douanes, les postes et la monnaie.

Au lendemain de 1848, la Suisse inaugure une ère de grande stabilité politique. Les dernières hypothèques territoriales sont levées. Depuis 1707, Neuchâtel relevait de la Prusse; en 1848, les libéraux proclament la république et, en 1856, la contre-révolution royaliste est étouffée par l’intervention fédérale. L’entremise des Puissances aboutit, lors de la Conférence de Paris (1857), à la renonciation du roi de Prusse à ses droits sur le canton. En 1860, les libéraux de la Savoie du Nord, dont la capitale économique est Genève, réclament leur annexion à la Suisse. Napoléon III écarte cette menace par l’octroi d’une grande zone franche. En 1870-1871, la Suisse préserve sa neutralité et accueille les 83 000 hommes de l’armée française de l’Est. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, une vive compétition se fait jour au sein de la finance internationale à propos de l’équipement ferroviaire, complété par les grands tunnels du Gothard (1882), du Simplon (1906) et du Lötschberg (1912). En 1898, le peuple vote le rachat des principales lignes par la Confédération. Les régimes politiques des cantons et de la Confédération se démocratisent. La Constitution de 1848 est révisée en 1874, dans le sens d’une extension des pouvoirs fédéraux en matière militaire et de l’introduction du droit de référendum, complété, en 1891, par le droit d’initiative populaire en matière constitutionnelle. Après 1870, les rapports de l’Église catholique et de l’État sont secoués par la crise du Kulturkampf qui aboutit à la prépondérance de l’autorité civile en matière scolaire. Dans les dernières décennies du XIXe siècle, la «seconde révolution industrielle», née de la houille blanche, l’essor du tourisme, le développement de l’horlogerie, de la fabrication des machines, des produits alimentaires font de la Suisse un pays prospère, qui recourt déjà massivement à la main main-d’œuvre étrangère. Après 1870, la Fédération ouvrière suisse, groupant le Parti socialiste et les syndicats, préconise une politique sociale. En 1877, le travail est réglementé et, à partir de 1912, est promulguée une législation sur les assurances ouvrières. Après la fondation de la Croix-Rouge internationale, en 1864, les institutions internationales qui s’établissent sur le sol suisse se multiplient. La guerre de 1914-1918 met à l’épreuve la cohésion du pays, partagé entre les sympathies alémaniques pour les puissances centrales et celles de l’élément latin pour les alliés. En 1918, une vague de grèves révolutionnaires est brisée par l’action de l’armée. Le traité de Versailles confirme la neutralité suisse et abolit la neutralisation de la Savoie du Nord. La Confédération refuse l’annexion du Vorarlberg autrichien, mais conclut avec le Liechtenstein une union diplomatique, monétaire et économique. La suppression par la France des zones franches de Savoie, en 1923, provoque un litige tranché en 1932 par la Cour de La Haye qui ordonne le rétablissement des «petites zones» de 1815-1816. La Suisse entre à la Société des nations, dont le siège est à Genève, mais revient, en 1938, à la neutralité intégrale. Après 1919, les radicaux partagent le pouvoir avec les conservateurs et les paysans. La Suisse subit fortement les effets de la crise mondiale des années trente et, en 1936, le franc est dévalué d’environ 30 p. 100. La Seconde Guerre mondiale trouve le pays bien préparé militairement et économiquement. L’Allemagne, en dépit de quelques velléités en mai 1940 et en mai 1943, n’ose pas attaquer la Suisse, dont l’armée est commandée par le général Henri Guisan. L’économie de guerre et le plan Wahlen d’extension des cultures permettent de surmonter les difficultés d’approvisionnement. L’année 1945 trouve une Suisse solide et toujours attachée à son idéal politique de fédéralisme et de neutralité.

3. Institutions politiques

Répartition des tâches

Sur le plan institutionnel, la diversité s’ordonne dans un cadre fédéraliste à trois niveaux, le niveau fédéral, expression de l’union, et les niveaux cantonal et communal: 23 cantons (26 y compris les demi-cantons) et 3 029 communes.

Les cantons sont dotés d’une Constitution et d’un Grand Conseil qui est une assemblée élue au suffrage universel, sauf dans les quatre Landsgemeinde (Obwald, Nidwald et les demi-cantons d’Appenzell qui pratiquent des assemblées de citoyens), et à la proportionnelle dans la grande majorité des cas. Ils partagent une série de compétences avec la Confédération en matière économique et sociale, de justice et de police, de travaux publics et exercent à titre exclusif les compétences dans le domaine de l’éducation et de la culture: les universités, à l’exception des écoles polytechniques de Zurich et de Lausanne, les écoles secondaires et primaires relèvent des autorités cantonales. De son côté, la Confédération a la compétence exclusive des relations extérieures (politique de neutralité, politique commerciale et économique extérieure, traités internationaux), de la politique monétaire, des douanes et des P.T.T. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les pouvoirs des autorités fédérales se sont accrus en matière de politique économique, énergétique et de transports.

Institutions représentatives fédérales

Le fédéralisme s’inscrit également dans les structures de l’État central qui, tout en garantissant l’autonomie des cantons, assure leur participation au processus législatif. Le Parlement suisse comprend deux Chambres: le Conseil national de deux cents membres représentant le peuple suisse dans son ensemble et élu à la proportionnelle; le nombre de députés élus dans les circonscriptions que forment les cantons varie selon l’importance de leurs électorats: Zurich a trente-cinq députés, Berne vingt-neuf, Genève onze, les petits cantons (Appenzell Rhodes-Intérieures, Obwald, Nidwald, Glaris et Uri) n’en ont qu’un chacun. À côté de la Chambre du peuple, le Conseil des États associe les États fédérés au processus législatif. Chaque canton y envoie deux représentants, généralement à la majorité, soit quarante-six pour l’ensemble des vingt-trois cantons. Les deux Chambres ont des pouvoirs identiques: une loi ou un arrêté ne sont adoptés que lorsque les deux Conseils acceptent le même texte.

Gouvernement collégial et stable

Une des caractéristiques originales du système politique suisse réside dans la forme de son gouvernement fédéral, issu d’une élection au Parlement réuni en session jointe; le gouvernement fédéral est composé depuis 1959 selon une «formule magique» de 2 + 2 + 2 + 1, à savoir 2 conseillers fédéraux radicaux, 2 socialistes, 2 démocrates-chrétiens et 1 de l’Union du centre démocratique (autrefois P.A.B. = paysans, artisans et bourgeois). À ce critère partisan s’ajoute le souci d’un dosage complexe qui tient compte à la fois de l’appartenance aux grands cantons (Berne et Zurich), à des régions linguistiques (2 sièges au gouvernement sont traditionnellement réservés aux conseillers francophones dont un est parfois dévolu à un conseiller de langue italienne), de la personnalité et de l’implantation politique du conseiller fédéral. On recherche également un certain équilibre religieux.

En 1988, le Conseil fédéral comprend exceptionnellement deux conseillers fédéraux romands, un radical vaudois, Jean-Pascal Delamuraz, et un socialiste neuchâtelois, René Felber, ainsi qu’un démocrate-chrétien tessinois, Flavio Cotti. Les quatre conseillers fédéraux alémaniques se répartissent comme suit: un socialiste, Otto Stich de Soleure, un démocrate-chrétien, Arnold Koller de Saint-Gall, un U.D.C., Adolf Ogi de Berne, et, grande innovation depuis 1984, une radicale, Élisabeth Kopp de Zurich. La présidence, assumée par Otto Stich en 1988, change chaque année à tour de rôle.

Les trois grands partis nationaux gouvernementaux et l’U.D.C. – plus particulièrement implantée dans les cantons de Berne (9) et de Zurich (6) – représentent environ 80 p. 100 des sièges au Conseil national. Cette formule de gouvernement de coopération garantit une large assise à l’exécutif fédéral. Par ailleurs, celui-ci n’est pas directement responsable devant le Parlement, qui ne dispose d’aucun moyen de contrôle, tel que la motion de censure, à l’égard de l’exécutif qu’il a élu. De la sorte, le gouvernement fédéral demeure en charge au moins pour la durée d’une législature de quatre ans. Cette stabilité n’empêche pas le gouvernement de rechercher, fidèle à l’esprit de compromis qui caractérise le fonctionnement du système suisse, un consensus aussi large que possible. Il en résulte que l’opposition est quasi inexistante ou marginale dans un système où la participation au gouvernement tient lieu d’alternance.

Référendums et initiatives

Le recours au vote populaire sur des problèmes déterminés introduit un élément plus dynamique dans ce système stable. Les citoyens ont ainsi la possibilité de se prononcer non pas en fonction d’appartenances partisanes mais selon leurs options personnelles sur une question concrète. De ce fait, les institutions et les partis ont peu d’emprise sur ce processus qui aboutit parfois à des résultats contraires à leurs directives. Ces procédures, pratiquées dans les cantons et les communes, revêtent sur le plan fédéral les formes de référendums obligatoires ou facultatifs ainsi que d’initiatives constitutionnelles. Les référendums obligatoires interviennent pour toute modification de la Constitution qui, pour être approuvée, doit recueillir la majorité des votes et des cantons. De même, l’entrée de la Suisse dans l’Organisation des Nations unies ou dans la Communauté européenne prend la forme d’un arrêté soumis au référendum obligatoire du peuple et des cantons. Le référendum facultatif porte sur les lois et les arrêtés à la demande de 50 000 citoyens (depuis le référendum constitutionnel de septembre 1977). Les citoyens suisses disposent en outre d’un pouvoir d’initiative qui leur permet de proposer des projets de révision totale ou partielle de la Constitution: ces initiatives sont déclenchées par le dépôt de 100 000 signatures, soit moins de 3 p. 100 de l’électorat suisse. Le projet de révision est soumis au vote dans les mêmes conditions qu’un référendum constitutionnel. Ainsi, dans le système suisse, les gouvernés disposent d’un réel pouvoir qui leur permet de garder la haute main sur l’évolution constitutionnelle – en approuvant, en rejetant ou en suscitant des révisions constitutionnelles – de même qu’un certain contrôle sur le processus législatif au moyen de référendums facultatifs.

La démocratie semi-directe qui permet de prendre le pouls de la nation est à la fois un frein et un moteur. Globalement, les électeurs ont approuvé les trois quarts des révisions constitutionnelles depuis 1848: les propositions des dirigeants politiques ne se heurtent pas systématiquement au veto des citoyens. Le pourcentage de référendums facultatifs acceptés est bien plus bas, avec 40 p. 100 de projets approuvés. Cependant, ces référendums ne portent que sur 10 p. 100 des lois et arrêtés fédéraux, la grande majorité étant approuvée par le Parlement sans vote populaire. Bien que marginaux, ces scrutins référendaires ont bloqué au cours des deux dernières décennies quelques lois importantes, telles que celles sur l’aménagement du territoire (1967), l’aide aux universités, ou l’avortement (1978). Quant aux initiatives, sur un total d’environ 130 déposées depuis 1891, un tiers a été retiré et plus de la moitié rejetée. Ainsi, depuis 1974, sur seize initiatives, une seule contre les abus de la formation des prix (1982) a été acceptée. Mais le sens de ces rejets peut varier: par exemple, les initiatives contre la pénétration étrangère lancées par un mouvement traditionaliste ont été toutes désapprouvées. Néanmoins, en raison des 44 p. 100 de «oui» recueillis par la première initiative Schwarzenbach en 1970 et à cause des 34 p. 100 de 1974, les autorités fédérales ont infléchi leur politique à l’égard des étrangers et adopté des mesures plus restrictives concernant les travailleurs étrangers. Les tentatives ultérieures des promoteurs de la lutte contre les étrangers ont subi des échecs encore plus nets en 1977. Ainsi le sens de ces «non» apparaît positif. Cependant, les autorités fédérales ont contenu depuis 1977 la proportion d’étrangers entre 14 et 15 p. 100 de la population résidant en Suisse alors qu’elle était de 16,8 p. 100, soit plus d’un million, en 1974-1975. En revanche, à titre d’exemple, deux initiatives innovatrices ont été également rejetées: la législation antitrust proposée par l’Alliance des indépendants en 1947 et la participation dans l’entreprise lancée par l’Union syndicale suisse et le Parti socialiste en 1976. La première a néanmoins abouti à une loi sur les cartels, la seconde a provoqué une prise de conscience du problème. Ni l’initiative ni le contre-projet du gouvernement n’avaient pourtant recueilli l’approbation de l’électorat suisse. Ainsi la démocratie semi-directe, arme à double tranchant, est à la fois le véhicule des innovations et l’instrument d’opposition aux changements rapides. Mais elle permet aux gouvernants de connaître les aspirations et les oppositions des gouvernés et d’éviter ainsi que les conflits ne se durcissent. Malgré le taux de participation qui oscille entre 30 et 50 p. 100 des électeurs, le référendum et l’initiative associent de manière continue les citoyens suisses au processus politique, faisant contrepoids au pouvoir de l’exécutif du Parlement et des partis politiques.

Partis politiques

Avec ses douze formations politiques, la Suisse connaît un multipartisme accentué. La multiplicité de partis est cependant largement compensée par une forte concentration de l’électorat dans quatre partis qui participent au gouvernement fédéral. Ils représentent environ 80 p. 100 des électeurs, les huit autres partis se partagent les 20 p. 100 restant. Seuls les trois grands partis – le Parti radical démocratique (P.R.D.), le Parti socialiste (P.S.S.) et le Parti démocrate-chrétien (P.D.C.) –, qui regroupent plus de 60 p. 100 de votants, sont des partis nationaux disposant de formations dans la plupart des cantons. Les autres ne sont implantés que dans un nombre limité de cantons. Tous les partis suisses, à l’exception de l’extrême gauche représentée par les Organisations progressistes de Suisse (P.O.C.H.) et le Parti socialiste autonome (P.S.A.), se situent dans un espace idéologique centriste, plus proche de ceux qui caractérisent le Royaume-Uni et la république fédérale d’Allemagne que le spectre large des partis italiens, néerlandais et même français. Cette proximité idéologique facilite la recherche du compromis et la coopération gouvernementale.

À l’exemple d’autres États fédéraux tels que les États-Unis et la R.F.A., les partis sont avant tout des partis cantonaux fédérés dans une organisation nationale. De ce fait, les partis nationaux comportent une grande diversité de membres: les socialistes genevois côtoient les partis sociaux-démocratiques de plusieurs cantons alémaniques, de même que les chrétiens-sociaux genevois forment avec des partis conservateurs la famille démocrate-chrétienne. À cette diversité à l’intérieur des partis s’ajoutent des configurations différentes de partis selon les cantons. Ainsi, le professeur Girod distingue: neuf cantons à parti dominant (dont Appenzell Rhodes-Intérieures, où le parti catholique est le seul) et huit cantons à parti majoritaire, dont sept cantons catholiques (Lucerne, Nidwald, Obwald, Schwyz, Uri, Valais et Zoug) et un protestant (Appenzell Rhodes-Extérieures) où domine le parti radical. Les autres cantons pratiquent le multipartisme à deux variantes: tripartisme dans sept cantons (Berne, Fribourg, Grisons, Saint-Gall, Schaffhouse, Soleure et Tessin); multipartisme accentué, quatre partis (ou plus) marquent la vie politique et participent au gouvernement dans neuf cantons: Argovie, Bâle-Campagne, Bâle-Ville, Genève, Glaris, Neuchâtel, Thurgovie, Vaud et Zurich.

Élections fédérales: changement dans la stabilité

Il est intéressant de comparer les résultats des élections d’octobre 1987 avec ceux des élections de 1975, 1979 et 1983 (tabl. 1 et 2).

Le Parti socialiste obtient 51 sièges en 1979, 47 en 1983 et 41 en 1987, soit respectivement 25,5 p. 100, 23,5 p. 100 et 20,5 p. 100 des 200 sièges au Conseil national. Il a 19,5 p. 100 des sièges au Conseil des États en 1979 et seulement 13 p. 100 en 1983 et 10,9 p. 100 en 1987. Par ailleurs, les autres partis non traditionnels ou protestataires sont absents de la Chambre haute.

Depuis 1947, on constate une grande stabilité de l’électorat suisse et de légers déplacements de voix. Ainsi les trois partis nationaux représentent-ils ensemble plus de 60 p. 100 des voix et des sièges au Conseil national avec quelques fluctuations entre eux d’une élection à l’autre. Au cours des quatre dernières élections, leur nombre de sièges est passé de 148 à 134 tandis que le Parti radical a atteint son maximum depuis 1947 avec 54 députés. Et, pour la première fois depuis cinquante ans, le nombre de suffrages obtenus par les radicaux est supérieur à celui qui est recueilli par les socialistes: 23,4 p. 100 contre 22,8 p. 100 en 1983 et 22,9 p. 100 contre 18,4 p. 100 en 1987. Par ailleurs, à la stabilité relative de l’Alliance des indépendants, du Parti libéral et du Parti évangélique correspond un recul de l’Action nationale. Les petits partis de gauche enregistrent un léger gain de sièges en 1987, mais la distribution des sièges entre eux est modifiée au profit des progressistes et des écologistes et aux dépens du Parti communiste (P.D.T.) traditionnel. Le changement le plus marquant est le saut enregistré par le Parti écologiste qui passe de 4 à 9 sièges et obtient 4,8 p. 100 de voix. Ainsi l’influence des partis marginaux s’est accrue dans le Conseil national de 1987: sans bouleverser l’échiquier politique, un léger mouvement s’est produit sous l’apparente stabilité électorale.

Au Conseil des États, seuls les trois grands partis et deux de taille moyenne, l’U.D.C. et le Parti libéral, sont présents. La répartition des sièges entre le Parti radical et le Parti socialiste a changé en faveur de celui-ci à la suite de la percée exceptionnelle du P.S.S. en 1979 (9 sièges au lieu de 5 en 1975), percée qui ne s’est pas confirmée en 1987: le P.S.S. est retombé à 5 sièges, alors que le P.R.D. a retrouvé son niveau normal avec 14 sièges, seul le P.D.C. progresse en obtenant 19 sièges au Conseil des États.

Mais le propre du système suisse est que ces fluctuations électorales n’ont aucun effet sur la composition du gouvernement fédéral. Ce trait particulier explique en partie le taux élevé des abstentions, l’enjeu des élections ayant une portée plus limitée que dans les autres démocraties occidentales. La participation électorale était de 60 p. 100 en 1971. Elle a baissé en 1975 (52,4 p. 100) et en 1979 (48 p. 100) avant de se redresser légèrement en 1983 avec un taux de 48,9 p. 100. Plusieurs explications sont avancées à ce propos: la fréquence des consultations, la complexité des problèmes, l’enjeu limité, la stabilité politique et le fait que le vote n’est pas considéré par 63 p. 100 des électeurs comme le seul moyen d’influencer la politique du gouvernement. Par ailleurs, on observe que les autres formes de participation ou d’activisme politique sont nombreuses (discussion politique, action en faveur d’un parti ou d’un candidat, etc.) par comparaison avec des pays tels que la Grande-Bretagne, la R.F.A. ou l’Italie. Enfin, la Suisse détient le record de satisfaction et le record de confiance: d’après un sondage de 1975, 87,6 p. 100 d’électeurs suisses se déclarent «satisfaits» ou «tout à fait satisfaits» de leur vie en général (pour 80 p. 100 d’Américains et 67,8 p. 100 d’Italiens); 76 p. 100 disent faire confiance presque toujours ou le plus souvent au gouvernement (pour 35 p. 100 d’Américains et 14 p. 100 d’Italiens).

Le degré de satisfaction à l’égard du système politique et du fonctionnement de la démocratie est supérieur à 80 p. 100 en 1986 et ne descend jamais au-dessous de 76 p. 100. En revanche, la confiance faite aux dirigeants politiques a subi une forte érosion depuis 1972: de 65 p. 100, la confiance est tombée à 43,2 p. 100 en 1986, son niveau le plus bas autour de 36 p. 100 étant enregistré chez les jeunes de vingt-cinq à trente-quatre ans. De plus, un Suisse sur deux exprime désormais des réserves. Ce sentiment de satisfaction à l’égard du système politique et le degré de confiance, relativement élevé bien qu’en forte baisse, joints à la stabilité politique ainsi qu’à d’autres facteurs contribuent à expliquer sinon à justifier le taux élevé d’abstentionnisme qui ne cesse d’inquiéter les autorités politiques.

Groupes d’intérêt et processus de décision

Parmi les quelque mille deux cents associations socio-économiques, quatre organisations centrales émergent: l’Union suisse de l’industrie et du commerce (Vorort), l’Union syndicale suisse (U.S.S.), l’Union suisse des arts et métiers (U.S.A.M.) et l’Union suisse des paysans (U.S.P.). Ces organisations sont présentes tout au long du processus de décision. À l’exception de certains domaines de politique étrangère, de politique monétaire et de défense, l’administration fédérale procède à des consultations de groupements socio-économiques, de groupes de promotion ou d’intérêt public en se fondant sur les dispositions constitutionnelles (art. 27 ter , 32 et 34 ter ). La consultation, qui est devenue un des axes du système, intervient dans la phase préparatoire à travers un réseau d’environ trois cent cinquante commissions d’experts extraparlementaires réunissant entre trois mille et quatre mille experts extérieurs à l’administration fédérale (32 000 fonctionnaires) et au Parlement. Les trois quarts des sièges reviennent à quatre types d’acteurs: fonctionnaires fédéraux (28 p. 100), représentants des cantons et des communes (24 p. 100), professeurs d’université (12 p. 100) et experts provenant de firmes privées (12 p. 100), les groupes d’intérêt occupant 17 p. 100 de sièges (employeurs, travailleurs et divers). La composition des commissions tient compte de la répartition linguistique et régionale. Ce réseau de commissions consultatives remplit un rôle fondamental dans l’élaboration des projets de lois et dans la formation du consensus entre principaux intéressés.

Les groupes d’intérêt sont aussi actifs dans la phase parlementaire par l’intermédiaire soit des partis alliés, soit de leurs représentants directs. À ces divers stades peuvent intervenir les référendums et les initiatives. Ainsi la menace du recours au référendum facultatif est une arme que certains groupes brandissent lors de la recherche d’un compromis et à laquelle ils recourent en dernière instance. De fait, plusieurs affaires controversées ont été soumises au vote populaire: l’article conjoncturel accordant des pouvoirs élargis à l’État central, dont une première version a été acceptée en 1975 par la majorité des électeurs mais n’a pas réuni la majorité des cantons. La seconde version a été approuvée par une forte majorité de voix et tous les cantons en 1978. De même, la question des centrales nucléaires a suscité des mouvements protestataires et l’occupation de Kaiseraugst avant de donner lieu à une initiative populaire qui a été rejetée au début de 1979 par une faible majorité de voix et par une majorité de cantons. Ce processus de décision complexe et lent permet, malgré certains inconvénients et heurts, de rechercher un processus aussi large que possible en réduisant au minimum le niveau des conflits et en offrant des garanties aux régions, aux intérêts et aux groupes minoritaires. De la sorte, ce système fédératif complexe contribue au maintien de l’équilibre dans la diversité.

4. Situation économique

Conditions de base

Bien que dépourvue de ressources naturelles, la Suisse occupe, d’après le rapport de la Banque mondiale de 1987, la deuxième place parmi les pays industriels à économie de marché avec 16 370 dollars de P.N.B. par habitant en 1985. Sur le plan mondial, elle se situe derrière les États-Unis (16 690 dollars) ainsi que derrière un exportateur de pétrole à revenu élevé, les Émirats arabes unis, qui accumule des richesses extraordinaires pour une population restreinte, à savoir pratiquement plus de 19 270 dollars par habitant. Mais, à la différence de ces pays pétroliers, la richesse de la Suisse est le résultat d’un développement correspondant de l’industrie et des services qui se traduit par un niveau et une qualité de vie exceptionnels. Selon le rapport de l’O.C.D.E. de 1988 sur l’activité économique de la Suisse, celle-ci a enregistré une croissance annuelle de 2,2 p. 100 au cours des trois dernières années, un taux de chômage inférieur à 1 p. 100, une inflation de 2 p. 100 ainsi qu’un des revenus par habitant les plus élevés de la zone O.C.D.E., à savoir 20 000 dollars en 1987. Son déficit du commerce extérieur est transformé en large excédent grâce aux apports des assurances, du fret et du tourisme en particulier. Cet excédent de 5,75 milliards de dollars en 1987, équivalant à 4 p. 100 du P.N.B., a cependant tendance à s’amenuiser. De même, la vague de licenciements qui touche certaines industries d’exportations, jointe aux problèmes soulevés par le marché unique de la Communauté européenne prévu pour 1993, pourrait bien entamer cette situation privilégiée que la Suisse doit à la réunion heureuse de plusieurs conditions de base.

La paix extérieure et intérieure

Tout d’abord, la paix extérieure et intérieure a largement favorisé un développement continu et sans heurt. Depuis la guerre civile du Sonderbund en 1847 et la naissance de l’État fédéral l’année suivante, la Suisse a su se préserver des guerres européennes et mondiales en restant neutre; sur le plan intérieur, son système politique lui a assuré une évolution pacifique et progressive en la mettant à l’abri des secousses révolutionnaires et des conflits du travail. Dès 1937, une convention établissant la paix du travail est signée entre syndicats patronaux et ouvriers de la métallurgie: les partenaires sociaux s’engagent à ne pas avoir recours à la grève et au lock-out. Ce régime de la «paix du travail» est graduellement incorporé dans de nombreuses conventions collectives avant d’être intégré au droit des obligations. À présent, on compte environ mille cinq cents conventions collectives liant 1,3 million de travailleurs à leurs employeurs. Malgré quelques grèves et lock-out qui ont ébranlé la paix sociale au cours de la crise récente, l’obligation de régler les conflits sociaux par la négociation et par l’arbitrage demeure la caractéristique essentielle des relations de travail et de la bonne entente entre capital et travail en Suisse. Selon les onze sondages effectués de 1974 à 1985, 73 p. 100 des 1 000 personnes interrogées expriment des opinions positives, 20 p. 100 des opinions négatives et 7 p. 100 sont sans opinion.

Population

Le deuxième facteur de développement est constitué par la population active: un peu plus de 3 millions en 1981, dont environ un quart de travailleurs étrangers, soit la proportion la plus forte enregistrée en Europe occidentale. La population active a connu une croissance assez rapide au cours des vingt-cinq dernières années malgré la baisse de natalité et grâce à l’afflux de la main-d’œuvre étrangère. L’immigration s’est infléchie à la suite de deux événements: l’un de nature politique, à savoir le vote sur l’initiative Schwarzenbach en 1970 qui, malgré son rejet par 654 535 «non» contre 557 714 «oui», marque un tournant dans la politique d’immigration; le second est de nature économique, la crise de 1974 entraînant une réduction de la main-d’œuvre étrangère: les effectifs de la population active diminuent de 10 p. 100, les deux tiers de cette baisse étant dus au départ des travailleurs étrangers. De 897 420 en 1973, les travailleurs étrangers atteignent en 1977 leur minimum depuis 1962 avec 650 225, dont 83 058 frontaliers. Ces travailleurs viennent grossir principalement les effectifs de l’industrie et du tourisme, les autres branches du tertiaire – qui enregistrent néanmoins la plus forte expansion – recrutent leurs effectifs à concurrence de 75 p. 100 parmi les Suisses. En 1981, la population active, qui compte environ 700 000 étrangers dont 100 000 frontaliers, se répartit comme suit: 7,2 p. 100 pour l’agriculture, 39,5 p. 100 pour l’industrie, 53,3 p. 100 pour les services. Au cours des trois dernières années, le nombre de travailleurs étrangers s’est accru, atteignant 731 000 en 1986 et se rapprochant de 800 000 en 1987. Depuis 1950, le secteur primaire a perdu plus de la moitié de ses effectifs; la part du secteur industriel tend à se stabiliser tandis que celle des services continue à croître. En 1986, la répartition est la suivante: l’agriculture occupe 6,5 p. 100, l’industrie 38 p. 100 et les services 55,5 p. 100.

Au cours de la période 1974-1983, le chômage a pris des proportions fort modestes par comparaison avec les autres pays industriels. Encore inexistant au début de la crise en 1974, il atteint 0,4 p. 100 de la population active en 1975 (pour 4 p. 100 dans la Communauté européenne) puis, après une pointe de 0,7 p. 100 en 1976, il retombe à 0,4 p. 100 pour les deux années suivantes et régresse à nouveau à 0,3 p. 100 en 1979 et à 0,2 p. 100 en 1980 et 1981. Une nouvelle diminution de l’emploi est enregistrée au cours de 1982 avec un taux de 0,4 p. 100, suivie d’une forte croissance au début de 1983: le taux de chômage est alors de 0,9 p. 100. En 1987, le taux de chômage a baissé à 0,7 p. 100 pour l’ensemble de la Suisse; il demeurait plus élevé dans les cantons du Jura (2,3 p. 100), du Tessin (2,2 p. 100), de Neuchâtel (2,1 p. 100) et de Bâle-Ville (1,8 p. 100). En revanche, il était pratiquement nul dans les cantons d’Uri et d’Appenzell Rhodes-Intérieures. Dans l’ensemble, cependant, ce taux demeure dix fois moins élevé que celui qui est enregistré dans les pays de la C.E.E. L’adaptation du marché du travail à la situation économique a été bien meilleure que dans les autres pays industrialisés. Il faut cependant reconnaître que, comme le constate le rapport de l’O.C.D.E. de 1983, la marge de manœuvre qu’a constituée le volant de main-d’œuvre étrangère a certainement facilité l’adéquation de l’emploi aux nouvelles conditions de la croissance. La situation de l’emploi a contribué à réduire les tensions sociales. Mais les conflits de génération pourraient bien être ranimés par le vieillissement de la population, qui fait peser une charge lourde sur les travailleurs actifs. En l’an 2000, 55 p. 100 de la population seront confrontés avec les 23 p. 100 de moins de vingt ans et les 22 p. 100 âgés de plus de soixante ans. Les charges seront très lourdes, tant au titre de l’assurance vieillesse qu’à celui des dépenses médicales.

Capital et capacité financière

La Suisse est avec le Japon un des pays industriels dont le niveau d’investissement est le plus élevé. La part de l’investissement varie depuis des années entre un quart et un tiers du P.I.B. Ces investissements s’orientent en priorité vers les secteurs économiques qui demandent une forte densité de capital et un degré élevé d’innovation technologique tels que la chimie, l’industrie pharmaceutique et l’industrie des biens d’équipement. Dans ces branches, un poste de travail peut exiger un investissement d’un million de francs suisses. Le secteur privé contribue à 75 p. 100 de l’investissement, le reste étant couvert par l’États.

La Suisse dispose d’un des réseaux bancaires les plus denses du monde, avec un point bancaire pour 1 275 habitants, 433 banques dont la somme des bilans totalise 847 milliards de francs suisses en1986, soit trois fois le P.N.B. La Suisse détient le record mondial des carnets d’épargne par habitant. Elle enregistre en 1986 une épargne bancaire de 35 474 FS par habitant, de même qu’un endettement hypothécaire de 32 536 FS par habitant. Ce réseau bancaire draine ainsi l’épargne à l’intérieur et attire des capitaux du monde entier, dont l’afflux a conduit à l’établissement d’un intérêt négatif. Le rejet en mai 1984 par 73 p. 100 des électeurs de l’initiative populaire du Parti socialiste sur les banques confirme l’attachement des Suisses à leur système bancaire. Protégé par le secret bancaire, ce système offre les avantages de la stabilité à la fois politique et économique. Les taux d’inflation et de chômage modérés ainsi que la solidité de la monnaie étayent la confiance générale qu’inspire traditionnellement la Suisse. Il en est résulté une internationalisation progressive du franc suisse qui a consolidé son rôle de monnaie-refuge et de monnaie-placement. Premières créancières européennes sur l’euromarché de l’argent, les banques suisses assument le placement d’une part considérable des euro-emprunts. Ainsi, la Suisse accomplit-elle un rôle de plaque tournante financière sur la place internationale. En 1986, la balance extérieure des capitaux a enregistré, avec un actif de 692 milliards de francs suisses en regard d’un passif de 515 milliards, un excédent de 177 milliards. Grande exportatrice de capitaux, la Suisse détient le taux le plus élevé du monde par habitant.

Revenus par canton et distribution globale

Le revenu national de 33 167 FS par habitant en 1986 se répartit de manière inégale entre les cantons. Les cinq cantons les plus riches sont, dans l’ordre: cinq cantons représentant 1 820 000 habitants avec Zoug en tête dont le revenu par habitant le plus élevé de Suisse est de 52 460 FS, soit + 58,2 p. 100 d’écart par rapport à la moyenne nationale, suivi de Bâle-Ville avec 48 366 FS, de Genève avec 41 480 FS, de Zurich avec 40 477 FS et de Glaris avec 37 324 FS. Ces cantons représentent un tiers de la population en Suisse. On y trouve les principaux sièges de la finance et de l’industrie dont la chimie, les produits pharmaceutiques et la métallurgie. Leurs revenus moyens de 37 325 à 52 460 FS par habitant déséquilibrent la répartition au niveau national. À l’exception de cinq cantons totalisant 1 355 700 habitants, à savoir Bâle-Campagne (33 517 FS), Vaud (32 808 FS), Argovie (32 202 FS), Schaffhouse (31 683 FS) et Nidwald (31 566 FS) qui sont proches de la moyenne nationale, onze cantons avec 3 017 800 habitants se situent nettement au-dessous entre 30 590 FS (Grisons) et 27 042 FS (Lucerne): Berne 29 995 FS, Soleure 29 900 FS, Neuchâtel 28 799 FS, Saint-Gall 28 788 FS, Schwyz 28 680 FS, Fribourg 28 343 FS, Tessin 27 956 FS, Thurgovie 27 910 FS, Appenzell Rhodes-Extérieures 27 751 FS et Lucerne 27 042 FS.

Les cinq derniers cantons qui n’ont que 378 800 habitants forment le groupe à revenu le plus bas, entre 25 374 FS (Obwald) et 26 940 FS (Appenzell Rhodes-Intérieures), fourchette dans laquelle s’insèrent les cantons d’Uri (26 088 FS), du Valais (25 934 FS) et le Jura (25 890 FS). Le canton d’Obwald accuse un écart de 漣 23,5 p. 100 par rapport à la moyenne nationale. Ce groupe comprend des cantons agricoles faiblement industrialisés ou dotés d’industries qui, telle l’horlogerie, sont en difficulté ou en voie de restructuration.

Ainsi, il ressort de cet aperçu que la moitié de la population, soit 3,2 millions d’habitants des dix cantons, dispose d’un revenu proche ou supérieur à la moyenne nationale de 33 167 FS. Les 3 millions d’habitants des onze cantons vivent au-dessous de cette moyenne, mais dans une fourchette étroite, entre 27 000 et 30 000 FS par an. Un dernier groupe est constitué par le Valais et quatre petits cantons qui se situent entre 25 000 et 27 000 FS. À l’exception de Zoug (+ 58,2 p. 100) et de Bâle-Ville (45,8 p. 100), les écarts ont tendu à diminuer depuis quelques années, s’inscrivant entre + 25 p. 100 pour Genève et 漣 23,5 p. 100 pour Obwald. Comme se plaisait à le rappeler souvent Denis de Rougemont, la distribution relativement équilibrée des richesses entre cantons est probablement un des effets bénéfiques du système fédératif qui garantit l’autonomie et la participation des États membres.

La distribution globale des revenus apparaît elle aussi relativement équilibrée par comparaison avec d’autres pays industriels. La courbe de Lorenz élaborée sur la base des données de 1970 à 1976 fait apparaître que 90 p. 100 des habitants obtiennent 70 p. 100 des revenus distribués; aux deux extrêmes, 13 p. 100 des détenteurs de revenus reçoivent 1 p. 100 des revenus répartis et 0,02 p. 100 de la population cumule 7,6 p. 100 du total des revenus distribués.

La fortune des Suisses

La fortune moyenne des Suisses est la plus élevée du monde. Selon les travaux de W. Schweizer, la fortune nette par contribuable âgé de dix-neuf ans ou plus s’élevait, en 1976, à 92 000 FS. 20 p. 100 des Suisses ne déclarent pas de fortune, 25 p. 100 possèdent de petites fortunes inférieures à 20 000 FS, 18 p. 100 détiennent des fortunes de 20 000 à 50 000 FS, 15 p. 100 de 50 000 à 100 000 FS et 19 p. 100 de 100 000 à 500 000 FS. Une minorité de 3 p. 100 a une fortune supérieure à 500 000 FS. En revanche, la Suisse n’occupe pas une position de premier plan en matière de propriété immobilière et elle enregistre un taux exceptionnellement bas: 28 p. 100 des habitations principales en 1970 contre 33 p. 100 en R.F.A., 51 p. 100 en Italie, 64 p. 100 en Espagne et 68 p. 100 aux États-Unis. Une loi de 1974 a prévu une série de mesures qui ont contribué à accroître la propriété des villas et des logements.

Évolution de l’économie suisse

Croissance économique 1950-1970

Au cours des années cinquante, la Suisse a connu une croissance réelle sans précédent de son P.N.B. à raison de 4,6 p. 100 en moyenne par an. Cette croissance principalement quantitative a été fondée sur l’apport de la main-d’œuvre étrangère et sur des investissements extensifs aux dépens de l’innovation technologique. Cette période de prospérité porte la marque d’un libéralisme économique qui réduit au minimum l’intervention de la Confédération, des cantons et des collectivités publiques, à deux exceptions près: le système des assurances sociales, dont l’assurance maladie, ainsi que l’A.V.S. (assurance vieillesse, survivants) qui couvre les besoins essentiels des personnes âgées et des invalides au moyen d’une péréquation fondée sur les revenus du travail; et l’agriculture qui bénéficie d’une protection étendue et d’une indexation des revenus de la paysannerie calculée en fonction de la prospérité générale.

Les années soixante sont marquées par la poursuite de la croissance au taux moyen de 4,7 p. 100 du P.N.B. Mais, à la différence de la période précédente, la période de 1960 à 1970 subit une pression inflationniste de l’ordre de 4 p. 100 due à la fois à l’immigration massive, à l’extension de la production et à la croissance rapide des liquidités sur le marché monétaire. Tout en prenant des mesures «antisurchauffe», la Confédération s’engage massivement dans les investissements d’infrastructure (communications, routes, recherche scientifique et santé): ses dépenses vont doubler au cours de cette période que le professeur Peter Tschopp qualifie de transition entre le libéralisme optimiste des années cinquante et l’interventionnisme institutionnalisé des années soixante-dix.

La crise économique de 1974

La crise de 1974 provoque une forte récession de la production, une inflation continue et une augmentation du chômage qui demeure néanmoins le plus bas de tous les pays industriels. Le P.I.B. a accusé un recul brutal de 7,4 p. 100 en 1975, suivi d’un léger fléchissement en 1976 avant la lente reprise en 1977 et en 1978. Ce n’est qu’à partir de 1979-1980 que le P.I.B. retrouve son niveau de 1974, soit 101 milliards de francs suisses au prix de 1970. La crise est à l’origine de problèmes structurels dans l’industrie de la construction et dans certaines industries d’exportation, dont l’horlogerie, qui enregistre un taux annuel négatif de 漣 9,3 p. 100 entre 1973 et 1975 et une chute de 漣 32,7 p. 100 en 1981-1982. Ces difficultés dans les exportations ont été accentuées par la réévaluation du franc suisse qui rendait les produits, malgré leur qualité, moins compétitifs sur le marché mondial.

Cependant, après un recul en 1975 et des fléchissements en 1978 et en 1982, les exportations ont continué à augmenter en valeur: de 35,3 milliards de francs suisses en 1974, elles ont passé à 60,6 milliards de francs suisses en 1984 pour atteindre 67 milliards en 1986. En 1987, elles ont enregistré un nouveau fléchissement d’environ 1 p. 100. Les importations ont suivi une évolution parallèle: après une forte chute en 1975 de 42,9 milliards de francs suisses à 34,3 milliards, elles ont atteint 69 milliards en 1984 et 73,5 milliards en 1986. L’année 1987 a été marquée par une nouvelle progression de 5,3 p. 100. Au cours de la période 1960-1986, la structure des exportations a été modifiée: la part des machines et métaux ainsi que celle de la chimie se sont accrues de 40,9 et 19,2 p. 100 à 46,3 et 21,3 p. 100 respectivement, tandis que celle de l’horlogerie et celle des textiles et de l’habillement ont fortement reculé, passant de 15,5 et 13,1 p. 100 à 6,4 et 6,9 p. 100 respectivement.

Dépendance énergétique

Cette situation met en relief la dépendance de la Suisse à l’égard du monde, notamment dans le domaine énergétique. Elle conduit à une politique qui vise à réduire la dépendance par rapport au pétrole et à freiner la consommation d’énergie. Entre 1973 et 1981, le P.I.B. s’accroît en moyenne de 0,5 p. 100, la consommation totale de l’énergie de 0,4 p. 100, la consommation de pétrole décline de 3 p. 100 tandis que celle de l’électricité s’accroît d’autant. La production de l’électricité est restée essentiellement assurée par des centrales hydrauliques, la part de l’électricité d’origine nucléaire passant cependant de 12 à 30 p. 100 du total entre 1973 et 1981, et à 39 p. 100 en 1986. Entre 1970 et 1986, la part du pétrole dans la consommation d’énergie a diminué de 77,4 p. 100 à 65,9 p. 100. Malgré une réduction de la consommation en 1979, 1981 et 1982, celle-ci n’a cessé de croître, passant de 586 790 à 740 090 térajoules en 1986. Avec une progression de 3,1 p. 100, elle a atteint un nouveau record en 1987. Au début de 1988, les parlementaires des partis du centre droit (P.R.D., P.D.C., U.D.C., P.L.S.) ayant demandé l’abandon du projet de centrale nucléaire de Kaiseraugst en maintenant l’option nucléaire, on estime que ce projet est condamné. Pour la même période, l’autoapprovisionnement en énergie, qui était de 36 p. 100 en 1973, a atteint 50 p. 100 en 1981.

Rôle accru de l’État

Le début des années quatre-vingt est marqué par un engagement plus direct de l’État, et en particulier de la Confédération, tant sur le plan législatif et politique que sur le plan financier. Toute une série de lois et de mesures visent à encadrer les activités économiques et à renforcer la protection sociale. Ainsi la protection de la famille, de l’environnement et des locataires. Dès lors, la Confédération intervient dans toute une série de domaines, dont la recherche scientifique et la régulation de la politique économique et sociale. L’intervention de la Confédération, des cantons et des communes va d’autant plus accroître l’engagement financier de l’État que le secteur public n’a réagi qu’avec retard aux besoins d’infrastructure en forte augmentation. Cette intervention se traduit par le lancement des «conceptions globales» en matière de transports, d’énergie, de mass media notamment, ainsi que par un surcroît des charges financières.

Crise des finances publiques

Les dépenses de la Confédération ont été multipliées par dix en 1980 par rapport à celles de 1950, tandis que les dépenses des cantons ont été multipliées par quinze et celles des communes par treize. L’augmentation la plus forte est enregistrée au cours de la décennie 1960-1970, période de grande croissance économique pendant laquelle les dépenses publiques ont triplé aux trois niveaux. En regard de la croissance économique, qui accuse un net ralentissement entre 1970 et 1980, les dépenses publiques, quant à elles, ont plus que doublé. Les déficits des collectivités publiques s’élèvent à moins de 0,5 p. 100 du P.N.B. alors que dans les pays voisins ils se rapprochent de 3 p. 100. La crise des finances fédérales reflète l’engagement pris par la Confédération vis-à-vis des projets d’infrastructure nationaux, cantonaux et des assurances sociales. Par surcroît, les tâches et les responsabilités de la Confédération se sont amplifiées, tandis que certains de ses domaines traditionnels tels que les Chemins de fer et les P.T.T. ont subi des pertes et que les dépenses au titre de la politique agricole ont continué à croître. Par suite de la politique de redressement des finances publiques visant au retour à l’équilibre financier, les déficits ont été réduits à 173 millions de francs suisses en 1981 et à 424 millions en 1982. Le déficit s’accroît en 1983, atteignant 855 millions, puis enregistre un recul en 1984 avec 448 millions et une augmentation en 1985 avec 696 millions de francs suisses avant d’atteindre un fort excédent de 1 968 millions en 1986, rétablissant résolument l’équilibre des finances fédérales.

Politique monétaire

À la suite de l’introduction du système des taux de change flottant et de la crise économique, la Suisse a mis en œuvre une politique monétaire fermement restrictive. Cela a conduit à une réévaluation du franc suisse, à la baisse de la spéculation inflationniste mais aussi à des difficultés accrues pour l’exportation. Selon l’O.C.D.E., plusieurs facteurs ont permis, au cours de ces dernières années, de détacher les taux d’intérêt suisses des taux à l’étranger, renforçant ainsi l’autonomie du pays. En effet, à l’inverse de la situation des autres pays de l’O.C.D.E., les taux à long terme n’ont jamais dépassé nettement le taux d’inflation, même lorsqu’ils étaient les plus élevés en 1981. Étant donné la balance des opérations courantes excédentaire de la Suisse, son record historique en matière de stabilité des prix et sa politique monétaire restrictive, les autorités suisses ont bénéficié d’une haute crédibilité qui a renforcé l’attrait du franc suisse. Cet afflux a amené les autorités à introduire des intérêts négatifs et à limiter l’acquisition des biens immobiliers par les non-résidents (Lex Furgler). La part du commerce de la Suisse avec les États-Unis étant plus restreinte que pour la plupart des pays de l’O.C.D.E., une dépréciation vis-à-vis du dollar a une incidence plus limitée sur l’inflation et une contrainte extérieure plus faible. Bien que le franc suisse ait été d’abord surévalué puis déprécié avant d’être à nouveau surévalué par rapport au dollar, la Banque mondiale n’a pas entamé ses réserves officielles de manière significative lors de ses interventions et n’a pas eu recours à des emprunts à l’étranger. Le franc suisse a gardé sa solidité, qui contribue à en faire une monnaie-refuge.

Mesures de politique économique

En 1978, les chambres fédérales ont adopté un premier programme d’impulsions, suivi d’un second programme en 1982 ayant pour objet de renforcer l’économie en agissant sur l’offre et en facilitant les efforts d’ajustement. Les mesures prises visent à accélérer la diffusion des nouvelles connaissances technologiques, à développer la recherche dans de nouveaux domaines et à promouvoir les cours en informatique de gestion. Un second volet consiste à aider financièrement les régions axées sur une branche industrielle telle que l’horlogerie (Jura, Neuchâtel) et à soutenir l’implantation de nouvelles activités. Entre autres, des encouragements à la «consulte-technique» sont données, en particulier aux moyennes et petites entreprises, la Confédération et les cantons assurant conjointement le financement de ces organismes de consultation. Une aide particulière vise à renforcer l’économie jurassienne afin de rompre le «destin horloger» de la région et d’assurer la reconversion des travailleurs et des entreprises. Même si l’effort de la Confédération au titre de la restructuration industrielle n’est pas négligeable, il n’en demeure pas moins, selon l’O.C.D.E., que l’initiative privée a largement conditionné les redistributions sectorielles intervenues en Suisse depuis la première crise pétrolière. Selon un bilan établi en 1978, parmi les secteurs ayant enregistré les meilleurs résultats figuraient en particulier les industries chimiques et l’outillage; l’horlogerie, avec des performances médiocres, précédait les secteurs du textile et de l’habillement. Si l’on prend la base 100 en 1975, le secteur textile se situe en 1981 à 118, celui de l’habillement-lingerie à 112, alors que le secteur traditionnellement le plus dynamique des machines et appareils n’est qu’à 102 et l’horlogerie-bijouterie à 72. Grâce aux investissements dans des équipements performants, le secteur textile s’est spécialisé dans des produits «haut de gamme» et a obtenu de nets progrès de productivité entre 1975 et 1979 en particulier. Voilà un exemple de la capacité d’adaptation rapide de l’économie suisse. Selon l’O.C.D.E., la Suisse constitue un cas d’ajustement souple et rapide de l’économie aux contraintes de l’environnement international, le gouvernement exerçant un rôle d’incitation et d’accompagnement mais ne se substituant pas à l’initiative privée.

La Suisse dans le monde et en Europe

Dans la ligne de sa neutralité, la Suisse a déployé une série d’activités humanitaires, dont le C.I.C.R. (Comité international de la Croix-Rouge) est un exemple reconnu. De même, elle prend une part active dans les organisations internationales, économiques et spécialisées: elle participe en qualité de membre aux activités du G.A.T.T. et de la C.N.U.C.E.D. ainsi que des organisations spécialisées telles que l’O.M.S., le B.I.T., la F.A.O. et l’U.N.E.S.C.O. Membre de la Banque des règlements internationaux, la Suisse entretient des liens de collaboration étroits avec la Banque mondiale et le F.M.I., dont le «Comité des dix» l’a accueillie en tant que onzième membre. Cependant, une étape nouvelle des relations internationales a été inaugurée en 1982 par le message du Conseil fédéral concernant l’adhésion de la Suisse à l’O.N.U. Le refus opposé par les électeurs suisses à l’entrée dans l’Organisation des Nations unies a dépassé même les prévisions les plus pessimistes. En effet, le 16 mars 1986, 75,7 p. 100 des votants ont rejeté le principe d’une adhésion à l’O.N.U. de même que la majorité des cantons. Dans douze d’entre eux, leur verdict négatif a dépassé 80 p. 100 des voix. Le canton du Jura, le moins défavorable, a néanmoins enregistré 59,8 p. 100 de votes négatifs. La participation au scrutin a atteint le niveau inhabituellement haut de 50,7 p. 100, confirmant ainsi l’importance accordée à cette question.

Parmi les motifs exprimant ce vote, les commentateurs ont insisté sur la méfiance à l’égard de l’O.N.U., l’inefficacité de cette organisation ainsi que sur le souci de préserver la neutralité suisse.

La Suisse est largement tributaire du monde extérieur pour son approvisionnement en matières premières et en produits finis, et pour l’écoulement de ses produits manufacturés. En 1980, la part des importations est de 35,8 p. 100 et celle des exportations de 29,2 p. 100 de son P.N.B. Ses principales importations sont composées, outre les matières premières, de machines, de véhicules et de biens de consommation; alors que ses exportations comprennent traditionnellement les produits métalliques hautement transformés, les produits chimiques et pharmaceutiques, les textiles, les bijoux et les denrées alimentaires, dont les fromages.

Bien que les pays de l’O.C.D.E. contribuent au total, en 1985, pour 87,8 p. 100 de ses importations et pour 76,8 p. 100 de ses exportations, la Suisse a cherché à augmenter ses relations commerciales avec les pays en voie de développement. Ses échanges avec les pays de l’O.P.E.P. ont été ainsi multipliés par dix depuis 1972.

Les flux commerciaux sont soutenus par des mouvements traditionnels de capitaux qui ont porté le montant des sorties de capitaux des marchés financiers suisses vers les pays en voie de développement à 2,1 milliards de dollars. En regard de cet apport, des crédits à l’exportation et des aides directes à la balance des paiements des pays en voie de développement, l’aide publique au développement demeure modique.

Bien qu’ayant progressé fortement depuis 1980, l’aide publique suisse au développement, qui est passée de 0,24 p. 100 du P.N.B. en 1981 et 1982 à 0,30 p. 100 en 1984, demeure encore inférieure à celle de la plupart des pays de l’O.C.D.E., à l’exception de l’Autriche (0,28 p. 100) et des États-Unis (0,24 p. 100). Elle est bien au-dessous de la part du P.N.B. des pays tels que la Norvège et les Pays-Bas (1,2 p. 100), le Danemark (0,85 p. 100), la Suède (0,80 p. 100) et la France (0,77 p. 100). En revanche, l’aide publique suisse tend à rattraper celle du Royaume-Uni et celle de l’Italie (0,33 p. 100) ainsi que celle du Japon (0,35 p. 100).

Le partenaire principal de la Suisse est l’Europe occidentale qui forme le centre de gravité de ses relations commerciales: quatre cinquièmes de ses importations proviennent de cette région à laquelle sont destinées presque les deux tiers de ses exportations en 1986, le tiers restant se répartissant principalement entre les États-Unis (environ 9 p. 100) et l’Asie (15 p. 100). La Communauté économique européenne y occupe une place prépondérante: elle absorbe 56 p. 100 des exportations suisses et fournit 73 p. 100 des importations suisses. La Suisse est de fait profondément intégrée dans la C.E.E., davantage que la plupart des pays membres. Cette imbrication est soulignée par F. Blankart, secrétaire d’État, qui rappelle que «un franc sur trois gagné en Suisse provient de la C.E.E., de ce que nous exportons, investissons et rendons en service dans les États membres». D’autre part, les dix-sept compagnies transnationales d’origine suisse emploient dans la C.E.E. environ le double des effectifs de leur personnel en Suisse. À eux seuls, les trois grands de la chimie bâloise avaient en 1985 un effectif de 44 000 personnes dans leurs 132 unités de production et de commercialisation dans la C.E.E. et un chiffre d’affaires d’environ 10 milliards de francs suisses. La Suisse est partenaire important en tant que deuxième client de la C.E.E. après les États-Unis; l’excédent de sa balance commerciale en faveur de la C.E.E. a atteint 17 milliards de francs suisses en 1986.

Dans ces conditions, la Suisse poursuit une politique active à l’égard de la C.E.E. à laquelle la lie un réseau d’une centaine d’accords et d’arrangements: accords de coopération scientifique et technologique, accords en matière d’acier, d’horlogerie, de transports, etc. Malgré ce réseau dense complété par la coopération multilatérale entre C.E.E. et A.E.L.E., la Suisse, qui demeure à l’écart du processus de décision communautaire, est amenée à s’aligner sur les décisions de la C.E.E. afin de préserver ses intérêts.

Depuis l’entrée en vigueur en juillet 1987 de l’Acte unique européen qui prévoit l’amélioration du processus de décision de la C.E.E., le développement de la recherche et de la technologie, et surtout la réalisation d’un espace sans frontières intérieures avant la fin de 1992, les relations avec la C.E.E. sont devenues le problème vital pour la Suisse. Vu l’interdépendance asymétrique entre la Suisse et la C.E.E. ainsi que l’ampleur de la pratique d’alignement, la question se pose de savoir si, à la longue, la Confédération helvétique ne risque pas d’être à la remorque d’un développement européen qui, le cas échéant, entraînerait une perte d’indépendance plus grande que celle qu’impliquerait son adhésion à la C.E.E. Trois obstacles principaux se dressent sur la voie de l’adhésion: la neutralité, le fédéralisme et la démocratie directe. L’idée de la neutralité est fortement ancrée dans les esprits bien que l’environnement politique de la Suisse ait fondamentalement changé: autrefois entourée de pays ennemis, la Suisse est au cœur d’une Communauté formée par ces mêmes pays. Cependant, l’évolution de la C.E.E. vers une union politique comprenant des éléments de politique extérieure et de sécurité risque de mettre d’autres obstacles à une éventuelle adhésion à la C.E.E. La réduction des pouvoirs et de l’autonomie des cantons est invoquée comme conséquence de la participation du Conseil fédéral au Conseil de la Communauté européenne.

L’expérience du fédéralisme de la R.F.A. dans la Communauté européenne, la prédominance des compétences concurrentes aux dépens des compétences exclusives ainsi que l’utilisation croissante des directives qui ménagent un plus grand espace d’autonomie aux États membres sont autant de points de référence. Si le gouvernement suisse a choisi pour l’heure la voie médiane de coopération, l’avenir de la Suisse en Europe reste ouvert. Mais, à mesure que s’approche 1992 et que la Communauté européenne renforce son union, la Suisse sera confrontée à un choix fondamental. Dès lors, rien d’étonnant que cette question des relations de la Suisse avec la Communauté européenne préoccupe au premier chef les autorités et des couches de plus en plus larges de l’opinion publique. Quelle que soit la décision finale, l’avenir de la Suisse reste intimement lié à celui de l’Europe en voie d’union.

suisse [ sɥis ] adj. et n.
XVe; all. Schweiz
IDe la Suisse. Les Alpes suisses. La Confédération suisse est formée de cantons. helvétique . Le peuple suisse. helvète. Expressions, particularités suisses en français. helvétisme. Franc suisse. Hist. Régiments suisses, qui servaient en France sous l'Ancien Régime. Les cent-suisses.
N. Un Suisse; une Suisse ou une Suissesse . Suisses qui parlent le français ( romand) , un dialecte germanique ( alémanique) , l'italien, le romanche.
II N. m. (1619)
1Vx Portier, concierge d'un hôtel particulier, aux XVIIe et XVIIIe s. (son costume rappelait celui des mercenaires suisses).
Loc. prov. Point d'argent, point de Suisse : on ne donne, on ne fait rien pour rien. — Loc. (1829 boire avec son Suisse) Manger ou boire en suisse, tout seul, sans personne ou en cachette. « On sait que “je bois” — tout seul, en cachette — les jeunes gens disent en suisse » (Bernanos).
2Mod. Employé chargé de la garde d'une église, de l'ordonnance des processions, des cérémonies. bedeau, gardien. « Le suisse se tenait sur le seuil [...] plumet en tête, rapière au mollet, canne au poing » (Flaubert).
3Soldat de la garde suisse, au Vatican.
III N. m. (1791; au Canada 1632; de suisse,II, 3o) Écureuil rayé (sur la longueur) qui vit en Russie et en Amérique du Nord. tamia. « Elle avait aussi adopté les tamias, les “suisses” au dos si joliment rayé » (Ringuet).

suisse adjectif et nom De Suisse. (Le féminin du nom est parfois Suissesse.) ● suisse (difficultés) adjectif et nom Genre Pour le nom, le féminin est parfois Suissesse :un montagnard suisse, l'horlogerie suisse ; un Suisse, une Suisse ou une Suissesse. « Marie, en bonne Suissesse, aimait les fleurs »(A. Gide). ● suisse (expressions) adjectif et nom Troupes suisses, unités de l'armée française composées de Suisses. (C'est à Louis XI, renouvelant en 1474 l'accord passé en 1453 par Charles VII, que l'on doit le recrutement de soldats suisses, qui a duré jusqu'en 1830.) ● suisse nom masculin Nom donné, à partir du XVIIe s., au bedeau chargé de la surveillance de l'église, du bon ordre des cérémonies, et habillé à la façon des gardes-suisses de la maison du roi. (Les suisses ont pratiquement disparu.) Soldat de nationalité suisse servant dans les armées étrangères, et en particulier en France, sous l'Ancien Régime. Soldat de la garde suisse, au Vatican. Petit fromage frais cylindrique, à pâte non salée, préparé à partir de lait de vache préalablement enrichi en matière grasse. Nom usuel du pyrocoris. Au Canada, écureuil rayé. ● suisse (citations) nom masculin Jean Racine La Ferté-Milon 1639-Paris 1699 Il m'avait fait venir d'Amiens pour être Suisse. Les Plaideurs, I, 1, Petit Jean Jean Racine La Ferté-Milon 1639-Paris 1699 Point d'argent, point de Suisse, et ma porte était close. Les Plaideurs, I, 1, Petit Jean suisse (expressions) nom masculin Familier. Manger, boire en suisse, manger, boire tout seul, sans inviter personne.

suisse
(en all. Schweiz, en ital. Svizzera) ou Confédération suisse état de l'Europe centrale, entre la France, l'Allemagne, le Liechtenstein, l'Autriche et l'Italie. V. dossier et carte, p. 1500.
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suisse
adj. et n.
rI./r adj. De la Suisse.
|| Subst. Un Suisse, une Suisse.
|| n. m. pl. Gardes suisses ou gardes-suisses: V. suisses (gardes).
rII./r n. m.
d1./d Petit suisse ou suisse: petit fromage blanc enrichi en matière grasse, de forme cylindrique.
d2./d (Québec) Tamia rayé.

⇒SUISSE, adj. et subst.
I. — Adj. et subst. De Suisse.
A. — (Celui, celle) qui est originaire de Suisse, qui y habite. Synon. helvète (vieilli), helvétique. Citoyen suisse. On ne conçoit pas comment les femmes suisses, souvent douées de tant de charmes, s'avisent d'apprendre la musique, avant d'avoir épuré les sons discordants de leur langage (BONSTETTEN, Homme Midi, 1824, p. 95). Le plus original des écrivains suisses d'aujourd'hui, Ramuz, fait difficilement accepter aux Français d'outre-Jura sa langue pleine de substance vaudoise (Arts et litt., 1936, p. 38-4).
En empl. coll., subst. masc. sing. C'est une belle chose pour le Suisse de pouvoir, d'un regard, contempler son canton, embrasser du haut de son Alpe le pays bien-aimé, d'en emporter l'image (MICHELET, Peuple, 1846, p. 352).
B. — [En parlant d'un animal, d'une plante] Qui provient de Suisse, qui y vit ou y pousse. Végétation suisse. Les vaches de race hollandaise et flamande sont plus sensibles que les vaches suisses aux effets de l'inoculation (NOCARD, LECLAINCHE, Mal. microb. animaux, 1896, p. 270).
C. — [En parlant d'une chose] Qui est propre à la Suisse, à ses habitants.
1. [En parlant d'un inanimé concr.] Banque, franc suisse; Alpes, montagnes suisses. Que ne pouvait-elle s'accouder sur le balcon des chalets suisses ou enfermer sa tristesse dans un cottage écossais (...)! (FLAUB., Mme Bovary, t. 1, 1857, p. 45). On a découvert dans les lacs suisses d'assez nombreux vestiges des cités lacustres (R. LALANNE, Alim. hum., 1942, p. 20).
En partic. [En parlant d'un produit originaire de Suisse ou fabriqué en Suisse] Chocolat, fromage, montre suisse. Je dors deux heures à Brieg, bois pour la première fois du lait suisse (MICHELET, Journal, 1830, p. 74). V. couteau A 1 c ex. de Maurois.
♦ Domaine des instit. pol. Canton suisse. V. canton A.
♦ Domaine ling. Quant au roi de Portugal (...) Il parle le français avec un léger accent suisse (MÉRIMÉE, Lettres ctesse de Montijo, t. 2, 1855, p. 40). La collection de Frédéric Staub, de Zurich, particulièrement riche en ouvrages écrits dans le dialecte suisse allemand, a été acquise en 1898 (Civilis. écr., 1939, p. 48-4).
2. [Avec une valeur caractérisante] Qui présente certaines caractéristiques propres à la Suisse, à ses habitants. Neutralité suisse. Le moralisme et l'idéalisme suisses ont répugné absolument au roman naturaliste (Arts et litt., 1936, p. 38-4).
3. Loc. adj. À la suisse. À la manière des Suisses (évoquant le sérieux, la solidité, l'efficacité, le confort). Clubhôtel vous offre des stations de grande classe, la certitude d'un confort « à la suisse » (Le Point, 13 juin 1977, p. 141, col. 3).
Rem. Pour l'empl. des synon. helvète et helvétique, v. rem. sous ces mots.
D. — 1. HIST. DE FRANCE
Garde suisse, subst. fém. Corps de troupe formé de soldats suisses, organisé en régiment par Louis XIII et faisant partie de la Maison du roi jusqu'à la fin du règne de Louis XVI. Garde suisse ou, absol., suisse, subst. masc. Soldat de cette garde. La Révolution de Juillet avait laissé sur le pavé de Paris une foule de Suisses, de gardes du corps (...) qui mouraient de faim et que de bonnes têtes monarchiques, folles et jeunes sous leurs cheveux gris, imaginèrent d'enrôler pour un coup de main (CHATEAUBR., Mém., t. 4, 1848, p. 46). Son chapeau a la forme de celui des gardes suisses de Louis XVI (VILLARD, Hist. cost., 1956, p. 87).
Cent-Suisses, subst. masc. plur. Compagnie de soldats suisses créée par Charles VIII, qui fut intégrée aux gardes suisses à la Révolution et trouva une mort héroïque aux Tuileries en défendant la famille royale le 10 août 1792; p. méton., au sing. ou au plur., soldat appartenant à ce corps. On ne résiste pas toujours si longtemps à la soif; et en 1787, on vit mourir un des cent-suisses de la garde de Louis XVI, pour être resté seulement vingt-quatre heures sans boire (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p. 129).
Loc. proverbiale. Point d'argent, point de Suisse. V. argent II B.
2. Garde suisse, subst. fém. Corps de troupe formé de soldats suisses défendant jadis les États pontificaux et affecté aujourd'hui à la garde du Vatican; p. méton., groupe de soldats de ce corps. Le général monte aux appartements; arrivé dans la salle des sanctifications, il y trouve la garde suisse, forte de quarante hommes; elle ne fit aucune résistance, ayant reçu l'ordre de s'abstenir; le pape ne voulait avoir devant lui que Dieu (CHATEAUBR., Mém., t. 2, 1848, p. 395). Garde suisse ou, absol., suisse, subst. masc. Soldat de cette garde. Les Suisses ont conservé leur uniforme historique qu'ils arborent ici dans toute sa splendeur (J. NEUVECELLE, Vatican, portes ouvertes, 1980, p. 40).
II. — Subst. masc.
A. — 1. [Du XVIIe au XIXe s.] Concierge, portier d'un hôtel particulier, d'une grande maison, au costume chamarré rappelant celui des gardes suisses. Un suisse rouge et doré fit grogner sur ses gonds la porte de l'hôtel (BALZAC, Goriot, 1835, p. 78).
2. Laïc chargé dans une église du bon ordre des processions, des cérémonies, vêtu d'un uniforme chamarré avec baudrier, bicorne, canne et hallebarde. La grille du chœur (...) devant laquelle se tient debout un magnifique personnage splendidement harnaché; c'est le suisse (HUGO, Rhin, 1842, p. 103). V. hallebarde ex. de Musset et de Hugo.
3. Loc. verb.
a) Vx. Boire comme un Suisse. Boire beaucoup. Les trois jeunes gens mangeaient comme des lions, buvaient comme des Suisses (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p. 183).
b) Fam. Faire suisse (vieilli); boire, manger en/comme un suisse. Boire ou manger seul, sans inviter personne, en cachette. Je profitai de l'ombre et du repos des deux nuits passées dans ces fers et sur cette paille pour manger (...) le bienheureux pâté de perdreaux, en cachette, en suisse (VERLAINE, Œuvres compl., t. 4, Prisons, 1893, p. 376):
VANDERAGUE: Hé! là-bas, la coterie! V'là un client qui fait suisse. JOBERLIN: Où ça donc? VANDERAGUE (montrant Ledru): C'est çui-là! JOBERLIN: C'est pourtant vrai! Y boit tout seul. TOUT LE MONDE : Y fait suisse! Y fait suisse!
COURTELINE, Gaîtés esc., 1905, 6e tabl., p. 78.
4. Région. (Canada), ZOOL. Petit rongeur de la famille des Écureuils, au pelage rayé sur toute la longueur, vivant en Amérique du Nord. Mes débuts cynégétiques à moi, consistèrent à chasser à coup de bâton (...) les suisses que leur mauvais sort amenait sur les arbres de notre parterre (RINGUET, Confidences, 1965, p. 133 ds Richesses Québec 1982, p. 2219).
B. — COMM. Fromage frais, de lait de vache, à pâte molle et non salée, de forme cylindrique, pesant environ 60 grammes et comportant 60 % de matières grasses. À Gournay (...) on fabrique journellement des milliers de fromages double crème, dits suisses (POURIAU, Laiterie, 1895, p. 108). Le langage commercial actuel distingue le petit suisse, fromage frais d'environ 25 g, du suisse qui est deux fois plus volumineux (DUPRÉ 1972).
En compos. Petit-suisse.
REM. Suissesse, subst. fém. Femme suisse. Les filles n'y portent plus [dans l'Ain] le corset lacé par devant, le tablier de soie et le cotillon court qui les faisaient ressembler à des Suissesses (A. FRANCE, Vie littér., 1891, p. 156). Le féminin de Suisse est Suissesse, lorsque le mot est nom propre:un Suisse, une Suissesse (...) ce féminin tend à être remplacé par une Suisse (DUPRÉ 1972).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1762. Fém. parfois Suissesse [-]. A. Majuscule ou minuscule. 1. Un Suisse (nom) mais un produit suisse (adj.). 2. Dans des loc., avec majuscule ou minuscule selon les dict.: Point d'argent, point de suisse ds Ac. 1935, mais point d'argent, point de Suisse ds LITTRÉ, Lar. Lang. fr., ROB. 1985; boire en suisse, faire suisse ds Lar. Lang. fr., mais boire en Suisse, faire Suisse ds ROB. 1985. 3. Dans les sens dér. (domestique, garde d'église, soldat pontifical, fromage, écureuil) gén. avec minuscule. Seul Ac. dep. 1762 écrit avec majuscule: Suisses du Vatican. B. Trait d'union et plur. Les cent-suisses ds ROB. 1985; LITTRÉ consacre une entrée à cent-suisses où il donne aussi le sing.: un cent-suisse, mais s.v. suisse il écrit cent suisses sans trait d'union. Prop. CATACH-GOLF. Orth. Lexicogr. Mots comp. 1981, pp. 321-322: cent-suisse ou centsuisse, plur. des cent-suisses ou centsuisses. Petit suisse ds Lar. Lang. fr., mais petit-suisse ds ROB. 1985, plur. des petits-suisses. Étymol. et Hist. 1. a) 1461-66 subst. « habitant de la Suisse » (JEAN DE BUEIL, Le Jouvencel, éd. L. Lecestre, t. 2, p. 228); 1627 adj. « de Suisse » (SOREL, Le Berger extravagant, p. 19); b) 1782 « employé d'église en uniforme chargé de l'ordonnance des cérémonies » (MERCIER, Tableau de Paris, t. 2, p. 88); c) 1935 « soldat de la garde suisse, au Vatican » (Ac.); 2. a) 1619 « concierge, portier d'une grande maison » (Cl. D'ESTERNOD, L'Espadon satyrique, éd. F. Fleuret et L. Perceau, p. 113); b) 1828-29 (boire) avec son suisse (VIDOCQ, Mém., t. 3, p. 179: la petite chopine de vin qu'elle [la cabaretière] avale souvent avec son suisse); 1841 faire Suisse « boire seul » (d'apr. ESN.); 1893 manger, boire en Suisse « manger, boire seul » (VERLAINE, loc. cit.); 3. a) 1632 au Canada « écureuil à pelage rayé dans le sens de la longueur » (SAGARD, Le Grand voyage du pays des Hurons, pp. 305-306 ds Dict. du fr. québécois, vol. de présentation, 1985); b) 1872 « fromage blanc » (LITTRÉ); 1902 petit-suisse, v. ce mot. Nom des habitants de la Suisse. Au sens 1 a, cf. en 1455 Suissois (Archives du Nord, B 3537, n° 125789 ds IGLF). 3 a est prob. issu de l'anal. entre le pelage rayé de l'animal et l'uniforme des mercenaires suisses qui servaient en France, v. Dict. du fr. québécois, loc. cit. Fréq. abs. littér.:928. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 1 764, b) 1 952; XXe s.: a) 749, b) 944. Bbg. ARVEILLER (R.). R. Ling. rom. 1983, t. 47, p. 203. — GALL. 1955, p. 106. — QUEM. DDL t. 9, 21, 38.

suisse [sɥis] adj. et n.
ÉTYM. Av. 1617, zwisse, n. m., « langue suisse » (suisse-allemand); suysse, dans le même sens, 1619; suisse, « langue suisse » (suisse-romand), 1619; in D. D. L.; de l'all. Schweiz.
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I De la Suisse. || Les Alpes, les montagnes suisses. || La Confédération suisse est formée de cantons. Helvétique. || Anciennes institutions suisses ( Avoyer, consulte).Expressions, particularités suisses, en français. Helvétisme, suissisme. || Il a l'accent suisse.Littérature suisse de langue française, de langue allemande. || Chalet suisse (→ Platitude, cit. 6). || Le peuple suisse. Helvète. || Le ranz, chanson pastorale suisse. || Fromage, lait, chocolat suisse. || La fondue, la raclette, plats suisses. || Montre suisse.Franc suisse : unité monétaire de la Confédération (abrév. : FS).
(Personnes). || Il est suisse. || Elle est suisse par sa mère. || Nationalité suisse, passeport suisse.
N. || Un Suisse, une Suisse ou une Suissesse.Les Suisses parlent le français ( Romand), l'allemand, ( Alémanique), l'italien et le romanche.
1 Ils (le peuple des Grisons) boivent nuit et jour en Bretons et en Suisses,
Ils sont gras et refaits, et mangent plus que trois (…)
Du Bellay, les Regrets, CXXVII.
2 Lorsqu'on parcourt le village, on est étonné de la fraîcheur et de la grâce des petites filles; avec leurs grands chapeaux de paille, elles ont l'air de Suissesses (…)
Nerval, les Filles du feu, Angélique, XIe lettre.
Hist. || Régiments suisses, qui servaient en France sous l'Ancien Régime. || Les gardes suisses (→ Haie, cit. 9). || Le colin-tampon, batterie de tambour des soldats suisses. || Les cent-suisses.
2.1 (…) les gardes palatins en pantalon bleu et tunique noire, les gardes suisses cuirassés d'argent, rayés de jaune, de noir et de rouge (…)
Zola, Rome, p. 206.
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II (1635).
1 Vx. Portier, concierge d'un hôtel particulier, aux XVIIe et XVIIIe siècles (son costume rappelait celui des mercenaires suisses). → Apprivoiser, cit. 7; calculer, cit. 2. — ☑ Loc. (Jeu de mots, avec le corps des soldats suisses mercenaires). Point d'argent (cit. 59), point de Suisse.
3 C'est qu'il était alors, pour garder ses amis,
En qualité de Suisse à la porte commis (…)
Saint-Amant, Pièces diverses, « Le melon » (1635).
Loc. fig. (1829, de boire avec son Suisse). Vx. Boire comme un Suisse, beaucoup (→ ci-dessus, cit. 1, Du Bellay). || Faire Suisse (vx).Mod. En Suisse (comme un Suisse). || Manger, boire en Suisse, tout seul, sans inviter les amis.
3.1 Blaireau mettait une extrême coquetterie à ne pas faire Suisse, comme on dit au régiment, c'est-à-dire à ne pas boire seul.
A. Allais, l'Affaire Blaireau, p. 101.
4 On sait que « je bois » — tout seul, en cachette — les jeunes gens disent en suisse.
Bernanos, Journal d'un curé de campagne, p. 247.
2 (V. 1798). Mod. Employé chargé de la garde de l'église, de l'ordonnance des processions, des cérémonies. Bedeau (cit. 1), gardien. || Uniforme, hallebarde (cit. 2), canne de suisse d'église (→ aussi Désigner, cit. 4; majestueux, cit. 3; riche, cit. 6).
5 Le suisse, alors, se tenait sur le seuil, au milieu du portail (…), plumet en tête, rapière au mollet, canne au poing, plus majestueux qu'un cardinal et reluisant comme un saint ciboire.
Flaubert, Mme Bovary, III, I.
5.1 En tête, s'avançait un suisse superbe, bleu et argent, que suivait la croix processionnelle, une haute croix, d'un rayonnement d'étoile.
Zola, Lourdes, p. 100.
3 Soldat de la garde suisse, au Vatican. || Suisses et zouaves pontificaux.
6 (…) appuyé sur la hampe de sa hallebarde, en costume de lansquenet, ses yeux étincelant sous le heaulme, tout irréel, comme brusquement sorti de quelque tableau de vieux maître pour épier ici ma propre irréalité. À peine eus-je reconnu en lui un suisse pontifical que tout sentiment de sérieux m'abandonna (…)
P. Klossowski, la Révocation de l'Édit de Nantes, 1963, p. 16.
tableau Noms de métiers.
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III (1872, Littré). Petit fromage frais, en forme de cylindre, fabriqué à partir de lait de vache enrichi en matières grasses. || Acheter des suisses. || Demi-suisse. Petit-suisse (plus cour.).
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IV N. m. (1791; au Canada, 1632; de Suisse, II., 3.). Écureuil rayé (sur la longueur) qui vit en Russie et en Amérique du Nord (en angl. chipmunk). Syn. de tamia.
DÉR. Suissisme.
COMP. Cent-suisses. Petit-suisse.

Encyclopédie Universelle. 2012.