JURA
Le massif du Jura s’allonge en un arc montagneux entre le massif des Alpes et celui de la Forêt-Noire. Les mêmes plis, grossièrement parallèles, se retrouvent dans toute la chaîne; le versant occidental appartient à la France, alors qu’une grande partie du versant oriental se trouve en Suisse.
La surrection du Jura date des grands bouleversements de l’époque tertiaire. Au Secondaire, les mers avaient déposé une épaisse masse de sédiments recouvrant le socle ancien et comprenant des calcaires et marnes du Jurassique et du Crétacé. La chaîne du Jura s’est formée au Tertiaire terminal, à la fin du paroxysme alpin; cependant, la région avait été érodée depuis la fin du Crétacé supérieur.
Le massif, dans sa partie haute, fut longtemps plus traversé qu’occupé. À l’est de la voie romaine qui mène d’Avenches à Augst, la germanisation fut totale. Dans son secteur central, la frontière franco-suisse suit la ligne de rencontre des mouvements de colonisation médiévaux issus des avant-pays français et suisses. L’histoire du peuplement a ainsi renforcé la division en bandes méridiennes que le relief suggérait. La Réforme figea les oppositions de part et d’autre de la frontière: celle-ci sépare toujours des protestants (en Suisse ou dans le pays de Montbéliard) et des catholiques. La guerre de Trente Ans creusa plus encore l’écart entre les deux versants. Ainsi, cette montagne, dont toutes les régions semblaient vouées à une destinée commune, est aujourd’hui divisée en deux parties nettement distinctes. Chacune s’articulait en compartiments animés d’une vie propre et dotés d’industries spécifiques: ils sont restés longtemps isolés par la disposition du relief tandis que les véritables centres étaient rejetés à la périphérie.
1. Géologie
L’«arc» jurassien fait partie des zones externes des Alpes. Il constitue cependant une unité géologique et morphologique autonome car il est séparé des chaînes subalpines par la plaine molassique suisse (fig. 1 et 2). L’avant-pays est formé par l’île Crémieu, la Bresse, le massif de la Serre et, plus au nord-est, les collines et plateaux préjurassiens. Ceux-ci sont l’équivalent occidental de la couverture méridionale de la Forêt-Noire (Jura tabulaire oriental, traversé par le Rhin). Le Jura proprement dit est séparé des secteurs plus externes par une ligne presque continue de contact anormal. Son chaînon le plus oriental se dresse au-dessus de la plaine molassique suisse, qui constitue l’arrière-pays et au milieu de laquelle surgit le Salève, massif d’affinité jurassienne. Terre d’élection des précurseurs de la géologie, le Jura est la région de référence pour le système qui porte son nom et pour les stratotypes de plusieurs étages désormais classiques. Les caractères spéciaux de ses structures ont en outre permis de définir différents types de style tectonique. Enfin, les géographes ont souligné sa morphologie particulière (cf. CHAÎNES [géomorphologie]). Cependant, si l’individualité du Jura ressort des études stratigraphiques (fig. 3) comme des recherches structurales et morphologiques, son histoire géologique s’insère facilement dans celle des Alpes.
Stratigraphie
Les terrains primaires cristallins (gneiss, micaschistes, granites) n’affleurent que dans le massif de la Serre et l’île Crémieu; mais ils ont été atteints par des sondages (Lons-le-Saunier et Essavilly). Ces formations ont subi l’orogenèse hercynienne.
Le Carbonifère , reconnu par des sondages (Lons-le-Saunier), montre seulement des niveaux d’âge stéphanien inférieur et moyen: les schistes et grès sombres du Stéphanien inférieur de l’assise de Moiron comblent les dépressions d’un paléorelief asturien et reposent sur le conglomérat de Conliège; les schistes et arkoses blanches de l’assise de Lons-le-Saunier (250 m de puissance maximale) sont d’âge stéphanien moyen. Ils renferment des couches de charbon tandis que les niveaux détritiques (assise de Villeneuve) qui les surmontent sont stériles.
Le Permien ne semble représenté que par des couches détritiques (de 20 à 250 m d’épaisseur), attribuées au Saxonien. Les terrains d’âge stéphanien supérieur-autunien ont été sans doute déblayés par les érosions saaliennes. Le volcanisme qui suivit la phase saalienne s’est fait sentir aussi en Franche-Comté (formations volcaniques acides dans le massif de la Serre).
Le Trias offre dans l’ensemble un faciès de type «germanique». Les dépôts du Buntsandstein sont continentaux et trans
gressifs. Le Muschelkalk moyen et le Keuper sont en grande partie constitués par des évaporites; celles-ci ont facilité le glissement et le plissement disharmonique de la couverture mésozoïque.
Le Jurassique montre généralement deux ensembles à dominante marneuse (Lias et Oxfordien) et deux ensembles à dominante calcaire (Dogger, puissance de 150 à 200 m; Jurassique terminal, puissance de 250 à 350 m). Il forme l’ossature des structures. Le calcaire à gryphées du Sinémurien constitue souvent un ressaut dans les dépressions liasiques et offre un faciès très constant dans tout le Jura, tel celui des «schistes carton» bitumineux de la base du Toarcien. L’Aalénien terminal, formé de calcaire ferrugineux, fut exploité autrefois. Le Dogger se présente comme un dépôt de plate-forme carbonatée à l’ouest et au nord-ouest, tandis que plus au sud apparaît une transition aux faciès de la mer ouverte alpine. À partir du Bathonien supérieur, un haut-fond s’individualise au niveau de la haute chaîne. Dans l’ensemble, le Dogger est constitué de calcaire bioclastique ou oolithique mais renferme des passées marneuses («Vésulien») et des calcaires fins (calcaires bathoniens «de la Citadelle»). Les calcaires du Callovien moyen et supérieur, d’extension quasi générale mais d’épaisseur très faible (lacunes, flaques), ont été exploités localement pour leurs oolithes ferrugineuses et partout pour leurs fossiles. L’Oxfordien présente deux séquences. La première séquence (Oxfordien inférieur et moyen pro parte) correspond à une sédimentation nulle ou réduite au nord-ouest (Champlitte-Dole), au sud (île Crémieu) et à l’est (Jura interne), et à une série argileuse ou marneuse à fossiles pyriteux dans la gouttière comtoise, la Haute-Saône, le Jura externe et la Bresse. À l’Oxfordien moyen, la sédimentation calcaire reprend sur la haute chaîne. Dans le domaine franc-comtois se déposent des sédiments à faciès récifaux. La seconde séquence (Oxfordien supérieur) correspond à l’effacement du seuil de la haute chaîne. Les couches marneuses à astartés du Séquanien franc-comtois passent au faciès argovien.
Au Kimméridgien, les faciès carbonatés de la plate-forme gagnent vers le sud-est puis envahissent tout le Jura. S’édifie alors une véritable barrière corallienne (récif de Valfin, Saint-Germain-de-Joux), qui émerge temporairement (brèches à cailloux noirs, à characées, couches bitumineuses d’Orbagnoux). Dans le Jura central, les récifs se trouvent dans le Kimméridgien; plus au sud, ils apparaissent dans des niveaux plus élevés de la série (Portlandien, au Salève); parallèlement, les faciès à Céphalopodes envahissent les termes supérieurs du Jurassique. Cette évolution peut être due à des mouvements de bascule du socle selon des axes est-ouest, le principal de ces axes étant situé dans la région de Morez. Le Portlandien (puissance de 100 m environ) est souvent représenté par des calcaires dolomitisés et des calcaires à tubulures. Le Purbeckien, formation laguno-lacustre, situé à la limite du Jurassique et du Crétacé, constitue un niveau important de disharmonie.
Le Crétacé inférieur (Néocomien) atteint ses plus grandes épaisseurs dans la haute chaîne (La Faucille, puissance de 300 m environ) et dans le sud-est, à la limite de la plaine suisse. Au Berriasien, la mer revient avec hésitation (lacune du Berriasien supérieur) en déposant des marno-calcaires et des calcaires («marbre bâtard», autrefois rapporté au Valanginien inférieur).
Les «calcaires roux», d’âge valanginien, ont localement été exploités pour leur limonite. Dans le Jura méridional, des récifs se trouvent dans le Valanginien.
Le Hauterivien correspond à un approfondissement de la mer et montre partout ses deux ensembles classiques: «marnes de Hauterive» à la base et «pierre jaune de Neuchâtel» au sommet. Le Barrémien est calcaire; son épaisseur est très variable, du fait surtout des érosions ultérieures. Le faciès «urgonien» existe principalement au sud de Mouthe.
Le Crétacé moyen et supérieur ne constitue que des affleurements très limités. Les terrains de l’Aptien sont rares et souvent réduits à des galets et des fossiles remaniés dans des conglomérats. L’Albien présente la succession sables et marnes noires dans l’ensemble du Jura, sauf dans le sud (Bellegarde), où les marnes sont absentes. Le Cénomanien est gréseux dans le sud et crayeux dans le nord. Le Turonien et le Sénonien (partie inférieure) sont représentés par des calcaires crayeux dans le Jura central et septentrional. Dans le sud, ces calcaires renferment des silex. Les éléments d’âge maestrichtien du conglomérat d’Alfermée sont les seuls témoins du Sénonien terminal. Le Jura reliait la mer alpine à la mer de la craie du bassin de Paris.
Au Secondaire, l’un des traits dominants de la paléogéographie du Jura est certainement l’orientation est-ouest des lignes isopiques principales.
Les formations tertiaires , malgré leur extension très réduite, sont fort importantes au point de vue paléogéographique. À l’Éocène, période d’érosion et de karstification, tout le Jura est émergé et des dépôts continentaux remplissent des poches du substratum («bolus», silex patinés remaniés du Crétacé supérieur crayeux). À l’Oligocène se creusent des zones subsidentes qui isolent le horst jurassien. Les dépôts sont terrestres, lacustres ou fluvio-lacustres. Le Sannoisien existe localement (couches lacustres). Le Stampien inférieur est connu sur le pourtour du Jura et dans la région bâloise. Le Chattien et l’Aquitanien sont représentés surtout par des marnes colorées, des calcaires lacustres et des conglomérats à éléments principalement autochtones. Le Miocène est transgressif (conglomérats et sables à éléments exotiques, calcaires coquilliers); le Tortonien est généralement lacustre («Œningien»). Le Pontien est présent en Bresse (marno-calcaires gréseux) et dans le Jura bâlois (sables). Le Pliocène a été caractérisé dans le Sundgau (graviers) et en Bresse (sables). Les glaciers quaternaires ont occupé le Jura; mais seuls les dépôts wurmiens sont encore bien conservés.
Tectogenèse et morphogenèse
Les grandes subdivisions structurales sont nettes sur la transversale Lons-le-Saunier-Gex, où l’on distingue une zone externe («Jura des plateaux»), accidentée par des faisceaux de plis et de failles (fig. 1), et une zone interne où les plis sont la règle.
L’histoire tectonique alpine du Jura commence à l’aube du Tertiaire. Dès l’Éocène, le Jura émerge et l’érosion commence à l’attaquer; quelques déformations se produisent dans le Jura bâlois. À l’Oligocène (Stampien), une phase cassante fait naître des accidents subméridiens dont le plus spectaculaire est celui qui sépare la Bresse du Jura. Un accident du même type sépare alors, sans doute, zone externe et zone interne. Dans le Jura interne, des plissements apparaissent déjà en même temps que des accidents transverses; des conglomérats oligocènes se forment au pied de nouveaux reliefs. La mer revient une dernière fois au Miocène, presque uniquement dans le Jura interne. La phase paroxysmale se produit au Pontien: la couverture secondaire se décolle de son substratum au niveau du Trias (fig. 4) et glisse vers l’extérieur de l’«arc». La zone externe vient recouvrir l’avant-pays (fig. 5). À l’intérieur du Jura même se produisent des plis et des chevauchements; les plus importants sont sans doute ceux du faisceau helvétique sur la zone externe. La plupart des faisceaux qui bordent les plateaux acquièrent leur structure définitive (failles-plis, pincées, lanières). Dans le haut Jura, la présence de plusieurs grands accidents transversaux précoces permet l’évolution différentielle de certains panneaux de couverture et la naissance de structures complexes. Les cartes magnétiques suggèrent l’existence d’une importante discontinuité profonde, orientée est-ouest puis sud-est - nord-ouest et située à hauteur de Morez. Cette discontinuité, sans doute ancienne (cf. supra ), a pu jouer un rôle important lors de cette évolution. L’érosion rabote les nouvelles structures, nées à l’air libre, et dégage une surface polycyclique. Au Pontien terminal et au Plio-Quaternaire, quelques basculements favorisent une recrudescence de l’érosion. Des mouvements tardifs amènent l’exhaussement du chaînon le plus oriental du Jura, qui vient dominer la plaine suisse de plusieurs centaines de mètres, et les glaciers quaternaires s’installent.
Le raccourcissement global de la couverture mésozoïque est d’environ 30 p. 100 au niveau du Jura central, mais il n’existe pas de socle «dénudé» dans le Jura interne ni, semble-t-il, sous la plaine suisse. Différentes hypothèses ont été proposées pour expliquer ce fait: apport de couverture sur le Jura et rôle passif du socle au cours de la poussée alpine transmise par le Trias salifère, contraction du socle ou fuite de celui-ci vers les Alpes. Le rôle de la poussée à distance n’est certainement pas à négliger; cependant, il est probable que la partie superficielle du socle s’est aussi raccourcie, surtout dans le Jura interne (écaillage et naissance de fractures en réseau conjugué analogues à celles qui sont visibles en surface). Les niveaux les plus profonds du socle ont pu évoluer de manière plus indépendante et sans doute être entraînés vers les Alpes par subduction. Des théories récentes, fondées sur des modèles analogiques et sur des modèles numériques, admettent toujours un décollement de la couverture sur le socle dans le Jura interne et le chevauchement du Jura externe sur la Bresse. Mais la conception d’un décollement généralisé, à l’interface socle-couverture, selon une surface inclinée vers le sud-est, ne fait pas l’unanimité.
Dans le Jura interne, le décollement serait dû à une poussée horizontale résultant du poinçonnement, par le bassin molassique, de son avant-pays. Les socles de la Forêt-Noire, au nord, et du Bas-Dauphiné - île Crémieu, au sud, auraient joué un rôle de poinçons passifs en constituant des butoirs, restés probablement assez stables et qui auraient contraint le Jura à s’arquer. Le décollement n’aurait pu se propager sous le Jura externe jusqu’à la Bresse. Dans cette hypothèse, le chevauchement frontal du Jura externe pourraît être dû à un glissement gravitaire.
Mis à part le fait que ces modèles, forcément simplifiés, ne prennent pas en compte les faisceaux plissés et faillés de la zone des plateaux, la discussion porte essentiellement sur la continuité du décollement, c’est-à-dire sur le comportement du socle sous le Jura des plateaux. La zone des plateaux jurassiens correspondrait à une région où les effets du poinçonnement de l’arrière de la couverture plissée sont amortis, et où les effets du glissement gravitaire sur le fossé bressan se feraient sentir par des fractures en extension.
2. Unité de la géographie physique
Les chaînes jurassiennes s’accolent vers le sud aux chaînes préalpines dans le voisinage d’Aix-les-Bains, s’épanouissent au centre, et se soudent vers le nord aux plateaux du Jura souabe. En gros, cela se traduit par un faisceau de plis dirigés en arcs de cercle du sud-ouest au nord-est, l’ensemble s’élevant de l’ouest à l’est.
À l’ouest, dans le Jura central, des plateaux étagés (ceux de Lons-le-Saunier, de Champagnole, de Nozeroy, par exemple) sont séparés par d’étroits faisceaux de plis: ceux-ci se sont formés, à l’époque de la surrection de la chaîne, dans les étroits fossés tectoniques qui séparaient des fragments de socle demeurés quasi horizontaux. À cet ensemble de style comtois s’oppose le Jura oriental, qui est surtout celui des chaînes. Il s’élève jusqu’à 1 723 mètres au crêt de la Neige (Credo, Reculet et, en Suisse, Chasseral et Chasseron).
Ces chaînes parallèles représentent le relief jurassien typique: les anticlinaux forment des monts; sur leur sommet creusé, une vallée longitudinale donne une combe ; sur leurs flancs dévalent des ruz ; des cluses les coupent transversalement tandis qu’entre eux s’allongent des vals . Sur la bordure occidentale des plateaux, l’érosion a ouvert de larges échancrures aux bords abrupts, les reculées .
Les grands décrochements tectoniques ont préparé les rares passages actuels: cluse de Nantua ou col de Jougne.
Pays calcaire, le Jura est marqué de belles formes karstiques. Les eaux creusent à la surface de petites cavités (dolines), s’infiltrent dans des gouffres, ressortent en grosses sources (Loue, Lison). Les rares cours d’eau ont creusé de profondes gorges, véritables canyons qui contribuent beaucoup à l’isolement des plateaux. De vastes dépressions fermées ne sont pas drainées vers l’extérieur (plaine de Saône, près de Besançon).
Les glaciers alpins ont, au Quaternaire, franchi les chaînes orientales, élargi certaines vallées et abandonné sur les plateaux des sols morainiques; en même temps, des glaciers jurassiens, plus modestes, venaient mourir dans les vallées, et leurs moraines retiennent de petits lacs (Nantua). Le réseau hydrographique est très compliqué: le Doubs, parti de Pontarlier, est contraint à un vaste crochet vers le nord avant de se diriger vers Besançon.
Le climat, continental, est caractérisé par les fortes précipitations : le Jura forme en effet un écran incliné, si bien que toute la surface est largement arrosée (1 m de précipitations à l’ouest, 2 m à l’est). En raison de la rigueur de l’hiver (moyenne de janvier: face=F0019 漣 3 0C autour de Pontarlier, minimum inférieur à 漣 30 0C), une partie de ces précipitations tombe sous forme de neige, alimentant les champs de ski.
L’altitude entraîne un étagement de la végétation. Sur la bordure et sur les premiers plateaux (jusqu’à 700 m), les feuillus, chênes et charmes en particulier, forment l’essentiel des boisements. Sur les seconds plateaux ou en montagne, ils cèdent la place aux hêtres et aux résineux: les pessières (forêts d’épicéas) et les joux (forêts de sapins) donnent aux paysages des zones élevées leur majesté un peu grave.
3. Contrastes de la géographie humaine
Pays tardivement occupé, le long croissant du Jura offre des sols médiocres, un relief compartimenté, un climat partout rude et humide, une forêt souvent trop dense.
Des contrastes apparaissent dans le sens transversal. Le nord du pays appartient au monde germanique. Le Jura du Sud évoque déjà le Midi.
Artisanat et économie laitière
Le milieu est trop rude, dans l’ensemble de la chaîne, pour que l’agriculture puisse être vraiment prospère. Mais le pays possède d’autres ressources: le bois, l’herbe que favorise l’humidité des étés, les eaux vives, du sel sur la bordure, et quelques poches de minerai de fer, autour desquelles s’est organisée la vie traditionnelle. Les premiers plateaux à l’ouest, les fonds de val les plus bas à l’est copièrent, sans la modifier, la polyculture du bas pays. Plus haut, l’élevage remplaçait peu à peu les céréales. Dans la partie plissée, au centre et au sud, purent s’organiser des migrations pastorales d’un type déjà montagnard. Les maisons rurales portent encore la marque de ces anciens genres de vie: elles ont des dimensions plus importantes que celles de la plaine, pour loger les récoltes, les fourrages et abriter une «écurie» importante. La pierre l’emporte sur les premiers plateaux, le bois tient de plus en plus de place lorsqu’on s’élève. Très tôt, des formes d’entraide, les fruitières , apparurent pour la fabrication des fromages de garde.
Les vallées constituaient un monde à part où se succédaient forges et moulins. Les zones favorisées furent plutôt celles des bordures, le long des lacs suisses, ou, à l’ouest, le Revermont et le Vignoble. Plus chauds, ils portaient de la vigne, et c’est là que s’établirent les villes. La masse de la chaîne n’abritait guère que quelques bourgades, au débouché des cols (Pontarlier), dans un bassin plus riche (Morteau) ou autour d’un couvent (Saint-Claude). Au sud s’étendait le Bas-Bugey, avec le bassin de Belley. La médiocrité des ressources incitait à chercher des activités complémentaires. Certains «montagnons» partaient tous les ans comme transporteurs, tels les rouliers de Granvaux. Dans les régions hautes, un artisanat se développa à l’instigation des centres locaux (chapelets de buis pour les pèlerins de Saint-Claude), puis des villes de l’avant-pays suisse. La transformation fut inégale: Vaud, plus rural, l’ignora. Besançon et Montbéliard se transformèrent bientôt à l’instar de Genève ou de Neuchâtel.
Une montagne industrialisée
L’ouverture générale de l’économie frappa durement la région au XIXe siècle. Du côté français, hors d’Arbois, le vignoble s’est très mal reconstitué. Le problème rural fut cependant résolu par une spécialisation herbagère plus poussée. Avec l’aide des fromagers suisses, il fut possible de reconvertir toute la chaîne à une économie laitière.
La métallurgie traditionnelle succomba à la concurrence, ne laissant comme trace que quelques activités de transformation dans les vallées. Paradoxalement, les industries de la haute chaîne traversèrent sans encombre l’ère difficile de la révolution industrielle: elles restaient d’essence artisanale, et la mécanisation n’y fit que des progrès lents. Ainsi, le contraste entre les régions hautes et les régions basses s’accentua: les premières, plus peuplées, virent se développper de petites villes actives, comme La Chaux-de-Fonds. Au pied de la chaîne, des villes réussirent à fixer dans leurs ateliers une partie de la main-d’œuvre: Lons-le-Saunier, Besançon, Montbéliard, Bâle, d’une part, Genève, Neuchâtel, Bienne, Soleure, Aarau, de l’autre.
Cette organisation de l’espace est aujourd’hui remise en cause.
Vers de nouveaux équilibres
La rigueur du climat et le compartimentage du relief demeurent, mais l’isolement cède devant les moyens modernes: la chaîne est franchie par des autoroutes au nord et au sud; des routes express désenclavent les villes de la montagne suisse; les rames du T.G.V. gagnent Genève, Lausanne et Besançon. Les aéroports internationaux de Bâle, Zurich et Genève ouvrent une partie des centres jurassiens aux relations mondiales. Progrès donc, mais qui va de pair avec la remise en cause des spécialisations traditionnelles.
L’intensification de la production laitière est freinée par l’impossibilité de cultiver le maïs au-dessus de 800 mètres et par la difficulté d’industrialiser la production du gruyère de Comté: les régions hautes perdent l’avantage qu’elles avaient connu durant un siècle. Dans le domaine industriel, beaucoup des activités traditionnelles ont régressé – diamant, pierres précieuses et pipe à Saint-Claude, boîtes à musique à Sainte-Croix, horlogerie dans le haut Doubs ou en Suisse. Quelques secteurs ont gardé leur dynamisme, comme la lunetterie à Morez. L’industrie des matières plastiques a enrichi Oyonnax et sauvé Saint-Claude et sa région du déclin. Jusqu’aux années soixante-dix, certains foyers comme Champagnole ou Pontarlier appuyaient leur prospérité sur des industries variées.
Depuis 1972-1973, la plupart des fabrications ont connu des à-coups. L’horlogerie suisse a perdu plus de la moitié de ses quatre-vingt mille emplois et ne s’est maintenue qu’au prix d’une restructuration très dure pour les sites montagnards du Locle et de La Chaux-de-Fonds. La mécanique de haute précision ne suffit pas toujours à combler les vides. En France, le Pays de Montbéliard a subi le choc de la crise de l’automobile et des mutations techniques nécessaires. Le groupe Peugeot a dû robotiser ses chaînes de Sochaux et réduire ses effectifs de vingt mille personnes. Besançon, qui atteint 120 000 habitants (recensement de 1990), a perdu aussi beaucoup d’emplois industriels, malgré la venue des Japonais. Mais son rôle de capitale régionale s’est renforcé.
Les régions montagneuses franco-suisses restent dynamiques et leur population s’accroît. Le tourisme, avec la vogue du ski de fond, le charme des eaux et des forêts, devient une ressource. Les petites entreprises font preuve de flexibilité et innovent beaucoup. Les contacts frontaliers sont multiformes et fructueux. L’adhésion à la C.E.E., souhaitée par les Suisses romands, pourrait donner à ces régions un peu marginales une position centrale. Déjà, le T.G.V. gomme l’obstacle du Jura montagnard: une liaison Mâcon-Bourg-Genève est envisagée, qui mettrait Genève à 2 h 15 min de Paris.
Jura
département franç.; 5 053 km²; 248 759 hab.; ch.-l. Lons-le-Saunier (20 140 hab.). V. Franche-Comté (Rég.).
————————
Jura
système montagneux de France (V. Franche-Comté [Rég.].) et de Suisse qui se prolonge, au-delà du Rhin, en Allemagne. Socle ancien soulevé, au tertiaire, lors de la surrection alpine, le Jura a deux aspects (tabulaire à l'O.; plissé et plus élevé à l'E.) et deux vocations: forestière (industr. du bois) et herbagère (lait, fromages). Les industries anciennes (horloges, pipes, jouets) côtoient les nouvelles qui bénéficient de l'hydroélectricité. Le Jura allemand est formé de plateaux calcaires, au climat rude et aux sols pauvres; l'altitude augmente du N. (Jura franconien) vers le S. (Jura souabe).
————————
Jura
(canton du) canton de la Suisse du N.-O.; 837 km²; 65 830 hab.; ch.-l. Delémont.
— Jusqu'en 1815, ce territ. appartint à l'évêché de Bâle. Francophone, il s'est détaché en 1979 du canton de Berne, germanophone. Il se consacre surtout à l'industrie.
Encyclopédie Universelle. 2012.