NÉO-CLASSICISME
La définition que les dictionnaires usuels donnent du terme néo-classicisme est assez évasive. «Tendance artistique et littéraire inspirée de l’Antiquité classique ou du classicisme du XVIIe siècle. // Tendance qui retourne à un certain classicisme, par réaction contre les audaces d’une période antérieure», voilà ce qu’affirme le Petit Larousse (édition de 1980) qui propose quelques exemples – peinture, sculpture, architecture – choisis entre 1750 et 1830 environ, non sans faire ressortir que les peintres, en France, «avaient partie liée avec les idéologies révolutionnaires, puis impériales». De toutes les grandes notions stylistiques de l’histoire de l’art qui reposent sur une classification chronologique qu’on aimerait normative mais qui, à tout prendre, n’est qu’une commodité de classement arbitraire, le néo-classicisme devient aujourd’hui le plus controversée. La présenter sans avoir recours à l’histoire de l’histoire de l’art falsifierait sa portée actuelle. C’est pourquoi, tout en conservant ici l’article de Mario Praz (édition de 1971), historien fameux parmi les pionniers du néo-classicisme, à qui nous rendons hommage, il nous a paru nécessaire de situer son texte dans une généalogie aussi éclairante que possible, augmentée d’un état de la question et d’une bibliographie mise à jour à partir de 1972, année où fut organisée à Londres, sous les auspices du Conseil de l’Europe, l’importante exposition The Age of Neo-Classicism .
Le substantif néo-classicisme, créé autour de 1880, désigna d’abord très largement l’art immédiatement antérieur aux mouvements modernes . L’appellation est née, comme son corollaire ironique pompier , pour fustiger les artistes d’une époque mal aimée, soumise dans une ambiance de crise à l’imitation frénétique de l’Antiquité, et recouvrant la Révolution et l’Empire. Néanmoins, l’apparition, durant la période post-symboliste, de nouveaux «attardés», réfractaires aux courants «libérés» de l’art occidental, nécessita un élargissement du terme: sorte de désir de reproduire un classicisme à jamais nostalgique. En poésie, un Jean Moréas, un moment chef d’école du décadentisme , devenait bientôt le symbole d’une volonté néo-classique. Entre l’académisme et la rébellion, le terme acquérait une solide signification péjorative. Concluant un ouvrage consacré à l’apologie du style néo-classique , centré sur 1800, François-Georges Pariset constatait que ce style «correspond à l’avènement de l’État hégélien, de la Nation, de la Patrie, qui définissent encore notre monde» et ajoutait: «Et voici maintenant ceux à cause desquels le néo-classicisme nous est devenu lointain, hostile. L’Italie fasciste a imité le néo-classicisme [...]. Autre aventure avec le IIIe Reich: Hitler, architecte manqué [...]», et, plus loin, le style «correspond à l’ère stalinienne» (L’Art néo-classique , 1974). Ce n’est pas ici le lieu d’un procès d’intention envers un auteur, excellent érudit de l’art européen du XVIIIe siècle, mais il convient de souligner l’impropriété du mot appliqué sans discernement, d’une manière a-historique, à toute «inspiration» d’essence classico-antique. Le casque d’or du héros grec ou de Minerve, symbole de l’académisme , à Berlin sous le règne de Frédéric II, à Moscou sous celui de Catherine II ou dans le Londres des rois George, pas plus que celui des pompiers de la Troisième République, un siècle plus tard, n’aurait continué de briller à la Belle Époque!
La perception historique du néo-classicisme correspondit d’abord, plus qu’à la reconnaissance d’un style, au rejet d’une esthétique confondue avec la «production» académique de la fin du XIXe siècle. Synonyme de pastiche, imitation servile des chefs-d’œuvre du classicisme gréco-romain, cet art anti-individualiste est ignoré des avant-gardes; l’art bourgeois conservateur, lui-même, y trouve des accents supra-nationalistes peu compatibles avec l’esprit du temps: en effet, en 1900, se manifeste un nouveau goût pour le style Louis XVI . Celui-ci, que l’on ne confond pas avec le néo-classicisme, apparaissait comme un moment de perfection de l’art français.
Le classicisme est universel, certes, mais en raison de Versailles, Américains et Français voient dans ce courant le symbole d’une culture élitiste, repoussant les brumes du Nord et tempérant la chaleur du Midi. Aussi, le néo-classicisme, international, observé par-delà les Écoles, les règnes ou les pays, ne pouvait que symboliser la décadence.
La définition stylistique l’a finalement emporté sur la définition chronologique; c’est à tel point vrai que les musicologues se sont à leur tour emparés du mot pour désigner, disent-ils, des aberrations stylistiques de nature et d’époque totalement différentes: sont néo-classiques l’orgue des années 1950, mais aussi certaines œuvres de Stravinski et d’autres compositeurs actifs entre les deux guerres mondiales.
Ces décalages chronologiques ou philogiques procèdent de l’ambiguïté même du concept, ou plutôt des concepts (à commencer par classicisme , dont il existe au moins quatre définitions, parfois mêlées), à laquelle s’ajoute l’emploi hasardeux du préfixe néo . En histoire de l’art, par exemple, le terme néo-grec désigne une catégorie de l’architecture néo-classique; en linguistique, il désigne la langue grecque moderne. En philosophie, le même préfixe ignore la connotation péjorative constante, en histoire de l’art, dans la désignation de tous les néo-styles : néo-gothique, néo-roman, néo-byzantin... Le préfixe signifiant nouveau ou jeune a donc été soumis à un détournement de sens.
Persuadés de la nécessité de fonder d’une manière analytique et descriptive – quasi ontologique – la notion de style, les historiens de l’art ont, dans les deux premiers tiers du XXe siècle, attribué au néo-classicisme une place importante dans leur définition des concepts évolutionnistes des styles. On mit d’abord l’accent sur les origines événementielles du mouvement néo-classique, ou retour à l’antique (Antique revival en anglais), en l’opposant aux styles qui le précédèrent dans la première moitié du XVIIIe siècle: le baroque, puis la rocaille et ses applications dans l’architecture rococo. Plus qu’une nouvelle jeunesse, le préfixe néo désignait un retour aux sources . On vit dans le néo-classicisme, non pas une sorte de renaissance du classicisme, analogue à celle qu’avait connue l’Italie au tout début du XVIe siècle, mais plutôt une systématisation du concept d’imitation de la nature à travers les modèles antiques. Ceux-ci, sans cesse mieux observés et davantage connus, redevenaient le creuset du style. L’archéologie et l’esthétique, deux nouvelles sciences autonomes, largement diffusées par les écrits théoriques et didactiques, fécondaient la création artistique. Le Klassizismus des Allemands, opposé au Klassik , traduit l’esthétique «à l’antique» imprégnée d’une nouvelle philosophie de l’art où domine l’influence de la pensée des Lumières ; en simplifiant, pour mieux sérier les données positives (croyait-on) du style, on opposait la raison et l’histoire aux tendances Sturm und Drang , préfiguration du romantisme littéraire et musical notamment.
Tandis que Louis Hautecœur, dans un premier ouvrage resté célèbre (Rome et la Renaissance de l’Antiquité à la fin du XVIIIe siècle , Paris, 1912) essayait de jeter les bases d’une histoire sérieuse de la naissance du style Empire , l’École viennoise d’histoire de l’art développait une vaste réflexion sur les périodes de l’histoire de l’art. L’étude des «ruptures» stylistiques, perçues comme les variations d’intensité d’une esthétique couvrant plusieurs décennies, aboutit à nier les prétendues époques de décadence. Au contraire, ce qui apparaissait jusqu’alors comme d’inconsistantes périodes de transition , dépendant d’événements jugés extérieurs au champ artistique (le «temps des révolutions»: politique, socio-économique, industriel), devenait autant de terrains d’étude inexplorés. En exaltant cette dynamique des contrastes, au lieu de juxtaposer la description statique des Écoles nationales ou locales, séculaires, on «découvrait» une histoire en mouvement dont il s’agissait de décrire les structures sur une longue durée, engageant par le fait même l’époque contemporaine (E. Kaufmann, Von Ledoux bis Le Corbusier , 1933). Aux couples Renaissance/baroque, baroque/classicisme, dont la descendance, depuis les écrits de Wölfflin ou de Riegl, s’était considérablement étendue, s’ajouta le couple néo-classicisme/romantisme, souvent évoqué comme une suite d’antagonismes enchevêtrés.
Un essai de G. Teyssot (éd. française de E. Kaufmann, 1978), sur l’architecture, a fort bien montré cet aspect de l’historiographie du néo-classicisme qui conduit, des théories de Kaufmann sur l’architecture révolutionnaire , du Spätbarocker und romantischer Klassizismus (1932) de S. Giedon, en passant par les travaux de F. Antal, N. Pevsner, M. Praz, L. Hautecœur... jusqu’à l’exposition de 1972, intitulée: The Age of Neo-Classicism . André Chastel a résumé, à cette occasion, l’enrichissement du thème historique, dû à l’élargissement incessant du corpus des œuvres et des artistes: «Le goût néo-classique est devenu l’ouverture vers toute une civilisation qui culmine avec l’Empire (Mario Praz). Ou encore il s’agit d’une réforme complexe des procédures artistiques sur des programmes neufs (R. Rosenblum). Ou enfin, il faut lier le néo-classique à la vaste aspiration morale issue de l’âge des Lumières qui tend à promouvoir dans l’art comme ailleurs le règne de la raison (H. Honour).» Il revient aux historiens de l’art des années 1930-1960 le mérite d’avoir soustrait le néo-classicisme aux nomenclatures péjoratives, par le biais d’une sorte de constat stylistique. Mais sitôt homologué dans les ouvrages généraux sur l’art, comme d’autres grandes notions (baroque, maniérisme, impressionnisme...), le terme fut contesté à nouveau, comme trop partiel (voire, partial) pour désigner la tendance dominante d’une époque. Le point de vue de Mario Praz, exprimé ci-dessous, est une première étape, très claire, mais aussi sélective, qui précède les données actuelles du sujet.
1. Composantes d’un style
Par néo-classicisme, on désigne le mouvement du goût et du style, de portée internationale, qui apparaît dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, culmine pendant la période napoléonienne (style Empire) et exerce ensuite une influence décroissante qui marquera pourtant le style officiel de plusieurs pays, particulièrement l’Amérique du Nord (Greek Revival), au cours du XIXe siècle. L’adoption de ce style par l’autorité politique, à commencer par Napoléon, explique qu’on associa au néo-classicisme l’idée de rhétorique vide et de froideur académique résumée dans le sobriquet de style pompier. Ce jugement négatif, malgré un timide retour d’intérêt à l’époque de l’Art nouveau, a persisté jusqu’au milieu du XXe siècle; récemment, un examen objectif des œuvres d’art néo-classiques, avant tout de l’architecture, a permis de placer le mouvement dans sa juste lumière et d’en voir les mérites. Le néo-classicisme a connu une longue et intense préparation théorique avant d’éclore dans la courte mais exubérante floraison de l’Empire, après laquelle il s’est désagrégé sous l’action des ferments romantiques qu’il contenait dès ses origines.
Rationalisme et primitivisme
Le néo-classicisme est un des aspects typiques du siècle des Lumières. L’esprit scientifique et rationnel des encyclopédistes s’allie au retour à la nature prêché par Rousseau et à l’évolution du goût qui voit dans l’art antique et dans les héros de Plutarque les modèles d’une perfection qu’on doit s’efforcer de restaurer dans le monde. Ainsi, un élément utopique et en même temps didactique accompagne l’idée du retour à l’antique; et le reflet du mythe de l’âge d’or participe de la Sehnsucht qui anime les premiers romantiques (que l’on pense aux odes de Hölderlin). Le retour au primitif comportait une ambiguïté que permet de saisir la manière d’envisager Homère et Ossian. L’Homère de Pope était encore un Homère en perruque, celui de Mme Dacier et de William Cowper ne l’était plus: on cherchait en lui cette même simplicité de mœurs que l’on trouvait dans des textes authentiques comme la Bible et apocryphes comme les poèmes d’Ossian (publiés par James Macpherson en 1760-1763). La réaction à l’artificialité et au caractère féminin du rococo aboutissait à une sévérité de lignes, de couleurs, de formes et de sujets, mais portait aussi à l’éclosion spontanée de certains aspects de l’esprit humain qu’avait dénaturés le jeu superficiel de sentiments du carnaval rococo. Il n’y avait pas de contradiction entre les idéaux rationnels du néo-classicisme et le culte de la sensibilité: la compassion est propre aux personnes vertueuses, et la thématique néo-classique se proposait d’exalter la vertu. L’étude de l’Antiquité devait permettre surtout d’atteindre la simplicité de la nature: c’est ce que recommandait un des esprits les plus ouverts de l’époque, Diderot, qui, dans ses œuvres, imitait Sterne et en même temps s’identifiait à David lorsqu’il disait qu’il fallait «peindre comme on parlait à Sparte». Si l’on rejette le présent, il n’y a de choix qu’entre une Arcadie rétrospective et une Utopie future. D’où le double aspect du primitivisme néo-classique: remonter aux sources et fonder un monde meilleur. Le rationalisme prend un aspect d’utopie millénaire chez les architectes d’avant-garde, Étienne Louis Boullée, Jean-Jacques Lequeu et surtout Claude-Nicolas Ledoux, précurseur de l’architecture fonctionnelle; hanté par les formes géométriques pures, ce dernier projette des édifices en forme de cylindre et de sphère avec une prédominance de murs pleins qui leur donnent un caractère de raideur héroïque: maisons et lieux de récréation pour un peuple nourri des idéaux de Plutarque. Ledoux regrette les beaux temps héroïques (c’est encore la hantise du vieux mythe de l’âge d’or) et, tout en dédaignant la mesquinerie bourgeoise envahissante, transforme les édifices commerciaux en propylées magnifiques, la maison d’une danseuse en temple de Terpsichore, la terrasse d’un bazar en jardins de Flore et de Zéphire. Cette sublimation, tout en accentuant la destination de l’édifice, frôle la caricature: le projet de la prison d’Aix évoque tellement l’idée d’une prison qu’on pourrait graver sur la porte à l’allure écrasante le Lasciate ogni speranza de Dante. Ce rationalisme qui s’inspire des formes pures, primitives est de la même souche que l’exotisme romantique: la projection dans un temps idéal (Wunschzeit ) et la projection dans un espace idéal (Wunschraum ) sont les deux variantes de la même aspiration. Le «dorisme», ou culte pour les formes trapues de l’architecture dorique, le premier des styles grecs, se rencontre surtout chez les architectes des pays germaniques: Friedrich Gilly, dont les penchants romantiques s’accusent dans les mots qui accompagnent son Ansicht der rauener Steine , où il décrit les sentiments éprouvés au cours d’une promenade, dans un pays solitaire, parmi les tombeaux d’une race héroïque disparue, et le Suédois Karl August Ehrensvärd, auteur de la porte de l’arsenal de marine de Karlskrona (env. 1785), vraie caricature du style dorique. Ces esprits idolâtres de géométrie et de pureté primitive sont les frères des Stürmer und Dränger. On ne connaît pas d’édifices du Vénitien Carlo Lodoli (actif vers 1740-1750), mais ses idées, recueillies par Andrea Memmo dans Elementi dell’architettura lodoliana o sia l’arte del fabbricare con solidità scientifica e con eleganza non capricciosa (Rome, 1786), s’inspirent du même courant de primitivisme rationnel.
On retrouve cette tendance dans le dessin au trait adopté par Asmus Jakob Carstens et John Flaxman: le pur contour des lignes, que n’estompe aucun clair-obscur, était ce que l’on admirait le plus dans les statues antiques, avant même la «noble simplicité et la calme grandeur» exaltées par Johann Joachim Winckelmann, qui énonça dans sa Geschichte der Kunst des Alterthums (1764) la théorie esthétique du néo-classicisme.
C’est bien cette pureté des lignes qu’Antonio Canova sut trouver dans ses chefs-d’œuvre, et Ingres dans ses dessins et ses tableaux, et que certains collectionneurs et certains peintres finirent par découvrir aussi chez les primitifs italiens (par exemple Seroux d’Agincourt, Flaxman), devançant ainsi les nazaréens et les préraphaélites du XIXe siècle.
Piranèse et l’influence d’Herculanum
Si, selon la critique moderne, les fondements du néo-classicisme se trouvent dans les phénomènes que l’on vient d’esquisser, il faut reconnaître aussi l’importance de facteurs auxquels on attribuait autrefois la paternité du style néo-classique, notamment les fouilles d’Herculanum entreprises en 1748 par Charles III de Bourbon, roi de Naples, dont les résultats furent publiés dans les huit magnifiques volumes des Antichità di Ercolano esposte (1757-1792), après avoir été portés à la connaissance des amateurs par Charles-Nicolas Cochin (Lettres sur les peintures d’Herculanum , 1751) et par le comte de Caylus (Anne Claude Philippe de Tubières) dans son médiocre Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques et romaines (1752; on confondait alors l’étrusque avec le grec, au point de donner au premier la priorité). L’importance de la décoration pompéienne, dont on connaissait déjà des analogues, tirés surtout des ruines de Rome comme la Domus Aurea découverte à la Renaissance, est énorme pour la décoration du néo-classicisme, et on comprend que Goethe ait dit à ce propos que «nulle catastrophe, à côté de celle qui ensevelit Herculanum et Pompéi, n’a été source de pareilles délices pour le reste de l’humanité». Les stucs des voûtes des tombeaux de la voie Latine et les motifs pompéiens fournirent les modèles de la décoration des intérieurs de Robert Adam, à côté des mièvres médaillons de scènes classiques d’Angelika Kauffmann et des céramiques de Wedgwood. Une autre influence, dont on a dans le passé exagéré peut-être la portée (jusqu’à définir comme style Piranèse le style Louis XVI, qui est redevable aussi à l’exemple d’Adam), est celle de l’œuvre de Giovanni Battista Piranesi, dont les planches des Diverse Maniere di adornare i camini (1769) donnèrent les premiers exemples de décoration égyptienne (qu’on a appelée plus tard, bien à tort, «retour d’Égypte»). La plus grande contribution de Piranèse au néo-classicisme serait d’avoir donné aux monuments romains qu’il gravait des dimensions plus colossales que dans la réalité; or ce n’est somme toute qu’un reflet de l’amplification baroque dont il était l’héritier. Il y a aussi beaucoup plus de fantaisie baroque que d’inspiration classique dans certains projets de Ledoux et de Boullée; que l’on pense, par exemple, au projet de Pietro da Cortona pour une église dont les coupoles en forme de mamelons superposés imitaient les armoiries du pape Alexandre VII Chigi. Mais la réaction du Vénitien Piranèse n’est pas différente de celle des autres artistes du Nord découvrant les monuments de l’Antiquité classique: tous ont la révélation d’un monde de formes idéales, capable d’ébranler la sensibilité et de donner ce shock of recognition qui précède la conception d’un nouveau style. Or c’est justement cela qui manquait aux Italiens, familiarisés depuis des siècles avec l’influence classique, et c’est bien ici la raison pour laquelle l’art néo-classique, tout en ayant Rome comme centre de développement, compta à Rome même des «antiquaires» et des érudits comme précurseurs, mais pas d’artistes. Ni Winckelmann, ni Piranèse, ni Canova n’étaient des Romains, non plus que David, qui acheva et exposa à Rome Le Serment des Horaces (1784-1785) qui fut comme le manifeste de la nouvelle école. Cette œuvre réalisait pleinement le style que s’étaient vainement efforcés de produire Anton Raphael Mengs, qui avait théorisé sur la différence entre copie et imitation créatrice, et surtout l’Écossais Gavin Hamilton qui avait exécuté à Rome, dans les années 1760, de vastes, solennelles et raides peintures à sujets tirés d’Homère. La nouveauté de David ne consistait pas dans le choix du sujet, car les sujets, «antiques», étaient à la mode depuis quelque temps (Jean-Baptiste Greuze, en 1769, dans Reproches de Septime Sévère à son fils Caracalla , reprenait le motif classique et poussinien de la Mort de Germanicus , avec le lit à l’antique et le rideau, qui devint un lieu commun de la peinture néo-classique, et Joseph Marie Vien, Mengs, Jean François Pierre Peyron traitèrent des épisodes tirés de l’histoire grecque et romaine) mais dans la manière de représenter les personnages comme des statues et d’étaler la couleur en surfaces unies de façon à suggérer un relief et une consistance dont Caravage, le premier, avait donné l’exemple. Diderot avait dit: «Il me semble qu’il faudrait étudier l’antique pour apprendre à voir la nature.» Or les chefs-d’œuvre conservés de l’art antique étaient avant tout des statues. C’est d’elles que Winckelmann avait tiré ses idées sur l’«âme élevée» (die erhabene Seele ) et le «noble contour» (der edle Contour ); le blanc était synonyme de perfection, la couleur n’était qu’un accident. C’est en effet dans la sculpture que sont réalisées les œuvres les plus remarquables du néo-classicisme: œuvres de Canova, de Johann Tobias Sergel, de Gottfried Schadow, de Bertel Thorvaldsen, d’Ivan Petrovitch Martos. La sculpture européenne, pourtant, était fondée depuis la Renaissance sur les exemples de l’Antiquité, de sorte que le style néo-classique fut moins révolutionnaire en sculpture qu’en peinture et qu’il est par conséquent plus difficile à identifier; il eut cependant pour caractéristiques principales l’abandon du contraste des volumes et l’aspiration à l’élégance du contour obtenu par la masse vue de profil.
Le style néo-classique était fondé sur une esthétique éminemment rationnelle. Imiter la nature et les Anciens qui ont discerné la perfection dans la nature: le poète Alexander Pope et le sculpteur suédois Sergel répétaient ce principe déjà familier à la critique française du XVIIe siècle; c’était donc un style qu’on pouvait apprendre assez aisément, et qui présentait en conséquence les dangers de la monotonie et de l’anonymat. Aussi, la postérité éprouve quelque difficulté à distinguer des nuances qui à l’époque donnaient lieu à de véritables controverses, et ne se rend pas compte au premier coup d’œil de la différence entre les deux écoles, celle de Canova, plus orientée vers une grâce alexandrine, celle de Thorvaldsen, qui suivait plus rigoureusement les Anciens et avait des velléités archaïsantes. Tandis qu’en Italie la manière de Thorvaldsen fut largement adoptée, surtout dans la sculpture des cimetières, Canova eut du succès en France: c’est sur sa grâce et sa force que se modelèrent Antoine-Denis Chaudet, François Bosio et bien d’autres qui, parmi beaucoup d’œuvres conventionnelles, ont produit quelques chefs-d’œuvre, tel le buste de la marquise de La Carte exécuté par Bosio. La sculpture néo-classique excella dans les figures isolées et fut moins heureuse dans les groupes: le tombeau de Pie VII de Thorvaldsen est structuré comme un surtout de table, et le monument à la Liberté que Giuseppe Ceracchi (1751-1801) projeta pour les États-Unis frisait le ridicule, avec cependant de remarquables exceptions comme le tombeau de Marie-Christine exécuté par Canova (1799-1805).
2. Le style Empire
La partie théorique du néo-classicisme se complète au cours du XVIIIe siècle, qui voit aussi la naissance d’œuvres originales (les tableaux de David: Hector et Andromaque , Le Serment des Horaces , Brutus , Marat , Les Sabines ; les sculptures de Canova: tombeau de Clément XIV, Hercule et Lycas , Amour et Psyché ; la Sapho de Johann Heinrich Dannecker ; la barrière de la Villette de Ledoux; la Bank of England de John Soane ; le théâtre de l’Anatomie de Jacques Gondoin). Mais il serait injuste de penser que le style Empire n’est que l’exploitation décorative sur une grande échelle des motifs tirés de l’antique; le critique Hugh Honour a pu écrire qu’alors «on conserva la coque archéologique et [que l’] on jeta le noyau néo-classique». Certes, l’adoption par Napoléon du style néo-classique comme style officiel contribua non seulement à sa diffusion, mais aussi à sa standardisation: que l’on pense à l’obligation de choisir ce style non seulement pour les palais français (Fontainebleau, Compiègne, Élysée, Rambouillet, etc.), mais aussi pour ceux des pays soumis au régime napoléonien, à Turin, Florence, Laeken, Anvers, Amsterdam, Utrecht, Haarlem, Aranjuez, etc.
C’est à ce moment que paraissent en France et en Angleterre des volumes qui codifient la décoration intérieure néo-classique, le Recueil de décorations intérieures de Charles Percier et Pierre François Léonard Fontaine (publié en livraisons depuis 1801 et en volume en 1812) et la Household Furniture de Thomas Hope (1807). À l’époque de la Renaissance et du baroque, le critère de la symétrie se limitait généralement aux extérieurs. On ne suivait pas, pour l’ameublement, de règles strictes, les considérations pratiques des siècles précédents prévalant encore. Avec le néo-classicisme, la symétrie pénètre dans les intérieurs, au point que l’on chercha à dissimuler le mobilier seulement utile (l’armoire à vêtements disparut) et que l’on donna du relief aux meubles moins utiles, mais structuralement beaux, comme la console. On voulut des tapis qui, par leur dessin et leur teinte, accompagnent les lignes architectoniques et la couleur de la pièce, d’où l’exclusion des tapis d’Orient qui ne s’accordaient pas au style de l’ensemble. Bref, avec le néo-classicisme, on jeta les bases d’une véritable syntaxe de la décoration intérieure, qui n’admettait pas de solécisme. Le rationalisme dans l’ameublement, assorti aux goûts du propriétaire, avait trouvé un apôtre dans le théoricien Francesco Milizia (Principi d’architettura civile , 1781) et il aboutissait à des projets comme celui de Percier et Fontaine pour la chambre à coucher d’un Monsieur M. T.: «Sa forme, l’arrangement et la disposition des accessoires indiquent assez que le lit a été fait pour un guerrier, grand chasseur. Des armes de différentes espèces, des dépouilles d’animaux sauvages servent d’ornement ; une flèche et un arc attachés au plafond soutiennent les draperies d’étoffes qui le garantissent de l’air et des insectes pendant la nuit. Les bas-reliefs peints sur le fond représentent des chasses.» La description, dans un petit in-folio, de la Toilette présentée à Sa Majesté l’Impératrice Reine [...] au nom de la Ville de Paris (1811) est un exemple du goût allégorique de l’époque: «Une guirlande de fleurs, soutenue par deux candélabres, forme l’encadrement du miroir; le Plaisir, voltigeant à la partie inférieure, en réunit les extrémités. Les Génies du Commerce, de l’Industrie, du Goût et de l’Harmonie entourent une jeune Flore et lui présentent le tribut de leurs cœurs et le fruit de leur labeur. Les Génies des Sciences et des Beaux-Arts, posés sur les candélabres, s’élancent vers la Déesse et déposent leurs hommages à ses pieds.» Le lavabo est une athénienne en forme de tripode, «il porte une aiguière sur laquelle on voit la nymphe de la Seine couchée sur des roseaux et entourée d’Amours et de Zéphyrs». On peut bien sourire de la naïveté de telles allégories; pourtant les meubles fabriqués sous l’Empire, dans un goût «archéologique», ont souvent une grâce mesurée qui ne manque pas d’originalité (en particulier les meubles des Jacob-Desmalter); les appliques d’or moulu (dues surtout à Thomire), souvent inspirées des motifs de Pierre-Paul Prud’hon dont l’influence dans la décoration ne saurait être exagérée, agrémentent les surfaces d’acajou poli de figures mythologiques, de végétaux stylisés, d’éléments architecturaux somptueux. L’allégorie et la mythologie trouvaient ainsi leur place dans un décor apte à exprimer le faste de l’Empire: Napoléon décourageait en effet les sujets antiques et mythologiques dans les tableaux, et exhortait les peintres à se dédier aux sujets contemporains, les détournant ainsi d’un genre assez stérile vers une peinture d’actualité qui compta plusieurs chefs-d’œuvre, tels Le Sacre de David, Les Pestiférés de Jaffa et Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau d’Antoine Jean Gros. Napoléon exigeait la précision des détails dans ce genre de tableaux; la même précision fait le charme des portraits qui constituent les plus grands succès de la peinture de l’époque (même un artiste porté vers la suavité de l’école de Léonard, comme Andrea Appiani, possède une certaine vigueur dans les portraits). Et c’est dans les portraits plutôt que dans les tableaux inspirés de l’histoire ou de la Bible que réside la gloire d’Ingres. Si l’architecture de cette période ne peut pas rivaliser en originalité avec les projets de la période précédente (Ledoux, Boullée, Gilly et J. J. F. Weinbrenner), si les œuvres de Percier et Fontaine et de l’Italien Giuseppe Valadier ne dépassent guère un goût correct et facile à prévoir, néanmoins, le grandiose des édifices bâtis en Russie par des Italiens (Giacomo Quarenghi, Carlo Rossi, Luigi Rusca, Giuseppe Bove) et des Russes (Andreï Voronikhine, Ivan Starov, Adrian Zakharov) montre que cette phase du néo-classicisme ne marque pas une déchéance par rapport à la précédente. Et le nom du peintre russe Venetsianov se range à côté des grands noms de la peinture occidentale.
3. Les styles historiques
Les éléments romantiques de retour au passé et de rêve exotique déjà signalés dans le néo-classicisme s’affirmèrent pendant l’Empire pour se déclarer franchement à partir de la Restauration. Déjà dans l’habillement, entre 1800 et 1810, parurent des formes non classiques, ornements à la Van Dyck, guimpes du XVIe siècle, fraises élisabéthaines. C’est surtout en Angleterre, pendant la période Regency qui correspond plus ou moins à l’Empire, qu’on trouve une contamination de styles qui n’est pas sans agrément. Les ensembles avaient souvent de faux airs de tous les styles, grec, gothique, indien, chinois (le pavillon de Brighton), une vraie mascarade, comme l’observait Mary Russell Mitford après une visite à Rosedale Cottage: «Chaque pièce est une mascarade, le salon est chinois avec des vases, des mandarins et des pagodes, la bibliothèque égyptienne, toute couverte d’hiéroglyphes, et pleine de crocodiles et de sphinx. Imaginez un divan en forme de crocodile et un canapé qui est un sphinx! Ils dorment sous des tentes turques, et prennent leurs repas dans une chapelle gothique.» La chambre de Waterloo à Apsley House (1828) et le salon d’Élisabeth au château de Belvoir (début du siècle) annoncent ce second rococo qui ne triomphera sur le continent que vers 1850. On peut bien dire que le succès du «pittoresque» fit mûrir rapidement le goût en Angleterre, en le rendant plus éclectique; plus tard, cela devait conduire toute l’Europe à liquider les styles historiques. Les architectes font des projets doubles, classiques ou gothiques, pour le même édifice, et les sujets des tableaux aussi, dérivant de plusieurs sources, classiques et exotiques, sont traités dans un style encore fortement teinté de néo-classicisme [cf. INGRES (J. A. D.)]. Pour la décoration des appartements d’apparat en particulier, on continua à fabriquer en Italie (comme en Allemagne, aux environs de 1830, sur des dessins des architectes Leo von Klenze et Karl Friedrich Schinkel) des meubles de style Empire, ou tout au moins décorés de motifs Empire.
4. Engagement et idéal: la culture néo-classique
De nombreux auteurs s’interrogent donc aujourd’hui sur la portée de la notion de néo-classicisme. L’enrichissement considérable des données descriptives et analytiques du style, qui permet de ne plus confondre les «styles historiques» (historicisme) du XIXe siècle et le «retour à l’antique» du XVIIIe siècle, remet en cause l’aperçu panoramique fondé sur l’idée de longue durée chère aux historiens de la croissance: le «Progrès des Arts », mythe clé de la culture n’a pas la même signification au XIXe siècle qu’au XVIIIe, aussi bien pour les artistes que pour les critiques. Il semble qu’un glissement de sens s’est opéré et qu’il s’est accentué au fur et à mesure qu’apparaissaient les mouvements d’avant-garde de la fin du «siècle bourgeois».
Dans les années 1960 et 1970, certains historiens, comme Jean Starobinski ou Robert Rosenblum, ont élargi le propos de l’histoire de l’art: le rôle des mentalités n’y surgit pas seulement comme support plausible de telle ou telle réalité stylistique – c’est encore la démarche de Mario Praz et d’Emil Kaufmann –, mais comme seul critère de lecture des œuvres et des formes plastiques. L’historien de l’art se met à l’école de l’histoire des idées, réévaluant en fonction de l’objet de son étude – les arts plutôt que l’Art – une histoire de la culture à travers l’échantillonnage le plus complet des modes d’expression: politique, scientifique, social, économique, littéraire, sans exclure l’imaginaire individuel et collectif. L’inventaire et le classement des œuvres et des motifs ne sont plus une finalité; ils s’intègrent dans une série de procédures d’analyse historique qui sondent les mécanismes de création artistique et leurs répercussions. Dans cette optique, par rapport au projet, à l’énoncé d’un programme, à l’esquisse ou même à la formulation théorique, l’objet d’art n’est que la cristallisation d’un ensemble de phénomènes complexes qui ne seront jamais tout à fait élucidés.
En peinture, par exemple, Füssli et Goya – contemporains de David et de Canova – suivent deux voies libératrices des conventions du Style . Le premier ne renonce pas à l’idéal classique qui a pour fondements la composition et le dessin, mais il transgresse les lois de la convenance et de la bienséance en libérant sans frein l’inspiration purement onirique – il y a fantasme et phantasme, à l’origine dans le sujet, puis dans le résultat sur la toile! Le second rejette au contraire le langage plastique articulé propre au classicisme et transmet en mouvements d’ombre et de lumière, colorés et violents, une sorte d’image-choc qui libère le lyrisme le plus personnel. Le fond et la forme peuvent se disséquer, l’impression subsiste: Füssli et Goya précèdent Delacroix, dont l’idéal classique, indéniable, confronté à la crise existentielle d’une période révolutionnaire, s’est mué en un engagement total de la personnalité, source d’énergie créatrice peu sensible aux conventions sociales et dispensatrice de libertés fugaces. L’exposition De David à Delacroix (1974-1975), non sans un parti pris positiviste qui privilégiait la description sur l’interprétation, eut le mérite de s’opposer opportunément à la néo-classicite aiguë de l’exposition de Londres (1972). Mais il semble difficile d’adhérer à l’hypothèse d’un des auteurs du catalogue qui ne voit dans la peinture d’histoire en France pendant la Révolution qu’un «épiphénomène»; accorder une priorité au nombre des objets peints exposés officiellement pendant une période au détriment de la perception de l’expression de l’utopie par les artistes eux-mêmes, les critiques ou les hommes politiques du temps, ressortit à un choix, légitime certes: mais ce n’est aucunement une vérité historique.
Dans un petit livre très accessible, non dépourvu d’humour, Klaus Lankheit a bien mis l’accent sur l’éclatement des valeurs culturelles occidentales autour de 1800, conséquence ou prémices (?) de l’effacement de l’idéal classique. «Avec le début du XIXe siècle, écrit-il, l’humanité est entrée dans une phase nouvelle. On a toujours essayé de définir ce changement par une notion clef: Baudelaire, déjà, parlait du siècle «sans foi», Kuno Fischer du siècle «destructeur de mythes». Ce qui commençait alors, affirme-t-on de nos jours, serait l’«ère de la technique» ou l’«ère industrielle», l’«âge de la démocratie» ou l’«âge libéral», le «siècle de la bourgeoisie», celui du «subjectivisme» et de l’«individualisme», l’«ère démiurgique» ou celle de l’«athéisme», le «siècle des substituts» ou encore celui de la «création d’idoles». Ces concepts peuvent à la rigueur désigner des aspects partiels de l’époque, examinée d’un point de vue unilatéral. [...] L’histoire de l’art du XIXe siècle ne peut pas se comprendre comme une continuation ininterrompue de celle des périodes antérieures. Avec la situation de l’humanité se sont aussi fondamentalement modifiées la nature et la fonction des arts. Ce que Goethe avait saisi par intuition prophétique est formulé par Hegel comme vérité philosophique: à savoir que «l’art n’apporte plus cette satisfaction des besoins spirituels que des temps et des peuples du passé avaient cherchée et trouvée en lui seul». Mais s’il perdait d’un côté sa place déterminante de style au centre de la société, l’art devenait de l’autre un chemin particulier vers la félicité.»
Le pseudo-couple néo-classicisme/romantisme, qui voudrait résoudre par simple antithèse des problèmes fort complexes, cache mal, à travers les définitions allusives précédemment évoquées du préfixe néo , la portée de la perte de l’idéal classique ! Contemporaine du développement des musées, la nomenclature des styles est donc née en pleine période historicisante , qui coïncide précisément avec la disparition du classicisme le plus vif: certains l’ont appelé hyper-classicisme , ce qui est outré, mais non sans fondement dans certains cas comme celui des derniers défenseurs de la tradition de l’Ancien Régime au XIXe siècle. L’attitude des architectes de l’époque du romantisme, en France par exemple, est très nette sur ce point: dès 1836, contre l’intransigeance académique d’un Quatremère de Quincy (garant de la formation officielle des artistes par sa position à l’Institut et grâce au prestige de ses nombreux écrits théoriques), la jeune École des beaux-arts recommandait une approche éclectique des thèmes de la création. Or formellement, par le biais de la synthèse des modèles observés, analysés et imités dans une intention toute didactique, narrative et symbolique, l’éclectisme faisait aussi partie des possibilités instrumentales de l’idéal classique antérieur. Ce qui est nouveau dans l’historicisme à l’antique du XIXe siècle, c’est la volonté de transmettre dans l’objet d’art, ou plus généralement dans le décor, le résultat de l’investigation critique des sources formelles, et non plus symboliques. Il suffira de comparer les colonnes «à la grecque» de Ledoux, Brongniart ou David, aux colonnes «grecques» des architectes romantiques, pour constater l’abîme qui sépare le mythe du retour à l’antique dans un siècle et dans l’autre. Or, au moins depuis 1770 les vrais modèles étaient connus et diffusés dans l’Europe entière. Schématiquement, on pourrait dire que le XVIIIe siècle interroge l’archéologie, comme l’avaient fait auparavant les humanistes contemporains de Raphaël et de Bramante, mais avec des moyens accrus et diversifiés et dans un contexte culturel différent; le XIXe siècle, quant à lui, soumet sa création au jugement des artistes-archéologues, et les œuvres se rangent dans une classification descriptive, d’essence décorative. La concurrence des styles grec, romain, byzantin, roman, gothique, renaissance, etc., ne s’explique pas autrement; elle matérialise l’effondrement de la culture classique dominant «naturellement» depuis plus de trois siècles.
Certains travaux et, notamment deux expositions – Paris , Rome , Athènes et Pompéi. Travaux et envois des architectes français au XIXe siècle – permettent de mieux mesurer la place des études archéologiques scientifiques dans la formation des architectes. Une nouvelle approche de toute cette période, vue précédemment sous l’angle exclusif de la modernité des techniques et du goût (l’architecture des nouveaux matériaux et des nouveaux programmes; l’impact du réalisme, puis de l’impressionnisme), tente de comprendre aujourd’hui l’attitude des créateurs des formules «Beaux-Arts», témoignage d’une culture, véhicule des mentalités en pleine crise de conscience, au même titre que les mouvements dits modernes ou d’avant-garde. Le néo-classicisme défini comme un style, tel que Mario Praz le décrit, non sans mouvements d’humeur à l’encontre du «sentiment carnaval», de l’«artificialité» et du «caractère féminin du rococo» (sic ), comme à l’endroit du prétendu sublime «caricatural» d’un Ledoux, le néo-classicisme confondu avec le style Empire ne saurait résumer l’héritage de la démarche créatrice du XVIIIe siècle. Cette démarche, perçue comme innée et légitime par les théoriciens du Beau absolu (on invoque l’Apollon du Belvédère!), est en quelque sorte réactivée vers 1780 par l’adoption d’une vraie discipline: l’imitation de la Nature et des Anciens confondus, dont les principes nourrissent, par exemple, les créations les plus fortes de David et de Ledoux. En mettant l’accent sur les vertus décoratives du style «à la romaine», l’art du premier Empire n’assume qu’une part superficielle de l’héritage des Lumières. Le retour aux sources, décrit par Mario Praz comme une fascination à l’égard du primitivisme, n’est qu’une des tendances exacerbées de l’antique revival . Elle se transformera, teintée d’une nostalgie bien plus forte, cinquante ans plus tard, en préraphaélisme et en nazaréen . L’exploration des sources du XVIIIe siècle fait plutôt ressortir cette volonté d’identité culturelle, référence à un mythique Âge d’or à jamais inaccessible, qui cimenterait l’angoissant éparpillement de la civilisation urbaine et pré-industrielle naissante. Les thèmes moraux, didactiques, civiques et la générosité fébrile des dialogues, mesurée à l’aune du sentiment sensualiste – sous l’impulsion des nouvelles théories scientifiques –, conduisent aujourd’hui les historiens à opposer une esthétique des Lumières aux tendances éclatées du XIXe siècle. En peinture, par exemple, la synthèse davidienne doit sans doute plus à l’éclectisme antiquisant (de la Renaissance italienne à Poussin) abordé avec un cœur à la Greuze, qu’à l’influence anecdotique de M. J. Vien; la sensiblerie rousseauiste, l’élan libertaire lucidement dompté et l’excitante théâtromanie forment, parmi bien d’autres composantes, le substrat de la peinture d’histoire révolutionnaire.
Un livre de Jacques Chouillet, L’Esthétique des Lumières (1974), pose noir sur blanc la question en sous-titre: Le néo-classicisme existe-t-il? La réponse est négative. Rémy G. Saisselin, dans un bref essai intitulé «Néo-classicisme, discours et temps», partage ce point de vue, et relance en un brillant raccourci la polémique sur le caractère pseudo-objectif de l’histoire des styles: «Depuis plusieurs années, écrit-il, et plusieurs expositions internationales, on pense mieux connaître le XVIIIe siècle. Mais l’histoire de l’art ne saurait reposer uniquement sur les images que nous donnent des tableaux ou des sculptures; car l’art, dans le temps de l’histoire, est déterminé par des facteurs ou des conditions ou, pour se servir de la terminologie de l’abbé Du Bos, des causes morales et physiques, qui ne se laissent pas toujours deviner dans l’œuvre d’art contemplée. Et le XVIIIe siècle, en histoire de l’art, est important non seulement pour l’imaginaire produit, visible encore de nos jours, mais pour la signification de cet imaginaire, ce qu’on pensait alors être son véritable rôle. En forme de paradoxe, c’est au XVIIIe siècle que l’histoire rattrape l’art pour engendrer précisément l’histoire de l’art. Le lien entre art et Lumières n’est peut-être pas un rapport d’une philosophie des Lumières avec certaines images dites néo-classiques, mais précisément cette conscience de l’historicité de l’art, conscience étroitement liée à une notion de temps, comme changement ou comme progression. [...] Il en résulta [...] une crise de l’art au XVIIIe siècle dans un sens précis: l’objet d’art risquait de n’être qu’objet de luxe. Car, étant donné la sécularisation au XVIIIe siècle, l’art se trouve de plus en plus sevré du sacré.» On aura saisi que l’espace critique du siècle des Lumières ne se prolonge pas au XIXe siècle, ou du moins qu’il fut un héritage bien vite dilapidé. La notion de néo-classicisme recouvre difficilement cette prise de conscience historique, à deux versants, dont nous vivons encore aujourd’hui les soubressauts modernes et post-modernes.
néo-classicisme
n. m.
d1./d LITTER Mouvement littéraire français du début du XXe s. qui s'est attaché à renouveler les formes poétiques modernes en prenant pour modèle l'idéal classique. Le néo-classicisme est issu de l'"école romane" de J. Moréas.
d2./d BX-A Mouvement artistique de retour à l'Antiquité gréco-romaine apparu vers le milieu du XVIIIe s.
⇒NÉO-CLASSICISME, subst. masc.
A. —BEAUX-ARTS. Mouvement qui eut cours à la fin du XVIIIe s. et au début du XIXe s., marqué par un retour aux idéaux esthétiques de l'Antiquité gréco-romaine:
• ♦ La bourgeoisie ne se fera pas faute d'exalter les vertus romaines, celles de la République, en particulier, écho des siennes propres (...). Le néo-classicisme de la seconde moitié du XVIIIe siècle est corollaire du culte intentionnel des Brutus ou des Horace (...). Les façades des maisons bourgeoises créeront bientôt un style de dépouillement, de gravité dénudée, qui est comme le visage réprobateur de l'honnêteté dont se pare la classe montante.
HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p.365.
B. —LITTÉRATURE
1. Mouvement, qui eut cours à la fin du XIXe s. et au début du XXe s., dont l'idéal était de renouveler les formes poétiques modernes en s'inspirant de l'Antiquité classique, représenté, en particulier, par Ch. Maurras et J. Moréas. (Dict. XXe s.).
2. Caractère néo-classique (d'une oeuvre, d'un style littéraire). Votre écriture [d'André Gide] était comparée aux styles d'Anatole France et d'Abel Hermant pour leur néo-classicisme (BLANCHE, Modèles, 1928, p.205).
Prononc.:[]. Étymol. et Hist. 1928 (BLANCHE, loc. cit.). Formé de l'élém. néo- et de classicisme.
ÉTYM. V. 1900; de néo-, et classicisme.
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♦ Didact. École, mouvement littéraire (et, spécialt, poétique) préconisant le retour au classicisme, sous une forme renouvelée. || Le néo-classicisme dérive de l'école romane de Moréas. — Formes d'art imitées ou renouvelées de l'antiquité classique.
0 En réaction (…) contre les écoles précédentes et surtout contre les brumes symbolistes, le néo-classicisme revient aux sources les plus pures de la clarté française, mais se ressent encore des fièvres passées et garde une sorte de langueur subtile, assez « fin de siècle » (…) L'école romane proprement dite groupe autour de Moréas quelques poètes de talent (E. Raynaud, R. de La Tailhède, M. du Plessys…)… Sans se réclamer de Moréas, plusieurs poètes ou écrivains se rattachent au mouvement néo-classique (A. Samain, Ch. Guérin, P. Louÿs…). Enfin le néo-classicisme a donné lieu à une curieuse renaissance de la tragédie antique (…)
R. Jasinski, Hist. de la littérature franç., t. II, p. 720-729.
Encyclopédie Universelle. 2012.