ABSOLU
Le sens de ce terme paraît, d’entrée de jeu, nécessairement équivoque et polémique. L’absolu est le corrélat et le contraire du relatif, c’est donc une négation. Mais une notion d’où l’idée de rapport est absente est soustraite aux limitations, affranchie des variations, et désigne donc, positivement, l’achevé, le parfait.
Cette ambiguïté sémantique ne relève donc pas d’une indécision de vocabulaire: elle connote une difficulté qui inaugure le débat philosophique suscité par le concept. L’absolu a-t-il un sens ou non, existe-t-il ou non? Et puisque absolu signifie inconditionné, principe sans principe, l’absolu est mis en question par toute recherche du vrai, tout système philosophique en exprime une conception particulière.
Dans un contexte théologique, c’est la question de Dieu, de sa présence ou de son absence, de son affirmation ou de sa négation, qui est posée par le mot «absolu». Mais parallèlement, étant donné qu’absolu signifie ce qui est par soi, indépendamment de toute autre chose, le problème de la liberté, concrète ou illusoire, se trouve avec lui posé.
1. Absolu indéterminé et système absolu
Si les religions ont toutes un projet commun, c’est dans la mesure où chacune prétend accéder à l’absolu. Mais il est à remarquer que l’homme en a élaboré des conceptions fort différentes, alors que la simplicité du concept paraît requérir a priori une pensée identique, dans le cadre d’une logique univoque. Pour qui veut en préserver la pureté et la rigueur, l’absolu demeure négation radicale de toute relation, et ne peut qu’être altéré et contredit par des dogmatiques particulières qui tentent de lui donner une figure déterminée. Deux ou plusieurs absolus sont indiscernables.
Absolu et négation
Cette dernière proposition n’est que l’application immédiate de la règle élémentaire de toute connaissance qui n’est effective que si elle est distincte et concerne, par conséquent, ce qui est limité et se laisse définir, circonscrire par opposition. Mais une opposition précise est un rapport déterminé. Négation de tout rapport, l’absolu ne saurait donc admettre une détermination particulière, parmi d’autres. Certes, mais la conclusion est incomplète: nécessairement unique, l’absolu, dépouillé des représentations, des figures multiples que prodiguent les religions, échappe lui-même à toute définition, exclut les noms divins, et ne peut être évoqué que par la série indéfinie des négations.
L’absolu est l’in conditionné, l’in composé, l’in déterminé, l’in forme. Aucun discours ne saurait l’exposer, aucune pensée précise ne le concerne, il est le rien où toute détermination se consume. Par-delà les formules et les rituels, qui flétrissent sa pureté sans visage, inintelligible, le Dieu visé par toute religion n’est que l’Inconnu absolument inconnaissable.
Cette logique simple et implacable commande la théologie négative des mystiques néoplatoniciens, accordée à la pensée indienne, et reprise d’âge en âge. Théologie critique de toute affirmation particulière de Dieu, elle réduit les dogmatiques et les symboliques religieuses à leur relativité et à leur contingence pour inviter au silence, à l’accueil muet de l’Ineffable. Dieu n’est ni quelque chose ni quelqu’un. Nommer l’absolu, c’est lui rapporter illusoirement notre langage, insérer dans nos catégories ce qui leur est indifférent, tout autre. Plotin nous enseigne que l’Un, terme destiné à nier toute altérité intérieure à l’absolu qui lui conférerait un statut, une nature, établit encore dans l’ordre de la quantité ce qui est infiniment au-delà de tout ordre. Le Pseudo-Denys élabore le plus complet des discours sur Dieu afin de l’abolir dans l’universelle négation des attributs divins.
Cette conception négative de l’absolu, on le voit, contredit directement, dans son essence même, le christianisme. Si toute religion, en effet, paraît insensée, qui invoque un rapport de l’homme avec le sans-rapport, a fortiori celle qui annonce l’incarnation, et la parole de Dieu. Il est vrai que la «voie négative», destinée seulement à purifier la connaissance de Dieu de l’anthropomorphisme et de la prétention au savoir adéquat, demeure, classiquement, l’exigence de la foi chrétienne. Mais dans sa rigueur, la théologie négative proclame que l’absolu, en lui-même, n’est rien: il n’apporte aucune détermination, et ne saurait donc se dire, se révéler. Il ne peut concerner notre monde, nos paroles, notre histoire et notre destin.
Cependant le Dieu inaccessible subsiste au sein de son altérité même. Existence et plénitude que désigne l’absolue perfection de l’absolu. Seulement cette positivité nous échappe éternellement et demeure absolument étrangère à la totalité des perfections et des déterminations intelligibles qu’elle transcende infiniment. Si donc tout espoir d’approcher ou de rencontrer l’absolu n’est qu’absurde vanité, le mystique ne peut qu’escompter une fusion, une absorption dans la sphère divine anéantissant son être personnel. La divinisation de l’homme doit être aussi son abolition.
Aussi bien la «transcendance» de Dieu n’est-elle qu’une image provisoire, dont l’usage pédagogique ne doit point faire illusion. La transcendance n’est pas un dépassement de l’en-deçà par l’au-delà, elle n’est pas l’index d’un autre monde ou d’un arrière-monde. Elle ne doit désigner, négativement, que rupture et non-appartenance. Mais aucune signification positive ne peut lui être réservée: se représenter l’absolu selon un rapport de domination, de supériorité, d’élévation, c’est plaquer fantastiquement l’image composite de relations humaines et de situations locales sur un non-sens. L’absolu n’est pas différent et autre, mais indifférent et tout autre. Il est absolument étranger et toute voie d’analogie ou d’éminence prétendant concevoir Dieu comme un plus, un mieux, une surabondance, est en fait le contre-courant qui nous renvoie à nous-mêmes, à notre existence insatisfaite, substituant à la négation nécessaire de soi une projection délirante de nos propres requêtes. Alors, selon le mot de Marx, Dieu n’est que la «réalisation fantastique de l’essence humaine».
L’affirmation de l’absolu est ainsi, en vertu de sa propre logique, réduite à son contraire. Elle se dévore et se consume elle-même. Le silence qu’elle prépare est définitif et tarit la sensibilité comme le discours. C’est donc en épousant rigoureusement la même voie négative que sera conclue la négation de Dieu. Le théorème hégélien qui énonce l’identité de l’être absolument indéterminé et du néant pur n’a pas d’autre signification. Ou bien, selon la formule de Léon Brunschvicg, la théologie négative est, au vrai, la négation de la théologie, et la fastidieuse négation réitérée de ce que Dieu n’est pas se résume dans la simple proposition que rien de ce qui est n’est Dieu. Le vide est encore une image relative que le rien ne peut tolérer. On comprend aisément que la mystique engendre souvent l’athéisme: il y suffit d’un peu plus de lucidité et le constat de nullité est définitivement dressé.
Absolu et humanisme
La négation de Dieu est donc le principe d’une renaissance du discours, d’une reconquête de soi. L’homme, assuré de son existence, inséré dans la réalité de son monde et de son histoire, revenu de l’aliénation religieuse, est redonné à lui-même. La «mort de Dieu» signifie la naissance de l’homme. Mais l’humanisme ne s’érige en doctrine et en système exclusif qu’en souscrivant à la même conception de l’absolu, à la même prescription de rupture et de négation qu’exigeait la théologie négative. En rigueur, l’humanisme est système de l’homme seul brisant tout lien de parenté avec la nature comme avec Dieu. L’homme ne fait pas nombre avec d’autres êtres, il ne s’inscrit pas dans une hiérarchie, mais, par son autarcie absolue, il est sa propre origine et sa propre fin. Invoquer un humanisme chrétien ou marxiste revient à lier le sort de l’homme à ce qui n’est pas lui, à le relativiser, à l’aliéner de nouveau, à masquer une contradiction par de nouvelles mythologies.
C’est pourquoi l’humanisme ne peut définir l’homme que par sa liberté radicale, par l’invention de soi. Absolument isolé dans sa parfaite insularité, l’homme est son propre absolu par sa toute indépendance et, à l’image du Dieu inaccessible et privé d’essence, il échappe aux prises du discours et demeure étranger à ce qui n’est pas lui. Il est vrai que l’homme est multiple et que chacun diffère de chacun. Mais ces différences relèvent de la biologie ou d’une psychologie traitant l’homme comme une chose: elles sont extérieures et apparentes. La vérité de la liberté est l’indifférence de l’Unique.
Toutefois, la liberté est ici réduite à son sens négatif. La toute indépendance est adéquate au non-relatif, mais exclut, précisément, la détermination positive de soi par soi. Celle-ci ne saurait être que morsure du réel sur le réel, action, transformation effective d’une manière d’être, d’une situation, détermination des mots et des choses. Or, la rupture consommée, le retrait du sujet à l’intérieur de lui-même, interdisent l’acte compromis et aliéné dans le cours du monde. La liberté, réfugiée dans l’intériorité exclusive, ne saurait pas même se définir par l’exercice d’un jugement souscrivant nécessairement à la contrainte de la logique et des langues, lié par l’office du corps aux lois de la nature. Au terme de l’abstraction, la liberté nue, muette et stérile, n’est que l’ombre inconsistante d’une divinité absente, à peine discernable du néant par la survivance d’une inutile rhétorique.
Ainsi, en vertu de la même règle d’indétermination prescrite par l’absolu, la «mort de l’homme» est le corrélat nécessaire de la «mort de Dieu». Dans le champ total du réel, tout être est déterminé, aucun n’a privilège ni indépendance mais se résout en sa détermination, dans l’ensemble complet des rapports qui le lient à tous les autres et constituent le système unique des déterminations. Ni dans notre pensée ni dans notre action ne sont repérables des éléments suffisants à eux-mêmes, distraits de l’immense clavier où se joue l’histoire universelle. Comme la liberté, l’invention est illusoire et la «négativité» de l’esprit se résout en négations précises constituées de rapports déterminés.
Cette dialectique dont nous traçons l’épure est, de nos jours, figurée par les métamorphoses des idéologies. De l’humanisme existentialiste proclamant l’inconditionnalité du sujet «constituant» aux multiples expressions du structuralisme invoquant la détermination et la constitution du «je pense» solipsiste, promettant de ramener les sciences de l’homme aux sciences de la nature, il n’y a, semble-t-il, qu’inversion brutale et délaissement résolu de l’absolu.
Il est vrai que la négation de l’humanisme nourrit un nouveau dogmatisme et que celui-ci ne parvient pas à expliquer l’erreur de l’adversaire. Il est non moins remarquable que cette négation ne fait point partie des sciences invoquées comme la linguistique ou l’anthropologie structurale et que le problème du sujet demeure philosophique. Mais l’important est ici de reconnaître, dans le passage du sujet au système, non l’éviction du concept d’absolu mais son déplacement vers la totalité systématique, l’ensemble de toutes les relations coordonnées constituant l’unique réalité.
L’absolu est système
Ainsi semble recouvrée la signification positive du concept. Si, en soi et en droit, le tout systématique est unique, un et exclusif, comme l’exige la signification négative, c’est qu’il est comme un discours saturé, achevé, sans auteur ni au-delà, où tout est dit, effectivement, réellement, bien qu’il soit dérobé à l’individu, à sa conscience où s’entretient l’illusion d’une souveraine liberté. Il n’est pas douteux que ces propositions générales s’inscrivent dans le sillage de la philosophie de Leibniz. Mais celui-ci, en contrepoint de la pensée de Descartes, s’efforçait d’élaborer une théologie positive, référant la logique systématique des relations au Logos divin. On peut se demander si les thèses de style structuraliste n’entretiennent pas, dans leurs principes, une théologie de ce genre. La question en tout cas ne peut-être évitée: peut-on tenir, sans contradiction ni recours à une nouvelle mythologie, que l’absolu soit un système?
2. La conception positive de l’absolu
La réflexion qui extrait de nos paroles, de nos discours, la logique formelle qui les règle et les systèmes syntaxiques qui les structurent en diverses langues, risque de s’oublier elle-même devant ses propres produits. Alors ceux-ci apparaissent immédiats, comme des données objectives: les lois et les formes, éléments premiers, commanderaient le langage effectif, décideraient des événements seconds que sont nos propos. Ainsi le logicien ou le linguiste est-il tenté d’inverser l’ordre réel en considérant les résultats de son abstraction méthodique indépendamment de celle-ci qui, pourtant, est l’œuvre de la réflexivité du langage en acte. Mais ce dernier suppose un auteur, il est conduit et engage le sujet qui le parle. Par conséquent, la substitution du système au sujet forge une représentation et non une conception fidèle au statut du langage.
Toutefois, les sciences ne mettent à jour que des systèmes partiels et l’invocation du système, de la totalité des relations coordonnées, ressortit à la métaphysique. Si donc persiste l’oubli de la réflexion dans la représentation d’une structure objective, il faut l’intervention de la catégorie «absolu» pour supposer une nécessaire structure des structures. Ainsi se conjuguent les deux propositions: le système est objet, le système est absolu.
Leibniz
La difficulté demeure ici celle des individus, comme tels. Si l’on refuse de les résoudre dans l’apparence illusoire, il faut montrer que le système absolu, l’absolu comme système, loin de les résorber, leur confère l’être, puisqu’il est posé comme l’unique mesure de ce qui est. Le génie de Leibniz s’y est employé. Chaque être, explique-t-il, est sa détermination propre, intrinsèque, mais puisque toute détermination implique le tout systématique des déterminations, il faut que le système complet soit implicitement présent pour qu’un individu possède une réalité substantielle. Ce qui signifie que chacun d’entre nous exprime et répète à sa manière, d’un point de vue déterminé, selon sa détermination propre, l’unique système qu’est le réel absolu. Ainsi serait résolue l’antinomie de l’Un et du multiple: l’absolu est un, il est système, mais sa lecture est multiple infiniment et donne lieu à la multiplicité des expressions possibles.
Hegel
Cependant, la thèse de Leibniz sur l’absolu, qu’implique toute assertion d’identité, d’hier et d’aujourd’hui, entre l’absolu et le système avive la difficulté qu’elle devait résoudre. Car affirmer que chacun, en soi, est équivalent à chacun, en vertu de l’unicité du système, c’est aussi admettre l’équivalence réelle de l’un absolu et de son contraire. C’est supposer que le système, pour être unique, doit être immédiatement et infiniment multiple. Hegel avait donc raison en affirmant que la philosophie de Leibniz, résumée dans l’assertion: «L’absolu est objet», constituait «la contradiction entièrement développée».
Mais Hegel entendait réfuter également la thèse négative de l’absolu indéterminé. C’est pourquoi, selon lui, s’il faut dire de l’absolu qu’il est sujet, il faut dire également que l’absolu est système. Mais à condition de comprendre que le système n’est que l’acte d’autodétermination de la liberté absolue se constituant éternellement Verbe divin. Selon cet auteur, qui s’efforce d’exposer la logique absolue de l’absolu, il faut bien tenir que l’absolu est négation infinie. Seulement, une négation qui n’est qu’un rapport formel d’opposition, un renvoi incessant d’une détermination à une autre, ne désigne que la fastidieuse et absurde réitération du relatif, ne signale que la quête toujours insatisfaite d’un absolu inaccessible et impossible. Il n’y a donc négation absolue que d’une négativité qui se retourne sur elle-même, qui est dessaisissement de soi et récupération de soi-même, négation de la négation, acte par lequel l’absolu est sa propre infinité positive.
Il semble ainsi que Hegel nous offre dans sa théologie, dans sa logique de la liberté divine, la conjonction réussie des significations négatives et positives de l’absolu. Retenant de sa tentative l’ouverture à la conception d’une voie nouvelle, susceptible de conduire à la résolution des antinomies de l’absolu, délaissons maintenant la systématique propre à cet auteur pour réfléchir sur les présupposés de l’absolu indéterminé et de l’absolu-système.
Sens et existence
Lorsqu’on tente d’analyser l’absolu, pour énumérer les attributs qui lui conviennent, on le considère comme un objet d’investigation dont on ferait le tour pour reconnaître ses contours et sa manière d’être propre. En termes théologiques, il s’agit de dresser la liste des attributs divins en s’efforçant d’opérer leur conciliation. La pensée erre d’un attribut à l’autre, comme s’ils faisaient cercle autour d’un centre vide. Et la théologie négative n’a point de peine à montrer que le bilan de cette enquête est nul, que la suite des noms divins appelle la négation de chacun d’eux, puisque toute détermination est relation et que l’absolu est le non-relatif. Si, de la même façon, l’être singulier d’une personne est inconnaissable, si je ne suis aucune des notes caractérologiques qu’on m’assigne de l’extérieur, c’est que la singularité récuse la généralité des mots comme les similitudes des choses. À ce point se remarque une parenté de sens entre absolu et personne qui nous renvoie au problème de la liberté.
Mais la conception négative de l’absolu demeure complice de la «théologie naturelle» qu’elle révoque. En concluant que l’absolu est inconnaissable, ineffable, elle souscrit au principe d’une connaissance objective et positive de l’absolu. Du même coup, elle présuppose que l’absolu est objet, susceptible d’une description ordonnée qui en épuiserait l’essence dans un discours systématique. Deux remarques s’imposent aussitôt:
1. La thèse de l’absolu indéterminé, en dépit de ses formules antirationalistes, repose sur un rationalisme de principe qui refuse de concevoir l’absolu comme sujet, comme liberté et se fixe à un mode exclusif de connaissance objective. Rationalisme qui la rend solidaire de la thèse opposée, celle de l’absolu système. L’inversion dialectique qui nous fait passer d’une thèse à l’autre a donc pour ressort une identique négation, une même privation, l’absolu, dans les deux cas, étant réduit à la Chose absolument impersonnelle.
2. Puisque l’athéisme ne fait que prendre acte, résolument, de la proposition conclusive de la théologie négative: «Dieu est rien», il présuppose la même conception négative de l’absolu. Mais il en est de même si l’on considère l’athéisme indifférent d’un scientisme qui complète la «mort de Dieu» par la «mort de l’homme», et substitue à la volonté d’autarcie absolue de l’humanisme athée la volonté, non moins passionnée, de système achevé.
C’est alors que la réflexion trouve l’issue pour son entreprise de réfection. Remettre en cause, en effet, l’assertion rationaliste qui engage la double négation de Dieu, c’est reconnaître que la logique de l’absolu, loin d’être préservée dans ces thèses antinomiques, était mutilée à l’avance. En effet, refuser a priori que l’absolu soit liberté absolue, que Dieu, s’il existe, puisse décider de se relier, de se mettre en rapport, de se déterminer lui-même, c’est lui interdire d’être absolument absolu, c’est donc refuser le plein droit et le plein sens du concept. Ainsi, le rationalisme de principe pèche non par excès mais par défaut de raison. Penser l’absolu comme une chose, comme ce qui ne peut être quelqu’un, c’est simplement penser contradictoirement et tarir la pensée spéculative.
La spéculation, cependant, ne semble pouvoir transgresser le champ clos du langage astreint à l’analyse du sens, prisonnier de l’abstraction conceptuelle. Que l’absolu signifie l’indétermination, le système ou la liberté, cela ne concernerait que l’organisation des significations et demeurerait sans portée ontologique. En d’autres termes, comme tout problème existentiel, celui de l’existence de l’être absolu, de Dieu, serait un faux problème philosophique. Et si le concept d’absolu devait avoir une application réelle, ce serait à condition de le réduire à une notion opératoire requise, par exemple, pour les mathématiques ou la grammaire. Peut-être même la considération de l’absolu comme celle d’un concept pourvu de sens irréductible, d’une essence qui s’impose à la réflexion, relèverait-elle de l’illusion philosophique contemplant pour elles-mêmes de simples règles d’opération.
Nul n’est libre à l’égard du sens. Précisément, toute la problématique de l’absolu naît d’une opposition de sens qui s’impose à l’attention, d’une nécessité du concept que ne respectent pas les thèses extrêmes. Or le sens d’absolu est autre et plus riche que celui auquel il est réduit dans son usage opératoire dont on ne saurait déduire la liberté absolue.
En second lieu, être infidèle à l’ontologie et enclore l’absolu dans l’élément abstrait du concept, revient peut-être, à nouveau, à réduire et à mutiler son sens. Ainsi du moins le prétend toute formulation de l’argument ontologique de l’existence de Dieu.
On sait que cet argument part de l’idée de parfait. Mais celle-ci, loin d’être autonome à l’égard de l’absolu n’en est qu’une signification distraite. C’est ce qu’entendait Descartes en affirmant que penser Dieu comme n’existant pas, c’est penser contradictoirement. Mais ce raisonnement ne vaut que de la seule idée de Dieu, et non de tout ce qui est relatif et contingent. Si cette remarque réfute à l’avance l’objection kantienne, selon laquelle l’existence ou la non-existence ne change rien au concept, puisqu’elle ne concerne que la relativité des êtres contingents, il reste que la faible adhésion recueillie par la preuve ontologique est peut-être le signe d’une insuffisante conception de l’absolu présidant à sa formulation.
Dire, en effet, que l’existence ne peut manquer à l’absolu, c’est encore souscrire à une théologie naturelle qui s’efforce de dresser une liste des attributs divins. C’est encore présupposer que l’absolu doit être examiné comme une chose. C’est pourquoi la théologie négative qui est sans doute au principe de toute ontologie négative, et celle-ci au principe de toute négation de l’ontologie, récusera immanquablement l’argument de saint Anselme, des cartésiens et de Hegel.
Il en irait tout autrement si, conformément aux analyses qui précèdent, on respectait le plein sens et la nécessité de l’absolu comme concept, en reconnaissant, dans l’énoncé de cet argument, que l’absolu n’est tel que s’il est liberté absolue. Penser, en effet, que la liberté est illusoire, c’est toujours la relativiser pour considérer exclusivement soit son sens négatif (l’indépendance) soit son sens positif (l’acte de détermination). Mais si la liberté absolue exige l’unité de la négation et de l’affirmation, si elle doit être pensée comme l’absolue détermination de soi par soi, force est sans doute de conclure qu’elle ne peut pas ne pas être, que l’absolu, ou Dieu existe nécessairement.
absolu, ue [ apsɔly ] adj. et n. m.
• asolue 1080; lat. absolutus
I ♦ Adj.
1 ♦ Qui ne comporte aucune restriction ni réserve. ⇒ achevé, intégral, total. Une confiance absolue dans l'avenir. ⇒ aveugle. C'est une nécessité, une impossibilité absolue. Silence absolu. « Il se trouve dans le noir [...] rien ne permet de s'orienter, aucune lueur. C'est la nuit absolue » (Robbe-Grillet).
♢ Spécialt Pouvoir absolu. ⇒ despotique, dictatorial, totalitaire, tyrannique. Par ext. Monarchie absolue, roi absolu, qui a le pouvoir absolu (opposé à constitutionnel).
♢ Alcool absolu, pur.
2 ♦ Parfait; aussi parfait qu'on peut l'imaginer. ⇒ 1. idéal. « L'amour absolu n'existe pas plus que le parfait gouvernement » ( Maurois).
3 ♦ Qui ne fait aucune concession, ne supporte ni la critique ni la contradiction. Un esprit absolu. ⇒ autoritaire, despotique, entier, intransigeant. « Les natures absolues ont besoin de ces partis tranchés » (Renan). « À votre âge on a des jugements absolus » (Bernanos). Ton absolu. ⇒ cassant, tranchant.
4 ♦ (Opposé à relatif) Qui est tel en lui-même, considéré en lui-même et non par rapport à autre chose. ⇒ soi (en soi). Majorité absolue.
♢ Milit. L'arme absolue, contre laquelle aucune défense n'est possible.
♢ Identique pour tous les observateurs, quel que soit leur système de référence (ou référentiel). ⇒ invariant. Température absolue, comptée à partir du zéro absolu.
♢ Math. Valeur absolue.
♢ Gramm. Ablatif, génitif absolu. Emploi absolu d'un verbe transitif, sans complément d'objet.
II ♦ N. m.
1 ♦ Philos. Ce qui existe indépendamment de toute condition ou de tout rapport avec autre chose. « L'absolu, s'il existe, n'est pas du ressort de nos connaissances » (Buffon). « Tant que l'absolu s'incarna dans le siècle, nous pouvions nous battre heureux » (R. Debray).
2 ♦ Loc. DANS L'ABSOLU : sans comparer, sans tenir compte des conditions, des circonstances. On ne peut juger de cela dans l'absolu.
3 ♦ Alchim. La matière unique d'où dériveraient tous les corps. « La Recherche de l'absolu », roman de Balzac.
⊗ CONTR. Limité, partiel. Imparfait. Conciliant, libéral. Relatif. — Contingent.
● absolu nom masculin Ce qui ne connaît aucune limitation, aucune imperfection : Éprouver un besoin d'absolu. Entité infinie, intemporelle et dont la signification varie avec chaque philosophie. ● absolu (citations) nom masculin Antonin Artaud Marseille 1896-Ivry-sur-Seine 1948 L'absolu n'a besoin de rien. Ni de dieu, ni d'ange, ni d'homme, ni d'esprit, ni de principe, ni de matière, ni de continuité. Héliogabale ou l'Anarchiste couronné Gallimard Simone de Beauvoir Paris 1908-Paris 1986 Le couple heureux qui se reconnaît dans l'amour défie l'univers et le temps ; il se suffit, il réalise l'absolu. Le Deuxième Sexe, tome I Gallimard Henry Millon de Montherlant Paris 1895-Paris 1972 Académie française, 1960 Certaines âmes vont à l'absolu comme l'eau va à la mer. Les Jeunes Filles Gallimard Pablo Ruiz Picasso Málaga 1881-Mougins 1973 C'est difficile de mettre un peu d'absolu dans la mare aux grenouilles. Cité par Jean Leymarie dans Picasso, métamorphoses et unité Skira Pierre Joseph Proudhon Besançon 1809-Paris 1865 L'homme et la femme peuvent être équivalents devant l'Absolu : ils ne sont point égaux, ils ne peuvent pas l'être, ni dans la famille, ni dans la cité. De la justice dans la révolution et dans l'Église ● absolu (expressions) nom masculin Dans l'absolu, sans tenir compte des contingences, en pure théorie. ● absolu, absolue adjectif (latin absolutus, achevé) Qui n'admet aucune restriction, aucune exception ni concession : Le médecin lui a imposé un repos absolu. Se dit d'un état, d'une qualité arrivés à un degré extrême : La pauvreté absolue d'une population. Se dit d'un pouvoir politique qui n'est soumis à aucune limitation, ou de la personne qui l'exerce : Un monarque absolu. Qui ne supporte aucune contradiction, qui ignore les nuances : Il est toujours absolu dans ses jugements. ● absolu, absolue (citations) adjectif (latin absolutus, achevé) Auguste Comte Montpellier 1798-Paris 1857 Il n'y a qu'une maxime absolue, c'est qu'il n'y a rien d'absolu. Cours de philosophie positive ● absolu, absolue (difficultés) adjectif (latin absolutus, achevé) Emploi Quand il signifie « complet, sans réserve, total » (une confiance absolue), absolu n'admet en principe ni comparatif (une confiance plus absolue/moins absolue) ni superlatif (une confiance très absolue). Mais, quand il signifie « entier dans ses opinions ou ses jugements, radical », absolu admet les degrés de l'adjectif : sa ferveur est intacte, mais il est moins absolu que dans sa jeunesse. ● absolu, absolue (expressions) adjectif (latin absolutus, achevé) Block absolu, système de cantonnement dans lequel la pénétration en canton occupé est interdite pendant le fonctionnement normal des installations. Signal d'arrêt absolu, signal dont la position fermée indique l'arrêt obligatoire. Alcool absolu, alcool éthylique anhydre. Danse absolue, danse construite sur le mouvement seul et qui s'exprime sans le recours d'un autre art. (Cette expression, utilisée par les danseurs allemands des années 1920, équivalente de modern dance, a été remplacée par celle de « danse expressionniste » par Mary Wigman et ses danseurs.) Valeur absolue sur un anneau unitaire A, application de A dans R+ notée satisfaisant aux conditions : ; et . [Sur le corps R des réels est définie : .] Appareil absolu, instrument de mesure dont les constantes peuvent être déterminées par des mesures ne portant que sur les grandeurs fondamentales. Essence absolue, essence fournie par traitement des essences concrètes florales par l'alcool éthylique. Masse absolue, dans le conditionnement des produits textiles, masse des matières totalement anhydres. ● absolu, absolue (synonymes) adjectif (latin absolutus, achevé) Qui n'admet aucune restriction, aucune exception ni concession
Synonymes :
- formel
- total
Se dit d'un état, d'une qualité arrivés à un degré...
Synonymes :
- intégral
Se dit d'un pouvoir politique qui n'est soumis à aucune...
Synonymes :
Contraires :
- libéral
Qui ne supporte aucune contradiction, qui ignore les nuances
Synonymes :
- catégorique
- entier
- impérieux
Contraires :
- tolérant
Chemin de fer. Block absolu
Contraires :
absolu, ue
adj. et n. m.
d1./d Qui est sans limite. Je suis dans l'incertitude absolue.
— Pouvoir absolu: pouvoir politique que rien ne borne.
d2./d Total; entier. Impossibilité absolue.
|| CHIM Exempt de tout mélange. Alcool absolu.
d3./d Fig. Intransigeant. Un caractère absolu.
d4./d Considéré en soi, indépendamment de toute référence à autre chose (par oppos. à relatif). La vérité absolue existe-t-elle?
|| GRAM Emploi absolu d'un verbe transitif: V. absolument. Superlatif absolu.
|| MATH Valeur absolue d'un nombre réel, sa valeur indépendamment de son signe algébrique. (Ex.: a est la valeur absolue de + a ou de - a.)
|| PHYS Zéro absolu: origine de l'échelle thermodynamique des températures exprimées en kelvins, soit 0 K (qui correspond à la température la plus basse possible - 273,15 °C).
|| n. m. Ce qui existe en dehors de toute relation. L'absolu a été longtemps considéré comme l'objet ultime de toute philosophie. Avoir soif d'absolu.
⇒ABSOLU, UE, adj. et subst.
I.— Empl. adj.
A.— [Dans le domaine de la pensée relig. ou profane, de l'art, de l'expr. litt., etc.] Dont l'existence ou la réalisation ou la valeur est indépendante de toute condition de temps, d'espace, de connaissance, etc. Anton. relatif :
• 1. ... toutes nos connaissances ne sont toujours que celles de nos manières d'être et des lois qui les régissent, qu'elles sont toujours relatives à nos moyens de sentir, qu'elles ne sauraient jamais être absolues et indépendantes de ces moyens, et que tous ceux qui se proposent de pénétrer la nature intime, l'essence même, des êtres, abstraction faite de ce qu'ils nous paraissent, veulent une chose tout-à-fait impossible et absolument étrangère à notre existence et à notre nature, puisque nous ne pouvons pas même savoir, si les êtres ont une seule qualité autre que celles qui nous apparaissent.
A.-L.-C. DESTUTT DE TRACY, Éléments d'idéologie, Logique, 1805, p. 195.
• 2. Le 26, j'ai eu un de ces bons moments où je sentais tout ce qu'il y a de misérable dans nos intérêts relatifs et la nécessité, le besoin qu'a toute âme un peu élevée de se rattacher à quelque chose d'absolu qui ne change pas; mais nous ne pouvons nous défaire de ce fonds de passivité qui nous fixe dans le relatif, et fait que nous passons d'une modification à une autre.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1818, p. 114.
• 3. La vérité n'appartient à personne; elle est universelle, absolue; les hommes ont besoin de la chercher, de la professer en commun.
F. GUIZOT, Hist. générale de la civilisation en Europe, 1828, p. 8.
• 4. La religion, à une époque quelconque, n'est donc pas la vérité absolue, mais seulement la vérité relative, la vérité telle que les hommes à cette époque pouvaient la concevoir. Elle ne peut jamais être le mensonge, mais elle n'est pas toute la vérité.
P. LEROUX, De l'Humanité, t. 2, 1840, p. 491.
• 5. Oui, Monsieur, j'ai longtemps cherché l'art absolu! O délire! O folie! Regardez ce front ridé par la couronne de fer du malheur! Trente ans! Et l'arcane que j'ai sollicité de tant de veilles opiniâtres, à qui j'ai immolé jeunesse, amour, plaisir, fortune, l'arcane gît, inerte et insensible, comme le vil caillou, dans la cendre de mes illusions! Le néant ne vivifie point le néant ».
A. BERTRAND, Gaspard de la nuit, 1841, p. 59.
• 6. Si la vérité n'est pas un vain nom, elle n'est dans l'univers qu'à l'état d'expression, et dans notre esprit qu'à l'état d'apparition; elle est dans l'univers comme l'artiste dans son œuvre, elle est dans notre esprit comme le soleil dans nos yeux. Mais par delà l'univers et notre esprit, elle subsiste en elle-même, elle est une essence réelle, infinie, éternelle, absolue, existant par soi, ayant conscience et intelligence de soi; car, comment la vérité ne s'entendrait-elle pas elle-même, puisqu'elle est la source de tout entendement? Or, dire cela de la vérité, c'est définir Dieu; Dieu est le nom propre de la vérité, comme la vérité est le nom abstrait de Dieu.
H.-D. LACORDAIRE, Conférences de Notre-Dame, 1848, p. 26.
• 7. Où donc est l'être? Où est ce qui est? Ah! Je le pressens déjà, et même je le sais. L'être est l'unité absolue, éternelle, infinie, la pluralité sans division, l'océan sans rivages, le centre sans circonférence, la plénitude qui se contient elle-même, la forme sans figure; le tout enfin, hors de quoi tout ce qui est n'est plus qu'un fait et un don. Mais en disant cela, messieurs, qui ai-je nommé? J'ai nommé celui qui a dit de lui-même : ego sum, qui sum, — je suis celui qui suis. J'ai nommé celui qui a dit encore : ego sum veritas, — je suis la vérité. J'ai nommé Dieu. Voilà l'être, et voilà la vérité. Dieu seul est la vérité, parce que seul il est l'être...
H.-D. LACORDAIRE, Conférences de Notre-Dame, 1848 p. 130.
• 8. L'esprit humain est organisé pour percevoir, dans l'espace et dans la durée, des rapports qui existent effectivement hors de lui et indépendamment de lui. Il pénètre ainsi dans la réalité, mais dans une realité relative, phénoménale, dont la connaissance suffit aux besoins et au rôle de l'homme dans le monde. Lorsqu'il est tenté de l'outrepasser et d'ériger cette réalité relative en réalité absolue, il cède sans doute à un penchant de sa nature, mais ce penchant le trompe, et la raison l'en avertit, en lui montrant des abîmes sans fond et des contradictions sans issue.
A. COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances, 1851, p. 227.
• 9. ... « Penses-tu quelquefois à la mort? dit Gérard.
— Quand je suis heureux; jamais quand je souffre.
— S'il n'y avait que le dernier moment, dit Gérard, qu'importe! Mais c'est la fin qui est triste et déplaisante; penser que tous les gens qui vous regrettent vous auront oublié dès le lendemain! S'en aller en se voyant fumer comme la mèche d'une chandelle, petit à petit, et avec plus de douleur que la chandelle!
— Est-ce l'inconnu qui te fait peur? dit Thomas.
— Oh! L'inconnu, je ne m'en inquiète guère... je crois à un néant absolu. Nous servons à fumer des terres : voilà ce qu'il y a de plus clair pour moi.
CHAMPFLEURY, Les Aventures de Mademoiselle Mariette, p. 1853, p. 240.
• 10. Il n'est pas dans la nature du droit d'être absolu et immuable; il se modifie et se transforme, comme toute œuvre humaine. Chaque société a son droit, qui se forme et se développe avec elle, qui change comme elle, et qui enfin suit toujours le mouvement de ses institutions, de ses mœurs et de ses croyances.
N.-D. FUSTEL DE COULANGES, La Cité antique, 1864 p. 399.
• 11. De la naïveté gothique, il [Raphaël] parvient, en quelques années, à ce faîte de l'art, à cette perfection absolue après laquelle il n'y a plus que décadence.
T. GAUTIER, Guide de l'amateur au musée du Louvre, 1872, p. 30.
• 12. C'est l'à-peu-près remplacé par l'exactitude, la courbe irrégulière par le cintre absolu, l'angle douteux par la diagonale parfaite...
E. LECLERC, Nouveau manuel complet de typographie historique, 1897, p. 352.
• 13. La science, chaque jour, traque le hasard, le grignote, et nous prouve que ce n'était que le nom de notre myopie. Les lois identiques qu'on découvre dans la gravitation des mondes et dans le mouvement des atomes suffiraient à me faire croire à Dieu. Le hasard au sens d'une marge de liberté cosmique, et gratuite, entre des éléments stables, n'existe pas. Ou bien il faut tenir l'univers pour l'expression de l'incohérence absolue, sans fissure, l'incohérence roulant sur elle-même, sans raison, ni but, plus aveugle, plus absurde que la fatalité antique, l'incohérence pour l'incohérence, en tout et toutes choses, des astres, de la terre, de l'herbe, de l'âme... ou bien il faut croire!
M. DRUON, Les Grandes familles, t. 2, 1948, p. 173.
B.— [En parlant de la manière d'exercer l'autorité pol., mor., intellectuelle, etc.] Qui n'admet aucune limitation dans son exercice ou ses manifestations.
1. POL. Pouvoir absolu. Chef, roi, souverain, monarchie, gouvernement, despotisme absolus... D'une manière gén. se dit d'un chef d'État qui dicte les lois, et ne connaît d'autres limites que les siennes propres. Par suite, se dit de son pouvoir :
• 14. Je sais comme vous, interrompis-je, que les rois, en général, ne se croient grands et puissans qu'autant qu'ils sont absolus, c'est-à-dire despotes. Charlemagne reçut la couronne avec une autorité sans bornes; il eut assez de génie et de grandeur d'âme pour sentir qu'un pouvoir arbitraire est aussi fragile qu'illégitime; il voulut ne régner que par les lois; il falloit les faire, il n'en existoit point : lui seul, dans ses vastes états, étoit capable de composer ce grand ouvrage...
Mme DE GENLIS, Les Chevaliers du cygne, t. 1, 1795, p. 176.
• 15. Un pouvoir absolu est un polype; s'il se scinde par une concession, il a créé deux pouvoirs; c'est semer la guerre là où était la paix. Un pouvoir ne concède donc que par force; or, on a toujours le droit d'abolir par ruse une concession, quand elle a été arrachée par la violence.
H. DE BALZAC, Physiologie du mariage, éd. pré-originale, 1826, p. 138.
• 16. ... Jolibois est commissaire-général de la république dans l'Ouest. C'est un franc patriote; je le savais bien, et je l'aimais. Vous m'avez brouillé avec lui, et maintenant si nous retournons en Bretagne, notre liberté, notre vie, sont à sa merci. Ses pouvoirs sont illimités, son autorité absolue. Il dispose en dictateur de l'armée, de la magistrature : il est la loi vivante.
J. SANDEAU, Sacs et parchemins, 1851, p. 47.
• 17. RABAGAS. — Oh! Bien, mes enfants! C'est bien simple!... Si vous me refusez le pouvoir absolu, comment diable voulez-vous que je fonde la liberté?
V. SARDOU, Rabagas, 1872, IV, 9, p. 193.
• 18. ... je rêvais du pouvoir absolu, celui qui fait mettre genoux à terre, qui force l'adversaire à capituler, le convertit enfin, et plus l'adversaire est aveugle, cruel, sûr de lui, enseveli dans sa conviction, et plus son aveu proclame la royauté de celui qui a provoqué sa défaite.
A. CAMUS, L'Exil et le royaume, 1957, p. 1579.
2. P. anal. [En parlant d'une pers. et plus spéc. de son caractère] :
• 19. Absolu, caractère que les hommes haïssent, et que les femmes semblent chérir dans un amant, parce qu'il fait excuser leurs faiblesses.
STICOTI, Dict. des gens du monde, 1818.
• 20. L'esprit des enfants est absolu, parce qu'il est borné. Les questions, n'ayant pour eux qu'une face, sont toutes simples; en sorte que la solution en paraît aussi facile qu'évidente à leur intelligence plus droite qu'éclairée. C'est pour cela que les plus doux d'entre eux disent parfois des choses dures, que les plus humains tiennent des propos cruels.
R. TOEPFFER, Nouvelles genevoises, La Bibliothèque de mon oncle, 1839, p. 69.
• 21. Émilie devenait plus absolue et plus dure même, dans sa tendresse; Henry de jour en jour se sentait dominé par elle; elle lui commandait et il obéissait, éprouvant du plaisir à se laisser aller aux mains de cette femme, dont l'amour, chaque jour plus fort, l'envahissait comme une conquête.
G. FLAUBERT, La Première éducation sentimentale, 1845, p. 145.
• 22. Il enveloppait dans une sorte de foi aveugle et profonde tout ce qui a une fonction dans l'État, depuis le premier ministre jusqu'au garde champêtre. Il couvrait de mépris, d'aversion et de dégoût tout ce qui avait franchi une fois le seuil légal du mal. Il était absolu et n'admettait pas d'exceptions.
V. HUGO, Les Misérables, t. 1, 1862, p. 213.
• 23. Ne craignons point de passer pour un esprit grossier, absolu, ignorant des nuances. Il n'y a pas de nuances qui tiennent. Douter et railler ainsi, c'est simplement nier; et ce nihilisme, si élégant qu'il soit, ne saurait être qu'un abîme de mélancolie noire et de désespérance.
J. LEMAITRE, Les Contemporains, 1885, p. 207.
• 24. Une décision brusque, qu'il avait déjà prise si souvent, envahit Jacques : tuer Roubaud, pour ne pas la tuer, elle. Cette fois, comme les autres, il crut en avoir la volonté absolue, inébranlable.
É. ZOLA, La Bête humaine, 1890, p. 249.
• 25. Assis de travers sur un tabouret, Gaspard regardait les flammes faire les folles devant la plaque encroûtée de suie. Anne-Marie voyait bien qu'il lui en voulait de n'avoir pas parlé plus tôt de cette lettre. Elle le connaissait absolu, piqué pour un rien, sensible aux mouches. Mais elle s'était fait doublement scrupule d'en prendre conseil en un pareil débat. Cela, le comprenait-il? En souffrait-il?
H. POURRAT, Gaspard des montagnes, À la belle bergère, 1925, p. 164.
• 26. On nous avait réclamé notre vie, notre jeunesse, nos amours, nos espoirs, nos forces, nos années. Quoi encore? La guerre à peine finie, un autre monstre surgissait, avec son dossier d'exigences qui n'étaient plus les mêmes, qui étaient contraires aux précédentes, mais tout aussi impérieuses, absolues, catégoriques et mortelles. L'individu s'est cabré. Il rapportait de la guerre l'horreur des grandes abstractions sanguinaires. Il ne croyait plus à rien, si ce n'est en sa propre existence. La Révolution l'appela à un nouvel acte de foi. Elle lui présenta un nouveau dogme et voulut qu'il abdiquât sans retard devant lui.
J.-R. BLOCH, Destin du siècle, 1931, p. 295.
3. P. ext. [En parlant d'un ton, d'une conviction, d'un sent.] :
• 27. Le ton dont l'étranger répéta sa demande fut si absolu, si ferme, si glacial que tous les plaisants, déjà groupés autour de lui, se regardèrent comme pour se demander quel était cet homme, dont la voix et le geste commandaient la crainte.
G. SAND, Lélia, 1833, p. 241.
• 28. ... les sentiments sont absolus ils sont entiers ou ne sont pas, ils sont infinis, sans bornes...
H. DE BALZAC, Correspondance, 1836, p. 35.
• 29. « — Il est souffrant, reprend De Musset.
— Ce ne sera pas une grande perte! » Un mot qu'elle a jeté de façon à laisser voir en elle une sécheresse et une implacabilité, nette et absolue, terrible.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, janv. 1863, p. 1222.
• 30. Comme cette fois-ci, c'étaient deux poètes qui se présentaient en même temps à l'académie, l'un qui s'appelle Autran, l'autre Théophile Gautier, et que l'académie a choisi Autran, ma conviction absolue sans appel, est que l'académie est composée en majorité de crétins ou de véritables malhonnêtes gens : je la laisse choisir.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, mai 1868, p. 428.
• 31. Pour Christophe, son amour prenait la forme de cette soif de tendresse, impérieuse, absolue, qui le brûlait depuis l'enfance, qu'il réclamait des autres, qu'il eût voulu leur imposer, de gré ou de force. Par moments, se mêlaient à ce désir despotique d'un sacrifice entier de soi et des autres, — surtout des autres, peut-être, — des bouffées de désir brutal et obscur, qui lui donnaient le vertige et qu'il ne comprenait pas.
R. ROLLAND, Jean-Christophe, Le Matin, 1904, p. 197.
• 32. ... avant même la prison provisoire, il avait su que May n'était pas arrêtée. Katow était couché sur le côté, tout près de lui, séparé par toute l'étendue de la souffrance : bouche entr'ouverte, lèvres gonflées sous son nez jovial, les yeux presque fermés, mais relié à lui par l'amitié absolue, sans réticences et sans examen, que donne seule la mort : vie condamnée échouée contre la sienne dans l'ombre pleine de menaces et de blessures, parmi tous ces frères dans l'ordre mendiant de la révolution : chacun de ces hommes avait rageusement saisi au passage la seule grandeur qui pût être la sienne.
A. MALRAUX, La Condition humaine, 1933, p. 403.
• 33. ... il y avait, entre eux, l'enivrante complicité de leur amour; de cet amour qu'ils voulaient absolu, mystérieux, sans précédent, unique, — unique surtout; et tel que personne, hormis eux n'en pouvait pénétrer le caractère exceptionnel!
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 656.
4. Qqf. péj. [En parlant d'une conduite, d'une attitude mentale, d'une situation hum., etc.] Total jusqu'au paroxysme :
• 34. Il a reçu hier votre lettre, celle où, sans lui parler directement de votre femme, vous la lui peignez à chaque page gaie et tranquille. J'ignore l'effet que ces nouvelles ont produit sur lui, il ne m'en a rien dit, j'observe seulement que son regard est plus sombre, et son silence plus absolu :il concentre toutes ses sensations en lui-même rien ne perce, rien ne l'atteint, rien ne le touche.
Mme COTTIN, Claire d'Albe, préf., 1799, p. 203.
• 35. C'est le fond de ce glacier surtout qui est effrayant. Il semble que ce soit là les bornes du monde. Il donne l'idée de ces effroyables glaciers du pôle au delà desquels il n'y a plus rien. Jamais les idées de stérilité, d'isolement absolu, de terreur, ne m'ont frappé avec autant de puissance que dans ce lieu. Tout y est immobile, tout y est mort; c'est le tombeau de la nature.
Ch.-J. DE CHÊNEDOLLÉ, Extraits du journal, 1820, p. 104.
• 36. Ton idée était tendre de vouloir nous unir dans un livre; elle m'a ému; mais je ne veux rien publier. C'est un parti pris, un serment que je me suis fait à une époque solennelle de ma vie. Je travaille avec un désintéressement absolu et sans arrière-pensée, sans préoccupation ultérieure. Je ne suis pas le rossignol, mais la fauvette au cri aigre qui se cache au fond des bois pour n'être entendue que d'elle-même. Si un jour je parais, ce sera armé de toutes pièces; mais je n'en aurai jamais l'aplomb.
G. FLAUBERT, Correspondance, 1846, p. 233.
• 37. ... la solitude morale était profonde, absolue, elle eût été mortelle à une âme tendre et à une jeunesse encore dans sa fleur, si elle ne se fût remplie d'un rêve qui avait pris l'importance d'une passion, non pas dans ma vie, puisque j'avais sacrifié ma vie au devoir, mais dans ma pensée. Un être absent avec lequel je m'entretenais sans cesse, à qui je rapportais toutes mes réflexions, toutes mes rêveries, toutes mes humbles vertus, tout mon platonique enthousiasme...
G. SAND, Histoire de ma vie, t. 4, 1855, p. 52.
• 38. — Parbleu! Kervolen est à une lieue de Saint-Malo. Tu sais bien que, désormais, Baccarat a en moi une confiance absolue, sans bornes.
P.-A. PONSON DU TERRAIL, Rocambole, t. 3, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 423.
• 39. Depuis trois jours, il n'a pas paru un rayon de soleil. Le ciel est gris, sans nuages, immobile. La pluie tombe sans discontinuer. Un silence absolu. Pas une seule visite.
G. FLAUBERT, Correspondance, 1875, p. 245.
• 40. — Ce qui me stupéfie peut-être plus encore, fit Durtal, c'est lorsque je songe à la qualité d'obéissance qu'on doit exiger d'elles. Comment une créature douée de volonté peut-elle s'anéantir à un tel point?
— Oh! dit l'abbé, l'obéissance est la même dans tous les grands ordres; elle est absolue, sans réticences; la formule en a été excellement résumée par Saint Augustin. Écoutez cette phrase que je me rappelle avoir lue dans un commentaire de sa règle : « on doit entrer dans les sentiments d'une bête de charge et se laisser conduire comme un cheval et un mulet qui n'ont point d'entendement ou plutôt, afin que l'obéissance soit encore plus parfaite, parce que ces animaux regimbent sous l'éperon, il faut être, entre les mains du supérieur, comme une bûche et un tronc d'arbre qui n'a ni vie, ni mouvement, ni action, ni volonté, ni jugement. » Est-ce clair? — C'est surtout effarant.
J.K. HUYSMANS, En route, t. 1, 1895, p. 187.
• 41. — Je me fais mal comprendre, riposte le futur chanoine, enragé de conciliation. Sans doute, un esprit comme le vôtre se fait... de la vie future... une autre image... probablement... que le commun de nos fidèles... mais je ne puis croire que... votre haute intelligence... accepte sans révolte... l'idée d'une déchéance absolue, irrémédiable, d'une dissipation dans le néant.
Les derniers mots s'étranglent dans sa gorge, tandis qu'il implore des yeux, avec une émouvante confusion, l'indulgence, la pitié du grand homme.
G. BERNANOS, Sous le soleil de Satan, 1926, p. 290.
• 42. La vie psychique, c'est encore la vie — je veux dire une manœuvre sournoise, ignoble, contre la pureté, la majesté de la mort. On a beau rêver le froid, le blanc... Tenez! Mieux encore : la nuit sidérale, impolluée, le noir absolu, lisse, vide, stérile... Hélas! Les espaces interstellaires sont eux-mêmes fécondés, la lumière froide transporte le germe d'un ciel à l'autre, le berce au rythme absurde de cinq cents milliards de vibrations par seconde sans le tuer. Ni le froid, ni le chaud n'auront raison de l'abjecte sécrétion de la vie, un dieu ne réussirait pas à cautériser d'un coup, à la fois, tous les points de suppuration... Le prix inestimable que j'attache...
G. BERNANOS, La Joie, 1929, p. 642.
• 43. — Je vous demande bien entendu le secret à l'égard de tout le monde. Un secret total. Absolu. Pour personne au monde vous ne savez rien.
J. MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, t. 2, 1933, p. 250.
• 44. Feuillebois oubliait toute modération. Sa main libre s'abattit sur l'épaule de Samuel qui fléchit. Et il cria :
— Hein? Victorieuse? Pourquoi elle sera victorieuse? Hé, bon dieu, parce que... parce que c'est la France! C'était absurde peut-être, ça n'avait aucun sens, ce cri puéril, cette exclamation de fanatisme. Et cela dénotait pourtant une telle force irrésistible de conviction, une telle foi absolue et aveugle, un tel amour, un tel idéal de toute une vie chez ce vieil instituteur, que les Fontcroix ne trouvèrent plus rien à dire.
M. VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 207.
• 45. — Le Ritz.
« On ne saurait mieux dire », murmurait Proust, qui eut toujours pour cet établissement une tendresse mêlée de curiosité. Il aimait, lui si expansif et la plus noble règle des hôtels : la discrétion. Discrétion absolue, obturée au ciment armé, et du type « rien à faire ». Il avait été profondément intéressé aussi, un soir, par le métier d'hôtelier, qu'il trouvait un des plus humains de tous et le mieux fait pour recueillir, palpitant, sincère et précis, le secret des êtres. On ne dit la vérité, paraît-il, qu'au médecin et à l'avocat. La sagesse des nations aurait pu ajouter : et à l'hôtelier.
L.-P. FARGUE, Le Piéton de Paris, 1939, p. 209.
C.— Emplois techn.
1. Ne dépendant que de repères intrinsèques :
— MATH. Valeur absolue. Se dit d'une quantité considérée indépendamment de son signe algébrique.
♦ P. ext. En soi :
• 46. ... l'âme de Mozart, infiniment sensible à la valeur passionnelle et confidentielle des sons, l'est davantage encore à leur valeur intrinsèque, absolue.
H. GHÉON, Promenades avec Mozart, 1932, p. 324.
♦ Syntagmes : Calcul différentiel absolu (Lar. encyclop.), nombre premier absolu (Lar. 3).
— MÉCAN. Mouvement absolu d'un point, rapporté à des repères. Anton. mouvement relatif, rapporté à des repères mobiles :
• 47. Qu'est-ce que le mouvement absolu, sinon un mouvement supposé indépendant de toute déformation?
R. RUYER, Esquisse d'une philosophie de la structure, 1930, p. 59.
— MÉTROL. Appareil absolu. ,,Instrument de mesure dont les constantes peuvent être déterminées par des mesures ne portant que sur les grandeurs fondamentales : électromètre absolu.`` (Lar. encyclop.). Système d'unités absolues (UV.-CHAPMAN 1956, s.v. système).
2. Dont la mesure dépend d'un seuil ou de normes connues :
— ASTRON. Équation absolue. ,,Est la somme de deux équations, de l'excentrique, et de l'optique.`` (Trév. 1771).
— GÉOMORPHOLOGIE. Altitude absolue :
• 48. Les formes du relief se caractérisent par leur altitude absolue et plus encore par leur altitude relative. L'altitude absolue se mesure au-dessus (ou au-dessous) d'un zéro qui est ordinairement le niveau de la mer. De ce point de vue, on distingue bas-pays et haut-pays avec un degré intermédiaire. L'altitude relative s'exprime par la différence d'altitude entre points hauts et points bas voisins.
BAULIG 1956.
— HYGROMÉTRIE. Humidité absolue. Nombre de grammes de vapeur d'eau par mètre cube d'air. (Attesté ds ROB.).
— OPT. Indice absolu :
• 49. On appelle indice absolu d'une substance pour une radiation donnée son indice par rapport au vide. Il est égal au rapport de la vitesse C de la lumière dans le vide à la vitesse V de propagation de la radiation donnée dans le milieu considéré.
QUILLET 1965.
— PHYS. Dilatation absolue d'un liquide. ,,C'est la dilatation réelle d'un liquide, par opposition à sa dilatation apparente qui dépend du vase qui le contient. Le coefficient de dilatation absolue est égal à la somme du coefficient de dilatation apparente du liquide et du coefficient de dilatation cubique de son enveloppe.`` (UV.-CHAPMAN 1956, s.v. dilatation).
♦ Échelle thermodynamique absolue de température. ,,Échelle Kelvin. Échelle de température indépendante des propriétés physiques de telle ou telle substance; est définie en fonction des échanges de chaleur dans un cycle de Carnot idéal.`` (UV.-CHAPMAN 1956, s.v. échelle).
♦ Température absolue. ,,Température mesurée d'après l'échelle thermodynamique absolue ou échelle Kelvin.`` (UV.-CHAPMAN 1956, s.v. température).
♦ Zéro absolu. ,,Le zéro de l'échelle thermodynamique absolue : la température la plus basse qu'il soit théoriquement possible d'atteindre.`` (UV.-CHAPMAN 1956, s.v. zéro).
— Spéc., POL. Majorité absolue. ,,Réunit la moitié plus un des suffrages exprimés ou, dans certains cas, la moitié plus un des membres composant une assemblée, un corps électoral.`` (Attesté ds ROB.). Une var. La pluralité absolue :
• 50. Ceux qui auront réuni la pluralité absolue, c'est-à-dire un nombre supérieur à la moitié de la totalité des électeurs, seront élus.
Le Moniteur, t. 2, 1789, p. 335.
3. Dont le pouvoir ou l'efficacité sont sans limites :
— ARM. Arme absolue. ,,Arme contre laquelle aucune défense n'est possible.`` (Lar. encyclop. Suppl.).
— DR. Nullité absolue d'un acte. ,,Selon que la règle dont la violation motive la nullité a pour but de protéger l'intérêt général ou un intérêt privé, la nullité est absolue ou relative.`` [RIPERT, BOULANGER, t. 1, n° 632, t. 2, n° 704 (Nouveau répertoire de droit, Paris, Dalloz, t. 3, 1964, s.v. nullité, art. 3, 14)].
— ROUTIÈRE, FERROVIAIRE. Bloc absolu. ,,Système de signalisation par bloc manuel ou automatique, dans lequel le sémaphore fermé ne doit être franchi en aucun cas.`` (Lar. encyclop.).
♦ Signal d'arrêt absolu :
• 51. ...les signaux d'arrêt absolu commandent l'arrêt immédiat et ne doivent pas être franchis.
BRICKA, Cours de chemin de fer, t. 2, 1894, p. 138.
♦ Signal de prescription absolue. Obligation formelle pour les usagers de se conformer à tel ou tel signal.
4. [En parlant des produits d'un traitement épurateur] Pur, sans mélange :
— CHIM. Alcool absolu, huile absolue. ,,Terme adopté pour exprimer qu'un corps est considéré comme pur ou dégagé de toute association avec un autre corps, le plus souvent l'eau.`` (PRIVAT-FOC. 1870).
— PARFUMERIE. Essences absolues. ,,Essences fournies par traitement des essences concrètes florales par l'alcool éthylique.`` (Lar. encyclop.).
— TEXT. Poids absolu. ,,Dans le conditionnement des produits textiles, poids des matières totalement anhydres, qui sert de base au calcul du poids conditionné, obtenu après réincorporation d'un pourcentage forfaitaire d'humidité, égal au taux de reprise de la matière considérée.`` (Lar. encyclop.).
— Spéc., subst., COMM. Laine dégraissée à l'absolu. ,,On dit d'une laine ayant subi le dégraissage et le séchage qu'elle est à l'absolu.`` (Lar. 20e).
5. Emploi partic., THÉOL. La rémission absolue des péchés. ,,Se dit de la rémission des péchés par le prêtre catholique, au lieu que les protestants veulent que cette rémission soit simplement ministérielle et déclaratoire.`` (BESCH. 1845).
D.— GRAMMAIRE
1. P. oppos. à dépendant
a) Forme absolue. Forme phon. non altérée du mot, pris hors de son cont. :
• 52. Une forme absolue est la forme détachée du contexte, exempte des altérations qu'elle peut subir du fait du sandhi.
MAR. Lex. 1951.
• 53. Forme absolue, forme d'un mot prise indépendamment des modifications phonétiques qu'elle peut subir dans la phrase...
Lar. encyclop. 1964.
— Ablatif absolu. GRAMM. LAT. Ablatif ,,employé d'une manière autonome et sans préposition, comme une proposition raccourcie...`` (ERN-TH. 1959, § 126).
— GRAMM. FR. Peu usité, p. anal. avec la gramm. lat. Désigne le groupe part. en constr. abs. (cf. inf. construction absolue) :
• 54. A l'égard du françois, nous n'avons point d'ablatif absolu, puisque nous n'avons point de cas :mais nous avons des façons de parler absolues, c'est-à-dire, des phrases où les mots, sans avoir aucun rapport grammatical avec les autres mots de la proposition dans laquelle ils se trouvent, y forment un sens détaché qui est un [sic] incise équivalent à une proposition incidente ou liée à une autre, et ces mots énoncent quelque circonstance ou de temps ou de manière, etc. la valeur des termes et leur position nous font entendre ce sens détaché.
C.-C. DU MARSAIS, Gramm. 1789, s.v. ablatif.
• 55. L'« ablativus absolutus », c'est-à-dire la « construction absolue », du type : Réflexions faites, je ne le ferai pas où le mot faites est le prédicat de réflexions, avec verbe copule implicite (...). [Dans cette phrase] la construction absolue est un complément adverbial circonstanciel, mais « sujet de phrase ».
DE BOER 1954, §§ 36-37.
— Construction absolue. Se dit d'un participe (ou de l'ensemble d'un groupe part.) ayant un suj. propre n'entrant dans aucun des syntagmes de la phrase dont il fait partie : eux repus, tout s'endort.
— Participe absolu. Forme part. du verbe entrant dans le syntagme en constr. abs. :
• 56. Le participe absolu est le verbe d'une proposition distincte, dite proposition participe, et a un sujet qui lui est propre (...) : sa leçon récitée, l'élève s'assit.
G. CAYROU, P. LAURENT, M.-J. LODS, Le Français d'aujourd'hui, grammaire du bon usage, Paris, Colin, 1949, p. 447.
• 57. Le sujet de la proposition principale ne peut être le même que celui du participe absolu. On ne dirait pas : la ville prise, elle fut incendiée par les soldats; on dirait, avec une proposition participe ordinaire : Une fois prise, la ville fut incendiée par les soldats.
GREV. 1964, § 803.
— Proposition absolue. Vx. Prop. indép. :
• 58. Lorsqu'une proposition est telle, que, l'esprit n'a besoin que des mots qui y sont énoncés pour en entendre le sens, nous disons que c'est là une proposition absolue ou complette...
DU MARS. 1797, p. 48.
• 59. Lorsque la proposition principale forme une phrase à elle seule, on l'appelle quelquefois proposition absolue...
NOEL-CHAPSAL 1899, p. 451.
— Proposition participe absolue : cf. sup. ablatif absolu, construction absolue :
• 60. Le participe (présent ou passé) peut s'employer en construction absolue avec un sujet propre : il sert alors à former une proposition participe absolue, qui équivaut à une proposition circonstancielle et qui reste grammaticalement indépendante de la proposition principale...
GREV. 1964, § 803.
b) P. ext. Emploi absolu. Se dit d'un élément de syntagme qui n'a pas l'expansion attendue et qui habituellement est en rel. de dépendance avec lui.
♦ Verbe trans. sans compl. d'obj. : il cherche.
• 61. Verbe employé au sens absolu, c'est-à-dire employé sans complément d'objet : Tais-toi et mange. Mange est ici employé au sens absolu parce qu'il n'est lié à aucun complément d'objet : ...
DAGN. 1965, p. 8.
♦ Compl. circ. réduit à la prép. qui fonctionne dans ce cas comme adv. : lutter contre.
— Verbe absolu :
• 62. Verbe absolu; qui peut être employé sans complément;...
BESCH. 1845.
2. P. oppos. à relatif
a) Mode absolu. Mode indicatif, p. oppos. aux modes subjonctif, conditionnel et impératif (expr. anal. de temps absolu) :
• 63. ... mode absolu, qui exprime un fait sans condition, sans dépendance;...
BESCH. 1845.
b) Superlatif absolu. Superlatif marquant le haut degré d'un mot qualificatif sans réf. à un autre terme qualifiable par le mot. Le superlatif absolu (p. oppos. au superlatif relatif) se construit sans compl. introd. par de :
• 64. Le superlatif est absolu quand il indique la qualité à un très haut degré, sans comparaison...
Gramm. Ac. 1932, p. 86.
c) Temps absolu. Selon la terminologie traditionnelle, temps verbal qui signifie que le procès est situé par rapport au prés. du locuteur. On classe gén. dans cette catégorie le présent, le passé simple, le futur simple, qqf. aussi le passé composé lorsqu'il est un substitut du passé simple :
• 65. ...temps absolu, qui exprime l'époque du fait, sans rapport avec un événement antérieur ou postérieur;...
BESCH. 1845.
• 66. ... le présent, le futur et le prétérit sont des temps absolus, qui peuvent s'employer dans la proposition simple, parce qu'ils sont capables d'exprimer une idée temporelle absolument complète; l'imparfait et le conditionnel sont, au contraire, des temps relatifs, qui ne se présentent en général que dans la proposition composée, parce que leur propriété essentielle est de se rapporter à une autre idée de temps. Tous les temps composés, sauf le parfait, sont des temps relatifs.
AYER 1900, § 196.
• 67. Les événements rapportés dans le discours sont datés tantôt par rapport au moment de la parole, tantôt par rapport au moment d'un autre événement (daté lui-même presque toujours par rapport au moment de la parole); on peut donc, en faussant le sens du mot absolu, parler de dates absolues et de dates relatives; mais il n'y a pas dans le verbe français de tiroirs adaptés spécialement les uns à la chronologie absolue, les autres à la chronologie relative...
H. YVON, Aspect du verbe et présentation du procès, Fr. mod., t. 19, 1951, p. 276.
Plus rarement, on appelle temps absolu, un temps verbal qui peut s'employer dans une proposition simple parce qu'il exprime ,,une idée absolument complète du temps``; en revanche, les ,,temps relatifs`` ne s'emploieraient gén. que dans la phrase complexe (cf. sup. ex. 66).
d) Spéc. Comparatif absolu. Sans référence à un repère externe :
• 68. [Comparatif absolu] indépendant de toute comparaison précise (...) assez grand;...
MAR. Lex. 1951, s.v. comparaison.
II.— Empl. subst. L'absolu. Considéré comme un idéal de perfection ou comme hors d'atteinte pour l'homme :
• 69. ... si l'idée infini, de parfait, d'unité, d'absolu conduit directement à Dieu, et si cette idée est donnée par la raison et non par l'expérience, elle ne nous est pas donnée indépendamment de toute expérience, puisque la raison ne nous la donnerait jamais sans l'idée simultanée ou antérieure de fini, d'imparfait, de multiple, de contingent, laquelle dérive de l'expérience; seulement cette donnée expérimentale est plutôt interne qu'externe; elle est empruntée à la conscience et non aux sens...
V. COUSIN, Hist. de la philosophie du 18e siècle, t. 2, 1829, p. 534.
• 70. Kant s'était proposé de démontrer l'impossibilité de passer légitimement de la description des lois et des formes de l'entendement à des affirmations sur la manière d'être des choses en elles-mêmes; il avait surtout réussi à prouver catégoriquement que l'absolu nous échappe; et après lui, tous les efforts des métaphysiciens ont eu pour but ce qu'ils appellent le passage du subjectif à l'objectif, et la compréhension de l'absolu. On s'est épuisé en analyses toujours subtiles, souvent obscures, quelquefois profondes, pour tirer le non-moi du moi, pour identifier l'intelligence et la nature, pour créer le monde par la force de la logique et par la vertu des idées.
A. COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances, 1851, p. 594.
• 71. Êtes-vous Dieu? Qui vous dit que votre jugement humain soit infaillible? Que votre sentiment ne vous abuse pas? Comment pouvons-nous, avec nos sens bornés et notre intelligence finie, arriver à la connaissance absolue du vrai et du bien? Saisirons-nous jamais l'absolu? Il faut, si l'on veut vivre, renoncer à avoir une idée nette de quoi que ce soit. L'humanité est ainsi, il ne s'agit pas de la changer, mais de la connaître. Pensez moins à vous. Abandonnez l'espoir d'une solution. Elle est au sein du père; lui seul la possède et ne la communique pas.
G. FLAUBERT, Correspondance, 1857, p. 181.
• 72. Un homme de génie est un homme absurde, c'est-à-dire qu'il pousse un système à l'absolu, or l'absolu est l'idéal de la science. On est fondé à croire que cet absolu existerait si nous connaissions tout (cause unique, c'est Dieu) mais comme nous sommes loin de tout connaître, nous ne pouvons pas agir en conséquence. En un mot, nous devons raisonner dans l'hypothèse de l'absolu, mais agir dans la réalité qui est autre, mais en faisant toujours comme si l'absolu existait ou devait exister; sans cela, pas de science.
C. BERNARD, Cahier de notes, 1860, p. 61.
• 73. — Et moi je te dis qu'il n'y a qu'une vérité : l'art. Tu parles de patrie? Eh bien! l'art est l'immortalité d'une patrie... D'abord il n'y a de grands peuples que les peuples artistes... Est-ce que tu crois que les patriotes grecs de l'an 500 avant Jésus-Christ ne valaient pas tes patriotes modernes?... Et puis qu'est-ce que ça me fait! L'art, pour moi, c'est le seul absolu. Tout le reste, la logique, les sciences exactes, les théologies, les manuels de morale, les traités du vrai et du bien, la philosophie qui vous dit : « je vais vous expliquer le phénomène de la pensée », la raison qui commente la providence ... Hypothèses, mon cher! Hypothèses qui mènent les gens à l'institut, et qui ne mènent qu'à des théories, la pensée de l'homme ... L'art ... Tiens! Je t'en prie, Lamperière, ne me dis pas des choses comme cela ... Tu nous mets en colère ...
E. et J. DE GONCOURT, Charles Demailly, 1860, p. 150.
• 74. Penser, voilà le triomphe vrai de l'âme. Tendre la pensée à la soif des hommes, leur donner à tous en élixir la notion de Dieu, faire fraterniser en eux la conscience et la science, les rendre justes par cette confrontation mystérieuse, telle est la fonction de la philosophie réelle. La morale est un épanouissement de vérités. Contempler mène à agir. L'absolu doit être pratique. Il faut que l'idéal soit respirable, potable et mangeable à l'esprit humain. C'est l'idéal qui a le droit de dire : prenez, ceci est ma chair, ceci est mon sang. La sagesse est une communion sacrée. C'est à cette condition qu'elle cesse d'être un stérile amour de la science pour devenir le mode un et souverain du ralliement humain, et que de philosophie elle est promue religion.
V. HUGO, Les Misérables, t. 1, 1862, p. 620.
• 75. Le désir d'accorder le romantique et le savant qui se battaient en lui avait conduit Flaubert à une composition spéciale des caractères. L'invincible désir d'étreindre une réalité solide au milieu des ruines dont son âme était jonchée, le conduisit à une théorie particulière du style. Ce nihiliste était un affamé d'absolu. Ne pouvant rencontrer cet absolu, ni hors de lui, dans les choses qu'entraîne un éternel écoulement, ni en lui-même puisqu'il se sentait, comme l'univers, en proie à l'implacable loi du devenir, il plaça cet absolu tout à la fois hors de lui-même et hors des choses, dans l'œuvre d'art, et comme il était écrivain, cette œuvre d'art fut pour lui la phrase écrite.
P. BOURGET, Essais de psychologie contemporaine, 1883, p. 127.
• 76. ... la raison et l'expérience sont-elles les seules méthodes révélatrices de ce qui est, — elles qui s'arrêtent sur le bord de l'absolu et rangent toutes les causes dans le domaine fermé de l'inconnaissable? Le mysticisme se retrouve ainsi conciliable avec la science. Il est là, comme une tentation éternelle, prêt à recevoir ceux que cette science n'a pas contentés, et quelques-uns s'y jettent éperdûment parmi ceux-mêmes qui ont poussé le plus avant au cœur de l'impuissante et vaine science.
P. BOURGET, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine, 1885, p. 76.
• 77. « Je pense, mon cher filleul, que vous me connaissez assez pour sentir que je vous parle sérieusement. C'est une remarque bizarre que, quand on est, comme moi, installé, domicilié dans l'absolu, — vous m'entendez bien, dans l'absolu, — il devient à peu près impossible d'affirmer ou de nier quoi que ce soit sans avoir l'air ironique.
L. BLOY, Journal, 1895, p. 188.
• 78. Les esprits que dévore le besoin de l'absolu, se lassent des tâtonnements, des lenteurs de cette science qui admet les seules vérités prouvées; ils sont repris de l'angoisse du mystère, il leur faut une synthèse totale et immédiate pour dormir en paix.
É. ZOLA, Rome, 1896, p. 22.
• 79. ... il [Hegel] considérait sa philosophie comme l'absolu réalisé. Le mot du mystère universel lui semblait trouvé. Il n'avait que faire de nouveaux réformateurs.
M. BARRÈS, Scènes et doctrines du nationalisme, t. 2, 1902, p. 247.
• 80. ... l'essence des choses nous échappe et nous échappera toujours, nous nous mouvons parmi des relations, l'absolu n'est pas de notre ressort, arrêtons-nous devant l'inconnaissable. Mais c'est vraiment, après beaucoup d'orgueil pour l'intelligence humaine, un excès d'humilité.
H. BERGSON, L'Évolution créatrice, introd., 1907, p. VII.
• 81. L'idée que nous pourrions avoir à créer de toutes pièces, pour un objet nouveau, un nouveau concept, peut-être une nouvelle méthode de penser, nous répugne profondément. L'histoire de la philosophie est là cependant, qui nous montre l'éternel conflit des systèmes, l'impossibilité de faire entrer définitivement le réel dans ces vêtements de confection que sont nos concepts tout faits, la nécessité de travailler sur mesure. Plutôt que d'en venir à cette extrémité, notre raison aime mieux annoncer une fois pour toutes, avec une orgueilleuse modestie, qu'elle ne connaîtra que du relatif et que l'absolu n'est pas de son ressort : cette déclaration préliminaire lui permet d'appliquer sans scrupule sa méthode habituelle de penser et, sous prétexte qu'elle ne touche pas à l'absolu, de trancher absolument sur toutes choses.
H. BERGSON, L'Évolution créatrice, introd., 1907 p. 48.
• 82. Casse-cou! La mort vient.
— Elle vient pour tous les peuples : c'est une affaire de siècles.
— Vas-tu faire fi des siècles? La vie tout entière est une affaire de jours. Il faut être de sacrés diables d'abstracteurs, pour se placer dans l'absolu, au lieu d'étreindre l'instant qui passe.
— Que veux-tu? La flamme brûle la torche. On ne peut pas être et avoir été, mon pauvre Christophe.
R. ROLLAND, Jean-Christophe, Dans la maison, 1909, p. 1071.
• 83. Le moment de l'épreuve définitive est arrivé. Cet exploit de l'amour, la réunion en un seul Jésus de Dieu et de l'homme, de l'être et du néant, du fini et de l'infini, de l'éternel et du temps, de l'absolu et du relatif, du créateur et de la créature, de la sainteté et du péché, de la vie et de la mort, on va tirer dessus des deux côtés, on va voir pour de bon si c'est solide, si cela tient ensemble. Car tel est, nous dit Job (VII, 15), ce suspens que mon âme a choisi.
P. CLAUDEL, Un Poète regarde la croix, 1938, p. 152.
Stylistique — L'étude du mot révèle une très grande disparité d'emplois à l'époque mod. Le développement et la diversification des sc. entraîne la création de nouv. termes techn.; absolu est notamment empl. en assoc. syntagm. dans des domaines comme les sc. hum. et les sc. exactes (gramm., phonét., math., phys., mécan., métrol., opt., astron., géomorphologie, hygrométrie, chim., parfumerie, text., comm., signalisation routière et ferroviaire, milit., pol., dr., caractérol. et surtout philos., théol., liturg., etc. Pour le détail, cf. sém.), Absolu appartient, selon les emplois, à la lang. techn., à la lang. litt., ou, d'une manière gén., à la lang. cultivée.
— Le mot se rencontre souvent dans les textes litt. en assoc. avec des synon. tels que complet, nécessaire, entier, radical, unique, parfait, idéal, éternel, universel, pur, essentiel, général, ou encore comme synon. de termes négateurs des qualités hum. : illimité, immédiat, immuable, impénétrable, imperturbable, implacable, imprescriptible, inaliénable, incessant, incommensurable, inconditionné, inconnaissable, inconnu, incontestable, indéfinissable, indémontrable, indéniable, indépendant, indestructible, indicible, indiscutable, indivisible, inébranlable, ineffable, inexplicable, inexorable, infaillible, infini, inflexible, inimitable, inaccessible, in-niable, insondable, intemporel, invariable, invincible, inviolable, invisible.
— L'anton. le plus fréq. est, de loin, relatif; puis viennent dans l'ordre décroissant : fini, imparfait, contingent, limité, changeant, arbitraire, multiple, probable, factice. Absolu est en lui-même un superl., mais il est souvent renforcé par la forme gramm. du superl., soit, dans l'ordre décroissant : la solitude la plus absolue, le plus absolu silence, la retraite la plus absolue, la soumission la plus absolue, le souverain le plus absolu, le sens le plus absolu, etc.
— Absolu, empl. comme subst., apparaît dans de nombreux syntagmes, parmi lesquels : soif d'absolu; affamé, faim, appétit d'absolu; besoin métaphysique, désir d'absolu; une âme éprise, un esprit amoureux, un amant de l'absolu, la passion de l'absolu; un esprit en quête d'absolu; le cheminement vers l'absolu; la nostalgie de l'absolu.
— Les dict. de synon. signalent la différence impérieux-absolu, en part. GUIZOT 1864 : ,,Un homme impérieux commande avec empire, un homme absolu veut être obéi avec exactitude; l'un peut n'exiger que de la déférence, l'autre veut de la soumission``; absolu est empl. ici avec une nuance dépréc. :
84. ... si vous venez à penser au peu de mémoire de Monsieur de Mortsauf, aux peines que vous m'avez vue prendre pour l'obliger à s'occuper de ses affaires, vous comprendez la lourdeur de mon fardeau, l'impossibilité de le déposer un moment. Si je m'absentais, nous serions ruinés. Personne ne l'écouterait; la plupart du temps ses ordres se contredisent; d'ailleurs personne ne l'aime, il est trop grondeur, il fait trop l'absolu; puis comme tous les gens faibles, il écoute trop facilement ses inférieurs pour inspirer autour de lui l'affection qui unit les familles. Si je partais, aucun domestique ne resterait ici huit jours.
H. DE BALZAC, Le Lys dans la vallée, 1836, p. 89.
Rem. Cf. absolu adj. B 2.
Prononc. :[]. PASSY 1914 signale pour la 2e syllabe de ce mot la possibilité d'une prononc. avec [œ], [-sœ-]. Cf. absoudre. Enq. :/apsoly/.
Étymol. — Corresp. rom. : a. prov. absolut; n. prov. assoulu; esp. absoluto; cat. absolut, uta; ital. assoluto.
I.— 1. Ca 1100 « parfait » d'où aussi « saint » (La chanson de Roland, éd. Bédier, 2311 : France l'asolue); 2. 1393 « qui s'exerce sans limite » (Le Ménagier de Paris, I, 22, éd. La Soc. des Bibl. franc. ds T.-L. : puissance souveraine et absolue); 3. XIVe s. « qui est indépendant de tout mot exprimé » terme de gramm. (THUROT, Extraits de Divers mss lat., p. 273 : Quant est mis ablatif absolut? Quant il n'i a qui le gouverne).
II.— 1. 1165 « qui est sanctifié par l'absolution » (Aleschans, 2484, ap. Jonck. Guill. d'Or. ds GDF. Compl. s.v. assoudre :N'i ai laissié ne jone ne chenu, Fors sol la guete et un clerc asolu); 2. 1270 jeudi absolu « jeudi de la semaine avant Pâques où est accordée l'absolution quadragésimale » (PHIL. DE RÉMI, Manekine, 5809, Bordier ibid. :S'irons le joedi absolu De nos pechiés estre absolu).
I empr. au lat. absolutus (part. passé adjectivé de absolvere) attesté au sens I 1 dep. Cicéron; fréquemment en relation avec ratio, bonum, eloquentia, beneficium, et aussi philosophi, poetae ...; cf. lat. médiév. Capit. reg. Franc. 173, p. 356 ds Mittellat. W. s.v., 53, 10 : libellus perfectae et absolutae ingenuitatis; au sens I 2 dep. HILAIRE, De Trinit., 8, 43 ds BLAISE 1954; comme terme de gramm. (I 3) (dep. QUINTILLIEN, Inst. orat. 9, 13, 19 ds TLL s.v., 179, 22 opposé à comparativus), fréq. chez Priscien (ibid. 179, 1 sq.) cf. 1046-8, ANSELME DE BASATE, Rhetorimachia, 2, 4 ds Mittellat. W. s.v., 53, 72 : absolutum ablativum. II part. passé adjectivé de absoudre.
HIST. — A.— Au XIIe s., apparition de absolu avec le sens du lat. absolutus « achevé, parfait ». 1. Du XIIe au XVIe s, « accompli, achevé » (1539, B. ANEAU, Chant natal ds HUG. : J'ay le desir content, et mon temps absolu, Dist le viel Symeon de poil chanu velu); ce sens ne disparaît que partiellement, car on retrouve par la suite la notion de « achevé » comme composante de certains sens, dans le domaine philos. en partic.; cf. également dans le domaine techn. du comm. l'expr. laine dégraissée et desséchée à l'absolu attestée dep. 1872 (cf. LITTRÉ). 2. Du XIIe au XVIe s., gd nombre d'attest. de absolu « parfait » et surtout « saint » (XIIIe s., Gaufrey, ds T.-L. : La vierge absolue; RUTEBEUF, I, 114 ds T.-L. : La terre absolue; XVe s., Donait françois, 3 ds DG :[Dieu est un] nom ... absolut; XVIe s., RABELAIS, II, 8 ds HUG. : Comme si je n'eusse aultre thesor en ce monde, que de te veoir... absolu et parfaict, tant en vertu, honesteté et preudhommie, comme en tout sçavoir liberal et honeste). Le sens de « saint » se maintient jusqu'au XIXe s. dans l'expr. jeudi absolu; mais il semble qu'il y ait eu ici, dès le Moy. Âge peut-être, une confusion entre absolu « saint » et le part. passé de absoudre d'où le sens de « (jour) sanctifié par l'absolution »; l'idée de sainteté disparaît même presque totalement aux XVIIe et XVIIIe s., au profit de celle d'absolution (cf. Trév.). Le sens de « parfait » retrouve une nouvelle vitalité au début du XIXe s. dans le sens métaphys., où il entre pour une large part, et dans certains sens techn., en partic. en chim. (attest. dep. Ac. Compl. 1842) où absolu est synon. de pur. B.— Absolu « indépendant », d'où « qui s'exerce sans limites, qui n'admet pas de limites », connaît une remarquable vitalité. Fin XIVe s., synon. de éminent, distingué (J. D'OUTREMEUSE, VI, 31 ds GDF. compl. s.v. asolu : Car chi sont. XXIII. fis de contes absolus, dont je suy. I. des maires, qui suy tes freire); il a dès l'orig. un sens très fort (XVe s., LOUIS XI, Nouv. 49 ds LITTRÉ : Monseigneur le curé ne fut pas trop joyeux de cette reponse absolue; XVIe s., Ph. DE MARNIX, Differ. de la Relig., I, IV, préf. ds HUG. : Elle a plaine et absolute authorité). Les XVIIe et XVIIIe s. sont très riches en attest. où absolu qualifie tant un pouvoir qu'une obligation, un caractère, etc. L'expr. absolu sur « qui a un pouvoir absolu sur » est alors couramment usitée mais disparaît par la suite (CORNEILLE, Attila, IV, 5 ds LITTRÉ : Mais je sais que sur lui vous êtes absolue). — Rem. 1. D'après C.-C.-J. Webb, cité par LAL. 1960, p. 5 ,,dans la langue politique anglaise, l'expression Monarchie absolue a plutôt visé primitivement l'indépendance à l'égard de toute suzeraineté ou autorité extérieure, par exemple à l'égard du Pape; mais ensuite il n'est pas douteux qu'elle s'est appliquée à l'idée d'un gouvernement complètement monarchique``. Cette observation montre l'ambiguïté de certains des sens de absolu. 2. Les emplois techn. de absolu en ce sens (signalisation, droit, arme absolue) sont tous d'orig. récente, à l'exception toutefois de son emploi partic. en théol. attesté dep. Trév. 1752. C.— Absolu « indépendant », d'où « qui n'est pas relatif à ». 1. Terme de ling. (cf. étude gramm.). 2. a) Terme de philos. attesté dep. le XVIIe s. sous la forme d'une opposition absolu/ relatif, très proche de son emploi en ling. (Ac. 1694 : On dit dans le Dogmatique, Absolu, par opposition à Relatif; Trév. 1752 : Absolu, en terme de Philosophie signifie, ce qui ne porte ou ne renferme point l'idée d'une relation, ni de rapport à autre chose; et il est opposé à relatif). En ce sens, absolu est empl. comme subst. dès le XVIIIe s. (BUFFON, Animaux carnassiers ds LITTRÉ : L'absolu, s'il existe, n'est pas du ressort de nos connaissances; nous ne jugeons et nous ne pouvons juger des choses que par les rapports qu'elles ont entre elles). b) La notion d'inconditionnel, rejoint, par l'intermédiaire de la théol., la notion de perfection dans l'emploi métaphys. de absolu. D'apr. BOUYER 1963 et LAL. t. 1 1932, l'emploi systématique de absolutus pour désigner l'objet dernier de la réflexion philos. semble devoir être attribué à N. de Cues vers 1440. En France, le mot aurait été introduit dans l'usage philos. cour. par V. Cousin en 1817 (V. COUSIN, Cours de 1817 ds P. JANET, Victor Cousin et son œuvre, p. 107 : L'absolu, étant avant nous, nous domine primitivement, sans nous apparaître primitivement dans sa forme pure, et nous force de concevoir sous une qualité déterminée un être déterminé qui est le moi : hypothèse naturelle. Mais aussitôt que ce rapport nous a été suggéré par la force de l'absolu dans un concret primitif déterminé dont le moi est un des termes, il se dégage du moi et nous apparaît sous sa forme pure et dans son évidence universelle qui explique et justifie l'hypothèse primitive). Il le tenait peut-être de Maine de Biran qui l'aurait empl. vers 1812 (cf. ID., ibid., p. 71). 3. Absolu « qui n'est pas relatif à » s'est étendu, dep. le XVIIIe s., à de nombreux domaines techn.; au XVIIIe s., alg. et astron. (Trév. 1752 : Nombre absolu. Terme d'Algèbre en matière d'équation [...]. Équation absolue, en termes d'Astronomie, est la somme de deux équations de l'excentrique, et de l'optique). Aux XIXe et XXe s. apparition des emplois en mécan., thermodynamique, opt., math., métrol.
STAT. — Fréq. abs. litt. :6 568. Fréq. rel. litt. :XIXe s. : a) 8 332, b) 9 184; XXe s. : a) 9 965, b) 9 908.
BBG. — AQUIST. 1966. — BARR. 1967. — BOUILLET 1859. — BOUYER 1963. — DAGN. 1965. — DELC. t. 1 1926. — Électron. 1963-64. — FOULQ.-ST-JEAN 1962. — FRANCK 1875. — GOBLOT 1920. — Gramm. t. 1 1789. — JULIA 1964. — LAL. 1968. — LEP. 1948. — LITTRÉ-ROBIN 1865. — MAR. Lex. 1961 [1951]. — MARCEL 1938. — MIQ. 1967. — PIGUET 1960. — Pol. 1868. — PRIVAT-FOC. 1870. — RITTER (E.). Les Quatre dictionnaires français. B. Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 339. — ROMEUF t. 1 1956.
absolu, ue [apsɔly] adj. et n. m.
ÉTYM. 1080, asolu; du lat. absolutus « achevé ».
❖
———
I Adj.
1 Omnipotent, en parlant de la puissance divine ou humaine, de l'autorité, du gouvernement. — (1777). || Autorité absolue. || Pouvoir absolu, sans contrôle ni limitation. ⇒ Autocratique, despotique, dictatorial, totalitaire, tyrannique. || Pouvoir arbitraire et absolu. || Monarchie absolue. || Roi absolu, qui a le pouvoir absolu. (1793, Robespierre). || Démocratie absolue.
1 Les chrétiens n'ont qu'un Dieu, maître absolu de tout,
De qui le seul vouloir fait tout ce qu'il résout.
Corneille, Polyeucte, IV, 6.
2 Mais songez que les rois veulent être absolus.
Corneille, le Cid, II, 1.
3 Le cardinal de Richelieu a été maître absolu du royaume de France pendant le règne d'un roi qui lui laissait le gouvernement de son État, lorsqu'il n'osait lui confier sa propre personne.
La Rochefoucauld, Réflexions, 17.
4 Un homme d'esprit me disait un jour que le gouvernement de France était une monarchie absolue, tempérée par des chansons.
Chamfort, 90.
5 Je sais maintenant pourquoi le pouvoir absolu du tyran finit toujours par le rendre absolument fou. C'est parce qu'il ne sait qu'en faire.
M. Tournier, le Roi des Aulnes, p. 366.
2 (Personnes). Qui ne souffre pas d'opposition, de contradiction, ne fait aucune concession. || C'est un homme absolu, insensible aux nuances. — Un esprit absolu. ⇒ Autoritaire, despotique, entier, intransigeant. || Ton absolu, autoritaire. ⇒ Cassant, tranchant.
6 C'est elle qui gouverne, et d'un ton absolu
Elle dicte pour loi ce qu'elle a résolu.
Molière, les Femmes savantes, I, 3.
7 Les natures absolues ont besoin de ces partis tranchés.
Renan, Souvenirs d'enfance…, IV.
3 Qui ne comporte aucune restriction ni réserve. ⇒ Achevé, intégral, total. || Une confiance absolue dans l'avenir (⇒ Aveugle). || Vous comprenez que c'est une nécessité absolue. || Un silence absolu. || Sens absolu, fort. || Vous prenez ce que je vous dis dans un sens trop absolu.
8 Rien ne m'a plus donné un absolu mépris du succès que de considérer à quel prix on l'obtient.
Flaubert, Correspondance, p. 204, in T. L. F.
9 En fait, je n'ai d'amour que pour les caractères d'un idéalisme absolu, martyrs, héros, utopistes, amis de l'impossible.
Renan, Souvenirs d'enfance…, VII.
10 Il devait à la fréquentation de Thomas Reid une grande aversion pour la métaphysique et une confiance absolue dans le bon sens.
Renan, Souvenirs d'enfance…, IV.
11 C'est dans l'absolue ignorance de notre raison d'être qu'est la racine de notre tristesse et de nos dégoûts.
France, le Jardin d'Épicure, p. 51.
12 J'ai éprouvé déjà que, chez les pauvres gens plus qu'ailleurs, on trouve de ces dévouements absolus et spontanés (…)
Loti, Aziyadé, p. 40.
13 Vivre, répéta-t-il, je crois que c'est avoir le sentiment absolu, que l'on possède enfin quelque chose ou quelqu'un, et qu'on le possède pour toujours.
Edmond Jaloux, le Dernier Jour de la création, p. 96.
13.1 Il se retrouve dans le noir (…) rien ne permet de s'orienter, aucune lueur. C'est la nuit absolue.
A. Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe, p. 58.
4 (Dans un contexte abstrait où est impliquée l'idée de valeur). Parfait; aussi parfait qu'on peut l'imaginer. ⇒ Idéal. || La vérité absolue. || L'être absolu (Dieu).
14 Les vérités absolues supposent un Être absolu comme elles où elles ont leur dernier fondement.
Victor Cousin, Du vrai, du beau, du bien, IV.
15 Il y a quelque impiété à faire marcher de concert la vérité immuable, absolue, et cette sorte de vérité imparfaite et provisoire qu'on appelle la science.
France, l'Orme du mail, p. 75.
16 Le christianisme (à l'époque médiévale) reposait non sur des croyances ou des traditions populaires, mais sur la révélation d'une vérité absolue dans des livres saints destinés à l'humanité entière.
Ch. Seignobos, Hist. sincère de la nation franç., p. 48.
17 Toujours, ou presque toujours, les hommes ont poursuivi la vérité absolue, le mot de la charade, la suprême pensée.
A. Maurois, Études littéraires, IV, 3, p. 44.
18 Il n'y a de définitif et d'absolu que les lois du beau.
E. Fromentin, Une année dans le Sahel, p. 33.
19 La forme est essentielle et absolue : elle vient des entrailles mêmes de l'idée. Elle est le beau; et tout ce qui est le beau manifeste le vrai.
Hugo, Post-Scriptum de ma vie, p. 9.
20 Vouloir chercher dans la vie réelle des amours pareils à ceux-là, éternels et absolus, c'est la même chose que de chercher sur la place publique des femmes aussi belles que la Vénus, ou de vouloir que les rossignols chantent les symphonies de Beethoven.
A. de Musset, la Confession d'un enfant du siècle, p. 45.
21 L'amour absolu n'existe pas plus que le parfait gouvernement et l'opportunisme du cœur est la seule sagesse sentimentale.
A. Maurois, Climats, p. 268.
22 Élan vers le Dieu absolu qui nous libère du contingent. Mais en cette vie nous sommes séparés de lui.
Claudel, Cinq grandes odes, II, Argument, p. 37.
5 (Opposé à relatif). Qui est tel en lui-même, considéré en lui-même et non par rapport à autre chose. ⇒ Soi (en soi). || Majorité absolue. — Milit. || L'arme absolue, contre laquelle aucune défense n'est possible.
♦ Sc. Indépendant de tout repère ou de tout paramètre arbitraire. || Mouvement absolu (d'un point). Phys. || Dilatation absolue d'un liquide : dilatation réelle d'un liquide (par opposition à la dilatation apparente, qui dépend du récipient contenant le liquide). || Température absolue, comptée à partir du zéro absolu. || Zéro absolu. — Valeur absolue. — Humidité absolue : nombre de grammes de vapeur d'eau dans un m3 d'air.
♦ Appareil absolu : instrument de mesure dont les constantes ne dépendent que des grandeurs fondamentales.
♦ Dr. || Nullité absolue d'un acte. || « Selon que la règle dont la violation motive la nullité a pour but de protéger l'intérêt général ou un intérêt privé, la nullité est absolue ou relative » (T. L. F.).
♦ Théol. || Rémission absolue des péchés : rémission des péchés par le prêtre, dans la religion catholique.
♦ (XIVe). Gramm. || Superlatif absolu : superlatif qui marque le très haut degré d'un mot qualificatif, sans qu'une référence soit faite à un autre terme qualifiable par le mot (ex. : une avenue très large; il est extrêmement gentil). — Temps absolu. || « Une certaine tradition distingue les temps absolus, qui datent l'événement par rapport au moment de la parole, et les temps relatifs, qui le datent par rapport au moment où se déroule un autre procès » (M. Grevisse, le Bon Usage, 8e éd., 1964, p. 556). — (Opposé à dépendant). Vx. || Proposition absolue, indépendante. — (XIVe). || Construction absolue, dont aucun terme ne se rattache grammaticalement au reste de la phrase. || Ablatif (cit.) absolu, génitif absolu. Exemple : || « et d'ailleurs, étant certain que la longue vie approche de plus près l'immortalité, ne devons-nous pas souhaiter (…) » (Bossuet).
♦ Emploi absolu d'un verbe transitif, sans complément d'objet.
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II N. m.
1 Philos. Ce qui existe indépendamment de toute condition ou de tout rapport avec autre chose.
23 L'absolu, s'il existe, n'est pas du ressort de nos connaissances; nous ne jugeons et nous ne pouvons juger des choses que par les rapports qu'elles ont entre elles.
Buffon, Hist. nat. des animaux, Les animaux carnassiers.
24 Les esprits que dévore le besoin de l'absolu, se lassent des tâtonnements, des lenteurs de cette science qui admet les seules vérités prouvées (…) il leur faut une synthèse totale et immédiate pour dormir en paix.
Zola, Rome, p. 22.
25 Nous sommes liés à l'absolu par toutes nos fibres. Non tant au pouvoir absolu qu'à ce dont il découle : le savoir absolu. Tant que l'absolu s'incarna dans le siècle, nous pouvions nous battre heureux.
Régis Debray, l'Indésirable, p. 294.
2 ☑ Loc. cour. Dans l'absolu : sans comparer, sans tenir compte des circonstances, des conditions. || Juger de qqch. dans l'absolu.
3 Alchimie. La matière unique d'où dériveraient tous les corps. || La Recherche de l'absolu, titre d'un roman de Balzac.
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CONTR. Limité, partiel, libéral. — Conciliant. — Imparfait, relatif. — Contingent.
DÉR. Absoluité, absolument, absolutisme.
Encyclopédie Universelle. 2012.