DESTIN
S’il faut définir philosophiquement le destin, le résultat de cette conceptualisation doit contenir l’expression, d’une part, d’un déterminisme et, d’autre part, d’une saisie de ce déterminisme au moment de la mort: mort par anticipation ou saisie rétrospective. On aurait par exemple la formulation suivante: «enchaînement des causes et des effets conduisant à la mort». Ce qui, à proprement parler, n’est rien d’autre que la vie. Vie, mort, l’idée de destin s’articule autour de cette évidence inéluctable et à travers elle: autant dire que, à la différence d’une notion philosophique, elle relève largement du mythe.
Destin: mythe et concept
De nombreux philosophes ont utilisé le terme de destin, à moins que ce ne soit l’inverse, et qu’ils aient été «utilisés» par lui: la conceptualisation du destin, à travers les romantiques, Hegel et Kierkegaard, ou à travers les Anciens, Platon, Aristote et les stoïciens, est un terrain d’élection pour qui veut saisir sur le fait la contamination, dans la démarche philosophique, des images et des concepts. L’exemple de Kierkegaard est éclairant: on relèvera dans son œuvre, notamment dans Ou bien... ou bien... , l’interférence de trois modèles culturels: le modèle judaïque, le modèle chrétien et le modèle grec.
Le tragique ancien, celui d’Agamemnon mais aussi d’Antigone, est à la fois un tragique de spectacle et le nœud d’une union avec la douleur: «C’est ainsi que notre Antigone est l’épouse de la peine. Elle voue sa vie à pleurer le destin de son père et son propre destin.» Le destin est la déploration , spectaculaire chez les Anciens, silencieuse pour les Modernes, d’une communauté de vie perdue.
Le modèle chrétien inspire toute la thématique de l’éthique et du sérieux, mais aussi le destin du Christ, qui pleure sur Jérusalem: «Ce n’est pas un prophète qui annonce l’avenir, ses paroles n’éveillent pas une inquiétude anxieuse, car ce qui est caché encore, il le voit devant ses yeux.» Le destin est alors accomplissement su et déterminé, accompagné de la douleur, non par suite de la méconnaissance par soi-même mais devant la méconnaissance d’autrui, en l’occurrence le peuple d’Israël.
Selon le modèle judaïque enfin, Abraham, puis Job, déplorent sans comprendre, comprenant seulement, mais d’une certitude sans détours, instantanée , qu’«à l’égard de Dieu nous avons toujours tort».
Ainsi, le destin implique une relation du sujet à son savoir sur la vie et la mort: certitude rétrospective et cependant aveugle dans le cas du tragique grec; certitude aveuglante et véridique au cœur de la méconnaissance pour le patriarche juif, et connaissance du Dieu rédempteur. Deux de ces relations déterminent deux types de malheur: la peine et la souffrance sont le propre des Grecs: «Souffrir pour comprendre», est-il dit dans Agamemnon . L’angoisse d’Abraham est la relation d’altérité, exemplaire; mais aucun mot ne peut qualifier la douleur de Dieu, car celui-ci ne relève d’aucune altérité, essence de l’homme: altérité politique grecque, altérité tribale judaïque. Le destin peut donc être défini comme la saisie douloureuse du trajet qui conduit la vie vers la mort, en même temps qu’il ne peut manquer de spécifier la problématique de la relation, éthique et politique. Ainsi peut-on rendre compte du fait que la notion d’histoire ait été entée sur celle de destin et qu’elle ait pu apparaître comme un spectacle dont un Dieu, absurde comme celui qui gère la guerre de Troie, ou impénétrable comme celui qui préside aux destinées du peuple juif, effectue la mise en scène incompréhensible aux hommes qui dès lors n’ont plus à la modifier, mais à la jouer et à la subir. Cette histoire destinale fait encore partie de la sémantique politique contemporaine et informe, par exemple, la mythologie du grand homme.
Après avoir tracé brièvement l’esquisse des interférences mythiques dont Kierkegaard est l’exemple topique, il faut maintenant défaire cette intrication, et ordonner les mythes: d’abord en distinguant la mythologie grecque de la mythologie chrétienne; puis, en établissant un parallèle entre la mythologie freudienne et ses origines antiques telles que les perçoivent les historiens; enfin, en mettant en évidence la seule conception cohérente du destin, celle des stoïciens, qui fait apparaître l’essentielle duplicité de la notion de temps d’où viennent toutes les ambiguïtés du destin.
Destin et vocation
Ce que nous avons pu appeler destin du Christ, à la suite de Kierkegaard, mérite en réalité l’appellation de vocation: l’étymologie de ce terme marque d’entrée de jeu sa différence d’avec le destin. Vocare , appeler, signifie que toute vocation s’adresse à l’individu, appelé par son nom, en tant que lui-même. Cet appel peut conférer un nom propre: ainsi d’Israël, ou du processus du baptême. Ce procès d’appel détermine une série de différences reposant sur deux conceptions des rapports entre la finalité et l’individu .
Pour l’individu voué au destin, la finalité qui s’empare de lui est externe, relevant soit d’une divinité aveugle, soit d’un déterminisme pensé comme «implacable» et encore imprégné de «grécité». La vocation implique au contraire une finalité interne, telle que l’individu se sent appelé à participer du Dieu qui l’y convie. Non que cet appel soit clair, en opposition au destin obscur: en tous les cas, la vocation comme l’appel relèvent de la clairvoyance d’une certitude subjective, donc d’un clair-obscur. Cependant l’instant de la clairvoyance n’est pas le même. Immédiat dans le cas de la vocation et n’impliquant aucune résistance, il est différé dans le cas du destin, et c’est ce retard qui définit la temporalité du destin: quand la clairvoyance survient à l’individu destiné, sa mort est proche et son temps près de sa fin. Ainsi se révèle la différence essentielle entre la vocation et le destin: la vocation n’implique pas la mort et s’insère dans l’indéfinie temporalité de l’histoire divine. L’appelé par Dieu fait sa vocation dans le cadre d’une résurrection qui l’introduit d’emblée dans l’immortalité: c’est tout le sens du vœu, et de la règle monastique par exemple, d’être une loi mimétique de la loi divine. Tout à l’inverse, la mort transforme la vie de l’individu en destin, fixant les limites de l’humaine temporalité; par là, l’individu marqué par le destin devient héros après sa mort, tel Œdipe à Colone, exemplaire et pourtant inimitable; la mort lui apporte une immortelle singularité alors que la vocation fait entrer l’individu dans une catégorie universelle. Un dernier trait confirme cette différence; si le destin s’attache à des familles, Atrides, Labdacides, cette filiation qui prolonge le temps tragique sur trois ou quatre générations ne peut que finir, et finir mal. La vocation indique que la filiation, qui ne peut se rapporter qu’à Dieu comme Père, est interminable, et se terminera bien. L’imitation est le trait pertinent de toutes ces différences: l’appelé imite son Dieu et effectue la règle, tandis que le destin est la Loi singulière qui frappe l’individu sans autre référent que lui-même: le tragique est une religion de l’individu.
La peste
«Œdipe et Freud apportèrent tous deux la peste» (A. Green). La question se pose de savoir pourquoi c’est à Œdipe que Freud emprunte le modèle qui le définit comme structure universelle. Il s’en explique: «Pour moi, une série de suggestions prirent leur origine à partir du complexe d’Œdipe dont je reconnaissais l’ubiquité. Le choix, voire la création de ce sujet, avait certes été toujours énigmatique: l’effet bouleversant de sa représentation poétique et l’essence même de la «tragédie du destin», tout cela s’expliquait en acceptant de reconnaître qu’une loi du devenir psychique avait été saisie dans toute sa signification affective.» On notera tout d’abord que Freud reconnaît la valeur de l’œdipe d’après l’affect qu’il produit: telle est bien la démarche freudienne, qui consiste à déduire la «vérité historique» d’après l’affect. C’est ainsi qu’il procède dans la reconstruction du fantasme comme dans la reconstruction du Moïse de Michel-Ange. Freud a pu hésiter entre Moïse, Œdipe et Hamlet, trois figures qui auraient pu servir de «noyau» infantile: pourquoi Œdipe, pourquoi le modèle grec du destin et non le modèle juif ou le modèle shakespearien? C’est que, plus que les autres, Œdipe présente un rapport de méconnaissance entre son savoir et la vérité. Œdipe possède le pouvoir et le savoir, il rivalise d’intelligence avec Tirésias; mais la vérité lui échappe, et c’est là son destin. «Avec ton destin pour exemple», lui dit le chœur. Exemplaire , il est marqué, comme tout homme, de la Spaltung (l’écart) entre conscient et inconscient, qui constitue la structure du sujet. Dès lors, le destin est le passage de la méconnaissance du savoir et de la conscience – la vie – à la saisie mythique et rétroactive de cette méconnaissance – la mort. Que la mort fasse advenir la vérité, Freud l’explique dans le thème des trois coffrets; les trois – qu’elles soient Heures, Parques, ou filles de Lear – représentent les trois aspects de la femme: mère, compagne et mort; et c’est la mort que choisit l’homme en choisissant l’amour ; selon la loi de retournement des termes mythiques en leur contraire. Ainsi Lear, refusant Cordelia, refuse la mort, mais finit par l’assumer à la fin de la pièce. Le destin est la succession des figures maternelles, lien entre la naissance et la mort.
Aux sources de la tragédie
La mythologie du destin d’Œdipe peut n’être pas pensée comme universelle, mais comme relative à l’éthique et à la politique de la Grèce du Ve siècle. Or, si l’histoire d’Œdipe n’est plus exemplaire que de son temps historique, la notion même de destin en subit le contrecoup et ses versions successives sont autant de distorsions idéologiques dont l’histoire reste à écrire: ainsi par exemple du romantisme hégélien, marqué du sceau grec, de l’image d’Antigone et de l’inéluctabilité de l’idée même de dialectique.
Pour J.-P. Vernant, l’histoire d’Œdipe se constitue en destin en fonction de deux déterminations institutionnelles propres à la 神礼凞晴﨟 athénienne: l’ostracisme et la fête des Thargélies. L’ostracisme, procédé politique archaïque dans la structure démocratique contemporaine de Sophocle, consiste dans l’exclusion d’un citoyen: par vote, mais sans accusation ni défense; par l’accord tacite des citoyens sur le fait que l’un d’entre eux est trop grand pour la cité, et donc dangereux. «Une cité périt de ses hommes trop grands», dit Solon. Quant à la fête des Thargélies, elle comporte aussi une exclusion, rituelle, d’un bouc émissaire, le 﨏見福猪見礼﨟, chargé de toute la bestialité de l’ensemble des hommes de la 神礼凞晴﨟. Or Œdipe est à la fois celui qui est trop grand – trop puissant, trop heureux –, et celui qui est trop vil: égal aux dieux au début de la tragédie, il devient égal aux bêtes à la fin. Son destin est d’être hors mesure, en proie à la démesure ( 羽福晴﨟). Brouillant les règles de parenté, il est à la fois dieu et bête et conjoint en lui les deux extrêmes entre lesquels se constitue la cité des hommes: comme un pion isolé sur un jeu de dames, dit Aristote, à l’inverse même de la prudence qui constitue l’essence de l’homme comme animal raisonnable. Destin: marque du surhomme et de la bête. Pour le Grec, le destin ne peut que donner lieu à une procédure d’expulsion; c’est ainsi que Platon chasse le poète de la cité, car il introduit par ses chants à la gloire des héros tragiques la disproportion et le danger d’une trop grande proximité avec les dieux.
Le destin, «mouvement éternel, continu et réglé»
Quand la cité grecque disparaît au profit des empires ultérieurs, quand la mesure de l’homme se dérobe à lui-même, quand il faut trouver, dans le chaos qui put faire d’Épictète un esclave et de Marc-Aurèle un empereur, une stature philosophique, c’est le destin qui intervient comme régulateur alors qu’il était dérèglement. Le mouvement réel des choses et du monde est celui des corps matériels: tout est corps, relié à l’éther qui s’épand dans l’univers total. Mais il existe des événements qui sont au mouvement réel ce que la surface est à la profondeur; incorporels, les événements témoignent de l’existence en se produisant comme actes de langage . Ainsi se pose une double temporalité: celle du temps réel, cyclique, régi par la dilatation et la condensation de l’éther; et celle du temps superficiel, du devenir où arrivent la vie et la mort de l’homme. Le destin, c’est l’entrecroisement de ces deux temps; c’est pourquoi la réflexion du stoïcien se consacre à réduire la ponctualité de l’événement tragique à sa dimension réelle, allant de la surface de sa vie à la profondeur de l’éternel retour. La mort n’existe donc qu’en surface; le destin et la mort, enfin disjoints, permettent au stoïcien de supporter la vie et de s’en abstenir; cette théorie du destin ne saurait conduire qu’au suicide.
Ainsi, la seule cohérence qui puisse s’accorder à l’idée de destin manifeste encore la puissance de son obscurité. Réponse théâtrale, elle informe toute réflexion sur la mort; jusqu’à celle de Freud, qui pourtant n’était pas dupe de l’interrogation fondamentale: «D’où viennent les enfants?» À cette question, Œdipe répond par le mélange et s’avère père et frère de ses enfants. Il est l’impossibilité même de la réponse, et c’est en quoi il est l’incarnation du destin, qui occulte la simple vérité de la naissance.
«Quand s’approche la fin, il ne reste plus d’images du souvenir; il ne reste plus que des mots...
» ... J’ai été Homère; bientôt, je serai Personne, comme Ulysse; bientôt, je serai tout le monde: je serai mort» (J. L. Borges, L’Immortel ).
destin [ dɛstɛ̃ ] n. m.
1 ♦ Puissance qui, selon certaines croyances, fixerait de façon irrévocable le cours des événements. ⇒ destinée, fatalité, littér. fatum, nécessité. La mythologie grecque faisait du destin une puissance supérieure aux dieux. Pour les chrétiens, la notion de providence a remplacé celle de destin. « Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne » (Racine). « Les hommes ont inventé le destin, afin de lui attribuer les désordres de l'univers, qu'ils ont pour devoir de gouverner » (R. Rolland). Destin aveugle, cruel, impitoyable.
2 ♦ Ensemble des événements contingents (⇒ hasard, fortune) ou non (⇒ fatalité) qui composent la vie d'un être humain, considérés comme résultant de causes distinctes de sa volonté. ⇒ destinée, étoile, sort. On n'échappe pas à son destin ! (cf. C'était écrit, c'était fatal). C'est le destin (cf. Cela devait arriver). Il eut un destin tragique, une fin (ou une vie) tragique. Tournant du destin.
♢ Par ext. Ce qu'il adviendra de qqch. ⇒ 1. avenir, fortune, sort. Le destin d'un ouvrage littéraire. Le destin d'une civilisation.
3 ♦ Le cours de l'existence considéré comme pouvant être modifié par celui qui la vit. ⇒ existence, vie. Être responsable de son destin. Décider de son destin. « nous tissons notre destin, nous le tirons de nous comme l'araignée sa toile » (F. Mauriac).
● destin nom masculin Puissance supérieure qui semble régler d'une manière fatale les événements de la vie humaine ; fatalité : C'est le destin qui l'a voulu. Ensemble, suite des événements qui forment la trame de la vie humaine ou des sociétés et semblent commandés par cette puissance supérieure : Avoir un destin tragique. Existence humaine en général, sort : Être l'artisan de son destin. Avenir, sort réservé à quelque chose, conditionné par un fait extérieur inéluctable ou par sa nature propre ; fortune : Le destin d'un roman. ● destin (citations) nom masculin Henri Frédéric Amiel Genève 1821-Genève 1881 Chaque vie se fait son destin. Journal intime, 16 décembre 1847 Guillaume Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire Rome 1880-Paris 1918 Je connais gens de toutes sortes Ils n'égalent pas leurs destins. Alcools, Marizibill Gallimard Claude Aveline Paris 1901-Paris 1992 L'imagination la plus folle a moins de ressources que le destin. La Double Mort de Frédéric Belot Mercure de France Albert Camus Mondovi, aujourd'hui Deraan, Algérie, 1913-Villeblevin, Yonne, 1960 Il n'est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris. Le Mythe de Sisyphe Gallimard Émile Michel Cioran Răşinari, près de Sibiu, 1911-Paris 1995 On ne découvre une saveur aux jours que lorsqu'on se dérobe à l'obligation d'avoir un destin. Syllogismes de l'amertume Gallimard Jean Giraudoux Bellac 1882-Paris 1944 [Le destin] est simplement la forme accélérée du temps. La guerre de Troie n'aura pas lieu, I, 1, Cassandre Grasset Jean Grenier Paris 1898-Dreux 1971 L'homme, quoi qu'on dise, est le maître de son destin. De ce qu'on lui a donné, il peut toujours faire quelque chose. Inspirations méditerranéennes Gallimard Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 Le bien, nous le faisons ; le mal, c'est la Fortune ; On a toujours raison, le Destin toujours tort. Fables, l'Ingratitude et l'Injustice des hommes envers la Fortune Stéphane Mallarmé Paris 1842-Valvins, Seine-et-Marne, 1898 Repuiser, simplement, au destin. Variations sur un sujet, Grands Faits divers André Malraux Paris 1901-Créteil 1976 La tragédie de la mort est en ceci qu'elle transforme la vie en destin. L'Espoir Gallimard André Malraux Paris 1901-Créteil 1976 L'art est un anti-destin. Les Voix du silence Gallimard Napoléon Ier, empereur des Français Ajaccio 1769-Sainte-Hélène 1821 Il est de la sagesse et de la politique de faire ce que le destin ordonne et d'aller où la marche irrésistible des événements nous conduit. Lettres, à Alexandre Ier, 2 février 1808 Honorat de Bueil, seigneur de Racan Aubigné, aujourd'hui Aubigné-Racan, 1589-Paris 1670 Académie française, 1634 Les destins sont jaloux de nos prospérités, Et laissent plus durer les chardons que les roses. Sonnet, À Mgr le duc de Guise Jules Romains, pseudonyme littéraire devenu ensuite le nom légal de Louis Farigoule Saint-Julien-Chapteuil, Haute-Loire, 1885-Paris 1972 Académie française, 1946 Je ne puis pas oublier la misère de ce temps, Ô siècle pareil à ceux qui campèrent sous les tentes ! […] Peu à peu notre destin nous ruisselle sur le dos. Ode génoise Camille Bloch Eschyle Éleusis vers 525-Gela, Sicile, 456 avant J.-C. On ne lutte pas contre la force du destin. Prométhée enchaîné, 103 (traduction P. Mazon) Coran Rien ne vous atteindra hormis ce que Dieu vous destine. Coran, IX, 5 Albert Einstein Ulm 1879-Princeton 1955 Nous aurons le destin que nous aurons mérité. Unser Schicksal wird so sein, wie wir es verdienen. Comment je vois le monde abbé Ferdinando Galiani Chieti 1728-Naples 1787 Le destin est une loi dont la signification nous échappe, parce qu'une immense quantité de données nous fait défaut. Il destino è una legge, il cui significato ci sfugge perchè ci manca un' immensa quantità di dati. Lettere, 27 août 1774 Neftalí Ricardo Reyes, dit Pablo Neruda Parral 1904-Santiago 1973 Je croyais que la route passait par l'homme, et que de là devait déboucher le destin. Yo creía que la ruta pasaba por el hombre, y que de allí tenía que salir el destino. Chant général Henry David Thoreau Concord, Massachusetts, 1817-Concord, Massachusetts, 1862 Ce qu'un homme pense de lui-même, voilà ce qui règle ou plutôt indique son destin. What a man thinks of himself, that it is which determines, or rather indicates, his fate. Walden, Economy ● destin (difficultés) nom masculin Emploi Recommandation Éviter le pléonasme destin fatal, destinée fatale (fatal vient du latin fatum, destin). ● destin (expressions) nom masculin Névrose de destin ou de destinée, névrose caractérisée par la survenue périodique d'événements malheureux identiques qui semblent être provoqués par le hasard ou la fatalité, alors qu'on peut y voir à l'œuvre la compulsion de répétition. ● destin (synonymes) nom masculin Puissance supérieure qui semble régler d'une manière fatale les événements...
Synonymes :
- destinée
- fatalité
- fatum (littéraire)
Existence humaine en général, sort
Synonymes :
- vie
Avenir, sort réservé à quelque chose, conditionné par un fait extérieur...
Synonymes :
- fortune
- sort
destin
n. m.
d1./d Puissance qui, selon certaines croyances, réglerait la vie des hommes et le cours des événements. Les arrêts du destin. Le Destin, cette puissance divinisée.
d2./d Sort particulier d'une personne ou d'une chose. Un destin malheureux. Le destin d'une oeuvre littéraire.
⇒DESTIN, subst. masc.
A.— Puissance extérieure à la volonté humaine, qui, selon certaines croyances, régirait l'univers, en fixant de façon irrévocable le cours des événements. Synon. fatalité :
• 1. L'univers vous présente
Votre persécuteur.
De quel nom te nommer, ô fatale puissance?
Qu'on t'appelle destin, nature, providence,
Inconcevable loi!
LAMARTINE, Méditations, Le Désespoir, 1820, p. 94.
Rem. S'emploie souvent au plur. et avec une majuscule dans ce sens, en prenant une valeur allégorique de personnification : destins éternels, favorables. Le Destin a tissé nos jours et nos années (RÉGNIER, Jeux rust., 1897, p. 56). Les destins veillaient sans doute et voulurent armer Jean-Jacques de la colère et des rancunes (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1948, p. 186).
SYNT. a) Destin + adj. : destin aveugle, ennemi, immuable, impitoyable, inexorable, irrévocable, sourd. b) Subst. + au/du destin : arrêt, coups, ordre du destin; soumission au destin. c) Verbe + au destin : obéir au destin.
♦ Homme(s) du destin. L'homme du destin, qui porte en lui l'âme du monde (BARRÈS, Cahiers, t. 12, 1919-20, p. 295). Livre du destin. Que ceux qui voudront lire au livre du destin le mot de leur vie s'approchent, je le leur dirai (HUGO, Bug-Jargal, 1826, p. 133).
— P. anal. Personne qui dirige une nation, un peuple avec un pouvoir absolu. Bonaparte a été véritablement le destin pendant seize années (...) Il donnait le mot d'ordre à l'univers (CHATEAUBR., Mém., t. 2, 1848, p. 642).
B.— Enchaînement nécessaire et imprévu des événements qui composent la vie d'un être humain indépendamment de sa volonté. Synon. chance, hasard. La (...) tragédie de la mort est en ceci qu'elle transforme la vie en destin, qu'à partir d'elle rien ne peut plus être compensé (MALRAUX, Espoir, 1937, p. 646) :
• 2. Il y a force plus puissante que celle des hommes, c'est « l'enchaînement des choses de la vie ». Ce qu'on pourrait nommer la fermentation naturelle des faits et des actes, c'est ce que l'antiquité nommait « destin, fatalité, sort » et le christianisme « providence ».
VIGNY, Le Journal d'un poète, 1860, p. 1353.
1. Sort spécial réservé à un être humain ou à une chose, conditionné par un fait inéluctable, notamment par sa nature propre. Synon. avenir, destination, destinée, mission, vocation.
a) [En parlant d'un être humain] :
• 3. ...ton destin à toi, c'était d'aboutir ici, à travers les péripéties de ta vie. N'en doute pas : ce n'est point la perversité des hommes qui t'a conduit jusque-là, ce sont les forces de ton cœur. Remercie donc ces puissances obscures...
THARAUD, La Fête arabe, 1912, p. 280.
b) [En parlant d'une collectivité humaine] La France possède cette particularité d'avoir un destin si net que seuls des esprits chimériques peuvent s'imaginer la conduire (GIRAUDOUX, Siegfried, 1928, IV, 3, p. 167) :
• 4. Il eût mieux valu qu'un maître nous fournît une discipline lorraine et nous expliquât le destin particulier de ceux qui naissent entre la France et l'Allemagne. Le polythéisme mystique de Ménard tombait parmi nous comme une pluie d'étoiles. J'ai horreur des apports du hasard...
BARRÈS, Le Voyage de Sparte, 1906, p. 2.
c) [En parlant d'une chose concr. ou abstr., gén. d'une œuvre humaine] Les églises suivront le destin d'une foi qui meurt. Pas à s'inquiéter des lézardes des murs quand les dogmes sont lézardés (BARRÈS, Cahiers, t. 5, 1906-07, p. 44). Songer au destin des lettres, c'est songer aussi et surtout au devenir de l'esprit (VALÉRY, Regards sur monde, 1931, p. 217). Les maisons gardent leur destin qui est d'abriter des gens et non de vanter des huiles ou des bougies (T'SERSTEVENS, Itinér. esp., 1963, p. 30).
— P. anal. Et pourtant le jour naît, suit son destin et meurt, Ils [les hommes] ne changeront rien à l'ordre de la vie (NOAILLES, Cœur innombr., 1901, p. 134).
2. En partic. Aboutissement, issue fatale, mort. L'heure du destin sonne. Le cri de la guerre frappe mon oreille, et la catastrophe va commencer (VOLNEY, Ruines, 1791, p. 98). Mourir, dans Homère, dans Les Tragiques, c'est accomplir le destin de sa vie (PÉGUY, Clio, 1914, p. 216).
— [P. allus. à Malherbe (Poésies XI, Consolation à M. Dupérier : Mais elle était du monde où les plus belles choses Ont le pire destin; Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin) ds DUPRÉ 1959] Le plus beau fruit a son ver : il était de ce monde où les plus belles choses ont le pire destin (AMIEL, Journal, 1866, p. 313) :
• 5. Ce que c'est que la vie! Un soir, vous faites tranquillement carousse avec un ami dans un cabaret d'honneur; puis vous allez chacun de votre côté à vos petites affaires. Huit jours après quand vous demandez « que devient un tel », on vous répond : « il est pendu ». (...) Ainsi que le dit le sieur De Malherbe en sa consolation à Duperrier [sic] « Il était de ce monde où les meilleures choses ont le pire destin ».
GAUTIER, Le Capitaine Fracasse, 1863, p. 323.
SYNT. (rel. à B) a) Adj. + destin : propre destin. b) Destin + adj. : destin individuel. c) Destin + de + subst. : destin de la patrie, du pays, des peuples. d) Verbe + prép. + destin : faire face au, lutter contre le destin.
C.— Par affaiblissement. Existence d'un être humain, favorisée ou non par les événements extérieurs, et pouvant être modifiée par sa propre volonté. Destin grandiose, illustre, unique; haut destin; décider de son destin. Synon. vie. Ce qui reste, c'est un destin dont seule l'issue est fatale. En dehors de cette unique fatalité de la mort, tout, joie ou bonheur, est liberté. Un monde demeure dont l'homme est le seul maître (CAMUS, Sisyphe, 1942, p. 158). Il [Baudelaire] a voulu son destin (...) Rien ne l'a accablé qu'il ne l'ait appelé sur lui (MAURIAC, Mém. intér., 1959, p. 49) :
• 6. Maintenant que Mary et lui, mariés, assez riches, paraissaient entrer dans une vie plus facile, il désirait s'évader de ce bonheur un peu plat, et imaginait le destin périlleux et magnifique qui aurait pu être le sien en d'autres temps et en un autre pays.
MAUROIS, Ariel ou la Vie de Shelley, 1923, p. 237.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1165 « détermination » [senz nule autre hore de destin] « [sans perdre de temps pour se décider] immédiatement » (BENOÎT DE SAINTE-MAURE, Le roman de Troie, 13896 ds T.-L.); 1170 « sort, victoire ou défaite » (ID., Chronique des ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 35782); 2. ca 1200 [av. 1203] « sort, destinée » (CHASTELAIN DE COUCI, Chansons, éd. A. Lerond, V, 36). Déverbal de destiner. Fréq. abs. littér. :3 438. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 3 328, b) 3 151; XXe s. : a) 3 703, b) 7 866. Bbg. CASSAGNAU (M.). Vox media. Vie Lang. 1969, pp. 432-433. — FABRE-LUCE (A.). Les Mots qui bougent. Paris, 1970, p. 63. — GIR. t. 2. Nouv. Rem. 1834, pp. 29-30.
destin [dɛstɛ̃] n. m.
ÉTYM. 1160, « projet »; déverbal de destiner.
❖
1 Puissance qui, selon certaines croyances, fixerait de façon irrévocable le cours des événements. ⇒ Destinée (1.), fatalité, fatum (littér.), nécessité, prédestination. || La mythologie grecque faisait du destin une puissance supérieure aux dieux. || L'ordre du destin, la loi du destin. || Les arrêts du destin. || La sibylle, la pythie dévoilaient les arrêts du destin. || L'oiseau du destin (⇒ Fatidique). || Croyance au destin (⇒ Déterminisme, fatalisme). || Pour les chrétiens, la notion de providence a remplacé celle de destin (⇒ Ciel, dieu, providence). || Destin aveugle, cruel, impitoyable, irrévocable, rigoureux, sévère, sourd. — Au plur. || Les destins favorables.
REM. Lorsqu'il s'agit de la personnification mythologique, on écrit parfois Destin avec un D majuscule. Les filles du Destin : les Parques.
1 Des arrêts du destin l'ordre est invariable (…)
Corneille, la Conquête de la toison d'or, V, 7.
2 Et l'ordre du destin qui gêne nos pensées
N'est pas toujours écrit dans les choses passées :
Quelquefois l'un se brise où l'autre s'est sauvé,
Et par où l'un périt un autre est conservé.
Corneille, Cinna, II, 1.
3 Qu'au livre du Destin les mortels peuvent lire.
La Fontaine, Fables, II, 13.
4 Le bien nous le faisons; le mal, c'est la Fortune;
On a toujours raison, le Destin toujours tort.
La Fontaine, Fables, VII, 14.
5 Les Destins sont contents : Oronte est malheureux.
La Fontaine, Pièces diverses, II, « Élégie pour M. F. ».
6 (…) ne trouves-tu pas, comme moi, quelque chose du Ciel, quelque effet du destin, dans l'aventure inopinée de notre connaissance ?
Molière, le Malade imaginaire, I, 4.
7 Hélas ! qui peut savoir le destin qui m'amène ?
L'amour me fait ici chercher une inhumaine.
Mais qui sait ce qu'il doit ordonner de mon sort,
Et si je viens chercher ou la vie ou la mort ?
Racine, Andromaque, I, 1.
8 Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne.
Racine, Andromaque, I, 1.
9 (…) c'est là (dans Homère) que parmi les rêveries et les inconséquences, on trouve (…) l'idée du destin qui est maître des dieux, comme les dieux sont les maîtres du monde.
Voltaire, Dict. philosophique, Destin.
10 Que l'ombre des Destins, Seigneur, n'oppose plus
À nos belles ardeurs une immuable entrave,
À nos efforts sans fin des coups inattendus !
A. de Vigny, les Destinées, I.
11 Les hommes ont inventé le destin, afin de lui attribuer les désordres de l'univers, qu'ils ont pour devoir de gouverner.
R. Rolland, Au-dessus de la mêlée, p. 26.
12 Nolentem trahunt (…) disaient (…) les Latins. Les destins traînent de force ceux qui leur résistent : à quoi bon aller contre eux ? Mot d'une sagesse humaine, trop humaine, dont l'autre nom est abdication.
Daniel-Rops, Ce qui meurt…, p. 7.
♦ Par anal. Vieilli. (En parlant d'une personne dont dépend entièrement une évolution).
12.1 Bonaparte a été véritablement le destin pendant seize années.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, III, I, VII, 5.
2 Ensemble des événements contingents (⇒ Hasard) ou non (⇒ Fatalité) qui composent la vie d'un être humain considérés comme résultant de causes distinctes de sa volonté. ⇒ Destinée (2.), étoile, sort. || On n'échappe pas à son destin. || Suivre son destin. || Croire en son destin. || C'était son destin ! (→ C'était écrit, c'était fatal. Cf. arabe Mektoub). || Il eut un destin tragique, une fin (ou une vie) tragique. ⇒ Existence. || C'est un tournant du destin. || C'est le destin des grands hommes. || Prédire, lire le destin de qqn. ⇒ Avenir, futur; aventure (1.), horoscope, oracle, prédiction. || C'est le destin qui nous a réunis. ⇒ Chance, hasard.
13 Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin,
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.
Malherbe, Consolation à Du Périer.
14 Il faut en revenir toujours à son destin,
C'est-à-dire à la loi par le Ciel établie (…)
La Fontaine, Fables, IX, 7.
15 On aura beau chanter les restes magnifiques
De tous ces destins héroïques
Qu'un bel art prit plaisir d'élever jusqu'aux cieux (…)
Molière, Appendice à George Dandin, I.
16 J'avais, dès le début, pris la résolution de ne rien demander, de suivre mon destin (…)
G. Duhamel, la Pesée des âmes, VII, p. 169.
17 Où est le commencement de nos actes ? Notre destin, quand nous voulons l'isoler, ressemble à ces plantes qu'il est impossible d'arracher avec toutes leurs racines.
F. Mauriac, Thérèse Desqueyroux, p. 35.
♦ Par ext. Ce qu'il adviendra de quelque chose. ⇒ Fortune, sort. || Le destin d'un ouvrage littéraire. || Le destin d'un empire, d'une civilisation. || Le destin du monde, de l'univers. — Poét. || Le destin du combat. ⇒ Issue.
18 Un grand destin commence, un grand destin s'achève,
L'Empire est prêt à choir et la France s'élève.
Corneille, Attila, I, 2.
19 Je songe quelle était autrefois cette ville,
Si superbe en remparts, en héros si fertile,
Maîtresse de l'Asie; et je regarde enfin
Quel fut le sort de Troie, et quel est son destin.
Racine, Andromaque, I, 2.
20 J'ignore du combat quel sera le destin (…)
Voltaire, les Scythes, IV, 7.
21 Pas exactement du fatalisme, non : le sentiment de participer, même par la maladie et la mort, au destin de l'univers.
Martin du Gard, les Thibault, t. IX, p. 225.
21.1 L'univers entier s'évanouira, ayant accompli son destin, comme ici et maintenant s'accomplit le destin des hommes.
R. Queneau, les Derniers Jours, p. 233.
♦ Condition heureuse ou malheureuse. ⇒ Condition, état.
22 (…) je ne souhaite
Ni climats ni destins meilleurs.
La Fontaine, Fables, VII, 12.
23 Je n'aimais qu'elle au monde, et vivre un jour sans elle
Me semblait un destin plus affreux que la mort.
A. de Musset, Poésies nouvelles, « Nuit d'octobre ».
3 Le cours de l'existence considéré comme pouvant être modifié par celui qui la vit. ⇒ Existence, vie. || Être le maître de son destin. || Influencer, modifier son destin. || Être responsable de son destin; décider de son destin. || Agir librement sur son destin (⇒ Liberté). || Changer son destin.
24 (…) elle avait conscience que sa volonté n'avait pas cessé d'agir sur son destin, et que sa réussite était bien son œuvre.
Martin du Gard, les Thibault, t. V, p. 159.
25 (…) nous tissons notre destin, nous le tirons de nous comme l'araignée sa toile (…)
F. Mauriac, la Vie de J. Racine, XIV.
26 Jerphanion s'interroge, moins sur ce qu'il va décider que sur le retentissement intérieur de la décision, sur l'indice dont elle marquera son destin.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, XV, p. 157.
27 Ce dont chacun de nous est responsable, ce n'est pas d'un destin anonyme, c'est de son propre destin, reflet temporel de son éternité. Lorsque les hommes renoncent à considérer leur destin personnel comme quelque chose dont ils sont comptables, les destins du siècle fléchissent et mènent le monde aux faillites. Car cette démission en annonce d'autres et les permet.
Daniel-Rops, Ce qui meurt…, p. 8.
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DÉR. Destinal.
COMP. Antidestin.
Encyclopédie Universelle. 2012.