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jusques

jusque ou (vx ou poét.) jusques [ ʒysk(ə) ] prép. et conj.
Xe; lat. de usque, ou inde usque
Marque le terme final, la limite que l'on ne dépasse pas. I Prép. (suivi le plus souvent de à, d'une autre prép. ou d'un adv.) A ♦ JUSQU'À.
1(Lieu) En parcourant toute la distance qui sépare de. Aller jusqu'à Marseille. La lumière de certaines étoiles n'est pas encore arrivée jusqu'à nous. Rempli jusqu'au bord. Vêtements usés jusqu'à la corde. Du haut jusqu'en bas. Branches qui pendent jusqu'à terre. Jusqu'au bout. Jusqu'à la gauche . Boire le calice jusqu'à la lie. Fig. Jusqu'à un certain point. Jusqu'à concurrence de. « Frédéric se sentit blessé, jusqu'au fond de l'âme » (Flaubert). (Suivi d'un mot désignant une partie du corps) Rougir jusqu'aux oreilles, jusqu'au blanc des yeux. Dans l'herbe jusqu'au ventre. Se gratter jusqu'au sang. Jusqu'au bout des ongles. Fig. Être plongé jusqu'au cou dans les études. (Suivi d'un nom abstrait, pour marquer l'excès) Pousser la méchanceté jusqu'au sadisme. Poli jusqu'à l'obséquiosité. Boire jusqu'à satiété, (fam.) jusqu'à plus soif. (Devant un inf., apr. les v. aller, pousser, etc.) Il est allé jusqu'à prétendre qu'on ne l'avait pas averti. « Son génie allait jusqu'à l'effrayer » (Stendhal). Pousser l'audace jusqu'à forcer une porte (cf. Au point de).
2(Temps) Du matin jusqu'au soir. Jusqu'à la dernière minute, au dernier moment. Jusqu'à la fin. Jusqu'à ce jour, nos jours. Il a vécu jusqu'à quatre-vingt-quatre ans. Jusqu'au moment où... Faites chauffer jusqu'à ébullition. Jusqu'à plus ample informé. Jusqu'à nouvel ordre.
3(Totalité) JUSQUE(S) combiné avec y compris, inclus, inclusivement, pour marquer que la limite extrême introduite par jusque est comprise. Jusques et y compris [ ʒyskəzeikɔ̃pri ] la page vingt. Jusqu'au 17 décembre inclus. Combiné avec un mot marquant la totalité (tous, tout) et dans un sens voisin de « même ». Tous, jusqu'à sa femme, l'ont abandonné. « Jusqu'à mon repos, tout est un combat » (Musset).
B ♦ JUSQUE, suivi d'une prép. autre que à. Il l'accompagne jusque chez lui. « Elle y demeura jusques après Pâques » (Flaubert). C'est fermé jusqu'en mai. Je vous attendrai jusque vers onze heures et demie. C ♦ JUSQUE (suivi d'un adv.). Jusqu'alors, jusqu'à présent. Jusqu'à hier, jusqu'à aujourd'hui. Jusqu'à quand ? Vx ou littér. Jusques à quand ? Jusqu'à combien ? Jusqu'ici : jusqu'à cet endroit; jusqu'à maintenant. Jusque-là : jusqu'à cet endroit; jusqu'à ce moment-là. Fig. et fam. En avoir jusque-là : avoir trop mangé; être excédé. J'en ai jusque-là de vos histoires ! Loc. S'en mettre jusque-là : manger beaucoup. — Jusqu'où (rel. ou interrog.). Jusqu'où cela va-t-il nous mener ? « Tu vois, ami lecteur, jusqu'où va ma franchise » (Musset). IIEmploi adv. (incluant dans une totalité, une série, l'objet ou le sujet introduit) même. Il y a des noms et jusqu'à des personnes que j'ai complètement oubliés. (Devant un objet ou un sujet isolé qu'il met en relief) « Ils réclamaient jusqu'à l'argent des cadeaux » (Zola). Jusqu'à lui, qui nous trahit ! Il n'est pas jusqu'à son regard qui n'ait changé. III Conj.
1 ♦ JUSQU'À CE QUE : jusqu'au moment où. — (Avec le subj.) Jusqu'à ce que je revienne. « Je verrai cet instant jusqu'à ce que je meure » (Hugo). Ne partez pas jusqu'à ce qu'il soit revenu, avant qu'il ne soit revenu. Jusqu'à ce que mort s'ensuive. (Avec l'indic.) Vx ou littér. « Jusqu'à ce qu'enfin Louis, s'étant à demi soulevé, regarda la fenêtre blanchissante » (F. Mauriac).
2 ♦ JUSQU'À TANT QUE. Jusqu'à tant que cela cesse. « Plusieurs années s'écoulèrent ainsi [...] jusqu'à tant que la mère mourût » (Henriot).

jusque, jusqu', jusques
Prép. et loc. conj.
rI./r Prép.
d1./d Suivi d'une Prép., le plus souvent à, ou d'un adv. (Marquant un terme, dans l'espace ou dans le temps, que l'on ne dépasse pas.) J'ai attendu jusqu'à 5 heures. Venez jusque chez moi. Jusqu'où?
|| Vx, litt. Jusques à quand? Jusque-là: V. là (sens IV).
Mod. Jusques et y compris...
d2./d (Insistant sur l'inclusion de l'élément ultime dans un tout.) Il a tout payé jusqu'au dernier centime.
rII./r loc. conj. Jusqu'à ce que (marquant le terme d'une durée). J'ai marché jusqu'à ce qu'il fasse nuit.

⇒JUSQUE(S), (JUSQUE, JUSQUES)prép.
[Ne s'emploie jamais isolément en fr. non région., mais toujours comme premier élément de loc. prép. ou adv. (infra I) ou de loc. conj. (infra. II)].
I. — [Premier élément de loc. prép. ou adv. Exprime l'idée d'une limite spatio-temporelle (pour un espace que l'on parcourt ou pour une durée) ou bien l'idée de limite pour l'inclusion (effective ou imaginaire) dans un tout, ou encore, p. ext., l'idée de degré extrême]
A. — Jusque + prép. + subst. ou adv. [Exprime l'idée d'une limite spatio-temporelle (pour un espace que l'on parcourt ou pour une durée), le point initial étant éventuellement marqué par de, à partir de ou depuis]
1. [Dans l'espace]
a) [En corrélation et en oppos. avec de, à partir de ou depuis pour insister sur la longueur de la distance] Synon. de ... à, de ... en, depuis ... à. Aller de Paris jusqu'à Marseille, jusqu'en Amérique; voir depuis la porte jusque dans la maison, jusque sous la table. Des différens travaux entrepris pour faciliter la navigation du fleuve Saint-Laurent depuis Katarakouy jusqu'à Montréal (CRÈVECŒUR, Voyage, t. 2, 1801, p. 194). Ils firent des voyages dans tous les environs de Paris, et depuis Amiens jusqu'à Evreux, et de Fontainebleau jusqu'au Havre (FLAUB., Bouvard, t. 1, 1880, p. 15) :
1. Lucie eut un petit sourire : « Je peux vous assurer qu'il acceptera s'il est entendu que Josette a le rôle. » De la gorge jusqu'à la racine des cheveux, la tendre peau de blonde s'embrasa.
BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 269.
b) [Empl. sans corrélatif pour marquer la limite spatiale de l'action] Aller, marcher, pousser, se promener jusque vers la plage; tomber jusqu'à terre. Nous nous élevâmes à travers la mêlée, jusqu'à un monticule de neige (DUSAULX, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 283).
Jusque(s) + prép. + pron. Je la raccompagnerai jusque chez elle. Qui rompra mes liens, et me donnera des ailes pour voler jusqu'à toi? (COTTIN, Mathilde, t. 2, 1805, p. 175). Les variations du jour, dans l'absence du jeu plus allongé des ombres, ne parvenaient plus jusqu'à nous (GRACQ, Syrtes, 1951, p. 160).
c) [Avec ou sans corrélatif, accompagnant une forme verbale qui exprime le résultat actuel d'une action passée] Avoir de l'eau jusqu'aux genoux, jusqu'à la taille. M. Ouine était assis au bord du lit, les jambes pendantes, (...) sa vareuse boutonnée jusqu'au col (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p. 1362). V. depuis I A 1 b.
d) Loc. adv., cour.
Jusqu'ici, jusque(-)là. Jusqu'à cet endroit-là, jusqu'à ce lieu. La lame interne de la capsule, qui peut seule le produire [l'émail], ne s'étend pas jusques là (CUVIER, Anat. comp., t. 3, 1805, p. 118). Si je parvenais jamais jusque là, je serais obligé de marcher courbé (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p. 288). Or, ce matin, je suis arrivé jusqu'ici... (...) — en allant de porte en porte (SIMENON, Vac. Maigret, 1948, p. 163).
Loc. fam. (En avoir/s'en fourrer) jusque-là. Avoir trop mangé, manger gloutonnement. Au fig. En avoir jusque-là (de qqc.). En avoir assez (de quelque chose). Le jour où elle en aurait jusque-là de l'art dramatique de la banlieue (A. DAUDET, Pt Chose, 1868, p. 290). Jusqu'à la gauche. Jusqu'au bout. Emmerder qqn jusqu'à la gauche. V. emmerder ex. VAILLANT, Drôle de jeu, 1945, p. 89.
Jusqu'où (?). L'esprit public une fois corrompu, alors jusqu'où le pouvoir exécutif et les factions qui le serviront ne pourront-ils pas pousser leurs usurpations? (ROBESP., Discours, Jug. Louis XVI, t. 9, 1792, p. 187). Elle circonscrit les limites de notre savoir, et nous montre jusqu'où nous pouvons les porter (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814p. 281).
Rem. Vx, rare. [Avec un adv. de lieu ou de temps, lui-même renforcé par un adv. d'intensité assezort/si/très]. Ces dernières espèces ont aussi leur pavé dentaire prolongé jusqu'assez avant sur le palais (CUVIER, op. cit., p. 179).
2. [Dans le temps]
a) [En corrélation et en oppos. avec de, à partir de ou depuis pour marquer avec insistance la durée de l'action ou de l'état] Synon. de/depuis ... à. Du matin jusqu'au soir; depuis telle époque jusqu'à telle époque. Depuis l'invention de l'imprimerie jusqu'au temps où les sciences et la philosophie secouèrent le joug de l'autorité (CONDORCET, Esq. tabl. hist., 1794, p. 116). P. méton. Jusqu'à + n. de pers. ou de peuples. Des Romains et des Grecs jusqu'aux Italiens d'aujourd'hui. Ce que dix siècles d'instruction et de discipline, depuis Charlemagne jusqu'à Bossuet, pouvoit avoir mis de force dans la raison et de solidité dans les vertus (BONALD, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 127).
b) [Empl. souvent sans corrélatif pour insister sur le point limite temporel de l'action ou de l'état] Jusqu'à la nuit; jusqu'à la mort; jusqu'à la fin des temps, des jours. Je compte tous les instants jusqu'au 7. Il faut encore trois jours (NAPOLÉON Ier, Lettres Joséph., 1796, p. 53). Vos demoiselles me tiendront compagnie jusqu'au moment de mon départ (BECQUE, Corbeaux, 1882, III, 2, p. 156) :
2. Mon père, qui avait aimé une petite camarade protestante (mais René Rezeau veillait!), épousa cette dot qui lui permit de faire figure de nabab jusqu'à la dévaluation de M. Poincaré.
H. BAZIN, Vipère, 1948, p. 20.
Jusque(s) + prép. + pron. Il en est de même de leurs beaux-arts dont les monuments sont parvenus jusqu'à nous (DE LACLOS, Éduc. femmes, 1803, p. 477). Ils oublieraient l'existence que, jusqu'à elle, ils avaient pu mener (CAMUS, Peste, 1947, p. 1293).
Rare. [Précédé de la prép. pour] Les chaudes rôtisseries (...) tous les débits de prunes de la rue Racine et du « Boul Mich » mettaient pour jusqu'au matin l'odeur et le flamboiement d'une ripaille universelle (A. DAUDET, Rois en exil, 1879, pp. 71-72).
c) Loc. adv. cour.
Jusqu'ici, jusque(-)là. Jusqu'à ce moment-là ou ce jour-là. Le législateur ayant observé (...) que jusques-là l'énoncé de toute opinion était libre, sans quoi il était impossible de découvrir la vérité, l'orateur reprit (VOLNEY, Ruines, 1791, p. 249). C'est alors qu'(...) se produisit l'étincelle qui devait nous conduire à rompre des relations jusque-là si charmantes (AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p. 347). Et je joue du couteau aussi Dit l'homme qui jusqu'ici N'avait absolument rien dit (PRÉVERT, Paroles, 1946, p. 171).
Jusqu'alors. Jusqu'à ce temps ou ce moment-là. Le jeune Bérenger, jusqu'alors étranger au monde, à ses passions, à ses intrigues, était toujours, à son insu, l'instrument des vengeances du prieur (JOUY, Hermite, t. 4, 1813, p. 54). La musique concrète n'est autre chose que la prise de conscience de ce phénomène jusqu'alors implicite (SCHAEFFER, Rech. mus. concr., 1952, p. 194).
Jusqu'à présent, jusqu'à maintenant. On n'a pas encore senti jusqu'à présent, que se contenter de mettre un nègre en prison n'est pas le punir (BAUDRY DES LOZ., Voy. Louisiane, 1802, p. 329). Le Capitaine : Les soutiers et les gabiers adorent leur métier. Jusqu'à présent, tu ne t'étais guère occupée d'eux... (AUDIBERTI, Quoat, 1946, 1er tabl., p. 44). Un tel plan (...) dépasse par son ampleur tous ceux qui ont été jusqu'à maintenant envisagés (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p. 626).
Jusqu'/jusques à quand? Pendant encore combien de temps? Jusqu'à quand resteras-tu courbé sous le poids de tes méprises et de tes jugements précipités? (SAINT-MARTIN, Homme désir, 1790, p. 45). Peut-être une âme dormait (...) Et pour jusques à quand? (KAHN, Conte or et sil., 1898, p. 184).
Rem. Empl. gén. de jusqu'à précédant les adv. de temps : jusqu'à demain/hier/tantôt/etc., et même jusqu'à aujourd'hui malgré une longue controverse aux XVIIe et XVIIIe s. parfois en faveur de jusqu'/jusques aujourd'hui.
B. — Jusque(s) + prép. + subst. [Indique l'idée d'une limite (parfois soulignée par inclus, inclusivement, (et) y compris) pour l'inclusion (effective ou imaginaire) dans une totalité, une série, un ensemble, le point initial étant éventuellement marqué par de, à partir de, ou depuis]
Rem. Dans cet emploi, (de/depuis)... jusqu(es) + prép. + subst. (inclus/inclusivement/etc.) est souvent précédé (ou suivi) du mot tout, ou rien, ou chacun, qui explicite l'idée de totalité, d'intégralité. Dans cet emploi également, jusqu(es) + prép. + subst. apparaît souvent précédé du coordonnant et (parfois renforcé par même) en une séquence et (même) jusques + prép. + subst. marquant avec insistance, le point limite d'une énumération.
1. [En corrélation et en oppos. avec de, à partir de ou depuis pour indiquer une série entière, l'énumération complète d'un ensemble] Synon. de de/depuis ... à. Depuis la première jusqu'à la dernière, du début jusqu'à la fin, des plus pauvres jusqu'aux plus riches. J'ai vu passer et repasser tout le personnel de l'église, depuis l'éclopé donneur d'eau bénite (...) jusqu'au curé dans son camail (DELACROIX, Journal, 1853, p. 70) :
3. Il était très richement pourvu, comblé de biens de toute sorte, entouré de soins minutieux; rien ne lui manquait, depuis les boucles d'argent de sa culotte jusqu'à la loupe veinée au bout de son nez.
SARRAUTE, Ère soupçon, 1956, p. 57.
Rare, en appos. à tout. (Depuis...) jusqu'à + inf. Lui, qui avait été (...) bon à tout, depuis vider le pot de chambre de son altesse, jusqu'à reconquérir ensemble le duché (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p. 154).
2. [En corrélation avec inclus/inclusivement/et y compris pour indiquer avec insistance le point limite d'un ensemble] Jusques et y compris le parallèle de Bonaparte et de Cromwell, tout ce qui suit est extrait, mais fort en abrégé, de mes Mémoires (CHATEAUBR., Litt. angl., t. 2, 1836, p. 145). Jusqu'au 7 août inclusivement, les autorités britanniques ont déclaré ignorer l'accord (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p. 467).
3. [Empl. gén. sans corrélatif] Synon. de même, y compris.
a) Jusqu(es) à + subst. [en position suj. ou compl. non prép.]
Jusque(s) (à) [Avec un subst. suj.] Son cœur, et jusque la salive de sa bouche étaient malades (BARRÈS, Barbares, 1888, p. 227). Des femmes et jusqu'à des enfants travaillaient aux barricades (ZOLA, Débâcle, 1892, p. 594). Nos manières d'être, de penser, de sentir et jusqu'à nos connaissances nous semblent un acquis perfectionné (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 21)
Jusqu'à + subst. + pron. rel. en constr. exclam. Jusqu'aux marmots qui déjà s'égayaient à frotter leur misère! (ZOLA, Germinal, 1885, p. 1363).
Jusqu'à [Avec un subst. compl. non introd. par une prép.]. Si tu devais mourir, j'envierais jusqu'à la terre qui épouserait ton corps! (CAMUS, État de siège, 1948, 2e part., p. 261) :
4. Je l'avoue sans honte, j'aime encore Lélia, j'adore Consuelo et je supporte jusqu'aux ouvriers de George Sand : ils ont une sorte de vérité et expriment une part des idées et des passions de leur temps.
LEMAITRE, Contemp., 1885, p. 251.
b) Jusque(s) + prép. [Avec un subst. compl. introd. par une prép. : contre/dans/en/par/sous/sur/etc.] Pour combler ses derniers vœux, tu lui souris jusques sous les frimats (SENANCOUR, Rêveries, 1799, p. 54). L'effraction qu'il tente au moyen des rêves du sommeil, prolongés par la rêverie éveillée et jusque par les visions de la folie (DURRY, Nerval, 1956, p. 153) :
5. ... il levait le nez, reniflait l'atmosphère et disait que ça sentait le tabac  : ceci pour la plus grande stupeur de la Guillaumette et de Croquebol, que l'envie de fumer torturait, poursuivait jusque dans leurs rêves!
COURTELINE, Train 8 h 47, 1888, 3e part., III, p. 237.
Loc. littér. Il n'y a pas jusqu'à/il n'est pas jusqu'à + subst. et prop. rel. au subj. avec ne. [Marquant avec insistance le point de réf. limite] Il n'y avait pas jusqu'à cet homme qui sifflait si tranquillement qui ne me fît mal (KRÜDENER, Valérie, 1803, p. 189). Il n'est pas jusqu'aux paysages de la banlieue parisienne, chers à M. Coppée, dont on ne trouve déjà quelque chose chez ce surprenant Sainte-Beuve (LEMAITRE, Contemp., 1885p. 101).
Rem. De nombreux grammairiens soulignent que l'emploi de jusqu'à devant un compl. normalement introd. par la prép. à est à proscrire parce que produisant des constr. ambiguës, p. ex., la phrase Il prête jusqu'à ses valets n'est pas bonne si l'on veut lui faire signifier « il prête même à ses valets », car le premier sens qui se présentera à la pensée du lecteur ou de l'auditeur sera « il prête même ses valets »' (GREV. 1969, § 939, rem. 4).
C. — Jusque(s) + prép. + subst. ou inf. [Indique un degré extrême, limite, que l'on ne peut dépasser] Synon. au point de (+ inf.).
1. [Suivi d'un subst.]
a) [Le subst. désigne une partie du corps ou le vêtement d'une pers.] Se gratter, se mordre, se pincer jusqu'au sang; être glacé, transi jusqu'aux os, jusqu'à la moëlle. Alexandre Dumas dit qu'il était un enfant ennuyé, ennuyé jusqu'aux larmes (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 34) :
6. On ne lui refusait pas l'argent de poche  : on oubliait de lui en donner; elle usa sa garde-robe jusqu'à la trame sans que mon grand-père s'avisât de la renouveler.
SARTRE, Mots, 1964, p. 10.
Au fig. Je m'étais toujours figuré être équipé sur pied de guerre et armé jusqu'aux dents (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 228).
b) [Le subst. désigne une abstraction du domaine psychol., intellectuel ou mor.] Être audacieux, brave jusqu'à la témérité; empressé, poli, respectueux jusqu'à l'obséquiosité; être dégoûté jusqu'à l'écœurement. Il éprouvait jusqu'à l'angoisse le désir de se retrouver seul avec elle (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 288) :
7. Le lendemain, je ne pus résister à l'envie d'aller voir Sara chez mon rival. Je la trouvai plus froide pour moi, plus indifférente que jamais; elle l'était jusqu'à l'impolitesse.
RESTIF DE LA BRET., M. Nicolas, 1796, p. 140.
Jusqu'à + subst. abstr. est précédé d'un verbe indiquant un mouvement : aller, pousser, etc. Pousser un raisonnement jusqu'à l'absurde; se serrer jusqu'à l'étouffement. Aller jusqu'au bout (de quelque chose). Les Français et les Italiens sont d'une légèreté de caractère qui va quelquefois jusqu'à la folie (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p. 307). Mon père pouvait fort bien pousser sa passion pour Anne jusqu'à la fidélité (SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 110).
2. [Suivi d'un inf.] S'enhardir jusqu'à se montrer, diminuer jusqu'à devenir nul, être plein jusqu'à éclater. Les enfans (...) bientôt attirés par ces merveilles, se familiarisoient jusqu'à se jouer entre les genoux des bons religieux (CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 399). L'arbre de mon poète (...) cogna les murs de sa prison jusqu'à crever une lucarne pour jaillir droit vers le soleil (SAINT-EXUP., Citad., 1944, p. 567)  :
8. Je songeais comme c'est bon d'être couché sous les feuilles en aimant quelqu'un! Et j'y pensais tous les jours, toutes les nuits! Je rêvais de clairs de lune sur l'eau jusqu'à avoir envie de me noyer.
MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Bois, 1886, p. 557.
Jusqu'à + inf. est précédé d'un verbe indiquant un mouvement : aller, pousser, porter, etc. Courir jusqu'à perdre haleine; s'approcher de qqn jusqu'à le toucher; pousser l'audace, la hardiesse jusqu'à se saisir de qqn. Ils ont été jusqu'à se persuader, malgré les faits et les monumens, qu'elle [cette écriture] avait dû naître toute parfaite (DESTUTT DE TR., Idéol. 2, 1803, p. 349) :
9. Comme j'espérais longuement cet instant! Je poussais le calcul jusqu'à réserver pour l'aurore et le crépuscule les ouvrages imprimés dans un corps plus lisible.
AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p. 350.
Loc. cour. Aller jusqu'à dire, nier, prétendre, soutenir (que...). J'allai jusqu'à en toucher un mot au marquis tout de suite (BOURGET, Disciple, 1889, p. 184).
Rem. Rare, pour renforcer la loc. synon. au point de + inf. Cette révolte va jusqu'au point d'attendre de pied ferme les trente mille hommes de Saint-Omer (STENDHAL, Lamiel, 1842, p. 123).
3. Loc. adv. Jusque-là. Jusqu'à ce point. Tout humble qu'elle est, elle ne peut se résoudre à s'humilier jusque-là (COTTIN, Mathilde, t. 2, 1805, p. 284). « Au moins, donnez-nous l'adjonction des capacités. » Bouvard n'allait pas jusque-là (FLAUB., Bouvard, t. 1, 1880, p. 52).
Jusqu'où. Vous ne savez pas jusqu'où peut aller la jalousie dans un cœur comme celui de mon fils (GUILBERT DE PIXER., Coelina, 1801, I, 17, p. 24).
II. — [Premier élément de loc. conj.]
A. — Loc. conj. temp. [Indique le moment où s'achève la durée d'une action, et exprime donc le point terminal de cette durée alors que depuis (...) que en exprime le point initial]
1. Jusqu'à ce que
a) [Suivi de l'ind.] Rare, vieilli. Jusqu'au moment où. Il lui parlait d'une manière sèche et contrainte (...) jusqu'à ce qu'enfin, échauffé par ces beaux yeux (...) toute sa rancune fondait, ses griefs secrets se dissipaient (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p. 239).
b) [Suivi du subj.] Le pays devra recourir au capital étranger ou à l'épargne forcée. Jusqu'à ce que ce surcroît d'épargne ait permis (...) la formation d'une nouvelle épargne « spontanée » (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 262) :
10. (...) plus de bien-être quand la richesse augmente, jusqu'à ce qu'elle ait atteint le terme de son accroissement; et, au contraire, quand la richesse diminue, plus de difficultés (...) jusqu'à ce que la dépopulation et les privations aient ramené le niveau?
CONDORCET, Esq. tabl. hist., 1794, p. 152.
Rem. 1. [Constr. partic. très rare] Jusqu'à ce que précédé de la prép. pour, calquée sur la constr. pour jusque + prép. + subst. de temps. Pour ôter le péché, elle les a mariés devant Dieu, pour jusqu'à ce que son fils soit prêtre (RESTIF DE LA BRET., M. Nicolas, 1796, p. 237). 2. Dans la lang. class., jusqu'au XVIIIe s., emploi de l'ind. de préférence pour exprimer un fait réel et accompli et au contraire emploi du subj. pour exprimer une incertitude.
2. [Var. de la loc. conj. temp. : loc. rel. de temps (suivi de l'ind.)]
Jusqu'au moment où. Et, jusques au moment où partiront les coups, Des ligueurs attentifs, avec elle en prière, Retiendront Médicis au fond du sanctuaire (LEGOUVÉ, Mort Henri IV, 1806, V, 1, p. 416). La sexualité ne cesse de mettre au point son équilibre jusqu'au moment où elle entre en involution (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 141).
Jusqu'à l'instant où, jusqu'au jour où, jusqu'à l'heure où, jusqu'à l'époque où. On les y laissera [des boîtes], sans être ouvertes, jusqu'à l'époque où il sera à propos de semer les graines (Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. 208). L'ordre est signé par elle de vous tenir chez vous jusqu'à l'heure où le secrétaire pourra vous parler (LEMERCIER, Pinto, 1800, III, 13, p. 101) :
11. Notre vie, à chacun, paraît simple jusqu'au jour où un événement se produit et où les gens nous examinent, non plus en tant que nous-mêmes, mais par rapport à cet événement. Je pense que c'est pour cela que je vous ai prié de venir.
SIMENON, Vac. Maigret, 1948, p. 54.
Rem. Loc. conj. pop. ou vieillies. Jusqu'au moment que ou jusqu(es) + prép. + subst. de temps + que pour jusqu'au moment où, jusqu(es) + prép. + subst. de temps + où. Ceux-ci continuèrent leur route (...) jusqu'à neuf heures du matin qu'ils entrèrent dans un autre port moins large (Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. 133). Tout conspirait à les amener au bord extrême de l'abîme, jusqu'au moment qu'après ces longs oublis, leur conscience réveillée dardait soudain à leurs yeux un trait de flamme (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p. 140).
B. — Loc. conj. de conséquence. [Indique un degré extrême interprété comme une conséquence] Jusque(-)là que + ind. (littér., vieillie). (Jusqu')au point que. Je suis cauteleux, faux (...), fin jusque là que M. de Funchal, dans une position équivoque, m'ayant écrit, je ne lui réponds point (CHATEAUBR., Mém., t. 3, 1848, p. 538). Sa santé paraît dérangée à un point singulier, jusque-là qu'il me vient de refuser un coup d'épée (FEUILLET, Scènes et prov., 1851, p. 25) :
12. Ils étaient les seuls légitimés des cinq bâtards de son altesse, et traités (...) avec les honneurs de princes légitimes, jusque-là que l'on avait pris pour leur baptême la célèbre aiguière d'onyx du sacre des rois de Jérusalem.
BOURGES, Crépusc. dieux, 1884p. 6.
Prononc. et Orth. : []. aujourd'hui adv.) plutôt que jusques à aujourd'hui (vx) ou jusqu'aujourd'hui (littér.); jusqu'à après, jusqu'à avant-hier malgré le hiatus mais jusqu'après sa visite, etc., jusque-là (Ac., LITTRÉ, ROB., Lar. Lang. fr. mais ex. sans trait d'union ds CHATEAUBR., loc. cit.). Étymol. et Hist. A. Prép. 1. indique la limite extrême a) 2e moitié Xe s. jusche + compl. de lieu (Passion, éd. D'Arco S. Avalle, 328); b) id. jusque + compl. de temps (ibid., 309); jusque peut être en relation avec des prép. indiquant le point de départ ou l'origine, comme des dans l'ex. précédent; jusque ne s'emploie plus que suivi d'une autre prép. ca 1050 jusque an (Alexis, éd. Chr. Storey, 113), surtout de la prép. à : ca 1100 jusqu'a ici au sens particulier de « d'ici à » (Roland, éd. J. Bédier, 972); 2. jusque + adv. a) ca 1165 jusque ci (BENOÎT DE STE-MAURE, Troie, éd. L. Constans, 11865); b) 1176-81 jusqu'a demain (CHRÉTIEN DE TROYES, Chevalier charrette, éd. M. Roques, 358); 1561 jusques à quand (J. GREVIN, César, éd. L. Pinvert, p. 21); 1676 fig. en avoir jusque-là de qqn « en avoir assez de lui » (Mme DE SÉV., Lettres, éd. M. Monmerqué, t. 4, p. 453); 3. indique le degré extrême a) 1er quart XIIIe s. jusc'a + subst. abstr. (Lancelot del Lac, éd. O. Sommer, t. 1, p. 234); 1640 fig. aller jusques au bout (CORNEILLE, Cinna, 1559); b) ca 1460 jusques à + inf. (COQUILLART, Trad. de la Guerre des Juifs, éd. Ch. d'Héricault, t. 2, p. 310); 4. 1547 jusque + subst. peut indiquer l'inclusion dans un tout (en liaison ou non, avec des termes tels que y compris, tout) (J. BOUCHET, Epistres morales du Traverseur, II, III, 4 ds HUG.). B. Adv. 1561 « même » devant un terme qu'il met en valeur, ici en relation avec un relatif (CALV., Instit., 207 ds LITTRÉ). C. Conj. a) ca 1050 jusqu' + ind. « jusqu'au moment où » (Alexis, 603); ne subsiste que comme loc. conj. av. 1405 jusques a ce que + subj. (Livre du chevalier de la Tour Landry, éd. A. de Montaiglon, p. 8); est parfois suivi de l'ind. 2e moitié du XVe s. jusques a ce que (Myst. du V. Testament, éd.J. de Rothschild, 34684); b) 1176-81 jusque tant que + ind. « id. » (CHRÉTIEN DE TROYES, Chevalier lion, éd. M. Roques, 720); 1247 jusk'a tant que + subj. (doc. ds RUNK. p. 173); c) début XIIIe s. jusques là que « id. » (RAOUL DE HOUDENC, Vengeance Raguidel, 3050 ds T.-L.). Prob., bien qu'il soit attesté plus anciennement, p. aphérèse de enjusque prép. (1176-81 CHRÉTIEN DE TROYES, Chevalier lion, éd. M. Roques, 5353; également attesté comme conj. cf. T.-L., s.v., cf. aussi l'a. prov. en jusca que 1143 ds BRUNEL t. 1, p. 49), du lat. inde [s]i-31071-2.jpg" /> (composé de inde « d'ici » et usque « jusqu'à »), fréquent en lat. tardif, mais déjà attesté en lat. class.; le en- initial, ayant été pris pour un préf., fut ressenti comme superflu (P. FALK, Jusque et autres termes en a. fr. et en a. prov., p. 104 qui réfute l'hypothèse d'un rattachement à de usque qui n'aurait pu se constituer qu'à une époque postérieure au traitement dy- > -). Le -s- intérieur qui s'est normalement amuï (cf. les formes juque, juc encore attestées au XVIe s. ds GDF.) est rétabli dans la prononc. surtout à partir du XVIe s., prob. sous l'infl. anal. d'autres conj. comme puisque, et peut-être par rapprochement étymol. avec le lat. usque (FEW t. 14, p. 75a, note 4). Quant à u pour o (josque), il vient d'un doublet déjà latin avec (FEW t. 14, p. 74a). Fréq. abs. littér. : 57 712. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 85 165, b) 84 259; XXe s. : a) 78 617, b) 80 343. Bbg. GALET (Y.). Les Corrélations verbo-adverbiales au niveau de la phrase complexe. Fr. mod. 1975, t. 43, p. 342. - GLÄTTLI (H.). Sur le mode régi par jusqu'à ce que. R. Ling. rom. 1974, t. 38, pp. 210-222. - GREVISSE (M.). Le Mode après jusqu'à ce que. Idioma. Münich. 1964, t. 1, pp. 69-71. - GUILBERT (L.). Jusque. Fr. Monde. 1963, t. 20, p. 33. - HERIAU (M.). Le Verbe impers. en fr. mod. Lille-Paris, 1980, pp. 858-859. - QUEM. DDL t. 10.

jusque, jusqu' et (vx ou poét.) jusques [ʒysk] prép. et conj.
ÉTYM. XIIe; jusque, jusche, v. 980, Passion du Christ; du lat. de usque, ou inde (« d'ici ») usque (« jusqu'à »); p.-ê. aphérèse de enjusque (attesté seulement au XIIe), de inde usque.
REM. La forme jusques, avec l's adverbial, fréquente dans l'ancienne langue, s'emploie encore parfois pour des raisons d'euphonie, notamment en poésie.
Préposition marquant le terme final, la limite que l'on ne dépasse pas. S'emploie comme préposition (I.), comme adverbe (II.), et comme conjonction (jusqu'à ce que, III.).
———
I Prép. (suivie le plus souvent de à, d'une autre préposition ou d'un adverbe).
A Jusqu'à (introduisant un complément).
1 (V. 980; lieu). En parcourant toute la distance (concrète ou métaphorique) qui sépare de…, en joignant, en rejoignant. À. || Aller jusqu'à Moscou, jusqu'au Mexique. || Il a couru jusqu'à la gare. || Il est venu jusqu'à ma place pour me serrer la main. || Rempli jusqu'au bord. || « Notre corps va jusqu'aux étoiles » (Bergson; → Homme, cit. 55). || Jusqu'à terre. || Branches qui plient jusqu'à terre (→ 2. Étai, cit. 2). || Jusqu'aux extrémités (cit. 1) de la terre. || Il la suivrait jusqu'au bout (cit. 18) du monde. — ☑ Loc. Jusqu'à la gauche. — ☑ Porter, élever (cit. 30) qqn jusqu'aux nues.plus cour. Aux nues. ☑ Plonger son épée jusqu'à la garde (1. Garde, cit. 84 et 86).Vêtements usés jusqu'à la corde (cit. 13).Boire (cit. 37 et 38) le calice jusqu'à la lie. || Remuer les âmes jusqu'au fond (→ Intrigue, cit. 11). || Jusqu'au fond de l'âme (→ Former, cit. 5). || Il a été atteint (cit. 20) jusqu'au fond de l'être (→ aussi Atteindre, cit. 17 et 23).Fig. || Pousser une action jusqu'à l'achèvement (cit. 1). || Aller jusqu'au bout. || Ses maux s'augmentèrent (cit. 18) jusqu'aux derniers excès. — ☑ Loc. (avec point). Jusqu'à un certain point (→ Faire, cit. 34; intraitable, cit. 1). || Jusqu'à ce point (→ Empêcher, cit. 18; gradation, cit. 1). || Jusqu'à quel point (→ Authentique, cit. 14; faiseur, cit. 19; incompréhensible, cit. 4; intervertir, cit. 1).Jusqu'à l'extrême (cit. 25).Jusqu'à concurrence de…
1 Sion, jusques au ciel élevée autrefois,
Jusqu'aux enfers maintenant abaissée (…)
Racine, Esther, I, 2.
2 (L'ombre) Semble élargir jusqu'aux étoiles
Le geste auguste du semeur.
Hugo, Chansons des rues et des bois, II, 3.
3 Frédéric se sentit blessé, jusqu'au fond de l'âme… Il avait envie de mourir.
Flaubert, l'Éducation sentimentale, I, VI.
4 Quel bonheur de pouvoir dire tout ce que l'on sent à quelqu'un qui vous comprend jusqu'au bout et non pas seulement jusqu'à un certain point, à quelqu'un qui achève votre pensée avec le même mot qui était sur vos lèvres (…)
Loti, Aziyadé, III, XL.
(Suivi d'un mot désignant une partie du corps).Rougir jusqu'aux oreilles (→ Gauchement, cit. 2), jusqu'au blanc (cit. 22) des yeux. || Un habit boutonné (cit. 2) jusqu'au menton. || Dans l'herbe jusqu'au ventre (→ Étoile, cit. 15). || Jusqu'aux cuisses, jusqu'aux genoux (cit. 2 et 4), jusqu'à mi-jambes (→ Houppelande, cit. 3), jusqu'à la ceinture (→ Camail, cit. 2).Elle frissonna (cit. 7) jusqu'aux entrailles. || Imprégner (cit. 12) jusqu'aux moelles. || Le froid le saisit jusqu'au cœur (cit. 36). || Se gratter (cit. 24) jusqu'au sang.Maîtresse femme jusqu'au bout des ongles (→ 1. Commode, cit. 9). || S'attendrir jusqu'aux larmes (→ Attendrissement, cit. 3). || La tête rasée jusqu'à la peau (→ Exception, cit. 10), jusqu'au cuir (cit. 1). — ☑ Fig. Être plongé jusqu'au cou (cit. 10) dans les études, dans les affaires.
5 (…) d'autres avaient leur burnous rabattu jusqu'aux yeux, le haïk relevé jusqu'au nez (…)
E. Fromentin, Un été dans le Sahara, p. 232.
(Suivi d'un nom abstrait, pour marquer l'excès d'une qualité ou d'un défaut). || Pousser la méchanceté jusqu'au sadisme (→ Guerre, cit. 12). || Son respect pour elle allait jusqu'à l'adoration (cit. 4). || Être respectueux jusqu'à l'adoration. || Empressée jusqu'à l'humilité (cit. 24). || Poli jusqu'à l'obséquiosité (→ Courber, cit. 26). || Audacieux (cit. 6) jusqu'à la témérité. || Brave jusqu'à la folie (cit. 15). || Poète jusqu'à la bêtise (→ Fou, cit. 34).
6 Quand on dit : cela est vrai jusqu'à une certaine limite, on restreint la caractéristique vrai, en s'arrêtant à un point. Mais il arrive souvent au contraire qu'on se sert du même procédé de langage pour marquer que le développement atteint et passe un degré où la caractéristique se change en une autre, qui est comme l'extrémité de la première : indulgent jusqu'à la faiblesse, pénétrant jusqu'à la divination; — brave jusqu'à la témérité, intraitable jusqu'à la folie (Renan, Vie de Jésus, XX).
F. Brunot, la Pensée et la Langue, p. 693.
(Avec un pronom personnel compl.). || Il est venu jusqu'à moi.Vx. || « Pour pénétrer jusques à lui » (→ Attirail, cit. 4, La Bruyère).Comment arriver jusqu'à elle ? (→ Inaccessible, cit. 17). || Jusqu'à lui (→ Atteindre, cit. 43). || La lumière de certaines étoiles (cit. 16) n'est pas encore arrivée jusqu'à nous (→ Hellène, cit. 2).
(Devant un infinitif, après les verbes aller, pousser, etc., pour marquer la limite extrême, la conséquence d'un état ou d'une action). || Il est allé jusqu'à prétendre qu'on ne l'avait pas averti. || Pousser l'audace (cit. 20) jusqu'à forcer une porte. Point (au point de).
7 (Elle) souhaiterait de se voir sa femme, jusqu'à lui donner tout son bien par contrat de mariage (…)
Molière, l'Avare, IV, 1.
8 La servitude abaisse les hommes jusqu'à s'en faire aimer.
Vauvenargues, Réflexions et maximes, 22.
9 (…) elle l'admirait comme son maître. Son génie allait jusqu'à l'effrayer; elle croyait apercevoir plus nettement chaque jour le grand homme futur dans ce jeune abbé.
Stendhal, le Rouge et le Noir, I, XVII.
10 Sa tendresse pour moi allait jusqu'à troubler sa raison, si lucide et si ferme en toutes choses.
France, le Petit Pierre, I.
11 J'irai jusqu'à t'accorder que de toutes les images qui ne sont pas son portrait, c'est la plus ressemblante.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, IV, XIII, p. 140.
11.1 Le grain de sénevé, « la plus petite de toutes les semences », quelque ch(ose) d'introuvable et d'invisible, et l'amour de Dieu qui en peu de temps grandit et se multiplie de toutes parts jusques à tout remplir : dans ses branches, les oiseaux, les bonnes pensées, viennent se donner rendez-vous.
Claudel, Journal, juin 1934.
2 (V. 980; jusqu'à demain, v. 1176, Chrétien; temps). En traversant toute la durée qui sépare de… || Rester éveillé (cit. 29) jusqu'au matin. || Jusqu'au point du jour. || Jusqu'à une heure avancée. || Jusqu'au soir (→ Fureur, cit. 24; glaner, cit. 1; hauteur, cit. 14). || Jusqu'à la dernière minute (→ Évanouissement, cit. 1; hasarder, cit. 13). || Jusqu'au dernier moment (→ Affecter, cit. 11). || Jusqu'à la fin, jusqu'au bout. || Jusqu'à ce jour (→ Étude, cit. 33). || Jusqu'à nos jours (→ Inquisition, cit. 1). || Il a vécu jusqu'à quatre-vingt-quatre ans (→ Garder, cit. 7). || Ne touchez à rien jusqu'à mon retour (→ Empressement, cit. 2). || Elle garda le silence jusqu'à sa mort (→ Avaler, cit. 10; intolérance, cit. 3). || Jusqu'à l'heure de sa mort (→ Apprendre, cit. 28; estampille, cit. 1).(Dans le passé). || Jusqu'à ces dernières années, les choses se passaient autrement.(Vers le passé). || Tradition qui remonte jusqu'aux siècles les plus reculés (→ Antiquité, cit. 4).Jusqu'à l'infini (→ Épuiser, cit. 29).Vx. || Jusques à l'infinité (cit. 3) des temps (La Bruyère).Jusqu'au jugement dernier (→ Fossoyeur, cit. 2). — ☑ Loc. Jusqu'à plus ample informé.Jusqu'à nouvel ordre (→ Imitation, cit. 18).
12 Autant que toi sans doute il te sera fidèle,
Et constant jusques à la mort.
Baudelaire, les Fleurs du mal, CX.
13 Ne t'ai-je pas aimé jusqu'à la mort moi-même.
Verlaine, Sagesse, II, IV, I.
14 J'ai reçu le mandat de défendre Paris contre l'envahisseur. Ce mandat, je le remplirai jusqu'au bout.
Général Gallieni, Proclamation à l'armée de Paris, 3 sept. 1914.
REM. Suivi d'un mot énonçant le temps, jusque peut être précédé de la préposition pour. || En voilà pour jusqu'à demain (→ Abréger, cit. 1; fricot, cit. 2). Pour.
3 De…, depuis… (qqch.), jusqu'à… (qqch.), marquant le point de départ dans le temps ou dans l'espace. || De la corniche jusqu'aux fondations (cit. 1). || Du matin jusqu'au soir (→ Aucun, cit. 31). || Du haut jusqu'en bas (→ Frayeur, cit. 1), jusques en bas (→ Haut, cit. 74). || Depuis (cit. 20 à 24 et 27 à 30) en haut jusqu'en bas. || Salle tapissée de fusils et de sabres depuis en haut jusqu'en bas (→ Carabine, cit.). || Écorché (cit. 3) depuis la tête jusqu'aux pieds (→ Habiller, cit. 2). || Équiper (cit. 4) depuis les pieds jusqu'à la tête.
15 Mais vous, ami, prenez Narbonne, et je vous laisse
Tout le pays d'ici jusques à Montpellier (…)
Hugo, la Légende des siècles, X, Aymerillot.
16 Du haut jusques en bas de l'échelle fatale (…)
Baudelaire, les Fleurs du mal, CXXVI, VI.
17 Ainsi, la Beauce, devant lui, déroula sa verdure, de novembre à juillet, depuis le moment où les pointes vertes se montrent, jusqu'à celui où les hautes tiges jaunissent.
Zola, la Terre, III, I.
4 (1547, J. Bouchet; totalité). Jusques combiné avec y compris, inclus, inclusivement, pour marquer que la limite extrême introduite par jusque est comprise. Jusques et y compris la page vingt. || Jusqu'au 17 décembre inclus (cit. 1).
17.1 Cette ignorance ne l'empêcha pas de venir à bout de tout le repas, jusques et y compris la peau du saucisson et la croûte du gruyère.
R. Queneau, le Dimanche de la vie, p. 85.
Combiné avec un mot marquant la totalité (tous, tout), et dans un sens voisin de « même ». Même (→ aussi ci-dessous, II., emploi adverbial). || Tous, jusqu'à sa femme, l'ont abandonné. || Il a tout perdu, jusqu'à sa chemise. || Tous me sont tombés dessus, jusqu'au maçon (→ Friponner, cit.). || Il payait tout, jusqu'aux notes de la manucure (→ Exceptionnel, cit. 9). || Tout le troupeau jusqu'au moindre agneau (→ 1. Ferme, cit. 15). || Tous jusqu'au dernier (→ Gouffre, cit. 4).
18 Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
La Fontaine, Fables, VII, 1.
19 Ma force à lutter s'use et se prodigue.
Jusqu'à mon repos, tout est un combat (…)
A. de Musset, Derniers vers, Poèmes posthumes, p. 259 (→ Force, cit. 22).
B Suivi d'une prép. autre que à (lieu ou temps) : après, dans, chez, en, entre, par-dessus, passé, sous, sur, vers… || Jusqu'après sa mort. || Jusque dans un lieu (→ Arbre, cit. 19 et 46; ébranler, cit. 8; enfer, cit. 3; garnison, cit. 5). || Il l'accompagne jusque chez lui (→ Face, cit. 58). || Il est allé jusqu'en Chine. || Suivre qqn jusqu'en enfer (→ Caractère, cit. 24).En avoir jusque par dessus la tête : être excédé. || Nous avons travaillé jusque passé minuit. || Jusque sous les climats polaires (→ Fraise, cit. 1). || Jusque sur les toits (→ Fermer, cit. 36). || Je vous attendrai jusque vers onze heures et (cit. 31) demie.
20 Hé bien ! de leur amour tu vois la violence,
Narcisse : elle a paru jusque dans son silence.
Racine, Britannicus, II, 8.
21 (…) elle se plaisait en cette maison tranquille, et même elle y demeura jusques après Pâques.
Flaubert, Mme Bovary, II, XIV.
22 Durant tout le moyen âge et jusques au milieu du XVIIIe siècle.
André Suarès, Vues sur l'Europe, p. 131.
C (V. 1165, jusque ci). Suivi d'un adv. de lieu ou de temps : alors, à présent, aujourd'hui, demain, hier, ici, là, maintenant, où, tantôt… || Ce pays jusqu'alors fermé aux étrangers (→ Établir, cit. 4). || Le ciel demeuré jusqu'alors d'une limpidité immaculée (→ Gâter, cit. 43). || Jusques alors (→ Ardeur, cit. 19). || Une terre où jusqu'à présent je n'ai fait que passer (→ Habiter, cit. 11). || Il n'avait eu jusqu'à présent qu'à se louer de ses fils (→ Instinct, cit. 6). || Jusqu'ici : jusqu'à cet endroit ou jusqu'à maintenant. || L'épidémie n'est pas arrivée jusqu'ici. || Vous avez résisté jusqu'ici (→ Courber, cit. 4). || Jusque-là : jusqu'à cet endroit ou jusqu'à ce moment-là. || Une robe qui descend jusque-là. || Jusque-là, il avait toujours évité d'en parler (→ Garder, cit. 73). — ☑ Loc. fam. En avoir jusque-là : avoir trop mangé, être repu. || On s'en est mis jusque là.(1673; → ci-dessous, cit. 22.1). Par ext. Être excédé.Syn. : en avoir jusque par-dessus, en avoir par-dessus la tête, plein le dos, en avoir marre (→ ci-dessous, cit. 23 et 27.1). || J'en ai jusque-là de vos histoires !Jusqu'où (relatif ou interrogatif). || Jusqu'où allez-vous ? || Jusqu'où cela va-t-il nous mener ? || Nul n'a su jusqu'où (→ Fille, cit. 25).Vx. || Jusques où (→ Hasarder, cit. 4).
22.1 En un mot, j'ai déjà de Marseille et de votre absence jusque là.
Mme de Sévigné, Lettre à Mme de Grignan, 16 janv. 1673.
23 (…) je crois avoir déjà vu que le chanoine en a jusque-là de la duchesse (…)
Mme de Sévigné, 539, 19 mai 1676.
24 Sans doute il est fâcheux d'en venir jusque-là (…)
Molière, Tartuffe, IV, 5.
25 Tu vois, ami lecteur, jusqu'où va ma franchise.
A. de Musset, Premières poésies, Namouna, I, LXXV.
26 Vous avez été courageux jusqu'ici, il ne faut pas flancher
R. Dorgelès, Partir, X, p. 225.
27 Il n'est pas une ville française jusqu'où ne viennent saigner les blessures ouvertes sur le champ de bataille.
G. Duhamel, Vie des martyrs, p. 7.
27.1 Lionel resta encore une dizaine de minutes à se goberger et, tournant le dos à la toile, déclara :
— J'en ai jusque-là.
M. Aymé, le Vin de Paris, « La bonne peinture », p. 188.
27.2 Jusqu'où la charité peut-elle aller trop loin ?
F. Mauriac, le Nouveau Bloc-notes 1958-1960, p. 122.
Avec certains adverbes (contre, loin, récemment, tard, etc.) précédés ou non d'un adverbe de quantité (assez, bien, fort, tant, très, etc.). || Il a travaillé jusque tard, jusque très tard dans la nuit. || Jusque récemment, jusque tout récemment.
28 Il vient jusque tout contre la duchesse (…)
François de Curel, les Fossiles, I, III.
REM. Devant demain, hier, maintenant, tantôt, on emploie généralement jusqu'à (jusque demain serait archaïque ou affecté). Réfléchissez jusqu'à demain. — Devant après, après-midi, après-demain, avant-hier, l'addition de à est facultative. Si l'on dit bien : jusqu'après sa mort, il semble préférable de dire, malgré l'hiatus : jusqu'à après-demain, jusqu'à avant-hier.
29 Tu vas rester jusqu'à après-demain.
Léon Daudet, La Fausse étoile, p. 208.
30 Jusqu'à hier ils ont donné signes de vie (…)
Gide, Journal, 23 déc. 1927.
REM. La construction de jusque, suivi de aujourd'hui, a fait l'objet de longues discussions au XVIIe et au XVIIIe s.; les uns, considérant que cet adverbe contenait l'article au, préconisaient jusqu'aujourd'hui; les autres opinaient pour jusqu'à, en alléguant que aujourd'hui était un adverbe authentique. Dans la dernière édition de son Dictionnaire, l'Académie admet jusqu'à aujourd'hui. Aujourd'hui.Vx. || Jusques aujourd'hui (cit. 11).
31 Qu'aucuns monstres par moi domptés jusqu'aujourd'hui
Ne m'ont acquis le droit de faillir comme lui.
Racine, Phèdre, I, 1.
32 (…) car tu n'as pas, je pense,
Mené jusqu'aujourd'hui cette affreuse existence ?
A. de Musset, Poésies nouvelles, « Dupont et Durand ».
33 (…) jusqu'aujourd'hui l'espèce est demeurée indécise et flottante (…)
Gide, Journal, Voyage en Andorre, Seo d'Urgel, 1910.
34 Il en était ainsi jusqu'à aujourd'hui (…)
F. Mauriac, Asmodée, I, VII.
Loc. interrogative. Jusqu'à quand ? || Jusqu'à quand resterez-vous avec nous ?Vx ou littér. || Jusques à quand ?
35 Jusques à quand, Ô ciel, et par quelle raison
Prendrez-vous contre moi des traits dans ma maison ?
Corneille, Cinna, V, 2.
36 Jusqu'à quand souffre-t-on que ce peuple respire.
Racine, Esther, II, 1.
37 Jusques à quand dureront les cierges perpétuels devant la Vierge de Lourdes ?
M. Barrès, Amitiés françaises, p. 208.
37.1 Et nous sommes seuls à dire : non. Jusques à quand ?
F. Mauriac, le Nouveau Bloc-notes 1958-1960, p. 30.
———
II (1561, Calvin). Emploi adverbial (incluant dans une totalité, une série, l'objet ou le sujet introduit). Même. || La terre, la mer, l'air, la nuit et jusqu'à l'éther (cit. 6) lui appartiennent. || Il détestait son humilité (cit. 20), ses manières obéissantes et jusqu'à sa bonté. || Il y a des noms et jusqu'à des personnes que j'ai complètement oubliés (→ Fouiller, cit. 29).
38 Il livra tout, les papiers de Léopold, les ornements d'église, un fourneau et jusqu'à la grosse tuile.
M. Barrès, la Colline inspirée, XI.
Spécialt (devant un objet ou un sujet isolé qu'il met en relief). || Il y avait là jusqu'à un phonographe (→ Café-concert, cit. 1). || Vous avez compromis jusqu'à mon honneur (→ Géronte, cit. 1). || Ils réclamaient jusqu'à l'argent des cadeaux (→ Grossir, cit. 7; et aussi arbre, cit. 10; habile, cit. 1; fortune, cit. 32).
39 (…) que répondrais-je à ces critiques qui condamnent jusques au titre de ma tragédie (…)
Racine, Alexandre, 1re préface.
40 (…) il regrettait jusqu'à la senteur du gaz et au tapage des omnibus.
Flaubert, l'Éducation sentimentale, I, VI.
41 Ainsi, jusqu'à la source de sa vie était empoisonnée.
R. Rolland, Jean-Christophe, Le matin, p. 142.
42 Cet emploi (adverbial) se présente, par ex., dans une énumération : « Fontenelle, le cardinal de Rohan…, jusqu'à l'abbé d'Olivet, tout fut contre moi » Volt., Let., 31 août 1749; « Binet, Madame Lefrançois, Artémise, les voisins, et jusqu'au maire, monsieur Tuvache, tout le monde l'engagea » Flaub., Bov., II, 2; dans ces deux phrases, jusque conserve encore quelque chose de sa valeur propre (terme d'une énumération, point final d'une série). Le voici devant un sujet isolé : « Cet air de discrétion qu'avait remarqué jusqu'à son cocher » Proust, Swann, II, 121; Cf. : « Les paroissiens ont déserté, jusqu'aux marguilliers ont disparu » La Bruy., Car., XV, 5. — Jusqu'à peut, de même, régir un objet direct : « J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler » Rac., Brit., 402; « J'ai perdu jusqu'à la fierté Qui faisait croire à mon génie » Muss., Tristesse. — Ainsi employé, jusqu'à met le sujet ou l'objet en vif relief, et en vient à prendre le sens de l'adverbe même.
G. et R. Le Bidois, Syntaxe du franç. moderne, §1897.
REM. Devant un objet indirect amené lui-même par à, cette construction risque d'être équivoque, avec certains verbes. Il a emprunté jusqu'aux secrétaires peut avoir deux sens. L'équivoque disparaît si l'objet est placé avant le verbe (→ ci-dessous, cit. 43) ou s'il y a d'autres objets coordonnés (Il a emprunté une voiture et jusqu'aux secrétaires).
43 Jusqu'au chien du logis il s'efforce de plaire.
Molière, les Femmes savantes, I, 3.
Suivi d'un pronom relatif (qui, que, dont, où), dans une proposition indépendante de valeur exclamative. || Jusqu'à lui, qui nous trahit ! || Jusqu'au son de sa voix que je ne peux plus supporter !
44 Jusqu'à ses yeux, dont l'expression changeait (…)
Alphonse Daudet, Sapho, IV.
45 La raison humaine était fatiguée (…) La philosophie même vacillait (…) Jusqu'à la science, où se manifestaient les signes de fatigue de la raison.
R. Rolland, Jean-Christophe, Nouvelle journée, IV.
46 Jusqu'aux arbres qui lui paraissaient aussi avoir changé (…)
Giraudoux, Bella, IX.
Il n'est pas jusqu'à… qui ne… (avec le subj.). || Il n'est pas jusqu'à son regard qui n'ait changé.REM. L'omission du second ne et l'emploi de l'indicatif sont peu réguliers (→ ci-dessous, cit. 49, Gide).
47 Il n'est pas jusqu'au fat qui lui sert de garçon
Qui ne se mêle aussi de nous faire leçon (…)
Molière, Tartuffe, I, 2.
48 Il n'est pas jusqu'aux lettres, aux télégrammes flatteurs reçus par Odette, que les Swann ne fussent incapables de garder pour eux.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. III, p. 108.
49 (…) il n'est pas jusqu'à ses lacets de souliers, qui s'achèvent juste avec le nœud.
Gide, les Faux-monnayeurs, III, IV.
———
III Conj.
1 (Av. 1405). Jusqu'à ce que : jusqu'au moment où.REM. Dans cet emploi, jusque « marque le point d'arrivée dans le temps et suppose en outre une continuité qui a là son “terminus” » (G. et R. Le Bidois, Syntaxe du franç. moderne, §1419).
(V. 1460; avec le subj.). || Jusqu'à ce que je revienne. || Jusqu'à ce que ses jambes lui fassent mal (→ Fatiguer, cit. 18; et aussi fédératif, cit. 1; 2. fumer, cit. 2; idéologie, cit. 7).
REM. 1. Avec attendre, jusqu'à ce que se réduit à que (→ Attendre, cit. 50 à 53).
2. Après une proposition négative, jusqu'à ce que a le sens de avant que. || Ne partez pas jusqu'à ce qu'il soit revenu. || Cette génération (cit. 21) ne passera point jusqu'à ce que tout cela se fasse.
50 Les hommes ont la volonté de rendre service jusqu'à ce qu'ils en aient le pouvoir.
Vauvenargues, Réflexions et Maximes, 81.
51 Je verrai cet instant jusqu'à ce que je meure (…)
Hugo, les Contemplations, IV, XV.
52 Un bourdon se cognait au plafond et aux glaces, jusqu'à ce qu'il eût découvert la fenêtre ouverte.
F. Mauriac, Genitrix, VII.
(Avec l'indic.). Vx ou littér.REM. La langue classique, avant le XVIIIe s., employait souvent l'indicatif après jusqu'à ce que, pour exprimer un fait réel au passé. Rien n'empêche de l'employer encore ainsi quand on veut insister sur la réalité du fait, ou quand la conjonction se trouve assez éloignée du verbe, ou quand elle a perdu de sa valeur de conjonction.
53 (Les Romains) devinrent les maîtres du monde, jusqu'à ce qu'enfin leurs divisions les rendirent esclaves.
Voltaire, Lettres philosophiques, VIII.
54 Je m'étais fait un grand magasin de ruines, jusqu'à ce qu'enfin, n'ayant plus soif à force de boire la nouveauté et l'inconnu, je m'étais trouvé une ruine moi-même.
A. de Musset, la Confession d'un enfant du siècle, I, IV.
55 (…) ils reprirent haleine; jusqu'à ce qu'enfin Louis, s'étant à demi soulevé, regarda la fenêtre blanchissante (…)
F. Mauriac, in Revue des Deux Mondes, 15 oct. 1926.
2 (V. 1175, Chrétien, jusque tant que…; jusqu'à tant, 1247). Vx ou régional. Jusqu'à tant que…
56 Plusieurs années s'écoulèrent ainsi, grâce aux subventions d'Estelle jusqu'à tant que la mère mourût.
Émile Henriot, Aricie Brun, III, I, p. 219.
Jusqu'au temps que… (littér.) : jusqu'au moment où…
57 Ce sont tous les amants qui crurent l'existence
Pareille au seul amour qu'ils avaient ressenti
Jusqu'au temps qu'un poignard l'exil ou la potence
Comme un dernier vers à la stance
Vienne à leur cœur dément apporter démenti
Aragon, les Yeux d'Elsa, « Cantique à Elsa », 5.
(V. 1210). Vx ou littér. Jusque-là que… (et l'indic.). Point (à tel point que).
58 Un rien presque suffit pour le scandaliser;
Jusque-là qu'il se vint l'autre jour accuser
D'avoir pris une puce en faisant sa prière (…)
Molière, Tartuffe, I, 5.
59 (Ils se font) gloire de leurs débauches, jusque-là même qu'il s'en trouve parmi eux qui s'en vantent quelquefois, bien qu'ils n'y aient point de part (…)
Paul Hazard, la Crise de la conscience européenne 1680-1715, t. I, p. 76, in G. et R. Le Bidois, Syntaxe du franç. moderne, §1521.
Jusqu'au point que… (vx) : à tel point que…
60 Je rêve (…) que je trouve progressivement mon ouvrage à partir de pures conditions de forme, de plus en plus réfléchies, — précisées jusqu'au point qu'elles proposent ou imposent presque (…) un sujet.
Valéry (→ Forme, cit. 56).
COMP. Jusqu'au-boutisme, jusqu'au-boutiste.

Encyclopédie Universelle. 2012.