SOCIALISME
«LE SIÈCLE apparaît comme celui de l’ouverture des sociétés au socialisme.» Ainsi parlait Labrousse, au début des années 1970. Sans doute son jugement se serait-il fait autre si lui-même avait assez vécu pour voir l’écroulement du bloc soviétique, le recul en Europe occidentale de l’idée socialiste et le rejet massif de cette dernière par les pays du Sud. Mais «les bilans, comme il l’écrivait encore, se bornent à enregistrer le passé». Or, précisément, la connaissance et d’abord la conscience de ce passé sont indissociables du projet encyclopédique. Aussi avons-nous choisi, pour cette édition nouvelle de l’Encyclopædia Universalis , de présenter un ensemble SOCIALISME autour de textes conçus et rédigés voici une vingtaine d’années. La distance même avec laquelle on peut les considérer aujourd’hui leur confère une précieuse valeur de témoignage et une paradoxale puissance d’éclairage sur l’époque contemporaine.
«Socialisme»: un mot qui a fait fortune. Pratiquement inconnu avant la révolution de 1830, il contribue bientôt à déclencher, en compagnie du mot «communisme», la grande peur sociale de 1848. Des débuts de la seconde moitié du XIXe siècle à 1917, les dénominations «socialiste» et «socialisme» submergent celles de « communiste » et «communisme». Les organisations ouvrières nationales de masse sont en fait, malgré les nuances très sensibles qui parfois les distinguent, des partis socialistes, se présentant à peu près comme tels. Il y a même un malingre British Socialist Party, marxiste. En Russie existe un Parti ouvrier socialiste révolutionnaire ayant intégré de faibles doses de marxisme; Lénine appartient au Parti ouvrier social-démocrate. En Pologne tsariste, c’est le Parti polonais socialiste. Les pays latins, la France en tête, ont des partis nommément socialistes. Un Socialist Party apparaît tardivement aux États-Unis; d’autres partis socialistes se créent dans quelques États de l’Amérique du Sud, ou même, éphémères, au Japon.
Viennent ensuite la révolution soviétique et la relance universelle des termes «communiste» et «communisme». Non que «socialisme» recule pour autant, car les États communistes fondent des «républiques socialistes». Si bien que réformateurs sociaux-démocrates et révolutionnaires communistes, juxtaposés finalement dans un côte à côte que la plupart réprouvent, donnent à un socialisme à bien des égards hétérogène des dimensions inconnues jusque-là.
En face de ces socialismes, cependant, tout un monde bourgeois reste de nos jours en bataille sur de multiples fronts: avec le communisme à l’échelle internationale; devant sa propre social-démocratie à l’échelle nationale. Finalement, le qualificatif «socialiste», pris au sens large de parti et de régime, apparaît devant nous en gros plan sur la ligne mondiale de partage des opinions politiques.
Les socialismes au pouvoir
En Angleterre, en Allemagne fédérale, en Autriche, dans les pays scandinaves, des élections dichotomiques opposent les partis travaillistes ou sociaux-démocrates aux partis conservateurs ou «bourgeois». Les uns et les autres alternent au pouvoir, malgré la longue vie «socialiste» des gouvernements scandinaves. Dans les quatorze États gouvernés par les partis communistes, le socialisme exerce le pouvoir sans alternance. Ailleurs, enfin, comme en France et en Italie, partis socialistes et partis communistes affirment, isolément ou au sein d’alliances dont l’avenir dira la solidité, leur vocation gouvernementale. Les socialistes y ont, au reste, déjà gouverné, souvent avec la collaboration de partis du centre, exceptionnellement ou rarement avec la participation ou le soutien communiste.
Un mouvement général a donc, au bout du compte, porté progressivement, depuis plus d’un demi-siècle, de multiples socialismes au pouvoir. Qu’ils aient ou non changé l’ordre profond des sociétés, ils ont figuré et figurent, devant deux générations, à travers des avances et des reculs, une des plus grandes forces politiques de notre époque.
Bien sûr, la marche au pouvoir s’est effectuée dans des voies et avec des pratiques apparemment inconciliables. Chaque camp a jeté ou continue de jeter l’anathème sur l’autre. Des options, essentielles, de politique extérieure les séparent. Entre les deux Grands du communisme, une rupture radicale est survenue. L’apparition et l’action de tous ces socialismes n’en présentent pas moins de fortes analogies. Des structures sociales et des luttes sociales comparables ont, dans leurs grandes lignes, à des degrés et à des temps très divers, préformé et animé un peu partout leur destin. Abstraitement, mais traditionnellement, une même critique sociale les unit. Partout l’adversaire social demeure fondamentalement le même.
Le mot et son contenu
Le mot «socialisme» revêt dans l’histoire des significations multiples. Multiples, au sein même d’un socialisme authentique, selon les écoles. Multiples, selon les époques. Son contenu présente toutefois au cours des temps, et aujourd’hui encore, qu’il s’agisse d’un gouvernement social-démocrate ou d’un État socialiste, des caractères fondamentaux communs. Comme tant d’autres mots, il n’est entré dans le vocabulaire courant de l’économie et de la politique que par les doctrines, les courants d’idées, les mouvements, autrement dit par les nouveautés de la vie collective. Les brevets personnels d’antériorité, toujours remis en cause, ne comptent guère, qu’ils soient attribués à tel Italien, à tel disciple de Robert Owen, au Globe saint-simonien, ou encore à tel Français de passage dans le saint-simonisme, comme Pierre Leroux. Plus que l’invention du mot compte ici sa réception dans la société, autrement dit sa diffusion. Une certitude demeure à cet égard. C’est dans le sillage de la révolution parisienne de Juillet et dans les remous sociaux qu’elle provoque que le mot fait publiquement surface. Il prospère ensuite au cours des années 1840 et apparaît parfois en plein relief dans des titres d’ouvrages, tel le fameux What is Socialism? publié en 1841 par Owen. Vient ensuite le bond de 1848: malgré le chartisme de la décennie anglaise qui précède, l’épicentre du mouvement est bien en France.
Mais le «socialisme» ne s’est pas encore imposé. Le Dictionnaire de l’Académie française de 1835 l’ignore. Un Complément l’accueille longtemps après: «Doctrine qui prétend à la régénération de la société.» La nouvelle édition du Dictionnaire , en 1877, n’est pas beaucoup plus explicative: «Doctrine des hommes qui prétendent changer l’état de la société, et la réformer sur un plan tout à fait nouveau.» La définition vague, neutre, se situe un peu en retrait de la première: il n’est plus question de régénérer, mais de changer, de réformer. Dans l’édition suivante, de 1935, la définition se fait plus précise et en même temps plus étroite; on penserait presque: plus aiguë. Elle dit: «Doctrine qui préconise un plan d’organisation sociale et économique subordonnant les intérêts de l’individu à ceux de l’État.» Le moderne Robert est plus souple et plus proche des faits: «Toute doctrine d’organisation sociale qui entend faire prévaloir l’intérêt, le bien général sur les intérêts particuliers, au moyen d’une organisation concertée (par oppos[ition] à libéralisme )...».
Mais une histoire génétique du mot ne manquera pas naturellement de donner bien davantage que l’analyse comparée des dictionnaires. Et bien davantage encore une histoire génétique du mouvement, international comme le prolétariat dominé et frustré (cf. infra , SOCIALISME - Les Internationales). Le socialisme apparaîtra ainsi dans sa continuité dominante comme une démocratie et comme une économie en relations réversibles.
La face démocratique du socialisme
Le socialisme naît et se développe dans un contexte sentimental et historique de démocratie: contexte idéologique, contexte politique, parfois contexte géographique de provinces, de villes, de quartiers déjà pénétrés d’une tradition populaire de révolte que les structures sociales expliquent grandement.
Même à l’état de nébuleuse, la pensée socialiste des auteurs modernes trouve, dans le branle-bas de la Renaissance, mais bien plus encore dans la montée anglo-française des idées libérales aux temps forts des XVIIe et XVIIIe siècles, des chances de condensation et d’expansion. Le finalisme humain des philosophes, qu’exprime leur aspiration laïcisée au bonheur terrestre, si bourgeoise qu’en soit généralement l’essence, inspire parfois à quelques auteurs diverses esquisses socialistes: on ne saurait parler déjà d’école. Les grands événements politiques de la fin du XVIIIe siècle et la diffusion des idées démocratiques qui l’accompagnent vont ouvrir de nouvelles perspectives: la pensée politique révolutionnaire porte en elle, d’une façon d’ailleurs très variable selon ses étapes, une pensée «sociale» anticipatrice, annonçant déjà le siècle à venir. Robespierrisme et babouvisme restent liés dans une mémoire collective imprécise.
Le socialisme, c’est-à-dire le mot en voie de vulgarisation, le mouvement en voie d’incarnation, ne commence qu’après 1830, dans un tumulte de troubles politiques teintés de «social» au sens que le XIXe siècle s’apprête à conférer au mot. L’agitation populaire qui suit la révolution de Juillet, le «socialisme» de 1848 – y compris les programmes de réformes auxquels Marx alors a souscrit! –, la Commune elle-même présentent un mélange de démocratie et de socialisme où la démocratie pèse, en gros, le plus lourd. Si médiocrement jacobins que soient la plupart des chefs de nos écoles «utopiques», leurs formules les plus significatives ne trouvent un large public que dans les milieux – intellectuels, petits-bourgeois, artisans, ouvriers – déjà gagnés à la transformation démocratique ou à la révolution républicaine. Malgré la richesse et l’éclat de leur critique sociale, les sectes apolitiques font à cet égard long feu. Dans l’Europe continentale de l’Ouest, et plus particulièrement en France jusqu’à la Commune incluse, le socialisme est un maximalisme de la république: le changement de degré commençant à apporter au républicanisme populaire un changement de nature.
Une rupture définitive s’opérera sans doute dans le dernier tiers du XIXe siècle entre république bourgeoise et république sociale. Un essentiel internationalisme, ouvrier et pacifiste, va largement y concourir. Alors sera rompu, au moins doctrinalement et à l’échelle des partis, le fameux «câble du jacobinisme». Un autre temps commence. Mais les rapprochements imposés par la vie quotidienne – politique, électorale et même parlementaire – persistent encore aujourd’hui.
À côté de l’histoire du socialisme, la géographie du socialisme témoigne des liens qui l’unissent à la démocratie. Sans doute l’évolution économique, l’industrialisation, l’urbanisation ont-elles facilité les implantations nouvelles des partis ouvriers. Mais une forte implantation traditionnelle subsiste dans les vieilles provinces républicaines françaises et dans les milieux ou quartiers populaires des villes. À travers les XIXe et XXe siècles du suffrage universel, l’électorat populaire radical s’est révélé largement convertible en électorat socialiste ou même communiste. Également, à l’étranger, le vieil électorat populaire libéral s’est tourné vers le travaillisme et la social-démocratie. Démocratie et socialisme ont ainsi grandi ensemble. Mais quels sont aujourd’hui les rapports de l’une et de l’autre au sein du socialisme international? La démocratie est historiquement «un moyen de la liberté» et «un instrument de la justice», entendons avant tout de la justice sociale.
S’agit-il de la liberté individuelle? Qu’on n’aille pas ici distinguer entre liberté formelle et liberté réelle. Il n’y a pas de prisons formelles ou réelles. S’agit-il des libertés publiques? C’est alors que se retrouve trop souvent la distinction du réel et du formel, au sein d’une société d’inégalité économique. Les problèmes de la liberté, même individuelle, ne peuvent être posés vraiment que dans la perspective de la libération de la classe la plus nombreuse et la plus contrainte.
Il n’est pas toujours facile, sous un gouvernement social-démocrate comme dans l’État socialiste, de faire la part souhaitable entre l’exigence des libertés et celle de la justice: autrement dit entre la nature libérale et la nature économique du socialisme.
La face économique du socialisme
Le socialisme prétend apporter bien autre chose qu’une économie d’un type nouveau. Il veut être une civilisation nouvelle. Mais qui prend pied dans le secteur le plus dynamique de l’histoire: le monde économique. Les transformations économiques sont plus rapides, plus solidaires, plus universalisées que toutes les autres. Les transformations des structures sociales et de la morphologie sociale tout entière ne viennent qu’après. Loin derrière, les transformations mentales. La stratégie socialiste va donc privilégier la révolution économique en tant que base de départ et moteur de l’histoire. Le socialisme du siècle de la révolution industrielle ne peut plus être un socialisme de la frugalité, comme celui des constructeurs de systèmes du vieux temps. Il ne s’agit plus de payer, au besoin par une rétrogradation économique générale, l’avènement d’un peu plus de justice. L’humanité socialiste sera gagnante sur tous les tableaux. L’organisation d’une économie nouvelle accélérera une abondance plus juste et plus sûre.
Les apports directs et indirects du socialisme économique seraient ainsi décisifs. Par lui se réaliserait d’une façon directe la vieille aspiration matérielle du XVIIIe siècle au bonheur terrestre: «bonheur» collectif conçu par les contemporains avec une dominante de bien-être. En même temps serait exaucée l’aspiration morale d’une philosophie de pointe à une moindre inégalité. Moralisme social et progrès économique se réconcilient.
Une telle socialisation ne vaut pas seulement en elle-même. Elle apporte aussi son indispensable garantie à tous les droits de l’homme et leur donne un contenu réel. D’où la place centrale du socialisme économique dans la doctrine, et la nécessité d’en retrouver les principaux aspects.
Le choix n’a été fait, ni d’après un auteur ni d’après une école. Il n’a été demandé qu’à l’histoire générale du socialisme, d’après les textes les plus représentatifs, élaborés – dans un ordre qui n’est qu’à peu près chronologique – par les formations ou institutions les plus représentatives. Le socialisme économique peut ainsi se définir, de la conspiration des Égaux aux révolutions soviétique et chinoise, d’après quatre caractères fondamentaux jouant à l’état de tendances et présentant une longue continuité.
En tête, l’égalisation , très ancienne inspiration idéologique et affective des systèmes, large source de l’attraction qu’ils exercent. Elle donne un sens plus précis et plus offensif aux aspirations à la justice sociale qu’on trouve au fond de toutes les doctrines socialistes, marxisme compris. Et, bien plus explicitement que les doctrines, la pratique quotidienne des États socialistes mobilise les notions de juste et d’injuste.
L’égalisation n’est pas propre au socialisme et ne suffit pas historiquement à le caractériser. Condition nécessaire, elle ne constitue pas une condition suffisante. Il n’est pas de socialisme sans qu’à l’égalisation ne s’associent un ou plusieurs de ses autres caractères fondamentaux, collectivisation, gestion ouvrière, planification. Mais c’est dans l’économie socialiste qu’elle présente la forme la plus systématique et l’implantation la plus profonde.
Très ancienne également, la tendance communautaire qui donne ses premières bases à la collectivisation , c’est-à-dire à l’appropriation collective des diverses catégories de biens productifs: moyens de production, d’échange, de circulation, d’investissement, etc. À des degrés divers, les Internationales ouvrières ont intégré la collectivisation dans la doctrine: et notamment la IIe Internationale, avec une solennité particulière. Sous des formes diverses, à des degrés variables, les quatorze États socialistes l’ont utilisée comme un instrument majeur de leur politique économique. Les partis socialistes occidentaux, en net retrait à cet égard sur leurs positions de la fin du XIXe siècle ou des débuts du XXe, lui conservent toutefois pour la plupart une place au moins théorique. Le congrès de Bad Godesberg (1959) marque, du côté de la social-démocratie allemande, une rupture très significative avec son marxisme formel de jadis. Mais on ne saurait passer sous silence d’autres attitudes dont l’histoire dira la portée. En France, la déclaration de principes du nouveau Parti socialiste adoptée au congrès d’Alfortville (1969) proclame que «la socialisation progressive des moyens d’investissement, de production et d’échange [...] constitue la base indispensable» du socialisme. Le pacte d’unité de 1905, d’où sortit le Parti socialiste de Jules Guesde, Jean Jaurès et Édouard Vaillant (S.F.I.O.), comportait à cet égard un passage plus explicite encore, reproduit sur la carte individuelle d’adhésion: «Le Parti socialiste est fondé, entre autres principes, sur l’organisation politique et économique du prolétariat en parti de classe pour la conquête du pouvoir et la socialisation des moyens de production et d’échange, c’est-à-dire la transformation de la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste.» Ce texte a été maintenu après la scission de Tours, comme après la Seconde Guerre mondiale, malgré la guerre que se font, durant toute une époque, les deux partis «ouvriers».
Essentielle aussi la gestion démocratique de l’entreprise, avec les pouvoirs qu’elle comporte, et qui intéresse au premier plan la vie quotidienne du travailleur. La propriété sociale de l’entreprise doit normalement faciliter cette gestion: encore qu’on puisse aussi la concevoir, peut-être à la limite, comme indépendante d’une collectivisation entendue au sens large.
Les écoles socialistes anglaise et française de l’époque prémarxiste ont été particulièrement sensibles à cet aspect de la libération économique du monde des salariés. De même certains courants syndicalistes, au cours du dernier quart du XIXe siècle. Au lendemain des élections législatives de 1893, qui avaient marqué une importante avance du socialisme français, Jaurès opposait l’ouvrier-électeur, libre et égal dans le scrutin de la veille, à l’ouvrier-producteur, sujet et objet, le lendemain, dans la monarchie d’entreprise. Le socialisme gestionnaire introduirait la république à l’usine. Tous ces problèmes, qu’une charte de la gestion pourrait commencer à mettre au point, connaissent aujourd’hui un regain de faveur.
Dernière en date, la planification , corollaire de la collectivisation. Dès lors que le libre taux du profit de l’économie capitaliste ne stimule et n’oriente plus spontanément la croissance, l’impulsion et la coordination doivent venir d’un plan. Les utopistes anticipateurs n’avaient pas manqué d’y songer. Marx, par contre, ne légifère pas pour l’avenir. Pour lui, «le problème éclôt simultanément avec les moyens de le résoudre». À l’expérience, collectivisation et planification vont de pair. C’est en Union soviétique, où le premier des plans quinquennaux apparaît en 1928, que naissent le mot et la chose. Ils auront un écho mondial et, depuis, les «plans» se sont multipliés dans de nombreux pays.
Le mot va donc faire lui aussi fortune, tout en correspondant à des réalités très différentes. La programmation capitaliste n’est pas la planification socialiste. Celle-ci pénètre l’économie tout entière, ajuste la production et les débouchés, la création des biens nouveaux et leur consommation reproductive ou finale. Elle se présente comme un instrument capital et dynamique d’équilibre.
Élan, progrès ou stagnation des socialismes?
Depuis les lendemains de la révolution de 1830 où les premiers courants du socialisme font leur entrée dans la vie publique, on peut dire que la cartographie des partis a été bouleversée dans le monde. À côté des vieilles formations politiques de la bourgeoisie est née la force immense des socialismes. La montée des socialismes reste longtemps imperceptible. Mais elle prend ensuite à la fois consistance et vigueur. Elle s’accroît en poids et en force. L’élan apparaît au cours des deux dernières décennies du XIXe siècle et au début du XXe. On peut le suivre sur la courbe des voix socialistes dans les vieux pays de suffrage universel.
S’agit-il de ces vieux pays où la vie politique s’est poursuivie sans traumatismes révolutionnaires? Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la comparabilité des courbes antérieures et postérieures aux scissions survenues après la révolution soviétique dans les divers partis socialistes ne peut être obtenue qu’au prix du blocage des voix socialistes et communistes, du moins lorsque les scissions ont notablement divisé l’électorat. La masse des suffrages s’est accrue dans d’assez fortes proportions, l’élan s’est poursuivi, mais souvent coupé de temps d’arrêt. Après la Seconde Guerre mondiale, les temps stationnaires sont venus, avec peut-être une certaine reprise au cours des dernières années.
L’avance du socialisme s’est accomplie dans d’autres zones, sur d’autres fronts, sous d’autres formes. Avec la social-démocratie libérale de retouches contraste le socialisme d’explosion.
Y a-t-il, à l’«Ouest», un «socialisme» tendanciel faisant du sécurisme plus que du socialisme, mais réformant aussi quelques structures et posant des jalons pour l’avenir? Amorçant, sans presse – dans l’hypothèse la plus favorable à l’interprétation progressiste – de grandes transformations au plus bas prix? Et conservant ou améliorant, malgré des décélérations temporaires, de très fortes et très sûres positions politiques?
À côté de lui (ou face à lui), quel est l’avenir du socialisme explosé, en marche vers la société sans classe, devant un Tiers Monde explosif qui garde encore toutes ses énigmes?
Et ces deux socialismes, sans parler des multiples formes intermédiaires, sont-ils inconciliables? Du moins peuvent-ils se reconnaître une commune essence? Si le socialisme n’était qu’une histoire des doctrines, les rapprochements seraient relativement faciles. Mais il est devenu un grand fait politique, à la fois entraîneur et entraîné dans les interactions de la vie générale du monde.
Bilan d’un siècle de socialisme, de 1864 à nos jours
En quatre-vingt-cinq ans, entre 1864 et 1949, entre la création de la Ire Internationale et la proclamation de la république populaire de Chine, le socialisme est devenu, d’événement international, d’institution internationale, un fait mondial établi, une force mondiale permanente. L’Internationale de 1864, déjà très divisée, «grande âme dans un petit corps», repaire d’ennemis publics ou de hors-la-loi, a laissé la place à un socialisme mondial, encore plus divisé, mais grande âme diverse du grand corps prolétarien, dont les chefs – à voir les choses de haut – figurent depuis longtemps parmi les notables de la société moderne. Même morcelé, en lutte contre lui-même, malgré les pôles d’influence qui limitent et consacrent à la fois le fractionnement, il gouverne un très large ensemble de pays.
Ce mondialisme socialiste aux aspects si opposés est né de toute une conjoncture de facteurs qu’on se résigne ici à survoler d’une traite. Avant tout né des luttes sociales, qu’elles prennent la forme civile ou militaire, ou encore né des grands conflits internationaux et des tensions structurelles qu’ils vont exaspérer. Mais on ne trouve pas nécessairement à son origine la misère croissante sous son apparence absolue ou relative. Entre les années 1860 et notre époque, c’est, notamment en Europe occidentale et centrale, la croissance économique des vieux systèmes libéraux qui l’emporte, coupée de fluctuations plus courtes, de nature variable, répétées, et parfois très durement ressenties. La montée socialiste s’est opérée finalement, et non sans relation réciproque entre les deux phénomènes, dans le relèvement général de la condition ouvrière et paysanne. Entre Jaurès et certains marxistes attardés du guesdisme, c’est, sur ce point, Jaurès qui avait raison. Mais, dans les pays libéraux et même sociaux-démocrates, la conjoncture générale améliorée où s’épanouit la montée politique et économique du prolétariat s’accompagne – à des degrés divers – d’un maintien fondamental des structures économiques, de l’immutabilité de l’exploitation capitaliste, de la sujétion du travailleur, de l’insécurité de l’emploi, d’une énorme inégalité matérielle et sociale, accrue par la concentration des entreprises. Avec ce maintien des vieilles structures contraste la mutation socio-économique radicale opérée dans les États socialistes.
Bien des choses cependant se sont modifiées ailleurs, au sein des économies à dominante libérale. Mais moins sans doute du côté capitaliste que du côté des travailleurs. Et ce qui semble avoir le plus changé chez eux, c’est leur être même, avec les modalités nouvelles, l’accélération, l’extension de leurs prises de conscience collectives. Ces prises de conscience globales sont peut-être, à travers les siècles, les phénomènes les plus lents de l’histoire des hommes. La conscience de classe, largement liée ici à l’évolution du monde industriel et agricole et aux explosions sociales qu’elle provoque, se situe encore, au temps de la Ire Internationale, dans le domaine de la très lente histoire. Jamais d’ailleurs une prise collective de conscience n’atteint la totalité d’une classe. Mais une accélération va se dessiner. Un cours nouveau de la prise de conscience va naître. Les partis de masse, les syndicats de masse, créés au cours des cent dernières années – avec, depuis la révolution soviétique, un «modèle» communiste d’une particulière efficacité – accélèrent ces essentielles transformations. Le monde du travail et sa conscience tendent au surplus à s’élargir d’eux-mêmes par la salarisation et l’urbanisation croissantes de la société. En même temps qu’au-delà de ce monde s’ouvre aussi aux mêmes problèmes une conscience publique élargie, non spécifiquement ouvrière, où la jeunesse tient une place très active.
Le siècle apparaît ainsi comme celui de l’ouverture des sociétés au socialisme. Parallèlement, au cours du même siècle qu’illumineront les révolutions soviétique et chinoise, le socialisme s’ouvre de son côté, et de plus en plus, sur les grandes valeurs traditionnelles des sociétés. Internationaliste, il met l’accent plus qu’il n’a jamais fait sur les problèmes nationaux, sur les valeurs nationales. Rationaliste, il ne fait plus aux Églises, à la manière d’autrefois dans de nombreux pays, la vieille guerre de l’anticléricalisme ou de l’athéisme: l’Église catholique tendant elle-même à évoluer vers l’apaisement. Non que cet apaisement soit celui de la paix sociale. Mais il laisse en repos les vieux fronts assoupis.
Ainsi s’établissent à ce jour les comptes du socialisme, arrêtés au terme du premier siècle de son entrée dans la vie politique internationale. Le bilan pourra noter au passage qu’une foule d’adversaires – même le national-socialisme! – se sont disputés et se disputent encore ce mot qui a réussi. Bonne cote qui présage d’un avenir favorable? Les bilans se bornent à enregistrer le passé. Interrogé sur l’avenir, le réalisme marxiste ne pourrait que confesser son ignorance de ce que sera le temps court. Et dire son espérance dans ce que fera le temps long.
socialisme [ sɔsjalism ] n. m.
• 1831; de social, d'apr. angl. socialism (1822) ou it. socialismo (1803)
♦ Doctrine d'organisation sociale qui entend faire prévaloir l'intérêt, le bien général, sur les intérêts particuliers, au moyen d'une organisation concertée (opposé à libéralisme); organisation sociale qui tend aux mêmes buts, dans un souci de progrès social (⇒ progressisme). Socialisme démocratique; autoritaire, collectiviste (⇒ collectivisme) . Socialisme d'État (⇒ étatisation, étatisme) . Socialisme réformiste et socialisme révolutionnaire. Socialisme de Saint-Simon (⇒ saint-simonisme) , de Fourier (⇒ fouriérisme) , de Marx (⇒ marxisme) , de Lénine (⇒ léninisme) . Socialisme et communisme.
♢ Absolt Le socialisme : en France, de nos jours, Les partis de gauche non communistes et non libéraux; à l'étranger, Travaillisme, social-démocratie, etc. « Il faut que le socialisme sache relier les deux pôles, le communisme ouvrier et l'individualisme paysan » (Jaurès).
♢ Voc. marxiste Phase transitoire de l'évolution sociale, après l'élimination du capitalisme, mais avant que le communisme puisse être instauré. Le socialisme soviétique.
● socialisme nom masculin Théorie visant à transformer l'organisation sociale dans un but de justice entre les hommes au plan du travail, de la rétribution, de l'éducation, du logement, etc. Formation économique et sociale telle qu'elle existe dans les États dirigés par des gouvernements qui se réfèrent au marxisme-léninisme et caractérisée par la suppression de l'essentiel de la propriété privée des moyens de production et d'échange. Ensemble des courants politiques socialistes ou sociaux-démocrates. ● socialisme (citations) nom masculin Ernest Renan Tréguier 1823-Paris 1892 L'égoïsme, source du socialisme, la jalousie, source de la démocratie, ne feront jamais qu'une société faible, incapable de résister à de puissants voisins. La Réforme intellectuelle et morale de la France, I Lévy August Strindberg Stockholm 1849-Stockholm 1912 Le droit d'avoir une opinion et de l'exprimer librement ne serait pas garanti du fait que les ouvriers posséderaient des machines. L'Écrivain ● socialisme (expressions) nom masculin Socialisme réel, appellation péjorative donnée par les libéraux aux régimes communistes. Socialisme scientifique, selon les marxistes, doctrine de Karl Marx et de ses successeurs par opposition au socialisme utopique, qui serait la doctrine de leurs prédécesseurs, tels Saint-Simon et Fourier.
socialisme
n. m.
d1./d Doctrine économique et politique qui préconise la disparition de la propriété privée des moyens de production et l'appropriation de ceux-ci par la collectivité.
|| Système, organisation sociale et politique qui tend à l'application de cette doctrine.
d2./d Dans la théorie marxiste, période qui succède à la destruction du capitalisme et qui précède l'instauration du communisme et la disparition de l'état.
d3./d Nom générique des doctrines, des partis de la gauche non marxiste. Socialisme réformiste.
Encycl. Engels, théoricien, avec Marx, du communisme, stade suprême du socialisme, distingue deux formes: le socialisme utopique et le socialisme scientifique. Au premier se rattachent toutes les tentatives philosophiques, sociales ou économiques d'organisation de la société sur des bases égalitaires. Les prédécesseurs sont nombreux: Platon, More, Morelly, Rousseau, Diderot, Mably, Fichte, Owen, Saint-Simon, Fourier, Babeuf, Cabet, Blanqui. Le socialisme scientifique ou révolutionnaire, élaboré par Marx et Engels, poursuivi par Lénine, Rosa Luxemburg, Gramsci, Trotski, Mao Zedong, découle d'une analyse du capitalisme international. Le mouvement socialiste s'est diversifié en modèles distincts, les uns qualifiés de communistes (U.R.S.S., Chine, par ex.), les autres de socialistes (modèle suédois, nombreux pays du tiers monde). V. marxisme, communisme et Internationale.
⇒SOCIALISME, subst. masc.
POLITIQUE
A. — Ensemble de ,,doctrines inspirées par des sentiments humanitaires, fondées sur une analyse critique des mécanismes économiques et parfois du statut politique de l'État, ayant pour objectif la transformation de la société dans un sens plus égalitaire`` (DEBB.-DAUDET Pol. 1978). Très mauvaise presse. Paul Souday a fait quatre lignes dans le Temps. Il a parlé de « démagogie intellectuelle » et de « socialisme de bazar » (DUHAMEL, Cécile, 1938, p. 38):
• 1. ... la théorie de l'innocence de l'homme, corrélative à celle de la dépravation de la société, a fini par prévaloir. L'immense majorité du socialisme, Saint-Simon, Owen, Fourier, et leurs disciples; les communistes, les démocrates, les progressistes de toute espèce, ont solennellement répudié le mythe chrétien de la chute pour y substituer le système d'une aberration de la société.
PROUDHON, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 325.
— [P. oppos. à individualisme] C'est triste, car le socialisme dérive, en somme, d'idées clémentes, d'idées propres, mais toujours il se heurtera contre l'égoïsme et le lucre, contre les inévitables brisants des péchés de l'homme (HUYSMANS, En route, t. 2, 1895, p. 289).
B. — P. méton.
1. Chacune de ces doctrines. Épris du socialisme romantique des fouriéristes installés près de la rue de Seine, Jean Macé va devenir un de leurs plus ardents propagandistes (CACÉRÈS, Hist. éduc. pop., 1964, p. 38).
— Socialisme chrétien. Socialisme d'inspiration chrétienne. Il était parti du socialisme chrétien, il s'était inscrit au Sillon, de M. Marc Sangnier. C'était un ton de voix nouveau pour Edmond, et qui l'amusait sans le toucher. Il n'était pas plus socialiste que chrétien (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 279).
— Socialisme scientifique. Doctrine de Marx selon laquelle ,,la disparition du capitalisme est inéluctable et doit s'opérer selon un certain nombre de lois dont la connaissance scientifique est indispensable pour (...) favoriser l'avènement de la société socialiste`` (DEBB.-DAUDET Pol. 1981). Engels et Marx forgent l'énorme appareil du socialisme scientifique, opposé sur beaucoup de points au socialisme proudhonien, mais qui s'unit à lui dans la critique de la société et de l'état capitalistes (VEDEL, Dr. constit., 1949, p. 85). Disciples du fondateur du « socialisme scientifique » qui (...) s'accrochent à des formules toutes faites et qui ont tendance à considérer comme une panacée la socialisation des moyens de production (Le Nouvel Observateur, 26 avr. 1976, p. 89, col. 1).
— Socialisme utopique. [P. oppos. à socialisme scientifique] Socialisme réformateur fondé sur un idéal de société défini par les utopistes du XIXe s. (Owen, Enfantin, Fourier, etc.) par opposition au socialisme scientifique. Un des caractères du socialisme utopique est de n'avoir pas compté sur la force propre de la classe ouvrière (JAURÈS, Ét. soc., 1901, p. XX). Le socialisme qui a influencé la révolution de 1848 est surtout le socialisme « idéaliste » ou « utopique », et non le marxisme qui est en voie d'élaboration et qui n'a que peu de diffusion (VEDEL, Dr. constit., 1949, p. 199).
2. Expression politique de ces doctrines. La peur suffit à mener la France! La peur, voilà tout le cœur de la France de 1857! La peur des voleurs et du socialisme, c'est tout le mobile et toute l'âme d'un peuple de 36 millions d'hommes (GONCOURT, Journal, 1857, p. 370). « La passion de la vérité,... etc. » Alain et Péguy seront les animateurs des universités populaires, au nom de cet idéal. Pour Jaurès, devenu l'un des dirigeants du socialisme français, « c'est servir la classe ouvrière... etc. » (CACÉRÈS, Hist. éduc. pop., 1964, p. 53).
— [En France et en Europe occ.] Ensemble des forces politiques de la gauche non communiste. En 1968 et 1973, les grandes manœuvres de l'UDR eurent souvent raison du radicalisme un peu las, du socialisme souvent rose de ces régions [le centre de la France], qui, proches du pouvoir sous la IVe République, souffraient de se voir isolées sous la Ve (Le Point, 23 janv. 1978, p. 50, col. 2).
— Socialisme d'état. Régime économique où l'état est propriétaire des principaux moyens de production et d'échange. En fait, avec Netchaiev et Tkatchev, c'est Lassalle, inventeur du socialisme d'état, que Lénine a fait triompher en Russie, contre Marx (CAMUS, Homme rév., 1951, p. 284).
3. PHILOS. MARXISTE. Phase de transition entre le capitalisme et le communisme. Les finalités [de l'économie soviétique]? C'est l'édification du socialisme et la destruction du capitalisme (L'Express, 28 févr. 1981, p. 50, col. 2). Ce n'est qu'à partir de la IIe Internationale qu'il faut entendre par socialisme un mode d'organisation sociale fondé sur l'appropriation collective des moyens de production sous forme étatique et/ou coopérative (Marxisme 1982, p. 817).
4. Régime politique, économique et social qui met en pratique certaines de ces doctrines. Avènement, croissance, édification, progrès, réalisation du socialisme; socialisme autoritaire, international. Au milieu du XXe siècle, l'économie marchande n'est pas seulement contestée et transformée par les socialismes réalisés et vécus (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 4):
• 2. Simone Weil a raison de dire que la condition ouvrière est deux fois inhumaine, privée d'argent, d'abord, et de dignité ensuite. Un travail auquel on peut s'intéresser, un travail créateur, même mal payé, ne dégrade pas la vie. Le socialisme industriel n'a rien fait d'essentiel pour la condition ouvrière parce qu'il n'a pas touché au principe même de la production et de l'organisation du travail, qu'il a exalté au contraire.
CAMUS, Homme rév., 1951, p. 267.
— [P. oppos. à capitalisme] Le capitalisme est depuis le XVIIIe siècle le système économique dominant et, depuis 1917, il reste, avec le socialisme, le plus important (LESOURD, GÉRARD, Hist. écon., 1968, p. 10).
— [P. oppos. à libéralisme] Le conflit des idéologies conservatrices et libérales traduit assez exactement la lutte de l'aristocratie foncière (...), contre la bourgeoisie industrielle, commerçante et intellectuelle; le conflit du libéralisme et du socialisme a ensuite reflété la lutte de la bourgeoisie et du prolétariat (Traité sociol., 1968, p. 14).
— Socialisme réel. Socialisme des pays se réclamant du marxisme (généralement en parlant des pays de l'Europe de l'Est et de l'U.R.S.S.). Le problème de savoir si le « socialisme réel » a supprimé l'exploitation capitaliste ou lui a substitué l'exploitation des travailleurs par un capitalisme d'État (Le Nouvel Observateur, 29 oct. 1979, p. 30, col. 1). Quelques-uns des problèmes économiques essentiels qui se posent aux pays du « socialisme réel » (Le Nouvel Observateur, 23 févr. 1981, p. 28, col. 3).
— [P. oppos. à socialisme réel] Socialisme à visage humain. Socialisme non bureaucratique. Tout au long de l'expérience Allende, il [Luis Corvalan] s'est d'ailleurs conduit en homme politique responsable au moment où tant de militants de gauche cédaient à l'ivresse de la victoire et à un romantisme révolutionnaire qui allait précipiter l'échec et la chute de cette tentative de « socialisme à visage humain » (Le Point, 15 mars 1976, p. 70, col. 1).
— Socialisme à la scandinave, à la suédoise. Socialisme des pays scandinaves qui se développe à l'intérieur d'une démocratie parlementaire, caractérisé par le maintien de la propriété privée des moyens de production et un système de réformes sociales qui vise à réduire les inégalités. Fortement influencé par l'expérience du « socialisme à la scandinave », Brandt est avant tout soucieux de préserver la démocratie politique, qu'il croit menacée par une expérience collectiviste quel que soit son caractère (Le Nouvel Observateur, 26 avr. 1976, p. 89, col. 1).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1878. Étymol. et Hist. 1831 « doctrine qui sacrifie l'individu à la société » (Le Semeur, n ° 12, 23 nov., p. 94, 2e col. ds G. DEVILLE, Orig. des mots « socialisme » et « socialiste » ds La Révolution fr., n ° 54, mai 1908, p. 391: On se sépare pour se réunir; l'individualisme doit ramener au socialisme, le protestantisme au vrai catholicisme, la liberté à l'unité); 1890 socialisme d'État (La Vie polit. à l'étranger, p. 14 ds QUEM. DDL t. 18). Dér. de social; suff. -isme. Socialisme est att. en ital. dès 1803 et sert à désigner la théorie « d'un conservatisme bienveillant et éclairé ». Socialism au sens de « doctrine d'Owen » apparaît en angl. en 1833 (v. Cah. Lexicol. 1969, n ° 14, pp. 45-48 qui retrace l'évolution du mot socialisme en fr.). Fréq. abs. littér.: 697. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 24, b) 571; XXe s.: a) 2 742, b) 987. Bbg. ALMEIDA (P. d'), BOYER (A.), SICARD (F.). Les Mots et les choses... Mensuel pour le socialisme et l'autogestion. 1981, n ° 63, pp. 12-16. — ARIAS (F.). Le Champ notionnel de « fascisme »... In: Congrès Internat. de Ling. et Philol. Rom. 14. 1974. Naples. Atti, 1981, t. 5, pp. 87-89. — BONNAFOUS (S.). La Désignation socio-pol. en France de 1879 à 1914. Saint-Cloud, 1983, p. 42. — CHAUVEAU (G.). Approche du discours pol.: socialisme et socialiste... Langages. 1978, n ° 52, pp. 113-125. — DUB. Pol. 1962, p. 124-126. — GANS (J.). Socialiste, socialisme. Cah. Lexicol. 1969, n ° 14, pp. 45-58. — HONORÉ (J.-P.). Le Discours pol. et les socialistes pendant l'affaire Dreyfus. In: Colloque de Lexicol. Pol. 2. 1980. Saint-Cloud. Paris, 1982, pp. 539-550. — KLARE (J.). L'Élaboration du vocab. politico-social en France... Beitr. rom. Philol. 1974, t. 13, n ° 1/2, p. 264. — MARCELLESI (J.-B.). Socialisme... Lang. fr. 1969, n ° 4, pp. 108-119. — PROVOST (G.). Approche du discours politique... Langages. Paris. 1969, n ° 13, pp. 51-65; 67-68. — QUEM. DDL t. 18. — THIELE (J.). Zur Entwicklung des lexikalischen Feldes socialisme/socialiste. Beiträge zur Soziolinguistik. Halle, 1974, pp. 171-185.
socialisme [sɔsjalism] n. m.
ÉTYM. 1831, « l'individualisme doit ramener au socialisme », in le Semeur du 23 nov. 1831; mot répandu et défini par P. Leroux (1833); de social, avec infl. de l'angl. (socialism, Owen, 1822) et de l'ital. socialismo (1803).
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1 Doctrine d'organisation sociale qui entend faire prévaloir l'intérêt, le bien général sur les intérêts particuliers, au moyen d'une organisation convenable (opposé à libéralisme); organisation sociale qui tend aux mêmes buts, dans un souci de progrès social (⇒ Progressisme). || Socialisme démocratique, libéral; autoritaire (→ Égalitarisme, cit. 1). || Socialismes associationnistes : mutuelliste (⇒ Mutuellisme), coopératif (⇒ Coopératisme), corporatiste, collectiviste (⇒ Collectivisme). || Socialisme municipal. — (1890). || Socialisme d'État. || Socialisme étatique. — Socialisme égalitaire (cit. 1; ⇒ Égalitarisme). || Socialisme ouvrier, prolétarien (dictature du prolétariat). || Socialisme agraire (cit.). — Socialisme réformiste et socialisme révolutionnaire. || Socialisme utopiste (⇒ Utopie); expérimental (sans doctrine rigide préétablie); socialisme scientifique (le marxisme, opposé aux socialismes utopistes). — Le socialisme de Babeuf, de Saint-Simon (⇒ Saint-simonisme [cit.]), de Fourier (⇒ Fouriérisme), de Proudhon (⇒ Proudhonien), de Cabet, de Blanqui. || Le socialisme de Marx (⇒ Marxisme) et de ses disciples et continuateurs (⇒ Léninisme, stalinisme; maoïsme).
1 Nous définirons (…) le socialisme comme une forme de société dont les bases fondamentales sont les suivantes :
1o Propriété sociale des instruments de production;
2o Gestion démocratique de ces instruments;
3o Orientation de la production en vue de satisfaire les besoins des hommes.
G. Bourgin et P. Rimbert, le Socialisme, p. 13.
♦ Le socialisme : les socialistes; en France, de nos jours, les partis de gauche non communistes et non libéraux (→ Enseignement, cit. 3; individualisme, cit. 6, Jaurès). — En Angleterre. ⇒ Travaillisme. — En Allemagne. ⇒ Social-démocratie. — ⇒ aussi Social-chrétien.
2 Un des agitateurs les plus actifs du socialisme catholique français.
Zola, Rome, p. 15.
2 Philos. polit. (dans le vocab. marxiste). Phase transitoire de l'évolution sociale, après l'élimination du capitalisme, mais avant que le communisme (3.) puisse être instauré. || Le socialisme soviétique.
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COMP. Antisocialisme. V. aussi National-socialisme.
Encyclopédie Universelle. 2012.