PRIMATES
Au sein de la classe des Mammifères, l’ordre des Primates occupe une place particulière dans la mesure où il inclut l’Homme. Mais il présente une hétérogénéité suffisante pour nourrir les débats relatifs aux traits qui sont censés différencier à coup sûr les Primates des autres Mammifères.
L’hétérogénéité de l’ordre est souvent associée à un gradient scala naturae , allant d’espèces primitives jusqu’à l’Homo sapiens . Selon cette conception, l’Homme est considéré comme la référence ultime de l’évolution des Primates, si bien que l’encéphalisation est implicitement le seul critère alors pris en compte. Mais le danger de privilégier ce gradient est double: on risque de voir la phylogenèse des Primates comme linéaire, alors que cette phylogenèse est buissonnante; on risque aussi de négliger les nombreux critères qui permettent de reconstituer autrement la phylogenèse ou des phylogenèses, au sein de ce groupe zoologique. En effet, taxonomie et phylogénie des Primates, toujours plus ou moins interdépendantes, sont en plein développement, d’une part à cause de la découverte, encore à l’heure actuelle, de nouvelles espèces dans des régions jusqu’à présent inexplorées, et d’autre part du fait de la prise en compte de nouveaux critères (analyse chromosomique, B. Dutrillaux et al., 1981; analyse de protéines sanguines, Ruvolo, 1988; étude comparative des vocalisations, Gautier, 1988) et du recours aux techniques informatiques pour la reconstruction de la phylogenèse.
Il faut encore tenir compte du fait que certaines caractéristiques, fondamentales quant à leurs implications éco-éthologiques, n’appartiennent pas au domaine de l’anatomie mais à celui du développement, autrement dit des «histoires de vie» (life histories ). C’est ainsi qu’une longue gestation, relativement au poids de la mère, des croissances fœtale et postnatale lentes, mais aussi un petit nombre de jeunes par portée et une maturité sexuelle tardive aboutissent en effet (Martin, 1986) à un renouvellement lent des populations. Cela souligne l’intérêt des études biodémographiques et éthologiques auprès des populations de Primates.
1. Diagnose
Les Primates sont des Mammifères placentaires euthériens plantigrades. Leur neurocrâne est considérablement développé par rapport à leur massif facial réduit; les orbites sont en position frontale et entourées d’un anneau osseux complet. L’orientation des orbites vers l’avant est un caractère «allométrique», c’est-à-dire qu’il acquiert sa signification (ou la renforce) lorsqu’il est considéré relativement à la mesure d’un autre caractère, ici la taille du crâne.
Il existe chez les Primates, des familles les plus primitives aux plus récentes, une tendance au développement du cerveau, en particulier du néocortex. Martin (1986) souligne que la prise en compte de l’allométrie ne permet pas de dire que ce développement est associé à la réduction des structures olfactives. Les hémisphères cérébraux présentent une scissure de Sylvius typique et une scissure calcarine triradiée. L’organisation de la projection des champs visuels est unique; chacun d’eux se projette dans chacun des hémisphères cérébraux (50 p. 100 dans l’hémisphère contralatéral).
La denture est de type diphyodonte et hétérodonte, avec des molaires multituberculées; elle est peu réduite par rapport aux Mammifères placentaires ancestraux – la formule maximale est I 2/2, C 1/1, PM 3/3, M 3/3, soit 36 dents – et traduit la perte d’une incisive et d’une prémolaire par rapport aux Mammifères primitifs. Chez les Primates, la mandibule a des mouvements verticaux qui conviennent au régime frugivore, phytophage ou omnivore.
La colonne vertébrale comprend de 26 à 33 éléments, en excluant les vertèbres caudales. Une longue queue est une caractéristique des Primates, bien que sa réduction affecte un certain nombre de genres, ou qu’elle soit totalement absente dans d’autres [cf. ANTHROPOMORPHES]. La clavicule est toujours présente, bien que son importance soit extrêmement variable. L’extrémité des membres est pentadactyle; le carpe se compose de neuf os, dont un pisiforme et un seul os central, avec scaphoïde et lunaire toujours séparés. Le pouce de la main (pollex) est toujours opposable, celui du pied (hallux) – celui de l’Homme excepté – présente une pseudo-opposabilité. Le radius et le cubitus sont mobiles l’un par rapport à l’autre, permettant à la main d’amples mouvements de supination et de pronation. Ces deux caractères traduisent une adaptation primordiale à l’arboricolisme. Le tibia et le péroné sont toujours séparés. Chez la plupart des Primates, des ongles plats, au lieu de griffes, terminent les doigts.
2. Classification
Il est maintenant communément admis que les Tupaias ne peuvent être inclus dans l’ordre des Primates, mais le débat subsiste quant à la division primordiale de l’ordre. Historiquement, il a d’abord été séparé en Prosimii , «Primates inférieurs», et Anthropoidea , «Primates supérieurs» (tabl. 1). Cette distinction, qui pouvait paraître arbitrairement anthropocentrée, est maintenant confortée par de nombreux critères. Mais la position intermédiaire du genre Tarsius pose problème; il se rapproche des Lémuriformes par certains caractères tels que des molaires supérieures trituberculées, l’absence de soudure de la symphyse mandibulaire, la présence d’une sublingua plus ou moins indépendante, la présence d’une communication plus ou moins importante entre les orbites et les
fosses temporales, le développement de la bulle tympanique. Il se rapproche des Anthropoidea par la possession d’un placenta hémochorial et l’absence d’un rhinarium.
C’est ce dernier caractère qui a conduit à proposer, au lieu de la distinction entre Prosimii et Anthropoidea , celle entre Strepsirhines et Haplorhines . Les premiers sont représentés par les Lémuriformes, tous pourvus de ce rhinarium, zone cutanée nue, riche en glandes muqueuses qui entoure les narines, et qui s’accompagne de l’absence de soudure de la lèvre supérieure. Chez les seconds, cette lèvre est soudée et la zone entre les narines est sèche et couverte de poils et ils regroupent alors les Primates supérieurs et les Tarsiers. Mais, selon Hofer (1980), ces derniers et quelques autres Primates supérieurs d’Amérique du Sud (marmosets ) posséderaient en fait le caractère strepsirhine.
Schwartz (1986), en reprenant les caractères non liés à la forme du nez et les arguments et contre-arguments qui permettraient d’associer le Tarsier aux Anthropoidea plutôt qu’aux Lemuroidea , montre que phylogénétiquement rien ne permet de considérer que les caractères «haplorhines» du Tarsier, tels que la réduction de la cloison nasale, la position du foramen carotidien, la soudure postorbitaire et le squelette postcrânial, soient homologues de ceux des Anthropoidea . Il propose alors de rapprocher le Tarsier des Lorisiformes sur la base de la disparition de l’artère stapédiale mais surtout de la morphologie des molaires et de la fusion distale tibiofibulaire et de nombreuses homologies chromosomiques. On retrouve alors, en associant taxonomie et phylogénie, la division ancienne en deux sous-ordres: celui des Prosimii , regroupant les Lémuriformes, les Lorisiformes et le Tarsier, et celui des Anthropoidea regroupant les infra-ordres des Platyrrhinii , ou Singes du Nouveau Monde (Amérique du Sud et centrale) et des Catarrhinii , ou Singes de l’Ancien Monde (Afrique et Asie).
3. Catégories systématiques (groupes zoologiques)
Prosimii
Les Prosimiens constituent un ensemble hétérogène essentiellement différencié des Anthropoidea par la présence d’une sublingua , d’une bulle auditive très développée, d’une articulation entre le cubitus et le pisiforme au niveau du carpe, de molaires supérieures trituberculées, d’un néopallium de type lissencéphale et de bulbes olfactifs bien développés, d’un côlon peu différencié (grande boucle ou deux segments transverse et descendant), d’un utérus bicorne. À noter encore l’absence d’une cloison complète entre les orbites et les fosses temporales, un conduit auditif externe nettement différencié, la soudure de la symphyse mandibulaire, le recouvrement du cervelet par les hémisphères cérébraux et une rétine à fovéa. Outre le plésion Tarsius (Schwartz, 1986), on distingue deux autres infra-ordres, celui des Lémuriformes et celui des Lorisiformes.
Les Lémuriformes sont tous inféodés à l’île de Madagascar, où ils ont évolué en l’absence de toute compétition avec des Primates plus évolués, pour y constituer plusieurs familles.
Les Lemuridae regroupent trois genres de Primates de taille moyenne. Le crâne est allongé, le museau bien développé, les incisives supérieures sont courtes et larges et présentent un large hiatus; les incisives et les canines inférieures sont orientées obliquement vers le haut et vers l’avant dans le hiatus supérieur, formant un «peigne dentaire» (toothcomb ). La queue est longue et non préhensile.
Les Indriidae comprennent trois genres caractérisés par la morphologie de leurs dents. Ils ont en outre les membres postérieurs plus développés que les antérieurs, ce qui représente une adaptation au saut en position verticale.
Les Megalapidae ne sont représentés que par le genre Lepilemur . Les individus sont de taille moyenne, leur thorax est élargi transversalement; ils ne possèdent pas d’os central au carpe et leur tarse est plus développé que chez les autres Lemuridae . Les incisives supérieures sont absentes chez l’adulte. Ce sont aussi des sauteurs verticaux.
Enfin, au sein des Lémuriformes est classé l’étrange Aye-Aye, seule espèce du genre Daubentonia ayant statut de plésion ou rang de famille des Daubentoniidae . C’est le seul Primate à ne posséder que 18 dents, et il a de longues incisives recourbées à croissance continue; le troisième doigt de la main, très mince, est considérablement allongé; terminé, comme les autres doigts, par une griffe (à l’exception du pouce qui possède un ongle aplati), il sert à capturer des larves dans les troncs d’arbres. L’animal ne possède qu’une paire de mamelles en position inguinale. Les yeux sont énormes et frontaux. Le cerveau est très particulier, haut et étroit, avec un lobe frontal très convexe présentant une torsion vers le bas (Radinsky, 1974).
Les Lorisiformes se distinguent des Lémuriformes par la morphologie de leur bulle tympanique, par leur carotide antérieure qui s’anastomose avec l’artère du promontoire avant de pénétrer dans la bulle auditive, par la présence d’une artère saphène (absente chez les Lémuriformes), par l’absence de l’artère stapédienne et par la morphologie de leurs molaires. Ils sont tous de petite taille. Les Cheirogaleidae ressemblent plus à des écureuils qu’à des singes. Ils se distinguent par leurs incisives supérieures centrales larges et franchement dirigées vers l’avant. Bien qu’habitant à Madagascar, comme les Lemuridae , ils s’en distinguent nettement. Les Galagidae , tous africains (et non malgaches), possèdent une queue longue et leurs pattes postérieures plus développées que les antérieures indiquent une adaptation au saut. Le genre Galago possède 38 chromosomes et le genre Otolemur (Galago crassicaudatus ) 62. Ce dernier genre se caractérise également par la présence d’ongles particuliers aux extrémités concaves libres. Les Lorisidae se caractérisent par une orientation frontale des orbites très poussée, par une extension ectotympanique latérale, par une expansion linguale des prémolaires inférieures et par la compression distale du fémur. Ils se rencontrent en Asie (genres Loris et Nycticebus ) et en Afrique (genres Perodicticus et Arctocebus ). Ils possèdent tous des membres de longueur subégale; leur queue est courte ou absente. Ce sont généralement des animaux lents arboricoles. Les Tarsiers, dont on a mentionné plus haut les caractéristiques taxonomiques uniques, sont des animaux de petite taille des îles d’Indonésie et des Philippines, à grosse tête globuleuse, très mobile, aux yeux énormes, aux membres postérieurs très développés (adaptation au saut); ils possèdent deux paires de mamelles (pectorales et abdominales).
Anthropoidea
Hemprich a subdivisé, en 1820, les Simiens, ou Anthropoidea , en deux infra-ordres, qu’il nomme Platyrrhinii et Catarrhinii . On les distingue par la forme des narines, dirigées latéralement et séparées par une large cloison nasale chez les premiers, rapprochées et dirigées vers le bas chez les seconds.
Les Platyrrhinii , ou Platyrhiniens, se voient attribuer une origine monophylétique si on leur donne le statut d’infra-ordre. Or ce monophylétisme est source de controverses, et une origine polyphylétique est à l’heure actuelle plus communément admise (Hershkovitz, 1977). Ils sont tous inféodés au continent américain (sud et centre) d’où leur nom de «Singes du Nouveau Monde». Ils se subdivisent en trois familles: Cébidés, Callithricidés et Atélidés.
Les Cébidés ont la face courte et aplatie. Ils se caractérisent par la réduction de la troisième molaire, mais ont des canines et des prémolaires antérieures de grande taille. Les ongles sont carénés à tous les doigts. Selon Ford (1986), cette famille constituerait un «taxon fourre-tout» comprenant le genre Cebus (sapajous), singes de taille moyenne à queue semi-préhensile, et trois autres genres de singes de petite taille, Saïmiri (singes écureuils), Aotus (douroucouli), le seul Primate supérieur nocturne, et Callicebus (titis).
Les Callithricidés regroupent les tamarins (Saguinus et Leontopithecus ), les marmosets (ouistitis, Callithrix et Cebuella ) et le genre Callimico dont le statut taxonomique a longtemps été source de controverses du fait de ses caractères intermédiaires entre les Cébidés et les Callithricidés. Ce sont tous des singes de petite ou de très petite taille. La famille des Callithricidés se caractérise par la présence de griffes à tous les doigts (sauf à l’hallux), des molaires trituberculées, la perte de la troisième molaire, la réduction de l’hallux et du pollex et la non-opposabilité de ce dernier. Le genre Callimico regroupe des singes de taille moyenne (à l’opposé de la petite taille des autres Callithricidés), qui possèdent une troisième molaire même si elle est de taille réduite. L’étude des albumines semble toutefois confirmer le lien entre Callimico et Callithrix (Sarich & Cronin, 1980, in Ford, 1986).
Les Atélidés incluent les Pithécinés et les Atélinés, tous singes de grande taille. Les Atélinés, singes-araignées (Ateles ) et muriquis (Brachyteles ), possèdent en commun la réduction très marquée du pollex et 34 chromosomes. Avec les singes-laineux (Lagothrix ) et les hurleurs (Alouatta ), ils partagent l’adaptation à la sustentation, spécialisation marquée à la vie arboricole grâce à leurs membres très longs auxquels s’ajoute une queue préhensile terminée par une zone sensible nue (identique à un doigt, présentant même des dermatoglyphes). Les Pithécinés regroupent les saquis (Pithecia et Chiropotes ) et les ouakaris (Cacajao ). Ce sont des Primates de taille moyenne mais parmi les plus grands des Platyrhiniens à queue non préhensile (Hershkovitz, 1987). Ils possèdent 36 dents comme tous les autres Singes du Nouveau Monde, à l’exception des Callithricidés (Callimico exclus). Leur dentition possède des caractéristiques morphologiques uniques, à savoir des incisives proclives très étroites et allongées et des canines puissantes anguleuses très divergentes. Les ouakaris possèdent une queue courte, attribut unique parmi les Platyrhiniens.
Les Catarrhinii , ou Catarhiniens, constituent un infra-ordre monophylétique. Ils possèdent des narines rapprochées, orientées vers l’avant et vers le bas, une dentition bilophodonte à 32 dents dont les trois molaires quadricuspides (en général) par demi-mâchoire. Ils ont un pouce toujours opposable, à moins qu’il soit absent ou très réduit, des ongles à tous les doigts; leur queue n’est jamais préhensile et peut être réduite ou absente; des callosités fessières plus ou moins développées. La bulle tympanique est réduite ou absente, et l’os ectotympanique forme un canal osseux; ils ont une vision trichrome et stéréoscopique et une vraie fovéa. Leur cerveau est toujours gyrencéphale. Ils sont tous diurnes. Cet infra-ordre est néanmoins très diversifié, comme chez les Platyrhiniens, mais est subdivisé en deux super-familles, les Cercopithecoidea et les Hominoidea (Anthropomorphes).
Les Cercopithecoidea se subdivisent en Cercopithécinés et Colobinés. Les Cercopithécinés possèdent tous des abajoues. Ils présentent une très étroite distance interorbitaire, des narines étroites, une fosse lacrymale confinée à un os lacrymal développé. On distingue deux tribus, celle des Cercopithecini et celle des Papionini . La première ne regroupe que des singes forestiers arboricoles à l’exception du patas, singe rouge (Erythrocebus patas ) et à un moindre degré du vervet (Cercopithecus aethiops ). Ils sont généralement très colorés, présentant en particulier une grande diversité de «masques faciaux» (Gautier-Hion et al., 1988). Les callosités ischiatiques sont séparées chez les mâles comme chez les femelles. Lernould (1988) ne reconnaît qu’un genre Cercopithecus , donnant le rang de sous-genres au talapoin (Miopithecus talapoin ), au singe gris-vert des marais (Allenopithecus nigroviridis ) et au singe rouge, qui étaient considérés auparavant comme des genres au même titre que Cercopithecus . La tribu des Papionini comprend cinq genres: Papio , Theropithecus , Cercocebus , Lophocebus et Macaca . Ils possèdent tous une troisième molaire inférieure à cinq tubercules, ce qui les distingue des Cercopithecini où cette dent n’en comporte que quatre. Les babouins (Papio ) et les geladas (Theropithecus ) se caractérisent par un long museau. Les babouins possèdent une visière sus-orbitaire accusée, une crête sagittale et des callosités fessières très accentuées et confluentes, une queue jamais longue, une adaptation marquée à la terrestrialité. Les geladas ont un museau moins long et les narines ne sont pas terminales mais rejetées sur le côté. Les mangabeys regroupent les deux genres Cercocebus et Lophocebus . La distinction de ces deux genres est récente (Groves, 1978) et fait suite à une précédente division des Cercocèbes en deux groupes d’espèces, torquatus et albigena . Dans les deux genres, le museau est modérément prognathe, mais surtout il existe une fosse sub-orbitaire marquée. Le genre Lophocebus est plus proche phylogénétiquement des babouins, le genre Cercocebus du genre Macaca . Dans ce dernier genre, la longueur de la queue est très variable, jamais grande et parfois nulle. La troisième molaire inférieure présente un cinquième tubercule très net, les callosités ischiatiques sont bien développées. Alors que les babouins et les mangabeys sont africains (à l’exception de l’hamadryas, en partie en Arabie), les macaques, à l’exception du magot (Macaca sylvanus ), sont tous inféodés à l’Asie méridionale.
Chez les Colobinés, le nez fait saillie sur la lèvre supérieure, le pouce est absent ou réduit à un petit tubercule qui peut supporter un ongle vestigial. Le crâne se distingue de celui des autres Cercopithécidés par une plus grande largeur inter-orbitaire. Il n’existe pas de visière sus-orbitaire. La troisième molaire inférieure porte cinq tubercules, mais l’ensemble des molaires se caractérise par des tubercules élevés et des crêtes tranchantes indiquant une spécialisation folivore du régime alimentaire (cf. chap. 4, Régime ). De plus les Colobinés ne possèdent pas d’abajoues et leur estomac agrandi est divisé en compartiments. Cette sous-famille se divise en quatre genres dont un est strictement africain (Colobus ), les trois autres asiatiques (Presbytis , Pygathrix , Nasalis ). Le genre Presbytis se caractérise par un crâne orthognathe et figure parmi les plus grands des Cercopithecoidea (Presbytis entellus ). Dans le genre Pygathrix , la troisième molaire inférieure comporte parfois six tubercules. Le nasique (Nasalis larvatus ) est célèbre par la présence, chez le mâle, d’un nez long, tombant, dépassant la lèvre supérieure. On distingue parfois deux autres genres, Simias et Rhinopithecus . Les individus des genres Simias et Nasalis présentent une distance interorbitaire faible, ceux des genres Simias et Rhinopithecus se caractérisent par leur nez retroussé.
Les Hominoidea ou Anthropomorphes [cf. ANTHROPOMORPHES] se subdivisent, selon Schwartz (1986), en quatre familles: Hylobatidés, Panidés, Pongidés, Hominidés. Contrastant avec les autres Catarhiniens, qui se signalent par leur dentition à molaires bilophodontes, les Anthropomorphes se sont spécialisés dans le développement des capacités de suspension et de propulsion par les membres antérieurs (Témerin & Cant, 1883). Toutefois, la tendance à la verticalisation du corps est nettement marquée et ils sont dépourvus de queue. La famille des Panidés comprend les chimpanzés (Pan paniscus et Pan troglodytes ) et les gorilles, celle des Pongidés ne comprenant plus, dans ce cas, que le genre Pongo . Les Hylobatidés sont soit divisés en deux genres, Hylobates et Symphalangus , soit en trois sous-genres, le genre Hylobates étant éclaté en Hylobates et Nomascus (Groves, 1972), ce dernier genre regroupant tous les gibbons Concolor . La taxonomie et la phylogenèse complexe des gibbons sont, comme celle du genre Cercopithecus (A. Gautier-Hion et al., 1988), en complète révision.
Les caractéristiques du «rameau humain» se trouvent exposées dans l’article HOMINIDÉS.
4. Habitat et comportement alimentaire
Répartition géographique
Comme le souligne Martin (1984), les Primates sont inféodés aux zones tropicales et subtropicales de chaque continent, à l’exception de l’Australie. C’est au niveau de l’espèce qu’il convient d’aborder la répartition géographique des Primates, quelle que soit l’échelle que l’on utilise (tabl. 2). Deux genres pourtant sont présents sur deux continents, le genre Papio et le genre Macaca , alors que les autres Primates sont confinés soit à un continent (Platyrhiniens, Amérique centrale et du Sud), soit à un micro-continent (Madagascar). Sept espèces de Primates seulement ont une aire de répartition vaste (supérieure à 6 millions de km2), mais à l’opposé soixante et onze espèces ont de petites, voire très petites, aires de répartition (de 500 000 à moins de 100 000 km2): vingt-cinq d’entre elles sont insulaires.
Milieux de vie
Bien que 80 p. 100 des espèces de Primates vivent en forêt humide, sur chaque continent, plus de la moitié des espèces s’accommodent des zones boisées plus sèches ou des savanes boisées, ce qui marque chez certaines la tendance à la terrestrialité, aboutissant parfois même à l’installation en zones désertiques (babouin hamadryas, gelada) ou sur des crêtes rocheuses (magot de Barbarie, en Kabylie). La répartition en altitude est, elle aussi, très large, du niveau de la mer aux sommets des montagnes. Plusieurs espèces se rencontrent au-dessus de 4 000 mètres d’altitude en Afrique, aussi bien dans les forêts (Colobus guereza , Cercopithecus aethiops , C. cephus ) que sur les plateaux semi-désertiques (Theropithecus gelada ), ou en Asie, dans les régions himalayennes (Presbytis entellus , Macaca mulatta , Rhinopithecus bietei ). D’autres habitent dans des zones enneigées de manière saisonnière des régions tempérées, comme les macaques japonais (Macaca fuscata ) et le macaque de Barbarie ou magot (Macaca sylvanus ).
Le constat biogéographique qui précise la répartition et l’extension des peuplements ne rend pas compte de la diversité des habitats. Ainsi, une forêt peut être côtière, de plaine ou d’altitude, tropicale, subtropicale ou tempérée, primaire ou secondaire, décidue ou sempervirente; elle peut être inondée, constamment ou temporairement, ou située sur les berges des rivières; elle peut être sèche, voire composée d’arbres épineux, ou humide, ou arrosée par la mousson. Ces différents types de forêts sont susceptibles de représenter des «refuges», véritables îlots auxquels s’inféodent certaines espèces ou sous-espèces qui y évoluent séparément (Oates, 1988). En revanche, une même espèce peut coloniser aussi bien les forêts tropicales primaires ou secondaires que des marais d’eau douce, la mangrove ou les milieux urbains. Cette dernière caractéristique est principalement l’apanage des espèces asiatiques, en Inde et dans tout le Sud-Est asiatique. Les plantations agricoles ont souvent attiré les Primates et les ont fait classer comme «nuisibles». Une autre forme de commensalisme s’est développée en Arabie Saoudite où les babouins hamadryas exploitent les dépôts d’ordures (Biquand & Biquand, comm. pers.). En fait, la notion d’habitat doit être considérée à plusieurs niveaux, dans ses grandes caractéristiques (cf. supra ) et dans sa structure fine, impliquant son hétérogénéité et sa réelle complexité. La richesse en espèces végétales d’un milieu ne suffit pas à le rendre adéquat pour supporter une population de Primates. Il faut considérer cette richesse spécifique en relation avec la phénologie: les milieux les plus favorables ne sont pas nécessairement ceux qui apparaissent les plus luxuriants mais ceux qui peuvent fournir tout au long de l’année les ressources nécessaires aux Primates (Menard et al., 1987).
Sites de vie
La structure de l’habitat doit fournir aux groupes sociaux la nourriture nécessaire mais aussi les sites de repos à l’abri des prédateurs; ces deux facteurs sont intimement liés (Gautier-Hion et al., 1981), amenant les animaux à des choix qui varient au cours de la journée. La recherche de sites de repos ou de sommeil sûrs attire les babouins hamadryas (mais aussi le babouin chacma et le magot) près de falaises rocheuses, les espèces de savane vers les zones pourvues d’arbres, et certaines petites espèces forestières près des berges des rivières (singe-écureuil, talapoin). En milieu forestier, divers étages sont différemment exploités, depuis les buissons denses du sous-bois près du sol pour certains Prosimiens, jusqu’au sommet de la canopée pour d’autres espèces arboricoles.
Au sein des grandes divisions taxonomiques, le poids corporel fournit une bonne prédiction du régime alimentaire (Gaulin & Konner, 1977): les grandes formes tendent à manger de grandes quantités d’aliments de faible qualité nutritionnelle mais très agrégés dans l’espace; les petites formes se spécialisent fréquemment pour des aliments très dispersés mais de haute valeur énergétique (fig. 1).
Régime
La définition du régime alimentaire fait généralement référence à l’aliment le plus communément consommé mais aussi aux spécialisations anatomiques, en particulier la denture. La plupart des Primates passent entre 40 et 80 p. 100 de leur temps, au cours d’une année, à consommer une ou plusieurs des six catégories suivantes: insectes, gommes ou sèves, fruits, graines, feuilles (feuilles d’arbre) et «herbes».
Définir le régime d’une espèce par rapport à chacune de ces catégories n’est pas aisé. On peut notamment considérer le temps passé par les individus à ingérer différents aliments, ou bien analyser ce que les individus ont été vus prélever. Les résultats peuvent différer sensiblement. Quand on applique le terme «omnivore» à la denture des Primates pour désigner une absence de
spécialisation masticatoire, cela ne recouvre pas aussi aisément la nature et les quantités relatives d’aliments ingérés.
Les «insectivores», qui passent au moins 50 p. 100 de leur temps à manger des insectes, sont principalement des prosimiens (Tarsius , Mirza , Euoticus , Arctocebus , Daubentonia ). Ils complémentent leur régime par des fruits et/ou des gommes. Les individus du genre Mirza , considérés comme insectivores, recherchent les larves d’insectes durant la saison sèche, mais, en saison humide, ils se nourrissent d’aliments variés.
La gommivorie consiste dans l’ingestion de sèves ou de gommes sur les blessures des arbres. Les gommivores se rencontrent chez les Prosimiens (genres Microcebus , Phaner , Otolemur , Euoticus ) et chez quelques Platyrhiniens (Callithrix et Cebuella ). Le régime des gommivores est supplémenté par des insectes ou des fruits. Deux adaptations anatomiques sont associées à la gommivorie: la première facilite l’accrochage ou l’aggrippement sur les supports verticaux (Galago , Callithrix ), la seconde concerne la modification de la forme des incisives (Callithrix ).
La frugivorie est le régime le plus répandu chez les Primates. L’état de maturité du fruit qui est ingéré est difficile à apprécier pour l’observateur: l’apparent gaspillage des singes dans un arbre fruitier serait en fait la conséquence d’une grande sélectivité de cet état de maturité. Dans les fruits, les graines sont souvent la partie la plus appréciée, en particulier si elles sont accompagnées d’une arille (Gautier-Hion et al., 1981). Mais peu d’espèces apparaissent comme strictement frugivores; leur régime, comme on l’a vu précédemment, comprend, en plus, généralement des insectes ou des feuilles.
Les granivores recherchent spécifiquement les graines. Dans cette catégorie se trouvent une espèce du genre Colobus (Colobus satanas ) et probablement deux genres de Platyrhiniens (Pithecia et Chiropotes ).
La folivorie concerne les plus grands des Prosimiens (Lemur , Lepilemur , Indri ), des Platyrhiniens (Alouatta ) et des Catarhiniens (sous-famille des Colobinae ). Le singe doré du Yunnan (Rhinopithecus bieti ), qui habite dans les régions montagneuses de haute altitude (4 000 m) de la Chine et du Tibet, aux confins de la Birmanie septentrionale, présente la particularité de consommer les jeunes feuilles de conifères tout au long de l’hiver. Bien qu’en milieu tropical, dans certains types de forêts, les feuilles soient toujours disponibles, les folivores complémentent le plus souvent leur régime avec des fruits. Toutefois, la digestion des feuilles a entraîné dans plusieurs genres des spécialisations anatomiques, en particulier chez les Colobinés: leurs molaires présentent des arêtes tranchantes et, comme chez d’autres folivores, le gros intestin et/ou l’estomac sont allométriquement plus volumineux.
L’herbivorie ne se rencontre que chez des espèces adaptées à la terrestrialité comme le gelada (Theropithecus gelada ) et comme certaines espèces du genre Papio . Mais le régime des macaques (Macaca mulatta , M. sylvanus ), dans certains habitats de leur aire de répartition et/ou à certaines saisons, est massivement composé d’herbes de prairies rases. Pourtant toutes ces espèces, à l’exception du gelada, sont reconnues comme frugivores dans d’autres parties de leurs habitats.
Exploitation des ressources
Chez les Primates, les sources de protéines viennent en majorité des insectes. Mais la consommation de Vertébrés, petits batraciens, reptiles et oiseaux, n’est pas exceptionnelle (tarsier, cébidés, mangabeys, cercopithèques, macaques, hylobates). Les babouins et les chimpanzés peuvent à l’occasion se révéler prédateurs de jeunes antilopes et même de jeunes Cercopithèques (colobes, vervets). Seuls les Indridés et les Colobinés n’ont pas été vus consommer de matière animale.
Deux autres variables sont aussi à considérer dans l’attribution d’un type de régime à une espèce: les variations saisonnières voire journalières de ces régimes et la diversification des ressources en fonction de la superficie de l’aire exploitée. La variation journalière du régime dépend de la disponibilité des aliments et de la compétition interspécifique. De plus, la nécessité d’un compromis entre recherche alimentaire et protection contre les prédateurs représente une contrainte pour le choix alimentaire journalier. Ainsi la consommation de fruits mûrs est-elle particulièrement élevée le matin, les individus se mettant ensuite à la recherche des insectes (Gautier-Hion et al., 1981; Kinzey, 1977; Thorington, 1967; Robinson, 1984). La frugivorie soumet aussi les espèces à une variation de la disponibilité saisonnière des ressources, conduisant à une diversification corrélative du régime (qui tend plus ou moins vers l’insectivorie, e.g. Robinson, 1986). La variation saisonnière du régime peut également dépendre de contraintes physiologiques particulières comme cela est le cas pour les femelles allaitantes. Le régime alimentaire d’une espèce et a fortiori d’un genre varie selon les zones géographiques colonisées, en relation avec le facteur «disponibilité alimentaire» (Gautier-Hion, 1983). Le babouin, Papio cynocephalus , et le macaque rhésus, Macaca mulatta , dont les aires de répartition sont immenses, peuvent être classés comme herbivores dans certaines zones et frugivores dans d’autres. Le sifaka (Propithecus verreauxi ) colonise une forêt épineuse xérophyte dans le sud aride de Madagascar et une forêt luxuriante dans le nord-ouest humide; son régime est plus folivore dans le nord et plus frugivore dans le sud. De plus, il consomme essentiellement des feuilles matures dans le nord et immatures dans le sud (Richard, 1977). Les trois espèces sympatriques de Cercopithèques, Cercopithecus nictitans , C. cephus , C. pogonias , sont frugivores, avec des tendances vers l’insectivorie ou la folivorie selon le poids des espèces; elles vivent en association stable quelle que soit la disponibilité en fruits. Lorsque celle-ci diminue, au cours de la grande saison sèche, chaque espèce diversifie son régime mais de manière différente, diminuant ainsi d’autant la compétition interspécifique, en organisant le partage des ressources; les individus les plus lourds, les mâles hocheurs (C. nictitans ) et les mâles moustacs (C. cephus ), tendent alors à consommer plus de feuilles et relativement moins de fruits et d’insectes (Gautier-Hion, 1980).
La dispersion des ressources alimentaires, des points d’eau, en savane, des sites de repos diurne ou nocturne (zones offrant une protection contre certains types de prédateurs) et leur diversité conduisent les animaux à une exploration journalière d’une aire de leur habitat. Sa superficie est fonction de la taille des individus, de leur métabolisme, de la taille des groupes sociaux auxquels ils appartiennent, du caractère diurne ou nocturne de leurs activités et de l’intensité de la compétition intra – et interspécifique (y compris la prédation; e.g. Rasmussen, 1983; Oates, 1987).
5. Biologie sexuelle et reproduction
L’âge de la maturité sexuelle, la durée de l’intervalle entre les naissances constituent, avec d’autres, les paramètres des «profils biodémographiques» (life history des Anglo-Saxons).
La saisonnalité des naissances traduit celle des accouplements. Celle-ci est le plus souvent liée à des facteurs de l’environnement, et c’est pourquoi les cycles ovulatoires, saisonniers dans la nature, peuvent devenir continus dans les conditions constantes de la captivité (Otolemur , Bearder & Doyle, 1974). Chez les femelles Primates, l’ovulation est spontanée, marquée par l’œstrus dont les manifestations sont morphologiques et comportementales. Les œstrus sont généralement cycliques. La durée des cycles varie chez l’ensemble des Primates entre 11 et 55 jours (Hardy & Written, 1987). Cette durée est extrêmement variable parmi tous les niveaux taxonomiques mais aussi pour un même individu. Les Prosimiens possèdent les cycles les plus longs (24 à 55 jours – médiane 39 jours), les Platyrhiniens les plus courts (11 à 36 jours – médiane 20 jours). Chez les Catarrhiniens, cette durée fluctue autour de 25 à 40 jours (médiane 31 jours).
Chez les Primates, la durée de gestation est plus grande, relativement à leur poids, que celle de tous les autres Mammifères. Ce fait a été rapproché d’une part de la taille relative du cerveau et d’autre part de l’état de développement du nouveau-né (les jeunes précoces , capables de se mouvoir dès leur naissance, sont issus d’une plus longue gestation que ceux qui sont dits altriciaux , très dépendants à leur naissance). En réalité, il n’y a pas, dans l’ensemble que constituent les Primates, de relations simples entre tous ces facteurs (tabl. 3). La gestation est suivie, chez la plupart des Primates, à l’exception des Galagidés, d’une période d’aménorrhée souvent considérée comme équivalente à la durée de la lactation. Mais, chez les Cercopithécinés, cette dernière peut se prolonger bien au-delà de la reprise des cycles œstriens si la femelle n’est pas fécondée.
La durée de l’aménorrhée post-partum et du nombre de cycles non féconds précédant la fécondation constituent avec la durée de la gestation les composantes du paramètre démographique majeur, l’intervalle entre les naissances . Cet intervalle, rapporté à la durée de la vie sexuelle, détermine la fécondité globale d’une femelle, dont la variabilité dépendra éventuellement de facteurs saisonniers. L’existence d’un œstrus post-partum permet deux pics annuels de naissances (Prosimiens Microcebus , Platyrhiniens Cebuella ). Une stricte saisonnalité des naissances, lorsque celles-ci sont concentrées au cours d’une saison et absentes lors des autres, est due soit à des œstrus saisonniers (d’avril à juillet, lémur), soit à des accouplements restreints à quelques mois de l’année, avec ou non une modification des cycles œstriens (singe rouge et certaines espèces de macaques).
La saisonnalité est facultative lorsque les naissances sont simplement plus fréquentes à certaines périodes («pics» de naissance), mais peuvent survenir tout au long de l’année. Dans ce cas, la cyclicité des œstrus est continue, certains pouvant être non ovulatoires.
6. Structures sociales
Les systèmes d’accouplement dépendent en partie de la composition de l’unité reproductrice , constituant la cellule «féconde» de la structure sociale. Autrement dit, la structure sociale (fig. 2) se définit par le nombre de sujets adultes, mâles et femelles vivant ensemble, en permanence (Fedigan, 1982). L’unité reproductrice peut être le couple monogame ou groupe unimâle/unifemelle, le «harem» ou groupe unimâle/multifemelles, le groupe multimâles/multifemelles.
Chez les Prosimiens nocturnes, la socialité est définie par différentes modalités de recouvrements des domaines vitaux, voire des territoires (Bearder, 1987) au sens où un territoire est un domaine vital dont les frontières sont définies et défendues , ce qui ramène aux structures définies précédemment. Lorsque le territoire d’un mâle recouvre celui d’une seule femelle, on parle de structure monogame (Tarsius , Galago zanzibaricus , Phaner ), lorsqu’il recouvre celui de plusieurs femelles, on parle de structure polygyne rappelant la structure en harem. Dans ce second cas, ou bien les territoires des femelles sont eux-mêmes largement recouvrants entre eux (ce qui suppose l’existence d’une sous-structure matriarcale; Galago , Galagoïdes , Otolemur ), ou bien ils ne le sont pas, et c’est alors la polygynie stricte (Perodicticus , Arctocebus ). La structure sociale de l’orang-outan (Pongidé) s’apparente à celles des galagos (Prosimiens): les territoires des femelles se chevauchent et ceux des mâles, plus grands, recouvrent ceux de plusieurs femelles. Mais, chez l’orang-outan, la relativement grande taille des territoires des femelles empêche les mâles d’avoir un accès exclusif à plusieurs femelles et l’on observe une promiscuité des accouplements et non une structure de type harem.
Chez les Primates, la monogamie (structure unimâle/unifemelle) se rencontre quel que soit le niveau phylogénétique. Elle est de type «monogamie de fourragement» chez les Lémuriens nocturnes ou crépusculaires (Lemur mongoz , Hapalemur , Avahi , Tattersall, 1976) et chez le seul Platyrhinien nocturne, l’Aotus , chez lequel un mâle et une femelle, et des jeunes, se déplacent en groupe cohérent pendant la quête de nourriture. La monogamie permanente se rencontre chez des Prosimiens (Indri , Varecia , Propithecus diadema ), chez de nombreux Platyrhiniens (Cébidés – Callicebus , Pithecia ; Callithricidés – Callithrix , Cebuella ; Atelinés – Ateles seniculus ), chez tous les Hylobatidés [cf. ANTHROPOMORPHES], mais chez seulement trois espèces de Cercopithécidés, un Cercopithéciné africain (Cercopithecus neglectus , Gautier-Hion & Gautier, 1978) et deux Colobinés asiatiques (Presbytis potentziani et Nasalis concolor ).
La structure en harem (groupe unimâle/multifemelles) est commune chez de nombreux Colobinés (Colobus et Presbytis ), chez les Cercopithèques africains forestiers (Cercopithecus ), mais aussi chez le patas, Cercopithèque de savane. Elle se rencontre en outre chez le gorille [cf. ANTHROPOMORPHES]. Enfin la structure multimâles/multifemelles se rencontre dans tout l’ordre chez les espèces diurnes mais au sein de groupes disparates quant à leur taille et au rapport numérique entre les deux sexes (tabl. 2). La structure sociale des chimpanzés [cf. ANTHROPOMORPHES] est considérée comme une variante de la structure multimâles/multifemelles. Les espèces Papio hamadryas et Theropithecus gelada présentent une structure sociale stable à plusieurs niveaux («structure multiniveaux»); l’unité reproductrice de base est un «harem» avec de deux à cinq femelles qui est intégrée dans des «clans», associations de fourragement, et dans des «bandes», associations de sommeil. Chez l’hamadryas, la cohésion des harems est le fait du mâle, mais c’est celui des femelles chez le gelada. Des espèces considérées généralement comme monogames sont rencontrées parfois (de plus en plus souvent!) en grands groupes (Saguinus , Callithrix , Chiropotes , Ateles ), constitués chez les tamarins et les marmosets (Saguinus et Callithrix ), soit composés à partir d’un couple, qui prend dans ce cas rang de sous-unité (Izawa, 1978), et d’un grand nombre de leurs descendants, représentant plusieurs générations successives, donc une «famille élargie» (Terborgh, 1983; Fedigan, 1982), soit composés de plusieurs mâles et de plusieurs femelles dont une seule se reproduit dans un système d’accouplement polyandre (e.g. Cebuella ).
Au niveau même de l’espèce, la structure sociale n’est que probabiliste. L’ontogenèse des individus, la dispersion des ressources, la densité des populations sont susceptibles de modifier cette structure, et la pression de prédation influence la taille des groupes: on parle alors de «structure sociale modale», faisant référence à celle qui est le plus souvent rencontrée: par exemple, au sein d’une population de tamarins (Saguinus fuscicollis ), au cours de quatre années, la structure des unités sociales a varié entre le type monogame (22 p. 100 du temps), le type polyandre (61 p. 100), le type multimâles/multifemelles (14 p. 100), et la constitution de groupes unisexués, mâles et femelles (3 p. 100 du temps; Terborgh & Goldizen, 1985; Goldizen, 1987). Chez le mangabey à joues blanches, en Ouganda et au Gabon, 17 p. 100 des groupes rencontrés sont des harems et 83 p. 100 des groupes multimâles/multifemelles, dont 40 p. 100 contiennent trois mâles adultes (Deputte, 1987). Certaines transitions sont toutefois plus probables que d’autres; celle entre structure unimâle/multifemelles et multimâles/multifemelles, chez une même espèce, peut avoir plusieurs origines. Elle peut résulter d’une «séquence ontogénétique», c’est-à-dire que pendant une certaine période les fils adultes du seul mâle reproducteur restent au sein de leur groupe de naissance (Alouatta , Colobus guereza , Presbytis , Gorilla ). Elle peut résulter encore du nombre de femelles adultes (Andelman, 1986), ou dépendre de la densité de la population car, lorsque la densité est faible, les structures en harem sont les plus probables et, lorsque la densité croît, cette structure tend à être remplacée par des groupes multimâles/multifemelles (Boggess, 1980; Presbytis ), par suite des contraintes écologiques, telles que la concentration des ressources ou la pression de prédation (Van Schaik & Van Hooff, 1983). Chez les Atèles (Platyrhiniens), les groupes comprennent de quinze à vingt individus, mais sont constamment fragmentés en sous-groupes constitués soit de couples d’adultes, soit de mères accompagnées de leurs jeunes, la taille de ces sous-groupes variant avec l’augmentation des ressources (Van Roosmalen, 1980). Les grands groupes de Colobes bais représenteraient aussi une coalescence, écologiquement opportuniste, de structures plus réduites (Struhsaker, 1975). Quant au niveau supérieur de groupement des geladas (herd , Dunbar & Dunbar, 1975), il représente plus une agrégation temporaire qu’une unité sociale fondée sur une organisation de relations à l’intérieur du groupe.
Il se pose alors le problème de la stabilité ou au contraire de la fluidité des groupes sociaux. La stabilité fait référence au niveau d’individualisation, et donc à l’existence d’une relation «personnalisée» entre les membres du groupe. À cet égard, il semble que les groupes de Lémuriformes (Indri , Lemur , Propithecus verreauxi , Jolly, 1966), ceux de Brachyteles représentent plus une forme de grégarisme qu’une structure organisée «de l’intérieur». Toutefois, il est souvent difficile de distinguer entre la fluidité d’une structure et une simple tendance au groupement. La fluidité implique en fait pour chaque individu la connaissance des autres membres de la «communauté». Le caractère de leur interaction ne peut plus alors être considéré comme seulement aléatoire ou opportuniste. C’est sur ce mode que fonctionne la communauté des chimpanzés où la fluidité de la structure sociale est en fait une expression de l’extrême développement de leurs capacités psychiques [cf. ANTHROPOMORPHES].
Il faut signaler enfin l’existence de troupes polyspécifiques aussi bien chez les Cercopithèques africains (Gautier & Gautier-Hion, 1969) que chez des singes sud-américains (Terborgh, 1983). Ces troupes paraissent s’organiser plus en fonction de contraintes écologiques (meilleure exploitation des ressources, meilleure protection contre les prédateurs) que de contraintes «sociales» impliquant une organisation interne (individualisation des partenaires quelle que soit l’espèce, réseaux de relations sociales polyspécifiques). Néanmoins, la plus grande familiarisation interspécifique au sein de ces troupes peut modifier l’importance des barrières comportementales à l’hybridation.
7. Dynamique des groupes sociaux
Chez les Primates, les groupes sociaux les plus cohérents ne constituent pas néanmoins des structures fermées: la dynamique sociale est une fonction de la «socialisation», en particulier de la nature de l’ensemble des réseaux de relations (Deputte, 1987): ainsi l’absence d’antagonisme intrasexuel conduira au maintien des jeunes mâles et femelles auprès du couple monogame et à la création des «familles élargies» chez les Callithricidés (cf. chap. 6) et chez les Cébinés (Abbott & Hearn, 1978).
Chez la plupart des Cercopithécinés, mais aussi chez certains Platyrhiniens (Saimiri ) et Prosimiens (Lemur catta ), l’émigration affecte principalement les mâles. Elle ne prend pas nécessairement la forme d’une éviction forcée et peut aussi résulter d’attraction vers des groupes adjacents (Deputte, 1987). Elle est le plus souvent consécutive à une périphéralisation progressive des mâles se regroupant en sous-groupes d’individus affiliés ou non (vervet-Cercopithecus aethiops ; Cheney & Seyfarth, 1983). L’émigration des mâles est une «nécessité» de la perpétuation des structures en harem, mais elle existe aussi de manière générale dans les structures multimâles/multifemelles. Dans les deux cas, il y a apparition de mâles solitaires. Ces mâles peuvent se regrouper en troupes composées uniquement de mâles (mâles immatures chez les macaques japonais, Sugiyama, 1976), cette tendance étant plus marquée chez des mâles issus des harems quel que soit leur âge (Erythrocebus , Theropithecus , Presbytis ). Chez les espèces solitaires, aussi, les mâles émigrent (Prosimiens – Galago , Perodicticus ; Anthropoïdes – Pongo ). L’émigration et plus particulièrement le transfert des femelles , c’est-à-dire une émigration du groupe natal suivie d’une immigration dans un autre groupe, est une constante au sein de plusieurs espèces voire aussi de genres, quelle que soit la structure sociale (Moore, 1984); c’est le cas dans les structures multimâles/multifemelles des Platyrhiniens (Alouatta , Ateles , Brachyteles , Chiropotes , quelques espèces de Cebus ), de quelques Catarhiniens (Colobus badius , Macaca radiata , Papio ursinus ) et dans les communautés de chimpanzés. Mais c’est aussi le cas chez certaines espèces de Colobinés présentant une structure «modale» en harem (Presbytis , Pygathrix ). Enfin l’émigration des mâles et des femelles, qui est la règle pour la perpétuation des structures monogames (Hylobatidés, Callithricidés), est aussi mentionnée chez des espèces vivant en groupes multimâles/multifemelles (Prosimiens – Propithecus verreauxi ; Platyrhiniens – Alouatta ; Catarhiniens – Colobus badius ) ou en harem (Papio hamadryas , Gorilla ).
La dynamique sociale peut aussi se manifester à un niveau supra-individuel dans les phénomènes de coalescence (cf. supra ) ou de «fusion-fission» de groupes ou de sous-groupes. Ces deux derniers cas sont liés soit à des facteurs écologiques (fusion, Dittus, 1987), soit à des facteurs sociaux en relation ou non à l’exploitation des milieux (fission, Cords & Rowell, 1986). Ces différentes modalités de dynamique sociale assurent d’une part la pérennité des structures des unités reproductrices et d’autre part un flux génétique au sein des populations assurant par l’évitement de l’inceste un faible taux de consanguinité (Deputte, 1987).
8. Ontogenèse
Dans quarante genres sur les cinquante que contient l’ordre des Primates, les femelles ne mettent au monde qu’un jeune à la fois . Toutefois, les naissances gémellaires voire celles de triplés sont la règle chez des Prosimiens (Tarsius spectrum , les Cheirogaleidés, les Galagidés, à l’exception de Phaner et Euoticus , les Mégaladapidés et un Lémuridé, Varecia ) et chez les Callithricidés sud-américains (à l’exception de Callimico ).
La durée de la gestation , chez les Mammifères placentaires, est considérée comme représentant un compromis entre le volume du cerveau du nouveau-né (donc de sa tête) et la taille du bassin (canal pelvien) de la mère ou encore entre le poids du cerveau du nouveau-né et le poids de la mère (Passingham, 1985). Le rapport poids du nouveau-né/poids de la mère est d’environ 5 p. 100 chez les Prosimiens et les Anthropoïdes (2,4 à 9 p. 100), 6 p. 100 chez les Colobinés, 8 p. 100 chez les Cercopithécinés et chez l’Homme et 9 p. 100 chez les Platyrhiniens (7 à 11,5 p. 100). Plusieurs exceptions sont notables: elles concernent les tarsiers chez lesquels le poids du jeune atteint environ 16 p. 100 du poids de la mère et surtout le saimiri (Platyrhinien-Cébidé) et le talapoin (Catarhinien-Cercopithéciné) chez lesquels ce rapport atteint 20 p. 100.
En ce qui concerne la précocité du jeune à la naissance, les Primates ont des petits (relativement) précoces dans la mesure où, à leur naissance, ils sont couverts de poils, capables de certaines potentialités de perception et de motricité, comme s’accrocher à la fourrure de la mère et redresser la tête en direction de la mamelle. La précocité dépend essentiellement de la croissance cérébrale fœtale . Le poids du cerveau des Prosimiens à leur naissance représente entre 21,1 et 48 p. 100 du poids du cerveau adulte. Ce rapport varie de 36,6 à 58 p. 100 chez les Platyrhiniens, de 43 à 60 p. 100 chez les Catarhiniens et de 31,2 à 50,7 p. 100 chez les Anthropoïdes, l’Homme possédant le plus faible rapport parmi les Primates supérieurs avec 30,7 p. 100.
Mais la précocité à la naissance est aussi associée à une lenteur du développement postnatal : les Prosimiens, les moins précoces à la naissance, présentent le développement le plus rapide de l’ensemble des capacités sensorimotrices, l’Homme ayant le plus lent.
Prise en charge des jeunes
À la naissance, les jeunes Cercopithécidés (macaque) présentent des réflexes bien développés (réflexe de Babinski, de Moro, de succion, de saut, de marche quadrupède, etc., Taylor et al., 1980). Néanmoins, au cours des premières semaines, ils sont incapables de se mouvoir seuls et doivent être transportés par la mère (ou un autre congénère).
Chez les Galagidés, ce transport ne s’effectue que lors de perturbations; le reste du temps, les jeunes restent dans le nid ou sont «parqués», par la mère, à proximité des zones où elle «fourrage» (aussi chez Perodicticus et Arctocebus ). Pour transporter le jeune, celle-ci saisit dans sa bouche un pli abdominal du jeune. Ce mode de transport se rencontre aussi chez un tarsier, chez Varecia et chez Lepilemur , autres espèces utilisant des nids pour leurs jeunes.
Mais chez les Lorisidés et chez tous les autres Primates, dès sa naissance, le jeune est capable de s’accrocher à sa mère, le plus généralement sur le ventre. À leur naissance, les jeunes saimiris sont capables de se tenir quelque temps suspendus par la queue, capacité qui disparaît chez l’adulte. À l’opposé, chez les hurleurs (Alouatta ), la queue ne devient préhensile que vers un mois. Chez la plupart des espèces possédant une queue et chez lesquelles le jeune est, dès sa naissance, au contact permanent de sa mère, sa queue s’enroule autour du corps de cette dernière.
Modification de l’aspect du jeune
Le jeune naît couvert d’une fourrure plus ou moins éparse mais, de plus, chez de nombreuses espèces, la peau nue n’est pas mélanisée (pigmentée en sombre) et la couleur du pelage du jeune contraste avec celui de l’adulte (Alley, 1980; Moore, 1984). Il est soit plus clair, blanc crème, jaune ou orangé chez des espèces où les adultes ont le pelage noir ou plus ou moins sombre (la plupart des espèces du genre Presbytis et Colobus , une espèce du genre Macaca – Macaca arctoides , et Cercopithecus neglectus ), soit plus foncé (deux espèces du genre Presbytis , plusieurs espèces du genre Papio et du genre Macaca ). La modification du pelage s’opère au cours des premiers mois, voire tout au long de la première année. Dans le genre Presbytis , les jeunes nés avec un pelage clair mettent entre trois et dix mois, selon les espèces, pour présenter le pelage adulte, les colobes de deux à sept mois. Chez les babouins Papio anubis et P. cynocephalus , le passage du pelage noir du nouveau-né au pelage gris doré de l’adulte est terminé vers le sixième et le neuvième mois respectivement (Ransom & Rowell, 1972; Altmann et al., 1982). Ce type de transition est plus rapide chez les macaques (trois mois chez le magot, Burton, 1972). La mélanisation de la peau du jeune s’effectue plus ou moins rapidement selon les régions du corps et selon les espèces: chez le mangabey à joues blanches, dont les adultes ont la peau totalement noire, la face du jeune, d’abord rose, devient grise vers cinq mois, mais n’est complètement noire qu’au-delà de un an. Chez les gibbons concolor, le pelage du jeune passe de la couleur crème à la couleur noire au cours de la première année, puis les femelles connaissent à nouveau un changement graduel de la couleur de leur fourrure vers leur maturité sexuelle (Deputte & Leclerc-Cassan, 1982). L’iris de l’œil change aussi de couleur au cours du développement, passant du sombre au clair et à la teinte marron définitive vers trois mois chez Macaca sylvanus et M. fascicularis et Lophocebus albigena (Burton, 1972; Thommen, 1982; Deputte, 1986).
Dentition
L’éruption des dents peut commencer dès avant la naissance (Hill, 1966), mais ne s’achève qu’au cours des premiers mois, vers trois mois chez les cercopithèques (Cercopithecus aethiops ), vers quatre mois et demi chez les macaques, entre trois mois et demi et six mois chez le saimiri (Cébidé), entre six mois et un an chez le babouin et vers un an chez l’orang-outan. L’éruption de la dentition lactéale est en particulier trois fois plus précoce chez le babouin que chez l’homme. La séquence d’éruption des dents décidues et/ou définitives est une constante du genre et/ou de l’espèce (Swindler, 1976). La dentition permanente se met progressivement en place chez les Simiens en commençant par la première molaire qui apparaît dès cinq mois chez Saimiri (Cébidé), mais au-delà de un an chez de nombreux autres genres et au-delà de trois ans et demi chez l’orang-outan. La dentition permanente n’est complète qu’après l’éruption des canines chez les Platyrhiniens (Saimiri , deux ans, Cebus et Lagothrix quatre ans et demi) et après l’éruption de la troisième molaire chez les Catarhiniens (Papio , six ans, Macaca , six ans et demi, Pongo , neuf-dix ans), comme chez l’homme. Toutefois, contrairement à l’homme, chez les Catarhiniens, les canines définitives apparaissent tardivement juste avant les troisièmes molaires.
Psychomotricité
Le développement des capacités motrices est très variable selon le niveau phylogénétique et est partiellement une fonction inverse de la précocité à la naissance (cf. supra ). L’ensemble du développement sensori-moteur est réalisé vers six mois chez le macaque, ce qui représente un développement quatre fois plus rapide que chez l’enfant humain (Parker, 1977). Ce coefficient est aussi mis en évidence en ce qui concerne le développement des capacités perceptives visuelles (Boothe et al., 1980): les capacités d’acuité visuelle, de sensibilité aux contrastes sont en place vers le quatrième mois chez les Catarhiniens (Macaca ).
Vitesse du développement postnatal
La période d’immaturité, sur le plan des développements somatique, psychologique et physiologique présente une durée croissante, en valeur absolue et relative, des Prosimiens jusqu’aux Anthropoïdes. Deux critères permettent d’évaluer la vitesse du développement postnatal: ce sont la croissance pondérale et l’âge de la maturité sexuelle qui en est plus ou moins dépendante.
En ce qui concerne la croissance pondérale , le galago double son poids de naissance en une semaine, les lémurs en moins de un mois, le singe rouge – patas –, Cercopithéciné de savane, en un mois et demi, les lophocèbes en deux mois et les macaques et les babouins en trois mois. Parmi les Anthropoïdes, si le jeune gorille atteint ce seuil en deux mois, le jeune orang ne l’atteint qu’à six mois. Quel que soit le gain de poids nécessaire pour atteindre le poids adulte, les Prosimiens l’atteignent dans un délai de deux à trente fois plus court que chez les Simiens.
Chez tous les Catarhiniens et chez les Anthropoïdes, l’adolescence est marquée, comme chez l’homme, par la présence d’une «crise de croissance»; mais sa relation avec la puberté est controversée (Watts & Gavan, 1982). Chez les mâles de Cercopithécinés, l’accélération de la croissance pondérale est concomitante de celle des canines, au cours de la troisième ou de la quatrième année (Gautier-Hion & Gautier, 1976; Glassman et al., 1984; Spiegel, 1984; Brizzee & Dunlap, 1986; Deputte, 1986), précédant la maturité sexuelle proprement dite. Les femelles de babouins, de chimpanzés et de certaines espèces de macaques (e. g. Macaca mulatta ) connaissent, elles aussi, une accélération de la croissance qui, dans les deux premiers cas, est corrélée à l’apparition des premiers cycles œstriens (ménarche), mais qui lui est postérieure dans le dernier cas (Watts & Gavan, 1982; Glassman et al., 1984; Brizzee & Dunlap, 1986). Chez d’autres espèces de macaques et chez les mangabeys, la croissance pondérale des femelles se ralentit constamment depuis la première enfance (Spiegel, 1984; Deputte, 1986), mais, comme chez les autres espèces et plus encore que chez les mâles, elle se prolonge au-delà de la maturité sexuelle.
La maturité sexuelle des Catarhiniens est clairement marquée, chez les femelles, contrairement à celle des mâles, par un seul événement: la première intumescence de la «peau sexuelle» ou les premières menstruations. Chez les Callithricidés et certains Cébidés, où il n’y a pas de flux menstruels, les manifestations des premiers œstrus ne sont que de nature comportementale. Chez les mangabeys, la première intumescence apparaît à des âges variables (trois ou quatre ans), mais pour des poids peu variables (4,9 + 0,2 kg). La ménarche chez les Cercopithecoidea et les Hominoidea est généralement suivie par une période de «stérilité d’adolescence» qui peut être liée au fait que la croissance pondérale n’a pas atteint un seuil suffisant. La différence des modes de croissance, chez les Simiens, entre mâles et femelles conduit à un dimorphisme sexuel pondéral plus ou moins marqué (Shea, 1986). Parmi les Cercopithécinés, le singe de Brazza (Cercopithecus neglectus ), le cercocèbe agile (Cercocebus galeritus ) et le singe rouge (Erythrocebus patas ) présentent le dimorphisme le plus élevé, le poids de la femelle ne représentant qu’environ 55 p. 100 du poids du mâle. À l’opposé, le talapoin (Miopithecus talapoin ), le magabey à joues blanches (Lophocebus albigena ) et le moustac (Cercopithecus cephus ) présentent de faibles dimorphismes pondéraux (poids des femelles/poids des mâles entre 71 et 81 p. 100; Gautier-Hion, 1975). Entre les espèces, ces différences proviennent soit d’une différence de taux de croissance lorsque les adultes sont matures à des âges analogues, soit de la précocité de la maturité sexuelle chez les femelles (cas du patas où les femelles sont matures dès deux ans et demi). Les mâles de Cercopithécinés atteignent généralement leur maturité sexuelle deux, trois ou cinq ans plus tardivement que les femelles. Le dimorphisme plus grand des gorilles par rapport aux chimpanzés provient à la fois d’un taux de croissance plus élevé chez les gorilles, mais aussi d’une augmentation du «bimaturisme sexuel», c’est-à-dire de la maturation plus précoce d’un sexe par rapport à l’autre: les femelles gorilles sont plus précoces que les femelles chimpanzés, mais la maturité des mâles gorilles est atteinte seulement deux ans après celle des mâles chimpanzés (Shea, 1986).
9. Socialisation des jeunes
Quelle que soit sa durée, la phase d’immaturité se déroule toujours dans un environnement social défini par la structure et l’organisation sociale de l’espèce (ou du groupe), la vitesse de maturation des jeunes, le nombre de jeunes par parturition, et par des paramètres de la reproduction tels que l’intervalle entre les naissances (fonction de la durée de la gestation, de l’aménorrhée post partum et du nombre de cycles infertiles). C’est au cours de cette phase d’immaturité que s’effectuera l’essentiel de la «socialisation», processus par lequel le jeune Primate acquiert les capacités d’expression , plus ou moins spécifiques, les capacités de perception et met en place un réseau de relations sociales temporaire ou permanent. La dynamique de ce réseau permettra, en dernier lieu, la perpétuation de la structure sociale, mais sera aussi susceptible d’engendrer des variantes de ces structures, éléments essentiels d’adaptabilité.
Le concept de socialisation recouvre donc tous les processus d’apprentissage social permettant la création et le maintien d’un «lien» interindividuel. À propos de cet «attachement», la précocité des jeunes Primates conduit à la création, dès la naissance, d’un contact entre la mère et son jeune d’une intensité et d’une durée exceptionnelles, au cours duquel le jeune est transporté et peut s’alimenter; un tel contact est générateur de dépendance physiologique et affective. La socialisation est marquée par le développement d’une prise d’indépendance du jeune par rapport à sa mère et simultanément par le développement des interactions avec les autres membres du groupe . L’importance de la socialisation croît bien évidemment avec le degré de socialité des espèces mais aussi avec la vitesse du développement cérébral, qui globalement décline des Prosimiens aux Anthropoïdes.
L’existence d’un groupe social quelle qu’en soit la cohérence témoigne de la permanence de réseaux de relations privilégiées qu’on appelle «liens» sociaux. Elle conduit à adopter une approche «systémique» de la socialisation: c’est-à-dire d’envisager que tous les membres du groupe participent d’une manière ou d’une autre, mais nécessairement individualisée et dépendante des autres partenaires, aux apprentissages du jeune, qu’ils soient d’ordre social ou non social (Deputte, 1986).
La prise d’indépendance du jeune par rapport à sa mère ne constitue pas chez les Primates diurnes une rupture mais une phase d’«équilibration» des relations sociales, la mère ne représentant plus le pôle unique. Toutefois la diminution des contacts physiques entre une mère et son jeune ne signifie pas nécessairement une émancipation affective, comme en témoigne l’existence de périodes de régression comportementale (Horwich, 1974; Deputte, 1986): lorsque la mère met au monde un nouveau-né, l’aîné qui venait juste de manifester une certaine indépendance recherche de nouveau une proximité étroite avec sa mère. De même, alors qu’il avait accru de lui-même la distance qui le séparait de celle-ci, il manifeste vigoureusement, gestuellement et vocalement, et lutte pour rétablir ou établir ce contact lorsque la mère, vers six ou huit mois, lui refuse ce contact et le repousse. En fait, le terme de «sevrage», chez les Primates, n’est pas réductible à l’arrêt de la lactation. Il recouvre l’ensemble des comportements maternels qui tendent à promouvoir la distanciation du jeune; on parle alors de processus de sevrage . Les jeunes Primates commencent à prendre des aliments solides précocement (Prosimiens: Lorisiformes trois semaines, Lémuriformes un mois et demi à deux mois; Platyrhiniens entre trois semaines et quatre mois; Catarhiniens deux à quatre mois; Anthropoïdes de six à huit mois); mais, pour un jeune Primate et plus particulièrement un Catarhinien, le fait de ne plus dépendre de la nutrition lactée ne signifie pas pour autant l’abandon de la mamelle, qui n’intervient définitivement qu’à la naissance du cadet. Toutefois, l’aîné peut recommencer à têter, au-delà de un an chez les Cercopithécidés, si la mère ne met pas au monde un autre jeune ou si celui-ci meurt précocement. La lactation peut ainsi se prolonger alors que les cycles œstriens de la mère ont repris, voire lorsque celle-ci est gestante. Au-delà de six mois, la prise de la mamelle n’a plus de fonction nutritionnelle mais une fonction psychologique liée à l’«attachement». Les jeunes cercocèbes et macaques peuvent maintenir ce type de contact au-delà de deux ans et les jeunes chimpanzés jusqu’à cinq ans (Clark, 1977; Fedigan & Fedigan, 1977; Deputte, 1986).
Le rôle de la mère dans la transition nutritionnelle ne se limite pas à repousser le jeune car, en maintenant ou en tolérant une proximité étroite avec son jeune, elle rend possible, par des apprentissages par observations, la sélection des aliments qu’il sera amené à consommer.
L’apparition des processus de sevrage est précoce et graduelle. Ils s’intensifient, très généralement, lorsque les cycles œstriens de la mère reprennent et/ou lorsque la production lactée diminue (sans nécessairement s’interrompre) entre le quatrième et le huitième mois chez les Cercopithécidés. L’intensité de ces processus de sevrage est d’autant plus forte que l’organisation sociale est de type coercitif: ainsi, chez les macaques à queue de cochon (Macaca nemestrina ), l’organisation sociale est très hiérarchisée et les comportements de rejets sont intenses alors que chez les macaques à bonnet (Macaca radiata ), au contraire, l’organisation est très «affiliative» et la prise d’indépendance du jeune se fait sans heurts (Rosenblum & Kaufman, 1967).
Conséquences de la relation mère-jeune
Même après l’abandon total de la mamelle, la relation mère-jeune ne subit qu’un changement qualitatif, dans la mesure où la mère reste pour le jeune l’individu de référence dans la construction de son propre réseau relationnel . L’issue des interactions, en particulier celles qui ont un caractère compétitif, sera fortement dépendante des relations de la mère avec l’antagoniste, selon qu’elle transmettra à son jeune un pouvoir coercitif obligeant l’adversaire à fuir ou qu’elle incitera par son exemple, au contraire, son jeune à fuir. Cette importance de la mère dans les groupes hiérarchisés, avec l’existence de lignées maternelles , amène les phénomènes de «parentèle» (kinship ; cf. Berman, 1985), tels que, chez les Cébidés monogames, les jeunes, au-delà de leur maturité sexuelle, restent auprès des parents. Dans le cas du jeune orang-outan, la mère sera le seul «agent socialisateur» permettant au jeune orang de développer des capacités cognitives très élaborées.
Dans tous les groupes sociaux de Primates, depuis les Lémuriens jusqu’aux chimpanzés, le jeune constitue un pôle d’attraction pour tous les individus adultes ou jeunes, mâles ou femelles. Mais ce sont ces dernières qui, généralement, manifestent le plus ouvertement leur intérêt. Chez les Colobinés (Presbytis , Colobus ; McKenna, 1979), chez certains macaques (e.g. Macaca radiata ), chez les patas et chez certains lémurs (Lemur catta , Sussman, 1977), dès les premiers jours ou au cours des premières semaines, le jeune est transféré de femelle en femelle ou est pris en charge plus particulièrement par l’une ou quelques-unes d’entre elles. La réunion de la mère et de son jeune est à l’initiative exclusive ou conjuguée de ces trois participants, la «tante», la mère ou le jeune. Mais, dans certains cas, cette réunion peut ne pas avoir lieu et la prise en charge du jeune s’apparente alors à un «kidnapping».
Le rôle des femelles adultes comme «substituts maternels» (à l’exception de la nutrition dans la très grande majorité des cas) prendra une valeur essentielle au moment des conflits les plus sévères entre la mère et son jeune (vers le huitième mois, chez les Cercopithécidés). La présence d’autres femelles que la mère peut dans certains cas aider le jeune à surmonter le traumatisme de la séparation (Thierry & Anderson, 1987; Deputte, 1988).
Degré de l’«attachement»
L’intensité et la précocité du contact mère-jeune, la valeur primordiale d’«assurance» puis de «réassurance» que revêt la mère, entraînent que l’attachement du jeune à son égard est d’une nature particulière, plus intense, toujours différente de celle que peuvent revêtir les autres attachements («secondaires») que le jeune peut contracter. Cette nature différente peut être appréciée par les réactions du jeune à la séparation de sa mère ou d’autres «objets» d’attachement, femelle ou mâle adulte.
Chez les Primates, les données expérimentales concernant ces séparations ne portent que sur quelques espèces (macaques – rhésus, à queue de cochon, à bonnet –, langurs, saimiris, Anthropoïdes). La réponse du jeune à la séparation d’avec sa mère est essentiellement biphasique comme celle que Bowlby (1960) a décrite chez l’enfant humain: une première phase de «protestation» (débauche locomotrice, vocalisations) puis une deuxième phase de «désespoir» (repliement sur soi). Ces réponses sont toujours moins intenses ou moins durables lorsque le jeune est «attaché» à une femelle adulte autre que sa mère, à une «mère artificielle» (Deputte, 1988) ou à un mâle adulte (Redican, 1976).
Rôle des mâles
Le rôle socialisateur des mâles adultes est particulièrement variable, dépendant à la fois de la structure (unimâle ou multimâles) et de l’organisation sociale. Chez de nombreuses espèces, quelle que soit l’intensité des relations mâle adulte-jeune, si ce dernier est en détresse, qu’il le manifeste (vocalement) ou non, les mâles font face au danger potentiel quel qu’il soit. La rareté des interactions entre les mâles adultes et les jeunes ne traduit pas nécessairement de l’indifférence de la part des premiers. Ces interactions présentent soit un caractère de substitut de soins maternels, soit un complément de ces soins (Snowdon & Suomi, 1982). Dans le premier cas, un mâle assure le transport et la protection du jeune, sous la forme d’un contact étroit, pendant la majorité du temps d’activité, le jeune ne retrouvant la mère que pour s’alimenter. Toutefois, dès que le jeune commence à s’intéresser aux aliments solides, le mâle permet, voire initie, des échanges de nourriture (Whitten, 1987). Ce rôle considérable est observé chez les Callithricidés (Callimico , Callithrix , Cebuella , Saguinus , Leontopithecus ), chez certains Cébidés (Aotus , Callicebus ). Dans tous ces genres, la structure sociale est de type monogame (unimâle/unifemelle) ou polyandre (multimâles/unifemelle) et, dans ce dernier cas, le mâle s’occupe du jeune, qu’il en soit ou non le père (Whitten, 1987). La monogamie n’implique pas l’intérêt du père pour sa progéniture. Les mâles des espèces monogames de Prosimiens (Tarsius , Varecia , Indri , Lemur macaca , L. fulvus ), de Cercopithécidés (Cercopithecus neglectus , Presbytis potentziani , Nasalis concolor ) et d’Hylobatidés sont la plupart du temps seulement tolérants à l’égard de leurs jeunes et n’interagissent que rarement avec eux. Seul le siamang (Hylobatidé – Symphalangus syndactylus ) fait exception. Mais, dans ce cas, la participation active du père ne débute que lorsque la mère, qui jusque-là avait assuré seule les soins au jeune, pendant un an, commence à le rejeter. Le père passe alors jusqu’à 78 p. 100 de la journée à épouiller et à transporter son jeune (Chivers, 1974) et ces interactions privilégiées ne cessent que lorsque le jeune a deux ans. Chez les Cercopithécidés, le magot (Macaca sylvanus ) occupe une place à part du fait de l’intensité des interactions entre les mâles adultes et subadultes et les jeunes. Ces interactions, qui sont plus de type «complémentaire» que «substitutif», débutent quelques jours seulement après la naissance, par des contacts et des tentatives de contact. Elles sont indépendantes de l’affiliation entre les deux partenaires et se raréfient lorsque les jeunes sont âgés de cinq à sept mois (Taub, 1978). Chez d’autres espèces de Platyrhiniens et de Catarhiniens, les interactions mâles adultes-enfants se limitent à des proximités privilégiées voire, occasionnellement, à du jeu et à de l’épouillage. Les transports et les contacts plus étroits sont de caractère événementiel et/ou varient en intensité selon les mâles.
Il existe souvent une préférence des mâles adultes pour les jeunes mâles (Whitten, 1987). Mais, chez le macaque japonais et chez le babouin hamadryas, leurs préférences vont aux jeunes femelles: de la part des mâles subadultes, voire juvéniles, il s’agit de véritables adoptions précoces qui constituent l’ébauche de la création d’une nouvelle unité sociale («harem»; Kummer, 1968). Dans la majorité des cas, si les mâles adultes sont primitivement attirés par les jeunes mâles, leur relation évoluera ultérieurement, progressivement, vers un antagonisme marqué, permanent ou cyclique, qui aboutira à la périphéralisation et/ou à l’émigration de ces derniers. Quelle que soit la structure sociale, il apparaît que lorsqu’une relation privilégiée, plus ou moins étroite, s’établit entre un mâle adulte et un jeune, cette relation est le prolongement, la conséquence, d’une relation également privilégiée entre ce mâle et la mère du jeune. Ce dernier percevra alors comme «père» d’abord un «père comportemental» qui pourra être ou non un «père biologique» (Deputte, 1986 b). Les mâles adultes, le plus souvent, jouent aussi un rôle indirect, non affectif, dans la socialisation du jeune: les couples monogames sont territoriaux et le père, en participant (le plus souvent au même titre que la mère) à la défense de ce territoire, assure à la fois la protection physique du jeune et celle des ressources nécessaires à son développement. De même, chez les babouins ou les lophocèbes, dont la structure sociale est de type multimâles, l’organisation spatiale des groupes lors de leurs déplacements démontre le rôle de protection physique , indirect, des mâles à l’égard des enfants: les mâles occupent les premières et les dernières places dans l’ordre de progression (Altmann, 1979; Waser, 1985).
Interactions entre immatures
La mère joue un rôle indirect primordial dans la socialisation du jeune, qui est de lui procurer des immatures aînés ou cadets. Le nombre et l’âge de ceux-ci dépendent à la fois de la structure sociale, pour les immatures qui ne lui seraient pas affiliés, et des paramètres biologiques, tels que le nombre de jeunes mis au monde simultanément, l’intervalle entre les naissances (fonction de l’existence ou non de saisonnalité), la vitesse de maturation des jeunes et aussi le sex-ratio à la naissance. Ainsi, malgré l’organisation territoriale, le jeune galago sera, à coup sûr, en présence d’un immature (de même âge) au cours de son ontogenèse. À l’opposé, le jeune orang-outan sera soit seul avec sa mère, soit en présence d’un frère ou d’une sœur aînés, très temporairement du fait de sa vitesse de maturation.
Le développement moteur et sensori-moteur du jeune s’opérant au cours de l’exploration du milieu qui l’environne, cette exploration présente, le plus souvent, un caractère ludique . C’est-à-dire, en fait, qu’elle ne paraît pas avoir d’autres fonctions que celles d’un «exercice sensori-moteur» sans «sanctions» immédiates: «jouer» avec un aliment ou le mordiller n’implique pas sa consommation. La locomotion, souvent exubérante, n’est pas nécessairement finalisée. Or l’environnement du jeune contient aussi souvent d’autres sujets immatures qui deviennent ainsi des partenaires privilégiés dans la mesure où ils partagent cet «état juvénile». Miller et Nadler (1981) ont comparé le développement du jeu social et du jeu solitaire entre de jeunes chimpanzés et de jeunes orangs-outans captifs, tous élevés seuls avec leur mère (qui est, chez ces Anthropoïdes, contrairement à ce qui se passe très généralement chez les autres Primates, un partenaire de jeu privilégié). À partir de cinq mois, alors que le jeu social avec la mère reste identique chez les jeunes des deux espèces, le jeu solitaire du jeune orang-outan se développe considérablement plus. Ces différences rendent compte, en fait, de celles des processus de socialisation des jeunes de ces deux espèces. Le jeune chimpanzé serait plus «orienté socialement», développant des attachements affectifs plus importants; pour le jeune orang, le milieu naturel serait susceptible de fournir une grande partie des stimulations nécessaires à son développement.
Dans le cas des babouins et aussi chez de nombreux autres Cercopithécidés, les jeunes préfèrent jouer avec les individus de même âge et aussi souvent avec les jeunes de même sexe. C’est au cours de ces interactions ludiques que tend à s’exprimer le dimorphisme sexuel comportemental : les jeunes mâles tendent à initier des jeux de contact (corps à corps, lutte), les jeunes femelles, des jeux de fuite-poursuite (Fedigan, 1972). On trouve dans ces interactions la nature différente des interactions agressives entre adultes: les mâles se font face en combattant, au paroxysme de l’interaction, les femelles entre elles se poursuivent; celles qui fuient finissent par s’immobiliser et subir l’agression.
Mais le jeu se caractérise par l’absence de conséquences sur le devenir de la relation, à condition que les adultes n’interviennent pas. Il se caractérise aussi par le fréquent renversement des rôles , e. g. poursuivant/poursuivi. Ces inversions, qui contrastent avec l’asymétrie des relations adultes, sont particulièrement importantes lorsqu’un aîné prend le rôle de «poursuivi» ou prend le «dessous» dans une lutte; il donne alors l’opportunité à son cadet de développer et de percevoir des actions ou des conséquences de ces actions auxquelles il n’aurait autrement jamais été exposé. Par la nature de ces interactions, rapides, symétrisées, le jeune Primate peut développer, plus rapidement et complètement, ses capacités de prédiction et d’anticipation du comportement de ses partenaires, capacités auxquelles Altmann (1962) donne le nom de «perception sociale». Une certaine exubérance de l’activité motrice, au cours du jeu, développe chez les jeunes l’habileté manipulatrice (Callithrix , Chalmers & Locke-Haydon, 1984). Enfin, c’est au cours de ce type d’interactions que sont manifestées et que s’organisent les premières ébauches du comportement sexuel des mâles. Ces premières «montes» sont critiques pour le développement ultérieur des postures copulatoires chez l’adulte (Goy & Goldfoot, 1974). Le jeu, comme l’exploration, multiplie les stimulations auxquelles le jeune est exposé et s’expose; corrélativement, les contingences entre actions et perception seront multipliées. Il est clair, ici encore, que plus cette phase d’immaturité dure plus le développement de cette perception sociale sera important. Chez les mangabeys, la présence de jeunes dans un groupe prolonge l’immaturité des partenaires mâles subadultes et jeunes adultes (Deputte, 1986). Enfin, en accaparant une grande part des activités journalières des jeunes, le jeu conduit à une hyperfamiliarisation entre les jeunes mâles, en particulier, qu’ils soient affiliés ou non. Celle-ci est un facteur favorisant la création de sous-groupes de mâles qui se périphéralisent, comme cela est le cas chez les langurs, les patas et les saimiris, ou émigrent (vervets).
Par suite des apprentissages par observations qu’elle favorise, la socialisation est enfin l’un des vecteurs des «protocultures»: le lavage des patates douces dans l’eau salée, le tri des grains de blé par lavage sont autant de comportements des macaques japonais qui se sont propagés au sein des groupes, d’abord entre les jeunes, avant de gagner, plus progressivement, l’ensemble des sujets adultes. C’est aussi par des apprentissages par observation que les jeunes chimpanzés apprennent à «pêcher» les fourmis et les termites ou à construire les nids de repos (McGrew, 1977).
Il semble donc bien que l’existence et l’inertie des réseaux de relations sociales des adultes sont des facteurs de conservation des organisations et des structures sociales tandis que les interactions entre immatures constituent le creuset des potentialités d’adaptation.
10. Modes de communication
Le développement des capacités de communication des Primates est lié à la fois à leur mode de vie (facteurs écologiques) et à la nature et à l’intensité de leurs interactions sociales (facteurs psychiques et phylogénétiques).
Échanges d’informations
Le terme communication recouvre des processus interactifs d’échanges d’information par l’intermédiaire de signaux entre deux individus de la même espèce, tour à tour émetteur et récepteur. La première approche consiste en l’identification de ces signaux, selon les différentes modalités sensorielles. C’est au cours de l’évolution que la nature et la structure de ces signaux ont été élaborées, créant des configurations discrètes, stéréotypées, d’actions, les isolant en les différenciant d’une infinité de configurations possibles qui constituent autant de stimuli potentiels. Chez les Primates, on observe plusieurs niveaux de communication; on distinguera une «communication différée» (Charles-Dominique, 1976) d’une «communication interactive».
Dans la communication différée, il n’y a pas à proprement parler d’interactions, l’émission et la réception du signal était séparées dans le temps et/ou dans l’espace; l’information transite par une seule modalité sensorielle. Le niveau d’individualisation de l’animal émetteur par son congénère récepteur est nul à moins qu’il ne dépende de la dynamique sociale des espèces (c’est-à-dire qu’il y aura eu nécessairement, au préalable, une familiarisation des protagonistes, e. g. avant l’émigration ou l’éviction de l’un des deux).
Dans la communication interactive, il peut, ou non, y avoir un double processus d’échange, une réponse manifeste, mais il y a individualisation de l’émetteur. L’émission et la réception du signal peuvent se faire selon plusieurs modalités: la «multimodalité» est possible.
Mécanismes de communication différée
Ce processus de communication différée intervient lorsque la distance interindividuelle est grande; il utilise essentiellement le mode olfactif et sonore, et concerne souvent des spécialisations anatomiques particulières. La production de signaux olfactifs est très développée chez les Prosimiens et certains Singes du Nouveau Monde, mais très peu chez ceux de l’Ancien Monde. Les Prosimiens possèdent des glandes spécialisées au niveau de la partie ventrale du cou (Mirza , Phaner , Hapalemur , Varecia , Indriidés), des glandes sternales (Otolemur ), épigastriques (Tarsius ), mais aussi brachiales et antébrachiales (Lemur et Hapalemur ), et au niveau du front (Lemur ) et du coude (Tarsius ). Chez la plupart des Lorisiformes et chez les lémurs, il existe aussi (ou uniquement) des zones glandulaires circumgénitales, chez le mâle ou chez les deux sexes (Epple, 1986). On retrouve ces mêmes zones, pour les deux sexes, chez tous les Callithricidés (Platyrhiniens), avec en plus la présence de glandes sternales. Seules ces dernières sont présentes chez les Cébidés et les Atélidés. Chez les Catarhiniens, la présence de zones glandulaires sternales, non spécialisées, n’a été signalée que chez quelques espèces du genre Papio , Cercopithecus , Colobus , Hylobates et chez l’orang-outan. Les Panidés possèdent, quant à eux, des zones glandulaires axillaires. La présence de ces glandes n’est associée à des comportements de «marquage» différenciés que chez les Prosimiens et les Platyrhiniens. Parmi les Catarhiniens, équipés de zones glandulaires, seules quelques espèces de Cercopithécidés présentent ces types de comportements (Cercopithecus neglectus , C. hamlyni , C. aethiops , Allenopithecus , Papio leucophaeus , Colobus verus ; Loireau, 1985). Dans de nombreux cas, chez les Prosimiens nocturnes et diurnes, chez les Platyrhiniens, voire chez le cercopithèque de Brazza, l’imprégnation de l’environnement par des marques odorantes facilite l’orientation spatiale et l’individualisation du domaine vital.
Processus interactifs de communication
Ici la communication olfactive à fonction territoriale n’est pas différée et est incluse dans des échanges «multimodaux»; le marquage olfactif est alors associé à des vocalisations puissantes émises par des adversaires en contact visuel (Propithecus , Mertl-Millhollen, 1979; Callicebus , Mason, 1968; Saguinus , Dawson, 1979). Au cours des conflits de frontières, mettant en présence deux groupes antagonistes, les Lemur catta passent leur queue entre leurs jambes, l’enduisant d’urine puis l’agitent au-dessus de leur tête tout en vocalisant en direction des adversaires (Jolly, 1966).
La régulation de l’utilisation de l’espace se fait plus généralement, chez les Primates diurnes, par le biais de vocalisations qui constituent une «proclamation», par un groupe social, de l’occupation d’une zone défendue ou non. Il est intéressant de noter que chez les Indriidés (Prosimiens), le propithèque utilise le marquage olfactif aux frontières de son territoire et intensifie ces marquages au cours des rencontres avec d’autres groupes alors que l’indri marque partout de la même manière son territoire, mais émet des vocalisations puissantes qui sont appelées «chants», comme chez les gibbons (Pollock, 1986). Les cris peuvent être émis en duos plus ou moins organisés aussi bien chez les Prosimiens (Indri , cf. supra ) que chez des Platyrhiniens (Callicebus , Robinson, 1979) ou les Hylobatidés (Deputte, 1982; Mitani, 1985). Les mâles hurleurs (Alouatta ), quant à eux, émettent leurs puissants rugissements en chœurs. La puissance des cris est fonction de la taille de l’émetteur, que ce soit chez divers Prosimiens (Otolemur , Tandy, 1976, Galago senegalensis , Zimmermann, 1985), ou chez la plupart des Catarhiniens forestiers, Cercopithécidés (Cercopithecus , Cercocebus , Lophocebus , Colobus guereza , Presbytis entellus , Macaca silenus ) et Anthropoïdes (chimpanzé, gorille, orang-outan).
La plupart du temps émises spontanément, le matin ou en réponse à des cris émis par les autres groupes composant la population, ces vocalisations existent, que les espèces soient territoriales ou non, et quels que soient la structure sociale et le niveau phylogénétique. Les cris ont une bonne pénétration en milieu forestier: leur portée atteint ou dépasse 1 km (Lophocebus , Indri , Hylobates , Alouatta ), quoique la réverbération sur le feuillage et le bruit de fond (cris d’insectes essentiellement) représentent deux handicaps sérieux. C’est pourquoi l’heure où ils sont émis (le matin dès avant l’aube), le lieu d’émission (à partir de points élevés dans la forêt), une fréquence d’émission inférieure à 1 kHz, une durée importante et/ou une répétitivité confèrent à ces cris une capacité de propagation optimale, un rapport signal/bruit élevé et une atténuation minimale (Waser & Brown, 1986).
Chez de nombreuses espèces, ces cris comportent deux composantes, une vocalisation grave (face=F0019 麗 1 kHz) et une vocalisation plus ou moins aiguë et modulée. Chez les Cercopithécidés, la vocalisation la plus grave est émise la première (Gautier & Gautier, 1977), mais, chez Callicebus , c’est la vocalisation aiguë. Chez les espèces territoriales, l’émission de ces cris forts est plus fréquente le long des frontières et/ou sur les points les plus élevés des territoires (Callicebus , Robinson, 1979 b; Hylobates , Mitani, 1985; H. symphalangus , Chivers, 1976). Les cris forts ne sont l’apanage des mâles que chez quelques Prosimiens (Otolemur , Lemur ), les Cercopithécinés et les Colobinés, l’orang-outan et le gorille. Chez les autres genres, ils peuvent être émis par les mâles et les femelles. Il existe alors souvent un dimorphisme sexuel de ces cris en ce qui concerne soit leur structure, soit leur puissance d’émission (Hylobatidés, Marler & Tenaza, 1977; Callicebus , Robinson, 1979; Alouatta , Baldwin & Baldwin, 1976).
Les duos «bisexués» signalent aux autres membres de la population que la zone est occupée par un couple constitué; les chants «solos» des mâles célibataires sont, quant à eux, plus susceptibles d’attirer les jeunes femelles adultes que de distancier les autres couples (Hylobates , Deputte, 1982; Mitani, 1985). Chez les Cercopithécidés, les cris forts apparaissent «brutalement» à la maturité sexuelle des mâles. Ils représentent alors le plus souvent des «acquisitions» nouvelles du répertoire vocal.
Une autre catégorie de cris puissants existe chez les singes forestiers mais aussi chez ceux de savane comme les babouins: Gautier (1975) les nomme «cris forts de deuxième catégorie». Ce sont des cris d’alarme ou des dérivés de ces cris, organisés en séquences stéréotypées. Ils présentent, dans ce cas, une certaine ou une totale spécificité sexuelle, qui en fait alors l’apanage des mâles (Gautier, 1975; Waser, 1982). Contrairement à l’autre type de cri fort, ils n’ont pas subi, au cours de l’évolution, de modifications structurales particulières pour en augmenter la portée. Chez les Cercopithèques, leur association avec des cris de basse fréquence confère à l’ensemble de ces séquences stéréotypées une double fonction d’espacement (ou au moins de proclamation) et de ralliement des partenaires du groupe (Gautier, 1975; Gautier & Gautier, 1977). Ces cris possèdent enfin une dernière particularité, celle d’être spécifiques (fig. 3). Leur haute spécificité en fait des indices importants pour la détermination des sous-espèces voire des espèces (Struhsaker, 1970; Demars & Goustard, 1978; Oates & Trocco, 1983; Snowdon et al., 1986; Haimoff et al., 1987; Gautier, 1988).
Cohésion sociale
Cris de ralliement
Un des traits importants de la communication vocale est qu’elle peut assurer le maintien de contacts, donc la cohésion de l’ensemble d’un groupe, quelle que soit la nature du milieu et/ou la visibilité entre les différents partenaires. Ces types de vocalisations existent chez tous les Primates, y compris chez les Prosimiens nocturnes (e. g. Galago , Nycticebus , Euoticus , Galagoïdes , Arctocebus ; Petter & Charles-Dominique, 1979; Zimmerman, 1985 a et b). Ce sont des cris graves ou aigus, trillés ou non, souvent émis en séquence et qui ont un caractère tonal: c’est-à-dire que ce sont des sons purs dont un nombre variable d’harmoniques est audible. Chez les Cercopithécidés et les Anthropoïdes, ils sont souvent qualifiés de «grognements» (grunts des Anglo-Saxons) en référence à la présence d’une structure «bruyante» plus ou moins marquée, en particulier chez les adultes.
Ils possèdent, comme d’ailleurs la plupart des cris, des caractéristiques individuelles qui permettent une «personnalisation» des échanges vocaux quand ce seul mode (phonation/audition) est mis en jeu. Cette individualisation des signaux sonores est la conséquence de la nature et de la durée de l’ontogenèse. Les contacts étroits initiaux entre les jeunes et les autres partenaires, dont la mère, entraînent une multimodalité des signaux, au niveau de leur émission et de leur perception. Le développement des capacités de «généralisation» assure au jeune une «individualisation multimodale» des partenaires (visuelle, auditive, olfactive), et le développement des capacités de «transposition intersensorielle» lui permet une reconnaissance totale quel que soit le nombre et/ou la nature de la modalité accessible. Les interactions au cours desquelles est assurée la régulation des contacts et des distances interindividuelles permettent périodiquement la récurrence de cette multimodalité d’individualisation.
Communication visuelle et gestualité
À courte distance, le signal sonore devient complémentaire ou redondant des autres signaux, la gestualité et les mimiques faciales représentant le mode communicatif essentiel. Lorsque le contact se réalise, le tact et l’olfaction sont impliqués ou potentiellement impliqués dans ce que Goldfoot (1982) nomme une multimodalité séquentielle . C’est à partir de cette richesse signalétique potentiellement disponible en permanence que se construit l’expérience sociale du jeune. Lorsque, lors d’interactions, plusieurs modalités d’expression et/ou de perception sont disponibles, l’interprétation des messages par les protagonistes dépasse alors souvent le décodage des seuls «signaux» émis.
La gestualité est généralement très peu stéréotypée, c’est-à-dire très peu «signalétique»: l’un des signaux posturaux les plus répandus chez les Cercopithécidés est la «présentation», qui consiste pour un individu à se tourner devant un congénère et à lui «exposer» sa région ano-génitale. La signification sexuelle de ce geste n’est évidente que lorsqu’elle est manifestée par une femelle adulte à l’égard d’un mâle. Or cette posture apparaît dans de nombreuses autres combinaisons (mâle-mâle, jeune-femelle, femelle-femelle, etc.); sa causalité et sa fonction dépassent alors le cadre de la seule sexualité (Hausfater & Takacs, 1987).
Les mimiques faciales ne sont particulièrement développées que chez les espèces de milieu ouvert et/ou à partir d’un certain niveau phylogénétique (babouins, macaques, chimpanzé, orang-outan). Elles représentent alors des combinaisons complexes entre la fixation du regard, les mouvements des sourcils, de paupières, des oreilles, plus ou moins plaquées contre les tempes, du scalp, des lèvres (Angst, 1974). Chez la plupart des espèces, des Prosimiens aux Anthropoïdes, la bouche et les yeux représentent les deux composantes de base, donc «universelles», des mimiques faciales. En particulier, la fixation visuelle et l’ouverture de la bouche représentent, isolément pour la première, ou en association, une «menace», signal de distanciation interindividuelle. Le caractère universel de cette mimique est renforcé par son association avec une posture «prêt à bondir» et avec une association très spécifique avec un type vocal particulier (ici différent selon les espèces). Pour un jeune, le «décodage» de ce signal ne s’établit que progressivement au cours de l’ontogenèse et il est souvent facilité (sic!) par des signaux tactiles d’agrippement brutal ou de morsures.
Formes de contacts interindividuels
La réalisation de contacts, durables, mettant en jeu plus que la main, seule, traduit le caractère «affiliatif» d’une interaction. Chez les Lophocèbes, ces contacts corporels peuvent revêtir des formes extrêmement variées, impliquant pour leur réalisation de nombreux réajustements posturaux de la part des deux partenaires (comportements «posturo-tactiles», Deputte, 1986 et 1987). Ils sont aussi souvent associés à des vocalisations émises en chœur , qui confèrent à l’ensemble de l’interaction un caractère notoire de renforcement «généralisé» des liens sociaux. Mais le contact tactile commun à la quasi-totalité des Primates est le toilettage social ou «épouillage»; ce contact est très généralement asymétrique, un individu épouillant un partenaire qui, quant à lui, se détend, s’expose à l’épouillage. Ainsi la fonction de ce comportement dépasse le simple déparasitage externe et maintient ou renforce la cohésion entre les individus.
Les Prosimiens effectuent cet épouillage, en écartant la fourrure du partenaire avec les mains puis en prélevant les particules de peau desquamée ou les parasites avec les dents, grâce au «peigne dentaire» formé par les incisives et les canines modifiées. Les autres singes utilisent également la bouche (lèvres, dents, langue) pour nettoyer la peau et/ou la fourrure du partenaire. Il s’est ainsi développé un signal à la fois visuel et sonore, dérivé de la motricité de succion du nouveau-né, le «claquement de lèvres» (Chevalier-Skolnikoff, 1974). Ce signal s’est «émancipé» d’une liaison absolue avec l’épouillage: manifesté lors d’un contact visuel, précédant ou accompagnant une approche, il la qualifie en indiquant la nature affiliative de l’interaction subséquente.
Attractivité interindividuelle
Le comportement olfactif ne joue plus chez les Cercopithécidés de rôle dans le comportement territorial, mais chez l’ensemble des Primates il est impliqué dans la sexualité et constitue de plus l’un des premiers indices stables d’individualisation. En fait, si les structures réceptrices ont perdu chez les Simiens de leur importance anatomique, les structures d’intégration de l’information n’ont que très peu régressé. Le jeune, chez les Catarhiniens, est manipulé dès sa naissance par sa mère et par d’autres membres du groupe. Au cours de ces manipulations, les parties génitales sont particulièrement flairées; les partenaires se constituent ainsi très précocement une véritable «carte d’identité olfactive» du jeune (Gautier-Hion, 1971). Il a été montré, chez les saimiris, que les enfants étaient capables de discriminer olfactivement leur mère dès un mois (Kaplan et al., 1977). À cet âge, l’odeur de la mère constitue la base essentielle d’identification de l’objet d’attachement. Les comportements posturo-tactiles des lophocèbes s’accompagnent souvent du flairage des parties génitales, renforçant ainsi à la fois le lien social et sa «personnalisation». L’olfaction, en ce qui concerne la sexualité, est impliquée dans une multimodalité séquentielle au cours de laquelle sont successivement échangés des signaux visuels, voire sonores, des informations tactiles et olfactives. L’état de réceptivité des femelles est ainsi perçu par les mâles selon plusieurs canaux et les informations olfactives, en particulier, stimulent leur comportement sexuel (érection) ou restaurent l’attractivité des femelles (Keverne, 1982).
11. Processus cognitifs
Depuis plusieurs années, la perception et plus particulièrement le traitement cognitif des signaux et des autres types d’information sont l’objet d’une attention particulière. L’analyse de la perception visuelle a été et est encore largement consacrée aux problèmes de discrimination et de catégorisation. C’est encore l’existence de réseaux relationnels durables, l’inertie de certains phénomènes sociaux tels que les relations de «dominance», et aussi leur remise en cause, qui démontrent l’importance de la perception visuelle au cours des interactions à courte portée. Elle contribue, pour un sujet, à la compréhension de la gestualité des partenaires, et, au-delà, à celle de l’ensemble de leurs relations. La description encore anecdotique de l’existence de «duperies» (deceipt des Anglo-Saxons), au cours d’interactions, renforce la conviction de l’existence de processus cognitifs complexes dans le traitement de l’ensemble des informations (Woodruff & Premack, 1979; Byrne & Whitten, 1987; De Waal, 1987).
C’est cependant par le biais de la communication sonore que se sont développées, au cours de ces dernières années, les études cognitivistes, grâce à une approche psycholinguistique du traitement du signal sonore. L’intérêt de ces études est qu’elles se déroulent à la fois au laboratoire et dans le milieu naturel des singes. La fonction de régulation de l’espacement de vocalisations fortes des cercocèbes (Lophocebus ), des hurleurs et des gibbons a pu être démontrée par des expériences de «repasse» (playback ) en milieu naturel (Waser, 1977; Whitehead, 1987; Mitani, 1985, respectivement). Mais cette technique a été aussi utilisée pour rechercher si une «perception catégorielle» existait chez les Primates et si les vocalisations, ou du moins certaines d’entre elles, pouvaient prendre valeur de symbole en «représentant» pour le récepteur un «référent» absent (non perceptible et/ou non perçu). Ces deux axes de recherches constituent, en fait, une approche comparative de la communication sonore des Primates et du langage humain.
La perception catégorielle
Les répertoires sonores de nombreuses espèces présentent un caractère gradué, c’est-à-dire qu’il existe, en particulier lors de séquences sonores, des gradations structurales réversibles ou non entre plusieurs classes vocales (e.g. Green, 1975; Deputte & Goustard, 1978; Robinson, 1979 b, Zimmerman, 1985). En dehors de ces séquences, toutes les classes vocales sont aisément différenciables. Il se pose alors le problème de savoir si et comment, lors de ces séquences, les gradations sont perçues, en d’autres termes si des catégories sont créées ou reconnues, ou si la séquence est perçue comme un seul, et nouveau, signal. Confrontés à un problème similaire, les Primates non humains procèdent-ils comme l’homme qui, écoutant le «continuum sonore» que constitue le langage parlé, le perçoit en le découpant de manière «catégorielle»? Green (1975), chez le macaque japonais, a montré qu’il existait une relation claire entre les variations, graduées, subtiles, mais quantifiables au sein d’une même classe vocale (cris graves, tonaux – côô sounds ) et les contextes dans lesquels l’émetteur les produisait. Cela confère un caractère «phonétique» à ces cris (Snowdon, 1982). De son côté, Petersen (1982) a montré, chez cette même espèce, et en reprenant ces mêmes cris, que ces singes présentaient un avantage de l’oreille droite, donc de l’hémisphère gauche, dans le traitement des informations particulières et spécifiques contenues dans la modulation de ces côô sounds . Chez l’homme, ce même avantage existe lorsqu’un sujet traite les informations «linguistiques», alors que les informations paralinguistiques (hauteur des sons, intensité) sont traitées préférentiellement par l’hémisphère droit comme le sont les indices de reconnaissance visuelle (avantage de l’oreille gauche et du champ visuel gauche). Chez le macaque japonais, la perception du critère «hauteur du son» ne provoque ni attention spécifique ni latéralisation. Chez cette même espèce, Masataka (1983) montre que, pour des vocalisations structuralement voisines (cris d’alarme, vocalisations d’œstrus), c’est la hauteur de la fréquence terminale du cri qui est perçue de manière catégorielle: il existe deux types de réponse complètement opposées en deçà et au-delà du seuil de 8 kHz. Chez le marmoset pygmée (Cebuella pygmea ), c’est la durée des cris de contacts («trilles») qui est perçue de manière catégorielle (Snowdon & Pola, 1978; Snowdon, 1982): les sujets répondent aux trilles d’une durée inférieure à 250 millisecondes mais ne répondent plus au-delà de ce seuil précis.
La communication vocale symbolique
À cette recherche «phonétique» de la nature des vocalisations des Primates est associée une recherche «sémantique»: les cris des Primates constituent-ils, pour un récepteur spécifique, la représentation d’un stimulus, référent externe, même en son absence? Dès 1967, Struhsaker, chez les vervets, Cercopithèques de savane, a montré que leurs cris d’alarme aux prédateurs variaient selon qu’ils avaient perçu un léopard, un serpent, un aigle ou un babouin. En reprenant cette analyse, Seyfarth et Cheney (1980 a) ont montré comment cette catégorisation s’établit au cours de l’ontogenèse et comment des types d’alarmes acquièrent une valeur sémantique: les enfants vervets émettent des alarmes «à l’aigle» pour tout ce qui vole, mais pas pour ce qui marche; les juvéniles (entre un an et la maturité sexuelle) restreignent l’émission de ce type d’alarme, presque exclusivement, aux seuls rapaces, et enfin les adultes ne l’expriment qu’à la vue de l’aigle martial, le plus redoutable de leurs prédateurs. Une discrimination au niveau de l’espèce succède à des différenciations préalables en «classes». De plus, les sujets répondent de manière adaptée à la perception de ces seuls cris d’alarme. Seyfarth et al. (1980 b) émettent alors l’hypothèse que ces cris, structuralement «discrets», c’est-à-dire très différents par leurs paramètres acoustiques, désigneraient les différentes classes de prédateurs prenant alors valeur de véritables symboles. Ces expérimentateurs diffusent ces cris en l’absence réelle de prédateurs, à des vervets qui se trouvent soit au sol, soit dans les arbres (fig. 4). Ils observent que, percevant l’alarme au léopard, les vervets courent dans les arbres ou y montent plus haut, et que, percevant l’alarme à l’aigle, ils fuient sous un couvert, sortent de l’arbre et regardent en l’air, enfin, à l’écoute de l’alarme au serpent, ils regardent au sol ou vers le bas. Ainsi le cri seul est susceptible de provoquer les mêmes réponses que lorsque le prédateur est réellement présent. Il se peut que les enfants vervets apprennent ces réponses adaptées en associant le cri perçu et la réponse qu’ils observent chez leur mère (ils peuvent même alors la vivre lorsqu’ils sont transportés!) ou chez d’autres partenaires. D’autres types de cris présentent des variations qui, bien qu’apparaissant dans un continuum, sont catégorisables: c’est le cas des cris aigus des macaques rhésus (Gouzoules et al., 1984), des grognements des vervets (Cheney & Seyfarth, 1982) ou des trilles des atèles (Masataka, 1986). Dans leur contexte habituel, les cris aigus des macaques sont généralement émis par des jeunes agressés par un congénère. Les réponses produites lors de la «repasse» de ces cris montrent que ces cris peuvent désigner aux membres du groupe le type de l’agresseur et la sévérité de l’attaque. De plus, la perception de caractéristiques individuelles conduit des femelles adultes à s’orienter directement vers la mère du jeune dont le cri a été diffusé, révélant ainsi la connaissance d’une relation. Chez beaucoup d’espèces de Primates, de nombreuses séquences vocales, y compris les duos, paraissent organisées syntactiquement, c’est-à-dire que la succession des cris qui les composent n’est pas aléatoire et paraît répondre à des «règles», mais rien ne permet d’affirmer que ces règles soient de même nature que celles qui gouvernent le langage humain (Robinson, 1984).
Les études constituant des approches cognitivistes du comportement des Primates se multiplient, qu’elles concernent la connaissance de leur environnement non social, l’individualisation du partenaire (visuelle, vocale, olfactive), la dynamique des interactions et des relations sociales au cours de l’ontogenèse, au sein d’un groupe ou lors des phénomènes d’émigration/immigration. D’une manière ou d’une autre, ces études abordent toutes le problème général de la «représentation» (Vauclair, 1987). Elles posent ainsi la question de l’importance du psychisme et des phénomènes affectifs relationnels chez les Primates. Elles abordent inévitablement mais aussi reposent la question fondamentale de la phylogenèse de l’Homme et de l’émergence de ce qui caractérise l’Homo sapiens .
12. Protection et conservation des Primates
L’étude des Primates actuels promet encore de nombreux étonnements et l’ancienne «voie royale des Prosimiens à l’Homme» paraît aujourd’hui, plus que jamais, buissonnante. Les adaptations les plus complexes, les solutions les plus surprenantes qu’ils donnent aux mêmes problèmes ne doivent pas faire oublier que la première caractéristique des Primates, et des Simiens en particulier, est l’absence, ou le faible niveau, de spécialisation comportementale liée à la grande plasticité que leur confère une ontogenèse lente au sein d’un environnement social qui constitue le réservoir des acquisitions antérieures.
Cette fascinante «plongée» vers nos origines risque de tourner court du fait de nos propres facultés d’adaptation. L’Homme, le plus évolué d’entre les Primates, a le pouvoir paradoxal à la fois de se connaître et de supprimer toutes les traces de sa propre histoire.
À l’heure actuelle 75 espèces de Primates sur 188 sont menacées: le tamarin-lion (Leontopithecus ), de l’est du Brésil, ne compte plus que 300 à 400 individus, le muriqui (Brachyteles arachnoides ), du sud-est du Brésil, ne compte plus que quelques troupes dispersées, et maintes autres espèces deviennent ainsi trop résiduelles pour survivre.
Dégradation des habitats
Le phénomène s’amplifie de jour en jour aussi bien en Amérique du Sud qu’en Afrique (et Madagascar) et en Asie: de nombreux habitats composés autrefois de forêts continues sont réduits de plus en plus à des îlots conditionnant dramatiquement la densité potentielle des espèces qu’ils abritent. De plus, l’exploitation des forêts est généralisée et constitue souvent la principale richesse économique du pays. La conversion des forêts en terres agricoles ou en zones d’élevage, la construction de vastes projets hydroélectriques ou de voies de communications sont d’autres raisons de destruction des habitats des Primates et de l’isolement des populations. Partout dans le monde, les forêts tropicales disparaissent à raison de 10 à 20 millions d’hectares par an. Tous ces bouleversements sont liés directement ou indirectement à l’explosion démographique humaine.
Destruction des populations
Si en Amazonie et en Afrique les Primates sont chassés pour leur viande, qui représente une source de protéines non négligeable, une autre menace majeure pour les Primates est la capture d’individus vivants à des fins commerciales directes ou indirectes, pour des particuliers ou pour la recherche biomédicale. Or, quels que soient l’intérêt et l’émerveillement qu’il suscite, le Primate ne peut être un animal de compagnie. Les jeunes sujets doivent effectuer leur ontogenèse dans un environnement social spécifique, et leur grande longévité est un facteur rarement pris en compte par les acquéreurs de ces animaux.
Sauvegarde des espèces
La convention C.I.T.E.S. (Convention of Trade in Endangered Species of Wild Flora and Fauna), de même que le dynamisme et la compétence de grands organismes internationaux tels que l’U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles) ont permis un effort essentiel contre les trafics et pour une utilisation rationnelle des milieux naturels. En Ouganda, il a été montré qu’un abattage sélectif des arbres pouvait représenter un compromis acceptable entre une nécessité économique et la conservation des populations de Primates (Skorupa, 1986).
L’International Primatological Society (I.P.S.) est une société scientifique qui regroupe tous les chercheurs ayant des Primates comme sujets de recherches écologiques, éthologiques, physiologiques et biomédicales. En son sein, les actions de conservation se développent de même que l’éthique nécessaire lors de l’utilisation de Primates. De nombreuses sociétés nationales de primatologie se sont créées au sein de l’I.P.S., de manière à renforcer son impact auprès des organismes gouvernementaux. En France, la Société francophone de primatologie (S.F.D.P.) a été créée en 1987. Ses buts sont ceux de l’I.P.S. à laquelle elle est affiliée, et en particulier elle souhaite faire prendre conscience à tous les chercheurs, mais aussi à tous les organismes possédant des Primates (parcs zoologiques publics et privés), de la rareté et du caractère exceptionnel des sujets qu’ils détiennent. Il doit s’établir un nécessaire dialogue entre ceux qui ne font qu’observer les singes et ceux qui, pour les besoins de la connaissance ou du soulagement des souffrances humaines, expérimentent sur l’animal. Ce dialogue ouvert, sans arrière-pensées, peut seul permettre que les Primates maintenus en captivité le soient dans les meilleures conditions possibles et ne le soient ni à des fins trop restreintes dans l’espace, c’est-à-dire n’intéressant qu’un petit groupe de personnes (ou des personnes abordant un thème de recherche très «pointu»), ni dans le temps, c’est-à-dire pour la durée d’une seule expérience.
Encyclopédie Universelle. 2012.