jugé ou juger [ ʒyʒe ] n. m.
• XIIIe jugié; de 1. juger
♦ Loc. adv. AU JUGÉ ou AU JUGER : en devinant, en présumant. « Chasseriau tira au jugé » (Sartre). — Fig. D'une manière approximative, à l'estime. Il avait pris l'habitude « de peindre au jugé avec l'acquis des souvenirs d'école » (Goncourt).
juger 1. juger [ ʒyʒe ] v. tr. <conjug. : 3>
1 ♦ Dr. Soumettre (une cause, une personne) à la décision de sa juridiction. Juger une affaire, un litige, un crime. Cas difficile à juger. ⇒ trancher. Le procès sera jugé demain. L'autorité de la chose jugée. Juger un accusé.
♢ Absolt Rendre la justice. Droit, pouvoir de juger : pouvoir, compétence judiciaire. ⇒ justice. Juger sur pièces. Le tribunal jugera. ⇒ conclure, décider, prononcer, statuer.
2 ♦ Décider en qualité d'arbitre. ⇒ arbitrer. Juger un différend. La postérité jugera qui vaut le mieux des deux. Absolt L'histoire jugera. ⇒ apprécier.
♢ Prendre nettement position sur (une question). ⇒ décider. C'est à vous de juger ce qu'il faut faire, comment il faut agir, si nous devons partir.
3 ♦ (1538) Soumettre au jugement de la raison, de la conscience (⇒ apprécier, considérer, examiner), pour se faire une opinion; émettre une opinion favorable ou défavorable sur. Juger un ouvrage, un livre, un film. Être jugé à sa juste valeur. ⇒ coter, évaluer, jauger, peser. Juger les gens sur la mine. Juger favorablement (⇒ approuver) , défavorablement (⇒ blâmer, condamner, critiquer, désapprouver) . — Pronom. « Il est bien plus difficile de se juger soi-même que de juger autrui » (Saint-Exupéry). — Absolt « Plus on juge, moins on aime » (Balzac).
♢ Tr. ind. JUGER DE. « Est-ce donc sur des conjectures qu'il faut juger de pareils faits ? » (Beaumarchais). Bien juger, mal juger des choses. Loc. Juger d'une chose comme un aveugle des couleurs. Loc. prov. Il ne faut pas juger de l'arbre par l'écorce. — Si j'en juge par mes propres sentiments. Jugez-en par vous-même. À en juger par son attitude. Il est difficile d'en juger, d'en dire, d'en penser qqch. Autant qu'on puisse en juger : à ce qu'il me semble. « il reste permis à la conscience de chacun d'en juger différemment » (Caillois).
4 ♦ (Avec un adj. attribut ou une complétive) Considérer comme. ⇒ estimer, trouver. Elle le juge insignifiant. « J'avertis l'officier que j'étais médecin moi-même [...] et que je jugeais son examen superflu » (Duhamel). Si vous le jugez bon. ⇒ croire. Si vous jugez sa présence nécessaire. ⇒ considérer, envisager, regarder. Je jugeai que sa présence était nécessaire. — Pronom. (réfl.) Se juger injurié. ⇒ se considérer. Il se jugea perdu. ⇒ se voir.
5 ♦ Tr. ind. (surtout à l'impér.) ⇒ imaginer, se représenter. Jugez de ma surprise. Vous jugerez aisément du reste. — « Jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence » (Molière). « Jugez combien ce coup frappe tous les esprits » (Racine ).
6 ♦ Absolt Affirmer ou nier une existence ou un rapport. « La puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux » (Descartes). Log. Affirmer ou nier un rapport entre un sujet et un attribut; entre plusieurs termes.
● Juger se faire soi-même une idée.
juger
v.
rI./r v. tr.
d1./d Prendre une décision concernant (une affaire, un accusé) en qualité de juge. Juger une cause, un criminel.
d2./d Décider comme arbitre. On jugera lequel a le mieux réussi.
d3./d Se faire ou émettre une opinion sur (qqn, qqch). Juger sévèrement une personne, une oeuvre.
d4./d Croire, estimer. Juger imprudent de...
|| v. Pron. Se voir soi-même dans une situation, un état. Se juger condamné par une maladie grave.
d5./d Absol. Concevoir, énoncer un jugement (sens II, 3). Raisonner et juger.
rII./r v. tr. indir. Juger de.
d1./d Porter une appréciation sur (qqn, qqch). Juger de la vérité d'un fait.
d2./d S'imaginer. Jugez de ma surprise.
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loc. adv. D'une façon approximative. Tirer au jugé, sans viser.
⇒JUGER, verbe trans.
A. — [L'accent est mis sur la fonction officielle du suj.] Régler un différend, prendre une décision qui engage autrui.
1. Rendre la justice, dire le droit, prendre une décision en qualité de juge. Le tribunal juge; juger un procès; juger contradictoirement. C'est lui [ce tribunal] qui jugeait toutes les contestations de terrain (BAUDRY DES LOZ., Voy. Louisiane, 1802, p. 272) :
• 1. Les lois civiles qu'on propose aujourd'hui à tous les citoyens, qu'on discute devant tous les citoyens, sur lesquelles on consulte tous les citoyens, devenus tous juges les uns des autres, au civil et même au criminel, n'étoient alors connues [autrefois] que de ceux qui se dévouoient par de longues études à une pratique de toute la vie, et qui regardoient la fonction de juger les autres comme une profession pénible, à laquelle quelques-uns étoient condamnés pour l'utilité de tous, et non comme une jouissance que tous fussent appelés à partager.
BONALD, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 156.
— Juger une personne, juger qqn. Juger son procès, notamment au criminel. Enfin on amène devant son tribunal un fratricide; et comme il a tué son frère, il se trouble, et refuse de juger le criminel (STAËL, Allemagne, t. 3, 1810, p. 145). La justice le recherche pour le juger et le fusiller, à la libération, il est venu se cacher ici (AYMÉ, Uranus, 1948, p. 36) :
• 2. La veille au soir, le président de la huitième chambre déclarait à Me Labori que le tribunal était hors d'état de juger l'accusé, et lui annonçait que le parquet demanderait la remise indéfinie de l'affaire. Dans ces conditions, la mise en liberté s'imposait.
CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p. 213.
— Juger par contumace.
— Emploi abs. V. ennoblissement A ex. de Bonald.
— Proverbe, vieilli. Juger sur l'étiquette (du sac). ,,Porter son jugement sur quelque affaire, sur quelque personne, sans avoir examiné les pièces, les raisons`` (Ac. 1835, 1878).
♦ [Dans un sens analogue] :
• 3. Les jeunes filles de Juvigny, qui jugent l'homme à l'enveloppe, riraient au nez de celui qui leur adresserait une pareille proposition. Aussi n'est-ce pas parmi elles que je veux chercher une femme. La femme que je rêve devra avoir un esprit moins superficiel; son regard intelligent devra percer mon écorce déplaisante pour découvrir en dessous les qualités sérieuses qui font l'homme vraiment fort.
THEURIET, Mar. Gérard, 1875, p. 102.
2. Prendre une décision en qualité d'arbitre choisi à l'avance; trancher un différend, un litige; faire un choix décisif, départager des concurrents, des adversaires en qualité d'arbitre. Établissons-nous des arbitres qui jugent nos prétentions, et pacifient nos discordes. Quand le fort s'élévera contre le faible, l'arbitre le réprimera (VOLNEY, Ruines, 1791, p. 50). Ces examens comportent une épreuve orale d'admissibilité et des épreuves d'admission écrites jugées par un jury national et spécialisé en fonction des études poursuivies (Encyclop. éduc., 1960, p. 275).
— Emploi abs. :
• 4. En cas de difficultés ou contestations quelconques, les soussignés n'auront point recours aux tribunaux; ils s'en rapporteront à la décision de M. Simon, directeur de la Compagnie Usquin qu'ils nommeront arbitre et qui juge sans formalité de justice, sans prestation de serment, acceptant d'avance ses décisions quelles qu'elles soient, lesquelles ne seront susceptibles ni d'appel, ni de recours en cassation. Sa décision fera loi également pour tout cas qui n'est pas prévu par le présent accord.
Doc. hist. contemp., 1850, p. 201.
— Juger des/les coups. Apprécier l'habileté des joueurs que l'on regarde, d'après les coups qu'ils échangent. Moi! répondit Paulus, j'ignore les combats. — C'est un tort, compagnon, et quand on est de Rome, On sait juger des coups (BOUILHET, Melænis, 1857, p. 79). Muet, les bras croisés, Tartarin juge les coups, critique tout haut (A. DAUDET, Tartarin Alpes, 1885, p. 122) :
• 5. La population s'assembla pour juger des coups avec l'intérêt extrême qu'une affaire de ce genre excite en chaque pays...
GOBINEAU, Nouv. asiat., 1876, p. 265.
♦ Au fig. Être spectateur muet des événements que l'on juge sans y prendre part. Le notaire s'était offert pour ouvrir le feu; le sous-préfet se chargeait d'élargir la brèche, et, par un dernier assaut, je me réservais d'entrer dans la place. Oscar était là pour juger des coups (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 324) :
• 6. Je crois plus conforme aux vœux de la raison et de la nature, de conseiller aux hommes parvenus à la dernière saison de la vie de porter leurs réflexions au-dehors; ils n'ont plus ni profit ni plaisir à s'occuper d'eux-mêmes; mais ils peuvent encore s'amuser à regarder les autres : leurs actions n'ont plus d'autorité; mais leur expérience peut encore être utile : ce sont de vieux chevaliers, assis en dehors de la barrière, qui jugent d'autant mieux les coups, qu'ils ne sont plus capables d'en porter.
JOUY, Hermite, t. 4, 1813, p. 324.
B. — P. anal. [Le suj. désigne une puissance supérieure] Prendre une décision sur le sort de l'âme après la mort selon ses mérites. Juger les vivants et les morts. Laissons de côté la croix de Sérapis et le séjour aux enfers de ce dieu qui juge les âmes (NERVAL, Filles feu, 1854, p. 659). Lord Evandale, attentif et calme, ressemblait avec son pur profil au divin Osiris attendant l'âme pour la juger (GAUTIER, Rom. momie, 1858, p. 182) :
• 7. Minos, ne pouvant plus suffire
Au fatigant métier d'entendre et de juger
Chaque ombre descendue au ténébreux empire,
Imagina, pour abréger,
De faire faire une balance...
FLORIAN, Fables, 1792, p. 121.
— RELIG. CHRÉT. [Le suj. désigne Dieu] Pour cet homme soyez indulgent, sire comte : Celui qui juge, Dieu plus tard le jugera (BORNIER, Fille Rol., 1875, I, 3, p. 21). Saint-Père, pense à nos frères qui vont mourir aujourd'hui dans le péché. Puis-je attendre à demain pour sauver leur âme? Dieu, avant de les juger, va-t-il attendre lui aussi (...)? (SALACROU, Terre ronde, 1938, II, 2, p. 191).
C. — 1. PHILOS., LOG. ,,Affirmer ou nier l'existence d'une chose ou la réalité d'un rapport entre deux objets de pensée`` (FOULQ.-ST-JEAN 1962). Lier deux termes et construire un rapport ce n'est point précisément croire, mais juger (LACROIX, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 99) :
• 8. Juger c'est sentir des rapports entre nos idées; cela est vrai. Mais cette expression (...) ne dit pas d'une manière assez précise et assez exacte, ce que c'est réellement que l'opération de juger, que l'acte intellectuel appelé jugement. Juger n'est point sentir une idée nouvelle, c'est sentir qu'un être quel qu'il soit, ou plutôt l'idée que l'on en a (...) renferme une qualité, une propriété, une circonstance quelconque. Or cette qualité, cette propriété, cette circonstance quelconque, est elle-même une perception, une idée, puisque c'est une chose sentie. Juger, c'est donc sentir qu'une idée en renferme une autre.
DESTUTT DE TR., Idéol. 2, 1803, p. 25.
2. [L'objet est d'ordre esthétique] Avoir, émettre un avis, une opinion sur quelqu'un, sur quelque chose; donner un avis autorisé sur quelque chose :
• 9. La critique, en tant qu'elle ne se réduit pas à opiner selon son humeur et ses goûts, — c'est-à-dire à parler de soi en rêvant qu'elle parle d'une œuvre, — la critique, en tant qu'elle jugerait, consisterait dans une comparaison de ce que l'auteur a entendu faire avec ce qu'il a fait effectivement.
VALÉRY, Tel quel I, 1941, p. 21.
a) [Le compl. désigne une pers.] Juger un écrivain.
— [Constr. dir.] Juger qqn. Monsieur de Meillan jugea les équilibristes avec le scepticisme d'un homme qui est depuis bien longtemps revenu des vanités de la barre fixe et des joies du trapèze (MIOMANDRE, Écrit sur eau, 1908, p. 163). Je serais curieux de juger votre Vatel maintenant (...), je voudrais, par exemple, le trouver aux prises avec le bœuf Stroganof (PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p. 458) :
• 10. Pour juger Renan, on s'en tient communément aux œuvres de sa vieillesse; ce sont les plus familières — celles qu'on lit encore. Mais pour connaître sa vraie nature, la saisir d'ensemble et dans sa pente, il faut interroger les confidences de sa jeunesse, ces innombrables cahiers, fragments, essais qu'il accumula entre sa vingtième et sa vingt-cinquième année, jusques et y compris l'Avenir de la science, fruit monstrueux de cette précoce débauche de l'esprit.
MASSIS, Jugements, 1923, p. 15.
— [Le compl. est précédé de la prép. de] Juger de qqn. Ils (...) donnèrent le désir au duc Charles de juger lui-même d'Émilia (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p. 41). V. ami ex. 141.
b) [Le compl. désigne qqc., une œuvre, une réalisation] Juger une peinture.
— [Constr. dir.] Juger qqc. J'ai repris le livre, et c'est alors que j'ai pu juger cet admirable ouvrage que je relis tous les ans (SÉNAC DE MEILHAN, Émigré, 1797, p. 1679). Quand elle a disparu, on juge son café : — Tu parles d'une clarté! On voit l'suc' qui s'balade au fond du verre (BARBUSSE, Feu, 1916, p. 84) :
• 11. ... Pour critiquer une œuvre de littérature ou de peinture, il n'est pas nécessaire absolument d'être littérateur ou peintre; il suffit d'avoir de l'instruction et du goût. C'est une chose de sentiment et tout homme a son sentiment pour juger une œuvre d'art. Mais, pour les sciences, il n'en est plus ainsi; ce n'est plus une affaire de sentiment, il faut savoir les choses pour en parler.
Cl. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 252.
— [Le compl. est précédé de la prép. de] Juger de qqc. On ne juge pas d'une ville par ses égouts et d'une maison par ses latrines (CHAMFORT, Max. et pens., 1794, p. 46). S'agit-il de juger du mérite d'une découverte en mécanique ou en chimie, on s'adressera à l'Académie des Sciences, corps plus compétent que le public (COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p. 415) :
• 12. ... si j'allais entendre la Berma dans une pièce nouvelle, il ne me serait pas facile de juger de son art, de sa diction, puisque je ne pourrais pas faire le départ entre un texte que je ne connaîtrais pas d'avance et ce que lui ajouteraient des intonations et des gestes qui me sembleraient faire corps avec lui; tandis que les œuvres anciennes que je savais par cœur, m'apparaissaient comme de vastes espaces réservés et tout prêts où je pourrais apprécier en pleine liberté les inventions dont la Berma les couvrirait, comme à fresque, des perpétuelles trouvailles de son inspiration.
PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p. 441.
3. [L'objet est d'ordre moral] Exprimer son opinion personnelle sur autrui, sur sa conduite; l'approuver, le blâmer ou le condamner en décidant du mérite de ses actes, de ses mobiles, de ses pensées. Juger les actes, la conduite; juger sur les apparences.
a) [Constr. dir.] Juger qqn. Commune erreur de juger les gens à son aune (CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p. 242). Christophe travaillait à rapprocher les deux enfants (...). Il les aimait autant l'un que l'autre; mais il jugeait plus sévèrement Georges : il connaissait ses faiblesses, il idéalisait Aurora (ROLLAND, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1570) :
• 13. Chacun sait qu'il n'est qu'un assemblage fortuit, plus ou moins heureux, d'éléments provenant d'un même fond commun, que tous les autres recèlent en eux ses propres possibilités, ses propres velléités; de là vient que chacun juge les actions des autres comme il juge les siennes propres, de tout près, du dedans, avec toutes leurs innombrables nuances et leurs contradictions qui empêchent les classifications, les étiquetages grossiers; de là vient que personne ne peut jamais avoir de la conduite d'autrui cette vision panoramique qui seule permet la rancune ou le blâme...
SARRAUTE, Ère soupçon, 1956, p. 36.
— Absol. Et puis pour vous aussi le jour se lèvera Où, comme vous jugez, le Seigneur jugera (DUMAS père, Christine, 1830, V, 6, p. 285). Aimant ton mari comme tu l'aimes, tu es mal placée pour juger (CUREL, Nouv. idole, 1899, I, 1, p. 165) :
• 14. « Ne jugez pas ». Le Christ lui-même ne juge pas. Il est le jugement. L'innocence souffrante comme mesure. Jugement, perspective. En ce sens, tout jugement juge celui qui le porte. Ne pas juger. Ce n'est pas l'indifférence ou l'abstention, c'est le jugement transcendant, l'imitation du jugement divin qui ne nous est pas possible.
S. WEIL, Pesanteur, 1943, p. 137.
— [Le compl. désigne l'auteur du jugement] Se juger. Vous savez, madame, je me connais, je me juge à ma valeur! (BERNSTEIN, Secret, 1913, I, 6, p. 9). Qui se regarde se juge; qui se juge se sauve. Tout examen de conscience est ici enfermé (ALAIN, Propos, 1921, p. 228). V. jugement ex. 48.
b) [Constr. attributive] Attribuer une qualité ou un défaut à quelqu'un; qualifier quelqu'un.
— Juger qqn + attribut. Il avait pu apprécier les plus célèbres professeurs, et il les jugeait des ânes (MAUPASS., Pierre et Jean, 1888, p. 319).
— [Constr. pronom. réfl.] Se juger + attribut
♦ [L'attribut est un adj.] Et l'âme d'Omer s'effraya d'être amoindrie par comparaison. Elle se jugea faible (ADAM, Enf. Aust., 1902, p. 11). Il resta, tout l'été, à Paris. Il se jugeait absurde; mais il n'avait plus goût à voyager (ROLLAND, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1501) :
• 15. Paul se jugeait discret, il n'était que cachottier. Ainsi divisait-il sa vie en cases : il croyait que lui seul pouvait passer de l'une à l'autre.
RADIGUET, Bal, 1923, p. 24.
♦ [L'attribut est un subst.] Il eut une révolte contre lui-même et contre les autres, se jugea un dépravé, un garçon sans cœur, sans noblesse (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 242). Marino (...) se jugeait un peu le patriarche et le père nourricier de ces terres perdues (GRACQ, Syrtes, 1951, p. 121).
c) [Le compl. est précédé de la prép. de] Juger de + compl. Juger d'autrui par soi même :
• 16. Selon la méthode vulgaire de juger des autres par soi-même, ils [certains chrétiens] (...) sont alarmés dès qu'ils voient un homme qui ne se signe point...
SENANCOUR, Obermann, t. 2, 1840, p. 21.
d) [Le suj. désigne qqc.] Permettre de juger, d'évaluer, de porter un jugement, une appréciation. Notre goût juge de ce que nous aimons, et notre jugement décide de ce qui convient (JOUBERT, Pensées, t. 1, 1824, p. 274). Le faux était pièce secrète lui-même. M. Cavaignac a patriotiquement omis d'en lire une partie. La pièce était destinée à convaincre ceux qui connaissaient déjà le dossier ultra-secret. Cela juge la valeur de ces papiers (CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p. 129) :
• 17. Elle se plaisait à tâter les esprits, à les piquer, à vous interpeller au souper, d'un bout de la table à l'autre, par quelque question provocante; la repartie qu'on y faisait vous jugeait sur l'heure.
SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 4, 1862, p. 25.
4. P. ext. Se former une opinion, avoir un avis.
— [Le compl. est une prop. complétive (infinitive ou conjonctive)] Avoir un avis, une opinion sur quelque chose; faire une estimation, un pronostic à partir d'éléments réels. Synon. penser. On peut juger si Julien était attentif; tout l'intéressait, et le fond des choses et la manière d'en plaisanter (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 254). Il s'arrêta (...) devant une petite fenêtre (...) et il jugea que le ciel serait favorable ce soir à la pêche aux écrevisses (BOYLESVE, Leçon d'amour, 1902, p. 143) :
• 18. Auprès du comte se trouvait un homme vêtu de noir et cravaté de blanc, que Rocambole jugea être un médecin...
PONSON DU TERR., Rocambole, t. 3, 1859, p. 531.
— [Constr. attributive] Juger + subst. + attribut du compl. Attribuer une qualité ou un défaut à quelque chose. Synon. estimer.
♦ [Le compl. est un subst. et l'attribut un adj.] Le plan du grand Cointet était d'une simplicité formidable. Du premier abord, il jugea le collage en cuve impossible (BALZAC, Illus. perdues, 1843, p. 744). Mon père, qui jugea cette jaquette encore trop neuve (GIRAUDOUX, Intermezzo, 1933, III, 3, p. 173) :
• 19. ... M. de Norpois, qui, pour raison de santé, devait depuis longtemps venir faire à Paris une petite cure, aurait quitté Berlin où il ne jugeait plus sa présence utile.
PROUST, Fugit., 1922, p. 639.
♦ [Le compl. et l'attribut sont des subst.] Frédéric jugea leur adieu une dernière moquerie (FLAUB., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 50).
♦ [Le compl. est un inf. et l'attribut un adj.] Juger + adj. + de + inf. Estimer le bien-fondé d'une action exprimée par l'infinitif. Juger convenable, prudent, utile de. Si l'on juge important à l'éducation de l'enfant de lui donner des idées justes sur les différens objets de ses études (BONALD, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 148). Redevenant riche et immensément riche après cette entreprise, je jugeai à propos de revenir aux États-Unis profiter des amnisties (VERLAINE, Œuvres compl., t. 4, L. Leclercq, 1886, p. 169) :
• 20. ... elle a baissé les paupières, elle pense à ce qu'elle va me dire, à la façon dont elle commencera. Dois-je l'interroger à mon tour? Je ne crois pas qu'elle y tienne. Elle parlera quand elle jugera bon de le faire.
SARTRE, Nausée, 1938, p. 179.
— [Le compl. est précédé de la prép. de] Se faire une idée au sujet de quelque chose, évaluer quelque chose; s'imaginer. Juger de l'embarras, de l'étonnement, de la surprise. Je vous laisse à juger de mon désespoir (NODIER, Fée Miettes, 1831, p. 90). Elle donnait de légers coups sur les os pour juger de leur épaisseur, les retournait (ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 669) :
• 21. — Vous savez, continua Armand, combien Andrea est humble, doux, inoffensif, depuis sa conversion. Jugez de mon étonnement lorsqu'il est venu, ce matin, m'annoncer résolument qu'il se battait, et me prier de lui servir de témoin.
PONSON DU TERR., Rocambole, t. 3, 1859, p. 382.
— Loc. (À) en juger par. Seigneur Aymar, croassa-t-il, sans indiscrétion, la mineure sur laquelle je vais instrumenter, si j'en juge par votre goût exquis, est belle, est-ce pas? (BOREL, Champavert, 1833, p. 112). Il était musicien, à en juger par la flûte dont un bout dépassait sa poche (FRANCE, Dieux ont soif, 1912, p. 252).
SYNT. Juger exactement, favorablement, froidement, impartialement, sainement, sévèrement, sans indulgence; droit, faculté de juger; manière, moyen de juger; juger coupable; juger digne, indigne; juger (de) la valeur, (de) l'opportunité; capable, incapable de juger; difficile, facile, impossible de juger; mal juger; faire juger; prétendre juger; permettre de juger.
REM. 1. Jugeant, -ante, part. prés. adj. Qui juge; qui porte des jugements. La manie jugeante est profondément enracinée dans le caractère national, tant notre vanité craintive a besoin de porter des idées toutes faites dans la conversation (STENDHAL, Racine et Shakspeare, t. 1, 1825, p. 123). Cette ferme raison (...) se cassa sous ce nouveau heurt, laissa fuir toute faculté jugeante (RICHEPIN, Aimé, 1893, p. 277). Ici était le miracle, la promesse, l'imprévisible changement; non point la vie jugée, mais la vie jugeante (ALAIN, Propos, 1924, p. 589). 2. Judicatif, -ive, adj. et subst. masc. a) Emploi adj., philos., rare. Synon. de judicatoire. L'image, pour Spaier, n'a pas la même fonction que la perception. Elle fait preuve d'une mobilité, d'une transparence, d'une docilité grâce auxquelles on peut l'assimiler à la pensée judicative et discursive (SARTRE, Imagination, 1936, p. 114). Ce type d'existence [entre les assertions fausses du rêve et les certitudes de la veille] est évidemment celui des créations imaginaires. Faire de celles-ci des actes judicatifs, c'est leur donner trop. Mais c'est aussi ne pas leur donner assez (SARTRE, Imagination, 1936p. 137). b) Emploi adj. et subst. masc., gramm. (Mode) judicatif. Synon. vx de (mode) indicatif. Mode indicatif.(...) toutes les fois que ce mode se trouve dans le discours exprimé ou sous-entendu, il y a un jugement énoncé. Aussi l'a-t-on souvent nommé mode énonciatif, mode judicatif (DESTUTT DE TR., Idéol. 2, 1803, p. 48). 3. Judicatoire, adj., philos., rare. Qui concerne l'acte de juger; qui est relatif à l'acte de juger. La pensée judicatoire (titre de la première partie de La Pensée concrète de A. SPAIER, 1927). La négation proprement dite m'est imputable, elle apparaîtrait seulement au niveau d'un acte judicatoire par lequel j'établirais une comparaison entre le résultat escompté et le résultat obtenu (SARTRE, Être et Néant, 1943, p. 40). Cette unité pré-judicatoire de la conscience de soi et de la conscience d'objet, qu'on pourrait presque appeler conscience organique (J. VUILLEMIN, Être et trav., 1949, p. 31). 4. Jugeable, adj. Qui peut être jugé; sur lequel on peut porter un jugement. Il existe très peu d'hommes, et encore moins de femmes, qui soient, à cet égard, pleinement jugeables avant d'avoir achevé leur carrière objective (COMTE, Catéch. posit., 1852, p. 179). 5. Jugeailler, verbe trans., rare, péj. Porter des jugements sans valeur, à tort et à travers sur quelque chose. Lui ai confié le manuscrit, à condition qu'il ne le communiquerait à personne. Je suis las de tous ces ineptes jugements. Publié, qu'ils me jugeaillent, peu m'importe! Ils auront acheté le droit de déraisonner sur mon livre (BARB. D'AUREV., Memor. 1, 1837, p. 120).
Prononc. et Orth. : [], (il) juge []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 juger a mort « condamner à mort » (Roland, éd. J. Bédier, 1058); 2. a) 1269-78 « porter une appréciation sur les choses » (J. DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 6169); ca 1450 « avoir, prononcer un avis sur quelqu'un ou quelque chose, porter un jugement sur » (MONSTRELET, Chronique, éd. L. Douët-D'Arcq, t. 1, p. 61); ca 1485 « conjecturer » (Mystère du Vieil Testament, éd. J. de Rothschild, t. 6, 44513); 1540 juger de « porter une appréciation, se faire une opinion sur quelqu'un ou quelque chose » (NICOLAS HERBERAY DES ESSARS, Le Premier Livre d'Amadis de Gaule, éd. H. Vaganay, p. 343); 1547 juger des coups (NOËL DU FAIL, op. cit., p. 12); b) 1269-78 jugier aucun (devant adj.) « considérer comme » (J. DE MEUN, op. cit., 5829); 3. ca 1270 vén. juger une beste (La chasse du cerf, éd. G. Tilander, 220); 4. a) 1636 juger de qqc. « imaginer, se représenter » (CORNEILLE, Cid, III, 4); b) 1656 jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence « id. » (MOLIÈRE, Dépit amoureux, IV, 1); 5. 1564 « faire usage du discernement, avoir du bon sens » (Indice et recueil universel de tous les mots principaux de la Bible). Du lat. judicare « rendre un jugement, décider, apprécier ». Fréq. abs. littér. : 10 487. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 18 463, b) 11 986; XXe s. : a) 13 923, b) 14 042.
juger [ʒyʒe] v. tr. [CONJUG. bouger.]
ÉTYM. V. 1283, au sens 1; jugier, 1080, « condamner »; du lat. judicare.
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1 Dr. et cour. a Soumettre (une cause) au jugement, à la décision de sa juridiction, statuer en qualité de juge. || Juger une affaire (→ Équité, cit. 7; influençable, cit. 1; juge, cit. 3). || Juger un litige, un crime (→ Ecclésiastique, cit. 3; 2. pouvoir, cit. 16). || Cas difficile à juger. ⇒ Trancher (→ Argument, cit. 14). — Pron. (sens passif). || Le procès se jugera cet hiver (→ Événement, cit. 2).
b (Compl. n. de personne). Soumettre (une personne, un accusé) à un jugement. || Juger un accusé (→ Assise, cit. 7), un prévenu, un voleur (→ Authentique, cit. 7). || Un innocent qui a été jugé et condamné (→ Élever, cit. 35).
1 Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Racine, les Plaideurs, I, 1.
2 Ils me feraient arrêter sûr ! Qui me jugerait alors ? Des types spéciaux armés de lois terribles qu'ils tiendraient on ne sait d'où (…)
Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 160.
c Absolt. Rendre la justice (→ 1. Être, cit. 58; fonction, cit. 7). || Droit, pouvoir de juger. ⇒ Compétence, pouvoir; judiciaire, juridictionnel; justice (→ Bailli, cit.). || Refus de juger. ⇒ Déni (cit. 3). || Le tribunal jugera. ⇒ Conclure, décider, prononcer, statuer. || Juger au nom de la loi, juger à huis clos, par contumace, en dernier ressort. ☑ Juger en connaissance de cause, juger sur pièces (aussi sens 4). || Juger sans preuves (→ par métaphore, Envie, cit. 4). || Juger en conscience, avec équité.
3 Le 27 octobre, les juges envoyés à Marseille par le Parlement d'Aix, jugeaient dans les formes anciennes, avec les procédures secrètes, tout le vieil attirail barbare, sans tenir compte du décret contraire, sanctionné le 4 octobre.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., III, III.
d Par anal. || Dieu juge les hommes (→ Boue, cit. 5; incirconcis, cit. 4). || L'avenir nous jugera comme nous jugeons le passé (→ Blasphème, cit. 6, Renan).
4 Et maintenant, ô rois ! comprenez; instruisez-vous, vous qui jugez la terre.
Bible (Sacy), Psaumes, II, 10.
2 Décider en qualité d'arbitre. ⇒ Arbitrer. || Le jury qui juge les candidats d'un concours, d'un examen. || La postérité jugera qui vaut le mieux des deux. ⇒ Apprécier. — (Compl. n. de chose). || Juger un différend. || Juger les prétentions de qqn.
♦ (Dans une partie, un jeu). || Juger les coups.
5 Vénus était au milieu de la carrière, qui jugeait du combat.
Racine, Livres annotés, Sophocle, Trachiniennes, 522.
♦ Prendre nettement position sur (une question); résoudre (une alternative). ⇒ Décider (→ Ignominieux, cit. 3; indifférent, cit. 1). || Juger d'un poème qu'il est bon ou mauvais (→ Critique, cit. 11).
♦ (1656, Molière). Trans. dir. || C'est à vous de juger ce qu'il faut faire, comment il faut agir. || Vous pouvez juger si nous devons partir ou rester. — (Construit avec si). || Il est difficile de juger si c'est affaire de probité ou d'habileté (cit. 8). ⇒ Discerner, distinguer.
3 Soumettre (une personne ou une chose) au jugement de la raison, de la conscience (⇒ Apprécier, considérer, examiner) pour se faire une opinion…, ou, encore, porter un jugement, émettre une opinion sur (qqn, qqch.). || Juger favorablement qqch. ⇒ Apprécier, approuver, estimer; aimer. || Juger qqch. mal, défavorablement. ⇒ Blâmer, condamner, critiquer, désapprouver. || Juger bien ou mal un ouvrage, un livre, un film. || Juger la conduite (cit. 27) du prochain. — Juger qqn selon des principes étroits (cit. 14), sous un certain angle (cit. 6), d'après l'image (cit. 26) qu'on s'est faite. ⇒ Cataloguer, classer (fam.), étiqueter. || Juger autrui d'après soi-même (→ Mesurer à sa toise). || Être jugé à sa juste valeur. ⇒ Coter, évaluer, jauger (→ Gerçure, cit. 3), peser. || C'est à l'œuvre qu'on juge l'artisan. ⇒ Connaître. || Juger les gens (cit. 23) sur la mine, sur le dehors (cit. 19). || Juger l'arbre (cit. 42) d'après les fruits. || Juger la fin (cit. 33) sur les moyens. || Juger qqn, qqch. de l'extérieur (cit. 9), de haut (cit. 126; → Engager, cit. 17). || Juger froidement, sainement la situation. || Juger qqn, qqch. favorablement, défavorablement, avec indifférence… ⇒ Œil (voir d'un bon, d'un mauvais œil, d'un œil indifférent). — Absolt. || « Plus on juge, moins on aime » (cit. 41, Balzac). || Ne jugez pas. || Juger témérairement (→ Attention, cit. 3). || Comparer, c'est juger. || À juger sur les apparences, par ce que l'on voit. || Juger en homme sensé, en expert. || « Je ne juge pas, je condamne » (→ Exécuter, cit. 23). || Juger par soi-même (→ Antitotalitaire, cit.).
6 Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l'on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez.
Bible (Segond), Évangile selon saint Matthieu, VII, 1.
7 La nature a donné aux grands hommes de faire, et laissé aux autres de juger.
Vauvenargues, Réflexions critiques, V, VI.
8 Quand on aime, c'est le cœur qui juge.
Joseph Joubert, Pensées, V, 37.
9 Juger son père, est un parricide moral.
Balzac, les Marana, Pl., t. IX, p. 838.
10 Je suis trop chrétien (…) pour n'avoir pas une horreur invincible du jugement, une peur, une horreur de juger, une sorte d'horreur pour ainsi dire physique, insurmontable. Ne jugez pas afin que vous ne soyez pas jugés, c'est l'une des paroles les plus redoutables qui aient été prononcées (…)
Ch. Péguy, Victor-Marie comte Hugo, p. 215.
♦ Se juger, v. pron. (Réfl.). || Se juger soi-même (→ Infériorité, cit. 2). || Il se juge sévèrement.
11 Du moins ai-je appris à me juger sans indulgence, et plus sévèrement même que ne ferait un ennemi.
Gide, Journal, 4 déc. 1942.
12 Tu te jugeras donc toi-même, lui répondit le Roi. C'est le plus difficile. Il est bien plus difficile de se juger soi-même que de juger autrui. Si tu réussis à bien te juger, c'est que tu es un véritable sage.
Saint-Exupéry, le Petit Prince, X.
♦ (Récipr.). || Se juger les uns les autres. — (Passif). || Comment se juge une œuvre d'art. — Trans. ind. (1536). || Juger de… || L'homme (cit. 54) juge de toutes choses. || Bien juger, mal juger des choses (→ Absolu, cit. 23; aptitude, cit. 3; éloigner, cit. 19). || Juger de la beauté (cit. 5). — ☑ Loc. Juger d'une chose comme un aveugle des couleurs. || Juger des hommes (→ Approfondir, cit. 8), des gens sur l'apparence (cit. 12 et 13). || Attendez (cit. 57) pour juger de ce qu'il vaut. || Il n'est pas en état d'en juger (→ Convenir, cit. 5). || Il en juge à son idée (cit. 54). || Si j'en juge par mes propres sentiments… (→ Épisode, cit. 3). || À en juger par son attitude. || Il est difficile d'en juger. ⇒ Dire, penser (d'en dire, d'en penser qqch.). || Autant qu'on puisse en juger. ⇒ Sembler (à ce qu'il semble). || Jugez-en par vous-même. ⇒ Conclure. — Spécialt. || L'oreille juge de la différence des sons. ⇒ Apprécier (→ Conséquence, cit. 1), discerner.
13 Si on juge de l'amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu'à l'amitié.
La Rochefoucauld, Réflexions morales, 72.
14 Juger des hommes par les fautes qui leur échappent (contre les usages) […] avant qu'ils soient assez instruits, c'est en juger par leurs ongles ou par la pointe de leurs cheveux.
La Bruyère, les Caractères, XII, 36.
15 Est-ce donc sur des conjectures qu'il faut juger de pareils faits ?
Beaumarchais, la Mère coupable, I, 6.
16 L'homme, disait M…, est un sot animal, si j'en juge par moi.
Chamfort, Caractères et Anecdotes, Un sot animal.
17 Il ne jugeait pas aussi défavorablement qu'on le croirait peut-être de la promptitude avec laquelle sa dame lui avait donné rendez-vous.
A. de Musset, Nouvelles, Fils du Titien, IV.
18 Sous chaque feuille des arbres devait se cacher un cri-cri au moins à en juger par le potin assourdissant qu'ils faisaient tous ensemble.
Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 123.
4 (Avec un compl. construit avec un adj. ou une complétive). Considérer (qqn, qqch.) comme. ⇒ Estimer, trouver. || On ne le jugeait pas très fort (cit. 12). || Juger qqn bizarre, inexplicable (cit. 7), insignifiant (cit. 8). — Au p. p. || Des voisins jugés suspects (→ Fournée, cit. 7). — Un calme qu'il jugea anormal (→ Annonciateur, cit. 6). — Au p. p. || Une insistance (cit. 2) jugée déplacée. || Fracture (cit. 2) jugée grave. — Faites-le si vous le jugez convenable. || Les choses qu'on juge être les meilleures (→ Générosité, cit. 3). || Si vous le jugez bon. || Juger bon, à propos de (et inf.). ⇒ Croire. || Jugez-vous cela (comme) improbable ? (cit. 5). || Si vous jugez sa présence nécessaire, je le ferai venir. ⇒ Considérer, envisager, regarder. — Il ne jugea pas nécessaire de parler (→ Articuler, cit. 14). || Quand il juge à propos de le faire (→ Fastueux, cit. 4; il, cit. 6).
19 Soudain elle lui parut si naïve et si jeune, elle qu'il jugeait à première vue peut-être un peu trop frottée de lectures !
Loti, les Désenchantées, IV, XXIII.
20 Il le trouve bien peu réservé avec le fond des choses. Il le juge outré dans sa foi, et outré dans son doute.
André Suarès, Trois hommes, « Pascal », II.
21 Il se jugeait lui-même dominé, à certaines heures, par la manie de la persécution.
P. Mac Orlan, la Bandera, VII.
22 En peu de mots j'avertis l'officier que j'étais médecin moi-même, que je n'avais ni trachome ni conjonctivite d'aucune sorte et que je jugeais son examen superflu.
G. Duhamel, Scènes de la vie future, I.
23 Byron d'un œil lucide, sans amour, la mesurait, et la jugeait « une parfaitement bonne personne », mais une anxieuse, destinée à se tourmenter toujours, et (ce qu'il haïssait le plus chez une femme) une romanesque.
A. Maurois, la Vie de Byron, II, XXII.
♦ (Avec une complétive). ⇒ Penser. || Je jugeai que sa présence était nécessaire (→ Controuver, cit. 1). || Il jugeait qu'on l'avait fourvoyé (cit. 4). || Jugez-vous qu'il soit l'heure de rentrer ?
♦ (Avec une proposition à l'inf.). Rare. || Je ne jugeai pas devoir faire cela (→ Familiariser, cit. 5). — Pron. (sens réfléchi). || Se juger esclave (cit. 8) d'un régime. || Se juger injurié (→ Fluxion, cit. 4), insensé (cit. 3)… ⇒ Considérer (se). || Se juger perdu. ⇒ Voir (se). — (Récipr.). || Ils se jugèrent faits l'un pour l'autre (Académie).
5 (V. 1485). Spécialt. ⇒ Conjecturer, deviner. a (Emploi verbal). Vén. || Juger la bête : reconnaître son espèce, sa taille, etc., uniquement d'après ses traces, ses gardes (1. Garde, cit. 88).
b N. m. ☑ Loc. (1867, Littré). Au juger. || Tirer au juger, à l'endroit où l'on présume que se tient le gibier (ou un ennemi). — Fig. || Au juger : d'une manière approximative. ⇒ Estime (à l'). || Estimer une distance au juger. ⇒ Vue (à vue de pays, à première vue, et, fam., à vue de nez).
24 Le mieux est de se précipiter, au juger.
J. Renard, Poil-de-Carotte, p. 5.
25 Lancé au juger, le baiser tombe sur l'oreille qui est molle, douce et finement velue, comme la feuille de la menthe.
G. Duhamel, les Plaisirs et les Jeux, VI, III.
26 Ça grouillait sous les arbres. Chasseriau tira au jugé.
Sartre, la Mort dans l'âme, p. 188.
6 (1636). Trans. ind. (surtout à l'impér.). Littér. ou style soutenu. || Juger de… ⇒ Imaginer, représenter (se). || Jugez de ma surprise. || Vous jugerez aisément du reste (→ Crayonner, cit. 4). — (Avec une complétive ou une interrogative indirecte). || On jugeait à ses traits qu'elle devait plaire aux hommes (→ Guitare, cit. 2). || Vous pouvez juger aisément combien il fut heureux (→ aussi Auguste, cit. 11). || Jugez s'ils ont été contents !
27 Jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence (…)
Molière, le Dépit amoureux, IV, 1.
28 Jugez combien ce coup frappe tous les esprits (…)
Racine, Britannicus, V, 5.
29 Juge de mes douleurs (…)
Racine, Mithridate, I, 1.
30 (…) trop heureux qu'elle voulût bien me promettre le secret, sur lequel même vous jugez que je ne comptais guère(s).
Laclos, les Liaisons dangereuses, XLIV.
7 (1564). Absolt, psychol. (correspond à jugement). « Affirmer ou nier une existence ou un rapport » (Cuvillier). || Juger est une des fonctions (cit. 13, Voltaire) de l'entendement. || L'art (cit. 20)de juger et l'art de raisonner. || Exercer (cit. 12) un esprit à bien juger. || « Penser, c'est juger » (Kant).
31 (…) la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes.
Descartes, Discours de la méthode, I.
32 La vraie perfection de l'entendement est de bien juger.
Juger, c'est prononcer au dedans de soi sur le vrai et sur le faux; et bien juger, c'est y prononcer avec raison et connaissance.
Bossuet, Traité de la connaissance de Dieu…, I, XVI.
♦ Log. Affirmer ou nier un rapport entre un sujet et un attribut; ou, de façon générale, entre plusieurs termes. ⇒ Jugement. || Concevoir (cit. 8) et juger.
——————
se juger v. pron.
♦ ci-dessus à l'article.
——————
jugé, ée p. p. adj. ci-dessus à l'article.
♦ Spécialt. (Dr.). || Cause entendue et jugée. || Autorité (cit. 30) de la chose jugée (→ 1. Fin, cit. 41). — ☑ Loc. (adage). Bien jugé, mal appelé.
♦ N. m. || Le bien jugé, le mal jugé.
♦ (Personnes). Qui a été jugé. || Prévenu jugé, non encore jugé. — Nom :
33 Elle sentait vaguement ce qui reste de suspicion ou au moins de prévention contre une jugée comme elle.
Ed. et J. de Goncourt, Madame Gervaisais, p. 27.
♦ N. m. ☑ Au jugé, loc. adv. (→ ci-dessus, cit. 26).
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DÉR. Jugeable, jugement, jugerie, jugeote, jugeur.
Encyclopédie Universelle. 2012.