emporter [ ɑ̃pɔrte ] v. tr. <conjug. : 1>
1 ♦ Prendre avec soi et porter hors d'un lieu (un objet, un être inerte). Les secouristes emportent les blessés. ⇒ emmener. « Partir sans rien emporter que le plus strict nécessaire » (A. Gide) . Emportez votre parapluie ! ⇒ prendre. Les voleurs ont emporté toute l'argenterie. ⇒fam. embarquer. — Loc. Vous ne l'emporterez pas au (en) paradis : vous ne jouirez pas longtemps du bien, du succès actuel; je me vengerai tôt ou tard. Que le diable l'emporte, m'emporte ! — Plat à emporter (opposé à à consommer sur place) . Vente à emporter (région. [Suisse] à l'emporter ) (opposé à à livrer) .
♢ (Compl. chose abstraite) Il a emporté son secret dans la tombe. « J'emporte de vous ces bonnes paroles » (Fromentin). « Pour emporter dans mes yeux l'image de ces lieux » (A. Daudet).
2 ♦ Enlever avec rapidité, violence. ⇒ arracher , balayer. « Une bourrasque d'ouest avait emporté plusieurs marins et deux navires » (Loti). Le torrent emporte tout sur son passage. Autant en emporte le vent. Un obus lui emporta la jambe. « C'est le croup qui l'a emporté en quelques heures » (Loti) . ⇒ tuer. — Fig. Emporter la bouche ( fam. la gueule) : causer une sensation de brûlure (en parlant d'un mets). — Loc. fig. (Vx) Emporter la pièce, le morceau (proprt une pièce qu'on enlève avec l'emporte-pièce) :faire mal par ses railleries, être extrêmement acerbe. « Il a des traits qui percent, il emporte la pièce » (Sainte-Beuve). Mod. Emporter le morceau : réussir, avoir gain de cause.
3 ♦ Par ext. S'emparer de (qqch.) par la force. ⇒ conquérir, enlever. Emporter d'assaut une position. Emporter une tranchée à la baïonnette. — Fig. Emporter qqch. de haute lutte.
♢ Vx Remporter (l'avantage, le prix).
4 ♦ Entraîner avec force, rapidité. « Vous êtes emporté comme dans un tourbillon » (Gautier). Le train « qui m'emportait vers le front » (Montherlant). ⇒ conduire, emmener, transporter. — Se laisser emporter par l'imagination. Se laisser emporter par la colère, la haine. Des arguments qui emportent la conviction.
5 ♦ Vieilli Entraîner comme conséquence. ⇒ comporter. « Tout ce qu'emporte de risques la précipitation dans le travail » (Valéry).
6 ♦ (XIVe ) L'EMPORTER : avoir le dessus, se montrer supérieur. ⇒ gagner, triompher, vaincre. « Son compétiteur pourrait bien l'emporter sur notre philosophie » (Sainte-Beuve). Notre équipe l'a emporté par trois buts à un. — (Sujet chose) Être supérieur, plus fort. ⇒ prédominer, 1. primer. « Je ne trouve rien qui l'emporte en volupté sur les premiers sentiments » (Valéry). L'amour l'emporta sur l'amitié dans son cœur. ⇒ prévaloir, triompher.
7 ♦ S'EMPORTER v. pron. Se laisser aller à des mouvements de colère, à des actes de violence. ⇒ éclater, fulminer (cf. Monter sur ses grands chevaux). « Napoléon s'emporta : Chateaubriand croit-il que je suis un imbécile ? » (Chateaubriand). S'emporter contre qqn.
⊗ CONTR. Apporter, rapporter. Laisser; arrêter.
● emporter verbe transitif (de porter) Prendre quelque chose avec soi en quittant un lieu : Il est sorti sans emporter ses clés. Prendre quelque chose avec soi en allant quelque part, l'y transporter : Emporte tout ça dans ta chambre. Les cambrioleurs ont emporté tous les bijoux. Transporter quelque chose, quelqu'un (quelque part), l'emmener : Je regardais partir le train qui l'emportait en Bretagne. Entraîner quelqu'un, quelque chose (quelque part) dans son mouvement : Le courant emporta la barque vers le large. Vieux. Entraîner comme conséquence ; comporter, impliquer : L'emprisonnement emporte privation de liberté. Faire disparaître quelqu'un, quelque chose, le détruire, l'arracher par la violence d'un mouvement ; balayer : La tornade emportait tout sur son passage. En parlant d'une maladie, être la cause de la mort de quelqu'un : Une pneumonie l'a emporté l'année dernière. S'emparer d'un lieu par une opération militaire ; enlever : Emporter une place forte. Vieux. Gagner un prix, un lot, l'obtenir ; remporter. En parlant d'un sentiment violent, s'emparer de quelqu'un, lui faire perdre toute raison, toute modération : Se laisser emporter par son imagination. ● emporter (difficultés) verbe transitif (de porter) → emmener ● emporter (expressions) verbe transitif (de porter) À emporter, se dit d'un aliment et en particulier d'un plat cuisiné qu'on peut acheter pour le manger ailleurs ; se dit d'un article de commerce qui d'ordinaire est livré, mais que, dans certaines conditions de vente, le client doit prendre avec lui. Emporter l'adhésion, la conviction de quelqu'un, le convaincre. Emporter la décision ou, familièrement, le morceau, atteindre son but, obtenir ce qu'on désirait après une discussion, une lutte ; réussir dans son entreprise, vaincre. Emporter la bouche, en parlant d'un plat très épicé, d'une boisson très forte, causer une sensation de brûlure. Emporter un secret dans la tombe, ne jamais le dévoiler. L'emporter, vaincre, avoir le dessus, gagner sur des adversaires, triompher de ses concurrents. L'emporter sur, avoir l'avantage sur quelqu'un, prévaloir sur quelque chose, être plus important que quelque chose. Il ne l'emportera pas au (en) paradis, je saurai me venger. ● emporter (synonymes) verbe transitif (de porter) Prendre quelque chose avec soi en quittant un lieu
Synonymes :
- prendre
Prendre quelque chose avec soi en allant quelque part, l'y transporter
Synonymes :
- emmener
- enlever
- prendre
- s'emparer de
Faire disparaître quelqu'un, quelque chose, le détruire, l'arracher par la violence...
Synonymes :
- balayer
- charrier
En parlant d'une maladie, être la cause de la mort...
Synonymes :
- tuer
S'emparer d'un lieu par une opération militaire ; enlever
Synonymes :
- conquérir
- enlever
emporter
v. tr.
d1./d Prendre avec soi et porter ailleurs. Emportez vos livres.
— Fig. Emporter un agréable souvenir.
|| Loc. Il ne l'emportera pas en paradis: je me vengerai tôt ou tard.
|| à emporter ou (Suisse) à l'emporter: que l'on ne consomme pas sur place. Pizza à emporter.
d2./d Pousser, entraîner. Un nageur emporté par le courant.
— Fig. L'ardeur qui nous emporte.
d3./d Enlever avec violence, arracher. Un obus lui a emporté la jambe.
— Par ext. La maladie l'a emporté très vite, l'a fait mourir en peu de temps.
d4./d Obtenir par un effort. Emporter une position, une affaire.
d5./d L'emporter sur: avoir la supériorité, prévaloir sur. L'amour l'emporte souvent sur la raison.
d6./d v. Pron. S'abandonner à la colère. S'emporter contre qqn.
⇒EMPORTER, verbe trans.
I.— Prendre avec soi en quittant un lieu.
A.— [Le suj. désigne une pers., un animé]
1. [L'obj. désigne un inanimé concr.]
a) Emporter des bagages, la clef de son appartement, des meubles, des vêtements; emporter un livre, un ouvrage dans son sac. Je partais en emportant un panier peu fourni, tandis que mes camarades apportaient d'abondantes provisions (BALZAC, Lys, 1836, p. 8). Parmi les six malles que nous emportions, il avait choisi la plus grande, la plus lourde (MIRBEAU, Journal femme ch., 1900, p. 112) :
• 1. Il emporta toutes les variétés de cols et de cravates en faveur à cette époque. Il emporta deux habits de Buisson et son linge le plus fin. Il emporta sa jolie toilette d'or, présent de sa mère.
BALZAC, Eugénie Grandet, 1834, p. 52.
— Emploi pronom. à sens passif. Ces meubles s'emportent aisément (LITTRÉ).
b) Spécialement
♦ Emporter ce qui n'est pas à soi. Synon. voler. La fuite d'un notaire de Paris, qui emportait les fonds déposés chez lui par Birotteau, décida la ruine de l'impétrant (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p. 409).
♦ Domaine du comm. Glace à emporter; vendre « à emporter ». Anton. consommer sur place, livrer. Cf. FRAPIÉ, Maternelle, 1904, p. 65.
♦ Région. (Suisse). À l'emporter, loc. à valeur adj. Que l'on emporte avec soi. Après la fermeture des cafés, chacun prenait un litre à l'emporter pour aller finir la soirée chez l'un ou chez l'autre (G. CLAVIEN, Un Hiver en Arvêche, Lausanne, 1970, p. 158).
♦ DR., vieilli. L'aîné emporte les deux tiers du bien (Ac. 1798-1878). Le droit d'aînesse donnait cet avantage.
2. Au fig. [L'obj. désigne un inanimé abstr.] Garder dans son cœur, sa mémoire en s'en allant. Emporter l'amour, le cœur, le mépris de qqn, l'image de son pays, un regret. Je n'emportais que ma jeunesse et mes illusions (CHATEAUBR., Mém., t. 1, 1848, p. 244). Je partirais [de l'Amérique] sans rien laisser derrière moi, et sans rien emporter (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 310) :
• 2. On ne regarde rien avec indifférence; on voudrait emporter un souvenir de tout; on voudrait prendre dans sa tête tout le pays qu'on va quitter, en sorte que, plus tard, on ne soit séparé de lui qu'en apparence, et il suffirait pour le retrouver de tourner ses yeux en dedans.
RAMUZ, Aimé Pache, peintre vaudois, 1911, p. 101.
♦ Emporter un secret au tombeau, dans la tombe. Garder à tout jamais secret. Et je compris, ce soir-là, que chaque âme emporte dans la tombe, pour l'y cacher à jamais, du secret (GIDE, Feuillets d'automne, 1949, p. 1100).
♦ Ne pas l'emporter au paradis; il ne l'emportera pas en paradis! Menace adressée à celui qui a fait du tort qu'il en subira tôt ou tard la conséquence. Cf. VERCEL, Cap. Conan, 1934, p. 191.
3. P. anal.
a) [L'obj. désigne une pers. inerte ou passive] Emporter un enfant dans ses bras, sur ses épaules; emporter un blessé. On l'enlève [la petite Jeanne endormie] et son corps tout mou se laisse emporter comme un corps où il n'y aurait plus d'os (GONCOURT, Journal, 1873, p. 940). Emporter un mort entre quatre planches (cf. ZOLA, Germinal, 1885, p. 1516) :
• 3. La couverture brune est tirée sur eux comme le jour où deux copains les emporteront rigides. Des morts, tous des morts... Et je n'ose dormir, ayant peur de mourir comme eux.
DORGELÈS, Les Croix de bois, 1919, p. 91.
b) [L'obj. désigne un animal] Emporter sa proie dans ses serres, sa gueule :
• 4. Et, tandis qu'il est d'un côté, Un loup prend un mouton qu'il emporte bien vite. Le berger court, l'agneau qu'il quitte Par une louve est emporté.
FLORIAN, Fables, 1792, p. 39.
c) Au fig., fam.
♦ Que le diable m'emporte, vous emporte! Expression marquant l'impatience. Le diable emporte les jeunes filles! les petites Françaises câlines et froides, qui ne découvrent le plaisir qu'à vingt-six ans! (MONTHERL., Pitié femmes, 1936, p. 1101).
♦ [Que] le diable m'emporte si. Indiquant qu'on ne fera pas ou qu'on ne contestera pas qqc. Le diable m'emporte si je m'en souviens. Je sens le besoin d'aimer, et que le diable m'emporte si je peux aimer une abstraction! (SAND, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 223).
B.— [Le suj. désigne un inanimé du domaine de la nature ou un animé non humain] Le vent emporte les feuilles, les paroles. Le vent emporte plus loin une graine légère, ailée, qu'une lourde (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p. 13). Cf. deça ex. 1.
— Proverbe. Autant en emporte le vent. Des paroles, des promesses ou des menaces ne se réalisent pas, des choses s'oublient. Il me promet monts et merveilles, autant en emporte le vent (Ac. 1798-1932). Autant en emporte le vent du moindre fait qui se produit, s'il est vraiment imprévu (BRETON, Nadja, 1928, p. 54).
— CHASSE. Le vent emporte la voie. Le vent empêche les chiens de sentir la voie. Anton. le chien emporte la voie, il chasse sans difficulté. Les chiens mis à vue par ce vent ne peuvent pas emporter la voie du lièvre qui ne viendrait que de partir (LA HÊTRAIE, Chasse, vén., fauconn., 1945, p. 153).
II.— Enlever avec effortorce, rapidité, violence.
A.— [Le suj. désigne un inanimé]
1. [Une force de la nature] Arracher. L'inondation emporte un pont; la tempête emporte un toit. Il [le Pont au Change] a été emporté par une crue, puis brûlé en 1621 (BRASILLACH, Corneille, 1938, p. 91).
2. [Une arme] Avoir le bras emporté par un boulet. Mon maître eut le nez emporté d'un coup de sabre (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 223). Cf. adjudant ex. 4.
3. [Une maladie] Causer brutalement la mort de quelqu'un. La peste (le choléra) emporte les gens en peu de jours (Ac. 1835-1932). Jeune fille emportée par la tuberculose. La fièvre prit dans les Huttes et emporta le rémouleur, sa femme et ses enfants (LAMART., Tailleur pierre, 1851, p. 452).
4. [Une substance] Faire disparaître. Le jus de citron emporte les taches d'encre (Ac. 1798-1932). Le remède emporte la fièvre. Un bain complet emporta le reste de ma fatigue (CHATEAUBR., Mém., t. 4, 1848, p. 201).
— P. ext. [En parlant d'un mets épicé] Emporter la bouche. Donner une sensation de brûlure. Ses pépins écrasés emportaient la bouche comme du piment de Cayenne (VERNE, Enf. cap. Grant, t. 2, 1868, p. 107).
♦ Emploi pronom. S'emporter la bouche avec du poivre (cf. COCTEAU, Enf. terr., 1929, p. 86).
Rem. Relevé au passif avoir la bouche emportée.
5. Au fig. Enlever en faisant disparaître. Une douleur que le temps emporte (LITTRÉ). Son ardeur emporte tous les obstacles. Synon. faire disparaître, balayer, anéantir. Il est de l'essence des révolutions d'emporter les principes les plus modernes et de respecter les anciens (PROUDHON, Propriété, 1840, p. 140).
B.— [Le suj. désigne une pers. une de ses productions]
1. Emporter le morceau, la pièce, à l'aide de l'emporte-pièce. Au fig., vieilli. Être très acerbe, mordant. Le pamphlet de Desterniers, qui est injurieux et emporte la pièce (STENDHAL, L. Leuwen, t. 3, 1836, p. 42).
— Mod., fam. Avoir gain de cause, triompher. Cf. BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 541.
2. S'emparer d'une position militaire que l'on a enlevée. Emporter (d'assaut, de haute lutte, à la pointe de l'épée) un fort, une redoute. Synon. enlever. Il voulut d'abord emporter la place d'assaut; une première attaque ne réussit point (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 3, 1821-24, p. 226).
♦ Emporter de haute lutte. Au fig. Réussir à obtenir quelque chose malgré les difficultés et oppositions. Le baron était bien trop occupé de la nouvelle démarche qu'il comptait faire en tempête aux Beaux-Arts, pour emporter de haute lutte l'engagement [à la Comédie pour sa maîtresse] (ZOLA, Paris, t. 1, 1898, p. 41).
3. Au fig. [L'obj. désigne un prix, un avantage] Obtenir après des efforts. Il emporta cette affaire à force de sollicitations (Ac. 1798-1932). Emporter une adhésion, l'assentiment de tous, l'avantage, la décision finale. Emporter, en fin d'année, tous les prix de thème, version et discours latins (cf. MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Quest. du lat., 1886, p. 566). À la guerre ce sont les derniers bataillons qui emportent la victoire (JOFFRE, Mém., t. 2, 1931, p. 218).
Rem. Ce dernier sens vieillit. La lang. emploie de préférence remporter. Cependant les dict. du XIXe s. voient dans emporter l'insistance sur l'idée de lutte et dans remporter l'obtention d'un objet précis (cf. LITTRÉ).
— Loc. verbale. L'emporter (sur). Avoir la supériorité, le dessus lorsqu'on est en lutte, en compétition, en concurrence. L'emporter sur ses adversaires, sur les concurrents; l'emporter dans une discussion. Que le meilleur l'emporte! La majorité l'emportera. Anton. échouer, céder le pas :
• 5. ... c'est la justice, la constitution, la force légitime enfin qui doit l'emporter; non pas, mais c'est le représentant de la loi qui doit l'emporter, juste ou non.
ALAIN, Propos, 1930, p. 980.
• 6. ... sur la candidature de Clemenceau à la présidence de la république. Maurras était contre Clemenceau. J'étais pour. Nous avons chacun défendu notre point de vue, et en fin de compte, c'est Maurras qui l'a emporté, puisque le père la Victoire a échoué.
L. DAUDET, Bréviaire du journ., 1936, p. 100.
♦ [Le suj. désigne un inanimé] À volume égal, l'or l'emporte de beaucoup sur l'argent (Ac. 1798-1932). Les avantages l'emportent sur les inconvénients; le bonheur l'emporte sur le malheur; le vice l'emporte souvent sur la vertu :
• 7. ... « Tu ne voudrais pas qu'elle vécût comme toi au milieu de meubles cassés et de tapis usés », lui dit-elle, le respect humain de la bourgeoise l'emportant encore chez elle sur le dilettantisme de la cocotte.
PROUST, Du côté de chez Swann, 1913, p. 245.
III.— Entraîner dans un mouvement irréversible.
A.— [Le suj. désigne une force imprimant ce mouvement]
1. [Une force naturelle] Le courant emporte la barque; le mouvement qui emporte l'univers. Ce stérile mouvement qui emporte les jours, comme la tempête emporte en cette saison les feuilles séchées (LAMENNAIS, Lettres Cottu, 1826, p. 175) :
• 8. As-tu jamais vu un petit poisson qui essaie de remonter un courant rapide, et que la force du courant maintient à la même place, immobile et frémissant? Enfin le courant l'emporte, comme une feuille. J'ai lutté contre le courant. J'ai lutté, je cède, il m'emporte.
MONTHERLANT, Pasiphaé, 1936, p. 113.
• 9. ... ce n'est pas la guerre abattant sur moi cette trombe ce déferlement qui ne sait d'où il vient où il va ce qu'il fait qui me roule m'emporte me traîne me rejette et me reprend me met en pièces me balaye et me balance m'enlève au haut de sa vague et je tombe...
ARAGON, Le Roman inachevé, 1956, p. 53.
— Au passif. Être emporté par le flot, le torrent, le tourbillon, la tourmente, le vent.
♦ P. métaph. et au fig. D'autres [commerçants] qui (...) sombraient, roulés, emportés, dans le flot des désastres (ZOLA, Bonh. dames, 1883, p. 756).
2. P. anal. [Un animal de selle ou de trait, un moyen de locomotion] Le cheval emporte son cavalier au galop; le train emporte les voyageurs. Des barques innombrables, emportent ou ramènent un monde de gens affairés (MICHELET, Chemins Europe, 1874, p. 47) :
• 10. — Édouard, dit-elle, vois-tu ce bon serviteur : il a été bien courageux, car il a exposé sa vie pour arrêter les chevaux qui nous emportaient et la voiture qui allait se briser.
DUMAS père, Le Comte de Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 699.
— Emploi pronom. [Le suj. désigne le cheval] Se lancer en n'obéissant plus. Synon. Prendre le mors aux dents. Il piqua (...) la croupe de leurs bêtes, comptant qu'aiguillonnées de la sorte elles s'emporteraient (GAUTIER, Fracasse, 1863, p. 366).
♦ CHASSE. [Le suj. désigne le chien] Se lancer à la poursuite du gibier en n'obéissant plus (d'apr. Ac. 1835-1932).
3. Au fig. [Les forces, les passions ou mouvements de l'âme] Le sujet emporte l'orateur; la colère l'emporte jusqu'à dire. Un grand trouble, comme un coup de vent, emporta l'âme du jeune homme (BARRÈS, Barbares, 1888, p. 118). Homme [Saint-Simon] dont le style vous emporte où il veut (GREEN, Journal, 1939, p. 207).
— Au passif. Être emporté par son ardeur, son enthousiasme, sa fougue, sa passion, ses sentiments.
— Emploi pronom. [Le suj. désigne une pers.] Se mettre en colère. S'emporter de colère, pour des riens, pour rien, s'emporter contre qqc., contre qqn (cf. RESTIF DE LA BRET., M. Nicolas, 1796, p. 177). Lorsqu'un jeune homme de son âge est atteint par le mépris, il s'emporte, il enrage, il menace du poing la société tout entière (BALZAC, Goriot, 1835, p. 95). Le fougueux C. Rio, qui s'emporte et rugit et tempête à la moindre opposition (AMIEL, Journal, 1866, p. 327) :
• 11. Andromaque elle-même (que nous ne pouvons plus voir qu'avec des gestes mesurés et adroits) s'emporte et maudit Hélène avec une dureté et un emportement magnifique.
BRASILLACH, Pierre Corneille, 1938, p. 39.
♦ Fam. S'emporter comme une soupe au lait (LITTRÉ).
Rem. Les dict. mentionnent le sens class., plus étendu de s'emporter, « se laisser aller à la manifestation d'un sentiment, amour, désespoir aussi bien que colère ».
B.— [Le suj. désigne un inanimé]
1. Vieilli. [Un poids] Entraîner un des plateaux de la balance. Au fig. Emporter la balance. Déterminer la préférence, prévaloir. Cette considération emporta la balance (Ac. 1835-1932).
2. P. ext. [L'article se rapportant à l'obj. pouvant être supprimé] Entraîner en ayant pour conséquence, impliquer. Cette précaution n'emportait aucune perte de temps (Voy. La Pérouse, 1797, p. 344). Une convenance arbitraire emporte vingt louis, tandis qu'un malheureux n'a pu obtenir un écu (SENANCOUR, Obermann, t. 2, 1840, p. 106).
— DR. Crime emportant peine capitale. La propriété de la surface emporte la propriété du dessus et du dessous (PROUDHON, Propriété, 1840, p. 195) :
• 12. L'acceptation de fonctions conférées à vie, emportera translation immédiate du domicile du fonctionnaire dans le lieu où il doit exercer ces fonctions.
Code civil, 1804, art. 107, p. 23.
♦ La forme emporte le fond. Un vice de forme fait perdre la cause, entraîne l'annulation. Cf. VIDOCQ, Mém. Vidocq, t. 4, 1828-29, p. 43.
Rem. On relève chez 2 aut. qq. emplois adj. du part. prés. emportant, ante. (Quasi-)synon. de enivrant, exaltant. La pêche est dans ma bouche, froide, liquide, emportante (MONTHERL., Olymp., 1924, p. 274). La vigueur astringente de ces matinées froides, lucides, emportantes de septembre (GRACQ, Beau tén., 1945, p. 133).
Prononc. et Orth. :[], (j')emporte []. Enq. : // (il) emporte. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. [Xe s. « porter d'un lieu à un autre, prendre avec soi » (Passion du Christ, éd. d'Arco Silvio Avalle, 343 : A grand honor el l'en portet, En sos chamsils l'envelopet)]; ca 1280 emporter (M. de Condé, 7, 168 ds T.-L.); 2. ca 1260 « gagner, obtenir, conquérir » (Auberon, éd. J. Subrenat, 73 : Le pris en enporta); 1350 l'emporter (G. Le Muisis, I, 160 ds T.-L.); 3. 1500 « s'emparer de quelque chose par la force » (JEAN D'AUTON, Chroniques du roi Louis XII, éd. P. L. Jacob, t. 1, chap. XXIII, p. 151); 4. 1541 « avoir pour conséquence » (CALVIN, Inst. de la Religion chrestienne, V, p. 305 ds HUG.); 5. 1310 « enlever de force, violemment » (B. LATIN, Tresor, éd. Chabaille, p. 488, leçon du ms. S); 6. 1632 s'emporter « se laisser aller à des mouvements de passion, de colère » (CORNEILLE, La Veuve, V, 6, 1745). Dér. de porter; préf. en-. Fréq. abs. littér. :11 076. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 15 487, b) 18 305; XXe s. : a) 19 507, b) 12 345. Bbg. CHAUTARD (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 477, 639.
emporter [ɑ̃pɔʀte] v. tr.
❖
1 Prendre avec soi et porter hors d'un lieu (un objet, un être inerte). || On l'emporta inanimé. ⇒ Emmener. || Emporter des livres, du linge, des bibelots dans ses bagages (→ Arsenal, cit. 5; chemise, cit. 4). || N'oublie pas d'emporter ta serviette. ⇒ Prendre. || Faire emporter ses meubles. || Partir sans rien emporter (→ Déguerpir, cit. 3). — Les voleurs ont emporté tout ce qui leur est tombé sous la main. ⇒ Embarquer (fam.), piller, rafler, ravir, soustraire, voler.
1 (…) au fond des forêts
Le loup l'emporte (l'agneau), et puis le mange
Sans autre forme de procès.
La Fontaine, Fables, I, 10.
2 Lorsqu'on rencontre, vêtues de haillons, des créatures semblables, que ne peut-on les saisir et les emporter, quand ce ne serait que pour les parer, leur dire qu'elles sont belles et les admirer !
Maupassant, la Vie errante, III, p. 61.
♦ ☑ Loc. Vous ne l'emporterez pas en paradis : vous ne jouirez pas longtemps du bien, du succès actuel; je me vengerai tôt ou tard.
2.1 Ils le traitèrent longtemps de faillot (sic : fayot) et de pédale et se réjouirent à la pensée qu'il ne l'emporterait pas en paradis et qu'à force de vivre sous la griffe du capitaine de La Hure il serait déchiré. Cela leur donna du cœur.
Jacques Laurent, les Bêtises, p. 132.
♦ ☑ Que le diable l'emporte, t'emporte ! || Que le diable m'emporte si… !
♦ Comm. || Plat à emporter (opposé à à consommer sur place). || Vente à emporter (opposé à à livrer). — ☑ Loc. adj. Régional (Suisse). À l'emporter. || Vin à l'emporter. || Vente à l'emporter. || Prix à l'emporter.
♦ (Compl. n. de choses abstraites). || Il a emporté son secret dans la tombe. || Emporter d'un lieu, d'un séjour, le plus agréable souvenir. || Il aurait voulu emporter toutes ces images dans son regard (→ Classe, cit. 17). ⇒ Conserver, garder. || En nous quittant, il a emporté tous nos vœux, il a emporté tous les cœurs (Académie).
3 Toi-même tu l'a vu courir dans les combats,
Emportant après lui tous les cœurs des soldats (…)
Racine, Bajazet, I, 1.
4 J'emporte de ce château et du philosophe qui l'habitait, un souvenir heureux qui ne s'effacera jamais de ma mémoire et de mon cœur (…)
Mme de Genlis, les Veillées du château, t. II, p. 435.
5 Si je vous le disais, que j'emporte dans l'âme
Jusques aux moindres mots de nos propos du soir !
A. de Musset, Poésies nouvelles, « À Ninon ».
6 (…) j'emporte de vous ces bonnes paroles qui consolent de vos ennuyeux silences et réparent bien des oublis qui blessent sans que vous le sachiez.
E. Fromentin, Dominique, p. 121.
7 Après quoi, je descendis lentement, regardant attentif autour de moi, comme pour emporter dans mes yeux l'image, toute l'image, de ces lieux que je ne devais plus jamais revoir.
Alphonse Daudet, le Petit Chose, I, XIII.
7.1 Vous emportez tous nos regrets, Joseph !…
Hélas ! Joseph n'emportait pas que des regrets… il emportait aussi l'argenterie !…
O. Mirbeau, le Journal d'une femme de chambre, p. 406.
8 Que chaque instant emporte tout ce qu'il avait apporté !
Gide, l'Immoraliste, p. 238.
9 Mais c'est son honneur immortel d'avoir fait à l'invitation de partir la sublime réponse qui a traversé les âges : On n'emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers.
Louis Barthou, Danton, p. 362.
♦ Fig. ⇒ Transporter. || Son rêve l'emporte à mille lieues (→ Ahurissement, cit. 1).
10 (…) la jeunesse et la fortune l'emportent (Alexandre) victorieux jusqu'au fond des Indes.
Racine, Alexandre, Épître.
11 Il écrit, et les vents emportent sa pensée,
Qui va dans tous les lieux vivre et s'entretenir (…)
Lamartine, Harmonies…, II, 10.
♦ ☑ Loc. Autant en emporte le vent : rien n'en restera, tout en sera emporté comme par le vent; titre français d'un roman américain de M. Mitchell (en angl. Gone with the wind).
2 Sujet n. de chose. Enlever avec rapidité, violence. || Un obus lui emporta la jambe. ⇒ Arracher, couper. || Le typhon, le torrent emporte tout sur son passage. ⇒ Balayer, détruire, dévaster, submerger (→ Bourrasque, cit. 3; déborder, cit. 14.1). || L'inondation a emporté la rive. — La maladie l'a emporté en quelques heures (→ Croup, cit. 2).
12 (…) une fièvre violente emporta ma chère épouse après quatorze mois de mariage.
A. R. Lesage, Gil Blas, XI, 1.
♦ Fig. et fam. (D'un mets). || Emporter la bouche : causer une sensation de brûlure.
♦ Fig. || Le temps a emporté toutes ses illusions. ⇒ Anéantir.
♦ ☑ Loc. fig. (Vx). Emporter la pièce, le morceau (→ Emporte-pièce, 2) : railler d'une manière mordante, cruelle.
13 Il avait l'esprit enjoué, un peu railleur; mais il raillait agréablement, sans emporter la pièce (…)
A. R. Lesage, Hist. d'Estevanille Gonzales, XXXVI.
14 Il (Chateaubriand) excelle dans la polémique; il a des traits qui percent, il emporte la pièce.
Sainte-Beuve, Chateaubriand, t. I, p. 205.
♦ ☑ Mod. Emporter le morceau : réussir, avoir gain de cause.
15 (…) aujourd'hui, il faut profiter de la secousse pour emporter le morceau. Énergie ! Énergie !
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. II, IV, p. 33.
3 Par ext. S'emparer de (qqch.) par la force. ⇒ Conquérir, enlever. || Emporter une place d'assaut, s'en rendre maître de vive force (→ Assaut, cit. 2). || Emporter une tranchée à la baïonnette, à la pointe de la baïonnette. — ☑ Fig. Emporter qqch. de haute lutte, avec de grands efforts, malgré la résistance. ⇒ Conquérir, obtenir, vaincre.
16 Les esprits entêtés regimbent contre l'insistance; auprès d'eux on gâte tout en voulant tout emporter de haute lutte.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. VI, p. 61.
17 Il sait qu'il est certaines âmes qu'il n'emportera pas de vive lutte et qu'il importe de persuader.
Gide, Feuillets, in Journal 1889-1939, Pl., p. 608.
♦ Vx. || Emporter un avantage (cit. 19), le prix. ⇒ Gagner, obtenir (→ Agréer, cit. 2; course, cit. 6). — REM. Dans ce sens, on dit aujourd'hui remporter.
4 Sujet en général n. de chose. Entraîner avec force, rapidité, sans pouvoir être contrôlé. || La rivière emporte des glaçons. ⇒ Charrier. || Le courant nous emporte vers le rivage. || Son cheval prit le mors aux dents et l'emporta à travers champs (Académie). || La voiture nous emporte vers une destination inconnue. ⇒ Emmener, transporter. || Se laisser emporter.
18 La terre elle-même est emportée avec une rapidité inconcevable autour du soleil (…)
La Bruyère, les Caractères, XVI, 43.
19 (…) la rapidité excessive des moyens de transport ôte tout charme à la route : vous êtes emporté comme dans un tourbillon, sans avoir le temps de rien voir.
Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 233.
20 Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate !
Loin ! loin (…)
Baudelaire, les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, LXII.
21 Il se sent emporté comme un fétu dans une avalanche : impossible de s'accrocher à rien : tout a chaviré, tout sombre avec lui (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. IV, p. 124.
22 (…) tandis qu'une voiture les emportait vers le Luxembourg, l'homme répétait avec une sorte de frénésie : « Nous tenons la place, il faut y faire une fortune immense, une immense fortune. »
Louis Madelin, Talleyrand, I, VI, p. 75.
23 Le train m'emporte (…) Et ce mélange d'appréhension et d'attrait, comme dans celui qui m'emportait pour la première fois vers le front.
Montherlant, le Démon du bien, p. 102.
♦ Fig. (Le sujet désigne une passion, une force). Entraîner, pousser. || Un je ne sais quoi qui nous emporte (→ Amour, cit. 9, Corneille). || La passion emportait son cœur à l'abîme (→ Arracher, cit. 35). || Son imagination l'emporte. || Se laisser emporter par la colère, la haine, la générosité (→ Couvrir, cit. 30), l'éloquence (→ Aiguille, cit. 11), l'orgueil. || Se laisser emporter à la vengeance, aux plaisirs.
24 Le souvenir des siens, l'orgueil de sa naissance,
L'emporte à tous moments à braver ma puissance.
Corneille, Héraclius, I, 2.
25 À des charmes si doux je me laisse emporter.
Molière, l'École des femmes, V, 2.
26 La fureur m'emportait, et je venais peut-être
Menacer à la fois l'ingrate et son amant.
Racine, Andromaque, III, 1.
27 (Antiochus) exerce des cruautés inouïes : son orgueil l'emporte aux derniers excès (…)
Bossuet, Hist. des variations, II, 5.
28 (…) le tourbillon nous emporte, nous n'avons pas le loisir de nous arrêter si longtemps sur une même chose (…)
Mme de Sévigné, Lettres, 785, 28 févr. 1680.
29 (…) tandis que l'amour-passion nous emporte au travers de tous nos intérêts, l'amour-goût sait toujours s'y conformer.
Stendhal, De l'amour, I.
30 (…) cet effroyable avenir de désespérance, de fer, de feu et de sang, vers lequel des vertiges nous emportent.
Loti, Suprêmes visions d'Orient, p. 103.
31 Nombre de bons narrateurs continuent de penser que leur objet essentiel étant de nous emporter, de nous entraîner au fil des événements, de nous associer pour une heure au destin des personnages fictifs, il y a péril à s'arrêter pour goûter les agréments du détail.
G. Duhamel, Défense des lettres, p. 265.
♦ ☑ Loc. (Concret). Emporter la balance, entraîner, faire pencher l'un des plateaux, en parlant d'un poids. — Par métaphore :
32 Le sot est automate, il est machine, il est ressort; le poids l'emporte, le fait mouvoir (…)
La Bruyère, les Caractères, XI, 142.
♦ Fig. Le sujet désigne un argument. || Emporter la conviction, la détermination, l'obtenir par sa seule action, son évidence. || Cela emporte la décision.
33 (…) de ces arguments qui emportent conviction.
La Bruyère, les Caractères, XVI, 10.
34 D'autres facteurs, impondérables et soudainement accumulés, avaient dû emporter l'extravagante détermination.
Martin du Gard, les Thibault, t. IV, p. 37.
5 (XIVe). Sujet n. de personne. || L'emporter : avoir le dessus, se montrer supérieur. ⇒ Gagner, triompher, vaincre. || L'emporter sur qqn, sur son adversaire. ⇒ Damer (le pion), dépasser, dominer; prévaloir, surpasser. || Son concurrent pourrait bien l'emporter (→ Compétiteur, cit.). || L'emporter dans un procès. ⇒ Gain (obtenir gain de cause). || L'emporter dans une discussion, un conflit. ⇒ Mot (avoir le dernier mot).
35 Enfin vous l'emportez, et la faveur du Roi
Vous élève en un rang qui n'était dû qu'à moi (…)
Corneille, le Cid, I, 3.
36 Sur le plus honnête homme on le voit l'emporter.
Molière, le Misanthrope, I, 1.
37 (…) ils (ces individus groupés dans un bataillon d'infanterie) vont acquérir rapidement (…) un commun désir de l'emporter soit par la force sur un groupe ennemi, soit par le courage et l'excellence technique sur d'autres bataillons de la même armée.
A. Maurois, Études littéraires, Jules Romains, t. II, p. 124.
♦ (Sujet n. de chose). Être supérieur, plus fort. ⇒ Prédominer, prévaloir, primer, surmonter, triompher. || Le courage l'emporta finalement sur la peur. || Ce sentiment l'emporte dans son cœur (→ Affection, cit. 5).
38 Sa table l'emporte sur celle d'un ministre pour la délicatesse et l'abondance (…)
A. R. Lesage, le Diable boiteux, XVIII.
39 Il est vrai que la démocratie finit par l'emporter dans Rome; mais, alors même, les procédés et ce qu'on pourrait appeler les artifices du gouvernement restèrent aristocratiques.
Fustel de Coulanges, la Cité antique, p. 436.
40 (…) sa raison sans cesse lutte et souvent l'emporte contre son cœur.
Gide, la Symphonie pastorale, p. 22.
41 Mais lorsque, aujourd'hui, je me penche sur notre passé commun, les souffrances qu'elle endura me paraissent l'emporter de beaucoup (…)
Gide, Et nunc manet in te, p. 22.
6 Vieilli. Avoir comme conséquence, entraîner par corrélation. || Ce droit emporte un devoir. ⇒ Comporter, impliquer. || Ce crime emporte la peine capitale. || Ce partage (d'avis) emporte consentement (→ Dissentiment, cit. 3; désistement, cit. 1). || Ce terme emporte avec lui une idée de… (→ Adulation, cit. 1; agreste, cit. 1; arroger, cit. 1).
42 (…) le droit de la défense naturelle n'emporte point avec lui la nécessité de l'attaque.
Montesquieu, l'Esprit des lois, X, 2.
43 (…) il fallut faire vite, et donc assumer tout ce qu'emporte de risques, d'imprudences et d'impuretés, la précipitation dans le travail.
Valéry, l'Idée fixe, p. 9.
44 Au lieu qu'une opinion subtile et nuancée emporte toujours quelque vague soupçon d'hypocrisie.
J. Paulhan, Entretien sur des faits divers, IV, p. 41.
♦ ☑ Dr. La forme emporte le fond, elle prévaut sur le fond; un vice de forme fait perdre la meilleure cause.
45 Selon moi les Gravelot ont raison, mais il ne suffit pas d'être fondé en Droit et en Fait, il faut s'être mis en règle par la Forme, et ils ont négligé la Forme qui toujours emporte le Fond.
Balzac, les Paysans, Pl., t. VIII, p. 122.
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s'emporter v. pron.
♦ Se laisser aller à des mouvements de colère, à des actes de violence. ⇒ Cabrer (se), déchaîner (se), éclater, emballer (s'), fulminer, monter (monter sur ses grands chevaux), sortir (de ses gonds). || S'emporter violemment. → Casser les vitres; ne plus se connaître, jeter feu et flamme, prendre le mors aux dents, prendre la mouche. || Il s'emporte facilement. || S'emporter contre qqn. → Faire une sortie. || S'emporter contre le sort. ⇒ Maudire, maugréer. || Discuter sans s'emporter (→ Doux, cit. 37).
46 Il est vrai, je suis prompt, et m'emporte parfois (…)
Molière, l'Étourdi, II, 11.
47 — Ah ! vous êtes dévot, et vous vous emportez ?
— Oui, ma bile s'échauffe à toutes ces fadaises (…)
Molière, Tartuffe, II, 2.
REM. S'emporter avait dans la langue du XVIIe s. un sens plus étendu. Il se disait absolument d'une personne qui s'abandonne au désespoir, aussi bien que de celle qui se laisse gagner par la colère.
48 Mon père, retenez des femmes qui s'emportent,
Et de grâce empêchez surtout qu'elles ne sortent.
Corneille, Horace, II, 8.
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emporté, ée p. p. adj.
1 Vx. Qui se laisse entraîner par les passions dans le dérèglement.
2 Mod. Qui est prompt aux mouvements de colère. || Un homme emporté, violent. || Caractère emporté. ⇒ Bouillant, brutal, chaud (cit. 6), difficile (cit. 25), fougueux, impétueux, irascible, irritable, prompt, vif, violent. — N. || C'est un emporté, une emportée. ⇒ Coléreux. → Avoir la tête près du bonnet, la tête un peu chaude; être comme une soupe au lait.
49 Naturellement emporté, j'ai senti la colère, la fureur même dans les premiers mouvements; mais jamais un désir de vengeance ne prit racine au-dedans de moi.
Rousseau, les Confessions, XI.
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CONTR. Apporter, rapporter. — Laisser; arrêter. — Calmer. — (Du p. p.) Calme, doux, flegmatique, pacifique, paisible.
DÉR. Emport, emportement.
COMP. Remporter. — Emporte-pièce.
Encyclopédie Universelle. 2012.