CELTES
Peuple antique d’Europe occidentale, les Celtes ont occupé l’Allemagne du Sud, la Gaule, les îles Britanniques, l’Espagne, l’Italie du Nord, et ont constitué d’importantes principautés dans les Balkans et en Asie Mineure.
Ayant entretenu des rapports constants avec les peuples de la Méditerranée, ils ont donc emprunté à de multiples sources les éléments de leur civilisation. Toutefois, ils représentent, non sans originalité, le monde barbare occidental, face aux cultures classiques de l’Orient, de la Grèce, de Rome: l’art celte est le plus solide et le plus riche des arts barbares.
Les renseignements qui permettent de reconstituer leurs origines et leur histoire sont empruntés, d’une part, aux textes historiques de l’Antiquité grecque et latine, d’autre part, aux données nouvelles de la linguistique, de l’archéologie et l’anthropologie.
1. Histoire politique
Des Proto-Celtes à l’invasion des « champs d’urnes »
Entre 1800 et 1600 avant J.-C., se forme en Allemagne du Sud un peuplement protoceltique, et son rameau « goïdélique » commence à envahir la Grande-Bretagne (la langue des Goïdels est celle qui est encore parlée en Irlande).
Vers 1500 avant J.-C., en Allemagne du Sud et de l’Ouest, ainsi que dans la Gaule du Nord-Est, apparaît la civilisation protoceltique du bronze moyen. Entre 1500 et 1200 avant J.-C., les Proto-Celtes essaiment vers le centre et le sud-ouest de la Gaule.
Vers 1200 ont lieu les premières invasions, dites des « champs d’urnes », qui se déroulent par vagues successives jusque vers 800 avant J.-C. Les Proto-Celtes sont amenés à coloniser une grande partie de la Gaule et de l’Espagne.
Des invasions à la grande colonisation celte
Vers 725 avant J.-C., à la suite d’une invasion de Cimmériens dans la vallée du Danube, la civilisation celtique du premier âge du fer (période hallstattienne) se constitue en Allemagne du Sud, dans l’actuelle Tchécoslovaquie, en Autriche et en France, entretenant de nombreux rapports avec les cultures régionales des peuples voisins (Ligures, Ibères, Illyriens).
À partir de 650 avant J.-C., l’expansion de la colonisation grecque et du commerce étrusque sur les côtes méridionales de la France favorise les contacts entre les Celtes et la Méditerranée. D’un autre côté, les relations commerciales se multiplient entre l’Étrurie et la vallée du Rhin, par les cols des Alpes. En 600 avant J.-C., c’est la fondation de Marseille. Cette colonie phocéenne devait progressivement canaliser les échanges entre les Grecs et les Celtes, qui se font entre 550 et 480 avant J.-C., principalement par la vallée du Rhône.
Après 500, une première invasion des Celtes venus d’Allemagne du Sud et de la France de l’Est gagne la vallée du Rhône, traverse les Alpes et pénètre dans la vallée du Pô. Une première colonie s’installe au sud de Bologne et sur les contreforts de l’Apennin. Au début du Ve siècle se forme, en Allemagne du Sud, en France de l’Est, en Suisse et en Tchécoslovaquie, la civilisation de La Tène I (« La Tène » désigne une station protohistorique du lac de Neuchâtel).
Entre 400 et 300, une seconde invasion celtique, plus importante encore que la première, aboutit à la prise de possession par les Celtes de la majeure partie de la vallée du Pô. Rome est prise et incendiée en 390. Poussant ensuite vers l’Adriatique, les Gaulois s’emparent du Picenum. En 350, la prise de Bologne met le point final à la conquête de la vallée du Pô, qui devient la Gaule Cisalpine. Cependant, les Celtes commencent également à pénétrer dans les Balkans.
À la fin du IVe et au début du IIIe siècle avant J.-C., Marseille reprend son commerce avec les Celtes. Les Belges, originaires de la zone celtique transrhénane, pénètrent en Gaule; leur arrivée déclenche, au cours du IIIe siècle, deux nouvelles vagues successives d’invasions qui se portent, les unes vers la côte méditerranéenne de la Gaule, l’Espagne et l’Italie, les autres vers les Balkans et l’Asie Mineure. La première de ces vagues est antérieure à 250, l’autre se situe au cours de la seconde moitié du IIIe siècle. En Gaule, les Celtes avancent, vers 300, dans la vallée du Rhône jusqu’au voisinage de Marseille. Vers 250, ils s’emparent du sud du Massif central et du Languedoc. Dans les Balkans, après 300, ils se sont installés dans la vallée de la Morava. En 280, ils attaquent dans trois directions: vers la Bulgarie, la Macédoine et la Grèce proprement dite. Après avoir pris et pillé Delphes en 279, ils sont repoussés, reviennent à leur point de départ, et constituent la principauté des Scordisques, dont la capitale est Singidunum (Belgrade). En Asie Mineure, un corps de Galates est appelé par le roi de Bithynie, Nicomède, en 278, tandis qu’un autre corps traverse l’Hellespont. Ils s’installent sur le plateau phrygien et sur l’Halys, et guerroient longtemps contre leurs voisins. Ils sont vaincus et soumis par Attale de Pergame en 241 et 230. En Italie, les premières vagues d’invasion du début du IIIe siècle avant J.-C. sont arrêtées par les Romains à Sentinum (295) et au lac Vadimon (282). En 283 est fondée la colonie de Sena Gallica, dans le Picenum, au nord d’Ancône et, en 268, celle d’Ariminum. Une nouvelle arrivée de Gaulois se produit vers 250 dans la vallée du Pô. En 232, la lex Flaminia organise le partage entre les colons romains de l’Ager Gallicus (Picenum). Une offensive gauloise est bloquée par les Romains au cap Télamon (225). Les contre-offensives romaines aboutissent à la défaite et à la soumission des Gaulois cisalpins (Clastidium, 223), à l’occupation de Milan et à la création des colonies de Plaisance et de Crémone (218 av. J.-C.).
Le grand repli
Après l’intermède des Guerres puniques, qui permet aux Gaulois cisalpins de se soulever lors du passage d’Hannibal (218-201), la défaite finale des Insubres (196), la fondation des colonies de Bologne (189) et d’Aquilée (181) marquent l’achèvement de la conquête romaine de la Cisalpine. Cependant, en Espagne, les Romains se heurtent à la résistance des Celtibères (181-174; 154-152; 144-139). Dans les Balkans, les Celtes profitent de la décadence militaire et politique de la Grèce pour l’attaquer: en 135 les Scordisques envahissent la Thrace, en 114 ils pillent Delphes de nouveau.
Après la conquête de la Cisalpine et la pacification de l’Espagne, les Romains s’attaquent à la Gaule indépendante, dont ils annexent d’abord la partie méridionale, entre 122 et 118. Entre 113 et 103, les bandes armées des Cimbres et des Teutons, unissant des éléments celtiques à des tribus germaniques du nord de l’Allemagne, ravagent la Gaule et le Norique. Elles finissent par être écrasées en Provence et en Cisalpine (victoires de Marius en 102 à Aix, en 101 à Verceil).
À partir de 80 avant notre ère, le monde celtique devient l’homme malade de l’Europe barbare. Les Daces, sous la conduite de leur roi Burebistas, s’emparent d’Olbia sur la mer Noire en 63, remontent vers le Nord, conquièrent l’ex-Yougoslavie et la Hongrie actuelles, après avoir vaincu les principautés celtiques de la vallée du Danube. Ils obligent ensuite les Boïens, dont l’empire s’était étendu sur le Norique, à se réfugier dans le réduit bohémien. En pleine déconfiture à l’est, les Celtes le sont aussi au nord et, sous les coups des Germains, leur domaine tend à se réduire de plus en plus, et à se confondre avec les frontières naturelles de la Gaule.
Après les Cimbres et les Teutons, la confédération des Suèves, partie des rives de l’Oder et dirigée par Arioviste, envahit la rive droite du Rhin supérieur, immigre en Souabe et en Franconie, et soumet ce qui reste de tribus celtiques entre le Main, le Neckar et le Danube supérieur. D’après César, les Suèves ont commencé leurs migrations vers 72 avant J.-C. Vers 65, ils se sont attaqués à la rive gauche du Rhin. Ils ont installé, dans le nord de l’Alsace, les Triboques, dans la région de Spire, les Nemètes, dans celle de Worms, les Vangions. Une fois installé en Alsace, Arioviste parvient à s’introduite en Gaule, grâce aux dissensions entre cités gauloises.
Entre 58 et 50 avant J.-C., César conquiert la Gaule. En 43 après J.-C., l’empereur Claude, par la conquête de la Grande-Bretagne, réduit le dernier bastion des Celtes indépendants.
Essai de périodisation
Dans cette longue histoire de près de deux mille ans, il est donc possible de distinguer cinq grandes périodes:
– Entre 1800 et 1200 avant J.-C., il se forme une zone de peuplement et une civilisation protoceltique qui, partant de l’Allemagne du Sud, gagne une partie de l’Europe centrale et occidentale.
– Entre 1200 et 750 avant J.-C., les invasions des « champs d’urnes » étendent l’influence celte jusqu’au sud de la France et à l’Espagne.
– Entre 725 et 480 avant J.-C., à la suite d’influences venues de l’est (invasions cimmériennes) et de la Méditerranée (commerce avec les Grecs et les Étrusques), la civilisation celtique du premier âge du fer (période hallstattienne) s’implante en Europe occidentale: Allemagne du Sud, actuelle Tchécoslovaquie, Autriche, France de l’Est, Espagne, Grande-Bretagne.
– Du Ve au IIe siècle avant J.-C., l’expansion du monde celtique pousse vers l’est (jusqu’en Ukraine), atteint la Grèce et l’Asie Mineure, gagne tout entière la Gaule, le tiers de l’Italie et de l’Espagne; des vagues de peuplement touchent la Grande-Bretagne.
– À partir du IIe siècle avant J.-C., c’est un recul général. Les armées romaines s’emparent successivement du Picenum et de la Gaule Cisalpine, de l’Espagne, de la Gaule, de la péninsule balkanique, de la Grande-Bretagne; le seul témoin du vaste empire celtique reste l’Irlande.
2. La civilisation celtique
Les origines
Les origines des Celtes demeurent obscures. Deux faits cependant permettent de fixer le berceau de ces populations en Europe centrale et occidentale: l’existence, de la Lorraine et de l’Alsace jusqu’à la Bohême, de très anciens toponymes d’origine celtique pour désigner les montagnes et les rivières; la permanence, à travers les époques successives des âges du cuivre, du bronze ancien et du bronze moyen, d’une zone de peuplement et de civilisation homogène, s’étendant sur la partie méridionale et occidentale de l’Allemagne et sur la France de l’Est. Dans cette région, une véritable continuité culturelle se manifeste, à la fois dans les rites funéraires (le tumulus à construction interne), les aspects divers de la civilisation matérielle (céramique et objets de bronze) et, dans une certaine mesure, dans les types anthropologiques.
Un mélange de races
De ce point de vue, d’ailleurs, il ne saurait être question de distinguer une race celtique, mais bien un mélange de types raciaux d’origines diverses, dont les composantes essentielles sont la race alpine, brachycéphale, la race nordique, dolichocéphale, et la race dinarique, également brachycéphale.
Les recherches de linguistique nous apprennent, par ailleurs, que les langues celtiques font partie du complexe indo-européen et qu’elles peuvent se diviser en deux groupes principaux: le groupe brittonique, auquel appartiennent les Celtes continentaux de l’Antiquité, le groupe goïdélique, auquel se rattachent les Irlandais et leurs ancêtres. Comme ce second groupe présente, du point de vue linguistique, des caractères archaïques prononcés, H. Hubert a été amené à supposer que c’est aux origines mêmes du peuplement protoceltique que les Goïdels ont été séparés de leurs congénères. Le tableau de cette genèse des Celtes, en grande partie conjectural, peut donc être dressé de la façon suivante.
Entre 2000 et 1800 avant J.-C. se forment dans la vallée du Rhin, depuis la Hollande jusqu’à la Suisse, des groupes de civilisation mixtes, caractérisés par la combinaison d’éléments provenant de l’Est européen et eurasiatique (gobelets cordés, haches de combats) et d’Espagne (céramique campaniforme). Les porteurs de la céramique cordée et de la hache de combat ont été assimilés par certains archéologues aux plus anciens Indo-Européens, parvenus en Europe occidentale après une migration vers 1900 avant J.-C.
Des groupes multiples et bien différenciés
Ces groupes ne tardent pas à se séparer en deux: les groupes occidentaux, ceux de Hollande, du Rhin inférieur et de Westphalie semblent avoir en partie émigré vers la Grande-Bretagne et l’Irlande, où l’on retrouve, à la fin de l’âge du cuivre, les mêmes types de gobelets à zones que sur le continent. Il s’agit vraisemblablement de Goïdels, d’après H. Hubert.
Les groupes orientaux (Rhin moyen et supérieur) évoluent sur place, pour donner naissance aux civilisations rhénanes de l’âge du bronze ancien, dont la plus représentative est celle d’Adlerberg, près de Worms. Les recherches des archéologues allemands (Junghans), fondées sur les analyses spectrographiques, font apparaître, en Allemagne du Sud, vers 1800 avant J.-C., une importante métallurgie de l’âge du bronze ancien, utilisant des minerais régionaux. Il s’agit de cuivre presque pur, légèrement durci par un apport de nickel existant dans le minerai. Cette industrie, qui a créé une gamme bien différenciée d’armes et d’objets de parure, inspirée de prototypes orientaux, peut être attribuée aux Proto-Celtes.
Dès l’âge du cuivre, dans la zone de peuplement et de culture qui correspond à celle des Goïdels et des Proto-Celtes, de la Hollande à la Suisse, apparaît l’usage du tumulus à construction interne en bois ou en pierre, qui semble avoir été, de tout temps, le rite funéraire caractéristique des Proto-Celtes, puis des Celtes.
À partir de 1500 avant J.-C. se constitue la civilisation de l’âge du bronze moyen protoceltique, caractérisée par l’usage du tumulus à construction interne. Les types d’armes, d’outils et de bijoux, alors créés, en partie sous l’influence de courants venus d’Orient et du monde égéen, présentent progressivement une réelle originalité.
Il est facile de distinguer les tombes protoceltiques par les parures qu’elles contiennent: épingles à tête renflée, en forme d’embouchure de trompette, bracelets à extrémités pointues, souvent finement gravés, armilles en spirale, anneaux de chevilles plats, décorés de doubles spirales, épingles très longues décorées de rouelles.
La différenciation de cette culture semble s’être produite vers 1500, en relation avec les mouvements de pénétration des Indo-Européens en Grèce (invasion des Achéens) et dans la péninsule balkanique. Des relations commerciales unissent d’ailleurs, au cours de cette époque, le monde égéen au domaine protoceltique. La présence de colliers d’ambre à perles d’espacement, du type de Kakovatos, dans diverses tombes d’Allemagne du Sud et de France de l’Est tend à le prouver. Toutefois, il est apparu récemment que ces parures étaient non pas d’origine égéenne, mais occidentale et celtique.
Il est alors possible de distinguer deux rameaux différents des peuples protoceltiques (Sprockoff): un groupe méridional, d’Allemagne du Sud, de Bohême et de France de l’Est, un groupe septentrional, en Allemagne de l’Ouest (Westphalie, Basse-Saxe). Ces deux groupes ont en commun un certain nombre d’armes, d’outils et de parures en bronze, mais diffèrent par la céramique. Celle du groupe méridional, inspirée de prototypes méditerranéens et balkaniques, se distingue par la variété et l’élégance de ses formes et le développement de son décor, mettant en jeu de profondes incisions en dents de loup. Est-il possible d’assimiler le groupe septentrional à celui des Celtes belges, dont nous verrons qu’il a été poussé en Gaule par la pression des Germains, à partir de l’âge du fer?
La carte de répartition des objets de bronze et des céramiques, complétée par les découvertes et les recherches (Bailloud), met en évidence une extension progressive du domaine protoceltique vers le centre et l’ouest de la France, entre 1500 et 1200 avant J.-C.
La période des « champs d’urnes »
Entre 1200 et 800 avant J.-C. se produisent en Europe occidentale des invasions qui ont été mises en rapport avec celles des « Peuples de la mer » dans le bassin de la mer Égée. Elles ont amené les Proto-Celtes, en plusieurs vagues, en France et en Espagne. Les nouveaux venus avaient rompu, pour un certain temps, avec l’usage du tumulus et le rite de l’inhumation, et pratiquaient l’incinération et la tombe plate, en pleine terre. On peut distinguer, dans ces migrations, trois grandes périodes:
La première époque, soit celle du bronze final I (vers 1200 av. J.-C.), a été marquée par la pénétration de groupes relativement isolés et peu nombreux. Leur civilisation marque la transition entre celles du bronze moyen et du bronze final.
La deuxième, celle du bronze final II (de 1100 à 900 av. J.-C.), est celle de la colonisation, de la prise de possession, du partage et de la mise en culture des terres. L’importance de cette période a été mieux mise en lumière par les découvertes et les recherches effectuées depuis les années cinquante. Elle correspond à une complète révolution des techniques et de l’agriculture elle-même.
Un progrès décisif est accompli dans la technique du bronze, que l’on sait couler désormais dans des moules à noyau réservé (haches à douilles), marteler à chaud, durcir par écrouissage pour obtenir des tranchants de couteaux ou d’épées, et dont on peut tirer des tôles fines, utilisées pour des récipients de forme complexe. Les céramiques, par ailleurs, dont les formes sont précisément inspirées par ces vaisseaux de bronze, sont remarquables par la perfection de leur facture. Le potier parvient à obtenir, sans l’aide du tour, une régularité des parois, une finesse, un poli, un fini extraordinaires. L’art de la cuisson se perfectionne: après les fours creusés dans la terre, apparaissent les fours construits.
L’économie, à prédominance pastorale pendant l’âge du bronze moyen, redevient agricole. Plusieurs innovations techniques (perfectionnement de la faucille, apparition du véhicule à roues) ont certainement contribué à l’expansion agraire et à la sédentarisation. C’est alors aussi que se multiplient les oppida , bourgades fortifiées situées sur les hauteurs, dans les îles lacustres, ou au milieu de marécages.
Les origines de la plupart des refuges celtiques remontent à cette époque. Même les villes plongent leurs racines dans ces temps lointains. Les fouilles opérées à Strasbourg en 1948-1950 ont prouvé que les origines de la ville remontaient au Bronze final III, vers 800 avant J.-C. Bref, cette période de la seconde invasion des « champs d’urnes » présente une importance très considérable. C’est là que se trouvent les lointaines racines du peuplement, de l’exploitation et de l’occupation du sol.
La troisième époque (IXe-VIIIe s. av. J.-C.), celle du bronze final III, est une période de stabilisation, au cours de laquelle les populations s’installent, ou se déplacent encore, souvent à contre-courant, d’une région à l’autre, suivant les possibilités locales et les opportunités agraires ou climatiques.
Au cours de cette phase, certaines traditions du bronze moyen, notamment le tumulus à construction interne, le décor excisé dans la poterie, reparaissent. C’est alors aussi que la civilisation des « champs d’urnes » s’étend à la Gaule entière, et gagne l’Espagne.
La période hallstattienne
S’il fallait donner un nom à cette période qui va de la fin du VIIIe siècle au début du Ve siècle avant notre ère, nous l’appellerions volontiers l’« éveil de l’Occident celtique », car cette époque est, pour l’évolution de la civilisation gauloise, absolument capitale. En effet, les Celtes entrent alors dans l’histoire, et créent une forme d’art, une civilisation qui leur est propre.
C’est véritablement alors que se forme ce fonds de traditions, qui se développera pendant tout l’âge du fer, au cours de la période de l’indépendance celtique, pour se poursuivre ensuite dans les provinces occidentales de l’Empire romain. L’évolution de la civilisation a passé par deux étapes très différentes: au cours du premier âge du fer (époque hallstattienne) se développe une grande variété de cultures régionales, dérivées des civilisations périphériques de l’Illyrie et de l’Italie du Nord, et profondément imprégnées d’influences helléniques et étrusques. À partir du Ve siècle et des migrations gauloises apparaît une civilisation nationale autonome et conquérante.
Tout se passe comme si, au cours d’une époque préliminaire, les Celtes avaient réuni dans un creuset les divers matériaux nécessaires, pour les fondre ensuite ensemble et les mêler intimement en un alliage nouveau et original.
Un monde cloisonné
Après le déclin de la civilisation du bronze final, à la fin du VIIIe siècle avant J.-C., le monde celtique qui désormais comprend plus des deux tiers de la Gaule, l’Allemagne du Sud, la Bavière, l’actuelle Tchécoslovaquie, et une partie de la Hongrie et de l’Autriche actuelle à l’est, la Grande-Bretagne à l’ouest, et une grande partie de l’Espagne au sud, a été totalement renouvelé dans sa structure sociale et dans son organisation économique par de nouvelles venues de l’Est européen et asiatique.
À la fin du VIIIe siècle s’est produite une invasion qui a déferlé simultanément en Asie Mineure (Anatolie) et dans les Balkans. Il s’agit du peuple nomade des cavaliers cimmériens, chassés par les Scythes des régions situées au nord de la mer Noire. Leur arrivée, en force, en Hongrie, ne fait pas de doute. Ils apportent avec eux un type particulier de mors de chevaux, d’origine orientale. Comme les mêmes mors apparaissent, au début de l’époque hallstattienne, dans un grand nombre de tombes autrichiennes et bavaroises, ainsi que dans certaines tombes de Belgique (Court-Saint-Étienne), faut-il admettre que ces cavaliers thraco-cimmériens aient colonisé le domaine celtique? S’agit-il vraiment d’un apport nouveau de population? Nous y verrions plutôt l’indice d’influences techniques et économiques, consistant dans certaines méthodes nouvelles pour le dressage et la monte des chevaux.
L’arrivée de ces cavaliers dans la vallée du Danube semble avoir eu deux conséquences pour l’Occident celtique: d’une part, la rapide extension de la métallurgie du fer, encore très mal connue jusqu’au VIIIe siècle; d’autre part, une nouvelle différenciation sociale, et l’apparition d’une caste aristocratique de cavaliers, armés de l’épée de fer.
L’un et l’autre de ces faits présentaient une très grande importance pour l’évolution du milieu celtique. En effet, la vulgarisation des procédés d’utilisation des minerais de fer, beaucoup plus répandus que les minerais de cuivre et d’étain, a permis aux Celtes de fabriquer partout, par leurs propres moyens, leurs armes et leurs outils. Par ailleurs, c’est à cette époque qu’apparaissent, dans maintes régions du domaine celtique, les tombes riches, dont le mobilier comporte, en plus des habituelles céramiques accompagnant le mort, des pièces de harnachement de cheval et des armes en fer.
La société gauloise semble bien s’être organisée entre le VIIIe et le VIe siècle avant notre ère, en fonction de la prédominance d’une caste aristocratique et guerrière, de cavaliers ou de conducteurs de chars. À l’époque de César encore, les nobles Gaulois s’intitulent chevaliers (equites ).
L’ouverture sur l’extérieur
La civilisation hallstattienne apparaît, dans une large mesure, comme étant d’origine étrangère aux Celtes. Ils en ont reçu les éléments des pays voisins: d’Étrurie, de Villanova, d’Este, des Balkans, d’Illyrie. À l’intérieur même du domaine celtique, il n’y a aucune unité de civilisation, mais une mosaïque de cultures régionales très bigarrées, entretenant entre elles des rapports souvent paradoxaux, et dont l’élément formateur semble bien être à la base une caste aristocratique de cavaliers ou de conducteurs de chars. De cette aristocratie, nous connaissons les tombes, parfois aussi les résidences qui sont des oppidums puissamment fortifiés, du genre de celui de Vix (mont Lassois) ou de la Heuneburg, sur le haut Danube. Ces oppidums servaient à la fois d’abris et de forteresses, de marchés et de centres industriels. Apparus dès la période des « champs d’urnes », ils ont dû au développement des aristocraties locales et des industries, aux relations économiques, une importance particulière à partir du VIIe siècle avant J.-C.
En effet, c’est à partir de cette époque que se développent les relations commerciales entre les Celtes et les peuples plus civilisés du bassin de la Méditerranée. Dans l’évolution de ces rapports, dont les découvertes mettent mieux en valeur l’importance, on peut distinguer trois phases:
– Dès la fin du VIIIe et le début du VIIe siècle avant notre ère, des vases et des objets de bronze en provenance des Balkans, d’Étrurie et d’Italie du Nord parviennent en Allemagne du Sud et en France de l’Est par les voies terrestres (vallée du Danube et cols des Alpes).
– À partir du milieu du VIIe siècle se dessine un triple courant: en effet, aux itinéraires continentaux déjà existants, s’ajoutent la voie du Rhône et de la Saône, ainsi que celle de l’isthme joignant la côte languedocienne à l’Armorique et à la Grande-Bretagne. Des comptoirs rhodiens et étrusques sont fondés sur la côte méditerranéenne à Agde et à Saint-Blaise. Des vases et des objets d’art étrusques, des œnochoés rhodiennes ont été trouvés dans les mobiliers funéraires du domaine celtique au-delà des Alpes.
– À partir du VIe siècle, Marseille, fondée par les Grecs de Phocée vers 600 avant J.-C., canalise la plus grande partie des relations commerciales, qui se font désormais par la vallée du Rhône, prolongée par celles de la Saône et de la Moselle.
Les échanges deviennent particulièrement actifs au cours de la seconde moitié du VIe siècle. C’est à cette époque que les influences culturelles et techniques paraissent les plus profondes. À la Heuneburg, sur le haut Danube, a été mise au jour une enceinte fortifiée calquée sur celles de la Grèce archaïque.
La tombe de Vix contenait le plus beau cratère hellénique connu, un collier d’or, chef-d’œuvre d’orfèvrerie gréco-scythique, deux coupes céramiques attiques et plusieurs vases de bronze étrusques. Dans la vallée du Rhône, et en particulier au Pègue et à Malpas, ont été trouvés de très nombreux vases fabriqués sur place, sur le modèle des céramiques ioniennes du VIe siècle avant J.-C.
Mais à partir du début du Ve siècle, interviennent des faits nouveaux, qui vont profondément bouleverser les conditions de ce commerce entre les Celtes et la Méditerranée: la formation de la civilisation de La Tène et les invasions gauloises.
La civilisation de La Tène
L’essor économique
La civilisation de La Tène diffère totalement de celle de Hallstatt, car elle apparaît, dès ses origines, au début du Ve siècle avant J.-C., comme autonome, nationale et conquérante. Après s’être formée en Allemagne du Sud et en France de l’Est, elle gagnera assez rapidement toute l’Europe celtique, et s’étendra partout où les Celtes parviendront à installer leur domination.
Quelles sont les circonstances économiques et sociales qui ont pu favoriser son éclosion? Il existe toujours, au début du Ve siècle avant J.-C., comme au VIe, une aristocratie enrichie par le commerce avec les pays méditerranéens. Sa présence est attestée par les riches tombes princières d’Allemagne du Sud et de France de l’Est. Mais les sépultures de cette période diffèrent, par la nature de leur mobilier, de celles de la période précédente. Elles contiennent surtout des vases de bronze étrusques, associés à quelques rares céramiques grecques et à des bijoux indigènes en or, en argent ou en bronze, d’un très beau style, parfaitement original, même si l’on peut y discerner des influences grecques, étrusques et scythiques.
À la même époque, au sud-ouest de la zone de plus grande densité des tombes princières d’Allemagne du Sud, les plateaux calcaires de Champagne et du Bassin parisien, les terres lourdes de Picardie sont alors cultivés systématiquement par les agriculteurs gaulois.
Les grands cimetières du début de La Tène, de la Champagne, de la Brie, de l’Aisne, nous montrent une société gauloise en plein renouvellement: à côté d’une aristocratie guerrière de conducteurs de chars à deux roues, plus nombreuse que celle de l’époque précédente, apparaît une paysannerie aisée, un artisanat développé et prospère. L’impression d’ensemble est celle d’une forte expansion démographique, d’une réelle prospérité économique, d’un niveau culturel et technique élevé.
Ces progrès sont probablement dus aux transformations des techniques agraires, en rapport avec le développement de l’outillage: apparition de l’araire lourd à soc de fer, perfectionnement des chars et des voitures, développement de la faux, etc. Les cultivateurs colonisent désormais les terres lourdes des vallées et entretiennent des prairies artificielles le long des rivières et des emplacements humides, ce qui leur permet de développer l’élevage du gros bétail.
Cette expansion gauloise eut pour conséquences les invasions vers l’Italie du Nord, la Bohême, les Balkans, l’Asie Mineure, dont nous avons vu plus haut le déroulement historique. Ces dernières ont, dans une large mesure, conditionné l’évolution de la civilisation.
L’expansion militaire
C’est ainsi par exemple qu’à partir du Ve siècle les mouvements des tribus celtiques vers la vallée du Rhône, et à travers les cols des Alpes, paraissent avoir amené la destruction d’une grande partie des entrepôts installés à la fin de l’époque hallstattienne, et interrompu pour un temps les relations économiques avec la Grèce et Marseille. Par ailleurs, la présence, dans la vallée du Pô, d’importants contingents celtiques dès le Ve siècle a amené des contacts plus étroits et plus proches avec les Étrusques, installés de leur côté dans cette région après 510. Nous avons l’impression qu’il y a eu à cette époque une sorte de symbiose celto-étrusque. C’est alors que les vases de bronze étrusques parviennent en grand nombre dans la vallée du Rhin, dans le Wurtemberg, dans l’actuelle Tchécoslovaquie et en Champagne, par les cols des Alpes. Ils sont imités par les Celtes, qui tirent des prototypes grecs, étrusques et orientaux (scythiques et iraniens) les modèles de leur art et les éléments de base de leur style décoratif.
À partir du début du IVe siècle, les nouvelles poussées des Celtes vers l’Italie, l’Europe centrale et les Balkans interrompent pour un temps les rapports commerciaux avec l’Italie et la Grèce. Ces derniers reprennent à la fin du IVe siècle, à la faveur des nouvelles périodes de paix et de l’installation pacifique des Celtes dans le Picenum, autour d’Ancône. Ce sont désormais les objets de Campanie et d’Italie méridionale, et les céramiques originaires de la même région, qui apparaissent dans les sépultures rhénanes. À la suite de ces mouvements des Celtes vers le sud de l’Italie, et des relations nouvelles introduites entre eux et les colonies de la Grande Grèce, des mercenaires gaulois sont employés pour la première fois dans les guerres entre Grecs, par Denys de Syracuse, contre Thèbes, en 367. Ultérieurement, les Celtes devaient être fréquemment employés comme mercenaires par les monarchies helléniques, ainsi que par Carthage. Ils ont même guerroyé en Égypte, où l’on a retrouvé leurs traces.
La fin du IVe siècle marque un tournant décisif dans l’histoire de la civilisation celtique.
Les échanges avec la Grèce
Après la prise de Bologne, la vallée du Pô est tout entière colonisée et celtisée. La ville de Marseille, favorisée à la fois par la paix retrouvée et par un renouvellement politique, social et économique intérieur, reprend la direction des relations commerciales entre la Grèce et les pays celtiques. Le navigateur Pythéas entreprend une grande expédition maritime dans les mers du Nord, à la recherche des lieux de provenance de l’étain et de l’ambre. La ville, où s’est constituée une bourgeoisie de petits commerçants et de marchands ( 見神兀凞礼晴), s’organise désormais pour le commerce terrestre, comme pour le commerce maritime. Une grande partie des Marseillais parle trois langues: le grec, le latin, le gaulois. Marchands marseillais et grecs d’Asie Mineure entretiennent avec les Gaulois des relations d’hospitalité. Ils ont libre accès auprès des tribus. On a conservé un symbole d’hospitalité, sorte de passeport à l’usage de la cité des Vellauni, tribu celto-ligure des Alpes. C’est une main sur laquelle sont gravés des caractères grecs. Trouvée dans le midi de la France, elle est actuellement conservée au cabinet des Médailles de Paris.
L’anecdote d’Erippe, racontée par Aristoxène de Byzance, nous montre comment un Grec de Milet, dont la femme avait été enlevée par un Gaulois, parvient à la retrouver, par l’intermédiaire de Marseille, et grâce à des amis qui avaient des relations avec des indigènes. Le Gaulois l’accueille favorablement, et des mille statères que lui offre le Milésien pour récupérer sa femme, n’accepte que le quart. Mais la femme lui demande de mettre à mort et dépouiller son mari qu’elle n’aime pas. Très correct, le Gaulois raccompagne les époux aux frontières de son pays, puis, sous le prétexte d’un sacrifice, immole la femme, en révélant au mari la perfidie de son épouse. Cette histoire édifiante nous renseigne sur les facilités de déplacement des marchands grecs parmi les indigènes, et sur les relations qu’ils entretiennent avec eux.
Désormais, les peuples celtiques vont subir les influences grecque, étrusque et romaine, par plusieurs voies simultanées: la voie de Marseille et de la vallée du Rhône, prolongée par la vallée de la Saône et de la Moselle, la voie des cols des Alpes, celle du Danube. Les deux premiers itinéraires commerciaux ne devaient pas tarder d’ailleurs, à partir de la fin du IVe siècle, à tomber sous la dépendance de la colonie phocéenne.
Le rayonnement civilisateur de la Grèce se marque de diverses façons: on observe, dans les poteries et les objets fabriqués par les peuples les plus éloignés de Marseille, par exemple dans la vallée de la Moselle et du Rhin, une nette influence des céramiques et des produits grecs ou campaniens. On peut citer les coupes du type de Braubach, imitant les formes des coupes campaniennes et le décor de palmettes figurant sur le fond de ces coupes.
C’est également l’influence hellénique qui a introduit l’usage de la monnaie. Les types monétaires les plus anciens dérivent des statères d’or de Philippe de Macédoine, appartenant au IVe siècle. Ceux-ci ont été répandus par la voie du Danube, sans doute à cause des mercenaires gaulois. Plus tard, dans la suite du développement du monnayage gaulois, des types inspirés de ceux de Marseille et de ses colonies apparaissent sur la côte provençale et languedocienne, et dans les cités du Sud-Ouest, jusque chez les Bituriges (Bourges). Ces types monétaires sont également pris pour modèles par les cités de la vallée du Rhône, des régions alpines, et du nord-est de la Gaule.
En même temps, les Celtes adoptèrent l’alphabet grec. Les inscriptions gauloises en caractères grecs sont localisées en Languedoc, dans la vallée du Rhône, et en Bourgogne; cette zone semble correspondre à celle du plus grand rayonnement culturel de Marseille.
L’arrivée des Celtes transrhénans
Cette reprise, à partir de la fin du IVe siècle, des courants commerciaux et culturels helléniques et méditerranéens, interrompus par les invasions gauloises, est largement compensée, à partir du début du IIIe siècle, par l’arrivée non seulement en Gaule, mais sur tous les points de pénétration des mouvements celtiques, notamment en Italie et dans les Balkans, de nouveaux éléments, que l’on peut grouper sous le nom de Belges. Ces derniers semblent avoir fait leur apparition dès la fin du IVe siècle, sur les théâtres d’opérations des Balkans, et, vers le milieu du IIIe siècle, en Italie du Nord. En réalité, les données archéologiques permettent de supposer qu’il y eut deux vagues successives de Celtes transrhénans.
Une première poussée vers 300 avant J.-C. semble les avoir portés dans la vallée du Rhône, jusqu’au voisinage de Marseille. Elle pourrait coïncider avec les poussées vers les Balkans. La seconde, vers 250, aurait abouti à la conquête du Languedoc et du sud du Massif central. Les Volques, Tectosages et Arecomici, installés à l’époque historique, les premiers dans la région de Toulouse, les autres dans la région de Nîmes, seraient, au dire des auteurs anciens, originaires de la vallée du Danube. Or un texte d’Ausone qualifie les Tectosages de Belges, ce qui permet d’établir une relation entre l’arrivée des Volques dans le sud-ouest de la Gaule, et les invasions de ces derniers.
Effectivement, à la fin de La Tène I et au début du La Tène II, nous apercevons des nouveautés dans la civilisation gauloise, et notamment une plus grande autonomie dans les techniques, en particulier la métallurgie du fer. Vers 250 avant J.-C. apparaît le style plastique, qui consiste à reporter dans l’espace les motifs gaulois flamboyants et stylisés. Portant à son apogée l’originalité créatrice de l’art celte, il a couvert toute l’Europe, jusqu’aux Balkans, et même en Thrace, entre 250 et 200 avant J.-C. Il correspond au maximum d’extension territoriale des Celtes, vers le milieu du IIIe siècle.
C’est également à cette époque que se développe la grande sculpture monumentale gauloise, dans le midi de la France, dont les monuments les plus intéressants sont ceux de Roquepertuse, déposés au musée de Marseille.
En un mot, il semble bien qu’au cours du IIIe siècle le peuplement et la civilisation celtiques aient été partout renouvelés par un nouvel apport de Celtes transrhénans, dont l’arrivée compense, dans le domaine culturel, les effets des influences méridionales. La civilisation dite de La Tène II (entre 250 et 120 avant J.-C. environ) est plus originale et plus barbare que celle qui précède.
À partir de La Tène III (120 av. J.-C.), en raison de la pénétration romaine dans le sud de la Gaule, par suite de la mainmise des négociants italiens sur les voies maritimes traditionnelles du commerce hellénique, les influences romaines prédominent, comme on peut en juger d’après les sculptures indigènes trouvées à Entremont, ou par les monnaies gauloises du Ier siècle avant notre ère.
3. Le plus riche des arts barbares
Limites géographiques et chronologiques
Les Irlandais pas plus que les Bretons (les mégalithes de l’Armorique n’ont en effet rien à voir avec les Celtes) ne peuvent se réserver le nom de Celtes: le phénomène celtique intéresse en effet presque toute l’Europe. Face à la civilisation gréco-romaine et à l’art classique, c’est le plus solide et le plus riche des arts barbares.
Mille ans environ avant J.-C., les populations celtes quittent l’Allemagne, leur berceau, et gagnent l’Europe centrale et occidentale, prennent Rome en 390, atteignent la Grèce (Delphes est pillée en 279) et l’Asie Mineure, demeurant dans ces pays pour des durées et avec des fortunes diverses (l’empire galate, fondé malgré Attale de Pergame, se soumettra à Rome en 189, mais ne deviendra province que sous Auguste). Venus de l’âge du bronze, ces peuples traverseront le premier âge du fer (ou époque de Hallstatt) pour s’épanouir au deuxième âge du fer (ou époque de La Tène). Mais on ne peut parler d’art celte que dans les régions où l’installation des Celtes eut quelque solidité: la Gaule, au nord de la Garonne (ce qui n’autorise pas à réserver le terme d’art celte à l’art qui a fleuri sur notre actuel territoire national); les vallées du Rhin et du Danube; les îles de Grande-Bretagne et d’Irlande (art irlandais et art celte ne sont pas synonymes, et en tout cas sont loin d’avoir la même extension, même si l’île verte, devenue chrétienne, a su conserver une tradition artistique presque pure). Quant à la péninsule Ibérique, en particulier au centre et à l’ouest, elle est, pour l’art celte, d’une importance tout à fait secondaire.
Traits généraux
Un art de petits objets
L’art celte est essentiellement un art de petits objets, ou du moins d’objets transportables, et en tout cas d’objets utilitaires, conçu pour les hommes, du moins leurs chefs (et non pour les dieux) et pour leur vie quotidienne (et non pour des occasions exceptionnelles). Il s’exerce dans les domaines de l’armement, du foyer et de la parure. Toutes les pièces de l’équipement du guerrier sont donc des objets d’art (à tel point que les nécessités imposées par la forme des épées entraînant des modifications du décor, on a pu parler d’un style des épées). Pour la guerre, chars, épées, qui deviennent plus longues à l’époque de La Tène, pointes de lance, boucliers, casques et poignards; à la maison, chenets pour le foyer, cornes à boire, récipients, en métal ou en céramique selon qu’ils sont d’usage plus ou moins courant, et en particulier les fameuses situles; des bijoux enfin, torques ou gros colliers de métal, devenus pour le grand public le signe de la celticité, bracelets, boucles d’oreilles, pendentifs, boucles de ceinture et fibules, très précieux critères de datation; d’autres accessoires de la toilette: les rasoirs, dès l’époque de Hallstatt, et les miroirs, à partir de l’époque de La Tène, en particulier dans les îles Britanniques; enfin, et peut-être surtout, les admirables monnaies gauloises.
Matériaux et décors
L’art celte est avant tout un art du métal, qui utilise le bronze, l’or et, plus rarement, l’argent. Il est certes capable de s’exercer sur la pierre et la céramique, mais c’est surtout un art d’orfèvres, qui s’enrichit d’ivoire, d’os, de corne, de pierres précieuses, d’ambre venu du Nord, transformés en perles et incrustations, de corail enfin, ce dernier remplacé par les émaux à l’époque de La Tène. Le corail, en effet, est alors détourné des pays celtiques par le marché de l’Inde. Tant que l’émail est utilisé comme succédané du corail, il est rouge sang: le corail devait en effet sa vogue à son efficacité contre le mauvais œil. Sous l’Empire romain, dans les îles Britanniques, l’émail devient polychrome et il est appliqué sur de plus grandes surfaces. Il recouvre surtout le bronze, et les clous à large tête sont les premiers à en bénéficier.
Enfin l’art celte n’ignore pas le verre, à une, deux, trois ou quatre couleurs; il en fait des bracelets, des amulettes et des perles.
Sur les métaux, le décor est estampé, ajouré, incrusté, perforé, rehaussé, gravé (la gravure n’est pas oubliée des sculpteurs qui ont, ainsi, d’un simple trait, dessiné sur les guerriers d’Entremont le détail de leurs costumes). On applique aussi de l’or en feuille sur le fer et le bronze. Quant à la peinture, la céramique en a pour ainsi dire le monopole. La couleur se retrouve dans les productions les plus variées de cet art essentiellement décoratif: la simple énumération des matériaux employés le suggérait déjà.
Dès ses débuts, l’art celte stylise et transforme animaux et plantes. S’il n’ignore pas les grecques, ni la palmette grecque, qui lui est venue par l’Italie et qu’il simplifie et rend plus abstraite, il aime particulièrement la courbe et la contre-courbe, la spirale, le ying-yang venu de Chine, le tracé en S, la triscèle et la svastika; la rosette et la lyre, la feuille (et en particulier la feuille-virgule) et le lotus, les larmes, les vessies de poisson sont autant de motifs couramment utilisés.
Architecture et sculpture
Il n’y a pas d’architecture celte, du moins au sens traditionnel, puisque les Celtes n’ont pas construit en pierre. Ils possédaient en maîtres les techniques du bois, au point d’en remontrer aux Romains, mais on ignore à peu près tout du parti qu’ils en tirèrent, car tous leurs travaux dans ce matériau ont presque complètement disparu; on sait seulement que la poutre était l’élément essentiel de leurs remparts, mais c’est un domaine étranger à l’art. Seul le midi de la France, très tôt soumis aux influences méditerranéennes, connaît une architecture en pierre (à Roquepertuse, par exemple), mais celle-ci n’est pas purement celtique.
La sculpture constitue également un cas particulier: c’est en effet dans le midi de la Gaule qu’elle apparaît, pour gagner ensuite la vallée du Rhin et la Bohême. Avant cette intervention méditerranéenne, l’art celte ne connaissait que les petits bronzes et non pas la grande sculpture; pourtant, cette dernière sera toujours typiquement celte dans le choix de ses thèmes, animaux fantastiques, par exemple, telle la tarasque de Noves (musée Calvet, Avignon), ainsi que dans la préférence marquée qu’elle conserve pour la ronde-bosse complétée par un décor linéaire (héros d’Entremont, Aix-en-Provence; tête tchèque de Msecké-Zehrovice, Prague).
Un art ouvert aux influences
C’est donc bien là, en général, un art du décor qui ne cherche ni à copier la réalité, ni à en donner une image idéale; la réalité est simple prétexte. Cet art ne prétend pas davantage stimuler la réflexion qu’exalter le mysticisme. Cette volonté de faire de l’art un pur décor est bien un choix délibéré, puisque les Celtes n’ignoraient pas, ou cessèrent vite d’ignorer, la représentation du visage humain (comme en témoignent les statues, les masques de tôle, les monnaies ou le chaudron de Gundestrup) et celle des animaux.
Cet art original ne reste pas fermé sur lui-même; il emprunte aux arts méditerranéens; cela est attesté clairement pour les monnaies qui imitent les monnaies d’or macédoniennes et aussi, mais d’une façon un peu moins évidente, par l’emploi de tel motif décoratif, comme la palmette. L’art celte emprunte aussi à l’Antiquité « barbare «: des Scythes, il retient certaines figures animales; du Caucase, la technique de l’émail.
Cet art n’est pas uniforme et l’on peut y distinguer plusieurs étapes qui permettront de mieux situer les œuvres.
Quelques styles successifs
L’art du premier âge du fer
Il se caractérise par un décor géométrique (ceinture d’Amancey, Doubs) disposé en systèmes symétriques, métopes ou bandes. Les barques solaires, les rouelles, certaines figures d’oiseaux sont parmi les motifs préférés; le goût de l’ornementation entraîne souvent une certaine surcharge (gros bracelet d’Aradon, musée de Vannes), tandis que les situles historiées ne se rencontrent guère hors de la vallée du Pô. D’abondantes importations grecques et étrusques complètent cette production. C’est la première époque des sépultures à chars comme celle de Vix: ces chars semblent être des véhicules purement rituels, impropres aux longs trajets. Certaines techniques, qui auront un brillant avenir, sont déjà connues: l’articulation des pièces métalliques, l’incrustation du corail.
Le « premier style »
Les vallées du Rhin et de la Marne où les populations sont plus stables sont les foyers principaux du « premier style » (du Ve s. av. J.-C. au milieu du IVe s. av. J.-C.). On retrouve le goût de la symétrie et des motifs en frises ou en bandeaux. Les décors d’inspiration méditerranéenne sont simplifiés (en Grèce, c’est alors l’époque classique), mais on note une préférence pour les motifs curvilignes entrelacés, motifs végétaux, plus ou moins identifiables, et motifs linéaires. L’influence grecque, venue par l’Étrurie, reste vive, en particulier dans la poterie; dans le même temps s’exerce une influence orientale. Le disque d’Auvers-sur-Oise, conservé à la Bibliothèque nationale, le bol de Schwarzenbach (Berlin), la corne d’Eingenbilzen (Bruxelles) comptent parmi les meilleures productions de cette époque.
Le style libre, dit de Waldalgesheim
Du milieu du IVe siècle avant J.-C. au milieu du IIIe siècle, le style libre, dit de Waldalgesheim, d’après le site où ont été faites les découvertes les plus intéressantes, s’étend sur de plus vastes territoires que le « premier style »; il voit la disparition de la symétrie, du moins dans le détail. C’est le règne incontesté de la ligne courbe, qui déforme systématiquement tout ce que la réalité propose, et opère une fusion des divers motifs; les lignes finissent par s’imbriquer en figures irréelles d’oiseaux ou d’autres animaux. Ce style subsistera en Irlande bien au-delà de l’ère chrétienne.
Le « style des épées » est un cas particulier du style précédent, la forme des objets sur lesquels il s’exerce (les épées et leurs fourreaux) impose l’étirement des motifs décoratifs, tandis que le découpage en diagonale entraîne leur asymétrie.
Le style plastique
Le style plastique, qui donne du relief au décor et qui introduit de nouveaux motifs comme la trompette, ne supplante pas le style libre et coexiste longtemps avec lui. Les bracelets se gonflent de nodosités, tel celui, en or, d’Aurillac (Cabinet des Médailles, Paris). Ce style a fourni des chefs-d’œuvre: harnachements et ornements de char, le décor prenant parfois l’aspect de têtes humaines (pièces d’harnachement 50401 du musée des Antiquités nationales).
Au moment où, sur le continent, s’épanouit le style plastique et que le style libre est encore courant, les premiers objets celtes parviennent aux îles Britanniques; ils y inspireront un art insulaire plus vivace que partout ailleurs. À la même époque (début du IIe siècle av. J.-C.), on voit naître et s’imposer d’emblée l’art original des monnaies gauloises.
La grande statuaire
La grande statuaire apparaît avant les monnaies; elle dénote des influences méditerranéennes; de là l’hésitation à qualifier ces œuvres de celtiques. Les premières statues apparaissent dans le midi de la France au IIIe siècle avant J.-C.: l’Hermès de Roquepertuse (musée Borély, Marseille), le guerrier de Sainte-Anastasie (Nîmes). Au IIe siècle, la production statuaire est toujours féconde dans ces régions (tarasque de Noves, au musée Calvet, Avignon; têtes coupées d’Entremont, Aix-en-Provence), qui n’en ont cependant plus le monopole: l’actuelle Allemagne et l’actuelle Tchécoslovaquie, en particulier, offrent de belles pièces (tête d’Heidelberg, à Karlsruhe, et tête de Msecké-Zehrovice, au musée de Prague, peut-être un peu moins ancienne, du Ier siècle). Toutes ces œuvres semblent exprimer l’idée de la mort, ou parfois, plus précisément, celle du mort « héroïsé ».
Le baroque celte
La conquête romaine fait naître un dernier style celtique, ou style baroque. Celui-ci manie avec la même virtuosité les motifs décoratifs du répertoire antérieur, mais réintroduit la symétrie.
Cette période est courte en Gaule, où le baroque celte ne tarde pas à être supplanté par l’art gallo-romain; mais il est particulièrement important en Belgique et dans les îles Britanniques, avec les pierres d’Irlande et les miroirs d’Angleterre; le bracelet de Snettisham est un des objets les plus représentatifs de ce style.
4. La représentation des Celtes dans l’art antique
La plus ancienne figuration de guerrier celtique est la statue de pierre, en ronde bosse, de Hirschlanden (Wurtemberg). Découverte il y a quelques années seulement, elle représente un héros nu, la tête couverte d’un casque en forme d’abat-jour, le cou orné d’un torques, ou collier gaulois de type hallstattien, la taille entourée d’une ceinture dans laquelle est passé un poignard. Un peu plus récentes (Ve siècle) sont les figurations de guerriers celtiques ornant la situle dite Arnoaldi, de Bologne, où nous voyons un défilé de fantassins gaulois, associés à des Étrusques.
Les Celtes portent le bouclier oblong à extrémités arrondies, à longue nervure et à umbo central. Le cimetière de Hallstatt a également fourni une longue épée de La Tène, dont le fourreau porte un décor gravé et repoussé, représentant des fantassins et des guerriers celtiques, et deux jeunes héros, ou divinités, portant une roue. Ces différents personnages sont vêtus d’un costume spécifiquement celtique: braies collantes et justaucorps bigarrés.
Au IVe siècle appartient la statue de guerrier de Grézan, dont les détails d’équipement ont été précisés avec un certain réalisme: large ceinturon de cuir, orné de lambrequins en forme de créneaux, boucle de bronze à quatre ardillons, cuirasse de cuir couverte d’ornements pectoraux rectangulaires et en arc de cercle.
Mais c’est à la sculpture hellénique qu’il appartenait de produire les plus belles représentations de Gaulois. Ces dernières, qui nous ont été, dans la plupart des cas, transmises par des copies ou des adaptations de date relativement tardive, proviennent de plusieurs ensembles monumentaux, particulièrement importants, dont l’existence nous est rapportée par des textes: les trophées du roi Attale Ier (241-197 av. J.-C.) et du roi Eumène II (197-159 av. J.-C.); à Pergame, le monument d’Attale Ier sur l’Acropole d’Athènes (225 av. J.-C.).
Doivent être rattachés à ces représentations de Galates, de l’époque pergaménienne, le fameux Gaulois mourant du musée du Capitole, ainsi que le groupe de la villa Ludovisi, intitulé Arria et Paetus . Le premier est un Gaulois blessé à mort, assis sur un bouclier, s’appuyant de la main droite sur le sol; à côté de lui, son épée et sa trompe de guerre. Il est nu, mais l’artiste grec l’a caractérisé comme Gaulois, par sa chevelure drue et hérissée, ses traits farouches, ses moustaches recouvrant sa lèvre supérieure, sa musculature robuste et un peu rude. Le groupe de la villa Ludovisi, où se retrouvent les mêmes caractères, représente un guerrier gaulois plongeant son épée dans sa poitrine, après avoir tué sa femme. Le type du guerrier gaulois, exprimé de façon à la fois réaliste, pathétique et quelque peu idéalisée, connaîtra une vogue considérable dans la sculpture hellénique, puis gréco-romaine.
Le sarcophage de la vigne Ammendola, découvert en 1830 près de la voie Appienne, nous montre des scènes de combat entre Grecs et Celtes, manifestement inspirées des œuvres pergaméniennes.
Les médaillons ornant les coupes en terre cuite campaniennes fabriquées à Cales, au nord de Capoue, au cours des IIIe et IIe siècles avant notre ère, semblent imiter d’autres œuvres helléniques, probablement plus anciennes, se rapportant aux combats livrés par les Grecs contre les Celtes au IIIe siècle, notamment près de Delphes. Les Gaulois, à l’apparition des divinités protégeant le sanctuaire, prennent la fuite.
Le nombre considérable d’œuvres de tout genre: statues en ronde bosse, frises céramiques, bas-reliefs, statuettes de bronze, inspirées des combats entre Grecs et Gaulois, nous montre de façon évidente l’effet produit sur l’imagination des Grecs par l’épopée celtique.
5. Langues celtiques
Les langues celtiques constituent l’un des dialectes indo-européens. Elles ne nous sont connues, dans l’Antiquité, que d’une façon partielle et fragmentaire, mais certains rameaux ont survécu jusqu’à nos jours et nous ont transmis une littérature assez importante.
Celtique ancien ou celtique continental
Dans la zone très vaste qui a été peuplée par les Celtes dans l’Antiquité, seules quelques régions ont connu une épigraphie indigène en langue celtique. Ce sont la Gaule cisalpine et transalpine (gaulois), la Castille (celtibère), et la région des Lacs en Italie du Nord (lépontique). En dehors de ces inscriptions proprement celtiques, on peut rencontrer des éléments onomastiques celtiques dans les inscriptions latines ou grecques: c’est ce dont nous disposons, par exemple, pour les Galates d’Asie Mineure. Les inscriptions celtiques ont utilisé un alphabet d’emprunt, plus ou moins adapté: l’alphabet ibère en Celtibérie (à partir de 300 av. J.-C. env.), l’alphabet étrusque pour le lépontique (au même moment) et les alphabets grec et latin pour le gaulois (du IIIe s. av. J.-C. au IIIe s. apr. J.-C.).
Ces inscriptions indigènes sont très limitées en nombre et en étendue. Aussi est-il fort difficile de connaître les langues celtiques continentales. On perçoit cependant des archaïsmes dans le celtibère, qui conserve la diphtongue indo-européenne ei , et la labio-vélaire k W. Mais les limites de nos connaissances font que nous ne pouvons interpréter de façon sûre les documents exceptionnellement longs, comme le Bronze celtibère de Botorrita (trouvé en 1971), la Tablette gauloise de Chamalières ou celle de L’Hospitalet du Larzac. L’interprétation de ces documents repose largement sur des hypothèses comparatives, appuyées soit sur les autres dialectes indo-européens, soit sur les langues celtiques insulaires qui, elles, sont beaucoup mieux connues.
Celtique insulaire
Le celtique insulaire comprend d’une part les dialectes goïdéliques ou gaéliques (irlandais, écossais, mannois) et d’autre part les dialectes brittoniques (gallois, breton, cornique). Les deux groupes s’opposent notamment par le traitement de la labio-vélaire indo-européenne k W, comme dans le nombre « cinq », irlandais cóic (moderne cúig ), gallois pump , de k Wenk We . Dialectes brittoniques et goïdéliques se sont partagés les îles Britanniques avant le début de l’ère historique. Deux émigrations importantes ont modifié leur géographie vers le IVe siècle: celle des Irlandais qui ont colonisé une partie de l’Écosse au détriment des Pictes (peuple dont la langue, fort mal connue, a parfois été considérée comme celtique) et celle des Bretons vers l’Armorique, qui devait être déjà largement romanisée.
Les langues celtiques insulaires représentent des états de langue très évolués: les syllabes finales sont déjà tombées (sauf dans l’irlandais archaïque des inscriptions oghamiques); les consonnes ont subi des altérations ou mutations dans des environnements déterminés (ainsi la lénition des consonnes intervocaliques). Ces altérations consonantiques sont à l’origine des mutations initiales , qui caractérisent la grammaire de tous les dialectes celtiques modernes: le mot modifie sa consonne initiale selon l’environnement syntaxique. Ainsi, en irlandais moderne, bean , « femme », devient après l’article: an bhean , « la femme » (sind g Wen , où g W devenu b est lénifié entre voyelles, c’est-à-dire spirantisé en v , écrit aujourd’hui bh ).
Différents états de langue peuvent être distingués dans chaque dialecte. Pour l’irlandais ancien et moderne, on se reportera à l’article IRLANDE; l’irlandais moderne est encore parlé dans des zones situées à l’ouest de l’île, en Donegal, en Kerry et surtout en Connemara. L’enseignement obligatoire de la langue a largement répandu la connaissance de l’irlandais, qui est parlé par 500 000 personnes environ.
L’écossais et le mannois se sont séparés progressivement du tronc gaélique commun entre le Xe et le XIIIe siècle. Jadis parlé dans les Hautes-Terres comme dans les Hébrides, l’écossais tend à ne subsister que dans les îles et sur la côte Ouest (environ 90 000 locuteurs au début des années quatre-vingt selon l’Encyclopædia Britannica ). Le mannois (anglais manx ) a disparu de l’île de Man durant ces dernières années. Une des particularités de la branche goïdélique est de distinguer deux séries de consonnes selon la qualité de la voyelle suivante: les consonnes sont palatales (devant e , i ) ou non palatales. Ce phénomène phonétique a permis la conservation des déclinaisons: l’opposition des désinences -os (nominatif singulier) et 稜 (génitif singulier) a été transférée, avant la chute des syllabes finales, dans l’opposition entre consonne palatale et consonne non palatale: makk Wos , « fils », gén. makk W 稜 est devenu mak , gén. mak (avec k palatal), écrits mac, maic .
Les dialectes brittoniques sont les langues parlées au pays de Galles, en Bretagne armoricaine et, autrefois, dans le Cornwall anglais. Là aussi, on peut distinguer différents états de langue: vieux gallois, vieux cornique et vieux breton sont connus par des gloses dans les manuscrits latins du VIIIe au Xe siècle. Selon la nature des documents conservés, on a situé le moyen gallois de 1100 jusque vers 1350, le moyen cornique du XIIe au XVIe siècle, le moyen breton jusqu’au milieu du XVIIe. Le cornique moderne a disparu à la fin du XVIIIe siècle.
Le breton reste parlé par une bonne partie des paysans et des pêcheurs, à l’ouest d’une ligne allant de Plouha (Côtes-d’Armor) à Saint-Gildas-de-Rhuys (Morbihan). On ne dispose pas de statistiques sur le nombre exact de locuteurs. Le gallois est certainement mieux armé pour résister au temps, car il est encore parlé dans les agglomérations (soit par 650 000 personnes environ). Les quatre langues celtiques encore vivantes sont enseignées, à des degrés divers, à tous les échelons scolaires: elles sont l’objet de recherches et de cours universitaires; elles ont leur place dans les médias. Mais ces activités culturelles ne sont pas une garantie de survie pour les langues qui sont de plus en plus menacées par l’anglais et le français.
6. Littératures celtiques
Tous les pays celtiques ont connu, dans la première période attestée, de petits royaumes indépendants, où des princes entretenaient chacun un poète professionnel. Ce type de société aristocratique demandait au lettré des poèmes héroïques, ou des sagas mettant en valeur la gloire de la famille princière. Ce matériau littéraire devait se transmettre oralement: c’est par contact ou échange avec la culture monastique écrite que sont apparus les premiers manuscrits consacrés aux littératures indigènes. Bien entendu, l’absence de toute unité nationale dans chacun des pays celtiques a privé ceux-ci de tout « âge classique »: la norme à laquelle se référaient les lettrés médiévaux était toujours le poète le plus ancien, situé à une époque préhistorique et mythique. Le respect de la tradition est donc le principe directeur de ce type de poésie ancienne.
Les empiétements successifs des Saxons sur les Bretons, puis des Anglo-Normands sur les Gallois, les Irlandais et les Écossais ont entraîné des modifications politiques importantes. Les élites indigènes sont tôt ou tard assimilées ou expulsées par la monarchie anglaise. À partir du XVIIe siècle, les langues celtiques n’expriment plus qu’une culture populaire: les poètes et les conteurs sont dès lors des gens du peuple, qui travaillent occasionnellement pour différents mécènes. Les formes littéraires s’assouplissent, le langage littéraire n’est plus différent du langage parlé. L’oral redevient prépondérant: contes et chansons populaires en sont les principales productions. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle, avec la résurgence des mouvements nationalistes et culturels, que reparaissent de véritables lettrés, écrivains amateurs ou savants philologues qui redécouvrent les textes anciens.
Ce schéma d’évolution doit être corrigé dans le détail pour chacun des pays celtiques pris séparément, car des disparités importantes existent entre eux: ainsi, la période des poètes aristocratiques n’est pas attestée pour les littératures bretonne et cornique. (Pour la littérature irlandaise et la littérature bretonne, on se reportera aux articles IRLANDE et BRETAGNE).
La littérature galloise
Le pays de Galles offre, avec l’Irlande, la littérature celtique médiévale la mieux conservée. Il a d’autre part su garder ses traditions de composition poétique jusqu’à nos jours. D’ailleurs, l’histoire littéraire du pays de Galles suit les époques de sa poésie .
On distingue d’abord les cynfeirdd (« premiers bardes »), qui remontent (pour une partie de la production qu’on leur attribue) au VIe siècle. Ces premiers monuments littéraires, tous poétiques, attestent une époque où les Bretons occupaient un territoire beaucoup plus vaste que le pays de Galles actuel. Ainsi l’épopée des Gododdin , par le poète Aneirin, chante les combats d’un peuple breton (les Gododdin) installé à la fin du VIe siècle dans la région d’Édimbourg. Dans certains cas, ces cynfeirdd sont devenus eux-mêmes le sujet d’une légende: Taliesin, un poète historique de la même époque qu’Aneirin, est transfiguré en poète mythique et associé à de vieux thèmes de divination magique ou de métamorphoses. C’est le cas encore de Llywarch Hen, un personnage du VIe siècle dont tous les fils sont morts au combat: de sa légende, qui doit remonter au IXe siècle, nous n’avons que les englyn (strophes de trois vers courts, forme lapidaire propre à exprimer une émotion contenue). À côté de ces poèmes héroïques ou élégiaques, la poésie prophétique de Myrddin (le prototype de Merlin l’Enchanteur, lui aussi poète mythique) permet de cristalliser des thèmes politiques, comme dans le poème Arymes Prydein Vawr (« L’Oppression de la Grande-Bretagne »), prophétie annonçant la victoire de tous les Celtes alliés contre l’envahisseur anglais (Xe s.). On doit signaler que les poèmes des cynfeirdd posent de graves problèmes de compréhension car ils sont conservés dans des manuscrits bien postérieurs (du XIIe au XIVe s.).
Après les cynfeirdd viennent les gogynfeirdd (« successeurs des premiers poètes »), c’est-à-dire les poètes de cour, poètes professionnels attachés à des princes indépendants. Leur poésie a une inspiration élevée, un langage archaïsant et des techniques recherchées. Il s’agit surtout de louanges au seigneur ou de méditations religieuses.
L’époque suivante (1350-1600 env.) est celle des beirdd yr uchelwyr (« bardes des seigneurs »). Après la disparition des grands princes, les bardes n’ont plus pour patrons que des seigneurs ou des abbés, avec lesquels les liens sont plus lâches. La poésie devient techniquement plus stricte, mais son inspiration admet maintenant des thèmes moins nobles et plus intimes. On préfère le couplet (cywydd ) aux longues strophes; l’assemblée des poètes (ou eisteddfod ) de Caernarvon en 1450 fixe les vingt-quatre mètres de la cynghanedd (métrique galloise fondée sur l’assonance). Le poète le plus célèbre de la période est Dafydd ap Gwilym, qui traite avec un certain humour tous les clichés de l’amour courtois (le jaloux, le messager d’amour, la nature complice des amoureux, l’invitation du premier mai, etc.). On écrit déjà en gallois moderne à cette époque.
La prose du moyen gallois consiste essentiellement en traductions de textes didactiques latins ou de romans français. Parmi les compositions originales, figurent essentiellement les Lois galloises (compilées à l’initiative du roi Hywel Dda au Xe s.), et les Mabinogion .
Ces derniers constituent un ensemble de onze contes conservés dans deux manuscrits, le Livre blanc de Rhydderch (XIIIe s.) et le Livre rouge de Hergest . Plusieurs de ces contes sont à rattacher au cycle arthurien, en particulier les trois « romans » d’Owein, Gereint et Peredur (Yvain, Érec et Perceval). Ces romans arthuriens sont les témoins d’une tradition indépendante de celle de Chrétien de Troyes et l’on peut supposer qu’ils sont l’aboutissement indigène des thèmes bretons, bien que l’influence franco-normande affleure par endroits.
Mais le terme de Mabinogi semble avoir désigné, au propre, l’ensemble des quatre contes (« Les Quatre Branches de Mabinogi ») mettant en scène des cycles de personnages localisés dans le Dyfed ou le Gwynedd: Pwyll, Branwen, Manawydan et Math. Ces « Quatre Branches » sont l’œuvre d’un artiste très habile qui a su tisser l’un avec l’autre plusieurs cycles, plusieurs destins personnels et plusieurs légendes d’origine païenne. Car ces légendes ont conservé la fraîcheur de mythes très anciens: les personnages sont d’anciens dieux à peine transformés. Rhiannon, mère de Pryderi et femme de Pwyll, est une ancienne déesse de la souveraineté, associée au totem cheval: elle correspond par ce trait à la déesse gauloise Epona. Son fils naît en même temps qu’un poulain, et on lui impose le châtiment de servir de monture aux étrangers. Le sens de ces légendes est évidemment estompé par le rédacteur médiéval, qui présente ses personnages comme de simples mortels.
Ces légendes empruntent quelques thèmes à la littérature irlandaise: le chaudron de résurrection, ou le piège qui consiste à inviter les ennemis à un festin, dans une maison de fer qui est ensuite chauffée à blanc (branche de Branwen). D’autres légendes ont des parallèles irlandais, sans être pour cela empruntées: ainsi les « Songes de Maxen » et « de Rhonabwy », ou le « Conte de Kulhwch », qui a l’intérêt de mêler des éléments de folklore (la quête d’objets merveilleux) à la légende arthurienne. La meilleure introduction à tous ces contes, pour le lecteur français, reste encore aujourd’hui la traduction de Joseph Loth (Les Mabinogion , Paris, 1913).
La littérature moderne commence avec un événement majeur pour le pays de Galles: la traduction de la Bible. Après l’essai de traduction du Nouveau Testament par William Salesbury, les Gallois ont leur Bible complète en 1588, grâce à l’évêque Morgan. Ce texte (ou plutôt la révision qui en est faite par John Davies en 1620) va fonder le langage littéraire moderne, car les Écritures vont imprégner la pensée et la langue galloises, notamment après les réformes méthodistes du XVIIIe s. qui prônent l’étude de la Bible pendant toute la journée du dimanche.
Au XVIIe siècle, on observe, à côté de la poésie traditionnelle, de nouvelles formes de poésie plus populaires, dans la métrique libre appelée canu rhydd : c’est ainsi que sont composées les hen-benillion , petites strophes comparables aux fables, et s’inspirant de la vie quotidienne. Les premiers ouvrages savants, grammaires et dictionnaires, ont fait leur apparition dès la fin du XVIe siècle. Les principaux grammairiens sont John Davies (auteur d’une grammaire, et d’un Dictionarium Duplex , 1632) et Edward Lhuyd, dont l’intérêt scientifique embrasse toutes les langues celtiques. Il voyage dans les pays celtiques pour recueillir des documents linguistiques et tente de réunir la grammaire de toutes ces langues dans son Archaeologia Britannica (1707).
La prose du XVIIIe siècle est assez abondante: on imprime beaucoup d’ouvrages pour les écoles chrétiennes. Ainsi les Visions du barde endormi d’Ellis Wynne ou l’Aperçu des premiers temps par Theophilus Evans, mais ces livres sont écrits dans un langage ronflant et scolaire. Beaucoup plus vivants, les « interludes », drames populaires conçus comme des mystères médiévaux, mettent en scène la vie quotidienne avec des intentions satiriques ou moralisantes. On en a plusieurs de Thomas Edwards, dit Twm o’r Nant. Mais ce théâtre a malheureusement été anéanti par la réforme méthodiste de la seconde moitié du XVIIIe siècle, qui condamnait d’ailleurs aussi d’autres formes de culture populaire, comme les contes à la veillée.
La poésie du XVIIIe siècle tente de retrouver ses sources: Goronwy Owen, qui compose des poèmes très classiques, restaure l’institution de l’Eisteddfod, assemblée de poètes jugeant un concours de poésie. Ce concours devient annuel au cours du XIXe siècle, et c’est aujourd’hui l’une des institutions culturelles du pays de Galles. Le poète méthodiste William Pantycelyn écrit des hymnes et une épopée religieuse (Theomemphus , 1764).
Le trait marquant du XIXe siècle est le retour aux textes anciens: la publication du recueil de la Myfyrian Archaeology of Wales , 1801-1807, par Owain Myfyr, W. O. Pughe et Iolo Morganwg, a été très utile à la diffusion des poètes anciens. Malheureusement, la contribution de Iolo Morganwg pourrait bien être comparée à celle de La Villemarqué dans le Barzaz Breiz (cf. BRETAGNE, littérature): faussaire génial, Iolo Morganwg a réussi à imiter le style des poètes anciens. Il prétendait avoir retrouvé des traditions druidiques miraculeusement conservées par les poètes de Morganwg (du comté de Glamorgan). Cette supercherie ne sera découverte qu’assez tard, à la fin du XIXe siècle. Entre temps, Owen Pughe avait édité un dictionnaire farci de termes inventés, ou empruntés aux compositions de son ami Iolo!
Ce travail d’édition est peu à peu rectifié par les publications de W. Skene (Four Ancient Books of Wales , 1868), et surtout de J. Gwenogfryn Evans. À la fin du XIXe siècle, l’étude scientifique de la littérature galloise s’organise à l’Université: John Rhys reçoit une chaire de celtique à Jesus College, Oxford; l’université de Galles est fondée en 1893 (trois collèges à Aberystwyth, Bangor et Cardiff puis à Swansea en 1920); on crée la Bibliothèque nationale de Galles en 1907.
La poésie galloise du XXe siècle a ses théoriciens (John Morris-Jones) et ses chefs de file: T. Gwynn Jones adopte les vers longs, incantatoires, pour dénoncer les horreurs de la Grande Guerre ou la laideur des villes modernes; plus récemment, le patriote Saunders Lewis (qui est aussi l’auteur de drames historiques et de nombreux essais de critique littéraire) exprime ses choix politiques et religieux en une poésie à la fois très engagée et très idéaliste, qui tend à considérer l’univers médiéval comme un idéal absolu.
Les prosateurs modernes produisent plutôt des nouvelles que des romans. Il est possible que les auteurs soient plus portés sur l’analyse psychologique que sur la fiction véritable. Les nouvelles de Kate Roberts décrivent ainsi, avec réalisme, la vie difficile des ouvriers carriers du nord du pays de Galles: son œuvre est très importante, car l’auteur montre une grande finesse d’analyse et beaucoup d’habileté dans le déroulement dramatique de conversations d’apparence anodine.
La littérature galloise montre un grand attachement à ses traditions, en particulier à sa tradition poétique. Il lui manque peut-être d’avoir reçu un peu plus de la veine populaire, qui est si foisonnante en Irlande, par exemple. On regrette d’avoir si peu de contes médiévaux: les Triades anciennes nous ont gardé le nom de quantités de personnages mythiques (groupés par trois), dont hélas nous ne connaissons pas la légende. C’est donc une littérature plus savante que populaire. D’un autre côté, la culture galloise est beaucoup plus popularisée que les autres cultures celtiques: tous les locuteurs savent lire le gallois, beaucoup peuvent participer aux concours de poésie – et la plupart sont prêts à défendre leur langue à l’occasion. C’est dire que la résistance de la langue galloise se fonde non seulement sur des engagements actifs, mais aussi sur des réalités culturelles très importantes.
La littérature écossaise
C’est l’émigration des Irlandais du royaume de Dál Riada (en Ulster) qui introduit, au Ve siècle, le gaélique en Écosse. La langue s’est imposée à toute l’Écosse vers le XIe siècle, puis elle a reculé devant la poussée de l’anglais. Entre le Xe et le XIIIe siècle, d’autre part, le gaélique d’Écosse se sépare progressivement du gaélique d’Irlande. Pourtant, les deux pays gardent jusqu’au XVIIe siècle une même tradition littéraire et le même langage littéraire, très conservateur (c’est la langue « bardique »). Les premiers documents attestant le dialecte écossais sont les notes introduites dans Le Livre de Deer (XIIe s.), et surtout Le Livre du doyen de Lismore (début du XVIe s.). Ce manuscrit est un recueil de poésies populaires et de poèmes bardiques réunis par sir James MacGregor, doyen de Lismore (Argyllshire). On y trouve les premiers documents écossais appartenant à la littérature ossianique. Les premiers imprimés du XVIe et du XVIIe siècle sont encore écrits dans une langue très proche de l’irlandais classique: ainsi la Bible de 1690 qui est la traduction de la liturgie presbytérienne (1567), et la translittération de la Bible irlandaise en caractères romains.
La poésie des XVIIe et XVIIIe siècles est abondante et variée: on trouve côte à côte la poésie syllabique des bardes et la poésie accentuelle moderne, plus libre; l’inspiration est elle aussi très variée, allant des thèmes les plus intimes jusqu’aux attaques politiques. Mary MacLeod et John MacDonald (ou Iain Lom ) au XVIIe siècle, Alexander MacDonald et Duncan Macintyre au XVIIIe sont parmi les plus célèbres poètes écossais. Alexander MacDonald excelle dans l’humour et la satire: c’est l’un des chefs de l’insurrection de 1745 et il met la poésie au service de ses combats. À la même époque, Dugald Buchanan, traducteur du Nouveau Testament (1767), a produit des poèmes religieux.
La désorganisation du système gaélique traditionnel après la défaite de Culloden (1746) a mis fin, peu à peu, au mécénat des chefs de clans. Comme en Irlande, le poète n’a plus de statut professionnel: il doit survivre comme musicien populaire, joueur de bagpipe ou autre. Mais l’interruption de la tradition des « lettrés » entraîne la redécouverte de la culture populaire. On constitue plusieurs recueils de traditions orales au cours du XVIIIe siècle: le plus connu de ces collecteurs est James Macpherson (Fragments of Ancient Poetry , 1760; Fingal , 1762; Temora , 1763). Malheureusement, Macpherson avait considérablement arrangé les traditions recueillies, en y mêlant des emprunts à la littérature irlandaise ancienne ou des inventions personnelles conformes au goût de cette époque. Son œuvre a été l’occasion d’un vaste débat portant sur l’authenticité des textes publiés et sur leur valeur littéraire. Grâce à Macpherson néanmoins, l’attention du public européen s’est portée sur les littératures irlandaise et écossaise; de plus, par réaction contre lui, plusieurs recueils de traditions populaires ont été publiés de façon rigoureuse au cours du XIXe siècle.
J. F. Campbell (Popular Tales of the West Highlands , 1860-1862; Leabhar na Féinne , 1872), Alexander Carmichael (Carmina Gadelica , à partir de 1900), et le révérend A. Cameron ont voulu publier ainsi les documents authentiques de la tradition orale. Ce sont les principales publications du XIXe siècle, avec les dictionnaires, et les premières revues gaéliques.
Comme dans les autres langues celtiques vivantes, la littérature contemporaine est l’œuvre d’amateurs, écrivant, pour un public restreint, des nouvelles, des essais ou des poèmes. Citons le poète Somhairle MacGhilleathain et le nouvelliste Iain Crichton Smith. Les universitaires de la School of Scottish Studies (Édimbourg) participent activement à la conservation des traditions orales et à l’étude des dialectes vivants.
Les littératures cornique et mannoise
S’agissant de parlers maintenant disparus, les littératures cornique et mannoise sont des littératures mineures, dont l’intérêt est surtout linguistique. Ainsi, le mannois n’a rien laissé qui ait une réelle valeur littéraire. Les premiers documents sont des traductions de textes religieux (le Livre de la prière commune traduit en 1610 par l’évêque Philipps; la Bible, publiée entre 1763 et 1773). Les traditions populaires mannoises ont pourtant un certain intérêt: les ballades, chansons et contes sont très proches de leurs correspondants irlandais et écossais. L’une de ces ballades, la Ballade de Manannan , imprimée en 1778, pourrait remonter au XVIe siècle.
Le cornique a laissé quant à lui des documents plus anciens, plus abondants et de plus haute volée. Après quelques gloses très anciennes, nous avons le Vocabularium Cornicum , un glossaire de la fin du XIe siècle. Les textes littéraires du moyen cornique sont de même nature que les documents du moyen breton: poèmes religieux et drames religieux. Ces derniers, qui comprennent les Ordinalia (« Origine du monde », « Passion », « Résurrection ») et la Vie de saint Mériadec , ont une réelle valeur, notamment par la description vivante des communautés. Le cornique moderne est connu par un autre drame religieux sur la Création du monde (1611), par des fragments de traduction biblique, par un conte publié par Edward Lhuyd dans son Archaeologia Britannica (1707): mais la langue disparaît à la fin du XVIIIe siècle.
Il est à remarquer que le mannois et le cornique continuent à être enseignés: la force des mouvements culturels assure une survie artificielle à ces deux langues dans lesquelles certains continuent de parler et d’écrire.
Celtes
groupement humain de langue indo-européenne, aux origines mal définies, qui couvrit d'abord l'Europe centr., puis se répandit en Gaule (surtout), du VIe au IIIe s. av. J.-C. De Gaule, certains traversèrent la Manche; d'autres gagnèrent l'Espagne, l'Italie du N. (IVe s. av. J.-C.), la Grèce, l'Asie Mineure. Princ. bases: vallées du Danube et du Rhin, nord et centre de la Gaule, Belgique actuelle, sud de l'Allemagne actuelle, Suisse actuelle, Gaule Cisalpine (Italie du N.), îles Britanniques. L'art y fleurit, excellant dans la stylisation.
Encyclopédie Universelle. 2012.