BÉTÉ
BÉTÉ
Établis en Côte-d’Ivoire et appartenant au groupe des Krou, les Bété représentent, dans les années 1990, 18 p. 100 de la population ivoirienne, soit 2 millions de personnes environ. Le pays bété, qui s’étend sur la forêt et sur la savane, entre Gagnoa et Daloa, a pour capitale cette dernière ville, distante de 400 kilomètres d’Abidjan et comptant, en 1986, 102 000 habitants.
Autrefois situés à proximité des cours d’eau, les villages se construisent aujourd’hui aux abords des pistes carrossables; les habitations, rectangulaires, sont en terre battue. Société patrilinéaire et d’habitat patrilocal, les Bété sont polygames en droit, mais, dans les forêts, la monogamie est très largement répandue. L’organisation sociale est complexe; elle comprend, en partant de l’unité la plus large:
le digpi , ou clan; les membres d’un même digpi ont en commun un nom, le plus souvent celui de l’ancêtre dont ils sont censés descendre, et occupent un même territoire;
le grebo , ou lignage; il exclut les filles mariées, qui résident auprès des parents du mari, et inclut les épouses de ses membres masculins; le lignage se divise en deux ou trois segments: le kosu , ou «casei», représente la cellule de base et correspond à la famille patriarcale à l’intérieur de laquelle on ne se marie pas; les membres d’une même case vivent du produit des mêmes terres, cultivées par les femmes, et partagent leur nourriture; la case a pour chef un patriarche qui détient la terre commune et la distribue à ses cadets en fonction de leurs besoins; ses fils et neveux travaillent pour son compte et, en échange, le patriarche doit, en principe, financer leur premier mariage;
le zou , enfin, qui est l’unité minimale, la plus petite cellule reconnue dans les faits sinon en droit et qui regroupe l’épouse et ses enfants en bas âge qui peuvent occuper une maison isolée où le mari et père leur rend visite; le zou peut aussi correspondre au ménage monogame.
Les Bété pratiquent l’échange généralisé, allant chercher leur femme «le plus loin possible». Le problème posé par le mariage est celui de l’argent: traditionnellement le mariage était à peu près la seule occasion de dépenses, rendant ainsi l’union d’une fille nécessaire et préalable au mariage d’un fils. Deux circuits d’échange apparaissent: le premier est constitué par l’échange des filles, le second par celui des dots (défenses d’éléphants, bandes de coton, morceaux de fer allongés servant à la fabrication des armes et des outils). Ainsi existe pour chaque fille un lien étroit qui l’unit à ses frères; par son mariage et son exil, elle leur permet d’acquérir une épouse. Très consciente de cela, la fille fait de son frère son obligé: les meilleurs moments pour une femme mariée sont, sans conteste, les retours au village paternel, chez un frère dont elle gouvernera le ménage en despote; la sœur en visite chez son cadet ne travaille pas, donne ses ordres à l’épouse («notre épouse») qui prépare seule la nourriture et doit obéissance à sa redoutable alliée.
En droit, l’interdiction du mariage est limitée, pour un homme, aux filles qui ont même ancêtre que lui, c’est-à-dire qui sont membres du même kosu; pour une femme, aux descendants de cet ancêtre unique; les relations sexuelles sont interdites avec la fille de l’oncle utérin. En fait, cette exogamie en ligne paternelle n’est pas l’unique interdit: toute alliance avec les cousines croisées et parallèles est prohibée, donc avec toutes les filles appartenant au kosu de l’un des quatre grands-parents. Par ailleurs, un homme n’épouse jamais la veuve du frère de sa femme. Les filles sont très tôt «retenues» en vue du mariage, vers trois ou quatre ans, parfois à la naissance; un versement d’acompte est alors effectué. Actuellement, pour pallier les difficultés concernant le paiement des dots, le mariage par rapt, avec consentement de la fille, est fréquemment pratiqué.
Autrefois, les Bété vivaient de la chasse et de la cueillette: les grandes activités étaient la guerre et la chasse aux grands fauves (buffle, panthère, éléphant). Aujourd’hui, l’économie bété dépend pour une large part des cultures d’exportation introduites, entre 1920 et 1930, par des immigrants venus essentiellement de l’est; la présence de ces immigrants est souvent une source de conflits avec les autochtones qui se reprochent de leur avoir cédé du terrain à des tarifs peu élevés. L’économie bété repose principalement sur la production de café, de cacao et de cola; la récolte annuelle des noix de cola est vendue à des colporteurs venus du Soudan et engendre une importante activité commerciale. Ayant défriché la forêt, chaque chef de famille possède une plantation de café dont l’étendue varie entre 2 et 2,5 hectares. À côté de ces cultures commerciales subsistent les cultures alimentaires (riz, taros, manioc, etc.) qui sont à la base de l’alimentation; la pêche fournit un appoint important.
Les activités des femmes et des hommes sont bien distinctes: les hommes défrichent la forêt, extraient le vin de palme et entretiennent les clôtures protégeant les cultures contre l’incursion des bêtes sauvages; les femmes, comme partout ailleurs en Afrique noire, ont à leur charge l’essentiel des travaux agricoles. Les cultures vivrières sont entièrement entre leurs mains: elles en vendent le produit au marché et l’argent ainsi acquis reste à leur entière disposition.
bête [ bɛt ] n. f. et adj.
• beste 1080; lat. bestia
I ♦
1 ♦ Tout animal, l'homme excepté. ⇒ 1. animal. Bêtes et gens. « L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête » (Pascal). — Une petite bête. ⇒ bestiole; bébête. Des peaux de bêtes. Un ami des bêtes. Nos amies les bêtes. Le pedigree d'une bête de race. — Bêtes fauves, noires (chasse). Bête féroce. Bêtes puantes. Bêtes nuisibles. — Les bêtes à cornes. Une bête à laine. Une bête à poil. Une bête de somme.
♢ Spécialt LES BÊTES. ⇒ bestiaux, bétail. Mener, rentrer les bêtes. — Les animaux féroces de l'arène. Martyr livré aux bêtes. — Les insectes, la vermine. Un lit infesté de bêtes. Il y a des bêtes.
♢ Bête à bon Dieu : coccinelle.
2 ♦ Loc. fig. Chercher la petite bête : créer des difficultés en montrant le détail qui fait problème (⇒ pinailler) . C'est sa bête noire : il a cette personne, cette chose en horreur. Reprendre du poil de la bête. Regarder qqn comme une bête curieuse, avec une insistance déplacée.
II ♦ En parlant des personnes
1 ♦ Par compar. ou métaph. (Idée de force, de violence) Être malade, souffrir comme une bête (cf. Comme un chien). Travailler comme une bête (cf. Comme un bœuf, une brute). S'éclater, jouir comme une bête, sans retenue.
♢ (1874) Par ext. Une bête à concours : personne qui travaille beaucoup et réussit aux concours. ⇒ bûcheur. Une bête de théâtre, de scène : artiste remarquable qui se donne à fond. Absolt (Admiratif) C'est une bête ! une personne robuste, efficace, que rien n'arrête.
2 ♦ (Idée de bas instinct, de danger) « La Bête humaine », roman de Zola (⇒ bestial) . Une sale bête : une personne méchante. Une bonne bête : une personne qui n'est pas dangereuse. Une belle bête : une personne attirante par son physique.
3 ♦ (Manque d'intelligence) Faire la bête : faire l'ignorant pour ne pas s'exprimer sur un sujet; faire, dire des bêtises, des âneries (⇒ bêtifier) . — Fam. et affectueux Grande bête, grosse bête ! ⇒ 2. bêta, nigaud.
III ♦ Adj. (1763)
1 ♦ Qui manque d'intelligence, de jugement. Il (elle) est bête comme un âne, une oie; comme un pied, comme ses pieds; bête à manger du foin. ⇒ borné, demeuré, idiot, imbécile, inintelligent, obtus, sot, stupide; fam. con, crétin, débile, nul, 1. taré. Il est bête et méchant. Plus bête que méchant. Bête et discipliné. Il n'est pas bête, il est loin d'être bête; fam. il a oublié d'être bête. — Pas si bête : pas assez sot pour se laisser berner.
♢ Une idée, une histoire bête. ⇒ idiot, inepte. Fam. Ça, c'est pas bête ! c'est bien trouvé (cf. C'est pas con). N. m. Ce film est d'un bête ! — Loc. C'est bête à pleurer, si bête que l'on a envie d'en pleurer. C'est tout bête, c'est bête comme chou, facile à faire, à deviner. ⇒ enfantin, simple.
2 ♦ Qui manque d'attention, d'à-propos. Suis-je bête de l'avoir oublié ! ⇒ étourdi, inattentif. — Qui dit des bêtises. Comme tu es bête, c'est impossible !
3 ♦ Absurde et regrettable (événement). ⇒ stupide. Un accident bête. C'est bête, je ne m'en souviens pas. ⇒région. bœuf.
⊗ CONTR. 2. Fin, futé, ingénieux, intelligent, spirituel, subtil.
⊗ HOM. Bette.
● bété nom masculin Bois africain violacé ou brun-gris, au grain fin, utilisé en menuiserie, ébénisterie et construction navale.
bété
n. m. BOT Grand arbre des forêts d'Afrique équatoriale (Fam. sterculiacées), dont le bois est recherché en ébénisterie.
————————
bété
n. m. Langue nigéro-congolaise du groupe kru largement parlée en Côte d'Ivoire.
————————
bété
population de l'ouest de la Côte d'Ivoire (plus de 2,5 millions de personnes). (V. bété 1.)
I.
⇒BÊTE1, subst. fém.
I.— Usuel. Être appartenant au règne animal autre que l'homme. Bête à quatre pieds (Ac. 1798-1932, BESCH. 1845); bête brute (Ac. 1798-1932, BESCH. 1845, Lar. 19e, Nouv. Lar. ill.); belle bête :
• 1. Quand le gouverneur d'un roi enfant dit à son élève jadis : maître, tout est à vous; ce peuple vous appartient corps et biens, bêtes et gens; faites-en ce que vous voudrez; cela fut remarqué.
COURIER, Pamphlets politiques, Simple Discours à l'occasion d'une souscription pour l'acquisition de Chambord, 1821, p. 75.
• 2. Un de ces sauvages allait m'enfiler avec sa lance, Renard le voit, pousse son cheval entre nous deux pour détourner le coup; sa pauvre bête, un bel animal, ma foi! reçoit le fer, ...
BALZAC, Le Médecin de campagne, 1833, p. 248.
SYNT. (indiquant notamment des variétés de bêtes, le classement morphol. correspondant généralement à un classement sém.). 1. Mode de vie. Bête + adj. Bête farouche. ,,Il savait (...) apprivoiser les bêtes farouches`` (FLAUBERT, Salammbô, t. 1, 1863, p. 28). Bête fauve. ,,Dans l'état de nature, un adolescent pourvoit déjà à ses besoins : il harponne le poisson au fond des eaux, il abat d'un coup de flèche l'oiseau au haut des airs, il atteint la bête fauve à la course`` (BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature, 1814, p. 292). Bête féroce. ,,Je n'ai vu jusqu'à présent aucune bête féroce`` (FLAUBERT, Correspondance, 1860, p. 238). Bête carnassière. ,,Les Bêtes carnassières Viendront, la nuit, hurler sur le corps encor chaud, Et les oiseaux plonger leurs becs dans ses paupières`` (LECONTE DE LISLE, Poèmes barbares, La Vigne de Naboth, 1878, p. 29). Bête domestique. ,,... les jeux des bêtes domestiques`` (PESQUIDOUX, Le Livre de raison, 1928 p. 254). Bête marine. ,,Les bêtes marines se mettent à palpiter des nageoires`` (FLAUBERT, La Tentation de st Antoine, 1849, p. 408). Bête aumaille. Se dit ,,des bêtes pâturant en forêt`` (PLAIS. 1969). Bête nuisible. ,,L'extermination des bêtes nuisibles commença dans le parc`` (GIRAUDOUX, Bella, 1926, p. 109). 2. Usage qu'en fait l'homme : a) [l'usage procède directement d'une propriété de la bête] Bête + à + subst. concr. Bête à poil, bête à plume; rare, bête de plume, de poil (cf. VERNE, L'Île mystérieuse, 1874, p. 78). Bête à cornes; bête à laine; bête à lait. ,,Mais ce n'était pas là ses seules bêtes à cornes; il ne comptait pas ce qu'il appelait ses « bines » et ses « manes ». Augustin apprit qu'à côté des bêtes à lait, cheptel proprement dit des exploitations rurales, d'autres animaux s'achètent au printemps, se revendent à l'automne, et s'engraissent dans l'intervalle`` (MALÈGUE, Augustin, t. 1, 1933, p. 198); b) [l'usage ne procède pas directement d'une propriété de la bête] Bête + de + subst. concr. ou abstr. Bête de trait. ,,... sur tout le pourtour du bassin oriental de la Méditerranée? Bêtes de bât et bêtes de trait (le chameau est attelé aux arabas dans le cap Bon) sont innombrables`` (M. WOLKOWITSCH, L'Élevage dans le monde, 1966, p. 41). Bête de bât (ID., ibid.). Bête de somme. Bête destinée à transporter des fardeaux. ,,Le lama fut l'unique bête de somme des anciennes civilisations américaines`` (VIDAL DE LA BLACHE, Principes de géogr. hum., 1921, p. 223). Bête de boucherie (M. WOLKOWITSCH, L'Élevage dans le monde, 1966, p. 167). Bête d'élevage; bête d'engraissement (ID., ibid.).
— Loc. proverbiales
♦ Au temps où les bêtes parlaient (SOULIÉ, Les Mémoires du diable, t. 2, 1837, p. 57). Il y a très longtemps, au temps où le merveilleux était chose quotidienne.
♦ Chercher la petite bête. S'efforcer de trouver la moindre petite erreur, le plus petit détail qui permette de critiquer quelqu'un ou quelque chose :
• 3. « ... je vous dirai que je n'aime pas beaucoup chercher la petite bête et m'égarer dans des pointes d'aiguilles; on ne perd pas son temps à couper les cheveux en quatre ici, ce n'est pas le genre de la maison », répondit Mme Verdurin que le docteur Cottard regardait avec une admiration béate et un zèle studieux se jouer au milieu de ce flot d'expressions toutes faites.
PROUST, Du côté de chez Swann, 1913, p. 213.
♦ Reprendre du poil de la bête. Se ressaisir, reprendre le dessus. ... un révolutionnaire éreinté qui reprend du poil de la bête (A. ARNOUX, Roi d'un jour, 1956, p. 41).
II.— Emplois spéciaux (cf. aussi supra synt.)
A.— Au sing.
1. RELIG., MYTH.
a) La bête (de l'Apocalypse). Animal fantastique que décrit St Jean et qui représente, pense-t-on, l'Antéchrist.
— Au fig. Une chose horrible, épouvantable.
— Ironique :
• 4. Je suis accablé, j'écris mon discours; je le lis demain; puis le 1er avril. J'attends Marianne ce soir; j'emménage, je meuble, j'organise, ce qui est une des sept bêtes de l'Apocalypse.
LAMARTINE, Correspondance, 1830, p. 17.
b) La bête (du Gévaudan). Animal qui sema la terreur dans une grande partie de la France de 1765 à 1787 et qui se révéla être un loup cervier. Le temps n'était plus de la bête du Gévaudan (POURRAT, Gaspard des montagnes, Le Pavillon des amourettes, 1930, p. 218).
c) Absol. La bête. Animal mythique dont on menace les petits enfants pour leur faire peur. Si tu cries encore, je fais venir la bête (Lar. 19e, Lar. 20e).
2. JEUX
a) La bête, la bête hombrée. Ancien jeu de cartes ressemblant au jeu de l'hombre, qui se jouait avec un jeu de piquet à trois et jusqu'à sept joueurs. Jouer à la bête (Ac. 1798-1932, BESCH. 1845) :
• 5. ... on allait faire une longue promenade pour aider la digestion, et en rentrant on ferait une partie de bête hombrée pour attendre le repas du soir, ...
BRILLAT-SAVARIN, Physiol. du goût, 1825, p. 379.
b) P. méton. La mise, la somme qu'on engage au jeu de la bête. Mettre sa bête. ,,Déposer l'enjeu`` (BESCH. 1845, Ac. 1878-1932, GUÉRIN 1892). Ma bête est sur le jeu (Ac. 1798-1932, BESCH. 1845). Tirer la bête, gagner la bête. ,,Gagner les coups`` (Ac. 1798-1932, BESCH. 1845).
c) Faire la bête (Ac. 1798-1932, BESCH. 1845, GUÉRIN 1892).
— Perdre au jeu de la bête, c'est-à-dire gagner moins de trois levées.
— P. ext. Perdre à n'importe quel jeu de cartes (cf. ESN. 1966).
— Remonter sur sa bête (Ac. 1798-1878, BESCH. 1845, Lar. 19e). Gagner le coup suivant celui où on a fait la bête, regagner l'enjeu qu'on avait perdu, se « refaire ».
♦ Au fig. Recouvrer l'avantage, ,,réparer une perte, un mécompte, une mésaventure`` (LITTRÉ, GUÉRIN 1892) :
• 6. On a été si content au café de Fleurus de te savoir remonté sur ta bête, qu'on t'a conservé ton assiette au dîner et qu'on a tiré pour toi à la loterie...
E. et J. DE GONCOURT, Manette Salomon, 1867, p. 224.
B.— Au plur. Les bêtes.
1. HIST. ROMAINE
a) Les bêtes féroces que les Romains faisaient combattre dans les cirques. Combat de bêtes (Ac. 1798-1835, BESCH. 1845, ROB.).
b) Les bêtes féroces auxquelles ils livraient les premiers chrétiens. Les chrétiens livrés aux bêtes (BLOY, La Femme pauvre, 1897, p. 52).
— P. métaph. Être condamné aux bêtes ou être livré aux bêtes. Être livré à un jugement, à une critique féroce et sans pitié :
• 7. On me dénoncera, mais vous êtes là, et vous empêcherez que je ne sois livré aux bêtes pour avoir fait, malgré le roi, ce que le roi veut, et qui importe au salut de l'armée.
COURIER, Lettres de France et d'Italie, 1825, p. 706.
2. [Vie rurale]
a) Les animaux domestiques de la ferme. Donner à manger aux bêtes; nourrir les bêtes; s'occuper des bêtes :
• 8. Certes Geneviève met la main à l'ouvrage elle-même et on la voit parfois, comme elle commande, qui aide. Taillant le pain pour les enfants et portant le fourrage aux bêtes, ...
CLAUDEL, Feuilles de Saints, Sainte Geneviève, 1925, p. 632.
b) Fam. La vermine : insectes nuisibles, vers, chenilles, etc. Les bêtes, certaines années, mangent tous les fruits (Nouv. Lar. ill.); lit infesté de bêtes (Nouv. Lar. ill.).
C.— Au sing. et au plur.
1. CHASSE, VÉN. Bête poursuivie à la chasse.
a) [La spécification est donnée par la situation] Détourner la bête (Ac. 1878-1932, DG); relancer la bête (Ac. 1798-1932); la bête donne le change (Ac. 1835-1932); la bête est dans les filets, dans les toiles (Ac. 1798-1932).
b) [La spécification est donnée par un adj. ou un compl. prép.]
♦ Bête douce (cerf, chevreuil, biche), bête fauve (cerf, chevreuil, daim), bête broutante (chevreuil, chamois, bouquetin), bête mordante (loup, renard), bête noire (sanglier), bête rousse (jeune sanglier entre six mois et un an, loup, renard), menues bêtes (lièvres, renards), grandes bêtes (cerfs, daims, chevreuils), bête puante (renards, blaireaux, putois) :
• 9. Il louchait un peu et ne regardait jamais personne. Dans la race humaine, il me faisait l'effet de ce que sont les bêtes puantes chez les animaux. C'était un putois ou un renard, ce galopin-là.
MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 2, Le Garde, 1884, p. 978.
♦ Bête de compagnie (jeune sanglier qui vit en bande; s'emploie aussi au fig. pour des pers.); bête de proie.
Rem. Les syntagmes ci-dessus sont cités par la majorité des dict. gén. et les dict. techn. de chasse BAUDR. Chasses 1834 et REMIG. 1963.
— P. métaph. [En parlant de l'attitude d'une pers., ressemblant à celle d'une bête pourchassée] Bête à l'affût. ,,On eût dit une bête à l'affût`` (G. LEROUX, Le Parfum de la Dame en noir, 1908, p. 102). Bête traquée. ,,Et je mène cette vie de bête traquée, sans une cache qui soit sûre, embusqué toujours ou blotti, dangereux et poursuivi, menaçant et menacé`` (CLAUDEL, L'Otage, 1911, I, 1, p. 233). Bête aux abois; bête prise au piège, dans les filets, dans les toiles. ,,Dans les yeux de Gaubert il y a le regard de la bête prise au piège`` (GIONO, Regain, 1930, p. 158).
2. ZOOL. POP. (dénomination vulg. de bêtes à dénominations sc. variables)
a) [La spécification est indiquée par un adj.] Bête rouge (Ac. Compl. 1842, Lar. 19e, LITTRÉ, GUÉRIN 1892, DG). Puce d'Amérique du genre acarus. Bête noire (Lar. 19e, LITTRÉ, GUÉRIN 1892, DG). Insecte du type ténébrion, grillon domestique, blatte.
b) [La spécification est donnée par un compl. prép.]. Bête à bon Dieu, ou bête à Martin ou encore vache à Dieu. ,,Sous des feuilles de rosier, je trouve une bête à bon Dieu`` (E. et J. DE GONCOURT, Journal, 1893, p. 410). Bête à feu (Lar. 19e, LITTRÉ). Lampyre, taupin, scolopendre, ver luisant. Bête à la grande dent (LITTRÉ, DG). Morse. Bête à patates. ,,Doryphore`` (DUL. 1968). Bête de la mort (Lar. 19e, LITTRÉ, DG). Espèce de blaps; chouette, en partic. effraie.
III.— Emplois p. anal.
A.— [Pour désigner un obj., p. anal. avec un trait caractéristique des bêtes]
1. Un train, une locomotive :
• 10. ... quand, après avoir dit adieu à nos deux amis Fritz et Luigi, nous sommes montés dans notre wagon; on a fermé la portière, la bête de fer a renâclé comme un cheval qui piaffe, et nous sommes partis.
FLAUBERT, Par les champs et par les grèves, 1848, p. 163.
2. Rare. Une motocyclette. Leurs motocyclettes, petites bêtes dangereuses et nickelées (MORAND, Londres, 1933, p. 145).
3. P. ext. Un objet inconnu, indéterminé. Quelle bête est-ce là? (ROB.).
B.— [Pour désigner une pers. p. anal. avec un trait caractéristique des bêtes]
1. [P. réf. à l'aspect ou au comportement phys. des bêtes] (Regarder), examiner qqn comme une bête curieuse. ,,Le vieux monsieur (...), m'examina comme une bête curieuse`` (ABOUT, Le Roi des montagnes, 1857, p. 292). (Être) nu comme une bête. ,,Elle les [mineurs] voyait mal, à la lueur rougeâtre des lampes, entièrement nus comme des bêtes`` (ZOLA, Germinal, 1885, p. 1398). Faire la bête à deux dos. Image érotique tirée de Rabelais pour décrire l'acte sexuel :
• 11. Franchement, je ne vois pas quelle lecture peuvent s'interdire des femmes mariées qui font, ou ont le droit de faire la bête à deux dos toutes les nuits.
RENARD, Journal, 1890, p. 58.
Rem. Certaines anal. sont à la fois physiques et morales cf. l'expr. bête de race : ,,Cette nature toute de feu et de glace d'Élisabeth ne pouvait admettre le tiède... Bête de race elle était, bête de race elle voulait Paul`` (COCTEAU, Les Enfants terribles, 1929, p. 69).
2. [P. réf. au niveau moral ou intellectuel des bêtes]
a) Péjoratif
— [P. réf. à la répulsion qu'inspirent certaines bêtes] Être la bête d'aversion, la bête noire de qqn. Être la personne, la chose qu'on déteste par dessus tout. ,,L'Empereur était sa bête noire`` (G. SAND, Histoire de ma vie, t. 2, 1855, p. 345).
♦ Proverbe. Morte la bête, mort le venin. (T. GAUTIER, Le Capitaine Fracasse, 1863, p. 345). Un ennemi mort ne peut plus être nuisible.
— [En parlant de l'intelligence d'une pers.] Être une bête. Être sot, inintelligent :
• 12. Personne ne doutait au Ministère que le père Saillard ne fût une bête, mais personne n'avait jamais pu savoir jusqu'où allait sa bêtise.
BALZAC, Les Employés, 1837, p. 48.
♦ Faire la bête. Affecter la bêtise. Voyons, ne fais pas la bête (ZOLA, L'Œuvre, 1886, p. 190).
— [En parlant de la méthode de travail] Être une bête à concours. Se dit d'un écolier, étudiant, artiste qui travaille avec acharnement pour obtenir des concours.
♦ Proverbe. Quand Jean Bête est mort, il a laissé des héritiers (Ac. Compl. 1842, BESCH. 1845, Lar. 19e, LITTRÉ, Nouv. Lar. ill.).
b) Laud. [P. réf. à la sympathie qu'inspirent certaines bêtes] C'est une fine bête, une maligne bête (Ac. 1835-1932, BESCH. 1845, LITTRÉ, GUÉRIN 1892); c'est une bonne bête (Ac. 1932, BESCH. 1845, GUÉRIN 1892, LITTRÉ).
c) Arg. [En parlant d'une pers.] Bête à cornes (FRANCE 1907). Mari trompé. Bête à pain. Protecteur, dans le langage des prostituées. On en trouve à gogo des bêtes à pain quand on sait s'y prendre! (HUYSMANS, Les Sœurs Vatard, 1879, p. 103).
3. [P. réf. au niveau spirituel présumé des bêtes] Partie animale dans l'homme, celle des instincts et de la sensualité, que les philosophes opposent traditionnellement à la partie spirituelle, à l'âme. Je me suis aperçu, par diverses observations, que l'homme est composé d'une âme et d'une bête (X. DE MAISTRE, Voyage autour de ma chambre, 1794, p. 13). Le paysan sans religion est une bête féroce (CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme, t. 2, 1803, p. 374). C'était comme sa bête brute de Coupeau (ZOLA, L'Assommoir, 1877, p. 751).
♦ Vivre en bête, mourir en bête (Ac. 1798-1932, BESCH. 1845, Lar. 19e, Lar. 20e). Vivre, mourir sans le concours de la religion.
— Proverbe. Qui veut faire l'ange fait la bête. Maxime tirée de Pascal; celui qui veut trop s'élever au-dessus de la condition humaine, risque de retomber beaucoup plus bas encore (expr. citée par ALAIN, Propos, 1914, p. 189).
PRONONC. :[]. PASSY 1914 indique []. Pour GRAMMONT Prononc. 1958, p. 38 la voyelle est longue, mais moins que devant consonne allongeante (r, z, , v, ou y final). Enq. :/bet, (D)/.
ÉTYMOL. ET HIST. — V. bête2.
II.
⇒BÊTE2, adj.
A.— [En parlant d'une pers. ou de son comportement] Qui manque d'intelligence.
1. [En parlant d'une pers.] :
• 1. ... je ne sais pas si je suis bête ou spirituel, bon ou mauvais, avare ou prodigue. Comme tout le monde, je flotte entre tout cela; ...
FLAUBERT, Correspondance, 1846, p. 387.
2. [En parlant de la physionomie, du comportement (d'une pers.), et partic. de ses propos] :
• 2. C'était M. le comte Sosthène de La Rochefoucauld. Il est difficile d'avoir l'air plus bête et plus sot que cet homme.
DELÉCLUZE, Journal, 1825, p. 245.
SYNT. Un propos bête (Ac. 1798-1932, BESCH. 1845), une conduite bête (Ibid., ROB.), voilà une réponse bien bête (Ac. 1835-1932), exclamations bêtes (E. et J. DE GONCOURT, Journal, 1872, p. 917), questions bêtes (ZOLA, Nana, 1880, p. 1301), éclats de rire bêtes (ZOLA, Thérèse Raquin, 1867, p. 158).
— Spéc. L'âge bête. Moment de l'adolescence où le sujet traverse une crise d'originalité juvénile et où se forme son caractère :
• 3. Il y a dans l'âge de l'homme et de l'enfant un certain moment de transition qu'on appelle l'âge bête. Eh bien, l'an 1817 répondait assez fidèlement, du moins dans les choses de la littérature et du goût, à ce premier âge intermédiaire et gauche.
SAINTE-BEUVE, Nouveaux lundis, t. 11, 1863-69, p. 418.
— Pas si bête!
♦ [En parlant d'une pers.] Je ne suis pas assez bête pour commettre une faute. Il voulait m'entraîner à faire un mauvais marché, mais pas si bête! (Ac. 1835-1932, Lar. 19e) :
• 4. ... mademoiselle veut-elle que je revienne?
— Je te le dirai d'ici à un mois; mais pas de bavardages, ne parle de moi à personne.
— Oh! Pas si bête, s'écria Jean Berville.
STENDHAL, Lamiel, 1842, p. 139.
♦ [En parlant d'un comportement] Que je te donne de l'argent, pas si bête! (Lar. 19e).
3. P. ext. et p. exagér.
a) Vieilli. Ignorant :
• 5. ... de tout temps on les fâcha [les Français] en leur parlant musique; c'est le seul article sur lequel ils soient bêtes.
STENDHAL, Rome, Naples et Florence, t. 2, 1817, p. 234.
b) Déraisonnable. Suis-je bête de pleurer ainsi! (LITTRÉ) :
• 6. Mon Dieu, suis-je bête d'aimer comme cela les gens et de m'être attachée à vous plus qu'à Cibot!
BALZAC, Le Cousin Pons, 1847, p. 140.
c) Maladroit. Avoir des doigts bêtes; être bête de ses mains :
• 7. ... le caporal Salavert qui a la juste réputation de n'être pas bête de ses mains, adapte une bougie dans la suspension qu'il a fabriquée avec une boîte de camembert et du fil de fer.
BARBUSSE, Le Feu, 1916, p. 191.
d) Étourdi. Comme je suis bête d'avoir oublié cela! (Lar. 20e, Lar. encyclop.).
e) Rester bête. Être stupéfait, rester déconcerté. Je reste bête (COLETTE, L'Envers du music-hall, 1913, p. 243).
f) Bon à l'excès, dupe :
• 8. ... je voudrais faire de toi quelque chose de tout à fait à part, ni ami, ni maîtresse; cela est trop restreint, trop exclusif; on n'aime pas assez son ami, on est trop bête avec sa maîtresse.
FLAUBERT, Correspondance, 1846, p. 343.
4. Loc. et proverbes
a) Bête comme
— Bête comme + subst. désignant un animal. Bête comme un âne Si c' est gentil, d' abuser de cet innocent, parce qu' il est fort et bête comme un âne! (ZOLA, La Terre, 1887, p. 353). Bête comme un dindon [Il avait ] l' air orgueilleux comme un paon, bête comme un dindon (FLAUBERT, L'Éducation sentimentale, t. 1, 1869, p. 94). Bête comme un mouton. S'ils étaient bêtes comme des moutons (ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un paysan, t. 1, 1870, p. 157). Bête comme une oie. Une petite femme bête comme une oie (BALZAC, La Maison de Nucingen, 1838, p. 651).
—Bête comme + subst. désignant un objet. Bête comme une bûcheje reste là devant, froid comme un marbre et bête comme une bûche. (FLAUBERT, Correspondance, 1857, p. 49). Bête comme un chou Sans compter qu' elle est bête comme un chou! (FLAUBERT, L'Éducation sentimentale, t. 1, 1869, p. 209). (Le plus souvent en parlant d'une situation, d'une idée). C'est bête comme chou. C'est simple comme tout, c'est enfantin. Inès. — Vous allez voir comme c'est bête. Bête comme chou! (SARTRE, Huis clos, 1944, p. 133). Bête comme une cruche. Bête comme un panier. Une grande fille enfarinée, bête comme un panier (R. ROLLAND, Jean-Christophe, La Foire sur la place, 1908, p. 680). Bête comme un pot. Il me semble que je deviens bête comme un pot (FLAUBERT, Correspondance, 1850, p. 186).
—Bête comme + subst. désignant une partie du corps. Bête comme ses pieds. Une femme bête comme ses pieds (J. BOUSQUET, Traduit du silence, 1935-36, p. 225).
—Bête comme + expr. formulaire machinale. Bête comme bonjour et bonsoir (JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, p. 248).
Rem. Cette expr. s'emploie gén. pour caractériser une idée une situation.
b) Bête à + verbe. Bête à manger du foin. M. de Renneville cousin des Monval, était beau et bête à manger du foin (STENDHAL, Vie de Henry Brulard, t. 2, 1836, p. 262). Bête à manger de l'herbe (G. SAND, Correspondance, t. 3, 1812-76, p. 367). Bête à pleurer (R. ROLLAND, Jean-Christophe, Le Matin, 1904, p. 144).
B.— [En parlant d'inanimés abstr.]
1. Manifestant un manque d'intelligence. Comme l'article de Pelletan est bête! (FLAUBERT, Correspondance, 1853, p. 261); des romans bêtes (HUGO, Les Misérables, t. 1, 1862, p. 195).
— Familier
♦ [La tournure une bête de..., un bête de... met en valeur le subst. qualifié] Cette bête de pièce (A. DAUDET, Le Nabab, 1877, p. 133).
♦ Emploi subst. C'est d'un bête! Cela est d'une bêtise inimaginable.
2. P. ext.
a) Se dit d'un événement regrettable, dont on comprend mal le sens. Accident bête, mort bête (Lar. Lang. fr.) :
• 9. Il y a une espèce de grand hasard bête qui nous fait naître, qui nous fait mourir; il y a le noir avant, il y a le noir après...
DRUON, Les Grandes familles, t. 2, 1948, p. 173.
b) Banal, conventionnel, sans originalité :
• 10. Elle [Thérèse] considérait d'un œil hostile cette écriture bête [de sa fille]. La forme allongée de l'enveloppe, aussi, était bête, et la couleur améthyste du papier, et jusqu'à l'encre rouge : oui, il n'était rien là qui ne fût signe de niaiserie.
MAURIAC, La Fin de la nuit, 1935, p. 118.
— Spéc., dans le domaine artistique. L'art bête et abominable des architectes parisiens de l'Empire et de la Restauration (HUGO, Le Rhin, 1842, p. 241); un grand vase de terre cuite classiquement bête (G. SAND, Histoire de ma vie, t. 2, 1855, p. 171).
PRONONC. ET ORTH. — Cf. bête1.
ÉTYMOL. ET HIST. — 1. Subst. ca 1100 beste « animal [terme générique] » (Roland, éd. Bédier, 1597); 1160-70 au fig. [en parlant d'un homme] « être stupide » (BÉROUL, Tristan, 1309 dans T.-L.); 2. adj. ca 1220 id. « stupide [en parlant d'un homme] » (G. DE COINCY, Mir. Vierge, 321, 294, ibid.), seulement en a.fr. (T.-L.); repris au XVIIIe s. 1763 (DIDEROT, Salon de 1763 cité par Greimas dans Fr. mod., t. 23, p. 138).
Empr. au lat. qui, d'une part s'est transmis par voie pop. sous la forme (v. biche, a.fr. bisse), d'autre part s'est maintenu sous la forme class. () et s'est transmis par voie d'empr. par l'intermédiaire d'une forme bestie, v. FOUCHÉ, Phonét., 417.
L'hyp. d'une formation pop. à partir de , DAUZAT 1968, EWFS2 (forme non attestée de manière sûre — v. TLL, s.v. , 1935, 34-37 —, mais déduite du dimin. , FORTUNAT, Vita Martini, 3, 341, var., ibid., s.v. bestiola, 1941, 27) fait difficulté parce qu'elle fait appel à une 2e var. de ( postulé par a.fr. bisse est bien attesté).
STAT. — Fréq. abs. littér. :11 607. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 6 214, b) 21 140; XXe s. : a) 25 529, b) 13 378.
DÉR. 1. Bêterie, subst. fém., rare. Bêtise. Quel crime pouvait-on bien entendre par stupre! Sacrilège, bêterie, magie noire! (TOULET, Comme une fantaisie, 1918, p. 41). Attesté dans BESCH. 1845, Lar. 19e, GUÉRIN 1892. — 1re attest. 1534 (RABELAIS, Gargantua, éd. Marty-Laveaux, t. 1, p. 59), attesté seulement au XVIe s. (HUG.), repris dep. BESCH. 1845; dér. de bête2, suff. -erie. — Fréq. abs. littér. : 2. 2. Bêtet, subst. masc. Se dit de ,,tout être animé, effrayant ou comique`` (A. Lefebvre dans RHEIMS 1969). Je la tuerai sous mes pieds comme un bêtet! (CLAUDEL, La Jeune fille Violaine, 1re version, 1892, IV, p. 547). — 1re attest. 1892 id.; dér. de bête2, suff. -et. — Fréq. abs. littér. : 3. 3. Bêtir, verbe intrans., rare. Devenir bête. Augustine qui bêtissait en grandissant (ZOLA, L'Assommoir, 1877, p. 643). — 1re attest. 1877 id.; dér. de bête2, dés. -er. — Fréq. abs. littér. : 2. Rem. Parallèlement à abêtir/abêtissement, on rencontre le subst. masc. bêtissement. Synon. de abêtissement (cf. MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 616). 4. Bêtot, ote, subst. et adj. Synon. adouci de bête ou bêta. Ses grandes compositions sont bêtotes et veulement peintes (E. et J. DE GONCOURT, Journal, 1892, p. 272). En interj. adressée à une personne, bêtot a une nuance affective (cf. E. ET J. DE GONCOURT, Renée Mauperin, 1864, p. 322). — 1re attest. 1864 id., dér. de bête2, suff. ot. — Fréq. abs. littér. : 3. Rem. Chez Balzac, on rencontre le synon. bestiot, ote, même sens. Elle était ignorante comme une carpe, et un peu bestiote (Vieille fille, 1836, p. 329); une admirable créature (un peu bestiote) (Lettres à l'Étrangère, t. 1, 1850, p. 213).
BBG. — DE GOROG 1958, p. 84. — GOUG. Mots t. 1 1962, p. 140. — KEMNA 1901, p. 192.
bête [bɛt] n. f. et adj.
ÉTYM. 1080, Chanson de Roland : beste « animal »; du lat. bestia, probablt par une forme bestie ou (Guiraud) besta. → Biche.
❖
———
I N. f.
1 Tout être animé, l'homme excepté. ⇒ Animal. || Les bêtes. ⇒ Faune. || Bêtes et gens. || Bêtes, hommes et dieux (titre d'un ouvrage de F. Ossendowski). || Les bêtes de l'air, les bêtes marines. || Bêtes à poils, à plumes (vx : de poil, de plume).
1 Animal exprime un règne particulier de la nature (…) : il comprend l'homme; bête signifie une classe d'animaux de laquelle l'homme est exclu (…) Ainsi, on devra dire : comparer l'homme aux autres animaux, et le comparer aux bêtes (…)
Lafaye, Dict. des synonymes, Animal, bête, brute.
REM. Bête s'oppose à animal en ce que le mot n'est pas scientifique; il ne désigne donc que les animaux perçus comme tels par la culture (donc, à l'exclusion des protistes, des animaux fixés, etc.); il désigne notamment les animaux terrestres et aériens (mammifères, oiseaux, reptiles, insectes…); il se dit peu en parlant des poissons. Ses critères d'emploi sont surtout pragmatiques : langage enfantin, naïf, etc.
1.1 Une bête elle est là gigotant dans le bleu
une bête elle est là elle saute et volette
une bête elle est là molle et poussant ses yeux
une bête elle est là fille des ses ancêtres
une bête elle est là cassant ses origines
une bête elle est là transformant l'héritage
une bête elle est là elle est neuve fontaine
elle vient de l'abîme et sort de l'océan
elle vient de la terre et sort des atmosphères
tièdes pour déployer ses généalogies
au delà du gotha des classifications
déjà tant derrière elle Une bête est ici
R. Queneau, Petite cosmogonie portative, in Chêne et Chien, p. 113.
♦ Une belle, une grosse bête. || Une petite bête. ⇒ Bestiole, bestion (vx). || Des peaux de bêtes. || Une drôle de bête. || Aimer les bêtes. || Un ami des bêtes. || Nos amies les bêtes. || Au temps où les bêtes parlaient (début traditionnel de contes; cf. Rabelais, II, 15). — Hypocoristique. || Oh ! la jolie petite bête ! ⇒ Bébête. ☑ « La petite bête qui monte, qui monte, qui monte… » (→ ci-dessous, cit. 9.1). — Collectif. || La bête et l'homme : l'animal et l'homme → ci-dessous, cit. 4, 6, 7. || L'ange et la bête. — REM. La remarque d'usage ci-dessus ne s'applique pas à la langue classique (cit. 2 à 7) où bête s'employait dans le discours savant et didactique, voire philosophique.
2 Elle (la raison) est la seule chose qui nous rend hommes et nous distingue des bêtes (…)
Descartes, Disc. de la méthode, I.
3 (…) Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu'elles n'en ont point du tout : car on voit qu'il n'en faut que fort peu pour savoir parler (…)
Descartes, Disc. de la méthode, V.
4 L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête.
Pascal, Pensées, VI, 358.
5 Les uns ont voulu renoncer aux passions et devenir dieux; les autres ont voulu renoncer à la raison et devenir bêtes brutes.
Pascal, Pensées, VI, 413.
6 (Ils disent) Que la bête est une machine;
Qu'en elle tout se fait sans choix et par ressorts :
Nul sentiment, point d'âme, en elle tout est corps (…)
La Fontaine, IX, Disc. à Mme de la Sablière.
N. B. Il s'agit ici de la conception de Descartes : l'animal-machine.
7 La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L'homme éprouve la même impression (…)
Rousseau, De l'inégalité parmi les hommes, 1o.
8 Il y a dans le regard des bêtes, une lumière profonde et doucement triste qui m'inspire une telle sympathie que mon âme s'ouvre comme un hospice à toutes les douleurs animales.
Francis Jammes, Contes, « De la Charité envers les Bêtes », p. 224.
9 Sans cris, sans chants, lourd et collé au sol comme une bête rampante qui déplie ses anneaux, le cortège s'ébranla dans la direction de la Porte Saint-Martin.
Martin du Gard, les Thibault, t. VI, p. 280.
9.1 (…) la marche des mains sur la peau de mon corps, caresse qui partait du nombril et remontait jusqu'à la gorge… la p'tite bête qui monte, qui monte, qui monte… Kirikiriki…
Henri Calet, la Belle lurette, p. 10.
♦ Animal domestique. || Une bonne, une brave bête. || Une bête douce, craintive, paresseuse. || Une bête malade. || Une bête racée. || Le pedigree d'une bête de race. || Une bête de sang. → ci-dessous, cit. 13. || Une bête de prix. — Une bête à cornes. || Une bête à lait. || Bêtes ovines. || Une bête à laine. — Des bêtes de trait, de labour. ⇒ Attelage. — ☑ Loc. Techn. Une bête épaulée, qui ne peut plus être attelée. — Une bête de selle. ⇒ Monture. || Une bête de bât. — Cour. || Une bête de somme. ⇒ Bât, charge. — Spécialt. Bête de selle. || Il avait une belle bête. ⇒ Cheval. || Remonter sur sa bête. ⇒ Monture. — Absolt. || Les bêtes : les bestiaux, le bétail. || Mener, rentrer, soigner les bêtes. Rural. || Il faut donner à manger aux bêtes (incluant les petits mammifères, lapins, par exemple, mais non les animaux de basse-cour).
10 Dans le troisième lot, les fermes, le ménage,
Les troupeaux et le pâturage,
Valets et bêtes de labeur.
La Fontaine, Fables, II, 20.
11 Nous suons, nous peinons, comme bêtes de somme (…)
La Fontaine, Fables, III, 2.
12 On contraint les bêtes de somme à tirer ou à porter des fardeaux qui surpassent leurs forces, et, pour les obliger d'avancer, on leur coupe le cuir à virevoltes de lanières.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, IV, 3.
12.1 N'existait-il donc pas dans l'île quelque ruminant d'espèce indigène qui pût remplacer cheval, âne, bœuf ou vache ? C'était la question.
En vérité, disait Pencroff, une bête de trait nous serait fort utile, en attendant que M. Cyrus voulût bien construire un chariot à vapeur, ou même une locomotive.
J. Verne, l'Île mystérieuse, t. I, p. 396.
13 « Es-tu souple ! » dit-il, en la caressant comme on flatte une bête de sang.
Martin du Gard, les Thibault, t. III, p. 15.
♦ Bête sauvage : animal sauvage, notamment dangereux. ⇒ Fauve. || Bêtes de proie. — Bête féroce (⇒ Carnassier, sanguinaire). Vx. || Bête carnassière. || Bêtes nuisibles. ⇒ Nuisible (n.). — REM. Pour les emplois techniques (chasse, etc.) → ci-dessous, infra cit. 18.
14 Tu la troubles, reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
La Fontaine, Fables, I, 10.
15 Avec une lyre il (Orphée) apprivoisait les bêtes sauvages.
Fénelon, Télémaque, VII.
16 Le cri des oiseaux nocturnes, celui des bêtes féroces, en hiver, pendant la nuit.
16.1 Je lui sauve la vie, je lui rends sa fortune, il m'arrache ce que j'ai de plus cher ! Une bête féroce eût été moins cruelle !
Sade, Justine…, t. I, p. 64.
♦ Par comparaison :
17 Alors, de male rage, le vieux s'enferma dans son moulin et vécut tout seul comme une bête farouche.
Alphonse Daudet, Lettres de mon moulin, III.
♦ Absolt. || Les bêtes : les animaux féroces qui participaient aux Jeux du Cirque (⇒ Belluaire, bestiaire). || Un combat de bêtes. || Des martyrs livrés aux bêtes. ☑ (Fig.). Être livré aux bêtes : aux critiques de gens ignorants ou malveillants.
♦ Une bête inconnue, étrange, curieuse. ☑ Loc. Regarder qqn comme une bête curieuse.
18 (…) j'en ai pour toute la journée à faire la bête rare et curieuse, sur mon siège de parade.
Loti, les Désenchantées, II, IV, p. 54.
♦ Absolt. || Les bêtes, les insectes, la vermine. || Il y a des bêtes. || Un lit infesté de bêtes. ⇒ Vermine.
♦ Spécialt (contexte de la chasse). Bête chassée, poursuivie. || Détourner, relancer la bête. || La bête donne le change, est épuisée, est prise. — (Qualifié). Techn. || Bêtes fauves. || Bêtes fauves rousses : cerf, chevreuil, daim, loup, renard; bêtes fauves noires : sanglier. || Bêtes douces : chevreuil, biche. || Bêtes broutantes : chevreuil, chamois. || Bêtes mordantes : renard, loup. — Grandes bêtes (cerfs, daims, chevreuils) et menues bêtes (lièvres, renards). || Bêtes puantes : renards, blaireaux, fouines, putois. — Bête de compagnie : jeune sanglier (qui vit en bande). — Cour. || Bête traquée, prise au piège. (Dans des compar. et des métaphores, en parlant des humains). || On aurait dit une bête à l'affût, prête à sauter sur sa proie. || Mener une vie de bête traquée, aux abois. || La bête est prise, prise au piège.
♦ ☑ Loc. (Insectes). Bête à bon Dieu ou (vx) bête à Martin : coccinelle. || Bête rouge : puce d'Amérique. || Bête noire : grillon domestique, blatte. || Bête à feu : lampyre. || Bête à patates (régional) : doryphore.
♦ (Animaux imaginaires). Relig. || La bête, la bête de l'Apocalypse : figure apocalyptique incarnant le mal, l'Antéchrist. || La bête leur fera la guerre (Apocalypse, XI, 7).
♦ Hist. || La bête du Gévaudan : animal supposé qui terrorisa la France à la fin du XVIIIe siècle (employé à l'occasion des massacres commis par un animal non identifié et de la terreur collective qui s'ensuivit. Cf. en 1978, la bête des Vosges).
18.1 (Le loup) Craint de toute l'Antiquité et du Moyen Âge, il revient aux temps modernes périodiquement se réincarner dans une quelconque bête du Gévaudan, et dans les colonnes de nos journaux il constitue le pendant mythique et hivernal des serpents de mer estivaux.
Gilbert Durand, les Structures anthropologiques de l'imaginaire, p. 91.
♦ ☑ Loc. fam. (adressée aux enfants). Régional. Si tu n'es pas sage, j'appelle la bête. ⇒ Croque-mitaine, loup. — Allus. littér. || La Belle et la Bête, conte de Mme Leprince de Beaumont; film de Jean Cocteau.
♦ Par métaphore (en parlant d'un train, d'une locomotive). || « (…) on a fermé la portière, la bête de fer a renâclé comme un cheval qui piaffe, et nous sommes partis » (Flaubert, Par les champs et par les grèves, 1848, in T. L. F.).
♦ ☑ Loc. fig. Qu'est-ce que c'est que cette bête ?, se dit d'un sujet de curiosité, d'étonnement. ⇒ Chose, truc.
♦ Allus. littér. || « Ce que j'ai fait, jamais aucune bête ne l'aurait fait » (rappelé pour qualifier un exploit de courage accompli dans des conditions extraordinairement pénibles). La phrase est attribuée par Saint-Exupéry à Guillaumet qui, après un accident d'avion, avait marché trois jours et deux nuits dans les Andes, à très haute altitude.
18.2 (…) nous t'écrasions dans nos bras, vivant, ressuscité, auteur de ton propre miracle. C'est alors que tu exprimas, et ce fut ta première phrase intelligible, un admirable orgueil d'homme : « Ce que j'ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l'aurait fait. »
Saint-Exupéry, Terre des hommes, p. 46.
(Cf. p. 53 : « Cette phrase, la plus noble que je connaisse. »)
2 Loc. compar. || Comme une bête. a ☑ Être malade comme une bête, très malade. ⇒ Chien. — ☑ Vivre comme une bête, d'une manière bestiale (moralement). — ☑ Loc. Vx. Être nu comme une bête, tout nu. → mod. Nu comme un ver.
♦ REM. L'emploi ci-dessous semble amorcer le sens intensif moderne :
18.3 — Contez-moi çà, monsieur Théodore; seriez-vous amoureux ?
— Comme une bête, madame Potain !
— N'y a pas de mal à çà, monsieur Théodore, n'y a pas de mal à çà; et c'est-y de quelqu'un que ça puisse coïncider avec vous ?
Henri Monnier, Scènes populaires, « la Victime du corridor », p. 267.
b Fam. (Intensif). || Comme une bête : avec acharnement (⇒ Bestialement, 2.). || Travailler comme une bête (→ Comme un bœuf). || Ils travaillent comme des bêtes, en ce moment. || S'éclater comme une bête. || « C'est comme ça que vous avez été pro-chinois comme des bêtes. Et que maintenant vous larguez la chose en apprenant qu'il y a eu là des centaines de morts ! » (Charlie-Hebdo, no 371, 21 déc. 1977). — ☑ Spécialt (dans le langage des pilotes automobiles). Attaquer comme une bête : se lancer au maximum sans réfléchir.
3 ☑ Loc. fig. Chercher la petite bête : être extrêmement méticuleux ou s'efforcer de découvrir une erreur, une irrégularité.
18.4 Et croyez que j'ai bien étudié, bien scruté, bien percé ! Croyez que j'ai bien cherché la petite bête dans ce bonheur-là !
Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques, « Le bonheur dans le crime ».
18.5 Je suis quant à moi, un homme tout simple. Je ne cherche pas la petite bête. Je n'aime pas les complications. Pourquoi creuser, fouiller ? La vie est bien assez compliquée comme ça.
N. Sarraute, Vous les entendez ?, p. 124.
♦ Bête noire. ☑ C'est sa bête noire, il a cette personne, cette chose en horreur. Syn. Vx. Bête d'aversion.
19 L'ingratitude est ma bête d'aversion (…)
Mme de Sévigné, 1226, 16 oct. 1689.
19.1 Fut-ce cet air-là qui commença son impopularité parmi ses camarades ? Toujours est-il qu'il devint, en très peu de temps, la bête noire du régiment.
J. Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques, « À un dîner d'athées ».
20 Or, il y avait dans notre ville un vieux jésuite qui était la bête noire de mon oncle Sosthène.
Maupassant, Mon oncle Sosthène, Pl., t. I, p. 505.
21 J'espère (…) reprendre un jour la lutte contre le militarisme. Ça reste ma bête noire !…
Martin du Gard, les Thibault, t. VII, p. 294.
♦ ☑ Loc. prov. Morte la bête, mort le venin : le méchant cesse de nuire quand il meurt; le danger disparaît avec la cause.
22 Loin de sa femme, ce petit quadragénaire gras reprenait du poil de la bête.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, II, 15, p. 177.
♦ ☑ La bête à deux dos (vieilli) : couple en train de faire l'amour. || Faire la bête à deux dos : faire l'amour (Rabelais I, 3).
22.1 Franchement, je ne vois pas quelle lecture peuvent s'interdire des femmes mariées qui font, ou ont le droit de faire la bête à deux dos toutes les nuits.
J. Renard, Journal, 18 mars 1890.
♦ Bête de…, à… (désignant des personnes). Par plais. ☑ (1901, in D. D. L.). Bête à concours : personne qui se distingue plus par sa capacité de réussite aux examens que par une personnalité véritable. || « Le règne des “forts en thème” et des bêtes à concours » (G. Bouthoul, Sociologie de la politique, p. 108). — ☑ Bête de travail : personne qui se distingue par la quantité de travail qu'elle fournit et l'obstination qu'elle y met. → ci-dessus Travailler comme une bête. || Napoléon fut une bête de travail. ⇒ Bourreau (de travail). — ☑ (1964). Fam. Bête de scène, de théâtre : artiste remarquable à la scène, au théâtre, etc., et qui s'y donne à fond. → Monstre (monstre sacré).
4 a La bête, la bête hombrée : ancien jeu de cartes analogue à l'hombre.
b La mise, à ce jeu. || Mettre une, sa bête, dans un jeu de cartes portant ce nom, engager une somme d'argent. — Déposer, après avoir perdu un coup, une somme qui sera ramassée par le gagnant du coup suivant.
♦ Faire la bête : perdre le coup qui, selon la règle, oblige le joueur à mettre une bête, et, par ext., perdre au jeu. — (Métaphore du sens 1 : monture). || Remonter sur sa bête : gagner le coup qui suit celui où l'on a mis sa bête. — ☑ Loc. fig. (Vx). Remonter sur sa bête : réparer une perte (Goncourt in T. L. F.).
1 Le caractère instinctif, animal (dans l'homme). ⇒ Bestialité. || La bête humaine. || L'esprit doit dominer, mater la bête. ☑ La bête n'en peut plus : la personne est épuisée. — (Qualifié). || Une bête : une personne (mauvaise, cruelle…). || Mauvaise, méchante, vilaine bête. || Bête brute. || Bête sanguinaire, féroce. ⇒ Sauvage. || Une bête venimeuse : un calomniateur. — Vx. || Devenir bête, rendre bête. → ci-dessous, cit. 24 (serait compris comme l'adj., ci-dessous, II.).
23 Tout homme a une bête féroce en soi; peu savent l'enchaîner, la plupart lui lâchent le frein, lorsque la terreur des lois ne les retient plus (…)
Voltaire, Lettre au roi de Prusse, 31 oct. 1760.
24 On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage.
Voltaire, à Rousseau, 31 août 1755 (à propos du « Disc. sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes »).
25 J'étais un impie, un athée, un forcené, un enragé, une bête féroce, un loup.
Rousseau, les Confessions, I, XII.
26 Je la contemplais avec cette horreur qui me saisit quand je perçois, chez une créature humaine, la présence de la bête.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, I, VII.
26.1 Nous étions des bêtes. Qui sentait et criait ? La bête qui est dans l'homme, la bête dont vit l'homme. La bête qui fait l'amour et la guerre et la révolution.
Drieu La Rochelle, la Comédie de Charleroi, p. 72.
♦ ☑ Fam. Une bonne, une brave bête : une personne peu intelligente mais bonne. — Vx. || Fine bête; maligne bête. → mod. Fine mouche.
♦ En appos. || Et moi, bonne bête, brave bête, qui allais l'aider ! → Bonne poire, bonne pomme.
26.2 Ce que vous m'amusez ! s'écria-t-elle tout à coup en plongeant sa figure dans ses mains. Et moi, bonne bête, qui discutais sérieusement sans m'apercevoir que vous me faisiez monter à l'arbre.
Proust, Du côté de chez Swann, Pl., t. I, p. 215.
2 (XIIIe). Vx ou littér. Homme dénué de bon sens, d'esprit, de jugement. || C'est une bête, une vraie bête, une grande bête. ⇒ Balourd, buse, butor, ganache, godiche, gourde, lourdaud, pécore. || Cette foutue, cette fichue bête de X.
27 (Vous) vous faites mener en bête par le nez.
Molière, les Femmes savantes, II, 9.
28 Chacun eût cru passer pour une bête (…)
La Fontaine, Fables, V, I.
29 Le vin ne fait pas mourir l'homme, il le rend bête (…)
Fénelon, Télémaque, VIII.
29.1 — J'vous dis qu'c'est pas ici… Est-ce qu'on entre comme çà l'soir dans les maisons ?
— Bête que vous êtes : je n'entre pas puisque j'm'en vas.
— Bête vous-même, grand fédéré.
Henri Monnier, Scènes Populaires, « Le roman chez la portière », p. 19.
30 L'esprit d'une bête, c'est de ne pas être un sot.
Hugo, Post-Scriptum de ma vie, II.
30.1 Satanée bête que je suis ! s'écria-t-il. Pauvre Ayrton ! il a pourtant droit de parler ici autant que qui que ce soit !…
J. Verne, l'Île mystérieuse, t. II, p. 666.
31 Vingt, trente générations de Français (…) croient (…) que tous les gens sans aucune exception depuis le commencement du monde (…) jusqu'au trente et un décembre dix-sept cent quatre-ving-huit, — après la naissance du Christ — à minuit, ont été de foutues bêtes (…)
Ch. Péguy, Œuvres, t. IX, 6 oct. 1907.
♦ ☑ Loc. mod. Faire la bête : affecter la bêtise; dire des bêtises.
♦ (Emploi affectueux). || Grosse bête, grande bête ! ⇒ Bébête, bêta, nigaud.
———
II Adjectif.
REM. Cet emploi apparaît au XIIIe s. (v. 1220), selon Tobler-Lommatsch (cf. aussi Adam de la Halle in Godefroy : « certes voirement sui je beste »; mais Godefroy le considère comme un substantif); il réapparaît en 1753 (Diderot) mais certains emplois classiques, en attributs, ont une valeur quasi adjective :
31.1 Il (Jupiter) veut goûter par là toutes sortes d'états
Et c'est agir en dieu qui n'est pas bête.
Molière, Amphitryon, Prologue.
32 Vraiment nous sommes bien bêtes (…)
Il s'agit partout encore du substantif. Le passage de ces emplois nominaux attributs (être, se rendre bête) à une véritable adjectivation a dû être progressif et il est arbitraire d'en donner une datation précise; cependant l'évolution est faite au milieu du XVIIIe siècle.
1 (En parlant des personnes). Qui manque d'intelligence. || Il est bête, assez bête; tu es trop bête pour comprendre ça. ⇒ Sot; con, crétin, idiot, imbécile, inepte, inintelligent, obtus, stupide. || Comme tu es bête ! || Ce qu'elle est bête. || Il est moins bête, plus bête que son frère. || Il est un peu bête. ⇒ Bébête. — Elle se trouvait trop bête de refuser… → Polichinelle, cit. 5. — (Compar.). ☑ Il, elle est bête comme un âne, un dindon, une oie (cit. 4); comme une cruche, un panier, un pot; comme un pied, comme ses pieds. || Il est bête comme trente-six mille pots (cit. 5). — ☑ Bête à… || Bête à pleurer : si bête que l'on a envie d'en pleurer. ☑ Bête à manger du foin, à manger de l'herbe. — (Négations). || Il n'est pas bête, pas bête du tout. || Elle est loin d'être bête; euphémismes pour : il, elle est intelligent(e). ☑ Loc. Pas si bête ! : pas si naïf, pas assez bête pour se laisser tromper. || Je n'irai pas lui donner ma démission : pas si bête. — ☑ Il est plus bête que méchant : il agit sans vouloir mal faire. || Il est bête et méchant. || Les gens sont bêtes, le monde est bête.
33 Que les gens d'esprit sont bêtes !
Beaumarchais, le Mariage de Figaro, I, 1.
34 La grande erreur des gens d'esprit est de ne pas croire le monde aussi bête qu'il est.
Mme de Tencin, citée par Chamfort, Caractères et anecdotes.
35 (…) il (Saint-Ange) se tenait à quatre pour n'être pas bête, mais il ne pouvait s'en empêcher.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, I, 7.
36 Talma, que la postérité élèvera peut-être si haut, avait l'âme tragique, mais il était si bête qu'il tombait dans les affectations les plus ridicules.
Stendhal, Souvenirs d'égotisme, p. 93.
36.1 Pour moi je rêvasse de cette vieille littérature, je tâche d'empoigner tout ça. Je voudrais bien imaginer quelque chose mais (…) je ne sais quoi ? Il me semble que je deviens bête comme un pot.
Flaubert, Correspondance, 22 avr. 1850, Pl., t. I, p. 615.
37 Si bêtes que soient les bêtes, vous pensez bien qu'à la longue elles ont fini par se méfier.
Alphonse Daudet, Tartarin de Tarascon, I, II.
38 Mais je vous accorde qu'il vaut mieux être bête comme tout le monde que d'avoir de l'esprit comme personne.
France, Histoire comique, I.
39 À vrai dire, Mme Desroches, femme d'esprit prompte à saisir les ridicules et n'en détestant aucun plus que le ridicule du pédantisme et de la prétention, était trop disposée à trouver bêtes les gens qui, comme elle disait, « disaient des bêtises ».
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 408.
♦ Au superlatif. || C'est encore elle la moins bête.
40 « Je vote pour le plus bête », la boutade fameuse de Clemenceau n'est cruelle qu'en apparence. Elle signifiait : « Je vote pour le plus inoffensif ».
F. Mauriac, Bloc-notes 1952-1957, p. 50.
♦ Par ext. || Que je suis bête ! j'oubliais l'essentiel ! ⇒ Étourdi, inattentif. || Suis-je bête ! : ahuri, déconcerté. || Il est resté bête, tout bête. ☑ L'âge bête : l'adolescence.
41 Lucien se sentit livré à son père, à la nuit, et (…) il se mit à pleurer. — Ça t'avance bien, lui dit son père. Gros bête, va !
M. Aymé, le Passe-muraille, p. 138.
2 (Choses abstraites; idées, comportements, actes…). Qui témoigne de bêtises, indique la bêtise; sans valeur intellectuelle. ⇒ Idiot, imbécile, inepte; con, crétin, stupide. || Une idée, une histoire, une remarque bête. || Une question assez bête. || Que c'est bête ! || Cette écriture est bête. ⇒ Niais. || Ce livre est assez bête. || Une publication bête et méchante, volontairement absurde dans l'agressivité. || Un air, une expression, un rire bête. — ☑ Loc. fam. Il a l'air bête et la vue basse.
42 Elle regardait d'un œil hostile cette écriture bête. La forme allongée de l'enveloppe, aussi, était bête et la couleur améthyste du papier et jusqu'à l'encre rouge; oui, il n'était rien là qui ne fût signe de niaiserie.
F. Mauriac, la Fin de la nuit, p. 118, in T. L. F.
♦ Par ext. (dans quelques loc.). Très facile. ☑ C'est tout bête : vous n'avez qu'à envoyer une demande à… — ☑ C'est bête comme chou. ⇒ Enfantin.
♦ ☑ Fam., vx. Avoir les doigts bêtes : être maladroit.
♦ Fam., vieilli. || Un, une bête de… suivi d'un nom (surtout au fém., à cause du genre du mot).
43 (…) je me demandais si Rembrandt usait de la bête d'habitude de faire poser ses modèles dans un atelier éclairé par la lumière du Nord, ainsi que tous nos peintres.
Ed. et J. de Goncourt, Journal, t. II, p. 16.
44 Elle ne voulait plus être une charge, elle voulait qu'Auguste la laissât en repos, avec sa bête de curiosité.
Louise Michel, la Misère, t. I, p. 15.
♦ N. m. || Ce film est d'un bête !
3 Par ext. (d'un événement). Absurde et regrettable. ⇒ Stupide. || Un accident bête, qu'il aurait été facile d'éviter. || C'est trop bête : j'ai oublié de vous prévenir !
❖
CONTR. Fin, futé, ingénieux, intelligent, spirituel, subtil.
DÉR. 2. Bêta, bêtement, bêtifier, bêtise. — Bébête. — (Du latin bestia) 1., 2. Bestiaire, bestial, bestialité, bestiole, bestion. — V. aussi Bestiasse, bestiaux, bétail.
COMP. Abêtir, embêter, rabêtir. Pense-bête.
HOM. 1., 2. Bette.
Encyclopédie Universelle. 2012.