chacun, une [ ʃakœ̃, yn ] pron. indéf.
• chascun fin XIe; cadhun, cheün 842; lat. pop. cascunum, crois. de quisque unus « chaque un » et de catunum, de (unus) cata unum « un par un »
1 ♦ Personne ou chose prise individuellement dans un ensemble, un tout. ⇒ chaque, un. Chacun de nous, chacun d'eux, d'entre eux. Chacune d'elles s'en alla. Chacun des deux : l'un et l'autre. « Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier » (Hugo). Les jeunes filles « leur donnèrent la becquée chacune à son tour » (Gautier). Retournez chacun à votre place; nous partirons chacun de notre côté. Ils ont bu chacun sa bouteille ou chacun leur bouteille. Chacun rentra chez lui, chez soi.
2 ♦ Absolt Toute personne. Chacun pense d'abord à soi. À chacun selon son mérite, son dû. « Chacun son métier, Les vaches seront bien gardées » (Florian). PROV. Chacun pour soi et Dieu pour tous : que chacun veille égoïstement à ses intérêts, laissant à Dieu le soin de l'intérêt général. — « Les femmes et les enfants d'abord ? Vous rigolez : c'était le chacun-pour-soi » (Le Point, 1987).
3 ♦ N. f. Plaisant Chacun sa chacune : une fille avec chaque garçon.
4 ♦ N. m. Vieilli Un chacun : chaque personne. « À la satisfaction d'un chacun » (Zola). Mod. Tout un chacun. Il voudrait bien réussir, comme tout un chacun.
● chacun, chacune pronom indéfini singulier (latin populaire cascunum, de quisqueunus, chaque un, croisé avec catunum, de unum cata unum, un à un) Toute personne en général : Chacun le dit. ● chacun, chacune (citations) pronom indéfini singulier (latin populaire cascunum, de quisqueunus, chaque un, croisé avec catunum, de unum cata unum, un à un) Étienne Cabet Dijon 1788-Saint Louis, États-Unis, 1856 Tous pour chacun. Chacun pour tous. Voyage en Icarie Eugène Grindel, dit Paul Eluard Saint-Denis 1895-Charenton-le-Pont 1952 Chacun est l'ombre de tous. Les Armes de la douleur, V Éditeurs français réunis André Gide Paris 1869-Paris 1951 C'est une vaine ambition que de tâcher de ressembler à tout le monde, puisque tout le monde est composé de chacun et que chacun ne ressemble à personne. Le Prométhée mal enchaîné Gallimard ● chacun, chacune (difficultés) pronom indéfini singulier (latin populaire cascunum, de quisqueunus, chaque un, croisé avec catunum, de unum cata unum, un à un) Emploi 1. Ils partent chacun de son côté / chacun de leur côté. Le possessif ou le pronom personnel employé en corrélation avec chacun peut être au singulier ou au pluriel : ils vont chacun vers sa destination ou chacun vers leur destination ; ils retournent chacun chez soi ou chacun chez eux. 2. Mille francs chacun, un échantillon de chacun. Ces constructions sont correctes : les vases sont vendus mille francs chacun ; ces parfums sont nouveaux, la maison offre un échantillon de chacun. Recommandation Éviter de dire ou d'écrire mille francs chaque, un échantillon de chaque : chaque, adjectif, ne peut être employé qu'avec un nom. 3. Ménager un espace après chacun, avant chacun ; attendez un jour après chacune, avant chacune. Pour marquer un intervalle de temps ou d'espace, ces expressions sont considérées comme plus correctes que : ménager un espace entre chacun, attendez un jour entre chacune. Recommandation Entre chacun, entre chacune sont très fréquents à l'oral. Néanmoins, entre étant normalement suivi de deux substantifs ou d'un substantif au pluriel (laissez passer un jour entre le vernissage et le ponçage ; ménagez un espace entre les rangées), il est préférable de les éviter dans l'expression soignée, surtout à l'écrit. 4. Tout un chacun. Cette expression est fréquente à l'oral : l'histoire est connue de tout un chacun ; c'est accessible à tout un chacun... Recommandation Dans l'expression soignée, en particulier à l'écrit, employer plutôt chacun, tous, tout le monde : l'histoire est connu de chacun, de tous ; c'est accessible à tout le monde. ● chacun, chacune (expressions) pronom indéfini singulier (latin populaire cascunum, de quisqueunus, chaque un, croisé avec catunum, de unum cata unum, un à un) Chacun de + nom pluriel, toute personne, toute chose faisant partie d'un ensemble : Chacun des assistants. Familier. Tout un chacun, tout le monde.
chacun, une
Pron. indéf. et n. f.
d1./d Personne, chose faisant partie d'un ensemble et considérée individuellement. Chacun d'eux, chacune d'elles. Ils ont chacun sa voiture, ou leur voiture. Tout un chacun: n'importe qui.
d2./d Absol. Tout le monde. Chacun a ses défauts.
d3./d n. f., seulement dans l'expression familière chacun avec sa chacune: chaque garçon étant accompagné d'une fille.
⇒CHACUN, UNE, pron. indéf.
Pronom exprimant la totalité d'une manière distributive, les éléments qui constituent cette totalité étant envisagés sous l'angle du singulier (chacun exclut le pluriel).
I.— Pron. Se référant soit à un subst. plur., soit une énumération de subst. sing. ou de noms de personnes. Il prend la marque de genre de l'élément qu'il représente.
A.— Chacun empl. seul.
1. Le syntagme nominal (ou le pron.) auquel se réfère chacun est extérieur à la phrase.
— Le plus souvent chacun est en fonction de sujet :
• 1. — Je décampe si cette fille doit continuer à dîner avec nous, dit-il à demi-voix. En un clin d'œil chacun, moins Poiret, approuva la proposition de l'étudiant en médecine, qui, fort de l'adhésion générale, s'avança vers le vieux pensionnaire.
BALZAC, Le Père Goriot, 1835, p. 227.
• 2. (...) il avait conquis le cœur de la comédienne en débitant des facéties au dessert, et la dernière s'était affolée de lui après l'avoir entendu lire deux pages de Jocelyn. Rien ne serait plus faux que de soutenir qu'il joua la comédie vis-à-vis d'aucune d'elles, il les avait aimées réellement chacune l'une après l'autre, il avait été tour à tour presque mystique dans sa première passion, bambocheur et farceur dans la seconde, littéraire et élégiaque dans la troisième; ...
FLAUBERT, La 1re Éducation sentimentale, 1845, p. 258.
• 3. Tout le monde souffrait comme lui depuis longtemps, et le violent besoin de manger, augmentant toujours, avait tué les conversations. De temps en temps, quelqu'un bâillait; un autre presque aussitôt l'imitait, et chacun, à tour de rôle, suivant son caractère, son savoir-vivre et sa position sociale, ouvrait la bouche avec fracas ou modestement en portant vite sa main devant le trou béant d'où sortait une vapeur.
MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 2, Boule de suif, 1880, p. 124.
• 4. Il y avait la minute précise qu'il vivait, rien d'autre; et elles se ressemblaient toutes, et pourtant chacune, en venant, lui apportait comme un bonheur nouveau.
RAMUZ, Aimé Pache, peintre Vaudois, 1911, p. 229.
• 5. Qui oserait détacher un de ces éléments et le proclamer seul valable? L'art de Titien est un ample concert où chacun est indispensable et confondu dans l'autorité de l'ensemble.
HUYGHE, Dialogue avec le visible, 1955, p. 99.
— Il fonctionne dans un groupe prépositionnel :
• 6. ... [Il déclara] qu'il allait interroger toutes les religieuses une à une pour leur demander leur résolution, et qu'il aviserait ensuite à prendre les mesures que Dieu et sa conscience lui suggéreraient. Il procéda immédiatement à l'interrogatoire, qui fut bref pour chacune.
SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 99.
• 7. Chaque nouvelle aurait une sorte d'unité, formerait une petite œuvre achevée; le lecteur pourrait prendre un plaisir différent à chacune; ...
R. MARTIN DU GARD, Souvenirs autobiographiques et littéraires, 1943, p. CXVI.
— En fonction de compl. d'obj. dir. Rare, sans doute à cause de l'ambiguïté avec la construction décrite ci-après infra 2 :
• 8. Prenant à pleines mains ces vieux gages des tendresses lointaines, je les couvris de caresses furieuses, et dans mon âme ravagée par les souvenirs, je revoyais chacune à l'heure de l'abandon, ...
MAUPASSANT. Contes et nouvelles, t. 2, Suicides, p. 828.
• 9. Gabrielle, passant entre Mme Vidauban et — Vidauban, dérangeant chacun. — Pardon! pardon, monsieur! pardon!
FEYDEAU, La Dame de chez Maxim's, 1914, II, 7, p. 45.
Rem. Chacun peut fonctionner comme compl. déterminatif :
• 10. Sur le devant de la branche transverse, s'articulent deux pièces ovales, (...). Sur le bord inférieur de chacune est tendue en dedans une membrane qui coupe à angle droit la direction de l'air; ...
CUVIER, Leçons d'anat. comp., t. 4, 1805, p. 538.
2. Chacun est en apposition à un syntagme nominal de la phrase :
• 11. Je suppose que 500 ouvriers déposent dans une caisse chacun deux sous par jour (et il n'y en a point, sur-tout dans les capitales, qui ne puissent faire ce petit sacrifice), (...); et si dans cette ville il y avoit un dispensary, et que cette association y souscrivît 500 fr, par exemple, c'est-à-dire 20 sous par chaque associé, ...
CRÈVECŒUR, Voyage dans la Haute Pensylvanie, t. 3, 1801, p. 235.
• 12. Il paraît que Tristan est une chose plus stupéfiante encore que nous nous l'étions imaginé. Nous allons voir tous les opéras de Wagner, tous, et plusieurs fois chacun, sans compter les répétitions.
VILLIERS DE L'ISLE-ADAM, Correspondance, 1869, p. 134.
• 13. Avant de revêtir celle-ci ou celle-là, la femme a eu à faire un choix entre deux robes non pas à peu près pareilles, mais profondément individuelles chacune, et qu'on pourrait nommer.
PROUST, La Prisonnière, 1922, p. 34.
• 14. Trois existences utiles de trente-trois ans chacune forment précisément un siècle.
THIBAUDET, Réflexions sur la litt., 1936, p. 123.
Rem. Après un compl. exprimant la grandeur, chacun peut être concurrencé par chaque (v. chaque rem. gén. en fin d'article).
— Chacun à chacun. Tour exprimant la réciprocité :
• 15. Si je faisais l'histoire de cette solitude, avec quel bonheur je retracerais ces pastorales de l'amitié, et, entre toutes, cette scène si douce qui nous mit la main dans la main et nous fit donner nos âmes chacun à chacun. Oh! cependant, l'échange était bien inégal : je pris là votre âme toute belle et tout ornée, et vous n'eûtes en retour qu'une pauvre âme faible et nue comme un enfant qui vient en ce monde, mais qui se donnait à vous bien abandonnément : vous lui tendiez si bien vos bras!
M. DE GUÉRIN, Correspondance, 1833, p. 110.
• 16. ... deux triangles sont égaux lorsqu'ils ont un côté égal et deux angles adjacents égaux chacun à chacun; ...
COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances, 1851, p. 392.
— Fam., sans référence précise à un antécédent. Chacun sa chacune. Désignant les personnes d'un couple :
• 17. Il avait, disait-il, besoin surtout d'un auditoire de femmes. Les amis ne se firent pas prier, et au jour et à l'heure convenus ils arrivaient, chacun suivi de sa chacune.
MURGER, Scènes de la vie de jeunesse, 1851, p. 238.
• 18. — Hé vous voyez. Ils sont quatre qui ont enlevé chacun sa chacune. Ils les emmènent peut-être en Suisse où il y a des ours, peut-être en Italie où il y a des brigands...
POURRAT, Gaspard des montagnes, Le Pavillon des amourettes, 1930, p. 282.
3. Problèmes d'accord en nombre posés par l'enchâssement de chacun.
a) La valeur distributive de chacun a pour conséquence qu'il est très souvent mis en corrélation avec l'adj. poss.
— L'enchâssement de chacun, dans la phrase de la 3e pers., peut provoquer le passage du poss., normalement au plur. (leur/leurs), au sing. (son/sa/ses). Toutes les forces humaines, toujours appliquées chacune suivant sa nature (COMTE, Catéchisme positiviste, 1852, p. 2). Ces grandes familles patriarcales, semblables aux clans celtiques, avaient chacune son chef héréditaire (FUSTEL DE COULANGES, La Cité antique, 1864, p. 160). — Oui Donc, j'ai donné à chacune ses jours (MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 1, L'Épingle, 1888, p. 1090). Ils s'enferment chacun avec sa lampe et un miroir (SCHWOB, Le Livre de Monelle, 1894, p. 115). J'ai de grands enfants qui vivent chacun de son côté (MONTHERLANT, Celles qu'on prend dans ses bras, 1950, I, 1, p. 768). La région A et la région B ont chacune sa firme (industrie) motrice (PERROUX, L'Économie du XXe s., 1964, p. 219).
♦ Lorsqu'il s'agit de tours figés du type ils partirent chacun à leur guise/à sa guise, ils travaillent chacun pour leur compte/pour son compte, ils réagissent chacun à leur manière/à sa manière, les proportions de sing. et de plur. sont égales. Ce sont ces proportions différentes qui expliquent la coexistence, dans la phrase suivante, d'un poss. au sing. et d'un autre au plur. : les deux enfants écrivirent chacun de son côté leur déposition (BARRÈS, Mes cahiers, t. 7, 1908, p. 86).
♦ Lorsque la séquence est disjointe de ce qui précède par une virgule, le sing. prédomine très largement, sans que le plur. soit cependant exclu : Lorsqu'elles [les pommes] arrivent fraîches et bien conservées, chacune dans leur enveloppe de papier (CRÈVECŒUR, Voyage dans la Haute Pensylvanie, t. 3, 1801, p. 268). Ils sont prêts à se cotiser, chacun selon leur fortune (CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 4, 1848, p. 229).
— Dans des phrases dont le sujet est de 1re ou 2e pers., les poss. sont obligatoirement du plur. : nous avons chacun nos papiers; agissez chacun selon votre conscience. Cependant, dans un style parlé, où chacun est souvent disjoint de ce qui précède par une virgule, on peut trouver son/sa/ses : Nous sommes de notre pays, chacun de son village, et tous français (COURIER, Pamphlets pol., Lettres au rédacteur du « Censeur », 1819-20, p. 30). Vous voyez que nous servons tous ici, chacun selon ses moyens (P. BOURGET, Le Sens de la mort, 1915, p. 47). Il nous faut travailler, nous, chacun de son côté (PÉGUY, Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc, 1910, p. 31). Nous débrouiller ensuite chacun de son côté (MONTHERLANT, Les Célibataires, 1934, p. 747).
b) Constr. réfléchies
— 3e pers. du plur. Le réfléchi est soi :
• 19. Les paysans construisent chacun pour soi toutes ces maisons basses, mais ils construisent pour eux tous cette haute demeure.
BARRÈS, Mes cahiers, t. 5, 1906-07, p. 45.
• 20. Ils évitaient de se regarder. Ils n'osaient plus prendre conscience d'eux-mêmes, sachant qu'ils se mentaient l'un à l'autre, et chacun à soi.
ARLAND, L'Ordre, 1929, p. 315.— Après nous, le réfléchi est nous. Cependant, notamment dans le style parlé, on trouve soi :
• 21. Là-dessus, nous fûmes chacun chez soi, assez mal contents.
ADAM, L'Enfant d'Austerlitz, 1902, p. 164.
• 22. Et puis l'automne a passé et tout à l'heure, tandis qu'aux lumières de l'arbre de Noël nous achevions d'oublier nos morts, je me suis avisée que nous recommencions à exister, chacun pour soi.
S. DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, p. 27.
c) Lorsque chacun est apposé au relatif qui, le verbe reste au plur. P. ex. après qui relatif plur. : Plusieurs parties séparées qui chacune contiennent un foyer particulier (LAMARCK, Philos. zool., t. 2, 1809, p. 218). Au milieu des hommes qui chacun, l'un après l'autre le dévisageaient au passage (MONTHERLANT, Le Songe, 1922, p. 148). Cf. cependant une attest. isolée de verbe au sing. : (Papiers) réunis dans des chemises de fort papier bleu, qui chacune portait un nom écrit en gros caractères (ZOLA, Le Docteur Pascal, 1893, p. 9).
B.— Chacun de + subst. plur. :
• 23. La banque d'Angleterre a ses traditions : tout argent déposé est enfermé chaque soir sous triple serrure, dont chacun des trois directeurs a la clef.
MORAND, Londres, 1933, p. 290.
• 24. Elle massa chacune de ses joues dans la direction de l'oreille, pour lisser les rides qui descendaient du nez.
MONTHERLANT, Le Démon du bien, 1937, p. 1292.
— Au lieu d'un subst., on trouve souvent un pron. qui représente lui-même un subst. extérieur à la phrase :
• 25. ... quatre groupements bien délimités, de chacun desquels un général sera, sans ambiguïté, responsable; ...
ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, Verdun, 1938, p. 98.
• 26. C'est avec elle que je m'étais promis d'y atteindre (au bonheur). Le drame, pour chacun de nous deux, commença du jour où je dus comprendre (et où elle comprit également) que je ne me pourrais accomplir qu'en m'écartant d'elle.
GIDE, Journal, 1944, p. 273.
— Le pronom nous peut ne pas se référer à un antécédent :
• 27. ... la continuité du mouvement réel, celle dont chacun de nous a conscience quand il lève le bras ou avance d'un pas.
BERGSON, L'Évolution créatrice, 1907, p. 310.
— D'entre. La prép. entre suggère le sens « à l'intérieur de la collectivité » :
• 28. Immédiatement la mémoire l'y relie, l'y plonge; elle lui donne une coloration inattendue et qui varie avec chacun d'entre nous, non seulement du fait de nos tendances particulières, mais de notre expérience vécue, différente de toute autre.
HUYGHE, Dialogue avec le visible, 1955, p. 433.
II.— Chacun nominal. Il ne se réfère pas à un subst. Il désigne une totalité indéfinie de personnes. Il a toujours le genre masc. plur.
A.— En règle générale, chacun n'est pas précédé d'un déterminant :
• 29. À cela se joignait alors la pitié qu'inspirait leur malheur, chacun de son mieux les secourut.
COURIER, Pamphlets pol., Pétition aux deux Chambres, 1816, p. 6.
• 30. Les malheureuses touchaient comme chacun leur part de ravitaillement.
VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 38.
• 31. Philosophie transcendantale et philosophie réflexive s'opposent l'une à l'autre en invoquant les nécessités de cette analyse psychologique dont personne ne veut, mais dont chacun veut expliquer les apparences.
J. VUILLEMIN, L'Être et le travail, 1949, p. 2.
— Fréq., chacun est suivi du réfléchi soi ou d'un poss. sing. chacun pour soi! à chacun son dû!
• 32. Alors chacun demeurera chez soi et dirigera la force et l'éclair vers l'extérieur; mais Sparte trônera sur vous, siège de la reine pour de longues années.
NERVAL, Le Second Faust, 1840, p. 253.
• 33. — Non, dis-je en riant, aujourd'hui j'ai trouvé une vérité de remplacement. Ou plutôt, je crois être sur le point de la trouver.
— Laquelle?
Je fais un geste vague.
— Chacun la sienne, dis-je en évitant de répondre.
ABELLIO, Heureux les pacifiques, 1946, p. 362.
B.— Chacun est précédé de un, tout un. Ces tours sont vivants.
1. Un chacun. Puiser dans la bourse d'autrui et d'un chacun (LAS CASES, Le Mémorial de Sainte Hélène, t. 2, 1823, p. 622). Ce que vous connaissez utile, bon à savoir pour un chacun (COURIER, Pamphlets pol., Pamphlets des Pamphlets, 1824, p. 214). Il est loisible à un chacun de souligner ... (SAINTE-BEUVE, Tabl. hist. et crit. de la poésie fr. et du théâtre fr. au XVIe s., 1828, p. 157). En dépit d'un chacun (HUGO, Notre-Dame de Paris, 1832, p. 485). La providence vient au secours d'un chacun (E. DE GUÉRIN, Journal, 1838, p. 244). À modérément gouverner un chacun selon son état (CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 3, 1848, p. 267). Fouillement d'un chacun (FLAUBERT, Par les champs et par les grèves, 1848, p. 319). La conviction intime d'un chacun (E. et J. DE GONCOURT, Journal, 1860, p. 724). À la satisfaction d'un chacun (ZOLA, L'Assommoir, 1877, p. 636). Ses belles confréries d'ouvriers et d'artistes si bien organisées contre les humeurs d'un chacun (MAURRAS, Le Chemin du Paradis, 1894, p. XXVI). C'est bien un chacun seul qui l'invente (GIDE, Réflexions sur quelques points de litt. et de mor., 1897, p. 421). À la portée d'un chacun (BLOY, Journal, 1899, p. 302). Éloignez un chacun (E. ROSTAND, Cyrano de Bergerac, 1898, III, 10, p. 138). C'est-à-dire la partie c... d'un chacun (VALÉRY, Correspondance [avec Gide], 1914, p. 436). Salut un chacun, fit-il en ôtant son casque de laine (HÉMON, Maria Chapdelaine, 1916, p. 35). Mais qu'un chacun / Ayant vidé sa tire-lire (PONCHON, La Muse au cabaret, La Fête du terme, 1920, p. 243). Ce qu'il y a à savoir d'un chacun (POURRAT, Gaspard des Montagnes, Le Château des sept-portes, 1922, p. 145). Vous lui ressemblez si bien qu'un chacun s'y tromperait, père Leleu... sans mentir, un chacun s'y tromperait... (R. MARTIN DU GARD, Le Testament du Père Leleu, 1920, p. 1157). Un chacun s'en doutait (GENEVOIX, Raboliot, 1925, p. 24). La risée d'un chacun (BERNANOS, Sous le soleil de Satan, 1926, p. 73). Le repos d'un chacun (GIONO, Le Grand troupeau, 1931, p. 35). « Je ne saurai jamais ce que je vaux, si je ne m'essayais contre un chacun » (GREEN, Journal, 1933, p. 122). Et où le premier mouvement d'un chacun, au premier événement, est de ne tenir pas sa place (MONTHERLANT, Les Célibataires, 1934, p. 872). Car de Marie voilà ce qu'un chacun pouvait dire (JOUVE, La Scène capitale, 1935, p. 10). Qu'un chacun fasse un écart icitte et là (G. GUÈVREMONT, Le Survenant, 1945, p. 164). Et l'homme avançait à petits pas, se heurtait à un chacun (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 147). Puisque la liberté d'un chacun contraint celle d'autrui (J. VUILLEMIN, L'Être et le travail, 1949, p. 95). La vocation d'un chacun (TEILHARD DE CHARDIN, Le Milieu divin, 1955, p. 57).
2. Tout un chacun. Rafraîchir la mémoire à tout un chacun (L. CLADEL, Ompdrailles, 1879, p. 268). Révélé à tout un chacun (COURTELINE, L'Article 330, 1900, p. 267). Et il aurait voulu que tout un chacun (...) goûtât autant de bonheur (MIOMANDRE, Écrit sur de l'eau, 1908, p. 68). Elle avait appris depuis longtemps, comme tout un chacun, la vérité sur tout (ALAIN-FOURNIER, Correspondance [avec J. Rivière], 1908, p. 55). Ainsi tout un chacun pouvait vous approcher (PÉGUY, Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc, 1910, p. 46). Il faut que tout un chacun te croie (CLAUDEL, Protée, 1re version, 1914, II, 4, p. 347). I' s'faisait vomir par tout un chacun (BARBUSSE, Le Feu, 1916, p. 126). C'était quasiment tout un chacun qui partait pour les États (HÉMON, Maria Chapdelaine, 1916, p. 78). Tout un chacun voyant son appétit renaître (PONCHON, La Muse au cabaret, Le Gigot, 1920, p. 149). Mais donnez quittance à tout un chacun (R. MARTIN DU GARD, La Gonfle, 1928, I, 5, p. 1189). Il connaît tout un chacun, il salue tout le monde (ARLAND, L'Ordre, 1929, p. 47). Tout un chacun cherche son intérêt (MALRAUX, L'Espoir, 1937, p. 583). (Il) faisait des réflexions sur tout un chacun (DRIEU LA ROCHELLE, Rêveuse bourgeoisie, 1939, p. 112). À l'entendre de tout un chacun (QUENEAU, Pierrot mon ami, 1942, p. 129). Mais il aimait surtout parler avec tout un chacun à la porte de l'église (G. GUÈVREMONT, Le Survenant, 1945, p. 92). Qui périt à la guerre comme tout un chacun (PRÉVERT, Paroles, 1946, p. 18). Accusons-en les circonstances et la nature humaine, de quoi les prisonniers dépendent au même titre que tout un chacun (AMBRIÈRE, Les Grandes vacances, 1946, p. 215).
Rem. Tout chacun, beaucoup plus rare, est peut-être l'indice d'une nominalisation de chacun. Cette dépêche que tout chacun affirme avoir lue de ses propres yeux (E. et J. DE GONCOURT, Journal, 1870, p. 579). Cet édit le plus maudit par lequel est permis la liberté de conscience à tout chacun (CLEMENCEAU, L'Iniquité, 1899, p. 398). Ce que je souhaite à tout chacun, c'est la petite blessure coquette... (DORGELÈS, Les Croix de bois, 1919, p. 84). Il faut que tout chacun te croie... (CLAUDEL, Protée, 2e version, 1927, II, 7, p. 401). « Assis-toi là, mon ami », qu'i' disait à tout chacun » (R. MARTIN DU GARD, La Gonfle, 1928, I, 5, p. 1187).
Prononc. et Orth. :[], fém. [-kyn]. Pour la prononc. du groupe final -un par [] cf. FOUCHÉ Prononc. 1959, p. 24. BUBEN 1935, § 31 note : ,,on prononce a antérieur et bref dans les mots [...] qui s'écrivent sans accent circonflexe malgré la disparition d'un s ou d'un autre son voisin — cf. atelier, babeurre, barolet, bateleur, chacun, chaque (afr. chascun, chasque, cascunu, etc.)``. FOUCHÉ Prononc. 1959, p. 457 souligne qu'on ne fait pas la liaison entre chacun et un mot suivant : on a donné à chacun/un livre; à ce sujet cf. aussi LITTRÉ. FÉR. Crit. t. 1 1787 rappelle : ,,Il y en a qui écrivent chaqun; c'est une mauvaise orthographe.`` Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1050 adj. cascune fém. sing. (Alexis, éd. Ch. Storey, 257), l'emploi adj. est encore attesté en 1668 par LA FONTAINE (Fables, Livre II, 20, 22), condamné par VAUG. Nouv. Rem. 1690, p. 107; 2. ca 1100 pron. cascuns masc. sing. « chaque personne [d'un groupe] » (Roland, éd. J. Bédier, 203); 1re moitié XIIIe s. (Rigomer, 12014 ds T.-L. : Cascuns i avoit se cascune); 3. XIIe s. un chacun (Sermons St Grégoire sur Ezechiel, 20, 30 ibid.), surtout en usage au XVIe s. (HUG.), loc. considérée comme ,,basse`` par FUR. 1690. Du lat. vulg. cascúnum, croisement de quisque(unus), littéralement « chaque un » et de catúnum ( [unum] cata unum) littéralement « un à un », b. lat. cata à valeur distributive (IVe s. voir TLL s.v., 585, 59-62, empr. au gr. exprimant une notion de temps, avec idée de distribution : « chaque année ») qui est représenté par l'a. fr. cadhun (IXe s. Serments de Strasbourg ds HENRY, Chrest., p. 1), chaün, cheün (ca 1170 Livre des Rois ds T.-L.; v. FEW t. 2, p. 482b). Fréq. abs. littér. Chacun : 15 783. Chacune : 3 930. Fréq. rel. littér. Chacun : XIXe s. : a) 23 197, b) 19 846; XXe s. : a) 21 974, b) 23 479. Chacune : XIXe s. : a) 6 274, b) 4 390; XXe s. : a) 5 251, b) 5 849. Bbg. MARTIN (E.). Après un pluriel, chacun doit-il être suivi de son, sa, ses ou de leur, leurs? Cour. Vaug. 1871, 3e année, p. 44; Est-il permis de dire un chacun? Cour. Vaug. 1868, 1re année, pp. 99-100; Si l'on peut dire : chacun chez lui ou chacun chez eux. Cour. Vaug. 1879, 9e année, p. 52. — TOURNEMILLE (J.). Au jardin des loc. fr. Vie Lang. 1964, p. 710.
chacun, chacune [ʃakœ̃, ʃakyn] pron. indéf.
ÉTYM. 1100, cascuns; cascune, adj. fém., 1050; cadhun, puis cheüm, XIe; du lat. pop. casquunus, croisement du lat. quisqueunis « chaque un », et (unum) cata unum « un par un ».
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1 Personne ou chose prise individuellement dans un ensemble, un tout. ⇒ Chaque, un. || Chacun de nous, chacun d'eux. || Chacun d'entre eux. || Chacun des deux : l'un et l'autre. || Chacun des enfants aura sa part. || Chacune d'elles s'en alla. — Chacun à son tour, chacun son tour. || Ces usines produisent chacune plus que l'année dernière. || Retournez chacun à votre place; nous partirons chacun de notre côté. || Ils ont bu chacun sa bouteille ou chacun leur bouteille. || Chacun rentra chez lui, chez soi.
1 (Ragotin) les quitta sans rien dire, tout rouge de dépit et de honte et rejoignit la compagnie, où chacun parlait de toute sa force sans entendre ce que disaient les autres.
Scarron, le Roman comique, I, X, p. 43.
2 (…) que tous les hommes qui peuplent la terre sans exception soient chacun dans l'abondance (…)
La Bruyère, les Caractères, XVI, 48.
3 On l'a vu une fois heurter du front contre celui d'un aveugle (…) et tomber avec lui chacun de son côté à la renverse.
La Bruyère, les Caractères, XI, 7.
4 Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier !
Hugo, les Feuilles d'automne, I.
5 Les jeunes filles s'apitoyèrent sur ces petits orphelins, et leur donnèrent la becquée chacune à son tour.
Th. Gautier, Fortunio, « Le nid de rossignols ».
6 Il suffit, bien souvent, de l'addition d'une quantité de petits faits très simples et très naturels, chacun pris à part, pour obtenir un total monstrueux.
Gide, les Faux-monnayeurs, I, IV, p. 51.
2 Absolt. Toute personne. ⇒ Tout. || Chacun pense d'abord à soi. || Chacun cherche le bonheur. || À chacun selon son mérite, selon son dû. — Chacun pour soi. → ci-dessous, 5.
7 (…) à chacun, n'est-ce pas, son plaisir et sa tâche.
Victor Bérard, Trad. Homère, l'Odyssée, p. 240.
8 Chacun se trompe ici-bas (…)
La Fontaine, Fables, VI, 17.
9 Chacun son métier,
Les vaches seront bien gardées.
Florian, Fables, I, 12, « Le vacher et le garde-chasse ».
10 Chacun a le sens de tous : « Elle étourdit chacun de son caquet (Montfl., Dupe, I, 2)… »
F. Brunot, la Pensée et la Langue, IV, X, p. 131.
3 (En relation avec chacun). Vx. || Sa chacune, la femme, la compagne (d'un homme). ☑ Chacun sa chacune : une femme pour chaque homme. — Mod. || Chacun avec sa chacune, chacun sa chacune : en formant des couples (répandu par le texte d'une valse-musette).
11 À voir chacun se joindre à sa chacune ici,
J'ai des démangeaisons de mariage aussi.
Molière, l'Étourdi, V, 11.
4 Class. (vx) ou littér. || Tout chacun (rare). || « Cette dépêche que tout chacun affirme avoir lue de ses propres yeux » (Goncourt, in T. L. F.). — Un chacun. || À la portée d'un chacun. || Le sentiment d'un chacun. || Être la victime d'un chacun. En fonction de sujet :
12 Un chacun à soi-même est son meilleur ami.
Corneille, Mélite, II, 4, variante.
13 Je ne te dirai point de mal de ma pauvre mère qu'un chacun blâme et insulte (…)
G. Sand, la Petite Fadette, XVIII, p. 126.
♦ ☑ Tout un chacun [tutœ̃ʃakœ̃] (forme la plus employée). || Tout un chacun aura son mot à dire. || Tout un chacun a sa part de malheur.
5 ☑ Loc. prov. Chacun pour soi et Dieu pour tous : que chacun veille égoïstement à ses intérêts, laissant à Dieu le soin de l'intérêt général. — Chacun chez soi, chacun pour soi. — Chacun prend son plaisir où il le trouve.
14 (…) chacun pour soi en pareil cas, on ne prend plus garde à personne.
Loti, Mon frère Yves, XXVIII, p. 91.
♦ ☑ Chacun le sien n'est pas trop : il est normal que chacun ait tout ce qui lui appartient.
REM. 1. Chacun n'a pas de pluriel. Il ne s'emploie plus comme adjectif (→ Chaque). 2. L'adj. possessif avec chacun : quand chacun n'est pas précédé d'un pluriel, on emploie son, sa, ses. Chacun fera son possible. — Lorsqu'il renvoie à un pluriel — a) De la 1re ou de la 2e pers., on emploie notre, votre devant un nom sing., nos, vos, devant un pluriel. Retournez chacun à votre place. Nous sommes partis chacun de notre côté. Nous avons chacun nos idées — b) De la 3e pers., on a le choix entre son, sa, ses, et leur, leurs (de même pour le sien, le leur). Cependant, si la partie de phrase précédant chacun forme un tout, on emploie plutôt son, sa, ses. Les hommes doivent être généreux, chacun selon ses moyens.
15 Voilà des gens à table, ils sont six; ils ont bu chacun sa bouteille, ou ils ont bu chacun leur bouteille. Les deux façons de parler sont acceptables.
F. Brunot, la Pensée et la Langue, IV, X, p. 131.
On a la même latitude pour l'emploi de le, lui, ou les, leur. Ils s'en tenaient chacun à l'opinion qui leur (ou qui lui) paraissait la meilleure. 3. Emploi de soi ou de lui. Si chacun est indéterminé, on emploie soi. Chacun pour soi. S'il représente un cas particulier on emploie plutôt lui. Après cette rencontre, chacun alla chez lui. — Si chacun se rapporte à un sujet pluriel, on emploie soi ou eux. Ils rentrèrent chacun chez soi, chez eux.
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CONTR. Aucun, nul.
DÉR. Chacunière.
Encyclopédie Universelle. 2012.